La caricature révolutionnaire 1 - L`ARBR « Les Amis de Robespierre

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La caricature révolutionnaire 1 - L`ARBR « Les Amis de Robespierre
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La caricature
révolutionnaire
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secondaire
« Je crois que la gaieté, loin de nuire aux opérations qui doivent assurer notre liberté,
servirait au contraire à maintenir chacun dans ses devoirs, à dérouter les intrigues,
à prévenir les prétentions de l’orgueil et surtout à châtier les mauvais citoyens en
dénonçant d’une manière ironique leur turpitude et leur bassesse. »
Le régiment de la Calotte, pamphlet anonyme de 1790.
Saute marquis.
La caricature révolutionnaire a un héritage qui remonte à la Ligue et qui traverse
l’Ancien Régime, de la Fronde aux querelles jansénistes. Son plus bel éclat se situe
sans doute entre 1789 et 1792, où l’on compte plus de 600 pièces différentes de ce
commerce du rire politique. Elle emprunte à la culture populaire une partie de ses
figures, principalement dans le grotesque, et offre une déformation qui prête à rire,
allant jusqu’au fantastique. Elle s’inscrit dans un système commercial, où l’œuvre,
créée à partir d’une technique simple, au coût relativement peu élevé et à la diffusion
rapide, se répand à partir d’officines spécialisées de graveurs-imprimeurs, et avec
l’aide des colporteurs. S’y rencontrent des artistes qui n’ont rien de naïf quant à leur
style, notamment quand le Comité de salut public invite David et quelques autres
artistes de premier plan à lui fournir des caricatures.
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Mirabeau-tonneau.
Elle est le lieu de création d’un imaginaire politique, répondant à l’événement,
élaborant un univers de symboles et de figures, donnant à l’arme du rire ou de la
dérision une redoutable efficacité. La satire quitte les polémiques de salons pour
investir une scène politique ouverte à tous les regards.
Dès que l’image a quitté la simple illustration et qu’elle se veut ironique,
dénonciatrice, elle appartient à la caricature. Elle emprunte son nom au latin
caricare, « charger », dans le sens de faire un portrait-charge, de donner plus de
poids aux défauts de la physionomie. Mais ce verbe peut également se traduire
par « charger » dans le sens d’une arme à feu, et la caricature révolutionnaire,
par sa richesse polémique, justifie cette connotation. Elle offre toute une tradition
esthétique qui la rattache au courant italien de la déformation grotesque des
physionomies. La bestialisation, c’est-à-dire la transformation de l’humain en animal
qui en est un aboutissement particulier, connaît à cette époque une grande faveur. À
côté, demeure la tradition hollandaise des allégories subverties, où une multitude de
personnages doit, grâce à une composition savante, fournir un équivalent visuel
à la situation politique que le graveur veut critiquer. Le texte accompagnant le dessin
est alors indispensable, et l’image s’apparente à un discours polémique. On pourra
peut-être lire la grivoiserie et la scatologie comme une forme d’expression plus
particulièrement française qui s’inscrit dans une tradition remontant au Moyen-Âge
à travers les contes populaires – et se poursuivant par Rabelais.
La déformation grotesque
Les nobles sont une cible privilégie de la caricature révolutionnaire. Parfois, c’est
une partie significative du corps qui va grandir et perturber l’harmonie de celui-ci ;
jouant sur les mots, l’artiste fait s’allonger les nez. De façon plus générale, les
femmes deviennent maigres et « pointues », les hommes gros et impotents.
Parmi eux, Mirabeau le Cadet, dit « Mirabeau-tonneau », dit « Riquetti-la-tonne », dit
« Riquetti-cravate » qui, s’il n’est pas resté dans l’Histoire, est devenu du moins un
être de caricature, sujet d’une vingtaine de pièces entre 1790 et 1791.
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Il est pris (détail).
Porte-parole d’une noblesse crispée sur ses privilèges, le vicomte arrogant était
plus matière à ridicule que véritable adversaire.
En juin 1790, dans l’affaire de Perpignan, il emporte furtivement toutes les cravates
des drapeaux de son régiment, d’où son surnom. La même année, il se signalera
également par l’affaire Pérard, du nom de l’avocat qu’il avait frappé dans un
mouvement de colère. Mais les révolutionnaires, trouvant quelque analogie entre
son être physique, de gros mangeur et grand buveur, et ses opinions politiques,
chargent la déformation corporelle de faire apparaître le personnage dans sa vérité.
L’auteur anonyme de l’estampe qui offre l’image d’un corps éclaté par l’excès ajoute
une légende dans une phrase qui fait pléonasme, mais la volonté d’être compris
l’emporte : « À cette ardeur de boire à ce ventre en tonneau/qui ne connaîtrait le
cadet Mirabeau. »
La bestialisation
Elle vise principalement la famille royale. Sous l’Ancien Régime, la représentation
du roi ou de la reine est codée et chargée de symboles, car la majesté royale
participe du sacré. Le renversement par la caricature n’en est que plus radical.
Le discrédit de la reine date de l’intrigue de cour que monte le comte de Provence
avec sa Description historique d’un monstre symbolique pris vivant sur les bords du
lac Fagua, qui propose une vision monstrueuse de la reine.
Les graveurs se saisissent de l’aubaine et détournent le thème familier de la bête
monstrueuse (bête du Gévaudan par exemple) pour la représenter sous forme
de harpie. Villeneuve, un des graveurs patriotiques les plus connus, la figure
directement en buste au centre du médaillon. Les Tuileries, représentées à gauche,
aident à l’identification du lieu. La mention des « droits de l’homme » et de la
« Constitution des Français » est une allusion à l’actualité politique.
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La reine en Harpie.
Le roi en cochon.
Ce monstre « a deux ailes comme celles d’une chauve-souris, les cuisses et les
jambes ont 25 pouces de long, et les ongles 8 pouces ; il a deux queues, l’une très
flexible dont il se sert pour saisir sa proie, l’autre qui se termine en flèche lui sert
à tuer ; tout son corps est recouvert d’écailles ». Telle est la description du monstre
créé par l’imaginaire patriotique. La reine est toujours associée au piquant, à la
griffe, à la pointe, et cette cruauté en fait l’exact pendant d’un roi trop mou et trop
rond qui deviendra cochon.
Les allégories subverties
La longue tradition française d’anticléricalisme trouve au moment de la Révolution
un terrain de prédilection dans la dénonciation des riches abbés et autres évêques
nantis. Les calembours fleurissent, qui mettent en scène l’abbé Quille, l’abbé Tise,
l’abbé Vue ou l’abbé Trave. Très tôt dans le débat politique, les avantages matériels des
ecclésiastiques seront mis en cause : suppression des dîmes dans la nuit du 4 août
1789, nationalisation des biens du clergé le 2 novembre 1789. La caricature s’empare
de ce thème et le présente sous une forme allégorique qui utilise la métaphore
corporelle : la remise en forme
égalitaire se fait par l’intermédiaire de
la grande purgation, de l’arrachage des
dents carnassières ou par la potion
vomitive qui fait « rendre », purger
dit le texte qui explicite la gravure :
Le grand mal de cœur de Monseigneur.
« Courage Monseigneur, vous allez
vous purger de choses bien utiles pour
votre salut. » Et l’évêque de rendre les
billets d’un « Prieuré de 2 000 livres »,
d’un « Bénéfice de 30 000 », d’une
« Abbaye de 50 000 », d’une « Abbaye
de 80 000 ». Il tient dans la main droite
un phylactère propre à scandaliser les
patriotes : « Vivre avec 40 000 cela n’est
pas possible. »
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D’autres caricatures du début de la Révolution ont un esprit plus fraternel et utilisent
la métaphore alimentaire du bonheur : auparavant le tiers état supportait l’œuf dont
seuls les privilégiés profitaient ; maintenant, il est sur un coquetier et les trois ordres
partagent la même richesse, trempent leurs mouillettes dans le même plat. La
Révolution doit apporter l’abondance et la fraternité, tel est le sens de cette gravure
qui semble s’adresser au même public des campagnes que de nombreuses faïences.
La grivoiserie
Cette caricature s’inscrit dans la tradition rabelaisienne, au confluent
de l’anticléricalisme, d’une certaine forme de misogynie et de la
grivoiserie proprement dite. Une première version a circulé
en juillet 1789, en accompagnement d’un pamphlet intitulé
Dialogue entre un noble et sa femme qui fut fessée au
Palais-Royal pour avoir conspué le portrait de M. Necker.
La caricature intervient comme commentaire direct
du pamphlet, qui joue sur des appels et des réponses,
des clins d’œil et des références communes. En
avril 1791 paraît une nouvelle version des « fessées
patriotiques », toujours associée à des pamphlets,
dont le plus connu est la Liste de toutes les sœurs
et dévotes qui ont été fouettées par les Dames des
marchés de Paris…
Cette charge se situe dans la lutte contre les prêtres
réfractaires : l’Assemblée avait voté en juillet 1790 la
constitution civile du clergé, et par conséquent les prêtres
devaient prêter le serment de « maintenir de tout leur pouvoir
la Constitution », faute de quoi ils seraient démissionnaires. Ceux
Le fanatisme corrigé.
qui refusaient de jurer pouvaient être poursuivis comme « perturbateurs
de l’ordre public ». Mais le 10 mars 1791, dans un bref, le Pape condamnait les
principes révolutionnaires et appelait à refuser le serment ; les sœurs en particulier
étaient soupçonnées de suivre cette voie contre-révolutionnaire. Ainsi s’expliquent
ces fessées, qui ont réellement eu lieu, entre le 6 et le 10 avril 1791 à Saint-Roch,
Saint-Sulpice, Saint-Nicolas des Champs, Saint-Paul et contre les trinitaires de
la Roquette. Il se trouvera très vite des censeurs pour condamner ce manque de
décence ; la grivoiserie, en dehors de quelques estampes plus exactement érotiques
dirigées, au début de la Révolution, contre la reine, s’appliquera principalement
pour ridiculiser l’ennemi dans les caricatures qui évoquent la guerre.
Réalisé avec le soutien de The Swann Foundation For Caricature & Cartoon (New York). Conçu par Patrick Jager et
Danielle Willemart, service éducatif du Musée de la Révolution française. Bibliographie : Antoine de Baecque,
La Caricature révolutionnaire, Paris, 1988. Politique et polémique, la caricature française et la Révolution, 1789-1799,
catalogue d’exposition, Paris, Vizille, 1898. Iconographie : Musée de la Révolution française, Vizille