Et pendant ce temps, à Genève

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Et pendant ce temps, à Genève
Et pendant ce temps, à Genève
Alors que les médias n’avaient d’yeux que pour Valence, le cercle de la voile
d’Alinghi, à Genève, restait largement dans l’ombre, bien que les membres de la
Société Nautique de Genève ont eux aussi participé à la Coupe. Mais à terre.
Texte:
Daniel B. Peterlunger
MARTIN KOBEL
PHotos:
Depuis le début de la Coupe de l’America 2007, Genève s’est retrouvée dans une situation pour le moins
singulière. Alors qu’on naviguait ferme à Valence, les
bateaux de la Nautique, comme on surnomme ici la
noble Société Nautique de Genève, ne bougeaient pas
d’un pouce. Le «Port Noir», qui appartient au club, était
comme paralysé; il faut dire que les choses se passaient ailleurs, plus exactement au nouveau club house
de deux étages, rénové pour six millions de francs. C’est
là en effet que les régates étaient retransmises sur quatre écrans géants. Le samedi 30 juin, nous y étions.
6e manche, 3:2 pour Alinghi: près de 250 fans sont là.
Autant d’hommes que de femmes, beaucoup de jeunes
et d’enfants. Sur la table, de l’eau minérale, et pas mal
de rosé. «La régate d’aujourd’hui pourrait être un
tournant», dit un vieux monsieur en shorts, son voisin
en blazer aux couleurs du club opine du chef. Et c’est
parti: à l’écran, le chrono indique 11 minutes avant le
départ. Certains posent leur verre de vin et regardent
machinalement leur montre, comme s’ils étaient euxmêmes au départ, un départ qu’ils veulent nickel. Les
gens qui sont là ne représentent pourtant qu’une petite partie des 3500 membres que compte le plus ancien club de voile de Suisse, qui fut fondé en 1872; la
65e société nautique du monde à voir le jour.
Célèbre du jour au lendemain
La victoire à l’édition 2003 de la Coupe de l’America
a rendu le club célèbre du jour au lendemain. Le club
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America’s Cup
est propriétaire de la Coupe, pas Alinghi, ni Ernesto
Bertarelli. Mais c’est Bertarelli qui a rendu la chose
possible. Alinghi porte les couleurs de la Société Nautique de Genève, qui a défié les détenteurs de la
Coupe, en Nouvelle-Zélande.
Plus que 5 minutes. SUI 100 déboule à la seconde, les
spectateurs applaudissent. Puis le calme revient dans
la grande salle du club. Le ballet agressif des bateaux
lors de la phase de pré-départ commence. Les hôtes
du restaurant du club posent leurs services sur des
sets de table où l’on retrouve imprimée la fameuse aiguière d’argent.
La conférence de Michel Fay
C’est dans ce restaurant qu’avait été invité à dîner,
avant 2003, le Néo-Zélandais Sir Michel Fay, un ami
du club. La conférence qu’il donna à cette occasion
sur la Coupe de l’America enthousiasma les personnes
présentes, un trophée que son team néo-zélandais,
dont il avait participé au financement, venait justement de remporter. Sir Fay ne pouvait pas se douter
à ce moment-là que la célèbre coupe trônerait un peu
plus tard dans la vitrine située à dix pas du pupitre
d’où il s’adressait au public.
Encore dix secondes. Départ! Les cloches de vache
tintent, les encouragements fusent. Puis, tout à coup,
le calme revient: Alinghi est derrière. Les Néo-Zed
mènent. Les visages se ferment. Quelqu’un murmure:
«Fais quelque chose!» Un autre grommelle: «Mais
qu’est-ce que vous attendez?» La réponse vient des
voisins assis au bar: «Le vent est meilleur à droite, patience!» Personne ne se tourne.
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«Où est Bertarelli?»
Le team néo-zélandais passe la première bouée en tête.
Pas un bruit. Quelques-uns applaudissent. «La Nouvelle-Zélande a bien attaqué», remarque un homme qui
porte une cravatte. Un petit garçon agite un drapeau
Alinghi, l’air un peu absent. Sa mère va lui chercher une
glace au bar. Alinghi remonte lentement. A mesure que
la distance qui sépare les deux bateaux diminue, les
bruits, les commentaires et les cris augmentent dans la
pièce. L’espoir se lit sur les visages. Une femme qui vient
d’arriver demande, soucieuse: «Où est Bertarelli? Il
n’est pas à bord?» Et comme si la régie de la TV l’avait
entendue, le patron d’Alinghi apparaît soudain à l’écran,
son pistolet laser à la main. La dame sourit, rassurée.
Ernesto, dont le père Fabio était déjà membre du club,
a boosté les activités du club grâce à la Coupe de
l’America. «Dans tous les domaines: la rame, le ski nautique, le motonautisme, mais surtout, bien sûr, la voile»
dit le manager du club, Alec Tournier.
Une grande influence
Bertarelli n’a pas attendu de revenir au pays avec la
Coupe de l’America pour avoir une influence sur la vie
du club: il a en effet remporté à plusieurs reprises le Bol
d’Or, la plus grande régate lacustre d’Europe, organisée
par la SNG d’ailleurs, qui attire quelque 600 bateaux. Il
y a sept ans, Bertarelli s’est fait construire un catamaran en carbone de 19,6 mètres de long, exprès pour cette
régate. Une embarcation radicale, un aigle noir avec le
poids d’un colibri. Coûts: 2 millions de francs. Une incroyable machine à gagner. A tel point qu’à la fin 2002,
les choses étaient claires: cette bête de course tuait litjuillet/août 07 marina.ch
téralement tout suspense sur la scène régatière.
Bertarelli le savait également. Il donna un coup de main
pour constituer une nouvelle classe monotype: les Décision 35. Le Bol d’Or redevint passionnant et le club
reste le lieu de rencontre du «tout Genève»: près de
2500 membres actifs, des artisans, des employés de bureau, des étudiants, des entrepreneurs et des banquiers
naviguent sous ses couleurs.
Grâce à Bertarelli, la branche de la construction navale
connaît également une relance dans la région. Un magazine allemand a écrit, ébahi, que Bertarelli avait transformé la Suisse en un «wonderland maritime».
Puis un tonnerre d’applaudissements et les cloches qui
sonnent à n’en plus finir: Alinghi mène. On soupire de
soulagement. Alinghi gagne. Applaudissements, cris
de joie et visages qui rayonnent. Cette victoire est importante, elle représente un pas de plus dans la défense de la Coupe. Trois jours plus tard, après une régate pleine de suspense jusqu’à la dernière seconde,
la messe était dite: le plus vieux trophée sportif du
monde conservera sa place dans la vitrine de la So
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