les êtres humains vont-ils « dominer » la nature et la « soumettre » à
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les êtres humains vont-ils « dominer » la nature et la « soumettre » à
les êtres humains vont-ils « dominer » la nature et la « soumettre » à leur volonté ? Volonté de puissance et destruction de la nature Cette façon de considérer et d’exploiter la nature, avec pour seul mobile une volonté de puissance exacerbée, a pour conséquence d’accroître la pollution de la terre, des océans et des êtres vivants d’une manière parfois irréversible à court ou moyen terme. Les drames écologiques, marées noires et pollutions meurtrières, qui ont secoué les années 70-90 ont soulevé les premières grandes vagues de protestation contre les excès de la société industrielle. Il suffit d’évoquer quelques noms qui restent gravés dans les mémoires : Seveso (Italie, 1976), Bhopal (Inde, 1984), Tchernobyl (URSS-Ukraine, 1986). On se souvient de la première marée noire du Torrey Canyon, en 1967, et de celles qui ont suivi au rythme d’un accident majeur tous les dix ans : Amoco-Cadiz (1978), Exxon Valdez (1989), Erika (1999), Prestige (2002), plate-forme pétrolière Deepwater Horizon (2010), etc. Certaines catastrophes naturelles se conjuguent parfois avec un accident industriel, comme à Fukushima en mars 2011 sur les côtes japonaises où un très fort séisme (magnitude 9 sur l’échelle de Richter) a engendré un puissant tsunami qui a lui-même détruit en partie une centrale nucléaire. On connaît encore mal toutes les conséquences de cet accident, tant au Japon que le long des côtes étrangères les plus éloignées où les courants marins transportent les déchets irradiés. On multiplie les risques chimiques dans le monde : plus de 3 000 nouveaux produits naturels ou de synthèse sont 40 indexés chaque jour dans les Chemical Abstracts. Plus de 70 millions de substances ont été recensées (voir www.cas.org), mais seules 500 000 à 1 million ont fait l’objet d’une étude toxicologique (voir par exemple www.furetox.fr, qui porte sur environ 200 000 composés chimiques, et pour une recherche plus large www.prc.cnrs-gif.fr). La critique matérialiste et spiritualiste Dès le XIXe siècle, on trouve dans la littérature scientifique une description saisissante de cet enchaînement funeste d’une domination aveugle de l’homme sur la nature. Jean-Baptiste de Lamarck le souligne dans une perspective matérialiste et athée : « L’homme, par son égoïsme trop peu clairvoyant pour ses propres intérêts, par son penchant à jouir de tout ce qui est à sa disposition, en un mot, par son insouciance pour l’avenir et pour ses semblables, semble travailler à l’anéantissement de ses moyens de conservation et à la destruction même de sa propre espèce. En détruisant partout les grands végétaux qui protégeaient le sol, pour des objets qui satisfont son avidité du moment, il amène rapidement à la stérilité ce sol qu’il habite, donne lieu au tarissement des sources, en écarte les animaux qui y trouvaient leur subsistance, et fait que de grandes parties du globe, autrefois très fertiles et très peuplées à tous égards, sont maintenant nues, stériles, inhabitables et désertes… » (Jean-Baptiste de Lamarck [17441829], L’homme, définition, 1817). Un écho plus récent de cette « définition » a été formulé par le pape Jean-Paul II dans une lettre encyclique (Centesimus annus, 1991), presque dans les mêmes termes 41 (volontairement), mais cette fois avec une portée spirituelle évidente : L’être humain, saisi par le désir d’avoir et de jouir plus que par celui d’être et de croître, consomme d’une manière excessive et désordonnée les ressources de la terre et sa vie même. À l’origine de la destruction insensée du milieu naturel, il y a une erreur anthropologique, malheureusement répandue à notre époque. […] Il [l’homme] croit pouvoir disposer arbitrairement de la terre, en la soumettant sans mesure à sa volonté, comme si elle n’avait pas une forme et une destination antérieures que Dieu lui a données, que l’homme peut développer mais qu’il ne doit pas trahir. Au lieu de remplir son rôle de collaborateur de Dieu dans l’œuvre de la création, l’homme se substitue à Dieu et, ainsi, finit par provoquer la révolte de la nature, plus tyrannisée que gouvernée par lui. Le profit est légitime, mais il a ses limites. Il en va de même pour la croissance économique : elle est révélatrice d’un monde en mouvement, dont l’évolution peut être considérée comme positive, mais il n’est pas normal qu’elle domine les esprits et influence les comportements jusqu’à imposer aux êtres humains une forme de servitude. Le marché hors de sens La croissance économique est devenue une véritable obsession de l’humanité : les analystes du marché mondial délivrent leur prophétie quotidienne, puis les vendeurs et les acheteurs le façonnent à leur image, souvent déformée par la cupidité. On ne peut pas remettre en cause le bien-fondé de cet échange nécessaire pour le bien du plus grand nombre ; 42 mais on ne peut pas nier davantage la réalité des passions qui animent les divers agents de ce marché, vendeurs, acheteurs et consommateurs. Tous finissent par dépendre, jusqu’à l’esclavage, des caprices de ce véritable « Léviathan » tentaculaire et souverain. Comme dans le livre de l’Apocalypse, ce grand marché de Babel peut s’écrouler « en une seule heure », au grand désarroi de l’humanité, et surtout des commerçants. Dans la longue liste des marchandises échangées sur ce marché apocalyptique figurent des esclaves humains, en dernière place loin derrière les métaux, les tissus, les bois et les condiments précieux (Ap 18.10-12). Certains commentateurs n’hésitent pas à interpréter ces termes « esclaves humains » (littéralement des « corps et âmes humains »), comme des vies brisées par un travail excessif et par un commerce passionné. Dans ce même livre, un avertissement solennel est lancé contre « ceux détruisent [moralement et physiquement] la terre » (Ap 11.8). Le contentement : entre raison et foi Au-delà des ressorts profonds et mesurables de l’économie, que l’on peut décrire et analyser de façon scientifique et rigoureuse, il faut donc prendre en compte les comportements humains les plus inattendus, parfois les plus irrationnels, sans en négliger la dimension spirituelle. La cupidité, entre autres passions, pousse l’humanité à asservir la création aux exigences tyranniques d’un rendement sans cesse accru, au-delà du nécessaire et du raisonnable. Dans le même temps, c’est le manque de confiance, de « foi », qui conduit les hommes et les femmes des sociétés 43 « développées » à rechercher toutes les sécurités, les assurances les plus complètes, les réglementations les plus inflexibles, au point de paralyser une société tout entière, incapable de se montrer entreprenante avec mesure et sagesse et de trouver l’équilibre entre liberté et responsabilité. Pour envisager une saine croissance, il faut apprendre à être patient et « content », c’est-à-dire satisfait avec ce que l’on a déjà, davantage que frustré de ce que l’on n’a pas encore. Cela suppose que l’on recherche la justice, notamment pour les pauvres, et que l’on freine l’exploitation excessive de la création. Sans doute aussi faut-il revenir à une conception plus simple de la vie : « La Bible nous rappelle que le bonheur, pour un ancien Hébreu, c’était de pouvoir se reposer dans sa vigne, sous son figuier, symboles de prospérité et de sécurité ; qu’il était, au jardin, à des années-lumière des mille et une tentations de la modernité… » (Jean-Marie Pelt, La terre en héritage, 2000, p. 257). Se reposer avec confiance en Dieu est probablement l’un des meilleurs moyens de demander justice et d’éviter l’épuisement prématuré des richesses naturelles de la planète, voire leur destruction. Un garde-fou biblique : le sabbat Pense à observer le jour du sabbat et fais-en un jour consacré au Seigneur. Tu travailleras six jours pour faire tout ce que tu as à faire. Mais le septième jour est le jour du repos consacré au Seigneur, ton Dieu. Tu ne feras aucun travail ce jour-là, ni toi, ni ton fils, ni ta fille, ni ton serviteur, ni ta servante, ni ton bétail, ni l’étranger qui réside chez toi ; car en six jours, le Seigneur a fait le ciel, la terre, la mer, et tout ce qui 44 s’y trouve, mais le septième jour, il s’est reposé. C’est pourquoi le Seigneur a béni le jour du sabbat et en a fait un jour qui lui est consacré. (Ex 20.8-11, BFC) Le sabbat fut institué en référence au récit biblique de la création en « sept jours ». Le peuple d’Israël devait donc observer le sabbat et ne pas travailler le septième jour de la semaine. C’était une nouveauté assez radicale dans le Proche-Orient ancien car le sabbat concernait tous les hommes et femmes de la société, y compris les « esclaves » et les étrangers. Chacun avait droit au repos hebdomadaire. Le sabbat était l’une de ces limites imposée autrefois par Dieu à son peuple, un garde-fou pour l’empêcher de rompre les liens créationnels. En respectant ce jour consacré à Dieu, par reconnaissance et respect pour le Seigneur de la création, chacun constate qu’il est une créature limitée dans le temps et l’espace et qu’il ne peut vivre de façon entièrement autonome, ni compter exclusivement sur ses propres forces et sur son travail pour subvenir à ses besoins. C’était aussi un moyen pratique de mettre en garde le peuple d’Israël contre la tentation de diviniser la nature ou les êtres vivants. Le sabbat apparaît donc comme un rappel de l’ordre créationnel. Le sabbat est enfin un jour où l’on célèbre le Dieu libérateur, où l’on se réjouit de la délivrance de l’esclavage en Égypte (Dt 5.15). Le sabbat est comme un signe tangible de la relation exclusive entre Dieu et son peuple (Ex 31.12-17). On notera que l’ordre de respecter le sabbat est parfois juxtaposé à celui de rejeter toute idolâtrie (Ex 23.12-13). 45 Le sabbat de la terre Les animaux domestiqués pour le travail ont droit au repos du sabbat et la terre doit « jouir de ses sabbats », se reposer tous les sept ans pour être plus féconde (Lv 25.2 ; 26.34, 43). Dieu promet ainsi à son peuple une récolte exceptionnelle, quasi miraculeuse, la sixième année afin de pouvoir passer l’année sabbatique (et celle qui suit jusqu’à la nouvelle récolte) dans les meilleures conditions, sans souffrir de la famine (Lv 25.18-22). Mais lorsque les commandements de la loi mosaïque sont transgressés, en particulier celui du sabbat, la terre « vomit » ses habitants ; les populations sont alors soumises aux dures lois de l’exil volontaire ou forcé (Lv 18.25, 28 ; 20.22). Ces images bibliques sont éloquentes. La terre se réjouit de pouvoir prendre du repos si le peuple d’Israël se montre fidèle à Dieu ; mais elle souffre d’être surexploitée ou de subir les conséquences des infidélités religieuses des humains : elle en est malade au point de les vomir… Un « proverbe » biblique l’exprime avec force : « Si tu trouves du miel, n’en mange pas trop, sinon tu seras dégoûté au point de le vomir… » (Pr 25.16, BFC). Repos et foi Le repos est lié à la grâce de Dieu, à son amour ; c’est un signe de la dépendance des êtres humains envers le Seigneur, de leur foi, leur confiance en Dieu qui pourvoit généreusement à leurs besoins, même lorsqu’ils se reposent. Il n’y a pas de repos réel sans foi en Dieu. Bien des hommes et des femmes d’affaires, chefs d’entreprises, artisans, médecins, etc., pourraient s’inspirer de cette vérité pour éviter de tomber dans un esclavage qui ruine 46 leur famille et leur santé, et qui affaiblit en fin de compte leurs performances et la qualité de leur travail, sans compter les conséquences négatives sur leur environnement. Il est dangereux de faire du travail une nouvelle idole… Les hommes et les femmes peuvent donc soumettre la création, à condition de rester eux-mêmes soumis à Dieu en mettant ses commandements en pratique. En respectant le sabbat, en particulier, ils sont invités par Dieu au repos et à la confiance. C’est ce que souligne l’auteur de la lettre aux Hébreux, dans le Nouveau Testament, dans une perspective nouvelle. La loi de Moïse indique clairement le remède à tout manquement, tout « péché » des hommes : un sacrifice « d’expiation », la mort d’un animal dont « le sang » est versé, la vie donnée, à la place du coupable (Lv 17.11). C’est ainsi qu’est « acquis » le pardon de Dieu, au prix fort de ce « rachat » sacrificiel qui couvre et efface les fautes. Mais ce n’est pas tant l’acte du sacrifice en lui-même qui apporte le pardon, que la foi de l’homme ou la femme qui s’approche ainsi de Dieu pour vivre avec son Créateur une entière réconciliation. C’est en cela que Dieu promet la liberté à son peuple et que le sabbat, symbole par excellence du repos spirituel, prend tout son sens : la liberté retrouvée de vivre en communion avec Dieu et de tendre vers l’idéal de sa loi. Foi et repos sont ainsi liés pour que vivent au mieux la terre et les êtres humains qui la cultivent et l’habitent. Faut-il donc respecter scrupuleusement le sabbat ? Observer un jour de repos consacré à Dieu et à faire du bien à ceux qui nous entourent est une saine pratique, à condition que le sabbat ne devienne pas un nouveau 47 moyen d’enchaîner l’être humain à une obligation rituelle incontournable : le sabbat est fait pour l’homme, et non le contraire, rappelle Jésus. Toutefois, il n’y a pas de véritable liberté sans faire preuve d’un authentique sens des responsabilités : c’est à ce prix que l’on peut prendre soin de ce que Dieu a créé. Là encore, tout est grâce…