Discours d`anniversaire de la libération du camp d`Auschwitz

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Discours d`anniversaire de la libération du camp d`Auschwitz
Discours d’anniversaire de la libération du camp d’Auschwitz
(Angoulême, 27 janvier 2015)
En 1945 s’achevait la seconde guerre mondiale ; jamais dans l’histoire de l’humanité, un conflit d’une
telle ampleur n’avait eu lieu, et jamais la barbarie dont les hommes sont capables n’avait atteint de
tels sommets. Ce fût notamment le cas dans l’univers concentrationnaire inventé par les nazis entre
1933 et 1945.
Il faisait froid, très froid, en Pologne en janvier 1945 ; depuis quelques semaines déjà, en raison de
l’avancée des troupes alliées, les tortionnaires des camps d’extermination étaient devenus fébriles et
leur cruauté en était décuplée. Ils s’employaient à détruire les archives des camps et à faire exploser
les fours crématoires, preuves de leurs exactions.
Mais ce n’est pas tout, ils ordonnèrent avec la brutalité qui les caractérisait l’évacuation des camps,
notamment de Pologne, de Tchécoslovaquie et d’Autriche, afin de se replier avec leur « bétail
humain » sur leurs bases arrières en Allemagne.
C’est ainsi que des dizaines de milliers de fantômes, survivants de cet univers d’apocalypse, ont été
entraînés dans ces fuites désormais connues sous le nom de « Marches de la Mort ».
Nous savons aujourd’hui que les nazis, qui craignaient des représailles sanglantes de la part des alliés
avaient l’intention d’utiliser leurs prisonniers comme monnaie d’échange.
Beaucoup mouraient en chemin et ceux qui ne pouvaient plus avancer étaient froidement exécutés.
Les témoignages des survivants de ces marches sont glaçants ; il en va de même des témoignages des
soldats qui, les premiers, arrivèrent sur les lieux.
Le 27 janvier 1945, soit il y a 70 ans aujourd’hui, l’Armée Rouge atteignit les abords du camp
d’Auschwitz. Les soldats russes, dont le cœur avait pourtant été endurci par les batailles précédentes
n’en crurent pas leurs yeux.
Voici un extrait du témoignage du sergent Ivan Sorokopound, mitrailleur du 507ème régiment de
fusiliers :
« Notre camion nous a conduit jusqu’au portail portant l’inscription Arbeit Macht Frei. J’avais déjà
vu des prisonniers réduits au dernier degré de la misère ; or ce que j’ai vu là allait au-delà de
l’imaginable à tel point que le souvenir de ce spectacle me hante encore.
Les mots me manquent pour décrire l’effet qu’il produisit sur moi : entre peur et dégoût, entre
dégoût et pitié. Un sentiment d’impuissance mêlé de culpabilité.
En passant le portail, nous avons vu des squelettes vivants qui se déplaçaient avec peine. A travers
les trous de leurs haillons transparaissaient leurs membres et leurs corps décharnés.
Mais le pire, c’était l’odeur putride qui se dégageait de ces morts-vivants. Leurs yeux énormes
mangeaient leurs visages et leurs regards inhumains exprimaient la folie. Après une demie heure
passée sur place, aucun de nous n’a été capable de formuler la moindre phrase ».
Je pourrais citer encore et encore ce soldat russe car son témoignage est très long et riche
d’enseignement.
Mais malheureusement, Auschwitz était un camp au milieu de cent autres et cet insoutenable
spectacle s’offrit au regard de tous les libérateurs des camps, qu’ils soient russes, anglais ou
américains.
Cette libération a été très progressive :
Eté 44, les russes libérèrent les camps de Belzec, Sobibor et Treblinka ; 28 septembre 1944,
Majdanek, le 27 janvier 1945 Auschwitz.
1er avril 1945 Buchenwald et Dora libérés par les américains.
15 avril 1945 Bergen – Belsen par les anglais.
Le 29 avril 1945 Dachau et Ravensbrück, 4 mai 1945 Mauthausen libérés par les américains.
Cette énumération, pourtant déjà longue et fastidieuse, n’est pas exhaustive ; les camps étaient
tellement nombreux que, aujourd’hui encore, les historiens restent perplexes devant l’énormité et la
modernité des moyens que les nazis avaient mobilisés pour accomplir leur œuvre de mort.
Il existait en effet 55 camps importants et près d’une centaine si l’on inclut les camps de transit et
ceux du plan « Aktion T4 ». Plus de 9 millions d’êtres humains y ont trouvé une mort horrible.
Les victimes les plus nombreuses étaient juives, éliminées en raison de leur race et de leurs
croyances religieuses ; éliminés pour des raisons voisines, les tsiganes. Déportés pour leurs prises de
position ou leurs actions: les opposants de toute sorte, politiques, prêtres catholiques, résistants,
etc…
La liberté retrouvée n’a pas été, loin s’en faut, l’occasion de joyeuses réjouissances. Les rares
survivants, bien que désormais libres continuaient de mourir tant ils étaient affaiblis ; en outre, le
monde découvrait, hébété l’échelle de cette industrie de l’horreur.
Après guerre, pour des raisons complexes, la réalité du phénomène concentrationnaire a été, au
mieux minimisée, au pire niée. Il a fallu attendre les années 70 pour que les historiens en livrent au
public une vision précise.
La Charente n’a pas été épargnée par la barbarie nazie et nombre de ses enfants furent envoyés
dans les camps :
Ce fût le cas de Mme Andrée Gros, ici présente, déportée à Ravensbrück pour des actes de
résistance ; le cas également de Mr Camille Dogneton déporté à Dachau pour les mêmes raisons, le
cas des 927 républicains espagnols déportés à Mauthausen et de nombreux autres encore dont les
noms ont été partiellement cités tout à l’heure.
L’Europe d’aujourd’hui s’est construite sur les décombres d’Auschwitz. Le souci de ses pères
fondateurs était de ne plus jamais voir se reproduire ces horreurs sur notre continent.
En apparence, en apparence seulement, ce pari a été gagné mais la réalité est malheureusement
nuancée et les perspectives inquiétantes :
Je vous rappelle tout d’abord que le premier génocide du 20 ème siècle a été celui des arméniens
commis par les turcs de l’empire ottoman en 1915. Ils massacrèrent environ un million et demi de
personnes. Cent ans après, justice n’a pas été rendue à ce peuple.
Depuis la seconde guerre mondiale, d’autres massacres ont eu lieu et constituent un marqueur
indélébile de l’histoire de l’humanité :
Massacres de masse au Cambodge, au Rwanda, au Soudan et même dans la paisible Europe les
récents massacres de Srébréniça dans l’ex Yougoslavie. Cette énumération met en évidence s’il en
était besoin que les leçons de l’histoire n’ont pas été retenues.
Des idées totalitaires sont ouvertement exprimées dans différents pays de l’Union Européenne : En
Hongrie, en Roumanie, en Grèce, dans les pays scandinaves et même dans nos démocraties
occidentales, des nostalgiques du 3ème Reich s’expriment à nouveau sans vergogne.
Et comment passer sous silence la barbarie qui s’est tout récemment manifestée dans notre beau
pays et qui n’a surpris que ceux qui refusaient de voir le danger qui pourtant était dans notre maison
et que nous avons, de manière suicidaire laissé s’installer.
Mais je ne veux pas terminer mon propos sur une note aussi pessimiste. La France nous a prouvé il y
a à peine quelques jours que face au danger, elle savait encore montrer un front uni et protéger ses
valeurs fondamentales.
Nous devons, chacun avec nos moyens, nous battre pour que cela n’arrive plus jamais :
-
Par l’éducation.
Par la mise en œuvre d’actions nouvelles dans ce qu’il est convenu d’appeler les « Territoires
perdus de le République ».
Par une politique d’intégration de populations en déshérence.
Par tout autre moyen fût-il douloureux aux yeux de certains.
Ce sera le prix à payer pour que nos enfants vivent dans un monde apaisé où la violence ne sera plus
la règle et la peur de l’autre un mauvais souvenir.
Gérard Benguigui
Président de l’AJA