Prix d`éviction
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XX LA SEMAINE DE LA DOCTRINE LA VIE DES IDÉES LE MOT DE LA SEMAINE Prix d’éviction XX LegalTag L’arrêt Post Danmark en perspective FRÉDÉRIC JENNY, professeur à l’ESSEC, membre du Club des juristes L’ ouverture à la concurrence de nombreux secteurs a nourri le débat sur les conditions dans lesquelles des entreprises en situation de position dominante pouvaient pratiquer des prix bas. Ce débat s’est déroulé en trois temps sur une période de vingt ans et l’évolution observée permet de mesurer le caractère pragmatique et évolutif du droit de la concurrence. Qu’en était-il avant la vague d’ouverture à la concurrence de secteurs protégés ? La Cour de justice des Communautés européennes avait, dans l’affaire Akzo (3 juill. 1991, aff. C-62/86) retenu que les prix inférieurs à la moyenne des coûts variables doivent être considérés comme abusifs et que des prix inférieurs à la moyenne des coûts totaux mais supérieurs à la moyenne des coûts variables doivent être considérés comme abusifs lorsqu’ils sont fixés dans le cadre d’un plan ayant pour but d’éliminer un concurrent. La règle posée par l’arrêt Akzo s’est révélée être imprécise dans les cas où une entreprise chargée d’une mission de service public et détenant à ce titre un monopole légal déployait également une activité sur la partie du marché ouverte à la concurrence. L’une des difficultés d’application de la règle tenait à ce que certains facteurs de production pouvaient être utilisés par l’entreprise à la fois pour assurer sa mission de service public et pour exercer son activité concurrentielle. Par exemple, la Poste pouvait utiliser un véhicule pour livrer, dans la même tournée, du courrier ordinaire (activité qui n’était pas ouverte à la concurrence) et des lettres envoyées par express (activité pour laquelle elle était en concurrence avec DHL et Fedex). Se posait alors la question de savoir si les coûts des facteurs de production communs aux deux activités devaient être pris en compte par l’entreprise dominante dans le calcul des coûts variables de son activité ouverte à la concurrence. Dix ans après, la Commission européenne a proposé une réponse dans sa décision Deutsche Post AG (Comm. CE, déc. Page 290 n° IV/35.141, 20 mars 2001) : l’entreprise dominante mettrait en œuvre une pratique d’éviction si son prix était inférieur au coût moyen, celui-ci étant calculé en tenant compte des coûts auxquels elle devait faire face pour exercer l’activité concurrentielle et qu’elle n’aurait pas à payer si elle n’exerçait que son activité sous monopole (ce que l’on appelle son coût incrémental moyen). Ainsi, la Poste n’avait pas à prendre en compte le coût du véhicule pour la tournée dans le calcul du coût incrémental de son service de messagerie express puisqu’elle aurait dû faire la tournée en raison de son obligation de service public. La règle ainsi posée a permis la condamnation de l’opérateur allemand. La Commission n’a pas eu à trancher la question de savoir si, et à quelles conditions, un prix supérieur au coût incrémental moyen mais inférieur au coût moyen total aurait pu révéler une pratique anticoncurrentielle. À nouveau dix ans plus tard, dans ses conclusions dans l’affaire Post Danmark (27 mars 2012, aff. C-209/10) l’avocat général Mengozzi a proposé de compléter la règle posée par la décision Deutsche Post AG. Il a estimé que le fait qu’une entreprise dominante ayant à la fois un marché protégé sur lequel elle assure une mission de service public et une activité concurrentielle, pratique, sur le marché concurrentiel, un prix supérieur à son coût incrémental moyen mais inférieur à son coût total moyen, n’exclut pas qu’elle puisse évincer ses concurrents. Ainsi DHL ou Fedex, qui doivent utiliser des véhicules pour leurs livraisons, pourraient être évincés si la Poste n’avait pas à comptabiliser le coût des véhicules qu’elle utilise pour ses tournées pour établir le prix de son service Chronopost. Dans l’arrêt Post Danmark, la CJCE a aussi conclu que la combinaison des règles posées par les jurisprudences Akzo et Deutsche Post AG était trop favorable aux monopoles historiques. Elle a retenu que nonobstant le fait qu’il n’était pas établi que Post Danmark avait intentionnellement cherché à éliminer des concurrents, et alors que cette entreprise avait pratiqué un prix supérieur à son coût incrémental moyen mais inférieur à son coût total moyen, il convenait d’examiner si sa politique de prix avait conduit à l’éviction effective ou probable d’un concurrent au détriment du jeu de la concurrence. Le message est clair. Les opérateurs dominants assurant une mission de service public et exerçant par ailleurs une activité concurrentielle ne peuvent se contenter de pratiquer des prix supérieurs au coût incrémental moyen de l’activité concurrentielle pour être à l’abri du droit de la concurrence. LA SEMAINE JURIDIQUE - ÉDITION GÉNÉRALE - N° 35 - 27 AOÛT 2012 LA SEMAINE DE LA DOCTRINE LA VIE DES IDÉES BIBLIOGRAPHIE Actualité des actes uniformes révisés en droit commercial et en droit des sûretés Guide du contentieux du droit des étrangers 2013, Commission Afrique - OHADA du Barreau de Paris par Denis Seguin, avocat au barreau d’Angers et docteur en droit, membre de l’association ADDE (Avocats pour la défense des droits des étrangers) : LexisNexis, coll. Guide, août 2012, 1re éd., 302 p., 49 €. Les services publics culturels, par Jacques Léger (dir.), et Jean-Marie Pontier (dir.), professeur à l’École de droit de la Sorbonne : PUAM, 2012, 263 p., 20 €. Code du travail 2013, Bernard Teyssié, professeur à l'université PanthéonAssas (Paris II), président honoraire de l'université : LexisNexis, coll. Codes bleus, sept. 2012, 28e éd., 3500 p., 54 €. L a Commission Afrique - OHADA du Barreau de Paris a retracé le 29 mai, en une après-midi débat, l’actualité de deux actes uniformes récemment révisés. Le président Daniel Tricot a présenté les nouveautés de l’acte uniforme portant sur le droit commercial général : précisément la nouvelle logique de l’ « entreprenant », adaptée au microcrédit et à l’activité des femmes. Il a pu louer la liberté d’écriture de la partie consacrée à la vente commerciale ; l’approche concrète de la notion d’offre et de l’inexécution ; plus généralement la méthode, qui évite la théorie générale. Les principes OHADA s’inspirent des principes UNIDROIT, mais également de la convention CNUDCI (Commission des Nations Unies pour le droit commercial international). Le professeur Barthélémy Mercadal, passionné de jurisprudence, a montré que le code IDEF (Institut international de droit d’expression et d’inspiration françaises) annoté de l’ OHADA (le site ouvre à 10000 décisions) est un droit qui n’est pas inférieur à la common law, que l’on est en présence d’un droit fiable, vivant, d’application quotidienne, bon reflet de l’activité économique. La culture juridique civiliste couvre un grand nombre de pays ; la common law évolue de son côté (progression du droit écrit). En définitive, la jurisprudence disponible bouscule les idées reçues sur la différence des solutions. L’acte uniforme portant organisation des sûretés a été présenté et défendu par le professeur Pierre Crocq. Il a loué la méthode, la satisfaction de participer à la création de la norme jusqu’à la fin (formules). Il a souligné les qualités du contenu : sécurité juridique accrue, amélioration de l’accessibilité ; amélioration de la protection des tiers ; renforcement de l’attractivité des sûretés ; adaptation du droit commun au droit actuel et aux exigences futures (suppression de l’exigence de dépossession) ; introduction de nouvelles sûretés (par exemple, la réserve de propriété). Enfin, Me Frédérique Chifflot Bourgeois a présenté les nouvelles modalités pratiques (comment prendre une sûreté ; nécessité de vérifier la propriété) et insisté sur la création de l’agent des sûretés. Le bon fonctionnement passe par la mise en concordance de l’acte unique et du Registre du commerce et du crédit mobilier (RCCM). COLLOQUES 1re édition du Salon du livre juridique de Nancy, organisée par la Chambre départementale des notaires, la faculté de droit de Nancy et le Conseil régional des notaires de la cour d’appel de Nancy, les 14 et 15 septembre, en partenariat avec les éditions LexisNexis (M. Dominique Huriet, Tél. : 03 83 35 62 49 - 06 12 04 14 74 ; [email protected] ; www.placeaudroit.com). 56e congrès de l’Union Internationale des Avocats, du 31 octobre au 4 novembre 2012, en partenariat avec La Semaine Juridique Édition Générale (Tél. : +33 1 44 88 55 66 ; Fax : +33 1 44 88 55 77 ; uiacentre@ uianet.org ; www.uianet.org). Temps et création jurisprudentielle Par Catherine Puigelier, professeur à l’université de Paris VIII, préface François Terré, professeur émérite à l’université Panthéon-Assas (Paris II), membre de l’Institut : Bruylant, 124 p., 75 €. L es juristes - praticiens ou universitaires - qui ont du mal à lever la tête de la course sans fin qu’ils mènent « contre la montre » sur la route étroite et encombrée de leur spécialité doivent rendre grâce au Centre de recherches en théorie générale du droit de l’université Panthéon-Assas, parrainé par l’Académie des sciences morales et politiques et animé, en particulier, par le professeur François Terré. Ce Centre, en effet, mène, avec une obstination méritoire, une recherche systématique sur des thèmes transversaux qui obligent à resituer les problèmes de droit positif dans leur contexte philosophique et dans leur perspective historique. Le Centre a ainsi publié en 2007, sous la direction de Jean Foyer, un ouvrage intitulé « La création du droit par le juge » (Arch. phil. dr. 2006-2007, Dalloz). Le professeur Catherine Puigelier – dont on connait la thèse intitulée « De l’apport de la psychologie cognitive dans la motivation d’une décision de justice (en matière civile) » et qui est l’un des universitaires les plus assidus à concourir aux travaux du Centre - avait contribué à cet ouvrage en y publiant une longue étude intitulée « Temps et création jurisprudentielle ». Ce texte vient d’être l’objet d’une nouvelle publication sous la forme d’un ouvrage autonome aux éditions Bruylant. Cet ouvrage, petit par ses dimensions, est particulièrement riche par ses réflexions sur le rôle unificateur et sur le rôle prospectif de la jurisprudence et nous pensons rendre service à nos lecteurs en signalant sa réédition avec une préface stimulante du professeur François Terré. Jacques Béguin LA SEMAINE JURIDIQUE - ÉDITION GÉNÉRALE - N° 35 - 27 AOÛT 2012 Page 291