Les Inrocks - Association des Cinémas du Centre

Transcription

Les Inrocks - Association des Cinémas du Centre
LE NEWS CULTUREL
LOOKING FOR ERIC de Ken Loach
avec Eric Cantona, Steve Evets, Stephanie Bishop
Un Loach surprenant,
avec une superstar iconique.
Ooh aah, du bon cinéma.
Eric Cantona, ou son image ?
R
épondant à une ouverture d’Eric
Cantona, Ken Loach se saisit de la
balle et feinte son monde. C’est la
première fois qu’il dirige une vedette
internationale, même si elle a construit sa renommée sur le rectangle vert plutôt que blanc. C’est aussi la première fois depuis un moment que Loach s’aventure
franchement sur le terrain de la comédie,
même s’il s’agit de comédie sociale enracinée dans un certain blues prolétaire.
Postier, quinqua, largué depuis longtemps
par sa femme, dépassé par ses fils ou beauxfils adolescents, dépressif, usé, Eric Bishop
est un anti-héros typiquement loachien. A
part ça, il est également supporter de Manchester United et fan de Cantona, ce “King
Eric” dont un gigantesque portrait égaie le
mur de sa chambre. En parlant bêtement à
son poster, Bishop se met à délirer et à
“voir” Cantona en chair et en os.
Ken Loach réussit parfaitement ce dont il a
l’habitude : toutes les scènes entre collègues
postiers, les ambiances collectives et masculines, portées par la truculence des acteurs et
le plaisir évident que prend le cinéaste à filmer ce corps social prolo. Les scènes avec
Cantona, d’un registre nouveau pour Loach,
flirtant avec le fantastique, sont plus étranges. Parfois un peu figées, comme si Loach se
raidissait face à l’icône, elles jouent aussi avec
une certaine réussite sur l’image du footballeur : Canto est ici à la fois lui-même et une légère caricature de lui-même, s’exprimant le
plus souvent à coups de phrases-proverbes
un peu sentencieuses, déclinaisons creuses,
de son fameux “les mouettes et le chalutier”.
Quand il déclame dans son savoureux anglais méridional, “I am not a man, I am Cantona”, on sourit autant du trait humoristique que de l’ironie dont Cantona fait preuve
vis-à-vis de lui-même et de sa célébrité.
Moins réussie est la partie “tragédie du remariage”, où Bishop tente de renouer avec
son ex. Le film ne nous fait pas “vivre” cet
amour au temps de sa floraison. Prenant ce
mariage dysfonctionnel au milieu du gué, le
spectateur a logiquement du mal à se sentir concerné.
Il est curieux qu’un cinéaste aussi politique
que Loach filme une histoire où un personnage s’en sort grâce à un deus ex-machina
non réaliste – une idole qui s’incarne est un
phénomène relevant plutôt du registre catholique ou paranormal que des convictions “rouges” du cinéaste. On est aussi
surpris que Loach évoque le foot sans s’intéresser aux multiples zones d’ombre de ce
sport-business. Manquant de fond de jeu
ou de pugnacité sur certains aspects, Looking for Eric réussit néanmoins quelques
beaux gestes fidèles à son projet de départ : faire exister Cantona dans son propre rôle et parler de la relation passionnelle
entre les footballeurs et leurs fans.
Serge Kaganski
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Les Inrockuptibles numéro 704 / 26 mai 2009