Katyn 1940-2010 - l`Institut d`Histoire sociale

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Katyn 1940-2010 - l`Institut d`Histoire sociale
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POLOGNE
par Jean-Louis Panné *
Katyn 1940-2010
L
A CATASTROPHE AÉRIENNE SURVENUE À SMOLENSK le 10 avril, le jour
même des commémorations organisées pour le 70e anniversaire de l’exécution
des officiers polonais à Katyn, donne à cette tragique coïncidence la dimension
d’un condensé de l’histoire de la Pologne au XXe siècle.
Le massacre de Katyn et le mensonge que les Soviétiques et les communistes de tous
pays ont voulu imposer à son sujet ont occupé une place centrale dans la mémoire des
Polonais depuis la Seconde Guerre mondiale. Ils ont joué un rôle important dans la
relation conflictuelle avec le régime qui leur fut imposé.
Dans l’avion présidentiel se trouvait Anna Walentynowicz, grutière au chantier
Lénine de Gdansk, dont le licenciement fut à l’origine de la grève déclenchée le 15 août
1980 qui aboutit à la création du syndicat NSZZ Solidarnosc. Pendant les treize mois
d’existence légale du syndicat, il fut alors possible de parler ouvertement de Katyn.
Même après l’établissement de l’état de guerre le 13 décembre 1981, Katyn resta
présent : des brochures éditées clandestinement circulaient, mais aussi des timbres
commémoratifs destinés à financer la presse clandestine.
1989. Retour à la démocratie en Pologne, perestroïka en URSS : le mensonge sur la
responsabilité du massacre attribué aux Allemands par les Soviétiques est définitivement ruiné lorsque M. Gorbatchev admet, en 1990, la responsabilité du NKVD et
informe les autorités polonaises de l’existence de deux autres lieux d’exécution :
Mednoje et Karkhov. Deux ans plus tard, en octobre 1992, Boris Eltsine remet copies
des documents secrets concernant cette liquidation d’une partie des élites de la nation
polonaise à Lech Walesa. Le chapitre du mensonge communiste est désormais clos.
Mais la portée de l’affaire de Katyn dépasse largement la question des relations russopolonaises. En effet, dès qu’il est connu, il est évident que ce crime de guerre est soviétique. Reprenons la chronologie des faits.
*
Historien, éditeur, vient de publier Jan Karski, le «roman »et l’histoire (Pascal Galodé éditeurs).
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À l’issue de l’agression soviétique contre la Pologne (17 septembre 1939), qui fut
lancée sans déclaration de guerre et préalablement coordonnée avec l’attaque allemande
du 1er septembre, environ 230 000 soldats et officiers polonais sont faits prisonniers par
l’Armée rouge. Les officiers sont séparés des simples soldats et répartis en trois camps.
Ils sont soumis à des interrogatoires par le NKVD, qui établit des fiches sur leur compte.
En février 1940 commence la première des grandes déportations que va subir la population polonaise. Le 2 mars, Beria, patron du NKVD, décide la déportation des familles des
officiers prisonniers. Le 5 mars, il soumet au Politburo l’ordre d’exécution des officiers,
présentés comme « ennemis acharnés et irréductibles du pouvoir soviétique ». 4 421
d’entre eux sont exécutés à Katyn, dont 231 d’origine juive.
Mais le 12 août 1941, trois semaines après l’attaque allemande, Staline décrète l’amnistie pour les prisonniers polonais. Le gouvernement légal de Londres, qui a renoué des
relations diplomatiques avec Moscou, confie au général Anders, rescapé de la
Loubianka, la responsabilité de reconstituer une armée polonaise. Anders charge des
survivants – parmi eux, Jozef Czapski – de retrouver les officiers manquants. Tous se
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Les timbres reproduits dans
ces pages, consacrés au
souvenir des assassinats de
Katyn, ont été imprimés
clandestinement en Pologne,
après le coup d’État
du général Jaruzelski.
Page de gauche :
Timbres de 1987 ; parmi les
victimes représentées : un
professeur de médecine, un
juge, un général.
Chacun est « un des 4143 »,
mention qui figure sous les
portraits.
Ci-contre :
Tombes en bouleau des
victimes; en médaillon,
une pietà recueillant une
victime tuée d’une balle.
heurtent aux manœuvres dilatoires des autorités soviétiques puis aux accusations d’espionnage envers ces officiers.
Le 13 avril 1943, Radio-Berlin annonce la découverte de fosses à Katyn, près de
Smolensk, où est enterrée une partie des officiers disparus. Les Allemands entendent bien
utiliser cette macabre découverte pour leur propagande, plus nécessaire que jamais car,
dix semaines auparavant, la Wehrmacht a subi la décisive défaite de Stalingrad. Dans
toute l’Europe occupée, des affiches sont diffusées proclamant : « Si les Soviets gagnaient
la guerre : Katyn partout » ; des délégations sont emmenées sur les lieux du crime. Robert
Brasillach participe à l’une d’elles. Est réunie une commission médicale internationale
composée de grands professeurs venant des pays satellites du Reich, et du Suisse François
Naville, parti en accord avec le gouvernement helvétique. Tous concluent à des exécutions
faites au printemps 1940. La date signe le crime. Une commission technique de la CroixRouge polonaise, conduite par un médecin résistant, parvient aux mêmes conclusions, si
bien que le gouvernement polonais est rapidement fixé sur l’identité des coupables.
Le 17 avril, le général Sikorski demande une enquête de la Croix-Rouge. Staline en
prend alors prétexte pour rompre les relations diplomatiques avec le gouvernement de
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Londres : la conquête de la Pologne par l’URSS se profile déjà… et il veut imposer aux
Anglo-Saxons la version de la culpabilité allemande. Mais pour les observateurs au fait
des méthodes soviétiques, il ne subsiste aucun doute. En exil aux États-Unis, Boris
Souvarine parle de « l’indicible tragédie de la forêt de Katyn, où des milliers d’officiers
polonais prisonniers ont été froidement massacrés par ordre de Staline ».
1945. À la demande des Soviétiques, lors du procès de Nuremberg, le crime de Katyn
est inscrit à charge contre les Allemands, mais les juges se déclarent incompétents et il ne
figure pas dans la sentence finale, ce qui est un grave échec pour les Soviétiques qui
auraient voulu voir leur mensonge avalisé par une instance internationale.
En revanche le silence volontaire des Anglo-Saxons leur laisse le champ libre jusqu’à
ce que le Congrès américain se décide à ouvrir le dossier, une fois la guerre froide bien
installée. C’est alors que resurgit le témoignage de François Naville. En France, la puissance du PC et le philo-soviétisme largement répandu font barrage à la reconnaissance
de la vérité, en dépit de la publication régulière de livres sur la question : général Anders,
Katyn (1946) ; J. Czapski, Terre inhumaine (1949, 1978) ; Henri de Montfort, Crime russe
ou crime allemand ? (1966, 1969) ; J. K. Zawodny, Katyn : massacre dans la forêt (1971).
L’un des moyens utilisés par les communistes pour introduire la confusion consiste à
mettre en avant le village biélorusse de Khatyn détruit par les Allemands.
Les efforts poursuivis par les publications honnêtes rencontrent peu d’échos :
Gavroche publie en 1948 un article de J. Czapski ; le BEIPI reproduit en novembre 1949
un article du New Leader traitant des conclusions de l’enquête de Roman Martini,
commandée par le ministre polonais de la Justice. Or, Martini, qui devait conforter la
thèse soviétique, est assassiné à Varsovie après avoir remis son rapport défavorable à
celle-ci. Katyn reste aussi présent dans un certain nombre d’ouvrages tels le roman de
Michel Déon, Les Poneys sauvages (1970), où il est présenté comme un crime soviétique
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Page de gauche :
La série de trois timbres rappelle le pacte soviéto-nazi,
les camps d’internement des officiers (Kozielsk,
Ostachkow, Starobielsk), les exécutions à Katyn, les
grandes déportations de 1940.
Ci-contre :
Variante très explicite des timbres précédents :
le canon de l’arme est pointé
sur la nuque de la victime.
tandis que Alain Decaux, dans les Nouveaux dossiers secrets (1967), penche pour un
crime allemand.
En France, la mise à jour sur Katyn n’est pas terminée comme l’a montré la réception
réservée au film d’Andrzej Wajda, fils de Jakub Wajda, capitaine assassiné dans une
prison de Kharkov. Déjà handicapé par le choix du distributeur – une société russe – le
film a été systématiquement dénigré, notamment dans Le Monde[1]. Cette campagne
amène Éric Lafon à s’interroger : « Katyn : de la négation à la vérité historique. Y a-t-il
une difficulté française à admettre les crimes soviétiques ? »[2].
Lors des obsèques nationales des victimes de la catastrophe, les journalistes mirent
souvent au crédit de Vladimir Poutine la projection, à deux reprises, du film de Wajda
sans relever que, jusqu’à ce jour (20 avril), aucune grande chaîne française ne l’a
programmé. Une projection suivie de commentaires permettrait pourtant d’expliciter
certains détails qui échappent au spectateur français. Un exemple : un jeune maquisard
déchire une affiche qui représente un soldat de l’Armée rouge marchant victorieusement
sur Berlin, ralenti cependant par le « nain de la réaction » qui s’accroche à l’une de ses
jambes, c’est-à-dire par un soldat de l’Armia Krajowa dépendant du gouvernement de
Londres. Cette affiche est un pur décalque d’une affiche bolchevique des années de
guerre civile…
Reste à apprécier les gestes de Vladimir Poutine. Son retournement spectaculaire peut
faire croire à l’ouverture d’une nouvelle période dans les relations entre Pologne et
Russie. Il faudrait cependant n’être pas naïf et prendre en considération l’ensemble des
dossiers, notamment économiques, mais aussi stratégiques, qui motivent cette nouvelle
1. Jean-Luc Douin, 1er avril 2009.
2. Recherche socialiste, n° 46-47, 2009.
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attitude. Le pouvoir russe a-t-il réalisé l’importance de la Pologne dans l’Union européenne ? Considère-t-il qu’il vaut mieux – tout en interdisant toute procédure judiciaire – s’en faire une alliée, dans la perspective d’une Europe prenant ses distances avec
les États-Unis ? La question doit être posée. « Je crains les Grecs, surtout s’ils portent des
présents »…
Sur l’histoire du crime de Katyn, on peut lire avec grand profit le livre
d’Alexandra Viatteau : Katyn. La Vérité sur un crime de guerre
(A. Versailles, 2009) ou celui de Victor Zaslavsky : Le Massacre de Katyn
(Tempus, 2009).
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