une strategie politique dans la duree

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une strategie politique dans la duree
UNE STRATEGIE POLITIQUE DANS LA DUREE
POUR LE MOUVEMENT DES OBJECTEURS DE CROISSANCE
Alain Adriaens, Jean Pierre Wilmotte, 29 novembre 2011
Les assemblées des 18 décembre 2011 et 29 janvier 2012 préciseront les objectifs, moyens et structure
que se donnera le mpOC pour les années à venir. Ceux-ci seront certainement en phase avec le
Manifeste et il nous semble donc opportun de dessiner une stratégie politique à moyen terme (10
ans?), adaptée à la situation politico-socio-économique qui se profile en ce début 2012.
Une stratégie doit être en permanence revue et adaptée en fonction des évolutions politiques mais il
n’est pas inutile de réfléchir collectivement sur le meilleur chemin à emprunter par notre
organisation pour réaliser nos objectifs.
Etat des lieux
Perspectives socio-politiques
En 2007/2008 une grave crise socio-économique mondiale a débuté. Elle est due au profond
déséquilibre créé par le monde financier et qui s’est révélé d’abord par la crise dite des subprimes
dans le crédit-logement aux USA. Le parasitisme financier persiste et se manifeste aujourd’hui par
les dettes souveraines devenues impayables vu les taux d’intérêts usuriers exigés par les banques
commerciales. Les politiques d’austérité voulues par les gouvernements de droite et l’Europe néolibérale s’ajoutent à l’augmentation des prix des ressources naturelles de plus en plus rares. Tout
cela induira certainement une récession économique profonde, avec des retombées sociales qui
risquent d’être très dures pour les plus faibles.
Le mpOC, combien de divisions ?
Le mpOC compte un peu plus de 250 membres effectifs et sympathisants dont une minorité est
réellement active, soit dans les GL, soit dans les pôles et groupes de travail du Mouvement. Nos
moyens financiers sont limités et nous en disposons d’aucun permanent.
Si nos forces sont encore fort modestes, nous constatons que les idées de l’OC sont de mieux en
mieux accueillies. Certes, elles sont encore très peu ou mal connues mais lorsqu’on a l’occasion de
les développer, elles ne provoquent plus le rejet ou l’incompréhension connus il y quelques années.
De multiples organisations développent des projets concrets proches de nos idées. Le terrain que
nous devons semer est donc moins infertile que nous aurions pu le craindre.
Le positionnement relatif du mpOC
Si l’on retient les 4 fractures qui, selon Vincent de Coorbijter, parcourent le monde politique belge,
on peut clarifier quelque peu les divers positionnements politiques. Les 4 fractures sont Nord/Sud
(communautaire), confessionnel/non confessionnel (philosophique) gauche/droite (social) et
matérialiste/post matérialiste (notre spécificité). Hors le positionnement communautaire
(géographique) et le positionnement confessionnel mineur (le CdH a déjà abandonné le C de
chrétien et celui du CD&V se porte fort mal), tentons une schématisation subjective de la scène
politique francophone dans le graphe ci-après. Ce schéma n’est pas celui que veulent promouvoir
les OC qui tentent de populariser un nouveau paradigme (modèle de société) mais celui que des
observateurs politiques traditionnels peuvent se représenter avec leurs critères.
En particulier, le clivage gauche/droite est ambigu pour les OC (comme le montre le chapitres
économie-finances déjà adopté). Nos objectifs font de nous des héritiers des revendications de la
gauche libérale des XVIIème et XVIIIème siècles : habeas corpus, séparation des pouvoirs exécutif,
1
législatif et judiciaire, gouvernement du peuple par le peuple et pour le peuple… Nous sommes
aussi héritiers des revendications du socialisme du XIXème siècle : justice sociale, égalité
homme/femme, libertés philosophiques… Mais nous ne partageons pas les positions d’une certaine
gauche du XXème siècle : travaillisme, productivisme, planification étatique…
Le terme post-matérialisme ne signifie évidemment pas l’oubli des bases matérielles nécessaires à la
vie bonne mais se distancie de la logique utilitariste qui considère que tous les objectifs d’une
société se résument à l’augmentation de la production et de la consommation de biens matériels qui
seraient le seul but des humains et la seule source de «bonheur», en une vision centrée sur
l’économisme productiviste.
POSTMATERIALISME
mpOC
ECOLO
Extrêmes
gauche
CdH
PS
MR
Extrême
droite
MATERIALISME
GAUCHE
DROITE
Ce schéma, certes caricatural, a pour objet de montrer l’originalité du projet des objecteurs de
croissance qui sont les porteurs d’un paradigme radicalement neuf et fort différent de ce qui existe
sur le «marché» politique actuel. Mais paradoxalement (quoi que ce soit explicable) nous trouvons
dans ce créneau, à la périphérie de la scène politique, dans le coin supérieur gauche du dessin,
beaucoup d’associations, de groupements, d’intellectuels, de personnes ordinaires… qui partagent
une bonne part de nos options. Le combat politique «idéologique» consistera donc à attirer les
autres conceptions politiques vers les nôtres et pas à se rapprocher d’elles dans l’espoir vain de
partager un peu de leur pouvoir.
Agir dans une époque politique tragique
C’est Edouard Delruelle1 qui postule que nous vivons une époque politique tragique : il pense
qu’aujourd’hui beaucoup de ceux qui réfléchissent à l’avenir de nos sociétés (ceux qui ne sont pas
dupes ou complices du système dominant) réalisent que nos sociétés vont dans la mauvaise
1
http://www.etopia.be/IMG/pdf/Politique_au_tragique.pdf
2
direction et que si l’on ne change pas, on vivra de graves difficultés sociales et environnementales
(certains sont même catastrophistes). Mais ces esprits critiques ne voient pas comment empêcher le
malheur politique qui vient.
En effet, les formations politiques traditionnelles sont peu ou prou gagnées à l’idéologie néolibérale (ou n’osent pas s’en distancer car elles croient que les électeurs ne les suivraient pas dans la
dénonciation du système car cela irait à l’encontre de leur illusions et espoirs matérialistes). Et les
formations qui contestent ce système sont faibles, inaudibles et non crédibles dans leur espoir de
conquérir le pouvoir (par les urnes ou tout autre moyen encore moins recommandable).
Face à cette tragique impasse du combat politique depuis près de 40 ans, trois réponses sont
possibles :
- soit le retrait,
- soit cynique (je joue le jeu du système et jouis un maximum des plaisirs
marchands qu’il offre) ;
- soit voltairien (je me retire et cultive mon jardin) ;
- soit l’entêtement militant : je nie l’évidence, je veux y croire encore et milite dans une formation
qui, bien qu’ultra-minoritaire, se bat pour conquérir le pouvoir dans une optique radicale ;
- soit une option qui, illusions perdues et deuil fait, persiste non pas à vouloir conquérir le
pouvoir mais à créer, à côté de la société marchande, des expériences concrètes de résistance.
Cette voie, théorisée notamment par le Collectif Malgré Tout2, est celle que l’on peut observer à
l’œuvre au sein de la mouvance proche de l’objection de croissance et qu’il semble donc
pertinent de développer comme ligne directrice de l’action à moyen terme du mpOC.
Accompagner les résistances ET esquisser la société à venir
L’objectif de la majorité des objecteurs de croissance qui forment le mpOC n’est d’évidence pas la
prise de pouvoir. Nos valeur anti-autoritaristes, de solidarité, de tolérance et de parler vrai nous
poussent plutôt à nous opposer au système marchand et de démocratie représentative qui nous
tient gentiment par la main pour nous conduire vers l’abîme. Et pourtant, être «contre» ne suffit pas
quand on veut porter un projet politique. Il importe aussi de dessiner les traits d’une société
meilleure (ne disons pas idéale) afin de rallier les cœurs et les esprits. Mais on ne peut se contenter
de prêcher, de discourir : il importe aussi et surtout d’agir. Et là, nous trouvons tout ce qui est de
l’organisation d’activités au sein du mpOC et plus largement de la collaboration avec et du soutien
de tout ce qui bouge dans une mouvance décroissante de plus en plus florissante. En créant,
agissant, inventant, et même si les évolutions globales de la société ne sont pas positives, nous
évoluons, progressons et évitons l’impuissance et la tristesse qu’elle suscite.
A l’interne, accepter les deux (trois?) fronts
La tension entre ces deux pans de nos activités est grande et a déjà posé des problèmes au sein du
mpOC. Certains veulent agir et regrettent le temps perdu en ce qu’ils appellent de vaines
discussions. D’autres ne veulent pas s’engager sans voir clairement où ils vont et souhaitent des
clarifications importantes de la pensée. Il nous semble évident que, là aussi, la tolérance doit jouer et
que chacun doit s’activer selon ses préférences ou ses capacités sans râler si d’autres s’investissent
autrement.
Quand à l’évocation d’un 3e front, c’est en référence aux actes de la simplicité volontaire que chacun
peut (mais ne doit pas être obligé d’) adopter. Il est logique et cohérent de tendre vers une
consommation réduite et intelligente mais ce passage à l’acte est difficile et dépend de l’évolution
personnelle de chacun. Ici, comme à l’externe, les donneurs de leçons sont contreproductifs.
2
http://malgretout.collectifs.net/spip.php?article130
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Adapter le message aux évolutions sociétales
Le cœur du message des OC est probablement «Une croissance dans un monde fini est une impossibilité
(ou une affirmation imbécile d’économiste)». Pour la protection des équilibres écologiques dont dépend
la qualité de vie de l’humanité, nous prônons donc l’arrêt de croissance, voire la décroissance des
repus et obèses. Or, si nos propres prévisions sur l’épuisement des ressources et l’impasse du
capitalisme financier sont exactes, la croissance va s’arrêter d’elle-même et nous n’entrerons peutêtre pas dans la décroissance mais dans la récession économique. Dans une telle situation, nous
devrons sans doute mettre l’accent sur la partie « décroissance des inégalités » de notre projet. Nos
propositions de partage du temps de travail, de revenu inconditionnel d’existence, de fiscalité
progressive, de revenu maximal autorisé… seront probablement à valoriser en priorité.
Ouverture et modestie
Etant donné l’état actuel de nos forces, la meilleure manière de faire avancer nos idées et de
favoriser le développement d’expériences alternatives au système marchand est d’ouvrir le mpOC
sur cette multiplicité d’initiatives qui émergent. Depuis un SEL de quelques personnes jusqu’à une
organisation puissante comme le CNCD, en passant par des organisations plus politiques, nous
serions le plus efficaces (mille excuses pour ce mot parfois très mal connoté) en travaillant avec les
autres, les soutenant, les faisant connaître, apprenant d’eux (notamment pour l’affinement de notre
projet politique).
Méfiance vis-à-vis de la politique institutionnelle
L’assemblée générale du printemps 2011 a défini ce que devait être l’attitude du mpOC quant aux
processus électoraux. Reste à préciser comment profiter de ces moments d’intense réflexion
politique pour faire avancer l’objection de croissance. Nous avons décidé de ne pas perdre notre
temps et nos énergies dans la constitution de listes électorales mais de profiter de la crédibilité
croissante des idées de l’objection de croissance pour prendre le risque de permettre à certain-e-s
des nôtres d’influencer le débat politique au sein de listes, qu’elles soient de partis traditionnels ou
dans des coalitions provisoires encore à inventer. Et bien sur, nous devrons interpeller rudement les
formations traditionnelles en questionnant leurs promesses électorales.
Conclusion provisoire : souplesse et créativité
La pensée de l’objection de croissance d’aujourd’hui est neuve, en définition permanente et refuse
de se lier à quelque idéologue ou texte figé. Notre originalité nous oblige à définir une stratégie elle
aussi originale. Nous observons que ce qui est le plus original dans nos pratiques est la volonté
d’être proches et de participer aux expérimentations (existentielles dirait Arnsperger :) qui tentent
de créer des îlots (et bientôt des archipels ?) de résistance et de vie plus pleine à côté mais aussi dans
(c’est inévitable) nos sociétés. La plupart d’entre nous sont d’ailleurs partie prenante de telles
expériences.
Notre volonté de traduire ces expériences passionnantes en un projet politique cohérent, de voir
quelles mesures politiques les soutiennent ou, au contraire, les entravent, est sans doute la
spécificité la plus pointue du mpOC.
Le fait d’être un mouvement n’ayant pas l’obsession de conquérir un quelconque pouvoir, constitué
d’un assez petit nombre de personnes mais ayant toutes une volonté partagée de construire une
société très différente de la société capitaliste marchande subie aujourd’hui, cela nous donne une
responsabilité et paradoxalement une force assez grande. Essayons de valoriser cette particularité
en cultivant notre lucidité politique et la sérénité issue de nos modes de vie préfigurant ainsi le
mieux que nous espérons pour tous.
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