La crise humanitaire en Colombie et les défis du nouveau
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La crise humanitaire en Colombie et les défis du nouveau
1 La crise humanitaire en Colombie et les défis du nouveau gouvernement Par Antoine Bélair et Luis Fernando Amaya Ortiz* L’évolution du conflit colombien a été, et continue d’être l’objet de nombreuses analyses, études et articles académiques. Abordée et analysée sous toutes ses facettes, la Colombie représente pour bon nombre de chercheurs et d’auteurs un cas d’étude d’une grande complexité. La multitude d’acteurs armés impliqués dans le conflit, les constantes violations des droits humains et du droit international humanitaire, les intérêts économiques liés au narcotrafic, l’implication d’acteurs régionaux et internationaux aux intérêts bien distincts, l’utilisation dans bien des cas des populations civiles à des fins stratégiques et les conséquences sur ces dernières des violences quotidiennes font de la crise humanitaire qui sévit en Colombie l’une des pires du globe, et ce, à l’ombre des grands médias et de l’opinion publique internationale. En effet, malgré la non-reconnaissance du conflit au niveau interne1, 1 Depuis le gouvernement d’Alvaro Uribe Velez, les autorités colombiennes ne reconnaissent pas officiellement l’existence d’un conflit armé dans le pays, affirmant plutôt que la violence et le déplacement interne qui sévissent dans la grande majorité des régions sont le résultat d’une menace terroriste liée au narcotrafic. * Antoine Bélair et Luis Fernando Amaya Ortiz travaillent à l’Unité de coordination d'urgence et de réhabilitation de l'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture, FAO, en Colombie. © OCCAH Octobre 2010 www.occah.org 2 l’enracinement de la violence dans la société colombienne a créé une escalade dont les populations civiles sont les principales victimes. Au cours des dix dernières années, les affrontements et les stratégies des différents acteurs armés ont entraîné le déplacement de 250 000 à 300 000 personnes par année totalisant aujourd’hui plus de 3 millions de déplacées2. La fin des huit années du gouvernement d’Alvaro Uribe et l’élection, en mai 2010, de Juan Manuel Santos, un des grands architectes et disciple de la politique de sécurité démocratique du président Uribe3, suscitent de nombreux questionnements sur le nouvel agenda qu’adoptera le gouvernement. Qu’il s’agisse des stratégies institutionnelles pour contrer la violence et assurer un contrôle effectif du territoire colombien par les forces de l’ordre, de la réparation des droits des victimes de la violence et de leur réintégration au sein de la société colombienne ou encore de l’ouverture économique à l’investissement étranger, l’établissement des priorités du nouveau gouvernement ouvrira la voie à d’importants changements dans la manière d’aborder les diverses problématiques liées à la situation conflictuelle dans le pays. Contexte & historique de la violence La Colombie, pays peuplé de près de 45 millions d’habitants situé à l’extrémité nord du continent sud-américain et bénéficiant d’une position géostratégique capitale grâce son accès à l’Océan Pacifique et à la Mer des Caraïbes, est confrontée, depuis son indépendance en 1810, à un phénomène de violence unique et profondément ancré. La libération de la Colombie du joug espagnol marque le début d’une période de profondes tensions politiques canalisées dans une structure politique bipartite entre libéraux et conservateurs. La concentration de la terre entre les mains d’une poignée de latifundistes est l’expression la plus claire des graves inégalités sociales qui sont à la base d’une violence latente dans le pays. La violence qui caractérise la première moitié du XXe siècle est le résultat d’une dichotomie politique exacerbée entre libéraux et conservateurs, qui profitent d’un contexte socioéconomique conflictuel pour 2 European Commission Humanitarian Aid (ECHO), Commission Decision on the approval and financing of a Global Plan for humanitarian actions from the budget of the European Communities for people affected by the conflict and natural disasters in Colombia (ECHO/-SM/BUD/2009/01000) 2009, p. 1 3 La politique de seguridad democratica fut élaborée lors du premier mandat de l’ex président Alvaro Uribe (2002-2006) en réponse à l’accroissement du contrôle territorial des acteurs armés illégaux et à la menace qu’il représentait pour la stabilité et la légitimité du gouvernement colombien. Selon la version officielle du gouvernement colombien, l’objectif principal de la politique de sécurité démocratique est la récupération du contrôle territorial par l’État, la protection de la population, l’élimination du commerce de drogues illicites et le maintien d’une capacité dissuasive dans les zones à forte présence de groupes armés illégaux. © OCCAH Octobre 2010 www.occah.org 3 concentrer la propriété et le contrôle de la terre entre les mains d’un petit nombre d’entrepreneurs. Cette situation force près de 20% de la population rurale et paysanne de l’époque à se déplacer vers d’autres territoires ou vers les périphéries urbaines. Face à ces profondes inégalités s’organisent, au cours des années 1950 et 1960, plusieurs groupes de paysans campesinos réclamant une véritable réforme agraire et une répartition des richesses plus équitable4. C’est en 1964 qu’émerge un des plus importants groupes de guérilleros d’influence marxiste, les FARC, qui joueront un important rôle dans l’histoire de la Colombie. La naissance de ce groupe armé marque le début de ce qu’on appelle communément la deuxième phase du conflit colombien, qui dure depuis maintenant plus de 50 ans. Durant cette phase, les principaux groupes de guérilla campesina mènent une série d’actions armées contre les différents gouvernements colombiens, contrôlant des pans entiers de territoire et ayant comme objectif la prise du pouvoir. Finançant en premier lieu leurs activités au moyen d’extorsions et de prises d’otage contre rançon, les groupes guérilleros réorganisent l’obtention de leurs ressources économiques au cours des années 1970 autour de la production et de l’exportation tout d’abord de marijuana, puis de cocaïne. C’est au cours de la même époque qu’apparaît un nouvel acteur prépondérant dans la dynamique du contrôle territorial que se disputent les groupes armés pour la production illicite : les narcotrafiquants. Parallèlement à cette prolifération d’acteurs armés se créent, durant les années 1980, plusieurs groupes paramilitaires œuvrant au service de grands propriétaires terriens et entrepreneurs et protégeant ces derniers des actions subversives des groupes guérilleros. En 1997, ces groupes paramilitaires s’unissent pour former les Autodéfenses unies de Colombie (Autodefensas Unidas de Colombia –AUC-). S’amorce ensuite une période sanglante dans l’histoire du pays, où narcotrafiquants, guérillas, paramilitaires et armée colombienne s’affrontent dans la grande majorité du territoire, créant une situation conflictuelle et humanitaire d’une grande complexité de par l’ampleur et le profond enracinement de la violence dans les structures politiques, sociales et culturelles de la société. La grande et médiatique démobilisation des AUC entre 2003 et 2006 entraîne un éclatement de la structure traditionnelle dans laquelle FARC, ELN, AUC et forces militaires conventionnelles s’affrontaient pour le contrôle effectif du territoire. Critiquée par bon nombre d’organisations 4 C’est en effet au cours des années 1950 et 1960 qu’apparaissent les mouvements de paysans qui deviendront des groupes armés guérilleros, comme l’ELN (Ejercito de Liberacion Nacional), l’EPL (Ejercito Popular de Liberacion), le M19 (Movimiento 19 de Abril) et les FARC (Fuerzas Armadas Revolucionarias de Colombia). © OCCAH Octobre 2010 www.occah.org 4 sociales et d’organisations non gouvernementales, cette démobilisation n’atteint pas les résultats escomptés5. Plusieurs études récemment publiées soulignent la réorganisation des paramilitaires démobilisés en différents groupes armés qui reproduisent les schémas opérationnels des AUC. Ces groupes agissent comme des bras armés des narcotrafiquants, ou dans certains cas de grands entrepreneurs, et défendent les mêmes intérêts criminels comme le contrôle des routes du trafic d’armes et de cocaïne, et l’usurpation de territoires entiers6. Le gouvernement colombien qualifie ces nouveaux groupes armés nés de la démobilisation des AUC de bandes émergentes ou de bandes criminelles au service du narcotrafic. Cette réorganisation a provoqué une multiplication des acteurs armés, alliés dans certaines zones et s’affrontant dans d’autres7, et a grandement compliqué les efforts du gouvernement colombien dans sa lutte contre le crime organisé8. Souvent contrôlée par d’anciennes têtes dirigeantes des AUC, cette nouvelle génération de paramilitaires serait actuellement active dans 75% du territoire national et compterait entre 4 000 et 10 000 hommes9. Violant systématiquement les droits humains des populations civiles, déplaçant des communautés entières par l’entremise de massacres, intimidations, exécutions, menaces et extorsions, ces bandes émergentes jouent un rôle important dans l’actuelle crise humanitaire en Colombie. Stratégie délibérée des groupes armés illégaux, le déplacement forcé constitue un moyen violent de s’approprier illégalement des territoires et permet d’asseoir le contrôle militaire sur des zones riches en ressources naturelles et d’y développer des activités illicites. Outre le contrôle des principales zones de culture de la feuille de coca, le contrôle de la terre en Colombie répond à divers objectifs stratégiques, notamment le développement de cultures extensives destinées à l’exportation (palme africaine, canne à sucre), l’exploitation de ressources naturelles (charbon, pétrole et or), ou l’obtention de contrats lucratifs et de 5 En effet, selon les organisations sociales et non gouvernementales, le gouvernement colombien n’a pas réussi à démanteler les structures criminelles des AUC, ni ses réseaux d’appui économique et politique. 6 Instituto de Estudios sobre Conflictos y Acción Humanitaria (IECAH), Corporación Humanas y LolaMora Producciones; Colombia ante el desafió de los crímenes sexuales, 2 juillet 2010 Disponible en ligne au :http://www.iecah.org/ver_completo.php?id_articulo=732. 7 Dans certaines zones de Colombie, ces nouveaux groupes armés ont même réalisé des alliances avec certains groupes guérilleros pour le contrôle et la division du territoire. Voir Revista Semana, Cómo se está dando la guerra en el Cauca hoy, 20 de octubre de 2009, disponible en ligne au http://www.semana.com/noticias-conflicto-armado/como-esta-dando-guerracaucahoy/130267.aspx. 8 L’Organisation des États américains (OAS) reconnaît l’existence d’au moins 22 de ces nouveaux groupes. Organisation des États américains (OEA), Octavo Informe Trimestral del Secretario General al Consejo Permanente sobre la Misión de Apoyo al Proceso de Paz en Colombia (MAPP/OEA, OEA/Ser.G CP/doc. 4176/07, 14 de febrero de 2007, p. 6, disponible en ligne au http://www.mapp-oea.org/index.php?option=com_content&view=article&id=22&Itemid=74. 9 Human Rights Watch, Colombia : Herederos de los paramilitares, La nueva cara de la violencia en Colombia, Février 2010, p.3 © OCCAH Octobre 2010 www.occah.org 5 concessions énergétiques10. Plusieurs études soulignent l’existence d’une relation causale entre les zones d’expulsion de la population civile et les zones où se concentrent les richesses naturelles et les cultures illicites11. La crise humanitaire en Colombie Le déplacement forcé est indubitablement la manifestation la plus visible et la plus représentative de la crise humanitaire qui sévit actuellement en Colombie12. La violence et ses conséquences sont les principales raisons qui poussent la population civile à émigrer et à se déplacer vers d’autres territoires13. De prime abord, le déplacement interne, qu’il soit forcé ou volontaire, est un mécanisme de défense des populations touchées par la violence. Qu’elle prenne la forme de menaces, de massacres ou d’extorsions, la violence est l’élément déclencheur du déplacement interne et d’une série d’évènements qui, réunis, créent des conditions de crise humanitaire. Les familles et les communautés se voient contraintes à se déplacer vers des lieux hostiles à leur établissement. Privées de leurs moyens de subsistance, les personnes déplacées sont rapidement coupées de leurs racines, de leur mode de vie et de leurs réseaux sociaux et familiaux, et deviennent donc extrêmement vulnérables. Cette manifestation de la crise humanitaire que représente le déplacement forcé affecte 3,5 millions de Colombiens et touche de façon disproportionnée les populations afro-colombiennes et autochtones. Selon l’organisation non gouvernementale CODHES, 83% des déplacements forcés massifs en 2009 ont touché des communautés afro-colombiennes ou des communautés indigènes14, un grand nombre des territoires occupés par ces minorités ethniques étant le terrain d’affrontement de groupes armés. Selon le Rapporteur spécial sur la situation des droits humains et des libertés fondamentales des autochtones, S. James Anaya, le déplacement forcé des populations indigènes a augmenté de façon disproportionnée au cours des cinq dernières 10 Instituto de Estudios sobre Conflictos y Acción Humanitaria (IECAH), Corporación Humanas y LolaMora Producciones; Colombia ante el desafió de los crímenes sexuales, 2 juillet 2010, disponible en ligne au :http://www.iecah.org/ver_completo.php?id_articulo=732 11 Elhawary, Samir, Between war and peace: land and humanitarian action in Colombia, Humanitarian Policy Group Working Paper, 2007, p.5. 12 Voir graphique et tableau de l’évolution du phénomène du déplacement forcé en Colombie depuis 1997 en annexe. 13 Comité Internacional de la Cruz Roja (CICR), Colombia : Informe 2008, p.16. 14 Ce qui représente 15 925 déplacés au cours de 61 déplacements forcés massifs. ,Voir Consultoría para los derechos humanos y el desplazamiento (CODHES), Informe 2009, numero 76, 27 janvier 2010; Salto estratégico o salto al vacío, disponible en ligne au http://www.codhes.org/images/stories/pdf/r%20fin%20codhes%20informa%2076.pdf. © OCCAH Octobre 2010 www.occah.org 6 années comparativement au reste de la population15. Considérant la situation des peuples indigènes dramatique, celui-ci appelle également l’État colombien à inviter le Conseiller spécial des Nations Unies pour la prévention du génocide à évaluer la situation des communautés indigènes menacées d’extermination culturelle ou physique16. Selon la Cour Constitutionnelle, plus de 34 groupes indigènes sont actuellement menacés d’extinction en raison du conflit et du déplacement forcé17. Outre le conflit armé, la crise humanitaire en Colombie est exacerbée par la grande vulnérabilité du territoire aux désastres naturels. Selon une étude de La Red, la Colombie est le pays d’Amérique latine le plus affecté par les conséquences des désastres naturels18. La vulnérabilité de la population colombienne est accentuée par le climat de violence qui sévit dans le pays et les conséquences du déplacement forcé. Selon la Croix-Rouge colombienne, près de 50% des victimes de désastres naturels sont également victimes de déplacement forcé19. La crise humanitaire en Colombie est longtemps apparue comme le résultat de l’incapacité de l’État et de la société civile à faire face à cette situation. Pendant longtemps, le phénomène du déplacement forcé a été méconnu et minimisé par la société colombienne qui ne reconnaissait pas l’ampleur et la dimension de la crise. La réponse institutionnelle des différents gouvernements a longtemps été reléguée au deuxième plan des priorités politiques et ce, malgré les nombreuses implications du déplacement forcé sur le développement du pays20. Toutefois, au cours des quinze dernières années, la législation colombienne en la matière et la réponse institutionnelle aux conséquences de la violence se sont grandement améliorées. 15 Asamblea General de las Naciones Unidas, Consejo de Derechos Humanos, Relator Especial de Naciones Unidas sobre la situación de los derechos humanos y las libertades fundamentales de los indígenas, La situación de los pueblos indígenas en Colombia: Seguimiento a las recomendaciones hechas por el Relator Especial Anterior, 8 de enero de 2010, paragraphe 30. 16 Idem 14. 17 Auto 004 du 26 janvier 2009, Protección de los derechos fundamentales de las personas y los pueblos indígenas desplazados por el conflicto armado o en riesgo de desplazamiento forzado, en el marco de la superación del estado de cosas inconstitucional declarado en la sentencia T-025 de 2004, después de la sesión pública de información técnica realizada el 21 de septiembre de 2007 ante la Sala Segunda de Revisión, disponible en ligne au http://www.acnur.org/biblioteca/pdf/6981.pdf. 18 Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD), Zona de conflicto: La importancia de los Comités Locales de Prevención y Atención de Desastres en Zonas de Conflicto en Colombia, Tercer Plan de Acción de DIPECHO, Colombia, p. 9. 19 Wong, Karina, Colombia: A case study in the role of the affected state in humanitarian action, Humanitarian Policy Group working paper, 2008, p.10. 20 Voir Conferencia episcopal de Colombia y la Consultoría para los derechos humanos y el desplazamiento (CODHES), Desafíos para construir Nación: El país ante el desplazamiento, el conflicto armado y la crisis humanitaria 1995-2005, février 2006, p. 6 à 18 (Prologue et introduction), disponible en ligne au http://www.acnur.org/biblioteca/pdf/4046.pdf. © OCCAH Octobre 2010 www.occah.org 7 Cadre législatif & protection des personnes déplacées Face à la crise humanitaire, à l’ampleur des violations des droits humains et aux violations récurrentes du droit international humanitaire, le gouvernement colombien est légalement dans l’obligation de prévenir ces abus, de protéger la population civile et de juger les responsables. Sur le plan de la protection et de l’assistance aux victimes, la Colombie possède sans aucun doute une des législations les plus avancées du monde21. En 1997, le gouvernement colombien adopte la Loi 387, premier cadre législatif visant à répondre à la crise humanitaire, qui met en place un ensemble de mesures destinées à la prévention du déplacement forcé ainsi qu’à l’attention, la protection, la consolidation et la stabilisation socioéconomiques des personnes déplacées à l’intérieur du pays par la violence22. La loi 387 définit également les personnes admissibles à une assistance humanitaire d’urgence de trois mois et met sur pied le Système National d’Assistance a la Population Déplacée (SNAIPD-Sistema Nacional de Atención Integral a la Población Desplazada) chargé de regrouper les plans, programmes et projets destinés à l’assistance aux victimes. La promulgation de cette loi qui reconnaît pour la première fois les personnes déplacées comme des victimes de la violence constitue une grande avancée. Elle oblige l’État colombien à fournir l’aide humanitaire nécessaire aux personnes et aux communautés déplacées et à prévenir les déplacements. Néanmoins, le déplacement interne a continué à augmenter dans les années qui ont suivi l’adoption et l’application de la loi 387, particulièrement en 200223. À l’arrivée au pouvoir du gouvernement d’Alvaro Uribe Velez en 2002, le déplacement forcé est reconnu comme le principal problème humanitaire auquel fait face la société colombienne. Le gouvernement s’engage en conséquence à renforcer les mesures visant à prévenir ce phénomène, à améliorer la protection de la population à risque, à augmenter la capacité de réponse des autorités aux problématiques des victimes (nutrition, hébergement et prestation des services de santé) et à créer les conditions nécessaires pour favoriser le retour volontaire 21 Voir El Alto Comisionado de las Naciones Unidas para los Refugiados (ACNUR), Introducción, conclusiones y recomendaciones del Balance de la política pública de atención integral a la población desplazada por la violencia 2004-2006, p. 3 à 7, disponible en ligne au http://www.acnur.org/biblioteca/pdf/4901.pdf. 22 Congreso de Colombia, Ley 387 de 1997, 18 de julio de 1997, Diario Oficial, No. 43.091, 24 julio de 1997, disponible en ligne au http://www.secretariasenado.gov.co/senado/basedoc/ley/1997/ley_0387_1997.html. 23 Selon CODHES, l’an 2002 a marqué une augmentation importante des déplacements internes forcés, avec 412 553 personnes ayant fui leur maison et perdu leurs moyens de subsistance à cause de la violence dans le pays. © OCCAH Octobre 2010 www.occah.org 8 des personnes déplacées vers leurs lieux d’origine24. Malgré cet engagement des autorités, la politique reste inefficace, notamment parce que les programmes s’orientent vers la satisfaction des besoins immédiats des populations victimes plutôt que leur réintégration au sein de la société par l’entremise de la création d’emploi et de l’accès à l’éducation. En 2004, à la suite de centaines de plaintes des déplacés internes pour violations de leurs droits constitutionnels causées par l’inaction et la déficience de l’État colombien, la Cour constitutionnelle révise la politique du gouvernement. De cette révision découle la Sentence T025 de 2004, pierre angulaire de l’actuelle politique en matière de déplacement forcé en Colombie, qui définit les grandes orientations de la coopération internationale. La Sentence T025 met en évidence une série de failles structurelles au sein des services publics destinés aux personnes déplacées et souligne que les programmes institutionnels n’ont pas réussi à compenser la grave détérioration de leurs conditions de vulnérabilité. La Cour déclare la situation inconstitutionnelle et oblige le gouvernement colombien à développer un Plan national d’attention intégrale à la population déplacée qui a pour objectif de s’attaquer aux conditions sous-jacentes justifiant les violations des droits des victimes25. Malgré cette importante évolution législative, la Cour constitutionnelle, insatisfaite des avancées au regard de l’attention aux victimes, publie en 2005 plusieurs résolutions judiciaires (Autos) obligeant les autorités à intensifier leurs efforts et à augmenter de façon substantielle le budget destiné à la population déplacée. En 2009, l’Auto 009 attire de nouveau l’attention des autorités en affirmant que les progrès réalisés sont encore loin d’assurer la pleine jouissance de tous les droits des victimes26, ce qui semble confirmer l’importante brèche entre le cadre législatif et l’application effective des stratégies institutionnelles d’assistance. La loi de Justice et Paix (Justicia y Paz), promulguée en 2005 durant le processus de négociation en vue de la démobilisation des AUC, est un autre élément important de la législation colombienne au regard de la réparation des droits des victimes de la violence. À l’origine, l’objectif principal de la loi était d’assurer l’immunité aux têtes dirigeantes de ces groupes paramilitaires en cas de démobilisation ainsi que la création de mécanismes de réparation et de 24 République de Colombie, Ministère de l’Intérieur et de la Justice, Decreto numero 250 de febrero 7 de 2005 por el cual se expide el Plan Nacional para la Atención Integral a la Población desplazada por la Violencia y se dictan otras disposiciones, disponible en ligne au http://www.vertice.gov.co/LinkClick.aspx?fileticket=-FbxKEZK8wg%3D&tabid=70&mid=427. 25 Idem. 26 Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme (FIDH), Situación de los derechos humanos en Colombia, Extractos de las Observaciones finales de los Comités de expertos de la ONU y la OIT, 12 mai 2010, page 2; disponible en ligne au http://www.fidh.org/IMG/pdf/DDHH_en_Colombia-version_espanola-12_mayo-1.pdf. © OCCAH Octobre 2010 www.occah.org 9 réconciliation pour les victimes. Cette loi a toutefois été très critiquée par la société colombienne pour avoir mis l’accent sur le processus de démobilisation des paramilitaires sans aborder ou reconnaître explicitement l’existence du conflit armé, éliminant ainsi la possibilité d’une application du Droit international humanitaire. La loi était davantage orientée sur l’incitation des groupes armés à abandonner les armes que sur la pénalisation des délits commis et la création de mécanismes efficaces de réparation des droits des victimes et de réconciliation. Défis et perspectives du nouveau gouvernement À la suite des élections qui ont suivi la décision de la Cour constitutionnelle d’interdire à l’exprésident Alvaro Uribe Velez de se présenter pour un troisième mandat consécutif, Juan Manuel Santos accède au le pouvoir le 7 août 2010. Le nouveau gouvernement n’a pas encore publié son Plan de développement, mais son programme politique devrait s’articuler autour de trois grands axes : la réparation des victimes de la violence, l’ouverture de l’économie aux investissements étrangers et la sécurité territoriale. Sans pouvoir affirmer avec certitude quelles seront les priorités stratégiques de chacun de ces trois grands axes politiques, il est vraisemblable qu’elles auront chacune à leur façon des répercussions tangibles sur l’évolution du conflit et de la crise humanitaire qui affecte le pays. En matière de réparation des victimes du conflit armé, les priorités s’articulent autour de la restitution des terres usurpées par les groupes armés illégaux, du retour des communautés déplacées dans leur lieu d’origine et de la réactivation de la productivité de ces terres en milieu rural. Il semble toutefois que la volonté politique de centrer les efforts sur la récupération des droits des victimes soit davantage motivée par l’argument économique que par une véritable volonté de l’État de payer la dette sociale qu’il a contractée au cours des années auprès de ces victimes. Une approche intégrale ne doit pas seulement prendre en considération la récupération et la réactivation économique des victimes. Elle doit s’accompagner d’une compréhension sociale des implications du déplacement pour ces victimes, notamment par l’entremise d’un appui psychosocial aux membres de la famille et une récupération de la mémoire historique des communautés affectées. Cette politique devra s’accompagner d’un important soutien technique et financier de la coopération internationale et d’une supervision du processus par les organisations humanitaires et de coopération afin d’éviter qu’elle ne génère des tensions liées au retour des communautés dans des zones où persiste la présence de groupes armés. Dans un contexte de violence continue, le processus de justice transitionnelle et de réhabilitation des droits des victimes que le gouvernement colombien souhaite mettre en place © OCCAH Octobre 2010 www.occah.org 10 comporte des risques pour les victimes engagées dans des procédures légales de rétablissement de leur 27 droit, ces mesures étant généralement associées à un contexte de post conflit . Il est également clair qu’une des priorités du nouveau gouvernement est de positionner la Colombie comme pays émergent sur la scène internationale en développant un modèle d’ouverture économique et en stimulant l’investissement étranger, notamment par la mise en œuvre de mégaprojets énergétiques et miniers28. Toutefois, le développement de ces mégaprojets dans des zones riches en ressources naturelles où la présence de groupes armés demeure importante pourrait générer des situations conflictuelles entre les forces de l’ordre et les groupes armés occupant ces territoires, et les communautés y vivant. Par ailleurs, la crise humanitaire engendrée par la violence a modifié la composition de l’ordre social et économique en Colombie. Près de 10% de la population nationale a émigré vers les villes au cours des vingt dernières années, un phénomène qui a entraîné une importante restructuration de la propriété et de la production rurale. Si l’intention du gouvernement est de réactiver économiquement les communautés touchées par la violence par un retour des victimes dans leur lieu d’origine, il sera capital que cette réactivation ne mette pas leur vie en danger. Sur le plan de la sécurité territoriale, le gouvernement semble s’orienter vers une continuité de la politique de consolidation territoriale entreprise par le gouvernement précédent. La politique de sécurité démocratique développée par Alvaro Uribe Velez, qui consiste à récupérer militairement les territoires où la présence de l’État est historiquement restreinte, demeurera la principale stratégie pour assurer la sécurité des populations civiles dans les zones à forte présence de groupes armés illégaux. Pour ce faire, le gouvernement colombien continuera à mettre sur pied dans les zones prioritaires des Centres de Coordination pour l’action intégrale (CCAI), où la coordination des interventions humanitaires et de développement est assurée par le personnel militaire et la coordination des interventions sociales par le personnel civil selon une dynamique de planification militaire. La Directive présidentielle 01 officialise en 2009 cette stratégie de consolidation sociale du territoire en définissant un modèle de coordination civilomilitaire29. Elle établit un cadre légal pour l’implantation de 15 zones de consolidation où les agences sociales et le corps militaire mettent sur pied des CCAI et orientent les interventions 27 International Crisis Group, Colombia : President Santos’s conflict resolution opportunity, Latin America Report no34-13 Octobre 2010, p. 10 28 Le Canada, qui détient d’importants intérêts d’exploitation minière en Colombie, a récemment terminé le processus d’approbation d’un accord de libre-échange malgré les contestations de plusieurs groupes de la société civile canadienne. 29 Presidencia, Republica de Colombia; Centro de Coordinación de Acción Integral; Reporte Ejecutivo Plan Nacional de Consolidación, disponible en ligne au http://www.accionsocial.gov.co/contenido/contenido.aspx?catID=535&conID=4594. © OCCAH Octobre 2010 www.occah.org 11 selon des principes de développement humain et d’action concertée entre les différents organismes impliqués. Toutefois, la communauté internationale et la société civile colombienne ont exprimé d’importantes préoccupations quant à cette stratégie de consolidation en raison du danger que peut représenter pour les communautés une filiation avec les forces militaires dans les zones où l’armée n’est aucunement reconnue comme un agent impartial. La mise en œuvre de cette stratégie risque, d’une part, de transformer les communautés en cible militaire aux yeux des groupes armés illégaux et, d’autre part, de limiter l’espace humanitaire qui assure la protection et la garantie des droits de ces communautés. Par ailleurs, le fait que les actions humanitaires et de développement soient coordonnées par des forces militaires compromet l’exécution des actions civiles destinées aux communautés, la nature du mandat des forces armées étant différente de celle des organismes civils. La Directive présidentielle 001 pourrait également constituer une menace pour le respect des principes humanitaires et particulièrement de la neutralité des agents humanitaires. En effet, la perception des acteurs armés d’une collaboration entre l’armée et les organisations humanitaires dans ces zones de consolidation pourrait grandement compromettre la neutralité et la sécurité de ces dernières. Le principal défi de la coopération internationale et de ses organisations humanitaires consistera donc à élaborer des mécanismes d’information qui permettront aux institutions publiques œuvrant dans ces zones de consolidation de comprendre la portée des principes humanitaires et l’importance de leur respect. La préservation de l’espace humanitaire est primordiale pour que la directive présidentielle 001 ne soit pas perçue comme répondant uniquement à des intérêts strictement militaires et que les interventions des organisations civiles et humanitaires soient dictées par le respect des droits humains. © OCCAH Octobre 2010 www.occah.org 12 ANNEXE 168 647 315 512 335 420 291 407 270 089 238 495 257 185 453 804 83 726 2010 2009 2008 2007 2006 2005 2004 2003 2002 2001 2000 1999 1998 37 791 81 768 157 281 1997 6 991 Avant 1997 425 783 362 406 Nombre de personnes déplacées en Colombie depuis 1997: 3,486,305 Personnes Source : Registro Único de Población Desplazada – Acción Social- Coupure 31 juillet 2010 30 30 Les sources de la société civile colombienne affirment que les chiffres officiels du gouvernement sont largement sous-estimés. Selon les organisations civiles et les organisations non gouvernementales, il y aurait actuellement en Colombie un million de déplacés internes qui n’apparaîtraient pas dans le registre officiel du gouvernement. © OCCAH Octobre 2010 www.occah.org 13 Source à citer : Bélair, Antoine et Amaya Ortiz, Luis Fernando. 2010. La crise humanitaire en Colombie et les défis du nouveau gouvernement. Observatoire canadien sur les crises et l’aide humanitaires. OCCAH. 2010(1). Les opinions exprimées et les arguments avancés dans cette publication demeurent l'entière responsabilité de-s l'auteur-es et ne reflètent pas nécessairement ceux de l’Observatoire canadien sur les crises et l’aide humanitaires. © OCCAH Octobre 2010 www.occah.org