Mémoire d`Habilitation à diriger des recherches

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Mémoire d`Habilitation à diriger des recherches
Mémoire
d’Habilitation à diriger des
recherches
Pierre Hily-Blant
Université Joseph Fourier
Institut de Planétologie et d’Astrophysique de Grenoble
Institut Universitaire de France
Jury composé de
Sylvie Cabrit
Emmanuel Dartois
Jacques Le Bourlot
Thierry Forveille
Thierry Passot
Bernard Schmitt
(rapportrice)
(rapporteur)
(rapporteur)
(examinateur)
(examinateur)
(président)
Astrochimie
Du microscopique au macroscopique
Des nuages moléculaires aux systèmes planétaires
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Table des matières
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Projet de recherche
3.1 Présentation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
3.2 Turbulence des nuages moléculaires . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
3.3 Héritage chimique de la nébuleuse protosolaire . . . . . . . . . . . . . . .
3.3.1 Le problème des abondances initiales . . . . . . . . . . . . . . . .
3.3.2 Vers la chimie « dépendante du temps » . . . . . . . . . . . . . . .
3.3.3 Méthodologie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
3.4 État de l’art et faisabilité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
3.4.1 Théorie, expérimentation, modélisation numérique, observation
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Bibliographie
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Introduction
1.1 Chimiste ou physicien ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
1.2 Évolution de la matière interstellaire . . . . . . . . . . . . . .
1.3 Le milieu interstellaire neutre : dynamique et hors-équilibre
1.4 Physico-chimie du gaz moléculaire . . . . . . . . . . . . . . .
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Activités de recherche
2.1 Dynamique turbulente des nuages moléculaires . . . . . . . . . . .
2.1.1 Turbulence des nuages moléculaires . . . . . . . . . . . . . .
2.1.2 Quelques propriétés statistiques de la turbulence . . . . . .
2.1.3 Turbulence des nuages moléculaires : propriétés statistiques
2.1.4 Turbulence des nuages moléculaires : structures . . . . . . .
2.2 Astrochimie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
2.2.1 Composition chimique des disques circumstellaires . . . . .
2.2.2 L’ionisation du gaz moléculaire . . . . . . . . . . . . . . . . .
2.2.3 Chimie de l’azote dans les nuages sombres . . . . . . . . . .
2.2.4 Héritage chimique de la nébuleuse protosolaire . . . . . . .
2.3 Résumé . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
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E
n 1926, Sir Arthur S. Eddington, dans une leçon donnée à la Royal Society, considérait qu’aucun processus ne permettait d’envisager l’existence stable de molécules dans la matière spatiale diffuse. La découverte dans les années 1940, des premières
molécules, CN, CH et CH+ , dans le milieu interstellaire diffus, imposait un fait observationnel nouveau : les molécules existent bel et bien, et en quantité suffisante pour
être détectées, qui plus est dans un milieu très ténu. Une branche de l’astrophysique
émergeait, l’astrophysique moléculaire, dont la tâche sera d’expliquer l’existence des
molécules interstellaires.
Aujourd’hui, près de 180 molécules ont été découvertes dans le milieu interstellaire,
local ou primordial, et ce sont les régions les plus froides et les plus denses qui concentrent la plus grande diversité moléculaire. Au cours du temps, ces molécules se sont
révélées être les traceurs privilégiés, voire uniques, des régions froides du milieu interstellaire dévoilant une grande variété de structures, parmi elles les nuages moléculaires
et régions de formations d’étoiles. Cette richesse chimique pose un problème : comprendre les processus de formation et de destruction des molécules dans les conditions
thermodynamiques variées où elles sont observées. Ces processus doivent permettre
d’expliquer et prédire l’existence et les quantités d’espèces chimiques qui sont observées
ou observables. Cette richesse soulève aussi de nombreuses questions, car l’analyse de
l’émission moléculaire, en livrant la dynamique et les conditions physiques régnant
dans le milieu interstellaire, interroge notre compréhension des processus qui régissent
la thermodynamique des objets astrophysiques.
Héritière de l’astrophysique moléculaire, l’astrochimie a ainsi considérablement
élargi son ambition première, se donnant pour objectif d’expliquer la formation et
la destruction des espèces chimiques observées dans l’ensemble des objets baryoniques
qui peuplent l’Univers. Cette tâche s’inscrit dans la quête ininterrompue de l’espèce humaine de connaître ses origines. Les photons émis par les atomes et molécules extraterrestres, ces photons qui sont nos seuls messagers, portent en eux les traces de l’évolution
de la matière interstellaire et nous dévoilent l’origine du système solaire. Déchiffrer le
message qu’ils portent requiert la collaboration de l’astrophysique et de l’astrochimie, et
exige d’adopter une vision simultanément globale et détaillée, de scruter les processus
microscopiques sans perdre l’image macroscopique.
Voilà le cadre de cette thèse qui exprime le regard d’un astrophysicien séduit par
l’astrochimie.
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1
Introduction
[
\
Chimiste ou physicien ?
L
’existence des molécules interstellaires pose la question fondamentale de leur formation et de leur survie dans des régimes thermodynamiques extrêmement variés.
Leur incorporation dans le gaz au cours du processus de formation stellaire et planétaire renvoie à la question de l’évolution de la matière interstellaire. Nous sommes ainsi
naturellement conduits à nous demander si les molécules sont préservées depuis leur
formation dans le gaz interstellaire jusqu’aux atmosphères des exoplanètes, ou si elles
sont le fruits de processus in situ dans les régions de formation planétaire. Le pendant
astrophysique de la question surgit immédiatement, qui se demande comment évoluent les conditions thermodynamiques au cours de cette transformation de la matière
interstellaire.
S’instaure ainsi un dialogue entre astrophysique et astrochimie, deux disciplines
qui deviennent indispensables l’une à l’autre. L’astrophysique fournit le cadre mais
s’interroge sur son évolution. L’astrochimie fournit les conditions mais s’interroge sur
le milieu où elle opère. De plus, chacune modifie l’image que l’autre discipline se fait de
son objet d’étude. À mesure que les molécules sont observées dans des environnements
parfois inattendus, l’astrophysique doit s’adapter, quitte à revoir l’image des objets
qu’elle avait façonnée. C’est ce qui arrive aux nuages moléculaires : l’augmentation de
la sensibilité instrumentale a révélé du monoxyde de carbone (CO) là où on ne l’attendait
pas, et l’on ne sait trop aujourd’hui comment définir les nuages moléculaires. De même,
les modèles de formation du milieu atomique et des nuages moléculaires semblent
imposer des échelles de temps courtes que l’astrochimie doit prendre en compte en
relaxant l’hypothèse d’état stationnaire chimique.
Cette mixité des regards s’accompagne d’un mouvement permanent entre processus
microscopiques et propriétés macroscopiques car le milieu interstellaire ne peut être
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étudié sans en avoir une connaissance globale. La raison en est que chaque système
du milieu interstellaire (MIS) est un système ouvert, avec des flux entrant et sortant
d’énergie et/ou de matière. Les exemples abondent. Ainsi les rayons cosmiques, des
noyaux de très haute énergie, traversent l’ensemble de la galaxie et notamment les
nuages denses, dans lesquels l’énergie qu’ils déposent pilote la chimie et l’ionisation du
gaz (Dalgarno & McCray 1972). À l’inverse, les photons qui s’échappent emportent de
l’énergie et refroidissent le système, déterminant ainsi son état thermodynamique (Field
et al. 1969). Un autre exemple est fourni par l’irradiation des nébuleuses protosolaires par
des radionucléides (e.g. 26 Al) libérés par les supernovæ, dont l’apport d’énergie semble
essentiel à la formation des chondrites (Hevey & Sanders 2006). L’étude du milieu
interstellaire est donc un processus qui impose des allers-retours incessants du tout à la
partie, du microscopique au macroscopique. Un peu comme en thermodynamique, la
vision macroscopique affranchie des détails de l’échelle microscopique, permet de saisir
des caractéristiques essentielles du MIS, et d’en comprendre le fonctionnement global.
Par exemple, à l’échelle de la galaxie, la répartition verticale des différentes composantes
du MIS renseigne directement (en ordre de grandeur) sur les conditions physiques
du gaz. Cependant, nous verrons comment des processus à l’échelle microscopique,
telle que la conservation de symétrie de la fonction d’onde de spin, imposent leurs
empreintes à l’échelle macroscopique. Le terme astrochimie évoque lui-même ces deux
extrêmes, concrétisant le lien entre l’échelle microscopique des réactions chimiques et
les propriétés des structures observées à très grande échelle.
La question d’arrière-plan, tout à fait centrale, est d’ordre méthodologique : comment opérer ce dialogue entre astrophysique et astrochimie pour qu’il soit fructueux ?
Il faut, bien entendu, des dialogueurs, postés aux multiples interfaces entre théorie et
expérience et entre ces deux disciplines qui ont pour objet commun la matière interstellaire et partagent la problématique de sa formation, son évolution, son recyclage. Plus
fondamentalement encore : y-a-t’il une différence entre le regard du physicien et celui
du chimiste ? On pourrait formuler cela ainsi : que vaut-il mieux être pour étudier le
milieu interstellaire, un chimiste, ou un physicien ? Que vaut-il mieux avoir appris :
la physique, ou la chimie ? Le milieu interstellaire nous pose la question de manière
incontournable car, si on veut le comprendre, on n’a guère d’autre choix que de le voir
tantôt comme une collection d’atomes qui entrent en collisions, tantôt comme une collection d’objets astrophysiques dont il s’agit d’élaborer les modes d’emploi, un peu à
la manière de la thermodynamique, cette science des moteurs, qui a donné naissance à
trois principes qui régissent l’évolution de toute la matière baryonique dans l’Univers.
Qui voit le milieu interstellaire comme un ensemble de particules, le chimiste ou le
physicien ? Et pour les objets ? Car l’objet astrophysique est la paillasse du chimiste,
l’extérieur du système, ses conditions aux limites. Et pour le physicien, l’interaction
entre les photons et les poussières chauffent le milieu interstellaire. On atteint ici les
limites de l’idée même de discipline, disciplines qui doivent s’unir pour refonder la
Physique, l’étude de la Nature. Ce mouvement de découpage si puissant, inspiré de
la méthode cartésienne, doit coexister avec un mouvement inverse. Un rapiéçage de
haute couture pour fabriquer le costume de l’Arlequin dans lequel chaque pièce, tout
en conservant son identité, s’assemble aux autres pour former un tout harmonieux. Yves
Saint-Laurent célébrant l’union de Bach et de Descartes. Sans répondre à ces questions,
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notons simplement qu’en pratique, chimistes et physiciens se retrouvent dans l’étude
du milieu interstellaire et de son évolution, produisant des rencontres très fécondes
intellectuellement.
Le présent document est organisé comme suit. Dans une première partie introductive, je décrirai le milieu interstellaire, essentiellement sa composante neutre, depuis
les nuages moléculaires jusqu’aux disques protoplanétaires. Cette partie nous fournira
le cadre, les contingences, la paillasse du chimiste. Ce faisant, j’adopterai le double point
de vue de la physique et de la chimie du milieu interstellaire. Mes activités de recherche
seront résumées dans la seconde partie, où ce double mouvement physico-chimique
sera mis en relief au travers de quatre articles (signalés par ?) portant sur la turbulence
des nuages moléculaires d’une part, et sur la chimie de l’azote dans les nuages denses et
l’éclairage qu’elle apporte sur la composition et la formation des systèmes planétaires,
d’autre part. Nous verrons que, si turbulence interstellaire et astrochimie peuvent être
momentanément étudiées séparément, en dernier recours, la compréhension profonde
de chacune nécessite l’autre. En particulier, la thermodynamique impose des échelles
de temps à la chimie de telle manière que l’image stationnaire laisse la place à une
vision dépendante du temps. Cela nous conduira inéluctablement vers la question des
conditions initiales de l’évolution de la matière interstellaire, des nuages moléculaires
aux systèmes planétaires. Cette problématique fera l’objet de la troisième partie, qui
présentera mon projet de recherche, dont je tâcherai de montrer qu’il bénéficie d’un
contexte général extrêmement favorable.
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Évolution de la matière interstellaire
L
e milieu interstellaire est généralement défini comme le milieu remplissant l’espace
entre les étoiles, c’est-à-dire la matière (baryonique) non incorporée dans les étoiles.
Depuis la preuve observationnelle de l’existence de ce milieu, grâce à la détection de
raies d’absorptions indépendantes du décalage Doppler des étoiles d’arrière-plan, sa
nature et son évolution n’ont cessé de constituer des défis majeurs en astrophysique.
Au cours du temps, cependant, il est clairement apparu que les processus à l’œuvre
dans le milieu interstellaire galactique sont transposables aux galaxies externes ainsi
qu’au milieu intergalactique. Ce constat ouvre de nouvelles perspectives, grâce à l’étude
d’environnements couvrant des régimes de paramètres extrêmes qui permettent par
exemple d’isoler certains processus.
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Figure 1.1 – Vision partielle du cycle de la matière interstellaire. La poussière froide de
la Voie Lactée vue par Planck (#1), le gaz neutre atomique (#2), les nuages moléculaires
(ici Orion et Taurus, #3) où se forment les étoiles (#4) au sein de régions très denses
(pilliers, #5), avec d’abord une protoétoile et son disque circumstellaire (ici vu par la
tranche, #6), dans lequel se formera un système planétaire (#7, HR8799). En fin de vie (#8,
nébuleuse planétaire Abell 39a), l’étoile relâche de le milieu interstellaire les éléments
chimiques qu’elle a synthétisé. Dans chaque image, un rectangle indique la région de
l’image suivante.
La matière interstellaire est composée d’un mélange de gaz et de poussières, ces
dernières représentant ∼ 1% de la masse. L’évolution de cette matière interstellaire est
souvent présentée sous forme d’un cycle (voir Fig. 1.1), qui débute par exemple avec
du gaz très dilué, neutre et chaud, qui va donner naissance à de grandes structures filamenteuses d’hydrogène atomique plus froides (#1 et #2). Dans ces nuages atomiques
(∼ 100 pc, ∼ 80 K, ∼ 100 cm−3 ), la chimie interstellaire va jouer un rôle fondamental,
conduisant à la formation d’hydrogène moléculaire qui s’assemble en nuages moléculaires (#3, ∼ 10 pc, ∼ 25 K, ∼ 500 cm−3 ). C’est dans des surdensités (∼ 0.1 pc, ∼ 10 K,
∼ 104 cm−3 ) au sein de ces nuages que les étoiles se forment, par l’effondrement de ces
surdensités. Plusieurs étoiles naissent, avec des masses variables, distribuées suivant ce
que l’on appelle la fonction de masse initiale. Les plus massives d’entre elles, de courte
durée de vie, photoionisent le gaz environnant (#4), et en explosant en supernova, peuvent perturber le gaz dense et déclencher l’effondrement de surdensités avoisinantes
(#5) conduisant à la formation d’autres étoiles. Au cours de l’effondrement, l’évacuation
du moment cinétique est rendue possible grâce au champ magnétique et à des jets de
matière (Ward-Thompson & Whitworth 2011), et conduit à la formation d’un disque
8
(#6). Ce disque d’accrétion évolue en disque protoplanétaire (#7) au sein duquel se forme
un système planétaire. Cette étape correspond à ce que les cosmochimistes, qui étudient
le système solaire, nomment la nébuleuse protosolaire et qui constitue leur condition
initiale. La poussière interstellaire se forme dans les vents des étoiles géantes rouges
(AGB) et dans les ejecta qui constituent les nébuleuses planétaires. Des mesures récentes
suggèrent que les ejecta de supernovæ en produisent une quantité équivalente (Draine
2009; Indebetouw et al. 2014). Les étoiles en fin de vie relâchent dans le milieu interstellaire des éléments chimiques nouvellement synthétisés, augmentant la métallicité du
gaz, et des étoiles qui s’y formeront. On peut entrer dans ce cycle par différentes portes,
mais la formation d’étoile offre un point d’entrée intéressant car elle est intermédiaire,
en ce qui concerne les conditions physiques, entre les phases diffuses et les phases les
plus denses. Également, du point de vue astrochimique, elle est intermédiaire en terme
de complexité moléculaire. Et par ailleurs, elle ouvre des perspectives à la croisée de disciplines connexes comme l’astrobiologie ou la cosmochimie. Si l’on parle, abusivement,
de cycle de la matière interstellaire, c’est parce que les générations d’étoiles successives
enrichissent le MIS avec les éléments chimiques qu’elles synthétisent, et que les étoiles
de génération n + 1 se forment dans ce milieu enrichi par la génération n.
L’ensemble de mon travail porte sur le milieu interstellaire neutre, où la fraction
de particules chargées n’excède pas ≈ 0.1%. Ce milieu neutre est un sous-ensemble
du MIS, aussi cette restriction n’est pas sans introduire des biais et, comme toujours
en sciences, c’est uniquement par nécessité que le MIS ionisé sera convoqué. En particulier, l’aspect cyclique ne sera pas essentiel, et nous adopterons une vision déployée
linéairement de l’évolution de la matière interstellaire. Nous utiliserons la terminologie
généralement employée pour désigner les différents objets d’études – nuages moléculaires, cœurs denses, cœur préstellaire, etc – gardant à l’esprit que cette zoologie n’est
pas achevée : les frontières morphologiques et les différences de conditions physiques
entre ces objets sont assez floues et parfois artificielles. Si certains objets tels les globules
de Bok ont effectivement des frontières clairement définies, les distinctions entre nuages
sombres, nuages denses, cœurs denses, et ces intraduisibles clumps et avatars, peuvent
parfois sembler ne relever que de paramètres observationnels (e.g. continuum ou raie,
résolution spatiale). D’une certaine manière, cette difficulté à cerner ces objets renvoie
au débat ouvert par Chandrasekhar & Münch (1952) concernant la structure spatiale du
milieu interstellaire, proposant deux visions extrêmes : une collection de nuages discrets d’une part, et un modèle fluide, continu, siège de fluctuations de densités, d’autre
part. Comme nous le verrons plus loin, cette question est encore l’objet de vifs débats.
Dans l’ensemble, cela reflète certainement la jeunesse de l’étude du milieu interstellaire
neutre, un siècle tout au plus. Toutefois, si un ouvrage a fait référence sur la physique
du MIS durant plusieurs décénnies (Spitzer 1978), la parution de plusieurs ouvrages ces
dix dernières années (e.g. Krügel 2003; Lequeux 2005; Kwok 2007; Tielens 2010; Draine
2011) témoigne de la maturation d’un domaine en plein essor.
9
[
\
Le milieu interstellaire neutre : dynamique et hors-équilibre
L
e MIS est un système thermodynamique hors-équilibre. S’il était en équilibre, il
y aurait moins d’une molécule de CO dans tout l’univers observable (le carbone
serait dans le méthane et l’eau), alors que CO est la molécule la plus abondante après H2
(Klemperer 2006). Les conséquences sont très profondes, notamment en astrochimie : la
chimie interstellaire est dominée par la cinétique, non par la thermodynamique. Pour
évidente qu’elle soit, il convient d’insister sur la distinction entre état stationnaire et état
d’équilibre. L’état stationnaire signifie que les quantités caractérisant le système étudié
n’évoluent plus dans le temps. L’équilibre chimique correspond à un état dans lequel
chaque processus microscopique est contrebalancé par le processus contraire, dans un
rapport fixé par la différence énergétique des deux processus, à la faveur du processus
le moins coûteux. La stabilité d’un état stationnaire s’entend par rapport à la sensibilité
de cet état à des variations des conditions initiales. La stabilité d’un état d’équilibre
fait référence à la capacité du système à y revenir lorsqu’il en est écarté. L’instabilité
thermique et la bistabilité chimique sont des exemples de ces deux acceptions, jouant
toutes deux un rôle essentiel dans la physico-chimie du milieu interstellaire. En ce
qui concerne la chimie interstellaire, cette distinction n’est pas toujours respectée et on
trouve très souvent dans la littérature l’abus de langage qui consiste à parler d’équilibre
chimique pour mentionner en réalité l’état stationnaire, c’est-à-dire l’état où les abondances des espèces ne varient plus dans le temps. Cette confusion est malheureuse car
elle masque les temps caractéristiques associés à la chimie. Notons d’ailleurs que si le
sytème était à l’équilibre (ici chimique), il aurait alors perdu toute trace de son histoire,
et on ne pourrait utiliser les abondances observées pour déterminer l’âge des objets
(chronochimie). La chimie interstellaire n’est pas à l’équilibre car les réactions mises en
jeu sont, pour l’essentiel, exothermiques de telle sorte que la réaction inverse, endothermique, ne se fait pas 1 . En revanche, dans certaines situations, la chimie (ou du moins un
sous-ensemble) semble bien être à l’état stationnaire, comme l’atteste l’abondance d’hydrogène atomique mesurée dans les régions moléculaires par Goldsmith & Li (2005),
qui correspond à ce qui est attendu à l’état stationnaire où l’hydrogène est détruit pour
former H2 , et produit par la dissociation de H2 par les rayons cosmiques. La situation
est différente dans les atmosphères de planètes (ou d’exoplanètes) où les températures
plus élevées (100–600 K voire > 1000 K pour les «Jupiters chauds») permettent aux
réactions exothermiques et endothermiques d’avoir lieu dans les deux directions, et en
conséquence des calculs à l’équilibre chimique sont applicables (Burrows & Sharp 1999).
Toutefois les échelles de temps associées aux réactions de photolyses (pour les Jupiters
chauds par exemple) ou à l’advection verticale du gaz, peuvent devenir comparables
1. Le rapport des taux aller et retour est ∝ exp(−∆G/RT) et ∆G > 0 pour une réaction endothermique. Par
ailleurs, aux basses températures du MIS, l’enthalpie libre et l’enthalpie sont très proches, G = H − TS ≈ H.
10
Figure 1.2 – Les jets protostellaires tel HH211 (ici l’émission de CO et SiO) mettent en
jeu des échelles de temps très courtes (∼ 25 an, Cabrit et al. 2012). Leur modélisation
requiert de suivre au cours du temps de nombreux processus microscopiques couplés
(chimie, bilan thermique, dynamique du gaz, dynamique des grains, etc) et représente
un continuel défi.
voire inférieures aux échelles de temps chimiques, ce qui impose alors d’adopter une vision cinétique (Venot et al. 2012). On le voit, l’étude de la physico-chimie de tout système
du milieu interstellaire requiert donc l’analyse des différentes échelles de temps en jeu,
ainsi qu’une connaissance, même approximative, des conditions thermodynamiques,
afin d’anticiper l’état du système, stationnaire et/ou à l’équilibre (Fig. 1.2). Dans le MIS,
la chimie est donc gouvernée par la cinétique, ce qui la rend si passionnante car elle
échappe ainsi au principe d’entropie maximale à l’issue si prévisible.
L’état thermodynamique du MIS neutre est contrôlé par le couplage de l’équation
d’état du gaz P(n, T) aux processus dynamiques et thermiques. L’équation d’état du
MIS neutre présente la particularité d’offrir, pour une pression donnée dans un certain
intervalle (P/k ≈ 103 − 104 K cm−3 ), trois solutions correspondant à deux équilibres stables séparés par un régime instable : toute particule de gaz interstellaire neutre située
dans le régime instable et qui serait perturbée (par exemple dynamiquement) basculera,
à pression constante, dans l’une ou l’autre des deux phases stables. Ces deux phases
stables sont appelées WNM et CNM (Warm Neutral Medium et Cold Neutral Medium),
caractérisées par des températures cinétiques T ∼ 8000 K et ∼ 80 K respectivement (Field
et al. 1969; Cox 2005). À ces températures sont associées des densités telles que ces deux
phases sont en équilibre de pression. Entre ces deux phases, le gaz est thermiquement
instable. L’existence de gaz dans ces deux phases stables est établie observationnellement, par les observations de la raie HI à 21cm (Dickey & Lockman 1990). L’existence
de gaz instable est plus difficile à attester, notamment parce que ce gaz est par nature
transitoire, quoique les simulations numériques suggèrent que la durée de vie du gaz
instable est de l’ordre de 20 Man (Saury et al. 2014). La détection de HI à des températures intermédiaires entre CNM et WNM (∼ 500 − 5000 K) est peut-être la signature
11
de ce WNM instable (Begum et al. 2010; Kim et al. 2014). La pression dans le CNM
a pu être mesurée sur près d’une centaine de lignes de visées grâce à l’observation
du carbone neutre dans l’UV, et conduit à une distribution log-normale centrée en
P/k ≈ 4 ×103 K cm−3 (Jenkins & Tripp 2011). Cette valeur se situe effectivement dans
le domaine permettant l’existence de trois phases. De plus, il est remarquable que la
pression minimale mesurée (1700 K cm−3 , à 2σ) corresponde bien à la valeur permise
par l’instabilité thermique (1960 K cm−3 , Wolfire et al. 2003). Toutefois, il ressort aussi
que ≈ 30% des mesures conduisent à des pressions significativement bien inférieures
aux prédictions théoriques. De telles pressions sont difficilement conciliables avec les
modèles existants : les simulations de collisions de WNM conduisant à la formation
du CNM ne génèrent pas de pressions sous la courbe d’équilibre (Audit & Hennebelle
2010). Les basses pressions observées du CNM suggèrent donc soit des mécanismes
dynamiques abaissant la pression sous la courbe d’équilibre du CNM, soit que le bilan
thermique du CNM n’est pas totalement compris. Par ailleurs, de grands écarts de pression jusqu’à P/k > 3 ×105 K cm−3 sont mesurés dans toutes les directions, et trahissent
l’existence omniprésente d’une très faible fraction (∼ 0.05% en masse) de gaz à haute
pression. L’origine de ce gaz n’est pas établie, mais s’il était stable et non transitoire,
alors de telles pressions impliqueraient que ce soit du CNM.
L’équation d’état du MIS résulte de la compétition entre les processus de refroidissement (Λ) et de chauffage (Γ) du gaz (grossièrement, Λ ∝ n2H , Γ ∝ nH ). Si l’énergie est en
partie injectée mécaniquement à grande échelle (& 30 pc), les mécanismes de chauffage
et de refroidissement relèvent au bout du compte de processus microscopiques, tels que
la viscosité moléculaire, l’effet photoélectrique sur les grains, et l’ensemble des processus
d’excitation collisionnelle et désexcitation radiative des atomes et molécules. L’abondance de ces espèces est donc un ingrédient essentiel dans l’état thermodynamique du
MIS. Les espèces chimiques interviennent également dans le bilan thermique à travers
l’exothermicité des réactions chimiques, qui peut même dominer le chauffage du gaz.
Quoiqu’il en soit, la chimie ion-neutre et exothermique à l’œuvre dans le MIS est initiée par les photons de haute énergie et/ou les rayons cosmiques, de telle sorte que
le chauffage chimique est, au bout du compte, assuré par le rayonnement extérieur.
Il ne s’agit pas ici de passer en revue les différents processus de chauffage et de refroidissement qui conduisent à l’établissement de l’équation d’état du MIS neutre (voir
par exemple Wolfire et al. 2003). Il s’agit surtout de comprendre l’importance des couplages entre la dynamique du MIS à grande échelle et les processus microscopiques
collisionnels (non réactifs inélastiques, réactifs), ces derniers étant, en dernier ressort,
proportionnels aux quantités de collisionneurs, et donc pilotés par la chimie. C’est là
l’essence de la physico-chimie de la matière interstellaire qui sont comme deux faces
d’un même objet, qui impose un dialogue permanent entre les échelles microsopiques
et macroscopiques.
Le CNM est également très dynamique, ce qui signifie que les différentes échelles
de temps dynamiques sont souvent commensurables entre elles, et aussi dans certaines
situations aux échelles de temps chimiques qui sont généralement les plus courtes.
Les images à grande échelle du CNM fournies par l’observation de la poussière froide
(satellites IRAS, Planck) montrent des grandes cavités et structures filamenteuses que
l’on retrouve dans les cartes d’émission à plus haute résolution spatiale fournies par le
12
satellite Herschel. Ces grandes cartes donnent du milieu neutre une image dans laquelle
CNM et WNM sont intimement mélangés, confirmant de façon spectaculaire ce qui
avait été anticipé à partir des spectres de l’hydrogène atomique depuis les années 1960
(Dickey & Lockman 1990). Les simulations numériques de dynamique du gaz neutre montrent que l’instabilité thermique conduit à la formation de structures de CNM
plongées dans du WNM (Audit & Hennebelle 2010). La dynamique interne de ces structures de CNM est supersonique (car le gaz est froid) bien que les mouvements de ces
structures soient subsoniques dans le WNM. Cette vision très dynamique suggère un
milieu neutre en constante reformation, dans lesquelles CNM et WNM sont intimement mélangés, séparées par des fronts dont la taille caractéristique est imposée par la
conductivité thermique du gaz. La raie de HI à 21cm est le traceur par excellence des
grandes structures froides de CNM, et les observations single-dish et interférométriques
de HI montrent que le gaz neutre est structuré à toutes les échelles spatiales sondées,
de ∼ 100 pc à quelques ∼ 10 UA (Heiles 1997). Par exemple, le spectre de puissance de
l’émission intégrée de HI, mesurée dans un nuage tel que Ursa Major (Miville-Deschênes
et al. 2003), suit une loi de puissance dont l’exposant est proche de celui observé en turbulence hydrodynamique incompressible (Anselmet et al. 2001). L’image contemporaine
du milieu interstellaire neutre suggère ainsi du CNM et du WNM (et certainement aussi
du UNM, pour Unstable) mélangés, de telle sorte que toute ligne de visée traverserait
ces trois composantes aux propriétés physico-chimiques très différentes.
Le processus de formation stellaire a lieu exclusivement dans le CNM. Le comprendre requiert une connaissance approfondie des propriétés du CNM qui, comme
on l’a vu, ne peut être dissocié du WNM. L’échelle de temps de formation du CNM
(∼ 20 Man, Audit & Hennebelle 2010) est comparable à la durée de vie des nuages
moléculaires (10 − 40 Man, McKee & Ostriker 2007), et au temps de dépletion des nuages moléculaires, qui exprime le temps au bout duquel le nuage est converti en étoiles,
(30−66 Man, Evans et al. 2009), eux-mêmes commensurables avec le temps de formation
stellaire (2 − 10 Man, Walmsley et al. 2004). Ces valeurs confirment l’image dynamique
du CNM, et soulignent la nécessité de considérer les nuages moléculaires dans le milieu
à plus basse densité dans lequel ils baignent pour comprendre la formation d’étoile.
La turbulence des nuages moléculaires (von Weizsäcker 1951; Larson 1981; Hennebelle
& Falgarone 2012), et son lien avec la turbulence du CNM atomique est aujourd’hui
au centre de notre compréhension du processus de formation d’étoiles. D’une certaine
manière, la description continue proposée par Chandrasekhar & Münch (1952) semble
aujourd’hui favorisée. L’importance de cette connection entre les composantes atomique et moléculaire dans le processus de formation d’étoiles est peut-être à l’origine de
la corrélation, à l’échelle galactique, entre le taux de formation d’étoile et la densité surfacique du gaz moléculaire. Cette corrélation est moins marquée avec le gaz atomique
(Krumholz 2013), ce qui suggère que la transition atomique-moléculaire est une étape
essentielle, sinon déterminante, du processus de formation d’étoile.
13
[
\
Physico-chimie du gaz moléculaire
ans les régions où la densité atteint ∼ 300 cm−3 , la composition du CNM change,
d’atomique il devient moléculaire. D’un point de vue thermodynamique, la température s’adapte aux nouveaux processus de chauffage et de refroidissement associés
à l’augmentation de densité et au changement de composition chimique : globalement
le gaz se refroidit. La transition atomique à moléculaire est pilotée par l’interaction
entre la matière interstellaire et le rayonnement (Sternberg et al. 2014), principalement
ultraviolet (UV). La Figure 1.3 montre la structure monodimensionnelle d’une tranche
de gaz (d’épaisseur AV = 10mag) exposée d’un côté par un rayonnement interstellaire moyen (Mathis et al. 1983). Les calculs ont été effectués à l’aide du modèle PDR
de Meudon (Le Petit et al. 2006). La densité et la température sont ici déterminées
par le bilan thermique, c’est-à-dire qu’à chaque position dans le nuage, le chauffage
et le refroidissement (qui dépendent de la densité et de la température du gaz et des
poussières) sont égalisés. En particulier, on retrouve à très faible extinction les valeurs
typiques du CNM (nH = 100 cm−3 , T = 80 K) : la région diffuse atomique (hydrogène
atomique, carbone atomique ionisé) est principalement chauffée par l’effet photoélectrique sur les poussières et refroidie par les raies de structures fines de l’oxygène et du
carbone ionisé. Lorsqu’on pénètre dans le nuage, la quantité de photons UV diminue
essentiellement grâce à l’extinction par la poussière et à l’absorption par l’hydrogène
moléculaire (en constante formation/destruction), et pour AV ≈ 10−3 , l’hydrogène devient moléculaire de façon très abrupte. Plus profondément, dans les régions dites
translucides (translucent), le carbone est neutre. L’épaisseur de cette région est très
dépendante des paramètres du modèle. Pour des extinctions AV & 1mag, le carbone est
alors principalement sous forme de monoxyde de carbone CO 2 . Là, le gaz est chauffé
principalement par les rayons cosmiques (via l’ionisation et la chimie) et refroidi par
les photons millimétriques émis par CO qui est alors la molécule la plus abondante
après H2 . Cette vision schématique, bien que très simplifiée et difficilement applicable
en pratique, permet néanmois de saisir les mécanismes de base conduisant à l’apparition des molécules. Par exemple, que l’apparition de H2 soit le prélude nécessaire à
l’existence d’autres molécules, notamment CO, semble un fait robuste. Cette vision en
couches ne tient pas la comparaison avec l’image dynamique du milieu interstellaire
qui prévaut aujourd’hui, dans laquelle il est difficile d’imaginer des couches qui ne se
mélangeraient pas. De plus, le calcul conduisant à la Fig. 1.3 suppose que la chimie
est à l’état stationnaire ou, dit autrement, que l’échelle de temps chimique est courte
devant toutes les échelles de temps dynamiques. Notons d’ailleurs qu’aucun modèle
stationnaire PDR n’est en mesure de reproduire la quantité de CO observée dans les
parties diffuses des nuages moléculaires (AV . 1mag). Ceci peut être dû précisemment
D
2. Pour autant bien sûr qu’il y ait initialement plus d’oxygène que de carbone.
14
Diffuse atomic
Diffuse
molecular
Translucent
Molecular
Figure 1.3 – Vision schématique de l’apparition des molécules dans du gaz interstellaire. Les abondances de H, H2 , C+ , C, et CO sont indiquées (en haut) en fonction de
l’extinction visuelle (AV ) qui augmente à mesure que l’on pénètre dans le nuage. Le
champ de rayonnement UV incident est le champ interstellaire moyen. La densité et la
température du gaz (en bas) sont imposées par le bilan thermique en supposant une
pression thermique constante (P/k = 104 K cm−3 ). Les différents régimes s’appuient sur
les abondances de H2 et CO, relativement à l’hydrogène total et au carbone total, suivant
les définitions de Snow & McCall (2006). Calculs effectués avec le modèle PDR Meudon.
à des processus dynamiques caractérisés par des échelles de temps comparables ou inférieures aux échelles de temps chimiques, à des mouvements advectifs du gaz depuis
les régions moléculaires vers les régions atomiques (e.g. Lesaffre et al. 2007), ou plus
généralement au couplage entre les mouvements turbulents du gaz moléculaire et la
chimie (Joulain et al. 1998; Décamp & Le Bourlot 2002; Scalo & Elmegreen 2004; Godard
et al. 2009).
Du point de vue morphologique, les nuages moléculaires ne sont plus ces entités
aux contours bien marqués entre le milieu atomique et le milieu moléculaire. Image
qui a la peau dure cependant, car si l’aspect lacunaire des nuages moléculaires avait été
montré par Falgarone et al. (1992), il a fallu attendre les cartes à haute résolution spatiale
du gaz moléculaire et de l’émission de la poussière froide par le satellite Herschel pour
mettre définitivement à mal cette idée. La figure 1.4 montre la carte de l’émission de
CO, dans le nuage moléculaire du Taureau (Goldsmith et al. 2008). Malgré le lissage
que représente la projection sur le plan du ciel, la sensibilité et la résolution spatiale
15
Figure 1.4 – Le nuage moléculaire du Taureau (gauche) vu dans l’émission de la raie
rotationnelle de 12 CO(1-0) (Goldsmith et al. 2008). À la distance du nuage (150 pc), un
carré (2◦ × 2◦ ) représente 5.6×5.6 pc. À droite, image composite d’une portion (≈ 3◦ × 3◦ )
du nuage moléculaire dans le Polaris Flare observé dans le continuum des poussières à
250, 350, et 500µm avec Herschel.
révèlent l’aspect filamenteux de la distribution spatiale du gaz moléculaire. L’émission
des poussières mesurée en direction du Polaris Flare, un nuage moléculaire à haute
latitude galactique dont la particularité est de n’avoir formé aucune étoile (Falgarone
et al. 1998), montre là encore un enchevêtrement de filaments de matière (André et al.
2010; Miville-Deschênes et al. 2010). Le caractère filamenteux du CNM est connu depuis
les observations du satellite infrarouge IRAS et les cartes de l’émission de CO à grande
échelle (Schneider & Elmegreen 1979; Onishi et al. 1996; Mizuno et al. 1999). Le lien
entre la présence des filaments et la formation d’étoile a été proposé par Larson (1985),
qui suggérait que la taille caractéristique des cœurs denses (0.1 pc) devait avoir une
origine dans le processus de fragmentation qui leur donnait naissance, et proposait que
les filaments en tant que structures bi-dimensionnelles fournissaient une origine simple.
Ces idées sur l’universalité des filaments froids et de leur lien avec la formation d’étoile
ont pu être confirmées grâce aux observations Herschel (André et al. 2013), dont le gain
en résolution spatiale (de 4.30 à 1800 ) est le facteur clé dans le progrès accompli (voir
Fig. 1.5). Ces observations ont considérablement augmenté la statistique sur la taille
transverse des filaments (Hily-Blant 2004), confirmant l’idée de Larson (1985) d’une
taille transverse prépondérante ∼ 0.1 pc pour les filaments de matière.
Les molécules sont les traceurs par excellence des régions froides et denses du CNM
fortement écrantées du rayonnement UV (AV & 1 mag). L’observation hétérodyne de
leurs transitions rotationnelles dans le domaine radio fournissent des informations
cinématiques d’une très grande précision (δν/ν < 10−6 ), qui s’avèrent un outil puissant
pour l’étude de la dynamique du gaz (turbulence, effondrement, etc). Les molécules
permettent également de sonder le milieu diffus moléculaire grâce aux transitions électroniques. Bien que les premières molécules interstellaires ont été détectées dans le milieu diffus moléculaire, la richesse moléculaire de cette composante faiblement écrantée
(AV ≈ 0.1 − 1) n’a été appréciée qu’à partir des observations interférométriques mil16
Figure 1.5 – Le Polaris Flare observé avec IRAS 100µm (Neugebauer et al. 1984; MivilleDeschênes & Lagache 2005) et à 250µm avec Herschel (Miville-Deschênes et al. 2010).
limétriques de Liszt & Lucas (e.g. Lucas & Liszt 1998, et suivants), magnifiée grâce à
l’observatoire submillimétrique Herschel (Gerin et al. 2012). Ces observations THz ont
confirmé l’omniprésence d’ions tels que CH+ (Falgarone et al. 2010), ainsi que la fiabilité de CH et HF comme traceurs de l’hydrogène moléculaire (Neufeld et al. 2010). La
présence de molécules dans un milieu si ténu n’est toutefois pas sans poser des problèmes aux modèles de chimie interstellaire, l’exemple le plus frappant étant l’ion CH+ ,
détecté dès 1940, et dont on ne sait encore expliquer, de façon définitive, la forte abondance. Certaines pistes prometteuses ont été explorées (pompage chimique, pompage
turbulent) (Falgarone et al. 2010; Agúndez et al. 2010; Falgarone et al. 2013; Zanchet
et al. 2013) mais la question n’est pas résolue, et d’autres espèces problématiques (SH+
par exemple) s’ajoutent à la liste.
Quoiqu’il en soit, même si on ne comprend pas intégralement les processus de
formation/destruction de toutes les molécules interstellaires, celles-ci demeurent des
traceurs incomparables des conditions thermodynamiques de l’ensemble du CNM caractérisé par AV & 0.1 mag, depuis les nuages diffus partiellement moléculaires jusqu’aux
embryons de systèmes planétaires. Extraire des photons (sub)millimétriques les informations thermodynamiques (densité, température, champ de vitesse, etc) est essentiellement un problème d’inversion, dont la solution est rarement unique. Comprendre, de
façon cohérente, les réactions et processus qui déterminent les abondances des espèces
chimiques, les mécanismes qui les conduisent à émettre des photons, et la propagation
de ces photons dans le CNM, sont autant d’impératifs pour l’étude de tout processus
physique à l’œuvre dans le milieu interstellaire.
17
2
Activités de recherche
g
Des nuages moléculaires
aux nébuleuses
protosolaires
h
[
\
Dynamique turbulente des nuages moléculaires
Turbulence des nuages moléculaires
L
es nuages moléculaires sont les régions du CNM où le gaz est principalement sous
forme moléculaire, c’est-à-dire que l’hydrogène et le carbone sont essentiellement
sous formes H2 et CO respectivement (voir Fig. 1.3). Dans ces régions, nH & 300 cm−3 ,
et la température cinétique du gaz est inférieure à 25 K. Ces conditions physiques
varient spatialement, eu égard à la nature lacunaire et très dynamique de ces régions
aussi la représentation simplifiée de la Fig. 1.3 reste très schématique. Du point de vue
thermique, le chauffage des nuages moléculaires est assuré par les rayons cosmiques
pour les parties les plus denses, et par le rayonnement UV et l’effet photoélectrique
sur les grains dans les parties plus ténues. Le refroidissement dans ces dernières est
dû principalement à la raie de structure fine du carbone ionisé, et dans les parties plus
denses aux raies moléculaires, notamment CO dès que la densité est & 1000 cm−3 . La
caractéristique des nuages moléculaires qui nous intéresse ici est la nature turbulente
des mouvements du gaz (von Weizsäcker 1951). L’absence d’une théorie complète de la
turbulence nous empêche d’avoir un diagnostic incontestable de la nature turbulente
du milieu interstellaire en général, et des nuages moléculaires en particulier. Toutefois, plusieurs propriétés du milieu interstellaire sont identiques à ce qui est observé
dans les expériences de laboratoire et numériques, et conformes à certaines prédictions
théoriques. En particulier, l’observation de lois d’échelles dans le milieu interstellaire est
la signature la plus probante du régime turbulent car l’absence d’échelle caractéristique
est l’une des propriétés principales de la turbulence développée. Ces lois d’échelles
sont observées dans les fluctuations de la densité électronique (censées tracer les fluctuations du champ de vitesse) dans le milieu interstellaire ionisé (Armstrong et al. 1995),
et dans les fluctuations d’intensité du gaz atomique (Miville-Deschênes et al. 2003). Il
est généralement admis que la composante ionisée et la composante neutre atomique
du milieu interstellaire sont en régime turbulent.
Dans les nuages moléculaires la situation est moins claire car de telles lois d’échelles
portent sur un domaine plus restreint d’échelles spatiales. Un faisceau d’arguments
plaide cependant en faveur d’un régime turbulent du gaz moléculaire. Tout d’abord,
le nombre de Reynolds (qui caractérise l’intensité relative des non-linéarités du champ
de vitesse) est, en supposant que le processus de dissipation de l’énergie cinétique est
la viscosité moléculaire, de l’ordre de 107 , bien au-delà du seuil de transition vers la
turbulence (Re ∼ 103 − 104 ). Une autre propriété porte sur la dispersion de vitesse δv(r)
à une échelle spatiale r, mesurée à partir des spectres en émission de 13 CO(1-0), qui
19
augmente avec l’échelle spatiale, selon une loi de puissance,
δv(r) ∼ rp
avec un exposant p = 0.38 (Larson 1981), proche des prédictions de la théorie de Kolmogorov en turbulence hydrodynamique incompressible (Tennekes & Lumley 1972;
Frisch 1995). Toutefois, l’exposant de cette relation n’est pas unique, allant jusqu’à
p = 0.5 (Solomon et al. 1987; Falgarone et al. 1992). Aux petites échelles (< 0.1 pc),
les relations d’échelles deviennent de moins en moins fortes. Quoiqu’il ne soit encore
pas possible de déterminer, pour chaque observable (dispersion de vitesse, masse, etc),
un unique exposant, ces lois de puissance montrent qu’aucune échelle caractéristique
n’a pu être observée en CO dans les nuages moléculaires (hormis bien entendu les
filaments et cœurs denses associés), des grandes (∼ 30 pc) aux plus petites échelles
sondées (∼3 ×10−3 pc soit 600 AU, Falgarone et al. 2009). Dit autrement, dans l’espace
des vitesses, des structures sont observées en CO à toutes les échelles sondées. L’absence
d’échelle caractéristique est une propriété essentielle du domaine inertiel de la turbulence développée, où les forces inertielles l’emportent sur la viscosité, c’est-à-dire aux
échelles petites devant l’échelle d’injection, et grandes devant l’échelle de dissipation
(∼ 1 AU dans les nuages moléculaires). Ces lois d’échelles sont, 30 ans après, encore
sujettes à d’intenses débats, qui tiennent en grande partie à la difficulté d’interprétation des raies de CO observées. En effet, le spectre émergeant, des raies rotationnelles
de CO en particulier (mais ceci est vrai pour les transitions d’autres espèces), résulte
d’une convolution complexe des champ de vitesse, de densité, et de température dans
le nuage. Un autre argument repose sur la dimension fractale des contours de brillance
du CO dans les nuages moléculaires (Falgarone et al. 1991), même si l’interprétation de
cette observable n’est pas unique (Falgarone 1997). Une autre propriété des raies de CO
est leur largeur suprathermique, ∼ 1 km s−1 , très supérieure à la dispersion thermique
à 25 K (. 0.1 km s−1 ), signalant un réservoir d’énergie cinétique non-thermique important. Dernier argument fort, les propriétés statistiques du champ de vitesse. Il a été
proposé que la forme des ailes des raies de CO traduit la statistique de vitesse le long de
la ligne de visée, statistique qui rappelle l’intermittence de la turbulence expérimentale
ou simulée (Falgarone & Phillips 1990). Cette proposition a ensuite été renforcée par la
modélisation des raies de CO dans des écoulements turbulents incompressibles (Falgarone et al. 1994; Lis et al. 1996). L’intermittence et, plus généralement, la statistique
du champ de vitesse (Anselmet et al. 2001), sera reprise en détail dans la suite.
Il est donc très raisonnable de considérer que le champ de vitesse des nuages moléculaires est turbulent. Il s’agit donc de caractériser le type de turbulence en jeu. S’agit-il
d’une turbulence compressible ou incompressible ? Quel est le rôle joué par le champ
magnétique ? Quel est le processus de dissipation : viscosité moléculaire, reconnection
magnétique, etc ? Quelle sont les échelles de dissipation associées ? Quelles sont les
structures dans lesquelles cette dissipation a lieu 1 ? Les nuages moléculaires sont-ils
des structures immergées dans la cascade turbulente du CNM, dans la continuité du
gaz atomique ?
1. Ne pas confondre cela avec les dissipative structures introduites par I. Prigogine dans le contexte de
l’irréversibilité en thermodynamique. Nous parlons ici des structures dans lesquelles la dissipation a lieu
(voir par exemple She & Lévêque 1994; Politano & Pouquet 1995; Jiménez & Wray 1998).
20
Figure 2.1 – Exposants ζp de fonctions de structures expérimentales et numériques,
comparées à différentes prédictions théoriques (Anselmet et al. 2001). ζ3 = 1 en accord
avec la loi des 4/5ème prédite par la théorie K41. En revanche, pour p > 3, ζp < p/3.
À travers mes activités de recherche, j’ai apporté quelques éléments de réponses à
ces questions fondamentales, qui appellent des confirmations et développements qui
seront l’objet de mon projet de recherche.
Quelques propriétés statistiques de la turbulence
Une théorie complète de la turbulence demeure un des grands problèmes ouverts de
la physique classique. En conséquence, on ne peut donner une définition unique de ce
qu’est la turbulence et l’on doit supposer qu’elle présente des propriétés intrinsèques.
En particulier, la question de l’universalité de certaines de ces propriétés ne peut être
établie qu’empiriquement (Sreenivasan 1995; Tsuji 2009). Néanmoins, certaines idées
sur la turbulence semblent tenir l’épreuve des faits. Une première propriété est l’aspect
désordonné du chaos spatio-temporel d’un écoulement turbulent, dans lequel des tourbillons interragissent et font cascader l’énergie depuis les grandes échelles vers les
petites où la friction moléculaire dissipe l’énergie cinétique en chaleur. Par intermittence, des structures cohérentes (i.e. dont la phase n’est pas aléatoire) se forment. Ces
structures sont des filaments qui ont été observés par Douady et al. (1991) en injectant
des bulles qui vont se localiser dans les minima de pression associés aux maxima de
vorticité. La longueur de ces filaments est de l’ordre de la taille du système, et la taille
transverse de l’ordre de l’échelle de dissipation. La formation de structures dynamiques
cohérentes, qui a conduit à parler d’ordre dans le désordre, est également observée dans
les simulations numériques directes (She et al. 1991; Jimenez et al. 1993).
Dans un écoulement turbulent à fort nombre de Reynolds, le nombre de degrés de
libertés augmente considérablement, et le nombre d’échelles en interaction devient si
grand que les approches statistiques sont considérées comme seules pouvant décrire
21
complètement la turbulence. En conséquence, les théories de la turbulence portent
en premier lieu sur les propriétés statistiques de l’écoulement, notamment du champ
de vitesse et les quantités dérivées (pour une revue, voir Anselmet et al. 2001). En
particulier, la théorie de Kolmogorov (1941) (article de 5 pages seulement) offre des
prédictions concernant la statistique à deux points du champ de vitesse, à travers les
fonctions de structure. La fonction de structure longitudinale d’ordre p est définie par 2
Z
p
δur p Π(δur ) d(δur )
Sp (r) = hδur i =
La quantité δur est définie par
~(~
δur = [~
u(~
x + ~r) − u
x)] · ~r/r
(2.1)
Cette quantité est aussi appelée incrément longitudinal de vitesse. La fonction Π(δur ) est
la densité de probabilité de l’incrément δur . En turbulence incompressible, homogène,
et développée 3 , la théorie K41 prédit que δur ∝ r1/3 . Comme (r)1/3 a la dimension d’une
vitesse, il s’ensuit que
Sp (r) = Cp ζp rζp ,
ζp = p/3
En particulier, pour p = 3, la loi des 4/5e (un résultat analytique exact) est retrouvée, c’està-dire que ζ3 = 1 et C3 = −4/5. L’idée derrière l’utilisation des fonctions de structure
est la suivante : à mesure que p augmente, la statistique se concentre sur les incréments
de plus en plus grands. En effet, si l’on suppose que la statistique des incréments suit
une courbe en cloche, la statistique des incréments élevés à la puissance p > 1 s’écrase
pour les incréments inférieurs à 1, et se concentre progressivement sur les plus forts
incréments. Ainsi, les fonctions de structures d’ordre croissant se concentrent sur des
incréments toujours plus intenses, qui sont aussi les plus rares (pour une distribution
gaussienne, seulement 1% des incréments seraient plus grands que 3σ). D’un point de
vue expérimental, une conséquence directe est que, pour déterminer les fonctions de
structure d’ordre élevé (p > 3), il faut un très grand nombre de mesures de la vitesse.
À partir de mesures expérimentales (soufflerie, atmosphère), les fonctions de structure ont pu être évaluées jusqu’à l’ordre p = 18 à partir d’écoulements expérimentaux
(Fig. 2.1, Anselmet et al. 2001), qui montrent un écart à la théorie K41, et conduisent
à des exposants ζp < p/3. Cet écart, déjà mesuré par Batchelor & Townsend (1949),
est interprété comme la signature de l’intermittence de la turbulence à savoir que la
cascade d’énergie subit de très fortes fluctuations spatiale et temporelle. Les mesures
montrent que l’écart des ζp avec p/3 augmente avec p, indiquant que l’intermittence
augmente à mesure que l’échelle diminue. Les distributions normalisées Π(δur ) des incréments confirment cela : les fonctions de densité de probabilité (PDF) d’incréments de
2. Cette définition ne dépend pas de la direction suivant laquelle est mesurée la différence de vitesse,
et suppose donc une turbulence isotrope et homogène.
3. Développée signifie qu’un régime stationnaire s’est établi, permettant l’existence d’un domaine
d’échelles inertielles, dans lequel le transfert d’énergie est constant, istrope et homogène, localisé dans l’espace des nombres d’onde (i.e. entre échelles comparables principalement). Dans ce domaine, la dynamique
non-linéaire est supposée universelle, i.e le transfert d’énergie n’est pas influencé par les mécanismes d’injection et de dissipation.
22
Figure 2.2 – Densités de probabilités des incréments de vitesses mesurés dans la turbulence atmosphérique à 30m au-dessus du sol (Sreenivasan 1999). La distance r sur
laquelle est mesurée l’incrément est indiquée, en unité de l’échelle de Kolmogorov η
(proche de l’échelle de dissipation). Lorsque r/η ∼ 105 , la fonction Π(δur ) est proche
d’une gaussienne (avec une légère asymétrie), et à mesure que r/η diminue, des ailes
non gaussiennes se développent, signature de l’intermittence.
vitesse s’écartent d’une distribution gaussienne à mesure que r diminue, les grands δur
ayant une probabilité plus grande qu’avec une distribution gaussienne (Fig. 2.2, Sreenivasan 1999). En d’autres termes, les grandes différences de vitesse sont anormalement
fréquentes lorsqu’on les mesure sur des petites distances. Cette propriété, l’intermittence, est observée dans tous les écoulements terrestres (incompressibles), dans le vent
solaire, pour toutes les quantités faisant intervenir des dérivées de la vitesse ou du
champ magnétique. En particulier donc, la dissipation visqueuse ∝ h|∇~
u2 |i présente
ces fortes fluctuations spatio-temporelles à mesure que l’on se rapproche de l’échelle de
dissipation. Les PDF et les fonctions de structure doivent être vues comme des outils
complémentaires. Les premières comparent la statistique à différentes échelles, quand
les secondes isolent des événements de plus en plus intenses. Les PDF montrent que
l’intermittence agit plus fortement à petite échelle. Les fonctions de structure révèlent,
à travers les exposants ζp , comment la turbulence construit les moments successifs de
la dissipation.
L’intermittence de la turbulence est interprétée en termes statistiques, dans les modèles dits multifractaux qui considèrent que la cascade se produit dans des espaces
de dimension inférieure à 3. À chaque échelle, la cascade se produit sur un ensemble
continu d’espaces dont la dimension et la proportion d’énergie qu’ils reçoivent sont
reliées par une fonction de distribution qui caractérise ainsi complètement la cascade
d’énergie (Frisch 1995). D’autres modèles multifractaux reposent sur l’analyse des fluctuations du champ de dissipation. Parmi ces modèles, celui de She & Lévêque (1994)
est particulièrement intéressant car il permet de reproduire les exposants de fonctions
23
de structure mesurés dans les expériences et simulations numériques de turbulence incompressible. La statistique du champ de dissipation est complètement contenue dans
les moments d’ordre p, h(r)p i, et She & Lévêque proposent d’étudier la statistique du
rapport des moments successifs h(r)p+1 i/h(r)p i. Dans ce modèle, les fluctuations du
champ de dissipation sont associées à des structures qui sont d’autant plus cohérentes
et singulières que p est grand (St-Jean 2005). Par exemple, les structures d’ordre p = 0
qui construisent la statistique de h(r)i ne dépendent pas de r et sont donc isotropes. À
l’autre extrême, pour p → ∞, qui amplifie les valeurs de (r) très loin de la moyenne,
les structures les plus intermittentes sont supposées être des filaments. Pour des ordres p intermédiaires, les structures sont plus ou moins organisées, quelque part entre
des structures isotropes et des filaments. Le niveau de fluctuation d’ordre p peut s’interpréter comme la dissipation pondérée par une fonction qui donne d’autant plus de
poids aux grandes fluctuations que p est grand (Lévêque & She 1997). L’autre hypothèse
fondamentale de ce modèle est que les structures d’ordre p génèrent les structures d’ordre q & p. Cette théorie statistique repose donc sur les structures de la turbulence, sans
pour autant les préciser, sauf pour les plus dissipatives qui sont supposées être des
filaments de vorticité, comme observé dans les simulations directes (Sreenivasan 1999;
Jiménez & Wray 1998).
Turbulence des nuages moléculaires : propriétés statistiques
Falgarone, Pety, & Hily-Blant (2009)
Hily-Blant & Falgarone (2009)
? Hily-Blant, Falgarone, & Pety (2008a)
Hily-Blant & Falgarone (2007)
Si la nature turbulente des mouvements du gaz des nuages moléculaires est généralement admise, la nature de cette turbulence est encore à établir. Les mouvements du gaz
sont supersoniques, mais quel en est l’impact sur la turbulence ? De même pour le champ
magnétique : que modifie-t-il des propriétés statistiques et des structures turbulentes ?
Pour répondre à ces questions, il est sage d’utiliser les outils statistiques développés
en turbulence et présentés précédemment. Un grand nombre de travaux portent sur
le spectre de puissance des fluctuations d’intensités, comme cela a été fait dans le gaz
atomique Miville-Deschênes et al. (2003). Le spectre de puissance est lui-même relié à la
fonction de structure d’ordre 2. Et plus généralement, l’usage des fonctions de structures
pourrait permettre de comparer les exposants ζp associés aux prédictions des différents
modèles hydrodynamiques (HD) et magnéto-hydrodynamiques (MHD). Malheureusement, les trois composantes de la vitesse des particules fluides sont inaccessibles. Il faut,
aux spectre pris à différentes positions sur le ciel, associer des vitesses dont dériveront
les incréments calculés entre paires de points. Incréments qui ne sont pas les δur de
l’Eq. (2.1), puisque la vitesse est ici mesurée le long de la ligne de visée alors que l’incrément ~r est dans le plan du ciel. De plus, afin d’apporter des contraintes significatives sur
les propriétés statistiques, il faut suffisament de points de mesure pour déterminer des
fonctions de structures jusqu’à p > 3, car toutes les prédictions théoriques concernant
24
Figure 2.3 – Exposants des fonctions de structures normalisées ζp /ζ3 , dans une région
du Polaris Flare (gauche) et du Taurus Molecular Cloud (droite). Les prédictions de
trois modèles sont données : K41 (trait plein, pas d’intermittence), She & Lévêque
(1994) (tirets), et l’équivalent MHD de Boldyrev et al. (2002) (pointillés). Ce dernier, une
version adaptée de Politano & Pouquet (1995), considère que le domaine inertiel n’est
pas perturbé par les échelles dissipatives (donc identique à She & Lévêque), et que les
structures de dissipation sont des chocs. Tirée de Hily-Blant et al. (2008a).
les ζp concordent pour p ≤ 3.
Le gaz moléculaire et la gaz atomique sont mélangés, et l’on peut penser que la
turbulence du gaz atomique alimente celle des nuages moléculaires. Aussi, pour capter
les signatures de la turbulence des nuages moléculaires, il faut observer le champ de
vitesse non seulement des régions totalement moléculaires, mais également des zones
de transition, là où même l’hydrogène est encore partiellement atomique. Dans ces régions d’extinction visible AV ≤ 1 mag, la densité est également faible (nH . 500 cm−3 ),
et le seul traceur moléculaire à notre disposition est CO. Cela tient à une combinaison
de plusieurs facteurs : faible densité critique de la raie rotationnelle N = 1 − 0, grande
abondance (CO/H2 ∼ 10−4 ), facilement observable depuis le sol, mais avec la limitation
usuelle liée à l’épaisseur optique qui devient rapidement importante (typiquement,
l’opacité est ≈1 pour une densité de colonne de 1015 cm−2 / km s−1 ). L’épaisseur optique
n’est en fait pas un réel problème. En effet, comme nous l’avons montré, les signatures
de l’intermittence sont contenues dans les ailes des raies de CO, ce qui peut se comprendre intuitivement : le long de la ligne de visée, les grandes excursions loin de la vitesse
moyenne peuplent précisemment les ailes des raies, et ces excursions quoiqu’anormalement nombreuses, restent suffisament rares pour que l’épaisseur optique demeure
faible. Les limites inférieures du rapport d’intensité 12 CO(1-0)/13 CO(1-0) montrent que
l’émission de 12 CO est optiquement mince aux vitesses correspondant aux ailes des raies
(Hily-Blant & Falgarone 2007). Cela implique d’avoir des mesures suffisament sensibles
pour mesurer ces ailes de raies optiquement minces. Le gaz de faible extinction tracé
par le CO mince est crucial, non seulement parce qu’il représente la moitié de la masse
d’un nuage moléculaire typique (Goldsmith et al. 2008), mais aussi parce que ce gaz
est partiellement moléculaire, et assure le lien avec les régions atomiques du CNM
25
également turbulentes. Si les nuages moléculaires et la gaz atomique, bien qu’ayant des
exposants adiabatiques différents, font partie de la même cascade turbulente, alors le
CO mince apporte des informations essentielles et doit permettre d’établir la continuité
avec les propriétés mesurées dans le HI.
Pour déterminer les propriétés statistiques de la turbulence moléculaire, les contraintes observationnelles peuvent se résumer ainsi : 1/ observer un champ turbulent
homogène, c’est-à-dire dans lequel aucun processus non-turbulent ne domine (gravité,
choc, pression dynamique associée à des vents ou a l’expansion d’une bulle, etc) ; 2/
grande carte pour obtenir un grand nombre de mesures ; 3/ avoir un estimateur des incréments orthogonaux de la vitesse ; 4/ très bonne calibration spectrale et d’amplitude ;
5/ grande résolution spatiale pour observer l’intermittence.
Pour satisfaire au premier point, nous avons choisi d’étudier une région dans le
nuage moléculaire du Taureau, et une autre dans le nuage moléculaire situé dans le
Polaris Flare (Heithausen & Thaddeus 1990). Ce dernier est connu pour n’avoir pas
formé d’étoile et c’est sur cette base qu’il avait été choisi par Falgarone et al. (1998)
pour étudier sa structure à petite échelle. Cette propriété, qui a été confirmée par les
observations Herschel (André et al. 2010), est particulièrement intéressante pour notre
propos car elle exclut toute perturbation du champ de vitesse associée au processus de
formation d’étoile, encore mal compris. Dans le cas du nuage du Taureau, notre champ
est situé en bordure du nuage, loin de toute région de formation d’étoile. Depuis plus de
10 ans, le seul radiotélescope permettant d’effectuer des cartes de l’émission de CO(10) avec une très bonne résolution spatiale et spectrale, et une très bonne calibration
d’amplitude, est le radiotélescope de l’IRAM-30m. En effet, le FCRAO (aujourd’hui
arrêté) ne bénéficiait pas d’une aussi bonne calibration d’amplitude, en partie à cause
du lobe d’antenne. Et même pour l’IRAM-30m, il faut encore tenir compte des lobes
d’erreur, qui collectent du signal à très grande échelle (de 900 à 200000 , Greve et al. 1998).
Le problème le plus ardu vient de l’analyse des données : comment déduire la
statistique du champ de vitesse à partir des spectres qui résultent d’une convolution
complexe entre le champ de densité, le champ de vitesse, et le champ de température,
non seulement le long de la ligne de visée, mais aussi dans l’ensemble du nuage à cause
du couplage radiatif ? La méthode que nous avons retenue repose sur le calcul des
moments d’ordre 1 de la vitesse, aussi appelé centroïde de vitesse :
Z v2
Z v2
C(x, y) =
vT(v) d(v) /
T(v) dv
v1
v1
où x, y sont les coordonnées spatiales dans le plan du ciel, v le décalage Doppler, et
T(v) le spectre. La subtilité de notre méthode vient du choix des bornes d’intégration
v1 et v2 , qui sont choisies de manière à optimiser le rapport signal/bruit du centroïde
(Pety & Falgarone 2003). Cette méthode a été partiellement testée sur des simulations
numériques par Lis et al. (1996); Pety & Falgarone (2000), qui ont montré que le centroïde
permet de tracer les maxima de vorticité, c’est-à-dire les structures les plus intermittentes
qui sont, dans les simulations incompressibles hydrodynamiques, responsables de la
dissipation. Nous avons appliqué cette méthode à des cartes de l’émission de CO(1-0)
(observé en parallèle au 13 CO(1-0), et 12 CO et 13 CO(2-1)), réalisées avec l’IRAM-30m. À
partir des cubes position/position/vitesse, nous avons calculées les cartes de centroïdes,
26
C(x, y), puis mesuré les incréments hδCr iθ moyennés azimuthalement. Cette moyenne
permet d’augmenter la qualité des incréments. Ces cartes d’incréments permettent
enfin de calculer la statistique de ces incréments et leurs moments, qui fournissent des
estimateurs des fonctions de structure.
Sur la base de ces moments, nous avons pu mettre en évidence plusieurs résultats
usuellement observés en turbulence, notamment l’intermittence et ses conséquences
sur la statistique du champ de vitesse. En particulier, les exposants des fonctions de
structure ne suivent pas ζp = p/3. Dans le cas du Polaris Flare, les exposants sont très
bien reproduits par le modèle de She & Lévêque (1994). Dans le cas du Taureau, les
exposants sont intermédiaires entre K41 et She & Lévêque. Cette comparaison montre que la turbulence de certains nuages moléculaires présente des propriétés qui sont
celles d’une turbulence incompressible non magnétisée. Ces résultats sont surprenants
à plusieurs égards : le gaz moléculaire est compressible, qui plus est en écoulement
supersonique, et de surcroît magnétisé. Ils ont été ensuite confortés par des simulations
numériques (Federrath et al. 2010), mettant en lumière l’importance du forçage (majoritairement compressif ou solénoïdal) de la turbulence aux grandes échelles. L’importance
du forçage à grande échelle a été depuis l’objet de nombreux travaux numériques, et
une méthode pour déterminer l’importance relative de chaque type de forçage a été
proposée par (Brunt & Federrath 2014).
Turbulence des nuages moléculaires : structures
Falgarone, Pety, & Hily-Blant (2009)
? Hily-Blant & Falgarone (2009)
Hily-Blant, Falgarone, & Pety (2008a)
L’approche statistique de la turbulence des nuages moléculaires permet d’extraire les
régions de dissipation de l’énergie cinétique turbulente. En effet, les PDF d’incréments
Π(hδCr iθ ) calculées aux petites séparations r développent des ailes non-Gaussiennes (cf
Fig. 2.2). L’immense avantage de la turbulence observée dans les nuages moléculaires
est qu’elle évolue sur des temps longs : la durée de vie des filaments de vorticité est de
l’ordre de leur temps de retournement
τfilament ∼ η/v ≈ 5 yr × (η/1AU) (v/1 km s−1 )−1
Nous pouvons donc isoler, dans nos cartes d’incréments calculés aux petites séparations,
les régions associées aux plus fortes valeurs, et nous permet d’étudier les structures d’incréments de vitesses extrêmes (E-CVI), cherchant à en déterminer certaines propriétés
(taille, masse, énergie cinétique). Déjà dans Hily-Blant et al. (2008a), nous avons montré
que ces régions ne sont pas réparties aléatoirement spatialement, mais qu’elles forment
des structures cohérentes qui, en projection, sont des filaments. Ce résultat s’est confirmé avec une nouvelle carte du Polaris Flare de l’émission de CO(2-1) réalisée avec
l’instrument HERA de l’IRAM-30m. Ces données montrent que ces filaments d’E-CVI
s’étendent sur plus d’un parsec, présentant des rapports d’aspect parfois supérieurs à
10 (voir Fig. 2.4).
27
Figure 2.4 – (gauche) Structures d’incréments de vitesses extrêmes (E-CVI) obtenues
par analyse du champ de vitesse dans une région du Polaris Flare observée en CO(2-1)
(Hily-Blant & Falgarone 2009). (droite) Structures d’intense vorticité de dimension 1.1
(gauche) obtenues dans des simulations hydrodynamiques incompressibles (Moisy &
Jiménez 2004). Les structures de forte vorticité s’assemblent en clusters.
Ces structures ne sont toutefois pas des filaments de matière plus dense que leur
environnement. Il s’agit de structures cohérents du champ de vitesse, tout comme les
filaments de vorticités observés par Douady et al. (1991). Ne pouvant mesurer explicitement la vorticité, nous les appelons simplement structures de cisaillement. Cette
grande carte de l’émission de CO a permis une autre avancée. En effet, nous avons
pu observer que les structures elles-mêmes ne sont pas distribuées aléatoirement, et
semblent même se regrouper. Cette observation est à mettre en regard des résultats de
Moisy & Jiménez (2004) sur le regroupement des structures de vorticité. Ces auteurs ont
en effet montré que les filaments de vorticité s’assemblent en clusters (voir Fig. 2.4). Ils
ont aussi montré que la dimension des structures de dissipation est 1.7 (donc proche de
surfaces), supérieure à la dimension des structures de vorticité qu’ils trouvent être 1.1
(plutôt filamenteuses). Ces simulations considèrent un écoulement hydrodynamique
incompressible, et n’incluent pas une étude du forçage. La comparaison avec nos observations requiert donc certaines précautions. Par ailleurs, il convient d’insister sur le
fait que ces structures du champ de vitesse ne sont pas les filaments tracés par l’émission de la poussière telle qu’observée par exemple avec le satellite Herschel, quoiqu’on
ne puisse exclure qu’elles soient liées (André et al. 2013). Ces structures ne peuvent
évidemment être détectées que dans des cartes de spectres. En revanche, il est possible
que ces structures induisent des modifications de la température du gaz et peut-être de
la poussière.
28
[
\
Astrochimie
Composition chimique des disques circumstellaires
Kastner, Hily-Blant, Rodriguez, Punzi, & Forveille (2014)
Sacco, Kastner, Forveille, Principe, Montez, Zuckerman, & Hily-Blant (2014)
Kastner, Hily-Blant, Sacco, Forveille, & Zuckerman (2010)
Kastner, Zuckerman, Hily-Blant, & Forveille (2008)
L
es disques circumstellaires résultent de la conservation du moment cinétique au
cours de l’effondrement d’un cœur dense gravitationnellement instable. Lorsqu’une
protoétoile de faible masse (M? < 2 M ) se forme (Class 0) dans les parties centrales
de la région instable, le nuage en effondrement forme l’enveloppe et représente la plus
grande fraction de la masse du système. À mesure que le gaz s’effondre, l’enveloppe
s’amenuise et la masse du système est dominée par la protoétoile (Class I). Une cavité
entourant la protoétoile se forme sous l’action d’un jet bipolaire, qui permet également
d’évacuer du moment cinétique. Lorsque l’enveloppe a été accrétée et évacuée, l’étoile
centrale alors visible (Class II/III, aussi dite T Tauri) est entourée d’un disque évasé en
rotation képlerienne (Dutrey et al. 2014, pour une revue), de rayon ≤ 800 AU et masse
. 1% M? (Williams & Cieza 2011). La distinction entre l’enveloppe et le disque est principalement cinématique. En effet lors des premières phases, ces deux composantes sont
en continuité l’une avec l’autre et toutes deux en rotation. Toutefois, dans l’enveloppe,
la composante radiale de la vitesse domine la composante orthoradiale, et inversement dans le disque. Une question centrale, et toujours débattue, dans le processus
de formation stellaire et planétaire porte sur le moment d’apparition des disques. Les
difficultés, principalement observationnelles, tiennent à une résolution spatiale insuffisante et au champ de vitesse dont l’analyse est rendue complexe par la superposition
de la cinématique de l’enveloppe, des jets, et éventuellement du disque (Cabrit et al.
1996). Aujourd’hui, grâce aux nouveaux interféromètres (eSMA, ePdBI 4 , ALMA), qui
offrent des résolutions spatiale < 100 et spectrale ≈ 100 m s−1 , l’observation des disques
circumstellaires est un domaine en expansion rapide, et le problème de la formation des
disques connaît une phase de progrès très importante et rapide. Prévus théoriquement
dès la phase 0/I (Bodenheimer 2011), quoique le champ magnétique puisse bloquer leur
formation (Joos et al. 2012; Hull et al. 2014), les disques désormais observés au stade
Class I (Tobin et al. 2012; Lindberg et al. 2014; Harsono et al. 2014) présentent désormais la signature de rotation képlerienne (Takakuwa et al. 2012; Yen et al. 2014). Leurs
tailles sont comparables aux disques autour de T Tauri, mais leurs masses sont ≈ 10 fois
supérieures.
4. Les lignes de base de ces deux interféromètres ont été étendues dans les 5 dernières années.
29
Figure 2.5 – Raies moléculaires observées en direction du disque de transition entourant
TW Hya (d = 54 pc, M? = 0.8 M ) avec le télescope APEX (Kastner et al. 2014). Les espèces moléculaires sont probablement localisées dans une couche intermédiaire, visible
sur le schéma représentant la structure physique et chimique d’un disque protoplanétaire (Henning & Semenov 2013). Le rayon du disque externe et du trou central sont
respectivement ∼ 250 AU et ∼ 25 AU, et sa masse 0.04 M (Qi et al. 2013).
L’importance de ces disques au stade Class I est centrale, à la fois car elle fournit
des contraintes très fortes sur les modèles théoriques (transport de moment cinétique,
rôle du champ magnétique, etc), et aussi du point de vue astrochimique, car cette
étape correspond à ce que les cosmochimistes appellent la nébuleuse protosolaire, et
qui constitue leurs conditions initiales. Ce domaine de recherche est en expansion
fulgurante, grâce aux progrès instrumentaux, et l’on comprend avec indulgence qu’il
règne encore une certaine confusion concernant les dénominations des objets, certains
auteurs adoptant le point de vue des disques, parlant ainsi de Stage plutôt que de
Class (Harsono et al.). Les mesures de masses des disques, enveloppes, et même étoiles
centrales, sont également à prendre avec précautions (Favre et al. 2013; Guilloteau et al.
2014) même s’il est clair que la masse des disques est dominée par le gaz. C’est ce gaz
primordial (au sens des cosmochimistes) qui va former, en ∼10 millions d’années, les
planètes géantes gazeuses (dites joviennes). Le disque devient alors un disque de débris,
dont la masse est dominée par des poussières résultant des collisions/évaporation de
30
planétésimaux (de taille ∼ 1 km). Les planètes telluriques se forment au cours de cette
phase, à partir des planétésimaux. La vision astrochimique actuelle des disques, jeunes
ou évolués, propose un découpage de la structure verticale en trois zones : la zone
supérieure, exposée au rayonnement UV interstellaire et UV/X de l’étoile centrale, la
région intermédiaire dite moléculaire (1 − 3 échelles de hauteur hydrostatique, nH ∼
106 cm−3 ), et le plan du disque où les densités sont les plus grandes (nH ≈ 108 cm−3
à 100 AU) et qui sont exposés aux seuls rayons cosmiques (voir Fig. 2.5). Cette vision
de bon sens manque encore de preuves observationnelles, car l’opération qui consiste à
inverser l’émission moléculaire en structure verticale demeure sous-contrainte et donc
hautement dégénérée (pour une discussion, voir Dutrey et al. 2014). Les modèles
de disques actuels peuvent se découper en deux grandes catégories : ceux utilisant
une paramétrisation des disques afin de prendre en compte les processus de transfert
de rayonnement et chimiques, et ceux paramétrisant les détails de ces processus afin
de résoudre la structure du disque à partir des équations de la dynamique (pour une
revue, voir Henning & Semenov 2013). Les modèles de physico-chimie des disques sont
également rendus complexes par la poussière dont le rôle est certainement central, mais
dont les propriétés (nature de la surface – dont dépendent les énergies de liaison des
molécules –, distribution de taille, température, état de charge) sont très peu connues.
Les disques de transition, d’âge ∼ 106 an, entre disque protoplanétaire et disque
de débris, sont caractérisés par la formation des planètes joviennes (Espaillat et al.
2014). Établir la quantité de gaz et sa composition dans ces disques de transition est
donc essentiel pour comprendre l’origine de la composition et la formation des planètes
géantes. Nous avons ainsi mis en œuvre un programme d’observation multi-longueur
d’onde, d’étoiles jeunes, pré-séquence principale, de masse ∼ M , situées dans les 100 pc
autour du Soleil, et qui continuent d’accréter du gaz depuis leur disque circumstellaire.
Les âges de ces étoiles, ∼ 6−12 Man, laissent penser que les disques qui les entourent ont
déjà formé des embryons de planètes géantes, mais contiennent encore du gaz comme
l’attestent les signatures d’accrétion sur l’étoile centrale. Parmi ces objets, TW Hya
est l’une des plus étudiées. Le disque moléculaire, vu presqu’exactement de face, et
découvert par Zuckerman et al. (1995) a été récemment observé avec ALMA résolvant
le disque de CO (diamètre ∼ 250 AU). La région centrale, où CO est le plus intense
et le plus abondant, est également dépourvue de N2 H+ dont la distribution spatiale
révèle un anneau de largeur ∼ 50 AU (Qi et al. 2013). Le trou central en N2 H+ résulterait
de la recombinaison dissociative N2 H+ + CO −−→ HCO+ + N2 , dans une région où CO
redevient abondant en phase gazeuse par désorption thermique. D’autres étoiles du
voisinage solaire, similaires à TW Hya, sont entourées de disques dont la composante
moléculaire n’a pas encore été totalement intégrée à la poussière (Kastner et al. 2008,
2010; Sacco et al. 2014).
Les espèces usuelles détectées dans les disques sont CO, HCO+ , et isotopes du carbones, ainsi que quelques espèces azotées (HCN, HNC, CN), peu d’espèces soufrées
(CS, SO) (Dutrey et al. 1997; Kastner et al. 1997; Guilloteau et al. 2013). Bénéficiant de la
récente augmentation de grandes largeurs de bande instantanée des récepteurs hétérodynes, nous avons entrepris les premiers relevés spectraux non biaisés de disques de
transition autour de TW Hya et V4046 Sgr, à l’aide du radiotélescope APEX basé au
Chili, et de LkCa 15 à l’IRAM-30m. Ces observations n’ont pas révélé de nouvelles
31
espèces. Cependant elles montrent que C2 H présente des raies très intenses, facilement
détectées, dont la structure hyperfine peut être exploitée pour contraindre leur opacité
et leur température d’excitation. Dans le cas de TW Hya, le flux dans les raies de CN
est aussi important que dans CO(3-2) (voir Fig. 2.5). La structure hyperfine de CN est
facilement résolue dans ce disque vu presque de face. Les conditions d’excitation de
C2 H et CN, probablement sous-thermiques (Kastner et al. 2014), n’ont pas encore pu
être reproduites par nos modèles physico-chimiques. Une piste consiste à étudier l’évolution des propriétés radiales des poussières. En particulier, les conditions dans le plan
des disques reste une question ouverte, car aucun traceur de ces regions n’a pu être
observé avec certitude. Nos résultats donneront lieu à des observations complémentaires dédiées à la mesure des conditions d’excitation de certains traceurs dont les voies
de formation chimique apportent des contraintes sur des régions différentes du disque
(photodissociation en surface, gaz plus dense vers le plan, voir Fig. 2.5). La modélisation
de l’émission de ces molécules devrait permettre de contraindre la structure physique
verticale des disques, notamment la température cinétique du gaz, qui est une donnée
essentielle aussi du point chimique puisqu’elle contrôle la déplétion. Notons également l’absence de détermination de la fration d’ionisation dans les disques. Sur toutes
ces questions, des avancées majeures seront effectuées dans les toutes prochaines années, grâce principalement aux interféromètres (sub-)millimétriques (ALMA, NOEMA,
eSMA).
L’ionisation du gaz moléculaire
Vaupré, Ceccarelli, Hily-Blant, Montmerle, & Dubus (2014)
Ceccarelli, Hily-Blant, Montmerle, Dubus, Gallant, & Fiasson (2011)
Dans les régions denses du milieu interstellaire, l’ionisation est assurée par des
particules de haute énergie dont la profondeur de pénétration est largement supérieure
à celle des photons UV. établie. Ces rayons cosmiques, principalement des protons, ont
des énergies atteignant ∼ 1020 eV ont une densité d’énergie ≈ 1 eV cm−3 , comparable
à celle de l’énergie cinétique non thermique et à celle du champ magnétique (Ferrière
2001; Cox 2005). De ce fait, ces protons interagissent avec le champ magnétique qui
parvient à les confiner dans la galaxie et les rayons cosmiques inondent l’ensemble
de la galaxie. Le terme rayon est en fait trompeur car les particules du rayonnement
cosmique ne se propagent pas en ligne en droite, compliquant d’ailleurs l’identification
des sources des rayons cosmiques. Cependant, il est généralement supposé que ces
particules acquièrent leur énergie (de l’ordre du GeV au TeV) dans les chocs produits
par l’explosion des supernovæ, à l’interface entre le gaz choqué et le milieu interstellaire
ambiant. Lorsque ces particules s’échappent du front du choc, elles se propagent dans
le milieu interstellaire, et leurs grandes énergies les rend capables d’ioniser n’importe
quel élément ou espèce chimique. L’origine des particules de plus hautes énergies est
très probablement extragalactique.
L’un des effets notables des rayons cosmiques serait la production de rayonnement
γ de très haute énergie (> TeV) par désintégration de mésons π0 qui résultent de la
32
collision entre un proton de haute énergie avec un atome d’hydrogène de basse énergie
du milieu interstellaire. Dans ce mécanisme, l’énergie caractéristique des photons γ est
∼ 10% celle du proton de haute énergie (pour une revue, Montmerle 2010). L’effet des
rayons cosmiques se fait également sentir dans les parties denses du milieu interstellaire,
où ils pilotent la chimie en effectuant l’ionisation primaire de H2 et He qui représentent
> 99% de la matière cosmique baryonique. L’ion H+2 réagit alors immédiatement avec
l’hydrogène moléculaire selon H2 + H+2 −−→ H+3 + H. L’ion H+3 ainsi produit joue un
rôle fondamental dans la chimie interstellaire car il réagit rapidement ensuite avec des
espèces neutres comme CO, O, ou N2 (Martin et al. 1961; Herbst & Klemperer 1973; Oka
2013). Le taux d’ionisation par les rayons cosmiques ζ est donc un paramètre central
de la chimie interstellaire. Dans le CNM diffus ou dense respectivement, les valeurs
sont ∼ 10−15 à 10−17 s−1 (McCall et al. 2003; Dalgarno 2006). Quelle est l’origine des
rayons cosmiques ? Comment leur propagation dans le milieu interstellaire affecte-telle leur distribution en énergie, et quel est le taux d’ionisation du gaz par les rayons
cosmiques ? Les rayons γ résultent-ils de processus hadronique (protons) ou leptonique
(électrons) ? Ces questions saillantes, à l’interface entre hautes (TeV) et basses (meV)
énergies, sont la source d’intenses débats dans de nombreuses problématiques liées
au milieu interstellaire, notamment la formation stellaire et planétaire. Répondre à
ces questions permettrait par exemple de connaître l’état d’ionisation du gaz et donc
en grande partie sa composition chimique, ainsi que le couplage du gaz au champ
magnétique et donc le transport de moment cinétique, apportant de plus une contrainte
forte sur la thermodynamique du gaz dense à travers le terme principal de chauffage.
L’une des difficultés à comprendre la diffusion de rayons cosmiques et à mesurer
l’ionisation qui en résulte, tient en grande partie à ce que la partie à basse énergie
(< 1 GeV/nucléon) de la distribution n’est pas accessible depuis la Terre ou le voisinage solaire, à cause de l’héliosphère et du champ magnétique interplanétaire. Or ce
sont précisemment les rayons cosmiques d’énergie 0.1–1 GeV qui sont responsables de
l’ionisation du gaz (Padovani et al. 2009). Déterminer l’ionisation du gaz moléculaire
présente donc un double intérêt : du point de vue astrochimique, l’ionisation par les
rayons cosmiques est un paramètre essentiel, et du point astrophysique, elle apporte
des contraintes sur la portion basse du spectre (Fig. 2.6). Dans cette perspective, les
associations SNR/nuages moléculaires sont des régions particulièrement prometteuses
Montmerle (1979). En effet, l’ionisation et la production hadronique de rayons γ augmentant avec la masse de gaz cible, on s’attend à une augmentation de production de
rayons γ de très haute énergie (> 100 GeV) et une forte ionisation du gaz moléculaire
dans ces associations.
Ces dix dernières années, de nouveaux instruments dans le domaine MeV-TeV (télescopes au sol HESS, MAGIC, VERITAS, sensibles surtout à très haute énergie > 100 GeV,
et les satellites Fermi-LAT et Agile, sensibles à plus basse énergie, & 100 MeV) ont renouvelé la vision de la galaxie aux hautes énergies (Paneque 2012). En particulier, le gain en
résolution spatiale (< 10’, à comparer à ∼1◦ des observations antérieures) a confirmé la
coïncidence spatiale entre les restes de supernovæ (SNR) et les sources de rayonnement
au TeV (Aharonian 2013). Dans ce contexte, nous avons entrepris l’étude de l’ionisation du gaz moléculaire dans le voisinage de restes de supernovæ d’âge intermédiaire
(∼ 104 ans) pour lesquels des images précises des régions d’émission GeV–TeV peuvent
33
?
280 MeV
Leptonic
mechanism
Hadronic
mechanism
π0 decay
Figure 2.6 – (haut) Le spectre des rayons γ, observé par Fermi-LAT en direction du reste
de supernova W44, présentant une cassure à ∼ 200 MeV. Dans le scénario hadronique de
production des rayons γ par décroissance π0 , le spectre des protons parents (pointillés)
est contraint au-delà de 280 MeV (adapté de Ackermann et al. 2013). (bas) Contribution
différentielle des rayons cosmiques à l’ionisation du gaz, pour les modèles hadroniques
(traits pleins) et leptoniques (tirets) (adapté de Padovani et al. 2009).
être comparées aux cartes d’émission de CO (Aharonian et al. 2008; Aharonian 2013).
Notre méthode repose sur la dépendance avec l’ionisation par les rayons cosmiques, du
rapport des abondances DCO+ /HCO+ dans le gaz moléculaire (Guélin et al. 1977). La
comparaison à des modèles chimiques de régions de photodissociation (Le Petit et al.
2006) permet de prédire l’impact de l’UV sur l’ionisation. Nous avons ainsi trouvé,
en direction du SNR W51, une région moléculaire (W51C) exposée à une ionisation
ζ ≈ 10−15 s−1 , soit de deux ordres de grandeur supérieur à la valeur usuelle dans les
nuages moléculaires (Ceccarelli et al. 2011). L’utilisation de modèles chimiques nous a
également permis de montrer que le gaz observé appartient à une phase particulière de
la chimie interstellaire, dite phase de haute ionisation (HIP Pineau des Forêts et al. 1992;
Le Bourlot et al. 1995). Un résultat similaire a été récemment obtenu en direction d’un
SNR similaire, W28, où une ionisation ∼ 10−15 s−1 est mesurée proche du choc (Vaupré
et al. 2014). De plus, nous avons pu contraindre la propagation des rayons cosmiques
en mesurant l’ionisation dans une région moléculaire située loin du choc et associée
34
à de l’émission au TeV. Dans cette région, l’ionisation mesurée est normale, 10−17 s−1 ,
démontrant que cette région n’est pas surexposée aux rayons cosmiques ∼ GeV. Cette
conclusion, en accord avec les modèles de diffusion des rayons cosmiques qui prédisent une longueur de diffusion plus grande pour les particules de plus grande énergie,
apporte une contrainte quantitative sur la longueur de diffusion des particules de basse
énergie (Vaupré et al. 2014). Ce travail, qui fait l’objet de la thèse de S. Vaupré (20122015), se poursuit par l’observation d’un autre SNR, W44, pour lequel le spectre γ a été
mesuré à très basse énergie (∼ 100 MeV, associé à des protons d’énergies ∼ 1 GeV) par
Ackermann et al. (2013), offrant ainsi une occasion unique de comparaison avec l’effet
de ces protons sur l’ionisation du gaz moléculaire (voir Fig. 2.6). En parallèle, le travail
de Vaupré et al. (2014) a également permis de montrer les limitations de la méthode utilisée, et souligne la nécessité de trouver de nouveaux traceurs de l’ionisation spécifiques
à la phase HIP.
Chimie de l’azote dans les nuages sombres
Le Gal, Hily-Blant, Faure, Pineau des Forêts, Rist, & Maret (2014)
Faure, Hily-Blant, Le Gal, Rist, & Pineau des Forêts (2013)
Hily-Blant, Pineau des Forêts, Faure, Le Gal, & Padovani (2013b)
Hily-Blant, Bonal, Faure, & Quirico (2013a)
Dislaire, Hily-Blant, Faure, Maret, Bacmann, & Pineau des Forêts (2012)
Hily-Blant et al. (2010b)
? Hily-Blant, Walmsley, Pineau des Forêts, & Flower (2010a)
Hily-Blant, Walmsley, Pineau des Forêts, & Flower (2008b)
Akyilmaz, Flower, Hily-Blant, Pineau des Forêts, & Walmsley (2007)
Dans les nuages sombres, la température est suffisament basse pour que les collisions
de molécules avec des grains conduisent au collage de certaines espèces. Cette déplétion
est très bien établie pour CO et pour la majorité des molécules carbonnées, réduisant
d’autant les chances de suivre la cinématique et les conditions physiques du gaz dans
les régions internes cruciales au processus de formation d’étoiles. D’autres espèces
moléculaires heureusement persistent en phase gazeuse, telles N2 H+ et NH3 (Bergin
et al. 2002; Tafalla et al. 2002). La résiliance en phase gazeuse des espèces azotées était
supposée refléter une énergie de liaison de N et N2 avec la surface glacée des grains,
inférieure à celle des espèces carbonnées, hypothèse ensuite contredite par des mesures
expérimentales (Öberg et al. 2005). Une autre raison invoquée est que, CO détruisant
N2 H+ pour former HCO+ , la déplétion de CO favoriserait la résilience de N2 H+ , qui
devrait en fait coller également sur les grains. L’observation à haute résolution spatiale
d’objets de Classe 0 montrent cependant que N2 H+ disparaît de la phase gazeuse dans
les parties les plus internes, à des densités & 106 cm−3 (Belloche & André 2004), ainsi
que son isotope deutéré (Tobin et al. 2013). En revanche, la déplétion du monoxyde
d’azote NO (Akyilmaz et al. 2007) montre que NO ne peut être le seul médiateur de
la conversion de N en N2 , prélude indispensable à la formation de l’ammoniac (voir
Fig. 2.7). Une autre voie de conversion (CN + N −−→ N2 + C) a donc été suggérée,
35
confirmée par l’observation de CN dans les régions où NO est déplété (Hily-Blant et al.
2008b). Cependant, la possibilité d’une endoénergie ∼ 20 − 40 K pour cette réaction
rendait le mécanisme potentiellement inefficace à des températures . 10 K (Hily-Blant
et al. 2010a). Le corpus d’observations venant contredire la chimie interstellaire de
l’azote (Herbst & Klemperer 1973; Pineau des Forêts et al. 1990) s’enrichissait et montrait
qu’un nouvel examen de cette chimie dans les régions denses, froides, et écrantées du
rayonnement, était inévitable. Les premières observations Herschel/HIFI dans le cadre du
programme clé « CHESS » (Ceccarelli et al) ont amplifié le désaccord avec les modèles :
les structures hyperfines des transitions rotationnelles fondamentales des hydrures
d’azote, NH, NH2 , et NH3 observées en absorption devant le continuum de la protoétoile
IRAS16293-1422, conduisent à des rapports d’abondance en complet désaccord avec
les prédictions. En particulier, le rapport NH:NH2 > 1 n’était reproduit par aucun
modèle (Hily-Blant et al. 2010b). Ces rapports, NH/NH2 et NH3 /NH2 , fournissent des
contraintes fortes aux modèles chimiques, car ces hydrures sont les produits d’une
même chaîne de réactions (Fig. 2.7). D’autres questions, plus anciennes, s’ajoutent à
la liste des problèmes. La production d’ammoniac en phase gazeuse est insuffisante
par rapport aux observations (Herbst et al. 1987), suggérant le recours à des réactions
d’hydrogénation de l’azote à la surface des grains (Wagenblast et al. 1993), à moins de
supposer que la réaction de N+ avec H2 (o) se produit sans barrière (Le Bourlot 1991).
Le rapport d’abondance HNC/HCN à basse température qui varie entre 1 et 10 (Hirota
et al. 1998) et augmente fortement à plus haute température (Schilke et al. 1992), alors
que ces isomères, provenant tous deux de la recombinaison dissociative de HCNH+ ,
sont prédits avec un rapport de 1.
J’ai donc entrepris un programme d’observations avec le satellite Herschel, rassemblant une équipe internationale, et obtenu les 30 heures de temps demandées (Open
Time Cycle 1). Ces observations visent l’ensemble des molécules clés de la chimie de l’azote dans les nuages sombres. Le but du projet est d’assurer une base observationnelle à
une révision complète de la chimie interstellaire de l’azote. En parallèle, j’ai également
obtenu de la Région Rhône-Alpes le financement d’une thèse de doctorat, assorti d’un
budget de fonctionnement assurant le déroulement de la thèse. La thèse de Romane Le
Gal, a ainsi débuté en Octobre 2011. Ces observations Herschel ont été accompagnées
par plusieurs programmes d’observations à l’aide de radiotélescopes au sol (IRAM en
Espagne, CSO à Hawaï). La stratégie adoptée consiste à coupler observations, théorie,
et modélisation numérique.
Reprenant l’idée de Le Bourlot (1991) d’un taux différent pour la réaction de N+
avec H2 (o) et H2 (p), qui repose sur la grande différence d’énergie interne entre ces deux
isomères (le niveau fondamental d’H2 (o) étant 170.5 K au-dessus du fondamental de
H2 (p)), nous avons établi des taux en accords avec les données expérimentales (Dislaire
et al. 2012). Nos résultats suggèrent qu’une partie seulement de l’énergie interne d’H2 (o)
est utilisée lors de cette réaction. Ces taux sont ainsi d’un à deux ordres de grandeur
inférieurs aux taux utilisés précédemment. En conséquence, l’abondance globale des
hydrures diminue. Concernant leurs rapports d’abondances, l’ouverture d’un canal
vers NH de la recombinaison dissociative N2 H+ + e – −−→ NH + N avec une probabilité
< 10% nous permet d’expliquer le rapport NH:NH2 > 1. Ceci souligne l’importance des
réactions de recombinaison dissociative qui possèdent généralement plusieurs voies de
36
Figure 2.7 – Principales voies de formation et destruction des molécules azotées simples
dans les nuages sombres. Les hydrures (en bleu) et nitriles (rouge) forment deux familles
reliées uniquement par des réactions marginales (Hily-Blant et al. 2013a).
sortie dont les poids relatifs, ou rapports de branchement, sont difficilement mesurables.
Les mesures expérimentales du rapport de branchement de cette réaction semblent
aujourd’hui converger vers ≈ 7% (Vigren et al. 2012), tout à fait en accord avec nos
prédictions. De plus, nous avons montré que le rapport NH:NH2 permet de mesurer
le rapport ortho/para de H2 , puisque seule l’abondance de NH2 , qui dérive de NH+ ,
dépend de ce rapport o/p, alors que NH provenant essentiellement de N2 H+ , n’en
dépend pas. En outre, les abondances des trois hydrures permettent de contraindre le
rapport des abondances de carbone et d’oxygène en phase gazeuse, et conduisent à
C/O=0.8.
Plus généralement, la prise en compte des modifications (ou isomères) de spins de
H2 est essentielle pour reproduire les abondances observées de certaines espèces telles
que les hydrures d’azote. Les abondances relatives des isomères de spins résultent de
processus microphysiques qui sont, pour certains, encore très mal compris, comme par
exemple la conversion ortho/para dans les glaces à la surface des poussières (Le Bourlot
2000). En effet, seules les transitions radiatives magnétiques sont permises entre l’une
et l’autre espèce, transitions qui pourraient être favorisées par la présence de défauts
dans la structure cristalline des grains, les rendant ainsi diamagnétiques. Dans le gaz,
37
les conversions radiatives spontanées entre isomères de spins sont bien trop lentes,
et par exemple pour H2 , le temps caractéristique est ∼ 1013 an (Pachucki & Komasa
2008), supérieur à la durée de vie des nuages moléculaires, et à l’âge de l’Univers.
En conséquence, les différents isomères de spins peuvent être considérés comme des
espèces chimiques distinctes, et le mécanisme de conversion est celui de l’échange de
particules, comme par exemple H2 +H+3 −−→ H2 +H+3 (Dalgarno et al. 1973). Les rapports
d’abondances des isomères de spins peuvent s’avérer des indicateurs très fins des
conditions thermodynamiques, et également des échelles de temps en jeu. Par exemple,
derrière un choc dissociatif (Wilgenbus et al. 2000), H2 se reforme sur les grains, avec un
certain rapport o/p, disons 3:1. Le gaz est donc rempli d’un mélange 3:1 sur une échelle
de temps courte associées au choc, plus courte que celles des conversions en phase gaz.
On obtient ainsi des rapports inférieurs à 3:1 mais supérieurs à ce qui serait attendu
si les conversions avaient le temps d’opérer. Par ailleurs, ces rapports d’abondances
sont également très sensibles à la température, car généralement, les réactions inversent
possèdent des endoénergies de l’ordre de la différence d’énergie de point zéro entre les
deux espèces.
Nous avons ainsi développé cette expertise dans notre équipe 5 . La prise en compte
de règles de sélection imposées par la conservation de la symétrie de la fonction d’onde
de spin nucléaire lors des réactions d’échange de particules (ici des protons) a permis de
déterminer les rapports de branchements des réactions intervenants dans la production
des hydrures d’azote (Rist et al. 2013). Ce travail permet de traiter précisemment et de
façon cohérente avec la conversion o/p de H2 , la formation des isomères de spins des
espèces azotées, notamment l’ammoniac, pour qui un rapport interdit par l’équilibre
thermodynamique est observé dans les lignes de visées diffuses. La prise en compte
cohérente et rigoureuse de ces règles de sélection a montré que le rapport o/p=0.7 de
NH3 mesuré découle naturellement dans un gaz enrichi en H2 (p) (Faure et al. 2013).
Cela montre aussi le rôle clé joué par le rapport o/p de H2 dans la chimie interstellaire,
et l’importance de le prendre en compte de manière rigoureuse.
Au terme de la thèse de Romane Le Gal, les réactions de formation et de destruction
des hydrures d’azote ont été revus intégralement, tout en prenant en compte de manière
cohérente les différents isomères de spins portant sur les noyaux d’hydrogène (Le Gal
et al. 2014). Dans notre approche, la déplétion est prise en compte de façon simplifiée
car elle est appliquée aux abondances initiales et n’est pas suivie au cours du temps.
Les abondances initiales sont ici estimées en soustrayant aux abondances cosmiques
les quantités intégrées dans la partie réfractaire des grains interstellaires et dans les
glaces à leurs surfaces. Cette approche est donc différente de celle des modèles gazgrains qui traitent la déplétion de façon dynamique (e.g. Taquet et al. 2012). Dans ces
modèles, l’adsorption est suivie au cours du temps et requiert donc des mécanismes
de désorption efficaces pour maintenir les métaux dans le gaz. Le réseau présenté dans
Le Gal et al. (2014) n’inclut pas non plus la photodissociation qui, dans les régions de
faible extinction (AV . 1 mag), pourrait, si elle était suivie au cours du temps, affecter le
rapport H2 (o)/H2 (p) et donc l’ensemble de la chimie. Ce réseau est néanmoins, du point
de vue des hydrures d’azote, le plus complet et le plus à jour, et permet de prédire la
5. Dans ce contexte, Claire Rist, enseignante-chercheur spécialiste de mécanique quantique et collisions
moléculaires, a obtenu un « Congé pour recherches et conversions thématiques » pour l’année 2012-2013.
38
?
ALMA
Figure 2.8 – Rapport isotopique 14N/ 15N mesuré dans le système solaire et dans le
milieu interstellaire. La valeur terrestre est 272, diffère significativement du rapport
mesuré dans le vent solaire (440, Marty et al. 2011) est représentatif du gros de la masse
de la nébuleuse présolaire. Adaptée de Hily-Blant et al. (2013a).
composition chimique du gaz à des températures jusqu’à 50 K.
Héritage chimique de la nébuleuse protosolaire
Hily-Blant, Pineau des Forêts, Faure, Le Gal, & Padovani (2013b)
? Hily-Blant, Bonal, Faure, & Quirico (2013a)
Sous quelles formes les espèces chimiques ont-elles été incorporées dans les atmosphères planétaires ? Sont-elles les vestiges de la chimie interstellaire, ou ont-elles été
synthétisées in situ ? Répondre à ces questions nécessite de pouvoir suivre une espèce
chimique dans le processus de formation stellaire et planétaire au cours duquel les conditions thermodynamiques varient drastiquement. De nombreux obstacles s’y opposent.
Dans le disque protoplanétaire, le gaz est adsorbé sur les poussières puis incorporé
dans les planétésimaux, et il devient impossible de le tracer observationnellement. Les
rapports isotopiques sont un outil puissant pour associer des espèces moléculaires à
différents moments d’une séquence temporelle, car très peu de processus sont à même
d’altérer ces rapports. Ces réactions de spallation requièrent des énergies très élevées
(> 10 MeV/nucléon) qui peuvent être fournies par les rayons cosmiques. Les rapports
isotopiques de certains éléments peuvent ainsi dévier des valeurs nucléosynthétiques
en raison du bombardement de météorites par les rayons cosmiques (McSween, Jr. &
Huss 2010). Pour l’azote, les réactions de spallation semblent ne pouvoir expliquer les
grandes variations du rapport 14N/ 15N mesuré dans le système solaire (Fig. 2.8), et en
particulier dans les grains présolaires (Jadhav et al. 2012).
Le rapport isotopique de l’azote a été mesuré dans de nombreux objets du système
39
solaire. Ces mesures montrent une grande variablité qui n’est pas comprise. Une bonne
nouvelle cependant est que les deux réservoirs de masse du système solaire, le Soleil
et Jupiter, partagent un rapport isotopique identique, 14N/ 15N = 440 (Marty et al. 2011;
Fouchet et al. 2000). Cette valeur est significativement plus grande que celle mesurée sur
Terre (272) et dans les comètes où les mesures effectuées dans HCN et CN (un produit
de photodissociation de HCN dans la coma) conduisent à ≈ 150. Les chondrites, les
vestiges les plus directs de la nébuleuse protosolaire, contiennent des petites quantités
très enrichies en 15 N, avec 14N/ 15N ∼ 50. Bien que la nucléosynthèse stellaire de ces deux
isotopes soit encore l’objet de débats, le rapport 440 est représentatif de la nébuleuse
protosolaire 6 , et donc devrait se retrouver dans le nuage moléculaire parent. La figure
2.8 montre comment cette valeur se compare avec les mesures interstellaires. Dans
deux cœurs préstellaires, le double rapport H13 CN/HC15 N conduit à 14N/ 15N = 140 −
360, compatible avec le rapport cométaire et terrestre. D’autres mesures interstellaires,
utilisant NH3 et NH2 D, donnent des rapports plus élevés, compatibles (à 2σ) avec la
valeur solaire. Dans le milieu interstellaire, l’écart du rapport isotopique X 14 N/X 15 N
(avec X un porteur quelquonque, par exemple X=HC) à la valeur nucléosynthétique
peut résulter de deux processus : la photodissociation sélective (efficace en champ UV
fort) qui favorise l’espèce la plus abondante, et le fractionnement chimique qui favorise
l’espèce la plus lourde. Ce dernier processus, le seul possiblement à l’œuvre dans les
cœurs préstellaires, requiert des températures inférieures à la différence d’énergie de
point zéro entre X 14 N et X 15 N, . 30 K. Les mesures de H13 CN/HC15 N effectuées dans
les cœurs froids étant inférieures à celles utilisant NH3 dans une région de formation
d’étoile plus chaude, semblent confirmer que le fractionnement chimique est bien à
l’œuvre.
Nous avons proposé une explication fondée sur la chimie interstellaire et sur l’idée
que les différentes valeurs obtenues dans le système solaire reflètent des réservoirs
interstellaires différents (Hily-Blant et al. 2013a). Nous avons identifié deux réservoirs,
les hydrures (en bleu dans la Fig. 2.7) et les nitriles (en rouge), caractérisés par des
valeurs distinctes du rapport isotopique, respectivement normale (440) et enrichie (150).
Ce scénario permet d’expliquer en partie la variabilité des mesures du système solaire,
mais pas les rapports les plus bas. Cette idée se trouve renforcée par le rapport ≈ 500
mesuré dans CN en direction de deux cœurs préstellaires (Hily-Blant et al. 2013b). Les
rapports mesurés dans HCN et CN sont aussi compatibles avec les prédictions obtenues
avec notre réseau chimique dans lesquelles les principales voies de fractionnement de
l’azote ont été incorporées. Par ailleurs, le rapport ≈ 500 dans le CN interstellaire
renforce l’idée que le CN cométaire est bien un produit de photodissociation de HCN.
Enfin, le rapport isotopique mesuré dans des acides aminés d’origine interstellaire est
proche de la valeur terrestre (Elsila et al. 2013), et donc incompatible avec la valeur
solaire. Notre scénario centre la discussion sur la question des réservoirs qui constitue,
de fait, la puissance principale des rapports isotopiques : un rapport reste fidèle au
cours du temps à son porteur. De ce point de vue, les valeurs similaires obtenues pour
HCN dans les comètes et dans les cœurs préstellaires suggèrent qu’il s’agit du même
6. Le rapport isotopique dans le Soleil est estimé à partir de la mesure dans le vent solaire (Marty et al.
2011) en estimant la contribution au fractionnement par l’accélération le vent solaire depuis la photosphère
(∼ 3%) et dans la zone convective du Soleil (∼ 0.7%).
40
HCN. En conséquence, le même rapport suggère que HCN n’est pas représentatif de
l’azote, puisque la valeur protosolaire est 440.
Très récemment, plusieurs mesures cométaires utilisant NH2 donnent un rapport
14N/ 15N ≈ 140 (Rousselot et al. 2014; Shinnaka et al. 2014). Ces nouvelles mesures
posent un problème sérieux : aucune valeur cométaire ne s’approche donc des 440
protosolaires, ce qui nous conduit à conclure qu’aucune des espèces observées dans
les comètes n’est représentative de l’azote protosolaire. Or le NH2 cométaire est un
produit de la photodissociation de NH3 . La discordance avec le rapport mesuré dans
l’ammoniac dans les régions de formation d’étoile indique donc qu’il ne s’agit pas du
même ammoniac. Des avancées majeures sont à attendre, à très court terme, sur cette
qestion. En effet, les rapports isotopiques seront probablement mesurés in situ par la
sonde ROSETTA dont on peut espérer qu’elle nous révèle le réservoir de l’azote dans les
comètes. Par ailleurs, comme indiqué sur la Fig. 2.8, les disques protoplanétaires sont
les pièces manquantes du puzzle. Grâce à l’observatoire ALMA (Hily-Blant et al, cycle
2), nous allons bientôt combler ce vide, et mesurer le rapport 14N/ 15N dans CN et HCN,
profitant de l’intensité exceptionnelle de ces raies dans le disque autour de TW Hya.
[
\
Résumé
C
e voyage dans la physico-chimie du milieu interstellaire, des nébuleuses protosolaires aux nuages moléculaires, a permis d’illustrer ce passage du microscopique
au macroscopique dans le dialogue entre astrophysique et astrochimie. Ce sont les conditions exceptionnelles du milieu interstellaire (basse température, basse pression) qui
révèlent à des échelles astronomiques des effets microscopiques dont la compréhension
nécessite de pousser sans cesse les limites des capacités expérimentales et numériques,
et aussi des calculs théoriques, par exemple la précision des surfaces d’énergies collisionnelles.
Mon activité scientifique est centrée autour de la physico-chimie du milieu interstellaire. À ma vision dynamique, forgée sur l’étude de la turbulence et du champ magnétique des nuages moléculaires, j’ajoute un nouveau regard, celui de l’astrochimie.
Simultanément, mon champ d’action s’élargit – nuages moléculaires, régions de formation d’étoile, protoétoiles, disques protoplanétaires, nébuleuse protosolaire, système
solaire – tout en combinant observations, modélisation, et théorie, grâce à des collaborations locales, nationales, et internationales auxquelles je me suis intégré ou que j’ai
41
moi-même mises en place.
42
3
Projet de recherche
g
Des nuages moléculaires
aux systèmes planétaires :
conditions initiales
h
[
\
Présentation
M
es activités de recherche sur les propriétés de la turbulence des nuages moléculaires et sur la chimie interstellaire de l’azote me permettent d’entrevoir de nouvelles pistes de recherche de portée plus générale et d’importance fondamentale. Ces
travaux s’inscrivent dans la question générale de la transmission du patrimoine chimique au cours du processus de formation stellaire et planétaire. Ce processus condense
le gaz interstellaire depuis les phases diffuses des nuages moléculaires aux phases très
denses des étoiles et atmosphères planétaires. Comment se forment les cœurs denses ?
Sur quelles échelles de temps et par quels processus ? Quel est le rôle des chocs et
du champ magnétique dans la formation des filaments et des surdensités ? Comment
évoluent les abondances des espèces chimiques au cours de cette séquence ? Quelle complexité le gaz atteint-il avant d’être incorporé dans les atmosphères des planètes ? Comment se construit la complexité moléculaire dans les phases antérieures à la nébuleuse
protosolaire ?
Mon projet de recherche combine une vision dynamique et une vision chimique
de l’évolution de la matière interstellaire. La problématique est celle des conditions
initiales, dynamiques et chimiques, du processus de formation stellaire et planétaire.
Mon projet astrochimique porte sur la question fondamentale des abondances initiales
dans les nuages moléculaires, qui aura un impact dans de nombreuses thématiques de
recherches portant sur le cycle de la matière interstellaire, et notamment la formation
stellaire et planétaire. Ce projet ne porte pas spécifiquement sur la modélisation de la
chimie dans les cœurs en effondrement, ou sur la formation de certaines molécules dans
les disques protoplanétaires, etc. Ce projet vise plutôt une problématique fondamentale
et transverse à toutes ces questions. Mon projet astrophysique porte sur les propriétés de
la turbulence des nuages moléculaires. Il s’agit d’utiliser les nouveaux observatoires et
instruments (ALMA, NOEMA, IRAM-30m) pour déterminer les propriétés statistiques
et les structures de la turbulence. C’est un projet essentiellement observationnel qui
requiert en parallèle une analyse de la chimie de CO et le développement d’outils
de modélisation et d’analyse adaptés à cette problématique. Pour ces deux branches de
mon projet général, je détaille ci-dessous les pistes nouvelles que je souhaite développer
et explorer. Le déséquilibre entre la partie essentiellement astrochimique et la partie
essentiellement astrophysique reflète l’impact instrumental sur ces thématiques. Dans
le cas de la turbulence de nuages moléculaires, les limitations instrumentales ont été
prédominantes depuis mes premiers travaux, et les développements instrumentaux
récents et à venir vont renouveler ce champ d’investigation, nous conduisant à formuler
différement des questions anciennes et à en poser de nouvelles.
La problématique de ce projet est éminement interdisciplinaire : physique quantique,
chimie quantique, cinétique chimique, collisions moléculaires, interactions matière / ray44
onnement, magnéto-hydrodynamique. Elle fournit le cadre de ma recherche pour les
cinq années à venir. Elle soulève cependant des questions d’envergure qui requièrent la
conjugaison de toutes les méthodes à disposition : observations astronomiques, modélisation numérique, théorie, expérimentation. Bien évidemment, comprendre et prédire
l’évolution de la matière interstellaire au cours de l’ensemble de ce processus déborde
le cadre d’un projet de recherche sur cinq ans. Il faut impérativement établir des collaborations et tâcher d’isoler quelques points saillants. Mon activité future s’insère
intégralement dans ce paysage interdisciplinaire. Elle s’inscrit dans le prolongement
de mes activités présentes, tout en développant mon expertise « astrochimique ». Je
décrirai ci-dessous uniquement les activités nouvelles que je souhaite développer.
Ces deux projets n’en font, en dernier recours, qu’un seul. Les approches astrochimique et astrophysique se nourrissent mutuellement supprimant la frontière entre les
deux regards. Comme souligné dans les chapitres antérieurs, l’astrochimie du gaz
moléculaire ne peut être comprise qu’en la combinant à la vision dynamique. De même,
comprendre la turbulence des nuages moléculaires repose en grande partie sur nos
connaissances astrochimiques. Ces deux projets véritablement intriqués concourent à
la maturation d’une vision simultanément globale et détaillée du milieu interstellaire.
[
\
La confrontation des observations aux modèles
L
’astrophysique, comme toute branche de la physique et des sciences naturelles,
cherche à expliquer les phénomènes observés. En sa qualité de science, elle doit
avoir un pouvoir prédictif, et falsifiable. Ces trois caractéristiques essentielles imposent
leurs marques sur la méthodologie. L’astrophysique est de plus soumise à deux conditions aux limites infranchissables : d’une part l’impossibilité d’observations in situ, et
d’autre part la projection bidimensionnelle d’un espace tridimensionnel. Bien entendu,
des parades permettent de s’affranchir – mais en partie seulement – de ces contingences.
Les modèles, mêmes très simples, jouent ici un rôle central. Ces modèles peuvent être
analytiques ou numériques, ou à mi-chemin entre les deux. Mais toute médaille ayant
deux faces, si l’utilisation des modèles peuvent faciliter et parfaire l’interprétation des
observations, cela suppose qu’on ait pu définir au préalable des observables qui puissent
êtres comparées à ces modèles. La définition d’observables pertinentes est une difficulté
majeure. Mon projet de recherche repose sur la combinaison de plusieurs approches,
incluant observations et modélisation. La question de la comparaison entre modèles et
45
observations est donc un point clé du succès des travaux envisagés.
La détermination des abondances est l’une des difficultés majeures en astrochimie
observationnelle dont les conséquences débordent largement du seul champ de l’astrochimie. La difficulté tient essentiellement aux conditions d’excitation et au transfert
du rayonnement dans une structure tridimensionnelle en général mal connue. Le problème vient aussi des modèles qui doivent également simplifier la structure physique
de la source. Du point de vue observationnel, la détermination d’une abondance x(X)
nécessite de connaître la densité de colonne de l’espèce X et la quantité totale de gaz
NH , x(X) = N(X)/NH . Aucune des deux densités de colonnes n’est généralement très
bien contrainte. On peut s’affranchir de l’incertitude sur NH en considérant des rapports
d’abondances d’espèces qui coexistent spatialement (voir Section 2.2) :
x(X1 )/x(X2 ) = N(X1 )/N(X2 )
De plus, si les espèces ont des propriétés spectroscopiques similaires (niveaux d’énergie, moment dipolaire, coefficients d’excitation collisionelle), les conditions d’excitation seront proches, diminuant encore les incertitudes. En amont, c’est l’analyse détaillée
de la chimie qui permet de choisir les espèces X1 et X2 qui apporteront les contraintes
les plus fortes. C’est cette méthodologie que nous avons adoptée pour l’analyse de la
chimie de l’azote, en utilisant les rapports des abondances des hydrures. Le rapport
HCN/HNC en est une autre illustration. Bien entendu la détermination des conditions
d’excitation est un travail important, et plusieurs niveaux d’approximation s’offrent
à nous (ETL, LVG, Monte Carlo, etc). L’utilisation d’espèces possédant une structure
hyperfine peut aussi faciliter la détermination des conditions d’excitation. Chaque approximation présente ses avantages et inconvénients, et les méthodes les plus complexes
ne sont pas nécessairement les plus adaptées.
[
\
Turbulence des nuages moléculaires
D
e la turbulence des nuages moléculaires, nous ne savons en définitive presque
rien : les questions les plus générales demeurent. Pêle-mêle : échelles d’injection
et de dissipation, mécanisme de dissipation (viscosité moléculaire, reconnection magnétique), rôle du champ magnétique, nature du forçage (compressif, solénoïdal, échelles),
etc. Mais il n’y a pas à rougir, car de la turbulence expérimentale, si on en connaît bien
aujourd’hui les propriétés statistiques, on peine encore à connaître les structures qu’elle
46
abrite. Sur cette dernière question, de récents développements instrumentaux (Particle
Image Velocimetry, Lagrangian Particle Tracking) permettront de suivre en trois dimensions les trajectoires, vitesse, et rotation, de particules bouées dans un écoulement
turbulent.
Pour caractériser les propriétés de la turbulence interstellaire, il est tout à fait naturel
et souhaitable, d’utiliser les outils statistiques développés pour l’étude de la turbulence
expérimentale. La plupart des études de la statistique du champ de vitesse des nuages
moléculaires se concentrent sur les fonctions de structure d’ordre 1 et 2, qui ne permettent pas de différencier la variété des modèles théoriques. Cela tient principalement aux
difficultés rencontrées dans le calcul des fonctions de structure, qui ont été précisées
Section 2.1. Notamment, la calibration des données, l’homogénéité du champ observé,
et la dynamique spatiale, imposent des contraintes fortes. L’ordre maximal des fonctions
de structures qui peuvent être calculées de manière significative dépend principalement
de la taille de l’échantillon et également du niveau d’intermittence Dudok de Wit (2004).
Une limitation peut-être plus forte tient à ce que les observations hétérodynes ne
mesurent que des décalages Doppler, dont il est redoutablement difficile d’extraire la
vitesse du gaz le long de la ligne de visée. Il semble plus simple de partir de simulations numériques 3D de la dynamique du gaz moléculaire, et de construire le décalage
Doppler directement à partir des champs 3D de vitesse et de densité. À partir de ces
cartes de décalages Doppler, il deviendrait possible de tester les différentes méthodes d’analyse, telle celle des centroïdes de vitesse ou d’autres (Roman-Duval et al. 2011). Pour
simuler les spectres émergeants par exemple du monoxyde de carbone, il faut idéalement résoudre au cours du temps la chimie simultanément avec la dynamique (Glover
et al. 2010), au prix de la simplification de la chimie (Glover & Clark 2012). Toutefois, il
est plus courant de rencontrer une modélisation a posteriori (Roman-Duval et al. 2011)
consistant à considérer une abondance constante, puis à calculer l’émissivité en chaque
point du cube de simulation en supposant l’équilibre thermodynamique local, et enfin à
négliger les effets d’opacité. Ces trois hypothèses sont évidemment fausses en général,
et particulièrement dans les régions de faible densité, celles-là mêmes qui rassemble une
fraction importante de la masse d’un nuage moléculaire et qui sont responsables des
ailes des raies d’émission (voir Section 2.1). En parallèle, les modèles PDR qui pourtant
intègrent le plus grand nombre de processus microscopiques (Le Petit et al. 2006) ne
parviennent pas à reproduire les densités de colonne de CO observées dans du gaz
moléculaire diffus (≈ 1015 cm−2 pour AV < 0.8 mag Hily-Blant & Falgarone 2007). On
voit donc que la modélisation de spectres de CO à partir de cubes 3D de dynamique
du gaz est loin d’être simple, et en dernière analyse, pose le problème fondamental de
la formation de CO dans le gaz moléculaire diffus. Cette question est sans aucun doute
reliée à celle très générale de la transition atomique-moléculaire, qui résulte de la combinaison de processus photochimiques et/ou thermodynamiques (Sakamoto & Sunada
2003; Sternberg et al. 2014). Une autre limitation, peut-être moins drastique, est que les
simulations numériques 3D ne permettent pas de résoudre spatialement l’ensemble de
la cascade turbulence et en particulier l’échelle de dissipation.
Comprendre les propriétés de la turbulence des nuages moléculaires est l’un des
grands défis pour la physique du CNM. D’après ce qui précède, il semble que les
progrès dépendent de deux facteurs, l’un observationnel, l’autre astrochimique. Le
47
plan observationnel recouvre non seulement l’observation proprement dite, mais aussi
les méthodes d’analyse associées qui doivent permettre de remonter aux champs de
vitesse et de densité. La fiabilité de ces méthodes à saisir les propriétés sous-jacentes des
champs de vitesse et de densité repose inmanquablement sur l’utilisation de simulations
numériques 3D de nuages moleculaires, dont l’observable principale qu’il faut extraire
est une carte de spectres de CO. De nouvelles méthodes de tomographie développées
dans l’étude du vent solaire, qui permettent de reconstruire les structures 3D, pourraient
ainsi être testées (Dudok de Wit et al. 2013). En parallèle, de récentes méthodes de
reconstruction du champ 3D de densité (Ginsburg et al. 2013) et de détermination
du forçage à grande échelle (Brunt & Federrath 2014) pourront aussi être testées et
appliquées. Dans ce contexte, comprendre la formation de CO dans ce gaz diffus est
un problème fondamental dont la résolution fera certainement appel à des modèles
dépendants du temps, potentiellement à plusieurs dimensions. Mon implication directe
dans le développement de ce type d’outil sera au plus marginal, mais mon expertise dans
les propriétés dynamiques et chimiques du gaz moléculaire diffus s’ajoutera utilement
à celles de l’équipe développant le code PDR de Meudon. Les tentatives de mise au
point de ce type de modèles sont encore rares (Bisbas et al. 2012) et laissent envisager
des avancées majeures.
Mais ma conviction profonde est que ce sont les futures observations à haute dynamique spatiale qui apporteront les plus grandes contraintes et nous dicteront les
nouvelles méthodes à développer. Les perspectives instrumentales des 5–10 prochaines
années sont exceptionnelles. Deux observatoires vont jouer un rôle central : l’IRAM et
ALMA. L’IRAM-30m va se doter dans les prochaines années d’une caméra hétérodyne
dans la bande à 3 mm, permettant l’observation de CO(1-0) sur des échelles de ∼ 10 pc
avec un résolution de ∼ 0.02 pc. La combinaison avec l’interféromètre NOEMA permettra alors d’observer la cascade turbulente sur 5 décades spatiales (0.001 à 10 pc) dans un
unique et même environnement. Le gain en sensibilité obtenu avec l’arrivée prochaine
de l’interféromètre NOEMA permettra de reprendre l’étude initiée par Falgarone et al.
(2009) qui avait mis en évidence des structures de vitesse à très petite échelle (∼ 300 UA).
Quant à ALMA, il permettra de sonder la cascade turbulence à des échelles encore plus
petites, ∼ 30 AU, proches de l’échelle de dissipation visqueuse (∼ 1 AU). De plus, le gain
en puissance de cartographie des deux télescopes de l’IRAM permettra d’augmenter la
statistique sur les objets eux-mêmes. Un premier objectif est de répéter l’étude du Polaris Flare dans plusieurs régions de différents nuages présentant des caractéristiques
à grande échelle différentes (taux de formation d’étoiles, masse, latitude galactique).
Une autre question est celle du rôle des jets protostellaires dans l’injection d’énergie
cinétique turbulente. L’échelle à laquelle les jets fournissent de l’énergie cinétique au
milieu environnant a été étudiée numériquement, mais les contraintes observationnelles
manquent cruellement. Plus précisemment, une question qui peut être traitée est celle
de l’impact de la présence de jets sur la statistique du champ de vitesse turbulent. Un
exemple d’étude consistera à comparer au sein d’un même environnement à l’échelle
de ∼ 10 pc, plusieurs régions à des distances variables de protoétoiles.
Pour résumer, il ressort très clairement que le développement formidable des capacités observationnelles doit, pour en tirer profit, être accompagné d’un effort de
modélisation d’observables pertinentes, qui repose lui-même sur une compréhension
48
poussée des processus microscopiques conduisant à la formation du CO diffus qui reste
à établir.
[
\
Héritage chimique de la nébuleuse protosolaire
Le problème des abondances initiales
L
’une des questions fondamentales en astrochimie est celle des abondances des
éléments dans la phase gazeuse des nuages moléculaires vus comme les conditions
initiales de la formation stellaire et planétaire. Même pour les métaux les plus abondants,
à savoir le carbone et l’oxygène, les concentrations en phase gazeuse sont mal connues,
et des variations d’un facteur 2 sont tout à fait envisageables. Un tel facteur peut sembler
ridiculement petit en comparaison des incertitudes sur d’autres grandeurs (par exemple
l’ionisation par les cosmiques ζ). Mais la chimie interstellaire peut s’avérer extrêmement
sensible à certains paramètres, dont ces abondancs du carbone et de l’oxygène. Et la
situation est pire pour l’élément suivant, l’azote, pour qui les espèces que l’on pense
majoritaires, N et N2 ne sont pas observables dans les régions froides. À ces éléments,
il faut enfin ajouter le soufre, dont l’abondance pourtant cruciale en astrochimie n’est
pas connue à mieux que deux ordres de grandeurs.
L’abondance d’un élément interstellaire est généralement définie comme la quantité
de cet élément par rapport à la quantité de noyaux d’hydrogène – le composé de loin le
plus abondant. Les abondances des éléments sont mesurées avec une bonne précision
(< 15%) dans les atmosphères des étoiles, à commencer par le Soleil. Ces mesures
fournissent une liste d’abondances appelées « abondances cosmiques ». Ces éléments,
une fois synthétisés par les étoiles, sont in fine incorporés dans le milieu interstellaire,
soit au cours d’explosion de supernovæ, soit au cours d’épisodes de perte de masse dans
des vents ejectés par les étoiles en fin de vie. La difficulté de la question des abondances
initiales provient de ce que les éléments ne restent pas sous forme atomique en phase
gazeuse. L’abondance initiale d’un élément est son abondance cosmique diminuée de ce
qui est déplété, c’est-à-dire incorporé dans les cœurs réfractaires des poussières, dans
les glaces, et éventuellement dans des espèces non identifées (Jenkins 2009).Quelles
sont les abondances élémentaires initiales disponibles pour alimenter les réactions chimiques
en phase gazeuse dans les nuages moléculaires ? Voilà la question à laquelle je propose
de répondre, pour ce qui concerne le carbone, l’oxygène, l’azote, et le soufre. Il serait
49
aventureux de prétendre épuiser entièrement cette question tant elle est complexe,
fondamentale, et tenace. On peut toutefois élaborer des pistes de recherche le long
desquelles assurément nous pourrons débusquer certaines réponses et mettre sur pied
de nouvelles méthodes pour mesurer ces abondances. J’explicite ci-dessous l’importance
fondamentale des abondances initiales du carbone, de l’oxygène, de l’azote, et du soufre
sur la chimie interstellaire, et donne quelques pistes permettant de les mesurer, en
précisant la méthodologie adoptée.
Carbone, oxygène, azote, et soufre
Concernant l’azote, je considère que la chimie des hydrures que nous avons établie
au cours de la thèse de R. Le Gal est complète. Les prochaines avancées portent sur
la deutération des hydrures, prenant en compte les rapports de branchements entre
isomères de spin. On peut s’attendre à obtenir, par le biais de rapports isotopiques et/ou
d’isomères de spins (par ex. oNH2 D/pNH2 D), de nouvelles contraintes sur la chimie des
hydrures d’azote, et à découvrir des faiblesses dans d’autres parties du réseau de l’azote.
Par ailleurs, l’étude du rapport d’abondance HNC/HCN dans les cœurs denses est en
cours. L’intérêt est que les taux de collisions avec H2 sont disponibles séparément pour
HCN et HNC, donnant des rapports d’abondances plus fiables que dans les travaux
antérieurs, de telle manière que ces observations apporteront des contraintes fortes sur la
chimie des nitriles. Meilleure est notre confiance en la chimie des hydrures et des nitriles,
plus variées sont nos possibilités d’inférer l’abondance initiale de l’azote à partir d’autres
espèces facilement observables. Une contrainte directe viendrait de l’observation de N2
dans le gaz moléculaire diffus par Knauth et al. (2004). Cette mesure n’a toutefois pas
été corroborée le long d’autres lignes de visée, alors que des observations similaires
sont disponibles dans l’archive FUSE. Bien que délicate, l’analyse de ces observations
(C. Gry, priv. comm.) constituera un travail de premier plan, tant elle apporte une
contrainte directe sur la quantité d’azote moléculaire dans le milieu neutre.
Au regard des abondances du carbone et de l’oxygène, des analyses récentes de
mesures d’abondances des éléments dans le gaz atomique, en absorption sur le fond
d’étoiles d’arrière-plan, donnent une idée de leur déplétion, et délimitent un domaine de
valeurs possibles pour leurs abondances initiales (Wakelam & Herbst 2008; Jenkins 2009;
Hincelin et al. 2011). Ces abondances varient d’une ligne de visée à une autre, et globalement l’abondance du carbone peut varier de plus d’un facteur 2, celle de l’oxygène plus
encore. Le rapport de ces abondances est également très incertain, probablement entre
0.2 et jusqu’à 1.5 (e.g. Daranlot et al. 2012; Le Gal et al. 2014). Or ce rapport d’abondance
conditionne fortement les abondances d’un grand nombre de molécules interstellaires.
En effet, si le rapport C/O est inférieur à un, ce qui est généralement supposé, alors la
presque totalité du carbone se retrouve « piégée » dans la molécule CO, et il ne reste
que très peu de carbone en phase gazeuse, alors que l’oxygène restant va permettre la
synthèse d’une grande variété de molécules oxygénées. Une valeur de C/O supérieure à
l’unité aurait l’effet inverse, et d’oxygénée la chimie deviendrait carbonée. Nous avons
proposé une méthode pour mesurer le rapport C/O qui utilise le rapport d’abondance
CN/NO (Le Gal et al. 2014), deux espèces observables depuis le sol dont les structures
50
Figure 3.1 – Illustration de l’influence des abondances initiales sur les abondances,
à l’état stationnaire, d’une sélection d’espèces azotées (conditions physiques fixées :
10 K, nH = 104 cm−3 , AV =10 mag). Ces abondances sont calculées pour plusieurs valeurs
du rapport des abondances totales de carbone sur oxygène, où seule l’abondance de
l’oxygène varie. Différentes régions sont mises en évidence, qui sont séparées par des
sauts d’abondances parfois de plusieurs ordres de grandeurs.
hyperfines facilitent la détermination des conditions d’excitation. Bien que ce rapport
ne donne pas les abondances séparément de C et O, il s’agit là d’une première étape
essentielle.
L’abondance du soufre est elle très mal connue, sinon inconnue. Elle peut varier de
près de deux ordres de grandeur, et est probablement comprise entre quelque 10−8 et
10−6 . La connaissance de son abondance est indispensable si l’on envisage d’expliquer
les abondances des molécules soufrées observées dans les nuages moléculaires, les
cœurs denses, les disques protoplanétaires, ou dans les objets du système solaire.
Le choix du carbone, de l’oxygène, et du soufre, comme cibles de mon projet de
recherche n’est en fait pas seulement lié au fait que leurs abondances initiales soient très
mal connues. Les abondances de ces éléments agissent comme paramètres de contrôle
sur la chimie interstellaire et ont une influence considérable sur l’état chimique du
gaz moléculaire. La Fig. 3.1 montre l’influence du rapport C/O sur les abondances
de quelques espèces azotées : certaines abondances varient de plusieurs ordres de
grandeurs et de façon très brutale avec le rapport C/O. Ce que ne montre pas cette figure,
c’est le caractère biphasique de cette chimie, c’est-à-dire par exemple qu’à une valeur
donnée de C/O peuvent correspondre deux états chimiques stables très distincts ; le
« choix » du système d’évoluer vers l’une ou l’autre des solutions dépend des conditions
51
initiales (par exemple les quantités relatives d’oxygène atomique et moléculaires). La
bistabilité de la chimie interstellaire est ainsi contrôlée par plusieurs paramètres, comme
par exemple le rapport d’abondance C/O, ou l’abondance du soufre (Le Bourlot et al.
1995). Une faible variation de ces paramètres peut faire basculer le gaz d’une phase
de faible ionisation à une phase de haute ionisation – respectivement un électron pour
107 et 104 particules neutres. Or les conséquences de l’ionisation sont profondes et
tentaculaires. En effet, la chimie interstellaire est dominée par les réactions ion-neutre
qui sont les plus rapides et donc les plus efficaces pour la synthèse des molécules. Le
fluide étant globalement neutre, varier l’abondance des électrons c’est aussi varier celle
des ions (positivement chargés). Ainsi, au voisinage des points critiques, une faible
variation de ces paramètres peut modifier très fortement l’état du gaz et donc un grand
nombre d’abondances moléculaires. Cette bistabilité a également des conséquences
thermodynamiques car la chimie est couplée à la température du gaz : par exemple, une
variation de la température modifie la vitesse des réactions donc les abondances, qui à
leur tour altèrent le refroidissement du gaz qui s’effectue par l’émission de photons dans
les raies moléculaires. Le degré d’ionisation du gaz conditionne également l’amplitude
du couplage avec le champ magnétique, avec des conséquences profondes, par exemple
sur la dissipation de la turbulence des nuages moléculaires (donc leur durée de vie), ou
encore sur la physique de l’effondrement des cœurs denses conduisant aux protoétoiles
(durée de l’effondrement, spectre de masse des protoétoiles, etc).
Déterminer les abondances initiales de ces métaux est donc une question centrale
en astrochimie, qui intéresse au premier chef les questions astrophysiques liées à la
dynamique du milieu moléculaire.
Vers la chimie « dépendante du temps »
En dehors de comportements multiphasiques – par exemple la bistabilité de la
chimie interstellaire discutée précédemment – un jeu d’abondances initiales converge
systématiquement vers le même état stationnaire. La discussion précédente s’est concentrée sur les états stationnaires stables de la chimie interstellaire, en soulignant le
rôle déterminant des conditions initiales dans l’évolution du système vers tel ou tel
état. Cependant, l’évolution temporelle, depuis les abondances initiales vers un état
stationnaire donné, peut se faire en suivant plusieurs chemins. S’il est licite, dans certains cas, de s’affranchir de connaître le détail du chemin suivi par le système, il est
d’autres situations qui rendent l’emploi d’une modélisation « dépendante du temps »
de la chimie utile voire nécessaire. C’est le cas par exemple dans les systèmes dont les
échelles de temps (thermo)dynamiques sont comparables ou inférieures aux échelles
de temps chimiques. C’est le cas par exemple des jets moléculaires pour lesquels des
échelles de temps dynamiques ∼ 25 an sont mises en jeu (Cabrit et al. 2012). On sait
aussi que les temps chimiques peuvent être particulièrement longs (∼ 107 an) par exemple pour la chimie de l’azote, qui débute par la conversion N −−→ N2 via des réactions
neutre-neutre (voir Fig. 2.7). Prédire l’évolution des abondances dans un disque protoplanétaire requiert également de connaître celles dans l’enveloppe qui l’alimente. De
même, calculer l’évolution des abondances dans un cœur dense nécessite de connaître
52
les abondances dans le nuage moléculaire, lors de la formation du cœur dense.
Un autre processus, dont on sait qu’il se produit dans les nuages sombres, impose de
prendre en compte la dépendance temporelle de la chimie : l’adsorption des métaux à la
surface des grains de poussière. Ce mécanisme est aussi probablement à la base de la formation des molécules complexes. Or sans mécanisme de désorption efficace, l’ensemble
des métaux finirait dans les glaces en moins de 3 ×105 an (pour une densité > 104 cm−3
Bergin & Tafalla 2007), inférieur au temps de chute libre. Or des molécules métalliques
sont bien observées en direction d’objets ayant des densités même supérieures. Jusqu’à
présent, je n’ai pas considéré de déplétion dynamique, choisissant de supprimer initialement du gaz et pour toute l’évolution temporelle une certaine abondance de métaux.
Cette approche est motivée par l’idée que l’analyse de l’état stationnaire met en évidence certaines voies de formation et de destruction essentielles, et permet parfois une
approche analytique des rapports d’abondance qui offre une compréhension profonde
des ressorts à l’œuvre dans un réseau chimique.
La chimie dépendante du temps est donc parfois incontournable. Certains modèles
calculent l’évolution temporelle des abondances, incluant l’adsorption du gaz sur les
grains, couplée – à des degrés divers – à la dynamique du gaz (e.g. Flower et al. 2005). La
chronochimie se propose d’ailleurs d’utiliser les abondances comme un indicateur de
l’âge chimique des objets. Déterminer l’âge d’un objet à partir des abondances observer
est un problème général d’inversion, et sans une connaissance solide des conditions
initiales, la détermination de l’âge est dégénérée. Inévitablement donc surgit la question
des abondances initiales dans les nuages moléculaires.
Méthodologie
L’expérience que j’ai acquise dans le cadre de mon travail portant sur la chimie interstellaire de l’azote m’a montré l’importance d’une méthode qui combine les approches
observationnelle, numérique, et théorique, en adoptant un regard interdisciplinaire qui
conjugue chimie quantique, collisions moléculaires, transfert de rayonnement, et dynamique du gaz.
J’adopterai, pour la chimie du soufre, une méthodologie semblable à celle que j’ai
mise en place pour l’étude de la chimie de l’azote : identifier les espèces et réactions
importantes afin de constituer une chimie minimale, puis mesurer les abondances des
espèces clés en ciblant en priorité des sources aux conditions physiques typiques des
nuages sombres, bien contraintes et qui limitent les couplages avec le rayonnement. Les
isomères de spin (par ex. H2 S) seront également étudiés. Ce travail conduira donc d’une
part à la mise au point d’une chimie du soufre de base, limitée aux espèces et réactions
principales, et d’autre part à l’estimation de l’abondance initiale du soufre. Pour le
carbone et l’oxygène, la chimie est probablement mieux connue – quoiqu’elle prédise
une abondance d’oxygène moléculaire dans les nuages sombres largement supérieure
aux abondances qui sont déduites des observations. L’originalité du travail consistera à
exploiter la grande sensibilité de la chimie au rapport C/O. La Fig. 3.1 montre que le rapport C/O délimite des phases à l’intérieur desquelles certaines abondances demeurent
à peu près constantes, alors que d’autre varient. Et de plus, certaines abondances et
53
certains rapports d’abondances peuvent varier considérablement d’une phase à l’autre.
Il s’agira ici de définir des observables particulièrement sensibles à la valeur du rapport
C/O, et ainsi mettre au point des méthodes de détermination de ce rapport. Idéalement,
il faudra trouver des méthodes sondant des conditions variées. Ces méthodes observationnelles pourront alors être appliquées pour mesurer, dans chaque objet, la valeur de
ce rapport. Une fois ce rapport connu, la mesure de l’abondance du carbone donnera
aussi l’abondance de l’oxygène. La mesure de l’abondance du carbone reposera sur l’observation à très haut rapport signal/bruit d’un ensemble cohérent d’espèces clés, avec
pour objectif d’établir des contraintes très fortes sur les conditions physiques d’une part,
et une détermination robuste de d’abondances et de rapports d’abondances d’autre part,
grâce notamment à l’utilisation d’isotopes. La réalisation de cartes, même grossières,
de l’émission de ces isotopes apportera un éclairage nouveau sur les variations des
abondances avec la densité et la température (e.g. Bergin & Tafalla 2007). Finalement,
l’observation d’un nombre significatif de molécules carbonées, oxygénées, et soufrées,
permettra de dresser des bilans globaux d’abondances, à comparer aux prédictions
numériques, apportant ainsi des contraintes sévères sur les abondances initiales de ces
espèces.
Le choix des espèces clés est essentiel et proviendra des modèles numériques. Ma
méthode repose sur l’effort constant de limiter la chimie aux réactions clés (pour des conditions thermodynamiques données). Cette approche est distincte, et complémentaire,
de l’approche usuelle (par exemple Wakelam & Herbst 2008) qui consiste à utiliser des
réseaux comportant ≈ 500 espèces chimiques reliées par ≈ 6000 réactions. Ma stratégie
vise au contraire à réduire le réseau à moins d’une centaine d’espèces et d’un millier
de réactions. Pour cela, j’ai développé des outils efficaces qui permettent de suivre,
au cours du temps, les taux de toutes les réactions, et donc aussi celles responsables
de la synthèse et la destruction de n’importe quelle espèce en particulier. Il est alors
possible de distinguer les réactions qui, à aucun moment, ne joue de rôle prépondérant,
et au contraire, celles qui dominent la formation/destruction de cette espèce. Travailler
avec un réseau simplifié présente de nombreux avantages. Principalement, il devient
possible de comprendre les bras de levier importants de la chimie et parfois d’en tirer
quelques expressions analytiques simples. De plus, ce type de réseau permet d’étudier
simplement l’influence des incertitudes sur les constantes cinétiques des réactions.
Dans un premier temps le travail sera dédié aux nuages moléculaires (vus ici comme
conditions initiales des cœurs denses) et aux cœurs denses eux-mêmes. Le choix des
cœurs denses s’inscrira dans la continuité de ceux observés dans mon travail portant sur
l’astrochimie des nuages sombres (Hily-Blant et al. 2010a,b). J’étendrai notre échantillon
de sources aux « Infra Red Dark Clouds » (IRDCs), qui sont les précurseurs présumés
des régions de formation d’étoiles massives. L’intérêt ici réside dans ce que les IRDCs ont
des quantités de matière 10 à 100 fois supérieures à celles des cœurs denses précédents :
potentiellement, ces objets permettront donc d’observer des espèces non détectables
dans les cœurs de plus faible masse. Par ailleurs, la température du gaz des IRDCs est
légèrement plus élevée que dans les nuages sombres peu massifs (∼ 15 − 20 K au lieu
de ∼ 5 − 10 K). L’étude de ces objets permet donc d’étendre l’espace de paramètres dans
lequel la chimie est testée. Les radiotélescopes demeurent les outils de prédilection pour
ces observations.
54
[
\
État de l’art et faisabilité
Théorie, expérimentation, modélisation numérique, observation
Au niveau expérimental, de nouvelles méthodes permettent de mesurer, à basse
température, les taux de réactions d’attachement électronique et de recombinaison dissociative, centrales en chimie interstellaire (voir Smith 2011, pour une revue). Plusieurs
équipes françaises (Bordeaux, Rennes) sont mondialement reconnues dans les mesures
de constantes cinétiques, à basse température, de réactions d’intérêt astrochimique.
L’augmentation de la puissance de calculs permet d’envisager le traitement quantique des collisions entre systèmes ambitieux, comme par exemple le calcul de la surface
du potentiel d’interaction du système méthylformate–hélium (Faure et al. 2011), qui est
le premier système composé d’une molécule complexe (CH3 OCHO). Cette percée a été
effectuée à l’IPAG, au sein de l’équipe Astromol, qui demeure une référence mondiale
en calculs de surface de potentiel pour les collisions moléculaires. Cette expertise locale me permet une collaboration très forte avec Alexandre Faure et Claire Rist. C’est
un atout formidable pour l’interprétation des raies d’émission moléculaires en termes
d’abondances car cela repose sur les calculs d’excitation collisionnelle des niveaux. C’est
grâce à l’expertise théorique de Claire Rist que nous avons pu déterminer les rapports
de branchements de réactions de recombinaison dissociative clés dans la synthèse des
hydrures d’azote. Nous bénéficions aussi d’un centre de calculs très performant basé à
Grenoble (CIMENT), et avons accès aux calculateurs nationaux (IDRIS).
Mon projet fait un recours intensif aux modèles numériques de chimie interstellaire,
qui permettent de calculer les abondances d’espèces chimiques, dans des conditions
thermiques et dynamiques variées. On peut dégager quelques catégories de modèles :
stationnaire vs dépendant du temps, couplage physico-chimique complet ou partiel,
avec/sans rayonnement UV. J’ai personnellement participé au développement de codes
numériques, couvrant l’ensemble des catégories sus-citées 1 : code de chimie « dépendante du temps » (Flower et al. 2005) ; code de chimie dans les chocs (Flower et al.
1985) ; code de chimie dans les tourbillons de Burgers (voir les remerciements dans
Godard et al. 2009) ; code PDR de Meudon (voir les remerciements dans Le Petit et al.
2006; Chapillon et al. 2012) ; code de réduction et analyse de données spectrales CLASS
(développé par R. Lucas, S. Guilloteau, et T. Forveille), utilisé dans tous les radiotélescopes du monde, que j’ai traduit en Fortran90 et augmenté de nouvelles fonctions
pour l’imagerie grand-champ et les relevés spectraux ; code d’analyse des relevés spectraux « Weeds » (Maret et al. 2011). La mise au point et la qualification de méthodes
d’analyse du champ de vitesse de la turbulence des nuages moléculaires nécessitera
1. Ces investissements n’ont pas toujours donné lieu à des publications mais j’ai toujours donné volontiers le fruit de ce travail.
55
l’utilisation de modèles numériques 3D dont l’explosion ces quinze dernières années
est parfaitement représentée dans plusieurs instituts en France (dont l’IPAG). Ces codes
numériques sont une discipline en soi, et dépassent totalement mon domaine d’expertise. Le travail se fera donc ici en collaboration avec les spécialistes de ces simulations.
Au-delà des méthodes numériques employées qui sont cruciales, l’ingrédient essentiel d’un modèle astrochimique est son réseau de réactions chimiques : d’une part
le réseau des réactions lui-même, et d’autre part les constantes cinétiques de chaque
réaction est également crucial. L’établissement d’un tel réseau repose sur des mesures
expérimentales et des calculs théoriques de chimie quantique. Aujourd’hui, il existe
un nombre restreint de réseaux chimiques, la plupart étant publics. Notamment, deux
bases de données (UMIST, OSU/KIDA) permettent de centraliser certaines constantes
cinétiques. Notre réseau est une version réduite de ces grands réseaux publics, que nous
avons hérité de G. Pineau des Forêts et David Flower. Une spécificité de notre réseau est
qu’il traite de façon cohérente les différents isomères de spins nucléaires. Pour l’instant
limitée aux hydrures d’azotes, cette chimie de spin sera progressivement étendue aux
isotopes deutérés, puis aux espèces carbonées et oxygénées (Rist et al).
C’est probabement au niveau observationnel que les avancées technologiques sont
et seront les plus décisives. Elles ouvrent l’âge d’or de l’astrochimie et de la spectroimagerie à haute dynamique spatiale. La décennie qui vient de s’écouler a vu la mise en
place de deux observatoires révolutionnaires : le satellite Herschel, et l’interféromètre
ALMA basé au Chili. Nous bénéficions dans l’équipe Astromol, de la présence de Robert
Lucas, qui a dirigé la mise au point de la calibration de l’instrument ALMA. Par ailleurs,
l’interféromètre du Plateau de Bure composé actuellement de 6 radiotélescopes va être
étendu à 10 dans les 5 années à venir, pour donner le nouvel interféromètre NOEMA.
La mise en place de la 7ème antenne inaugurée au printemps 2014 et une montée en
puissance au cours des années 2014-2020. NOEMA proposera, dans l’hémisphère Nord
des capacités comparables à celles d’ALMA dans certains domaines. Le satellite Herschel a quant à lui permis l’observation de nombreux hydrures de métaux (Gerin et al.
2012) dont les transitions rotationnelles fondamentales au THz sont presque inaccessibles depuis le sol. La caractéristique probablement la plus significative concernant
les développements instrumentaux des cinq dernières années est l’augmentation de
la sensibilité et de la bande passante instantanée des récepteurs hétérodynes utilisés
en radioastronomie (Carter et al. 2012). Ces récepteurs combinés à des spectromètres
numériques à transformée de Fourier permettent d’atteindre des pouvoirs de résolution spectrale ν/δν ∼ 106 sur un intervalle de fréquence > 10 GHz. L’augmentation
de la largeur de bande permet la détection simultanée de plusieurs espèces chimiques
et dans certains cas de plusieurs transitions d’une molécule donnée, réduisant considérablement les incertitudes liées à la calibration et au pointage. En parallèle, les
récepteurs ont atteint un niveau de sensibilité proche de la limite quantique du bruit
de photon (hν/k). La combinaison de ces deux facteurs conduit à un gain de plus d’un
facteur 100 sur le temps de réalisation des relevés spectraux, réduisant au passage les
problèmes de calibration (amplitude, fréquence) inhérents à des observations s’étalant
sur plusieurs années. À court terme, l’IRAM-30m sera équipé d’une caméra hétérodyne
à 3 mm qui complètera l’actuelle caméra HERA fonctionnant à 1.3 mm. Ce radiotéléscope est le seul de l’hémisphère nord qui combine grande couverture spectrale, grande
56
résolution spectrale, et grande résolution spatiale 2 . Le télescope spatial JWST, dans l’infrarouge proche, apportera des observations inédites des glaces interstellaires, dont la
composition est une donnée essentielle dans la détermination des abondances initiales.
Ces progrès instrumentaux en terme de sensibilité et de couvertures spatiale et
spectrale permettent d’augmenter significativement à la fois le rapport signal/bruit, le
nombre de sources visées, et la dynamique spatiale. Ceci est un atout considérable pour
l’ensemble de mon projet. Mon expertise observationnelle en radioastronomie, reconnue
internationalement, englobe l’ensemble des techniques mentionnées précédemment
(spectro-imagerie grand-champ, relevés spectraux, réduction et analyse des données).
Elle est une pierre angulaire de ce projet.
Contextes local, national, et international
Je bénéficie pour cela de l’environnement exceptionnel de l’Institut de Planétologie
et d’Astrophysique de Grenoble. Issu de la fusion du Laboratoires d’Astrophysique et
du Laboratoire de Planétologie de Grenoble en Janvier 2011, cet institut est aujourd’hui
un pôle d’astrochimie de renomée mondiale, puisqu’il regroupe l’étude de toutes les
phases de la matière interstellaire, des nuages moléculaires aux objets du système solaire, et l’ensemble des méthodes possibles (observations, modélisation, théorie, expérimentation). L’implication de l’IPAG dans la mission ROSETTA est également un atout
considérable. Bien que moins directement reliés à mon projet, les instruments SPIROU
et SPHERE, dédiés à l’observation des disques protoplanétaires et à la déctection des
exoplanètes, pour lesquels l’IPAG joue un rôle majeur, fourniront des informations en
lien avec la question de l’héritage chimique des systèmes planétaires.
La France a vocation à consolider sa place centrale dans le domaine de l’astrochimie.
Cela est tout à fait réalisable. Il y a dans le monde peu de communautés comparables
à celle que fédère le Programme National PCMI. La Hollande et l’Espagne ont bien
mis sur pied des programmes de recherche ambitieux en astrochimie. Mais la France
possède un atout de taille : l’Institut de Radio Astronomie Millimétrique, qui développe
et gère les deux meilleurs instruments millimétriques du monde (IRAM-30m, NOEMA).
La participation de la France à l’observatoire ALMA est également significative. Notre
tâche est d’assurer le retour scientifique de ces investissements. Mon projet s’inscrit tout
à fait dans cette perspective.
2. Le JCMT, le CSO, et FCRAO ont cessé ou réduit leurs activités, et l’arrivée du LMT (50m, Mexique)
est toujours incertaine. Seul le 45m de Nobeyama présente des performances intéressantes.
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