Traiter l`anorexie mentale

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Traiter l`anorexie mentale
« Proposer une approche
motivationnelle dans
l’anorexie mentale : une
gageure ? »
Dr Jean VIGNAU
Unité du Post-Adolescent
Service d’Addictologie – CHRU Lille
Caractéristiques de l’anorexie
mentale
• Maladie chronique
• Cachexie progressive chez des jeunes
filles/femmes (en général)
• Obsession continuelle du poids
• Engagement dans des manœuvres visant à
la perte de poids malgré l’émaciation
(hyperactivité, purge)
Traitement de l’anorexie
mentale
C
« e délire hypochondriaque ne saurait être
avantageusement combattu tant que les sujets
restent au milieu de leur famille et de leur
entourage familial […] il est indispensable de
modifier l’habitation et l’entourage, de confier
les malades à des mains étrangères […] si le
refus persiste malgré toutes les instances, il
faut employer l’intimidation et même la
force »
L.V. Marcé - Ann. Med. Psychol. 1860
Source de l’équivoque…
EGO-SYNTONIE
Méconnaissance des
formes à « guérison
spontanée »
Diagnostic tardif
Formes les plus
graves
Sous-estimation des
capacités de mobiliser le
changement
Renforcement
des résistances
Utilisation de
méthodes
« confrontantes »
Révision récente de
prévalence/évolution de
l’anorexie mentale
• Jusqu’en 2007:
– 0.3 (hommes) à 1.2 % (femmes)
– 30 à 40 % de guérison à 5 ans
• En 2007: enquêtes population générale:
– prévalence: 2.2% (femmes)
– 67% guérison à 5 ans: (Finnish Twinstudy- Keski-Rahkonen et al. 2007)
• Aux USA, 3ème maladie chronique de l'adolescente
(après l'obésité et l'asthme)
Mortalité
• 6 % par décade
• SMR* publiés: de 0,71 à 17,8
– Études les plus récentes :
• Canada, 954 sujets (1981-2000): SMR = 10,5 [5,5-15,5]
• Écosse, 524 sujets (1965-1999): SMR = 3,3 [2,1-5]
• Italie, 147 sujets (1996-2003): SMR = 9,7
*Méthode SMR (Standardized Mortality Ratio = n/A [IC])
– n = décès observés
– A = décès attendus (sur population de référence)
– SMR >1 ⇒ mortalité plus élevée dans la population étudiée
Étude suédoise:
Baisse de la
mortalité entre
1977 et 1987
Interprétée par les auteurs
comme le résultat:
• du développement de
soins spécialisées
• et de l’amélioration du
dépistage
Lindblad, F., L. Lindberg, et al. (2006). Am J Psychiatry 163(8): 1433-5.
Les études épidémiologiques et de patientèles
des services spécialisés convergent :
Beaucoup de jeunes (filles) traversent une
période d’anorexie évoluant
spontanément vers la guérison.
IMC
Etat eutrophique
Phase
« catatrophique »
Phase
« anatrophique »
Etat d’allostasie
hypotrophique
Temps
Phases trophiques de l’anorexie mentale
Facteurs favorisant
l’expérience de « catatrophie »
• Changements pubertaires (prise de poids, apparition
des caractères sexuels secondaires, sexualité)
• Pressions des pairs, rencontres avec des pratiques
alimentaires déviantes (boulimie, vomissements)
• Difficultés d’adaptation (anxiété de performance,
phases dépressives, événements de vie difficiles et
psycho-traumatismes
• Réduction significative de l’activité physique ou
pratiques sportives intensives
IMC
Etat eutrophique
Phase
« catatrophique »
Phase
« anatrophique »
Etat d’allostasie
hypotrophique
Temps
Phases trophiques de l’anorexie mentale
Robustesse du jeûne partiel
« Allostasie hypotrophique »
• Validé par modèles d’anorexie expérimentale
• La sous-alimentation (apports alimentaires insuffisants
pour couvrir les dépenses énergétiques) est utilisée
comme une drogue, dont la personne devient
rapidement dépendante.
• Terreur à l’idée de perdre cette « stabilité » (Kleifeld et coll.,
1996), faible corpulence souvent renforcée socialement
Anorexie mentale comme
« Allostasie hypotrophique »
• Phénomène de tolérance psychique :
– Cognitive : distorsion des perceptions de l’image
corporelle (dysmorphophobique)
– Psychoaffective :
• Permet d’éviter les aspects développementaux et
interpersonnels générant de l’anxiété (ex.: l’intimité
sexuelle, les menstruations, les responsabilités nouvelles).
• Posture d’opposition « vertueuse » mais radicale
(processus de séparation-individuation)
Anorexie mentale comme
« Allostasie hypotrophique »
• Phénomène de tolérance physique :
– température, tension artérielle, pouls, métabolisme,
hormones… fonctionnent au ralenti
• Evitement du syndrome de « sevrage»
(re-nutrition)
Anorexie mentale comme
« Allostasie hypotrophique »
• la vie sociale se modifie :
– l’obsession du poids ou des calories prend toute la
place et la personne se replie sur elle-même,
– perd sa joie de vivre et son envie de partager avec
autrui.
– exorcise ses peurs par des habitudes ou des rituels
contraignants,
– perd ainsi le goût de faire des expériences nouvelles.
IMC
Etat eutrophique
Phase
« catatrophique »
Phase
« anatrophique »
Etat d’allostasie
hypotrophique
Temps
Phases trophiques de l’anorexie mentale
Syndrome de « sevrage » de la
phase « anatrophique »
• Rétention hydro-sodée, asthénie
– parfois sévère, surtout si Ú de laxatifs ou de diurétiques
– œdèmes (risque défaillance cardio-vasculaire)
– troubles de conduction et du rythme cardiaque ±
hypophosphatémie (surtout si glucose en parentéral)
• Troubles digestifs liés à la reprise d’alimentation sur
transit ralenti Æ stase gastrique, douleurs abdominales,
ballonnement, constipation (risque OI)
• Troubles endocriniens: acné et mastodynies
• Dysphorie (anxiété, dépression) liés à ↑de IMC
La décision de changer le comportement alimentaire
(mise en suralimentation) se heurte à une
ambivalence majeure (Crisp 1980, Serpell, 1999)
Le soutien du processus motivationnel,
guidé par les principes classiques de
l’entretien motivationnel, est une nécessité
Objectif de ma présentation :
Vous présenter les implications pratiques de la
démarche motivationnelle sur…
• l’accueil des patient(e)s et des familles,
• le travail avec la médecine de ville et le secteur
psychiatrique
• l’offre de soins dans le service : vie
institutionnelle et collaborations intra-CHU
Accueil des patients et
des familles
Aborder l’ambivalence (1)
• Accueil (presque) sans rendez-vous
• Evaluation physique proposée systématiquement
(pouls, tension, T°, IMC & glycémie capillaire)
par l’IDE de consultation
• Adressage Service de Rhumatologie avec
ostéodensitométrie (proposé systématiquement
en cas d’aménorrhée)
Aborder l’ambivalence (2)
• Recherche minutieuse des répercussions
négatives actuelles :
– Signes fonctionnels (asthénie, frilosité, constipation,
malaises, fatigabilité, troubles concentration)
– Degré d’envahissement du psychisme par obsessions
poids/ forme/calories et compulsions
– Signes dysphoriques (tristesse, repli, anxiété,
irritabilité)
– Ionogramme si vomissements et/ou laxatifs
Aborder l’ambivalence (3)
• Information sur les risques encourus :
– Troubles trophiques (ostéoporose, stérilité,
vieillissement cutané, fonte musculaire et réduction
de mobilité
– Vie virtuelle, par procuration, réduction des
expériences
– Court-circuitage de la phase de maturité : passer de
l’enfant au vieillard
– Risque vital relatif (+++ si cumul cachexie+purge)
Place de la médecine de ville
et du secteur psychiatrique
Laisser venir la motivation au
changement
• A l’issue de la consultation spécialisée:
– Indication/ou non de soins de réalimentation
– Motivation/ou non pour les soins
• Tant que les risques sont présents (indicateur:
aménorrhée), il est légitime que la médecine propose
une surveillance minimale
– Consultation MG (bi-)hebdo : Pds, TA, Pls, T°, Dextro
• Limites d’une consultation thématique : nécessité d’un
suivi conjoint (secteur psy, BAPU)
Proposition de soins et
collaborations CHU
Unité d’Addictologie du PostAdolescent
• 10 lits dont 7 officiellement dédiés aux TCA
– En pratique, souvent 10 TCA !
• Durées de séjour : de 10 j à 10 semaines
– Actuellement une patiente depuis 10 mois
• Chiffrage pluriquotidien des courbes physiologiques et
des prises caloriques par les IDE
• Nutrition entérale (10 séjours sur 150 annuels) – Pas de
voie parentérale
• « Sevrage » = abandon des conduites de jeûne dès
l’entrée (sans réel « contrat »)
le « sevrage »
• Rompre le jeûne ≈ Violence du « sevrage » (rupture
d’un état de pseudo-équilibre ou allostasie)
Î Nécessité d’un « mandat » donné à l’équipe
soignante pour provoquer un état de profond
déséquilibre
Cette démarche permet de placer la patiente
dans une démarche active (relever le défi du
sevrage) et de clarifier ce qui est demandé à la
famille dans l’alliance avec les soignants
Prestations offertes
• Toutes les prestations offertes sont dirigées vers
le soutien de la motivation au changement et
l’acceptation de la reprise de masse corporelle
• Une idée directrice (Vive Spinoza !) :
NOS PENSEES SONT FABRIQUEES PAR
NOTRE CORPS
Corollaire: les pensées fabriquées par un corps avec IMC=12,5 sont
différentes de celles fabriquées par un corps avec IMC=18
TOP
DOWN
UP
BOTTOM
Se réconcilier avec son
corps…
• Contenance de l’hyperactivité physique compulsive
et de l’activité physique à type d'endurance
• Promotion d’une activité physique tonique (effort
court et intense visant à augmenter la masse
musculaire)
–
–
en bassin (balnéothérapie) et en salle (badminton)
couplage l'activité à prise alimentaire et récupération
• Kinésithérapie (rétractions tendineuses, scoliose),
massage (constipation), cure thermale
• Socio-esthétique, et autres approches à médiation
corporelle
Traitement des répercussions de la
dénutrition
• approche nutritionnelle : encadrement de
reprise de poids par paliers, correction de
l’équilibre alimentaire
• correction symptomatique des carences (fer,
potassium, phosphore, protéines), de
l’hypotension, des œdèmes, de la constipation
• œstro-progestatif en prévention de
l’ostéoporose
Autres prestations
•
•
•
•
•
•
Psychothérapie
Entretiens famille / couple
Groupe de parole hebdomadaire
Atelier d’écriture
Atelier théâtral
Sortie avec repas pris en extérieur
Projet de vie
• Accompagnements divers (projets d’autonomie)
coordonnés par Assistante Sociale du service
• Partenariat avec secteur psychiatrique: visites à
domicile, HDJ, CATTP, appartements thérapeutiques,
• Partenariat CROUS (résidences universitaires), Clinique
FSEF Soins-Etudes Villeneuve d’Ascq
• Partenariat pédagogie:
– Dispositif SAPADEMA
– Associations (Ecole à la maison)
– Dossiers MDPH
• Articulation des séquences de prises en charge :
– Phases critiques avec prédominance des soins
médicaux (souci de préserver ou favoriser
l’insertion familiale, scolaire, universitaire ou
professionnelle)
= logique RDR
– Phases de stabilisation : suivis multimodaux (soins
médicaux et psychologiques et relais avec des foyers,
des établissements scolaires, des lieux de vie
= logique prévention de la rechute
Indications d’Hospitalisation
H
Indice de Masse Corporelle (IMC)
Biologie (kaliémie, glycémie)
Fréquence de vomissements
Idées/gestes suicidaires
Signes fonctionnels (asthénie)
Perturbations de la vie familiale
Alternative à l’hospitalisation
• Programme de soins : P.A.S.T.A.
Conditions
Consultations médicales hospitalières
(3/semaine)
1 avec monitoring & nursing
(Infirmière)
Couverture Sociale :
Affection Longue Durée
Arrêt temporaire de la scolarité
ou de l’activité professionnelle
1 avec suivi alimentaire
(Diététicienne)
1 avec groupe de parole (mardi après-midi)
(Psychologue)
Kinésithérapie (libéral - individuel)
(1 à 2 séances/semaine)
Activité Physique Adaptée (L.U.C.)
(en groupe 1 séance/semaine)
« Plateau technique » CHRU
• Approche corporelle en collaboration avec le service de
Médecine Physique et réadaptation (Pr Thevenon) en
hôpital de jour
• Suivi nutritionnel en collaboration avec le service de
nutrition (Dr Seguy) et l’unité de nutrition à domicile
(Dr Lescut)
• Prévention et traitement de l’ostéopénie (carence
oestrogénique) en collaboration avec les services de
rhumatologie (Dr Cortet, Dr Legroux) et gynécologie
(Dr F. Collier)
Conclusion
• L’approche addictologique du soin de l’anorexie
mentale fournit un cadre conceptuel très opérant,
plus dynamique que les approches psychiatrique
ou neurologique traditionnelles
• Ce cadre permet, entre autres choses :
– de fédérer une éthique du soin qui n’esquive ni le
paradoxe de l’autodestruction, ni le problème de la
limitation de l’exercice de la liberté du sujet
– d’intégrer la dimension des dommages dans
l’accompagnement global
– de replacer la renutrition (ambul/hospi) dans sa réalité
de phase douloureuse (sevrage) mais nécessaire
Dommages et perte de chances
induits par le trouble
Ego syntonie du trouble
& opposition aux soins
Légitimité de
l’intervention
sanitaire
Anorexie Mentale
ETHIQUE DU SOIN
Alternative peu adaptée:
• Hospitalisation de médecine
¾Basée sur : Acceptation de l’expertise médicale,
compliance à prescription médicale
• Hospitalisation sous contrainte
¾Basée sur : Résistances vaincues par la coercition
Droits du patient
et des familles