Éléments d`analyse

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Éléments d`analyse
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peuvent pas davantage: mais elles sont moins dangereuses parce qu’elles
professent leur caractère changeant, ce que ne font pas les autres noms.»
La connaissance de la doctrine de l’auteur n’est pas requise et il suffit que
l’explication rende compte, par la compréhension précise du texte, du problème dont il est question.
C
O
R
■ Éléments
NOTIONS
EN
R
I
G
É
d’analyse
JEU
Le langage ; la perception ; l’interprétation.
THÈSE
ADVERSE
Les mots ont une signification commune et stable, laquelle nous permet
de mettre en commun nos pensées et nos sentiments.
PROCÉDÉS
D’ARGUMENTATION
Thomas Hobbes part d’une réflexion générale sur la nature du langage
et la signification changeante des mots, pour l’appliquer au cas particulier des termes moraux.
DÉCOUPAGE
DU
TEXTE
ET
IDÉES
PRINCIPALES
m Dans la première partie du texte (du début à «différentes passions »),
Hobbes expose sa thèse concernant la nature affective et subjective du
langage.
m Dans la seconde partie (de « C’est pourquoi, lorsqu’ils raisonnent » à
la fin), il indique les conséquences de cette thèse, à savoir que, quand
il est question de vices et de vertus, les hommes ne mettent pas la
même chose sous les mêmes mots. L’ambiguïté du langage implique
donc, de fait, la relativité de la moralité.
REMARQUES
ET
DIFFICULTÉS
Le texte est clair. La difficulté est d’en dégager l’enjeu. La thèse paraît
choquante : à chacun son langage, selon la couleur de ses affections.
D’où la question : comment fait-on pour s’entendre ?
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QUESTION,
THÈSE
m Thème : La nature du langage.
m Question : Quelles sont la nature et l’origine du langage ? Est-il fiable ?
m Thèse : Les mots ont une signification changeante parce que leur usage
dépend des « affections » des hommes – soit de leur manière individuelle
de percevoir les choses.
CORRIGÉ
THÈME,
PLAN
Introduction
1 Les mots ont une signification changeante
2 En matière de moralité, les hommes ne mettent pas la même chose
sous les mêmes mots
Conclusion
■ Corrigé
(corrigé complet)
Introduction1
Les mots ont un caractère d’universalité qui nous permet de communiquer nos pensées et impressions, en ayant le sentiment d’être compris
de notre interlocuteur.
Pourtant, il arrive bien souvent que nous ne mettions pas les mêmes
choses sous les mêmes mots : comme le dit Thomas Hobbes dans ce
texte, l’un appellera péjorativement « prodigalité » ce que l’autre nomme
positivement « magnificence ».
D’où cela vient-il ? Nos mots ne dépendent-ils, comme l’affirme ici l’auteur,
que de nos impressions subjectives ou « affections » ? Mais dans ce cas,
comment pouvons-nous encore nous entendre sur ce que nous disons ?
1. Les mots ont une signification changeante
Dans la première partie du texte (du début à « différentes passions »),
Hobbes expose sa thèse : la signification des mots change en fonction
des affections que nous leur associons : « Les noms des choses, qui ont
la propriété de nous affecter, c’est-à-dire de celles qui nous procurent
1. Les titres en gras servent à guider la lecture et ne doivent pas figurer sur la copie.
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du plaisir ou du déplaisir, ont, dans la conversation courante des
hommes, une signification changeante. »
Le mot « maison », par exemple, évoque la famille et la sécurité pour
l’un, l’enfermement pour l’autre.
Depuis l’enfance, les mots renvoient à des expériences différentes. Pour
cette raison, ils ont pour chacun une résonance particulière, et, du même
coup, la propriété de nous procurer « du plaisir ou du déplaisir ». Ainsi
Thomas Hobbes définit-il « l’affection » : ce qui « affecte » ou produit un
effet positif ou négatif – plaisir ou douleur – sur nos sens et notre esprit,
ce qui nous « impressionne », comme le dira David Hume plus tard.
Les « noms des choses » qui ont cette propriété ont donc « une signification changeante parce que tous les hommes ne sont pas affectés [de
la même façon] par la même chose, ni le même homme à des moments
différents ».
Non seulement, comme on l’a vu avec l’exemple de la maison, leur sens
varie d’un homme à l’autre, mais encore il se peut qu’un mot associé
à une expérience pénible dans l’enfance prenne une connotation positive
avec le temps, et inversement.
Dans la seconde phrase du texte, Hobbes développe et justifie cette idée
(« en effet ») : « Étant donné en effet que tous les noms sont donnés pour
signifier nos représentations et que toutes nos affections ne sont rien
d’autre que des représentations, lorsque nous avons des représentations
différentes des mêmes choses, nous ne pouvons pas facilement éviter
de leur donner des noms différents. »
Tout d’abord, les noms signifient nos « représentations », c’est-à-dire
l’idée que nous nous faisons des choses. Or l’idée elle-même désigne
l’affection, soit la manière dont notre esprit est affecté par la chose, la
manière dont il la reçoit. Il s’agit donc ici d’une conception empiriste,
très proche de celle que Hume fera plus tard : nos représentations ne
sont rien d’autre que la manière dont notre esprit reçoit passivement
les données fournies par les sens externes et internes – sensations d’un
côté, sentiments et croyances de l’autre.
Or, comme nous nous faisons une idée différente des mêmes choses,
nous leur donnons des noms différents.
La « représentation » n’a-t-elle donc jamais aucun caractère général ?
La réponse nous est donnée par Hobbes dans la phrase suivante : « Car
même si la nature de ce que nous nous représentons est la même […]. »
Cette restriction indique que les mots conservent, en dépit des affections variables dont nous les chargeons, un caractère de généralité. C’est
même de la généralisation d’expériences particulières que naît le mot,
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comme convention. Tout le monde sait, par expérience, qu’une maison
a un toit, quatre murs, et sert à abriter les hommes des intempéries.
Personne n’ira confondre une maison et une cage.
Or s’il en est ainsi, c’est que nos représentations des choses ou affections ont elles-mêmes des caractères communs, comme le mot dont
elles sont indissociables.
Pourtant, malgré la nature identique des choses que nous nous représentons, «il reste que la diversité des façons que nous avons de la recueillir
(…) donne à chaque chose une teinture de nos différentes passions».
Nous percevons (« recueillons ») diversement ces idées générales en
fonction de nos « passions ». Le verbe « recueillir » renvoie ici à une passivité, ce que renforce le terme de passion.
Les passions désignent en effet les phénomènes passifs de l’âme, tout
ce qui nous fait « pâtir », ce que nous subissons du fait de la « constitution de nos corps et des préventions de notre pensée ». Par notre
constitution sensorielle propre, nous percevons les choses de manière
singulière, comme agréables ou désagréables. Nous aimons, par
exemple, les épinards qu’un autre a en horreur.
Par nos « préventions » ou préjugés, nous sommes « prévenus » sur les
choses, nous en jugeons avant même d’en avoir fait l’expérience ou
d’avoir les moyens rationnels de formuler sur elles un jugement. La prévention est bien en ce sens, comme l’affirme Descartes, un jugement
antérieur au jugement – ce pour quoi elle est inaperçue : s’il m’était
donné de connaître l’origine de mes préventions sur les choses, je cesserais d’en pré-juger, précisément.
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L’idée est donc ici la suivante : sous l’influence de nos préjugés et de
nos goûts, lesquels sont variables, nous donnons à chaque chose et,
partant, à chaque mot et représentation des choses la couleur de nos
différentes passions. Et cela « même si la nature de ce que nous nous
représentons est la même » – en dépit des caractères généraux que nous
reconnaissons à la chose, par conséquent.
2. En matière de moralité, les hommes ne mettent pas
la même chose sous les mêmes mots
Dans la seconde partie (de « C’est pourquoi, lorsqu’ils raisonnent » à la
fin), Hobbes indique les conséquences de sa thèse : « C’est pourquoi,
lorsqu’ils raisonnent, les hommes doivent prendre garde aux mots (…)
des vertus et des vices ».
Lorsque nous raisonnons, c’est-à-dire lorsque nous enchaînons des
propositions selon un ordre logique, que nous les déduisons les unes
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des autres en vue de parvenir à une vérité commune, recevable par
tous, nous devons « prendre garde », car : « au-delà de la signification
que nous imaginons leur être propre », les mots ont une signification
renvoyant à « la nature » de celui qui parle, c’est-à-dire à ce qui le constitue
en propre, sa manière de sentir et de penser, ainsi qu’à (sa) « disposition et à (son) intérêt ». Selon qu’il est heureux ou triste par exemple,
et selon l’intérêt qu’il met à défendre une vérité plutôt qu’une autre,
celui qui parle n’attachera pas aux mots la même signification. Il va
de soi que le mot « perte » n’aura pas le même sens pour celui qui fait
le deuil d’un parent proche que pour celui qui vit la période la plus
heureuse de sa vie.
Or n’y a-t-il pas des raisonnements où la nature, la disposition et l’intérêt de celui qui parle sont plus évidemment en jeu ?
Dans la phrase suivante, Hobbes répond positivement à cette question
en évoquant le cas des termes moraux : « tels sont les noms des vertus
et des vices ». Il est plus facile de ne pas faire entrer sa nature, sa disposition et son intérêt, dans un raisonnement mathématique que dans
des considérations morales – sur ce qu’il convient de faire et de ne pas
faire, ce qui est bien ou mal au regard de l’action, par conséquent.
Hobbes introduirait-il ici l’idée d’une relativité de la moralité elle-même,
derrière celle des mots – derrière le caractère changeant des mots ?
Suit une illustration de cette idée par des exemples : « car un homme
appelle sagesse ce qu’un autre appelle crainte ; et l’un appelle cruauté
ce qu’un autre appelle justice ». L’homme modéré dans ses sentiments
peut passer pour un lâche à l’égard de ses propres passions. De même,
une action punitive servant à réparer un tort sera désignée comme
« cruelle » d’un point de vue individuel et affectif. « L’un prodigalité ce
qu’un autre appelle magnificence » : l’un jugera dépensier l’homme riche
qu’un autre trouvera généreux. Enfin, « l’un gravité ce qu’un autre appelle
stupidité… » : l’un qualifiera de « grave » l’attitude sérieuse d’une personne devant les contrariétés, tandis qu’un autre la trouvera stupide,
qui estimera qu’il faut conserver en toutes circonstances la distance de
l’ironie.
« Les métaphores et les figures du discours ne le peuvent pas
davantage ».
Dans cette phrase, Hobbes semble répondre à une objection implicite :
l’ambiguïté des termes qui peuvent signifier une chose ou une autre
n’est-elle pas déjà évidente dans le cas des métaphores ou, plus généralement, celui des figures de rhétorique ?
Toute allégorie, par exemple, fait partie, parmi les figures du discours,
des figures d’analogie. Elle peut recevoir, comme telle, diverses inter-
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prétations. Et cependant, personne ne se méprendra sur les sens possibles de l’allégorie, personne ne prendra une interprétation pour une
autre car cette multiplicité de sens, ce « caractère changeant » est clairement « affiché » par la figure du discours : il fait partie de sa nature. Le
nom commun, au contraire, affiche son univocité.
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Conclusion
Le problème traité dans le texte est le suivant : d’un côté, la signification
des mots dépend de la nature des représentations auxquelles ils renvoient. En ce sens, elle est commune à tous (une maison a quatre murs
et un toit, dans l’exemple précédemment donné). D’un autre côté, la
signification du mot est déterminée par nos passions. Comme telle, elle
varie d’un individu à l’autre.
Le but de la philosophie serait justement d’en préciser le sens, de les
vider de leur contenu subjectif, afin que les hommes s’entendent sur ce
qu’ils disent. Cela est particulièrement nécessaire dans le domaine de
la moralité, où il s’agit d’énoncer ce qu’il est bon ou pas de faire.
Dans ce domaine en effet, la signification des mots est souvent
dépourvue de toute objectivité, car nos passions et la nécessité de les
contrôler sont précisément en jeu. Pour cette raison, on ne juge pas
aussi facilement de la nature des vices et des vertus que de celle d’une
équation. Le texte s’arrête à ce constat et la solution proposée par Hobbes
n’y apparaît pas. Pourtant, si ce qui est vice pour l’un est vertu pour
l’autre, il n’y a plus ni vices ni vertus. Il reste que tout le monde s’accordera à considérer comme vice le fait de voler, et s’il n’en est pas ainsi
pour le voleur, ce n’est pas parce que son « affection » s’oppose à celle
des autres, mais bien parce qu’il oppose un intérêt personnel à une exigence universelle.
À l’issue du commentaire de ce texte, il semble nécessaire d’affirmer la
nécessité de chercher une signification commune aux mots désignant
les vices et les vertus. Tel est l’un des buts de la philosophie morale.
■ Ouvertures
LECTURE
– Thomas Hobbes, Léviathan, Sirey.
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