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AV1 AT B056/E01 Robert BASQUIN M. Robert Basquin est né en 1922 dans les Hauts-de-Seine. ENREGISTREMENT RÉALISÉ LE 15/06/2012 PAR MADAME CÉCILE HOCHARD. STATUT DU TÉMOIN Cheminot pendant la Deuxième Guerre mondiale FONCTION À LA SNCF Chef de bureau Inspecteur DATE D’ENTRÉE ET DE DÉPART DE LA SNCF 1941-1978 AXE DE L’ÉTUDE Vie et travail au quotidien pendant la Deuxième Guerre mondiale : mémoire et récits de cheminots SUJET PRINCIPAL Parcours d’un cheminot fuyant le STO, emprisonné en Espagne et rejoignant la France libre au Maroc THÈMES ABORDÉS Carrière et vie quotidienne jusqu’à l’armistice Vie quotidienne et professionnelle sous l’Occupation jusqu’en 1943 Fuite vers l’Espagne et captivité Engagement dans la Marine et démobilisation Après-guerre Motivations pour répondre à l’Appel à témoins OUTIL DE CONSULTATION CD audio MATÉRIEL D’ENREGISTREMENT TASCAM DR-40 DURÉE DE L’ENREGISTREMENT 3 heures 18 minutes 22 secondes DURÉE APRÈS TRAITEMENT DU SON 3 heures 9 minutes 10 secondes Communication Le témoin autorise, à partir du 15 juin 2012, la copie, la consultation, l’exploitation pour des travaux à caractère historique ou scientifique, la diffusion sonore et la publication de la transcription et de l’enregistrement avec mention de son nom, par contrat passé avec l’AHICF à laquelle toute demande d’utilisation à d’autres fins de l’enregistrement et de la présente analyse doit être adressée. Fiche chronothématique réalisée par Anne Bélingard http://www.memoire-orale.org/liste-entretien.php?col=16&scol=0 1 Compte rendu analytique I - Carrière et vie quotidienne jusqu’à l’armistice (Plage 02) Robert Basquin entra au chemin de fer en novembre 1941 [à l’âge de 19 ans] et fut affecté au dépôt du Bourget [Seine-Saint-Denis]. Il travailla en 3 x 8, jusqu’à 54 h hebdomadaires pendant la guerre. Il commença sa carrière comme « mineur facteur aux écritures, auxiliaire à l’essai ». Il préparait les graphiques de parcours des mécaniciens et était chargé de la distribution des jetons d’huile. Après avoir passé avec succès un examen, il devint expéditionnaire et fut commissionné [employé de la SNCF] dès 1943. Il partit à la retraite en avril 1978 alors qu’il occupait les fonctions de chef de bureau inspecteur à la gare du Nord au service du Domaine. Il passa à Voies et Bâtiment (VB) en 1949 après quelques années à Matériel et Traction (MT). Titulaire du brevet élémentaire, Robert Basquin souhaitait entrer à l’École normale pour devenir instituteur mais il échoua au concours d’entrée en 1939. À la déclaration de guerre, ses parents furent évacués dans le Calvados et il se retrouva seul à Sevran [Seine-Saint-Denis]. Il travailla alors quelques temps au guichet de la Poste [PTT]. Le 10 mai 1940, jour de l’invasion allemande, il prit la fuite en vélo. De retour à Paris après l’armistice, il fut licencié des PTT et resta sans emploi jusqu’en novembre 1941. En 1943, refusant de partir pour le STO, il décida de rejoindre l’Afrique du Nord où il entra dans la marine. (8mn:12s) (Plage 03) Avant la guerre, Robert Basquin vivait chez ses parents avec ses deux sœurs à Sevran [SeineSaint-Denis]. Son père entra à la Compagnie du Chemin de fer du Nord à l’âge de 15 ans « comme porteur de dépêches ». Juste avant la guerre, il était « intérimaire » et il « remplaçait tous les chefs de gare » sur une ligne allant de Péronne [Somme] à Cambrai [Nord]. Puis il obtint sa mutation pour Paris dans un service de détaxe à la gare du Nord. En avril 1941, Robert Basquin choisit d’entrer à la SNCF, influencé dans son choix par son père. Robert Basquin logea avec sa famille dans des « baraquements » de la Compagnie du Chemin de fer du Nord à Péronne [Somme] après la Première Guerre mondiale ; puis dans des « bâtiments de la SNCF » à Aulnay-sous-Bois [Seine-Saint-Denis] quand son père fut muté à Paris. (6mn:13s) (Plage 04) Le père de Robert Basquin apprécia les apports du Front populaire (congés payés et semaine de 40 h). Robert Basquin pense que ce fut une erreur de travailler moins et de partir en vacances alors que les Allemands travaillaient dur dans les usines afin de réarmer leur pays. Mais il profita de ce nouveau temps de loisir pour découvrir le bord de mer aux Sables-d’Olonne [Vendée]. (2mn:53s) (Plage 05) Le 2 septembre 1939, Robert Basquin alla à la gare de l’Est pour voir embarquer les premiers soldats parce qu’on lui avait beaucoup parlé du départ des soldats en 1914. Dans sa famille, seuls quelques cousins furent mobilisés. Son père avait été « prisonnier civil en 14-18 ». (1mn:58s) (Plage 06) À la fin de l’année 1939, le père et la belle-mère de Robert Basquin furent évacués par la SNCF dans la Calvados, comme tous leurs collègues de la rue de Dunkerque [Paris]. Robert Basquin s’engagea à la Poste [PTT] et logea chez une tante à Paris. Il retrouvait son père et sa sœur à Sevran [Seine-Saint-Denis] certains dimanches. Au moment de « l’invasion des Allemands », il s’enfuit en vélo pour Bordeaux [Gironde]. Il connut l’Exode et il ne put pénétrer dans la ville à cause de la foule des réfugiés. Il subit les bombardements des Allemands à Etampes [Essonne] et ceux des Italiens à Limoges [Haute-Vienne]. Il continua son chemin jusqu’à Agen [Lot-et-Garonne] où il aida la postière à trier et à distribuer le courrier notamment aux soldats ayant fui le front. Puis il répondit à l’ordre de rapatriement des PTT à destination de tous les postiers de la zone libre et regagna Paris par train spécial en août ou septembre 1940. (6mn:37s) (Plage 07) Robert Basquin eut connaissance de la signature de l’armistice alors qu’il se promenait dans un village du Lot-et-Garonne et entendit par la fenêtre d’une maison le Maréchal Pétain parler à la radio. Il fut partagé entre un sentiment de soulagement et de colère. A son retour, Robert Basquin suivit des cours par correspondance pour préparer le baccalauréat. À l’approche des Allemands, on fit sauter la poudrerie de Sevran [Seine-Saint-Denis], ce qui ébranla la gare et brisa les vitres des maisons du quartier. (4mn:13s) Fiche chronothématique réalisée par Anne Bélingard http://www.memoire-orale.org/liste-entretien.php?col=16&scol=0 2 II - Vie quotidienne et professionnelle sous l’Occupation jusqu’en 1943 (Plage 08) Robert Basquin postula à plusieurs emplois [PTT, Compagnie du gaz, des banques] avant de réussir l’examen d’entrée à la SNCF et d’être affecté au dépôt du Bourget [Seine-Saint-Denis] en 1941. Là il se souvient avoir assisté à des mouvements inhabituels. « Des fois le matin, à 6 h du matin y avait des wagons, deux wagons de marchandises et y avait un tas de monde. C’était des Juifs qu’on embarquait et j’ai assisté à ça. J’ai vu les Allemands qui les faisaient monter. » « On savait que les Juifs étaient à Drancy, on parlait pas tellement de Juifs vous savez à l’époque. » « C’est seulement après guerre que jme suis rendu compte que j’avais assisté à l’embarquement des juifs dans les wagons de marchandises poussés par les Allemands. » « C’était à 6 h du matin, à 14 h y en avait un autre c’était pareil. » « On m’disait : « Non non c’est des gens, on les emmène pour aller travailler à Compiègne ». » Au bureau, il y avait le chef de bureau principal et « à côté de lui, il y avait un chef de dépôt allemand qui avait pris la place du chef de dépôt adjoint ». Au dépôt, il prépara les graphiques de parcours des mécaniciens. Chaque équipe de cheminots avait « sa » locomotive à laquelle mécaniciens et chauffeurs étaient très attachés. Le Bourget était un dépôt de « locomotives marchandises » affectées essentiellement au trafic entre Paris et Longueau [Somme] et Tergnier [Aisne] et de locomotives « de manœuvres » desservant « la ligne Grande Ceinture ». Le parc de machines était principalement composé de « 140 A ». (8mn:16s) (Plage 09) Robert Basquin ne reçut aucune formation au moment de sa prise de fonctions [en tant que facteur aux écritures] en 1941. Après une formation « sur le tas », il occupa, seul, un guichet dont les vitres avaient été doublées par « un mur de parpaings » afin de le protéger des bombardements. Au dépôt du Bourget [Seine-Saint-Denis], il y avait une cinquantaine de locomotives dont une trentaine avait un personnel attitré ; les autres locomotives étaient « banalisées ». Robert Basquin connaissait chaque équipe de mécanicien et chauffeur. Il y avait un atelier au Bourget, il y vit à plusieurs reprises revenir des machines ayant subi des mitraillages anglais. Il travailla aussi quelque temps au bureau. En 1943, il réussit un examen pour un poste d’expéditionnaire (échelle 5). Il fut muni d’un brassard pour pouvoir circuler et prendre son service après le couvre-feu, il s’en servit plus tard pour passer la ligne de démarcation puis pour entrer dans la zone interdite. (9mn) (Plage 10) Robert Basquin ne reçut pas de consigne particulière de la part de l’occupant lorsqu’il était au dépôt du Bourget [Seine-Saint-Denis]. Le chef de dépôt allemand donnait directement ses instructions au chef de dépôt principal français. Il s’agissait souvent de réquisitionner des locomotives. Robert Basquin connaissait les répressions dont furent victimes les Juifs, les communistes et les otages fusillés après un attentat. Il ne fit partie d’aucun mouvement de résistance. Au dépôt, il lui arriva de travailler jusqu’à 56 h par semaine. Au guichet, son roulement était « les 3 X 8 », alors que dans les bureaux le temps de travail était de 9 h par jour. Son père travaillait dans les bureaux avec des horaires fixes. Le temps de travail hebdomadaire augmenta nettement pendant la guerre, passant de 48 h à 56 h hebdomadaires. (6mn:13s) (Plage 11) Pendant l’Occupation, Robert Basquin habitait à Sevran [Seine-Saint-Denis] avec son père, sa petite sœur et sa belle-mère. Robert Basquin se souvient avoir connu la faim pendant la guerre. En tant que cheminots, son père et lui avaient la possibilité d’aller se ravitailler à la campagne. Ils possédaient un jardin, ce qui améliorait un peu l’ordinaire. Étant « J3 » [travailleur de force], il reçut des tickets de rationnement à ce titre et se souvient avoir dû faire « des heures de queue » « pour avoir deux fois rien ». Il y avait également une pénurie de vêtements ; les femmes portaient des chaussures avec des semelles de bois. Pour le chauffage, le charbon était rationné. Robert Basquin réussit à s’en procurer auprès d’« un couple de chauffeur-mécanicien ». « Ils m’avaient donné au moins 100 kg de charbon » contre « des tickets d’huile, des jetons d’huile ». Il n’eut pas connaissance de vols dans des wagons de marchandises mais pense que ça a probablement existé. Pour l’accès aux soins, on faisait appel au médecin SNCF à Sevran ou à la médecine du travail, parfois assez expéditive. (8mn:05s) (Plage 12) Robert Basquin ne « pouvait pas la souffrir l’occupation » « ça [le] renversait » « j’avais un côté patriotique sans doute déjà à l’époque », tout comme son père qui avait été « prisonnier civil » pendant la Première Guerre mondiale. Il ne vit pas de militaire allemand au dépôt du Bourget [Seine-Saint-Denis], mais il se rappelle que le chef de dépôt portait l’uniforme allemand. Robert Basquin se rappelle que l’embarquement des Juifs dans les trains se faisait « sur la voie de débord en pleine gare du Bourget ». On lui avait dit que ces gens sortaient « de prison » et qu’ils allaient être mis au travail. Il voyait « des Allemands armés qui mettaient des civils, qui poussaient des civils dans le wagon mais c’est tout ». « Je savais même pas que c’était des Juifs ». « On a commencé à en parler sous Pétain » avant « jamais on parlait de Juifs ». Peu à peu les choses changèrent avec l’apparition des inscriptions « sus aux Juifs », il « y avait des affiches » « c’est là où Fiche chronothématique réalisée par Anne Bélingard http://www.memoire-orale.org/liste-entretien.php?col=16&scol=0 3 on a commencé à entendre parler des Juifs ». Il apprit également plus tard que des Juifs de la région avaient été enfermés dans une école près de l’endroit où il habitait. Ils étaient en transit avant d’être emmenés à Drancy [Seine-Saint-Denis]. Robert Basquin voyait également les affiches dans le métro avec le nom des personnes recherchées ou fusillées. Il apprit l’existence des camps de concentration en Allemagne en 1945, alors qu’il était à Casablanca [Maroc]. (6mn:46s) (Plage 13) Robert Basquin ne fit partie d’aucun réseau de résistance avant de quitter la France en 1943. Il pense que le Maréchal Pétain aurait dû quitter le pouvoir après la signature de l’armistice. Il se teint informé de l’évolution de la guerre grâce aux actualités diffusées dans les cinémas où il se rendait parfois, il y avait aussi Radio-Paris et « on essayait d’avoir Londres » « quand on pouvait écouter Londres, alors là c’était la réjouissance à la maison ». Il entendit parler du Général de Gaulle par les habitants d’un village du Lot-etGaronne en 1940, une semaine après le discours de cessation des combats du Maréchal Pétain et cela lui donna un regain d’espoir. Il ne vit circuler aucun tract des mouvements de résistance au dépôt du Bourget [Seine-Saint-Denis]. Au dépôt du Bourget [Seine-Saint-Denis], jusqu’en 1943, Robert Basquin soupçonna des actes de sabotage sur les locomotives (boîtes chaudes) et sur les voies sans en être le complice ou le témoin. On ne parlait pas des petites ou grandes actions de sabotage. Par contre, il constata les dégâts causés par les mitraillages sur les locomotives. (6mn:44s) III - Fuite vers l’Espagne et captivité (Plage 14) Recensé en avril 1943 par la mairie de Sevran [Seine-Saint-Denis], Robert Basquin fut désigné apte pour partir « travailler sur le Mur de l’Atlantique ». Pour savoir s’il était apte il dut « passer le conseil de révision ». Sa hiérarchie tenta d’intervenir pour le maintenir à son poste sans toutefois y parvenir. Mais ne voulant « pas aller travailler avec les Allemands », Robert Basquin quitta la France avant de recevoir sa convocation officielle. Sans relation avec la Résistance, il prit la décision de rejoindre l’Afrique du Nord, récemment libérée par les Alliés, en passant par l’Espagne. (6mn:30s) (Plage 15) Le 18 juin 1943, Robert Basquin prit le train à la gare d’Austerlitz. Il changea son année de naissance sur sa carte d’identité afin de passer le contrôle de la ligne de démarcation à Vierzon [Cher]. Les conditions de transport étaient difficiles : un train bondé, peu de lumière la nuit à cause de la défense passive, un long voyage débout dans les compartiments. Arrivé à Perpignan [Pyrénées-Orientales], Robert Basquin enfila son brassard SNCF et s’installa dans la première voiture d’un train partant pour Port-Vendres [Pyrénées-Orientales]. Il se confia au chef de train. À la gare d’Elne [Pyrénées-Orientales], située en zone interdite et particulièrement surveillée par les Allemands, il descendit sur le quai et aida le chef de train à transporter des colis. Entre Elne et Port-Vendres, il se cacha dans le fourgon de tête au milieu des colis. (7mn:39s) (Plage 16) Son bagage était mince : du tabac, quelques provisions et des vêtements. Robert Basquin descendit en gare de Port-Vendres [Pyrénées-Orientales] et y resta quelques jours chez une connaissance du chef de train. Grâce au patron d’un café restaurant, il trouva un guide catalan qui accepta de lui faire franchir la frontière espagnole en échange d’un peu d’argent et de tabac. Le 22 juin 1943 au soir, ils prirent le chemin du col de Banyuls [Pyrénées-Orientales]. Une fois le col passé, Robert Basquin pu rejoindre seul l’Espagne. (9mn:06s) (Plage 17) Dès son arrivée en Espagne, Robert Basquin fut arrêté sur dénonciation par « quatre types qui se présentent, deux en civil, deux en militaires avec le fusil ». Après l’avoir dépouillé, ils lui firent croire qu’il allait être emmené à Barcelone [Communauté de Catalogne ; Espagne]. Ils firent une halte au commissariat de Figueras [Communauté de Catalogne ; Espagne] où il fut interrogé sur les motifs de sa présence en Espagne. Robert Basquin fut enfermé avec une dizaine d’autres Français, puis interné le lendemain à la prison de Figueras. (7mn:07s) (Plage 18) Robert Basquin fut emprisonné à la prison de Figueras [Communauté de Catalogne ; Espagne] le 24 juin 1943 avec une dizaine d’autres Français dans une cellule minuscule « on se croyait dans un tombeau ». Il y avait une « nef » au sein de l’établissement où une messe était célébrée le dimanche. Dans la prison, il y avait à la fois des prisonniers de différentes nationalités, des prisonniers politiques (Républicains) et des droits communs espagnols. Tous souffraient du manque de nourriture et ce fut grâce à la Croix-Rouge que Robert Basquin put manger, boire et être libéré par la suite. Il ne fut pas directement en contact avec la Croix-Rouge, « il y avait un délégué prisonnier » « qui était reçu par un délégué de la Croix Rouge ». (7mn:19s) Fiche chronothématique réalisée par Anne Bélingard http://www.memoire-orale.org/liste-entretien.php?col=16&scol=0 4 (Plage 19) Robert Basquin resta à la prison de Figueras [Communauté de Catalogne ; Espagne] pendant trois mois jusqu’en septembre [1943] et il y attrapa la gale. Il fut mis dans une cellule avec « des militaires de Saumur, des saumuriens ». La chaleur, le manque d’eau, l’absence d’hygiène, la promiscuité et la dysenterie furent particulièrement difficiles à vivre pendant les trois mois que dura son internement. (4mn:31s) (Plage 20) En septembre 1943, Robert Basquin fut transféré « au camp de concentration de Miranda » de Ebro [Communauté de Castille-et-Léon ; Espagne] avec une centaine de ses camarades. La Croix-Rouge les ravitailla avant leur départ en train. Robert Basquin fut vacciné contre la typhoïde et la paratyphoïde. Les prisonniers voyagèrent menottés, deux par deux et toujours encadrés par des policiers. Ils furent d’abord conduis à Barcelone [Communauté de Catalogne ; Espagne] dans un train de voyageurs. Ils y firent une halte de deux nuits dans la prison centrale, dans des conditions difficiles. La suite du transfert vers le camp de concentration se fit dans des trains de marchandises. (8mn:19s) (Plage 21) « Au pavillon 18 » du camp de concentration de Miranda de Ebro [Communauté de Castille-etLéon ; Espagne], le quotidien de Robert Basquin était rythmé par la levée du drapeau espagnol matin et soir qui s’accompagnait du comptage des prisonniers. Il y eut jusqu’à 2 000 internés dans le camp, 100 par pavillon. Il n’y avait aucune activité si ce n’est aller chercher à tour de rôle la nourriture aux cuisines et servir les prisonniers. La Croix-Rouge distribuait à chacun « 35 pesetas par semaine » qu’il dépensait à « l’économato ». La Croix-Rouge leur donnait épisodiquement des boites de lait et de viande, un petit pain tous les deux jours auquel s’ajoutait un autre petit pain tous les deux jours distribué par la prison. Les rations restaient malgré tout très insuffisantes. Le camp était sous la surveillance de sentinelles stationnées dans des guérites et il était entouré de barbelés. Il avait été construit par les Allemands pendant la Guerre civile espagnole. Les prisonniers logeaient dans des pavillons composés de « cases » ou « cellules » pour quatre personnes. Les pavillons s’organisaient avec un couloir central et des cellules de chaque côté sur deux niveaux. La circulation à l’intérieur du camp était libre, entre l’économat, l’infirmerie, la bibliothèque et un local où l’harmonie répétait. (10mn:11s) (Plage 22) Robert Basquin resta au camp de concentration de Miranda de Ebro [Communauté de Castille-etLéon ; Espagne] de septembre à mi-décembre 1943. Pendant sa captivité, le camp fut visité par des « plénipotentiaires » anglais, américains, japonais, un représentant de la Croix-Rouge, un du Maréchal [Pétain] et un du Général de Gaulle. Ces hommes œuvrèrent à la libération et probablement à l’échange d’un lot de cent prisonniers, dont Robert Basquin, « contre du blé et du pétrole et un tas de choses ». Monseigneur Boyer-Mas [André Boyer-Mas, 1904-1972] intervint sans doute également selon Robert Basquin. À leur sortie, ces prisonniers furent pris en charge par la Croix-Rouge qui leur donna « un panier » de vivres et ils partirent à pied pour la gare de Miranda puis Madrid [Communauté de Madrid ; Espagne] et Malaga [Communauté d’Andalousie ; Espagne]. Au port de Malaga, Robert Basquin et ses deux amis dunkerquois quittèrent le groupe et embarquèrent à bord d’un bateau portant pavillon anglais, pour Casablanca [Maroc]. (7mn:14s) IV - Engagement dans la Marine et démobilisation (Plage 23) Ils mirent deux jours pour rejoindre Casablanca [Maroc]. Les navires furent escortés par des torpilleurs français au large des côtes marocaines. Robert Basquin avait embarqué sur le « Sidi Brahim », un navire de commerce français affecté au transport de troupes. Robert Basquin accosta à Casablanca à la midécembre 1943 et fut reçu avec ses camarades par les forces de la France libre « avec les honneurs ». Ils furent transportés dans un camp à Mediouna [Maroc] en camion. Il dut passer « devant les contrôles » (d’identité, sanitaire) puis il choisit de s’engager dans la Marine « pour la durée de la guerre plus trois mois ». (6mn:53s) (Plage 24) Après trois jours au camp de Mediouna [Maroc], ils partirent en camion pour Casablanca [Maroc]. Beaucoup d’officiers français de Marine à Casablanca [Maroc] étaient partisans de l’Amiral Darlan et du Maréchal Pétain, à la grande déception de Robert Basquin. Un de ses amis dunkerquois ne tarda pas à ème rejoindre les « dissidents » de la 2 DB du Général Leclerc. Robert Basquin fit quant à lui la connaissance d’un capitaine gaulliste. A Casablanca, des rivalités opposèrent pétainistes et gaullistes puis partisans de Giraud et De Gaulle. Mais progressivement, le rapport de force se fit en faveur du général de Gaulle grâce aux nouveaux arrivants de France. (4mn:33s) Fiche chronothématique réalisée par Anne Bélingard http://www.memoire-orale.org/liste-entretien.php?col=16&scol=0 5 (Plage 25) Au dépôt des équipages de la flotte de Casablanca [Maroc], Robert Basquin reçut un uniforme militaire dépareillé. Puis il fut envoyé, pour recevoir une instruction militaire, au Centre Sirocco dans la baie d’Alger [Algérie], Robert Basquin fut affecté au cuirassé Le Lorraine dans la rade de Mers el-Kébir [Algérie]. (5mn:14s) (Plage 26) Robert Basquin appareilla sur le cuirassé Le Lorraine où il suivit des cours pour devenir fourrier [Matelot chargé des appels, des écritures administratives et de la comptabilité à bord, définition du CNRTL]. En prévision du débarquement, chacun hérita d’« un poste de combat », celui de Robert Basquin était « pourvoyeur d’un canon de vingt » « un canon anti-aérien ». Avant le débarquement, il fut affecté sur le cuirassé Jean Bart à Casablanca [Maroc], un navire en cours de remise en état suite aux bombardements américains qui l’avaient touché en 1942. Titulaire du brevet de fourrier, il fut donc « affecté à l’équipage du Jean Bart » où il était chargé des transmissions lors de rares sorties en mer. Il y resta jusqu’à sa démobilisation en novembre 1945. (7mn:01s) (Plage 27) À Casablanca [Maroc], par l’intermédiaire d’un marin, Robert Basquin put correspondre avec une marraine de guerre habitant en Tunisie. Ils se marièrent en 1945 avant son retour en France en décembre 1945. Pendant ses détentions successives en Espagne, il put correspondre avec sa famille à Sevran [SeineSaint-Denis]. À la prison de Figueras [Communauté de Catalogne ; Espagne], les prisonniers envoyèrent des lettres à leur famille par l’intermédiaire du prêtre de la prison. Robert Basquin utilisait un système de codage pour faire passer des messages à ses parents. Au camp de concentration [Miranda de Ebro [Communauté de Castille-et-Léon ; Espagne]], l’intermédiaire entre les internés et leurs familles fut la Croix-Rouge. (3mn:53s) V - Après guerre (Plage 28) Au moment de son départ de France en juin 1943, Robert Basquin fut « révoqué » par la SNCF pour ne pas avoir répondu à la convocation qu’il avait reçue. Grâce aux démarches de son père, à son retour en décembre 1945, il fut réintégré [à son ancien poste d’expéditionnaire au dépôt du Bourget [Seine-SaintDenis]]. Évadé de France, il pense avoir été moins bien traité que les prisonniers de guerre : des indemnités de guerre perçues tardivement et un avancement ralenti par sa hiérarchie. Au début de l’année 1946, il obtint sa mutation à « l’économat » « rue des Poissonniers » [Paris] puis à VB [Voie et Bâtiments]. Peu après, il eut l’opportunité de passer l’« examen-concours » de « chef de groupe » qu’il réussit. Le Jean Bart ayant quitté Casablanca [Maroc] pour Cherbourg [Manche], il s’y rendit et c’est là qu’il fut démobilisé. (6mn:02s) (Plage 29) Robert Basquin « ne voulait pas parler de tout ça » après avoir « appris tout ce qui c’était passé dans les camps de concentration en Allemagne ». Il s’est estimé « bienheureux d’avoir été à Miranda [Miranda de Ebro [Communauté de Castille-et-Léon ; Espagne]] » où il n’a pas connu ces « atrocités ». « Il y a eu une sorte de dégoût, on ne veut pas parler de ces choses-là. » « [Il ne] voulait plus en parler », « c’était quelque chose qu’[il] voulait oublier ». Après guerre il a « tout effacé ». Il lui a fallu du temps pour pouvoir en parler. En 2010, il reçut la Croix du combattant volontaire de la Résistance et en 2011, il fut nommé Chevalier dans l’Ordre des Palmes académiques. Robert Basquin commença à assister à des commémorations de la Deuxième Guerre mondiale dans les années 1980, lorsqu’il renoua des liens avec un ancien collègue, lui aussi évadé de France. (2mn:37s) (Plage 30) Au cours de sa carrière, Robert Basquin n’eut aucun engagement politique ou syndical. Il n’a pas de souvenirs précis des grèves qui eurent lieu en 1947 et évoque très brièvement celles de 1953 (1mn:07s). (Plage 31) Robert Basquin a, rétrospectivement, une assez « mauvaise » opinion de l’entreprise SNCF pendant la guerre. « Ils voulaient m’envoyer travailler en Allemagne. » Mais il y poursuivit une carrière à son retour en France car il y avait des avantages et il constata également une évolution des mentalités. Il entreprit la rédaction d’un journal de bord quotidiennement sur des carnets lors de sa détention à Figueras [Communauté de Catalogne ; Espagne] le 24 juin 1943 et commença par relater les événements du 18 juin 1943. Il acheta son premier carnet à l’économat de la prison. (4mn:13s) Fiche chronothématique réalisée par Anne Bélingard http://www.memoire-orale.org/liste-entretien.php?col=16&scol=0 6 VI - Motivations pour répondre à l’Appel à témoins (Plage 32) La lecture de l’Appel à témoignages « a fait plaisir » à Robert Basquin, qui se réjouit de ce projet. Il s’est interrogé sur le pourquoi d’un tel projet tardivement, tout en indiquant que si « ça aurait existé après la guerre, [il n’] aurait peut-être pas répondu ». En effet, il ne parle pas de cette période spontanément mais répond à ceux qui l’interrogent. Dans les années 1970, il commença la rédaction d’un livre à partir de ses carnets. Il publia cet ouvrage bien plus tard [en février 2008]. (4mn:32s) Fiche chronothématique réalisée par Anne Bélingard http://www.memoire-orale.org/liste-entretien.php?col=16&scol=0 7