A Hollywood, les Noirs sont à la mode

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A Hollywood, les Noirs sont à la mode
A Hollywood, les Noirs sont à la mode
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A Hollywood, les Noirs sont à
la mode
François Hauter, à Hollywood
21/07/2009 | Mise à jour : 18:00 | Commentaires
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Razor pose sur Sunset Boulevard à Hollywood. A 47 ans, il enchaîne les petits rôles de
méchant ou de rigolo mais rêve toujours du haut de l'affiche. (Crédit : Albane Navizet
pour Le Figaro)
VOYAGE DANS L'AMERIQUE D'OBAMA (5) - Notre périple se poursuit à
Hollywood, la mythique usine à rêves californienne. Cent cinquante
mille acteurs s'y battent chaque jour, prêts à tout pour obtenir du
succès, et rester dans la course.
» Retrouvez toutes les chroniques de François Hauter sur l'Amérique
d'Obama
La vie n'est pas équitable, mais parfois elle prend des détours cocasses pour
corriger le tir. «Il est arrivé quelque chose d'important dans la culture de ce
pays : c'est devenu à la mode d'être Noir», explique Razor, un géant profilé
Schwarzenegger. Comme tous les malabars, Razor est d'une délicatesse
extrême. Il explique, d'une voix douce, qu'à Hollywood ces deux dernières
années, on ne voulait plus faire tourner les comédiens noirs. L'élection d'Obama
fait basculer les tendances : «Personne dans ce pays, dit-il, ne colle d'aussi prêt
aux modes que les gens du cinéma et de la télé. Alors, les producteurs se
demandent maintenant quels rôles donner aux Noirs.»
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À 47 ans, Razor est accroché à son rêve : le haut de l'affiche. Pour le moment,
on le confine à de petits rôles de méchant ou de rigolo. Il fantasme :
«J'aimerais jouer un médecin ou un avocat», dit-il. Une promotion sociale, en
quelque sorte, dans l'usine à enchantements de la planète.
Au Beverly Hills Hotel, le palace de Hollywood où Howard Hugues avait pris
pension pendant trente ans, les responsables cravatés des studios farfouillent
les «business plans» qui hantent leurs existences et nous regardent boire de la
bière en ne touchant pas à leurs verres d'eaux minérales. Ils semblent
indisposés par mon copain Razor. Est-ce son parfum bon marché ? Ou ses
colliers de perles noires et ses croix de verre ? Les dames du lieu n'ont pas les
timidités de ces crustacés : deux charmantes blondes viennent demander à mon
nouvel ami (et pas à moi) des précisions sur son identité. Ça le fait mourir de
rire. Son rire fait exploser ce bar ultrasnob. Chacun se retourne : est-ce Eddie
Murphy ?
Pas de filet de sécurité. Pas de seconde chance.
La veille, tout à ma découverte de Hollywood, j'avais déjeuné dans un autre
restaurant très tendance, le Villa Blanca, avec une jeune femme appelons-la
Emma. Elle est la maîtresse en titre de l'une des immenses stars de la ville.
Bien qu'originaire d'une obscure bourgade du Kentucky, cette Emma est
spectaculairement belle et excitante. Elle a perdu son côté rural, au fil des ans,
en défilant pour les grands couturiers d'Europe. Chacun, à la «Villa Blanca», sait
avec qui elle passe ses nuits, et vient la saluer (on fait semblant de s'étreindre à
Hollywood, en essayant de ne pas se toucher). Emma confesse parce que je
suis un étranger de passage qu'elle est maintenant reléguée dans une aile
déserte de la villa de la star, en attendant l'expulsion définitive. Je promets de
ne rien répéter. Une célébrité vient l'embrasser en lui disant : «Comment ça va,
depuis la dernière fois ?» Emma confie qu'il n'y a jamais eu de «dernière fois»,
qu'elle n'a jamais rencontré cette personnalité, mais qu'il veut décrocher un rôle
dans un film où il jouerait en duo avec son amant, histoire de relancer sa
carrière. Me voilà emberlificoté dans les figures consacrées des flagorneries
infinies des comédiens, dans ce monde de baisers d'oiseaux-mouches, de
trahisons permanentes, de féeries artificielles, lemonde des «people».
Emma, après s'être enquise avec une exquise courtoisie de mes lieux de
résidence bref de l'état de mon patrimoine , se confesse maintenant. Sur un ton
tragique mais charmant , elle explique qu'il est fort difficile de trouver un amant
sérieux au milieu de ces beaux jeunes gens aux exigences exclusives. Elle en a
l'expérience. Elle s'est fiancée quatre fois déjà, et elle a rompu, «parce que tout
le monde ici veut tout, tout de suite». Hypocritement, je compatis. Elle
m'explique ses plans d'avenir. «Moi, dit-elle, je suis une femme authentique !»
(le Botox a laissé sur sa bouche peinte d'un rouge éclatant une trace de
seringue obsédante). Elle souhaite donc conclure sa carrière à Hollywood par un
riche mariage d'amour. Il ne lui reste que quelques jours pour capitaliser sur sa
liaison avec l'acteur célèbre et trouver un pigeon. Elle songe également à
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liaison avec l'acteur célèbre et trouver un pigeon. Elle songe également à
publier ses Mémoires.
Grâce à Emma, je comprends la quintessence de Hollywood. C'est «you're hot,
you're cold». Si vous ne blindez pas votre bonne fortune dans la seconde qui
suit, vous serez enterré. Pas de filet de sécurité. Pas de seconde chance. Si vous
ratez une marche, vous serez piétiné. Ce n'est pas une métaphore.
«Tout est difficile si vous n'avez pas de succès»
Vous serez piétiné par les 150 000 artistes (il y a autant de psy et d'avocats)
qui, en ville, sont répertoriés par les 300 grosses agences de comédiens. Des
acteurs qui attendent jour et nuit un appel pour un rôle. Même le plus modeste.
Celui d'«un flic de 40 à 50 ans, un raté». Ou celui d'«une femme de ménage
nettoyant une classe de maternelle». Ce sera payé 769 dollars par journée de
tournage. Une chance sur 150 000 de décrocher le rôle.
Vous serez piétiné par les 70 000 scénaristes qui chaque année envoient leurs
histoires aux studios.On en garde 400 par an, avant de tourner autant de films.
On parlera d'une trentaine d'entre eux dans la presse. Une vingtaine d'acteurs
se distingueront. Ils ne seront plus que quelques-uns à décrocher un
Oscar.Deux ou trois films rapporteront des fortunes. «L'avenir est un miracle»,
disait l'acteur David Carradine.
Hollywood, c'est cette course des spermatozoïdes vers la lumière, ce miracle.
Évidemment, lemythe de l'égalité révèle ici sa dimension farce. Les hommes qui
ont eu la hardiesse de brasser la fantaisie et l'argent, de jeter des fortunes au
vent, de fabriquer autre chose que des savons ou des aspirateurs, c'est-à-dire
des Rudolph Valentino ou des Douglas Fairbanks, sont des démons. Il faut un
culot, une inspiration et un cynisme absolus pour trouver, inventer un John
Wayne, un homme, un vrai, un homme libre, qui peut se déplacer dans les
grandes largeurs, avec son code moral, celui auquel il s'est toujours tenu sans
jamais accepter de compromis, avant de s'installer dans la prairie avec la fille
qu'il a choisi. Personne n'imagine Wayne finir dans un lit d'hôpital surélevé, avec
quinze tuyaux branchés dans le nez. Oui, il a fallu de la folie et du génie pour
l'inventer, ce mythe de l'homme libre ! C'est lui qui fait accepter des vies
ordinaires à des milliards d'humains. C'est lui encore qui fait rêver à l'Amérique.
Dans le monde du cinéma, ce n'est pas à leur naissance que les humains sont
inégaux. Mais c'est au cours de leurs vies que le destin les attrape. Tony Scotti,
qui a produit Alerte à Malibu (personne n'en voulait) avant de construire un
empire et de revendre son entreprise 800 millions de dollars en 1997, le dit
justement : «Tout est difficile si vous n'avez pas de succès.» C'est
épouvantablement exact : rien n'est plus étrange, surnaturel, que le succès.
Beverly Hills, Santa Monica et Hollywood, avec leurs brumes radieuses, leurs
pelouses admirables et leurs sycomores monumentaux, avec leurs avenues en
rondeurs se prélassant entre d'immenses palmiers et des végétations hirsutes,
racontent ce goût nonchalant et heureux des élus de la chance. Leur grâce flotte
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racontent ce goût nonchalant et heureux des élus de la chance. Leur grâce flotte
dans l'air, sans se mêler ni se fondre avec l'autre monde.
Le règne absolu de la téléréalité
L'autre monde n'a que les
sortilèges du mal. Il est âpre,
sordide. Un monde de chacals.
«Lorsque Marlon Brando se
mourait dans la misère, en
2004, le producteur Mike
Medavoy est venu lui faire
signer un papier par lequel tout
ce qui s'appelait Brando lui
appartiendrait», raconte un
réalisateur. Il ajoute : «Pour
trente mille dollars, les gens
sortent les couteaux.» La règle, Une candidate malheureuse lors d'une audition pour
c'est de cogner fort et de viser l'émission «American Idol». Crédits photo :
bas.
ASSOCIATED PRESS
Dans le processus de
fabrication des programmes de TV qui inondent la planète, c'est maintenant le
règne absolu de la téléréalité, au point que les grandes chaînes se forgent de
nouvelles identités pour suivre le mouvement. Ces spectacles en direct ont pris
une importance phénoménale : lors de la finale d'«American Idol» («La Nouvelle
Star»), cent millions d'Américains téléphonent à la chaîne pour voter. Ils ont été
un peu plus nombreux, 132 millions, à se déplacer pour installer Barack Obama
à la Maison-Blanche.
Deux programmes se distinguent actuellement. Le premier s'intitule «To catch
the predator» (pour capturer le prédateur). Il rassemble les journalistes
vedettes de la télé nationale. Le principe est simple : il s'agit de traquer en
direct les pédophiles. Dans ce but, une jeune fille de 18 ans se fait passer pour
une enfant de douze ans et, sur l'Internet, elle «allume» des détraqués sexuels.
Un soir, elle annonce à sa future proie que ses parents étant sortis, elle attend
le bonhomme. L'homme arrive, en général devant une villa cossue. La jeune
fille quitte le salon, pour dit-elle, se mettre «en petite tenue». Et à ce moment,
le PPDA américain bondit dans le salon, interpelle le vicieux, et hurle : «Vous
saviez qu'elle avait douze ans ! Que faites-vous là ?» L'homme s'effondre. Lors
de l'épisode que j'ai vu, le vicieux était un rabbin qui s'écriait : «J'ai perdu ma
synagogue ! J'ai perdu mes enfants !» en se roulant sur le sol, alors que la
police, surgissant dans un formidable concert de sirènes, le mettait en joue. Le
public adore.
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public adore.
Autre concept : on déniche un habitant d'un quartier pauvre, qui a rendu des
services à sa communauté. En général, ses jours sont comptés, car il est atteint
d'une maladie incurable. Arrive la télé. On installe le quidam à l'hôtel pendant
une semaine, puis on le ramène chez lui ; un grand camion masque le palais
construit pour lui, en sept jours, à la place de sa bicoque qui a été rasée. Dès
qu'il entre dans sa luxueuse demeure, les sponsors lui offrent toutes les
machines et les écrans dont il a toujours rêvé. Il pleure, l'Amérique pleure. On
se quitte en pleurant. On ne dit pas si les voisins pillent la maison lorsque le
héros meurt.
Le miroir grossissant d'une Amérique repue et traumatisée
On tourne quarante minutes de ces feuilletons en un à trois jours, les
réalisateurs sont surnommés les «traffic cops» (les agents de la circulation), car
ils n'ont plus le droit de s'adresser aux comédiens. C'est le privilège exclusif des
scénaristes. S'ils n'obéissent pas, ils sont virés. Dans ces studios où les
financiers ont confisqué les pouvoirs des créatifs, les feuilletons racontent les
mésaventures des «Femmes de soldats» partis en Afghanistan ou en Irak. Un
réalisateur chevronné le constate: «Hollywood est le miroir grossissant d'une
Amérique repue et traumatisée, qui après la conquête de l'Ouest et celle de
l'espace, est à court d'imagination. Elle se replie sur son réel.»
Razor s'en moque bien, car, dit-il, «les rôles pour les acteurs ethniques se sont
énormément ouverts». «Il y a La Mecque, il y a Hollywood !», ajoute-t-il dans
une fulgurance, alors que nous marchons ensemble vers le carrefour de Sunset
Boulevard et de Beverly Drive pour prendre quelques photos. Des touristes se
précipitent, photographient Razor, parce qu'il est photographié. Devant des
murs roses et un ciel bleu d'ange, un bel acteur leur envoie des baisers ! Les
touristes battent des mains, comme des enfants. C'est un conte pour grandes
personnes. Mais les voitures klaxonnent ! Circulez !
C'était une fraction de seconde Hollywood, un mirage. Rien de tangible. Les
petits trucages de nos mille et une nuits, dans un décor d'azur. Razor sourit. Et
il enlève son t-shirt, fait admirer ses muscles. N'est-il pas au pays de Superman
?Mais comme souvent, la réalité, soudain, écrase Hollywood. Dans le Los
Angeles Times, je tombe sur un article annonçant que Bernie Madoff vient d'être
condamné à 150 ans de prison pour avoir volé 65 milliards de dollars. La
cupidité, toujours. Je m'embarque pour New York.
» Retrouvez toutes les chroniques de François Hauter sur l'Amérique
d'Obama
» Précédent article : «Cow-boys et Indiens»
» Prochain article : «D'Al Capone à Madoff»
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