La polysemie au coeur du dialogue interculturel et

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La polysemie au coeur du dialogue interculturel et
LA POLYSEMIE AU CŒUR DU DIALOGUE
INTERCULTUREL ET INTERCONFESSIONNEL
L’EXEMPLE DE LA TRADUCTION DES
VOCABLES ISL M ET MUSLIM DANS LE CORAN
Soufian AL KARJOUSLI
Université de Rennes 2, France
Abstract : Turning into account what polysemy has to offer sheds a new
light on the Koranic text to be translated or interpreted. Insisting on the
multiplicity of meanings entails the recontextualisation of the Koranic text
and the emphasis on its linguistic richness. The translations focusing on the
semantic dimension seem to accept more readily open interpretations.
Taking polysemy into account in translation and interpretation is a necessary
condition for the spirit of confessional and intercultural dialogue.
Key-words : semantics, polysemy, Koran, interpretation.
Remarques préliminaires
Les transcriptions utilisées pour les citations en arabe sont
celles du système de transcription en usage dans la revue Arabica,
sauf quand le nom est déjà couramment transcrit auparavant dans des
revues, ouvrages de recherche ou par l’auteur lui-même.
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‫ء‬
‫ب‬
‫ت‬
‫ث‬
‫ج‬
‫ح‬
‫خ‬
‫د‬
‫ذ‬
‫ر‬
‫ز‬
‫س‬
‫ش‬
‫ص‬
‫ض‬
‫ط‬
‫ظ‬
‫ع‬
‫غ‬
‫ف‬
‫ق‬
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‫م‬
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n
h
w
y
La hamza initiale n'est pas indiquée.
Voyelles courtes : a, i, u.
Voyelles longues : , ¡, ².
Diphtongues : aw, ay.
Mettre en valeur les possibilités offertes par la polysémie
permet de donner aux compréhensions du texte coranique un nouveau
souffle, que ce soit à travers les traductions ou les interprétations.
Insister sur la pluralité des sens amène non seulement à
recontextualiser le texte coranique et à le replacer dans la continuité
des autres religions, mais aussi à insister sur sa richesse linguistique.
Les traductions sensibles à la dimension sémantique apparaissent plus
à même d’accepter des compréhensions ouvertes. Seule, la prise en
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compte de cette polysémie à travers les interprétations et traductions
permet d’entretenir un esprit de dialogue interculturel et
interconfessionnel, or elle ne va pas de soi, mais demande une
attention de tous les instants.
L’étude linguistique du texte coranique amène à consulter les
dictionnaires arabes. L’exploitation de ces derniers conduit certes à
affiner les sens, mais s’avère insuffisante. Il faut en référer à
l’étymologie. En effet, les dictionnaires arabes classiques, s’ils livrent
les différents sens, ne donnent pas assez de précisions permettant de
renvoyer à des dates précises d’émergence ou de changement de sens.
Quant aux dictionnaires arabes modernes, ils retiennent eux, en
général, les sens contemporains sans préciser la date d’apparition ou
d’imposition de ces sens et signalent des sens anciens comme éteints.
Or, les apparitions/disparitions de mots ou de sens sont
indispensables à la compréhension puisqu’elles replacent le vocable
dans son époque et prouvent que la langue évolue.
Les résistances à la prise en compte du fait polysémique ont
jalonné le parcours de la langue arabe. Le problème de la pluralité des
compréhensions se pose notamment pour le Coran qui renferme les
sens anciens mais est, la plupart du temps, lu et surtout écouté avec
surimposition de sens modernes. Les décalages sont donc constants et
beaucoup de malentendus reposent sur des anachronismes. La
compréhension par des sens modernes finit même parfois par
influencer les perceptions retenues par des lettrés, commentateurs,
traducteurs, imams.
L’étude des vocables islm et muslim dans le texte coranique
sert de support à la démonstration de la nécessité de la compréhension
polysémique. L’interprétation de ces vocables est différente selon que
l’on se réfère ou non à l’étymologie, selon les périodes historiques de
l’élaboration des versets et du texte coranique, selon le sujet concerné
par la sourate et selon le degré d’adhésion dans l’affichage de la
religion.
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1.
Revenir à l’étymologie
Le grand dictionnaire classique de la langue arabe, Lisn al’Arab1, nous renvoie à la racine s.l.m. qui signifie « être saint et
sauf ». Le mot islm en est issu et a pu être utilisé à propos des objets,
islm aš-šay’i, pour constater qu’ils étaient bien conservés et
n’avaient pas subi de dégradations. Le vocable salama est un autre
dérivé de cette racine. Par glissement de sens, une de ses
significations de salama valait aussi pour les hommes : « il est
innocenté » au sens que la maladie, condamnation divine, l’avait
épargné. Salama a aussi le sens de « il est pardonné » ou « il est
guéri ». Le vocable salm qui est un autre mot dérivé signifie
« paix ». As-salm, dans le Coran, est aussi une des appellations de
Dieu2, car Dieu est intact de tout défaut. As-salm est également
utilisé dans des formules de salutations.
Une des conjugaisons de salama donne aslamtu qui est
employé dans les sens « je me suis rendu à Dieu » ou « je suis devenu
musulman ». Istaslamtu li-l-Lh signifie « j’ai embrassé l’islam »,
mais aussi « je me suis rendu » dans un sens général. D’après Ibn
Barza›3, ce dernier sens se trouve par exemple dans l’expression
kuntu r‘¡ ibilin fa-aslamtu ‘anh pour signifier : « J’ai été un
chamelier et j’ai laissé mes chameaux ». Ibn Al-A©¡r, toujours cité par
le dictionnaire Lisn al-‘Arab, précise que le vocable aslama dont la
signification première est « il est devenu musulman » est en fait
complexe et qu’il a plusieurs significations. Il nous rapporte deux
sens contradictoires à travers cette phrase : aslama fulnun fulnan.
Sa première compréhension est : « Quelqu’un a converti quelqu’un
d’autre à l’islam » et son deuxième sens donne : « Quelqu’un a
1
Ibn Man¼²r, Al-Andalus¡, Lisn al-‘Arab (« La langue des Arabes »), éd,
Dr al-ma‘rif, Egypte, p. 2077, 1979.
2
Coran, 59/23.
3
Ibn Man¼²r op.cit., p. 2077.
80
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poussé quelqu’un d’autre dans une situation embarrassante sans lui
apporter de soutien. »
L’évolution des termes renvoie donc à des sens multiples
venant d’une langue préexistante à l’islam et continuant à évoluer.
L’utilisation des vocables issus d’une même racine, tels que muslim
ou encore islm voient leurs sens se transformer, que ce soit dans la
langue courante, dans le Coran ou à travers les hadiths.
2.
Construction des sens
Venons en maintenant au vocable muslim, qui est issu de
cette même racine s.l.m.
Sa signification la plus répandue de « musulman » est à
réinterroger sur le plan conceptuel. L’appui sur les hadiths va nous
permettre de suivre la façon dont se sont développés les sens de ce
concept clé de l’islam qui permet finalement d’arriver à englober un
attachement à des valeurs plus universelles. La complexité de son
contenu sémantique est l’aboutissement du processus intellectuel
d’islamisation de la langue arabe et de l’ouverture polysémique
proposée par Muammad. À nos yeux, cette islamisation de la langue
arabe aurait été pour le Prophète un des outils de la promotion de sa
pensée et de la divulgation du message divin.
Donner un nouveau sens à certains mots, dont celui de
muslim, a été un moyen d’explication, mais aussi d’orientation de la
pensée vers une compréhension plus savante. Cela permettait une
sorte d’aller-retour entre un sens populaire et un sens qui apportait de
nouveaux concepts ou facilitait l’accès à de nouvelles
compréhensions. Le but essentiel en était certainement de ne pas
s’arrêter au sens calcifié dans quelques pratiques, devenues
stéréotypes, mais de donner la possibilité de s’ouvrir sur plusieurs
sens, dont certains restaient figurés et portaient des valeurs
philosophiques. Il nous semble cependant que cela n’a pas eu le
succès prévu.
L’étude du mot muslim dans les hadiths suivants met en
valeur le rôle du Prophète comme promoteur de la polysémie,
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l’utilisation polysémique apparaissant alors comme un moyen
éducatif. Ces hadiths introduisent de nouvelles dimensions au mot
muslim de façon à tirer profit de l’ambiguïté créée afin de rajouter
une nouvelle lecture pour les Musulmans. Muammad utilise ici, à
notre avis, une stratégie de définition sémantique et pédagogique pour
susciter l’étonnement et les questionnements.
« Man huwa l-muslim ?
Al-muslimu man salima l-muslim²na min lisnihi wa yad¡hi »4.
« Qu’est-ce que le Musulman? Le Musulman est celui qui épargne de
sa mauvaise langue et de ses coups les
gens du Livre ».
D’après le commentateur Bu›r¡, la question contient des
sous-entendus, il s’agit de man huwa l-muslimu l-kmilu. Muammad
donne ici au mot muslim le sens de « Musulman parfait » et au mot
muslim²na le sens de « gens du Livre » tout en caractérisant ce
« Musulman parfait » par l’absence d’acte malveillant vis à vis des
gens du Livre.
Un deuxième hadith enseigne :
« Man huwa l-muslim ?
Huwa l-l‡¡salima an-nsu min yad¡hi wa lisnihi »5.
« Qu’est-ce que le Musulman ?
Le Musulman est celui qui épargne tout être humain de sa
mauvaise langue et de ses coups ».
Ces hadiths nous amènent à découvrir le procédé du
questionnement couramment utilisé par Muammad et qui lui
permettait de dépasser le stéréotype des réponses apportées
habituellement et de proposer une dimension plus philosophique à la
réponse. Il sollicite directement les Musulmans par des questions
4
Al-Bu›r¡, awhir al-Bu›r¡(« Les diamants de al-Bu›r¡»), éd Dr alFikr, 1922, p. 32. Mu¥®af Muammad ‘Amra écrit que le terme de
« Musulmans » ici correspond à tous ceux dont l’apparence des gestes
montre qu’ils se sont rendus à Dieu et dont la morale est celle de la religion
de Muammad.
5
Ibid.
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simples, mais étonnantes de sa part. Il joue sur la simplicité de
l’évidence, puis montre en fait la complexité. Il ajoute au savoir
populaire une touche linguistique et analytique. Obtenant une réponse
basique de la part des Musulmans, il les invite alors à la dépasser en
proposant une nouvelle dimension. C’est une forte incitation à aller
au-delà d’applications simplistes, déterminées une fois pour toutes, et
une sollicitation à valoriser les sens multiples. La polysémie concerne
ici le mot muslim que les Musulmans comprenaient habituellement et
comprennent jusqu’à maintenant au premier degré comme renvoyant
aux cinq piliers de l’islam. Dans ce deuxième hadith, le Prophète
finalement définit le Musulman comme celui qui respecte tout être
humain. Il explique donc aux Musulmans un code de bonne conduite
en les incitant à respecter tout être humain, non musulman comme
musulman, et ne fait référence à aucune pratique religieuse.
Un troisième hadith propose un autre élargissement de la
signification du mot muslim qui, là aussi, dépasse largement le
stéréotype répandu du « Musulman » et va amplement au-delà des
piliers de l’islam habituellement avancés en lui donnant une
dimension philosophique et étymologique.
« Man huwa l-muslim ?
Huwa l-l‡¡aslama amrahu li l-Lhi ».
« Qu’est-ce que le Musulman ?
Le Musulman est celui qui se rend à Dieu » 6.
Ce sens va également permettre à Muammad de dépasser le
concept figé qui emprisonne le Musulman dans un islam coupé de la
continuité par rapport aux autres religions monothéistes. L’expression
aslama amrahu li l-Lhi renvoie en fait toujours à Abraham.
Cette ouverture philosophique voulue par Muammad par
son questionnement sur le sens des mots s’est heurtée à une
compréhension devenue la plus courante qui est celle qui valorise
seulement les pratiques rassurantes, autour des cinq piliers de l’islam
6
Ibid.
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par exemple. L’éminent lettré As-Suy²®¡7 rapporte l’avis d’Ibn Fris
en nous disant qu’il avait sélectionné dans son livre Fiqhu l-Lu™a un
certain nombre de mots dont celui de muslim comme ayant été
chargés de nouveaux sens par l’islam.
Ces définitions du vocable muslim nous incitent à revenir sur
la recherche des sens coraniques autour du concept d’islm dont les
choix d’interprétation et de traduction sont significatifs des modes de
pensée.
3.
Des concepts interconfessionnels
Un certain nombre de mots étaient déjà employés à l’époque
préislamique et portaient donc des sens préexistant à l’islam. C’est le
cas du vocable islm qui renvoie aux sens antéislamiques et aux sens
apportés par l’islamisation. Le vocable s’est effectivement chargé de
nouvelles significations au fil des versets, des hadiths, des différentes
écoles de pensée et des différents commentaires. As-Suy²®¡8 attire par
exemple l’attention sur un certain nombre de vocables utilisés dans le
Coran et qui, selon lui, deviennent musulmans avec des sens
nouveaux, bien qu’ils aient été chargés d’autres sens lorsque les
Arabes les utilisaient avant l’islam. Une partie des théologiens et
linguistes ont compris les sens modernes de l’islam (en tant que
religion pour les Musulmans) comme exclusifs et n’ont pas pris en
compte la possibilité que certains sens puissent être cumulatifs et
donc aient pu conserver plusieurs sens dans le texte coranique luimême. Ils ont considéré que « le » sens islamique qu’ils attribuaient
devait effacer les sens étymologiques, antéislamiques et ont même nié
7
As-Suy²®¡, all Ad-D¡n ‘Abd Al-Ramn b. Ab¡Bakr (As-) Al-Muzhir f¡
‘ul²m al-lu™a wa anw‘ah (« Le Florissant dans les différentes sciences
linguistiques »), éd, Dr al-kutub al-‘ilmiyya, Beyrouth, vol. 1, p. 235,
1998.
8
As-Suy²®¡, Al-Muzhir, op.cit., vol. 1, p. 235.
84
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des sens multiples du vocable islm dans le Coran. Ibn Ÿ azm9 va
jusqu’à prétendre que le vocable islm n’existait pas avant l’islam et
qu’il est descendu de Dieu. Il nous semble, quant à nous, que malgré
le rajout de sens modernes, le Coran n’a pas toujours éliminé les sens
anciens.
La compréhension du vocable islm dans le Coran est
différente selon les périodes historiques de la révélation des versets
coraniques, selon le sujet concerné par la sourate et selon le degré
d’adhésion dans l’affichage de la religion. Se surimpose une autre
difficulté qui est celle de trouver le terme équivalent à ce vocable
islm pour la traduction. La transposition en français par le terme
« islam » nous apparaît souvent trop floue pour pouvoir prendre en
compte la polysémie du terme arabe. L’instrumentalisation de ce
terme en arabe et en français crée également un effet parasite qui
amène la confusion.
Nous commencerons par illustrer un premier sens dont
l’équivalent le plus proche nous semble être celui de « soumission à
Dieu » et qui se rapporte à des situations antérieures à la proclamation
de la religion musulmane. Le verset coranique suivant nous permet de
comprendre ce sens.
La famille de ‘Imran (3/19)
Repère Traducteurs
Nom de
verset
et
sourate
interprètes
3/19
‫ﺁل‬
‫ﻋﻤﺮان‬
La
famille
« ‫ﻹﺳْﻼم‬
ِ ‫ﻋ ْﻨ َﺪ اﻟﱠﻠ ِﻪ ا‬
ِ ‫ﻦ‬
َ ‫ن اﻟﺪﱢﻳ‬
‫»إ ﱠ‬
Inna al-d¡na ‘inda Allhi al-islm
La Religion pour Dieu est la
Soumission.
9
Langhade Jacques, Mina al-Qur’n il al-falsafa, Al-lisn al-‘arab¡ wa
takw¡n al-qm²s al-falsaf¡lad al-Frb¡(« Du Coran à la philosophie, La
langue arabe et la formation du vocabulaire philosophique de Farabi »), p.
136. Damas, 2000.
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de
‘Imrn
62
Denise
Masson
78
202
La
famille
La Religion aux yeux de Dieu est
de
vraiment la Soumission.
‘Imran
Régis
Blachère
La
La Religion aux yeux d’Allah est
famille
l’Islam
de‘Imrân
Bu›r¡
La religion aux yeux de Dieu est
la Vérité
Ibn Ka©¡r
Il n’y a chez Dieu de religion que
al-islm qui est le fait de suivre
les prophètes avec ce qu’ils ont
annoncé dans tous les temps
jusqu’à Muammad.
±abar¡
La religion de Dieu annoncée par
tous ses prophètes est la
Soumission.
Rz¡
Le vocable al-d¡n signifie à la fois
« la punition » et « l’acceptation ».
Le
vocable
islm
signifie
linguistiquement trois choses :
embrasser la religion musulmane
et la suivre, embrasser la paix ou
être fidèle à Dieu et à ses
recommandations.
531
98
181,
vol.78
Les grands commentateurs Ibn Ka©¡r et ±abar¡ interprètent ici le
vocable islm dans un sens large qui intègre le sens de « soumission »
pour les trois religions monothéistes et n’en font pas l’exclusivité de
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la religion musulmane. Le rapporteur Bu›r¡10 en propose également
une explication ouverte en donnant le sens de « Vérité » et en le
renvoyant donc aussi à un concept universel. Effectivement, il nous
semble que le texte coranique utilise le vocable islm dans le sens de
« Soumission à Dieu » pour l’ensemble de ceux qui sont soumis à
Dieu, donc aussi pour les autres religions. L’option de traduction vers
le français qu’a choisie Denise Masson est également celle de
« soumission ».
Mais cette partie de verset inna al-d¡na ‘inda Allhi al-islm
est devenue une expression de référence pour beaucoup de
Musulmans qui la répètent à l’envers l-islm huwa l-d¡n ‘inda l-Lhi
et la prennent à témoin pour affirmer que l’islam est la seule religion
reconnue par Dieu. Régis Blachère, dans sa traduction du Coran, va
dans ce sens puisqu’il traduit al-islm par « l’Islam ». Si Régis
Blachère opte pour la traduction d’« Islam » (avec la majuscule)
comme renvoyant à la religion musulmane, il est alors influencé par
une compréhension courante qui, par retour, comme un écho, nous
semble ici infiltrer le registre savant. Ce registre savant nous amène à
citer Ab² Ÿ ayyn qui rapporte ce verset mais dans la forme où il avait
été écrit dans le manuscrit coranique de Ibn Mas‘²d11 et dans lequel le
vocable an¡fiyya remplace le vocable islm.
« ‫ﻋ ْﻨ َﺪ اﻟﱠﻠ ِﻪ اﻟﺤَﻨﻴَﻔﻴ َﺔ‬
ِ ‫ﻦ‬
َ ‫ن اﻟﺪﱢﻳ‬
‫» ِإ ﱠ‬
Inna d-d¡na ‘inda Allhi l-anifiyya
« La religion de Dieu est la Soumission universelle
directe à Dieu ».
L’utilisation de an¡fiyya à la place d’islm montre qu’il ne
s’agit pas d’un islam réservé aux Musulmans, mais d’un islm qui
10
Ibn ‘Abbs, Ibn Qutayba, Makk¡ b. Ab¡ ±lib, et Ab² Ÿ ayyn, AlMu‘am al-mi‘ li-™ar¡b mufradt al-Qurr’n al-kar¡m, (« Dictionnaire de
l’assemblage des étrangetés des vocables coraniques »), p. 202, éd Dr al‘ilm li-l-malyyin, Liban, 1986.
11
As- Siistn¡, Ab² Bakr ‘Abd Allh b. Sul¡mn b. Al-’Aš‘a©Al-Ÿ anbal¡,
Kitb al-Ma¥if (« Le livre des Corans »), p. 31, vol. 1, éd Dr al-baš’ir alislmiyya, Beyrouth, 1995, rééd. 2002.
87
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englobe les Juifs, les Chrétiens et tout autre croyant. C’est pourquoi,
nous préférons ici utiliser le terme de « Soumission » pour éviter la
confusion avec la seule religion musulmane que nous nommons
« islam ». Nous choisissons d’ajouter la majuscule « Islam » pour
faire référence à la civilisation musulmane.
Régis Blachère nous donne, quant à lui, une traduction
complètement détachée du contexte historique qui, dans ce verset,
renvoie à la période préislamique, mais en tient compte pour le verset
suivant12 qui est pourtant dans la même sourate « La famille de
‘Imrn », à travers l’utilisation de muslim qu’il comprend alors
comme « soumis ».
D’après le Coran, l’idéal de tout croyant est d’être rappelé à
Dieu, soumis, ce qui est exprimé par la formule tawaffan muslim¡n.
Cette expression se trouve dans deux versets. Dans la sourate « Les
Hauteurs »13, il est fait référence aux sorciers de Pharaon qui ont cru
au Dieu de Moïse, et eux aussi souhaitent être rappelés à Lui, soumis.
Dans la sourate « Joseph »14, le sens de « soumission » est au cœur de
la compréhension du verset. Dans la sourate Jonas15, l’appellation de
muslim¡n est également valable pour les Juifs, comme pour tous ceux
qui sont soumis au Dieu d’Abraham. Cette sourate Jonas explique que
Pharaon avant la noyade se déclare parmi les « soumis », muslim¡n,
pour indiquer les Juifs.
L’interprétation qu’en font certains Musulmans essaie de
forcer le sens à travers ce qu’on pourrait appeler une « islamisation
du Coran » au sens de réduire le Coran à la religion musulmane en
refusant ce qui lui est antérieur. Rappelons pourtant que les versets
coraniques qui se rapportent à la création du monde, à Adam, à Noé,
aux gens des cavernes, à Abraham et à ses descendants, à Marie, à
Jésus, sont plus nombreux que ceux qui concernent l’islam en tant
que religion.
12
Coran, 3/67.
Coran, 7/12.
14
Coran, 12/101.
15
Coran, 10/90.
13
88
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Cette envie de réduction du contenu du Coran à l’islam passe
actuellement par un enseignement de vulgarisation qui essaie de
s’approprier certains termes coraniques au profit de la seule religion
musulmane. C’est ainsi que certains imm-s peuvent détourner
actuellement la formule coranique de tawaffan muslim¡n pour faire
un amalgame entre « Soumis » et « Musulmans ». Cette confusion
porte sur l’absence de distinction entre les différentes périodes
historiques et la non-différenciation entre les deux sens de
l’utilisation du vocable muslim dans le Coran. Dans leur envie
d’insérer des versets coraniques dans leur discours, ces imm-s
intègrent très souvent cette formule dans la conclusion de leur
discours, mais en adaptent l’explication. D’une part, ils privilégient
muslim¡n dans le sens de « Musulmans » ; d’autre part ils utilisent la
forme verbale de tawaffan dans une forme négative : La tatawaffan
ill wa nanu muslim²n. Dans cette formulation, ils sous-entendent :
« Ne nous faits pas mourir avant que nous soyons de véritables
Musulmans. »
Cela participe à la promotion d’un islam revu et corrigé en
dehors du registre savant et qui en retour, par l’imposition d’une seule
compréhension, contamine le sens d’origine du mot qui a finalement
tendance à s’effacer. Le vocable muslim n’a pas changé, mais perd un
de ses sens par cette sorte d’effet écho, lié à l’atmosphère sociale. Les
théologiens, interprètes du Coran, ont sans cesse lutté contre ce type
de simplification, qui a souvent été repérée au cours de l’histoire.
Cette forme d’instrumentalisation récurrente tend finalement à
influencer le sens du vocable islm.
La compréhension du vocable islm se trouve encore
davantage compliquée par une substitution synonymique16, dénoncée
par le texte coranique lui-même. En effet, les sourates « Les
Appartements »17, recommande de ne pas mélanger les deux concepts
16
Al Karjousli Soufian, La polysémie et le Coran, Thèse à la carte, éd Anri,
Lille, 2005.
17
Coran, 49/14.
89
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d’islm et d’¡mn. Ceci signifie que l’un n’est pas synonyme de
l’autre, le concept d’¡mn intégrant la pratique religieuse.
Conclusion
Les vocables islm et muslim ont été utilisés dans le texte
coranique pour désigner la « soumission », plusieurs degrés de
croyances et différents types de croyants. La croyance pour
Abraham18, patriarche de l’orient, a été décrite par le vocable islm,
ce même vocable étant aussi utilisé par le texte coranique pour décrire
la croyance des apôtres de Jésus19. Ce n’est que plus tardivement que
ces vocables ont commencé à désigner la croyance de ceux qui
suivent le Prophète Muammad. Les traducteurs doivent, à notre
sens, être sensibles aux enjeux de tels vocables qui peuvent, selon
leur compréhension, soit exclure certains, soit au contraire grâce à la
pluralité de leurs sens concilier les différentes croyances et
fonctionner comme sésame du dialogue interconfessionnel.
Bibliographie
Al Karjousli Soufian, La polysémie et le coran, thèse à la carte, Lille,
p.351.
As Siistn¡, Ab² Bakr ‘Abd Allh b. Sul¡mn b. Al-’Aš‘a© AlŸ anbal¡, Kitb al-Ma¥if (« Le livre des Corans »), réalisée par
Muib Ad-D¡n ‘Abd As-Sabn W‘i¼, éd Dr al-baš’ir alislmiyya, Beyrouth, en 2 volumes : 1 er vol. 479 p., 2ème vol. 467
p.1995, rééd. 2002
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