Club de lecture du 6 juin 2016 Le choix des bibliothécaires

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Club de lecture du 6 juin 2016 Le choix des bibliothécaires
Club de lecture du 6 juin 2016
Le choix des bibliothécaires
Chantal T. a sélectionné deux romans :
∞ « En attendant Bojangles » Olivier BourdeautEditions Finitudes janvier 2016
0livier Bourdeaut est né en 1980. L’Education Nationale, refusant de
comprendre ce qu’il voulait apprendre, lui rend très vite sa liberté. Dès
lors, grâce à l’absence de télévision chez lui, il peut lire et rêvasser
énormément.
Durant dix ans il exerce divers emplois en allant de fiascos en échecs avec
un enthousiasme constant. Il a toujours voulu écrire, En attendant
Bojangles, son premier roman a obtenu plusieurs prix dont le Goncourt
du premier roman.
Sous le regard émerveillé de leur enfant, un couple fou d’amour danse sur la chanson de Nina
Simone « En attendant Mr Bojangles » leur vie est une fête perpétuelle.
Chez eux, il n’y a de place que pour le plaisir, la fantaisie et les amis.
Celle qui mène le bal, c’est la mère, imprévisible et extravagante. Mais ces excentricités ne
manquent pas d’entrainer peu à peu la famille dans un gouffre. Dès lors, la réalité ne peut plus
être masquée à l’enfant. Ses confidences alternées avec celles de son père démontent ce jeu de
dupes. La folie s’installe…
Notre bibliothécaire a beaucoup apprécié ce roman loufoque et pétillant qui rappelle à la fois la
prose imagée de « l’Écume des jours » de Vian, et la légèreté du désespoir de « Tendre est la
nuit » de Fitzgerald.
∞ « Délivrances » de Toni Morrison- Editions Christian Bourgois (2015)
Toni Morrison, née le 18 février 1931 à Lorain en Ohio, est une romancière,
professeur de littérature et éditrice américaine, lauréate du Prix Pulitzer en
1988, et du prix Nobel de littérature en 1993. Ses thèmes de prédilection sont
l’identité bafouée et le déracinement.
Dès sa naissance Bride, noire de peau est rejetée par sa mère, mulâtre au teint
clair. La noirceur de sa peau lui confère une beauté hors norme. Au fil des ans et des rencontres,
elle connaît doutes, succès et atermoiements. Mais une fois délivrée du mensonge - à autrui ou
à elle-même - et du fardeau de l'humiliation, elle saura se reconstruire.
Françoise B a commenté « 2084, La fin du monde » de Boualem Sansal
Editions Gallimard 2015
Boualem Sansal né en 1949, est un écrivain algérien d'expression
française, principalement romancier mais aussi essayiste, censuré dans
son pays d'origine à cause de sa position très critique envers le pouvoir en
place. Il habite néanmoins toujours en Algérie, considérant que son pays a
besoin des artistes pour ouvrir la voie à la paix et à la démocratie. Il est en
revanche très reconnu en France et en Allemagne , pays dans lesquels ses
romans se vendent particulièrement bien, et où il a reçu de nombreux
prix.
Dans 2084, la religion d’Abi s’est répandue sur toute la planète après un
djihad nucléaire, la transformant en enfer religieux. Dans le livre, si tout fait allusion à l’islam
(Yölah et son Délégué Abi ; le Gkabul, le livre sacré ; les mockbas où les croyants prient ;
la Semaine de l’Abstinence absolue…), celui-ci n’est jamais cité en tant que tel.
L’Abistan, immense empire, tire son nom du prophète Abi, «délégué» de Yölah sur terre. Son
système est fondé sur l’amnésie et la soumission au dieu unique. Toute pensée personnelle est
bannie, un système de surveillance omniprésent permet de connaître les idées et les actes
d’individus déviants.
2084 fait bien-sûr référence à Orwell et à 1984, écrit en 1948 pour dénoncer la menace d’un
régime totalitaire inspiré du stalinisme.
La dystopie d’Orwell est toujours d’actualité. Le totalitarisme est plus soft mais tout aussi brutal,
c’est celui de la globalisation Big Brother, de la disparition des frontières et donc des nations, les
peuples servant de variable d’ajustement à l’économie. Mais en ce début de XXIe siècle, ce
totalitarisme rencontre sur sa route un système plus puissant que lui : l’islam.
C’est avec beaucoup d’humour et de légèreté que notre bibliothécaire nous a présenté ce roman
pourtant inquiétant et apocalyptique, que l’on peut voir aussi comme un pamphlet ou une fable
qui atteint parfaitement sa cible.
Claude T. a choisi de nous parler de la vie et l’œuvre de Chahdortt Djavann
Née en Iran en 1967, Chahdortt Djavann est romancière et essayiste. Elle
a notamment publié La dernière séance,Je ne suis pas celle que je suis, Big
Daddy , la Muette et une parodie des Lettres Persanes « Comment peuton être français ? »
Sa dernière livraison se situe entre fiction et document et dénonce les
aberrations des systèmes islamiques radicaux envers les femmes « Les
putes voilées n’iront jamais au paradis » est publié chez Grasset (avril
2016)
Considéré comme un brulot, ce roman puissant qui a pu être qualifié de pornographique, fait
alterner le destin parallèle de deux gamines extraordinairement belles, séparées à l’âge de douze
ans, et les témoignages d’outre-tombe de prostituées assassinées, pendues, lapidées en Iran.
À travers ce voyage au bout de l’enfer des mollahs, on comprend le non-dit de la folie islamiste :
la haine de la chair, du corps féminin et du plaisir. L’obsession mâle de la sexualité et la
tartufferie de ceux qui célèbrent la mort en criant « Allah Akbar ! » pour mieux lui imputer leurs
crimes.
Notre bibliothécaire nous invite à considérer ce témoignage accablant dans le contexte du
rapprochement actuel entre l’Iran et l’occident.
Evelyne B- « Juliette dans son bain » de Metin Arditi-Editeur Point-2016
Né à Ankara, Metin Arditi vit à Genève. Ingénieur en génie atomique, il a
enseigné à l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne où il a créé la
fondation Arditi (qui attribue une quinzaine de prix annuels). Il a également
créé la Fondation « Les Instruments de la Paix-Genève », qui favorise
l’éducation musicale des enfants de Palestine et d'Israël. Dans la plupart de
ses œuvres il traite de la difficulté de la filiation, de la solitude et de l’exil.
En mai 2000, le richissime mécène Kandiotis invité au journal télévisé, fait
don à la France de deux tableaux, l’un de Picasso, l’autre de Braque, qui
portent le même nom, Juliette dans son bain. Aussitôt, sa fille Lara est
enlevée par une mystérieuse « Association des Victimes » qui révèle au public, par des messages
successifs, les turpitudes réelles ou supposées du milliardaire.Construit comme un roman
policier, le récit décrit la lente destruction d’un homme qui ne se connaissait pas d’ennemi et ne
pensait pas avoir fait le mal dans sa vie. Est-il possible de bâtir une grande fortune sans se faire
d'ennemis? Voilà la question à laquelle Ronald Kandiotis se voit confronté? Ce roman au
dénouement surprenant propose une intéressante réflexion sur la richesse.
Marianne K : a sélectionné trois romans susceptibles d’entraîner le lecteur vers des
contrées lointaines.
∞ « Il reste la poussière »de Sandrine Collette Editions Denoël
L’auteur est née à Paris en1970. Docteur en science politique, elle partage
sa vie entre l’université de Nanterre et son élevage de chevaux dans le
Morvan. .Il reste la poussière, son quatrième roman se situe en Patagonie
dans un milieu hostile, au début du 20ème siècle, au sein d’une famille de
quatre enfants, des garçons et leur mère murée dans un silence haineux
depuis cette terrible nuit où leur ivrogne de père l'a frappée une fois de
trop. Elle mène ses fils et son élevage d’une main inflexible et se montre
indifférente au sort du plus jeune, Rafael, souffre douleur de ses frères
aînés. Incroyablement seul et, Rafael se réfugie auprès de son cheval et
de son chien. Alcoolique, la mère perd un de ses fils au jeu ; cet évènement va remettre en
question les rapports de force au sein du groupe et quelque chose va changer. Rafael
parviendra-t-il à desserrer l’étau de terreur et de violence qui l’enchaîne à cette famille? D’une
écriture remarquable, ce roman fait une place importante à la nature et aux animaux.
∞ « Soleil de nuit » de Jo Nesbo, roi du polar norvégien (28 millions
d’exemplaires vendus à travers le monde) .Chargé de recouvrer les dettes
pour le Pêcheur, le trafiquant de drogue le plus puissant d'Oslo, Jon
Hansen, succombe un jour à la tentation. L'argent proposé par un homme
qu'il est chargé de liquider permettrait peut-être de payer un traitement
expérimental pour sa petite fille, atteinte de leucémie. En vain. Trouvant
refuge dans un village isolé du Finnmark, et alors qu'il est persuadé d'avoir
tout perdu, Jon croise la route de Lea (dont le mari violent vient de
disparaître en mer) et de son fils Knut. Une rédemption est-elle possible ?
Peut-on trahir impunément le Pêcheur ? Que vous n’ayez pas lu le premier volet « Du sang sur la
glace » -que notre lectrice a peu apprécié- ne pose aucun problème : les deux histoires peuvent
se lire séparément.
∞ « Le trésor de la baie des orques »Kenneth Cook Editions J’ai Lu2015
Né à Lakemba, Nouvelle-Galles du Sud, 1927 Kenneth Cook journaliste,
réalisateur, scénariste et écrivain australien est décédé en 1987. Le trésor de la
baie des orques se situe à la fin du XIXème siècle au Nord de l'Australie et
raconte le destin Jonathan Church, un jeune homme ruiné qui rejoint le port de
Three Fold Bay pour y trouver du travail. Il devient pêcheur à la baleine et
partage ainsi le sort cruel et la vie rude de ces hommes placés sous la férule
d’un potentat local qui règne en maître absolu. Jonathan Church tombe
amoureux d’une jolie Japonaise, Yoko, dont le bateau a sombré dans la baie.
Celle-ci lui révèle qu’elle possédait une perle exceptionnelle qui malheureusement est restée
dans l’épave. Associé à un aventurier américain, Jonathan et Yoko vont tenter de récupérer le
trésor.
Evelyne C a choisi deux romans parus en 2016 chez Gallimard :
∞ « le Mystère Henri Pick » de David Foenkinos
En Bretagne, un bibliothécaire récupère les manuscrits refusés par les
éditeurs. Delphine, une éditrice parisienne y découvre un roman
remarquable écrit par un certain Henri Pick.
Pizzaiolo de son état, l’homme est maintenant décédé sans que sa femme
ne l’ait jamais vu écrire, ne fût-ce qu’une lettre. Publié par Grasset, le livre
devient un phénomène littéraire sans que l’on sache vraiment qui était
Henri Pick.Etait-il réellement l’auteur de ce chef d’œuvre ? Un
chroniqueur littéraire sceptique mène une enquête.
L’idée d’une bibliothèque des livres refusés n’est pas une invention de David Foenkinos, une
telle bibliothèque existe vraiment. C’est l’écrivain américain Richard Brautigan qui le premier a
imaginé le concept. Puis il s’est suicidé, et au tout début des années 1990 un fanatique a
concrétisé son idée. La “bibliothèque des livres refusés” a vu le jour aux Etats-Unis. Depuis, elle a
déménagé à Vancouver.
Résumons, un argument original mais assez mince, une idée empruntée à autrui, comment
étoffer ce qui doit faire un roman ? Autour de l’idée centrale de bibliothèque ouverte aux
refusés, gravitent d’autres petites histoires : Ainsi le livre décrit le fonctionnement du monde du
livre et de l’édition puisqu’on a : Un auteur à la recherche du succès, une éditrice ambitieuse,
deux bibliothécaires (dont le défunt Gourvec, à l’origine de la bibliothèque des refusés) des
représentants commerciaux chargés de la promotion des livres, des critiques littéraires et les
médias.
Le regard de Foenkinos sur ce petit monde dont dépend le devenir d’un livre est assez critique :
ce qui prime dans une telle entreprise c’est d’assurer le triomphe de la forme sur le fond ; est-ce
le livre ou le mystère autour de Pick qui est à l’origine du succès ? Dans un tel contexte, être
refusé devient un phénomène de mode qui peut aider à promouvoir un auteur.
Ce petit roman divertissant qui mène par ailleurs une réflexion sur le couple : comment il se
constitue, se défait, se retrouve ou peut se reconstituer pour de mauvaises raisons, possède les
qualités suffisantes pour agrémenter l’été de lecteurs privilégiant le délassement et la fantaisie.
On peut aussi lui reconnaître le mérite de rendre hommage aux bibliothèques et aux
bibliothécaires.
∞ « Mémoire de Fille » Annie Ernaux
Tous ceux et surtout celles qui ont eu 18 ans en 1958 ou qui ont connu
cette époque devraient être intéressés par ce bref roman, non pas pour y
lire les coucheries de la jeune Annie Duchesne, monitrice de colonie de
vacances lors de cet été 58, mais pour en retrouver l’essence.
On connaît la propension naturelle d’Annie Ernaux pour l’exhibition sans
fard de son moi intime.
Dans ce récit, elle s’acharne à faire revivre la fille qu’elle fût cet été là :
monitrice de 18 ans dans une colonie de vacances, découvrant une liberté qui deviendra vite
licencieuse.
Annie Ernaux explore les mentalités propres à cette France de 1958 corsetée de préjugés et de
tabous, cette France qui vit et pense encore comme si Simone de Beauvoir n’avait pas écrit « Le
deuxième sexe »(1949)
Les souffrances engendrées par une première expérience sexuelle désastreuse mais aussi la
mise à l’index par la petite communauté connaîtront des prolongements douloureux et même
pathologiques chez la jeune fille.
Ce récit peut parfois déranger par une tendance assez lourde, de la part de l’auteur, à se
complaire dans sa propre humiliation. Il faut toutefois lui reconnaître le mérite de ne rien tenter
pour édulcorer la vérité des faits : « Ne rien lisser. Je ne construis pas un personnage de fiction.
Je déconstruis la fille que j’ai été »
Parce qu’il lui fallait se laver de ce sentiment de honte enfoui pendant 50 ans mais aussi se
mettre à jour avec soi-même, parce que, dit-elle, il y aura bien un dernier été, un dernier amant,
et même un dernier livre et que la vérité d’un être c’est peut-être de devenir absolument soimême avant de mourir.
Soi-même, elle avoue l’être enfin devenue lorsqu’après quelques échecs et erreurs de conduite
elle retrouve l’estime de soi :
« J’ai commencé à faire de moi-même un être littéraire, quelqu’un qui voit les choses comme si
elles devaient être écrites un jour.
Ce qui compte ce n’est pas ce qui arrive, c’est ce qu’on fait de ce qui arrive…
C’est l’absence de sens de ce que l’on vit au moment où on le vit qui multiplie les possibilités
d’écriture »
Ce roman est une remarquable entreprise d’élucidation de soi au moyen de la littérature.

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