Pour devenir Fort... avec la Parole.

Transcription

Pour devenir Fort... avec la Parole.
Almanach 1909 : P. 78
Pour devenir Fort... avec la Parole.
Aux jeunes gens !
Tous les jeunes gens intelligents liront avec grand intérêt ce chapitre : il est écrit
exprès pour eux, avec la certitude de leur plaire et d’instruire un grand nombre.
Apprendre à s’exprimer
Dites-moi, jeune homme à l’œil vif et intelligent, n’êtes-vous pas désolé de rester
bouche close lorsqu’un bavard vient se moquer à votre nez de vos idées ? Tenez, voici
par exemple, un monsieur qui arrive dans votre groupe avec de belles phrases : Il vous
parle de «pêche progressive», de «lois océanographiques», des «engins rationnels» de
pêche, des «évolutions sociales» pour en arriver à vous démontrer avec élégance que
les pêcheurs bretons ne sont que des arriérés tournant le dos à la Science, et s’encroûtant par leur faute dans la misère... Vous, que répondez-vous ? Hélas ! Vous avez
bien senti votre sang bouillir, vous avez essayé peut-être de répliquer et d’exposer les
bonnes raisons pratiques des pêcheurs, mais, les mots ne vous viennent pas bien,
vous vous taisez, humilié, vexé... Et le monsieur s’en va, persuadé qu’il vous a donné
une bonne leçon, et ne soupçonnant pas vos points de vue judicieux et pratiques que
vous n’avez pas su exprimer plus clairement.
Voulez-vous un autre exemple ? Vous êtes à blaguer, sur le quai, entre camarades,
quand arrive un coiffeur, grand bavard, qui chante les vertus de l’eau-de-vie et raille
ceux qui n’en boivent pas. Vous qui êtes intelligent, vous savez bien que l’alcool ne
vaut rien, mais vous n’osez rien dire ; l’autre parait avoir la langue si bien pendue
que vous vous taisez, par crainte de ne pas pouvoir mettre les rieurs de votre côté ; et,
vous ragez en voyant quelques sourires moqueurs à votre adresse...
Voyons, cher ami, n’est-ce pas vrai que des humiliations de ce genre arrivent souvent au marin-pêcheur ? Le marin voudrait répondre..., pourtant il se tait... Pourquoi ?
Ah! Ne me dites pas que c’est par timidité ! Non, vous n’êtes pas des «timides» : mais
vous ne savez pas comment vous y prendre : vous ignorez les règles qui vous auraient
appris à répliquer, à causer, à convaincre les autres.
Cependant, c’est facile, croyez-le bien. Tenez, vous allez vite l’apprendre en lisant
les règles suivantes. Et bientôt, vous saurez vous servir adroitement de la parole ; vous
deviendrez crâne comme tout, sûr de vous, même devant les beaux parleurs. Vous
verrez ensuite comme vous serez fier de pouvoir prendre avec succès la défense de vos
idées, et faire valoir vos droits ! Et vous vous ferez estimer et aimer davantage ! Vous
vous sentirez si fort quand vous posséderez cette arme puissante qu’est la parole bien
maniée ! Donc, à l’ouvrage ! Vous allez lire et relire avec soin les conseils qui suivent.
Vous vous exercerez à les mettre en pratique. Et vous serez étonné des progrès rapides
que vous ferez. Dam ! Je ne vous garantis pas que vous allez, en quelques semaines,
pouvoir rouler les parleurs de profession, les avocats, mais, tout de même, soyez certain que vous deviendrez très adroit pour défendre les idées qui vous sont chères : vous
riposterez et vous ne craindrez plus personne.
Vous verrez comme vous y prendrez goût.
Voici donc, en quelques pages, les règles qui ont fait le succès de tous ceux qui
savent parler.
A l’étude, les débrouillards intelligents !
RÈGLES A OBSERVER afin d’apprendre à parler avec
succès et pour défendre ses idées.
I - Tout d’abord, voici comment il faut parler.
1° Parlez lentement.
2° Prononcez bien nettement chaque syllabe, souvent même les muettes des fins
de mots.
3° Articulez clairement tous les sons.
En effet, nous connaissons bon nombre de marins intelligents qui seraient des
causeurs très écoutés et très intéressants, s’ils voulaient parler quatre fois moins vite,
et bien prononcer. Les pêcheurs bretons ont une mauvaise tendance à parler beaucoup trop vite. Qu’ils réfléchissent bien à cette confidence que faisait à l’un de ses
amis le célèbre barde breton, Th. Botrel : « Le secret de mon succès, mon secret,
pour impressionner mes auditeurs est bien simple : je m’applique à prononcer et à
articuler avec force tous les sons, toutes les syllabes ».
Rien de plus vrai ; soyez bien persuadés que les trois conseils donnés plus haut
sont tout à fait importants. Allons, exercez-vous !
II - Parlez avec calme, toujours et quand même.
Restez calme, parce que si vous vous emballez, vos idées se précipiteront et les
paroles viendront en désordre sur vos lèvres : vous serez embarrassé, vous bégaierez...
des mots irritants vous échapperont, et, ça aura pour résultat de buter l’autre qui,
dès lors, ne tiendra plus compte des bonnes raisons que vous pourriez lui donner.
Souvenez-vous qu’un homme en colère ne réussit jamais à convaincre. Les
meilleurs arguments paraissent mauvais si on les dit avec emportement.
Donc, quelle que soit votre vivacité, restez calme afin de rester très maître de vos
sentiments. Du reste, si vous avez soin de veiller à parler lentement, il vous sera toujours facile de rester calme.
III - Parlez avec bonne humeur toujours.
Bien mieux, tâchez d’être aimable, surtout au commencement. En effet, ce que
vous désirez, c’est de persuader votre adversaire, c’est de lui faire reconnaître que
vous avez raison. Dès lors, il ne faut pas oublier le vieux proverbe : «On ne prend
pas les mouches avec du vinaigre». Voilà pourquoi, il faut penser tout le temps de la
discussion à être aimable ; cette volonté vous amènera tout naturellement, à commencer par un petit compliment : vous découvrirez bien chez l’autre quelque bonne
idée que vous vous empresserez d’approuver et de louer... Vous le disposerez ainsi à
mieux accepter vos raisons.
IV - Ne vous entêtez jamais dans un raisonnement
lorsque vous venez à découvrir que vous vous trompez.
Dans la plupart des cas, il faut reculer carrément et avouer votre erreur. Votre
adversaire sera favorablement impressionné par votre franchise ; cela le mettra de
meilleure humeur pour vous céder à son tour sur un autre point qui vous tient à
cœur.
V - Ne restez jamais court et muet, lorsque les raisons
de votre contradicteur vous embarrassent.
Il vous est toujours possible de vous dégager, par exemple, en faisant remarquer
que vous n’avez pas encore étudié suffisamment ce point-là, mais que telle personne
compétente pourrait répondre largement... Gardez-vous bien de répondre n’importe
quoi : mieux vaudrait alors le silence plutôt que du bavardage sans raisons... Surtout,
empressez-vous alors de lui poser à votre tour une question que vous savez embarrassante pour lui. Cela fera saisir qu’on ne peut pas répondre à tout, et il deviendra
plus indulgent pour vous.
VI - Attaquez le plus souvent que vous pourrez.
C’est la fin de la règle précédente qui nous conduit à celle-ci. Empressez-vous de
faire une question difficile à votre contradicteur toutes les fois que vous avez répondu à une objection de sa part et ne manquez pas de faire ressortir à fond les erreurs
qu’il peut commettre. Vous verrez comme cela le calmera vite.
N’oubliez pas que, pour discuter avec succès, il faut forcément connaître les différents côtés de chaque question : tachez donc afin de vous éclairer le plus possible, de
lire des bons livres souvent. Et défiez-vous comme du choléra, des nombreux livres
et journaux qui sont faits dans le but de vous tromper pour attraper votre argent ou
votre vote... Ne parlez que des choses que vous connaissez bien.
VIII - Et par-dessus tout ne vous laissez jamais aller au
découragement.
Rappelez-vous que quelques insuccès vous sont nécessaires de temps en temps
pour vous forcer à réfléchir et à lire davantage.
Dites-vous bien que presque jamais vous ne convaincrez un adversaire au moment
de la discussion, mais si vous avez raisonné sérieusement, il réfléchira ensuite et, s’il
est de bonne foi, il reconnaîtra ses erreurs.
RÉSUMÉ DE TOUTES LES RÈGLES
Pour apprendre à devenir fort avec la parole :
1° Parlez lentement, prononcez net, articulez toutes les syllabes ;
2° Restez calme toujours ;
3° Restez tout le temps de bonne humeur, affable, aimable tant que possible ;
4° Abandonnez votre raisonnement quand vous venez à découvrir qu’il est mauvais ;
5° Ne restez jamais court devant une objection, ou une attaque qui vous embarrasse : mais débrouillez-vous rapidement, d’une manière ou d’une autre. Seulement
rappelez-vous-en pour que ça vous serve de leçon et vous fasse étudier davantage ce
sujet-là ;
6° Cherchez toutes les occasions d’attaquer : aussitôt que vous avez répondu à une
première attaque, empressez-vous d’interroger à votre tour.
7° Etudiez souvent, mais dans des livres loyaux.
8° Jamais de découragement, puisque quelques insuccès sont nécessaires.
X. Y., Avocat.