Paulo Coelho, le courage d`être heureux

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Paulo Coelho, le courage d`être heureux
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J’ai connu Paulo Coelho comme « par hasard »,
dirai-je, pour commencer. A un de ces moments où on a
besoin de sortir de soi et d’entendre une autre voix. J’ai
donc mis la radio. Presque machinalement. Un journaliste présentait La Cinquième montagne. Un livre
écrit, disait-il, par « le célèbre auteur de L’Alchimiste ».
Je ne connaissais ni le livre, ni ce « célèbre auteur ». Le
journaliste parla du succès énorme du livre, mais aussi
des éditions Anne Carrière qui avaient eu le fin nez en
éditant un brésilien inconnu.
Des auditeurs téléphonaient, mais globalement, au
lieu de parler de La Cinquième montagne, qui était apparemment le sujet de l’émission, ils témoignaient, avec
beaucoup d’enthousiasme et d’émerveillement, des
changements dans leurs vies depuis qu’ils avaient lu
L’Alchimiste.
Quelques-uns, peu nombreux, appelaient pour dire
qu’ils ne comprenaient pas comment en plein xxe siècle
quelqu’un pouvait avoir du succès en « délirant » sur des
choses aussi irrationnelles, tels que Dieu, les anges, etc.
Ils allaient même jusqu’à se demander comment il pouvait y avoir autant de millions de débiles pour s’extasier
sur les écrits d’un gourou qui se prenait pour un prophète. Ils s’exprimaient avec une passion telle que je n’ai
pas compris comment on pouvait souffrir autant parce
que quelqu’un parle de Dieu et qu’il a des millions de
lecteurs.
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J’ouvre ici une parenthèse pour dire ceci : je ne sais
si je le tiens de ma culture finalement syncrétique (africaine, occidentale et créole), mais Dieu (celui
d’Abraham et de Jacob), les anges judéo-chrétiens et les
ancêtres « bantu » dans le même cœur, un sachet d’aspirines, une amulette, une carte bancaire et une croix de
Jésus dans le même sac à main, bref tout ce qu’il faut
pour se mettre à l’abri du mal d’où qu’il vienne, ne me
pose aucun problème existentiel. De même, enseigner
Pascal, Diderot et Sartre, dans le respect absolu des
convictions des uns et des autres ne me pose non plus
aucun problème. Je ferme la parenthèse.
Dans l’un comme dans l’autre sens, donc, il y avait
de la passion, beaucoup de passion. Le titre ne me disait
rien, a priori, sinon qu’il évoquait un domaine qu’on
aborde avec quand même quelques réticences. Ma curiosité s’est réveillée. J’ai donc voulu me faire ma propre
opinion. C’était en 1998.
Je me suis procuré L’Alchimiste et, disons-le tout de
suite, j’ai été complètement séduit non pas par l’histoire
de ce berger car en elle-même elle est toute simple, mais
par les principes qui y sont développés. Je ne perdais pas
de vue que ce n’était qu’un roman et qu’aucune identification au personnage ne devait être faite. Cependant, j’ai
compris que c’est un de ces rares livres qui touchent
directement notre côté sensible. Parce qu’ils posent des
problèmes qui ont tout à voir avec notre cœur et notre
esprit, deux domaines que l’on ne contrôle pas totalement, dans la mesure où ils ont pour fonction première
de nous relier au monde et de nous informer. Un beau
tableau, un lever de soleil, un magnifique paysage, un
regard… nous émeuvent (ou non). La question de savoir
« pourquoi ? » est secondaire, voire superflue.
Je dois dire aussi que cela correspondait à une
période où je me posais des questions sur mes choix per- 22 -
sonnels, un peu une sorte de « bilan et perspectives ».
Même si je donnais l’impression d’avancer – ce qui était
tout de même vrai dans certains domaines – en réalité, je
tournais presque en rond sur des sujets importants. Mes
amis attribuaient cela au fait que je frisais la quarantaine.
A cet âge, disaient-ils avec grande sagesse, tout le monde
se pose des questions qui disparaissent à cinquante ans.
Mais cette évidence ne me satisfaisait pas. Cependant,
personne ne m’a jamais assuré que dans dix ans je serai
encore vivant, et personne ne m’a jamais dit comment je
pourrai m’y prendre dès maintenant pour éviter des questions aussi sérieuses plus tard. J’ai toujours trouvé
quelque agacement à penser que les choses s’arrangeront
d’elles-mêmes. En attendant mes cinquante ans, donc, je
trouverai dans les livres de Coelho, notamment, de quoi
patienter et trouver la vie plus supportable.
La lecture de l’histoire de ce berger (qui est avant
tout une histoire romanesque) m’a envoyé une douce
fraîcheur, un peu comme celle qui vous accueille dans
une pièce climatisée lorsque vous vous échappez d’une
rue surchauffée par la foule et la canicule. Cette énergie
m’a beaucoup aidé à prendre le courage de me poser de
vraies questions, car mon désir était d’avoir de vraies
réponses et à me dire que si, finalement, les questions
venaient de moi, les réponses devraient aussi venir de
moi.
Plus tard, j’ai parlé « très pudiquement » de
L’Alchimiste à mes étudiants. A cette époque, j’enseignais (j’enseigne toujours d’ailleurs) les littératures françaises dans une université. Bien évidemment, j’ai profité
de cette occasion pour faire un rapide rapprochement
entre Diderot (dont le savoureux Jacques Le Fataliste
était au programme) et Coelho, plus particulièrement sur
les thèmes du hasard, du bonheur et du destin. Mes étudiants ont beaucoup apprécié non seulement
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L’Alchimiste, mais aussi la démarche : celle de parler
d’un écrivain vivant, qui « passe encore à la télévision »,
m’a-t-on dit. Il faut dire que la tradition universitaire en
France est tellement fière de ses classiques qu’elle a une
horrible peur des écrivains vivants, en général, et des
écrivains étrangers, en particulier.
Je préciserais que, grâce à ce rapprochement circonstanciel, mes étudiants ont eu un regard moins poussiéreux de la philosophie de Diderot en même temps
qu’ils découvraient un contemporain à travers
L’Alchimiste. Pour la première fois, j’ai pris conscience
que les problèmes posés par les écrivains, comme les
philosophes des Lumières par exemple, sont considérés
par nos jeunes étudiants comme des sujets purement scolaires et intellectuels, qui n’ont d’intérêt qu’à l’école, à
l’université ou dans les émissions littéraires. Or, la littérature n’est pas qu’un jeu intellectuel, elle nous parle
aussi de la vie.
Ces mêmes étudiants, usagers des éditions bon marché et des soldes n’ont pas hésité à se procurer la toute
première édition de 1994, à plus de 100 FF tout de
même. Ils ont beaucoup parlé de L’Alchimiste dans leur
entourage si bien que les libraires locaux m’ont demandé
si Coelho figurerait au programme les années suivantes.
Quelques réflexions dans ce livre témoignent du travail
accompli dans ce séminaire, que je juge fructueux.
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