Le Cabaret de la dernière chanc de la dernière chance

Transcription

Le Cabaret de la dernière chanc de la dernière chance
François Chaffin
textes et chansons
Le Cabaret
de la dernière chance
Une commande du Rollmops Théâtre de Boulogne sur mer
contact : François Chaffin - 6, rue d’Orsay - 91140 Villejust - 06 07 49 74 43
francois.chaffi[email protected]
Pour Amandine, Fanny, Stéphanie, Virginie, Laurent,
sans qui je serais moins que ce que je deviens…
© François Chaffin, toute reproduction interdite sans autorisation écrite préalable.
Qu’est-ce que cela peut faire qu’un cri
soit faible ou fort ?
Ce qu’il faut, c’est qu’il s’arrête.
Pendant des années, j’ai cru qu’ils allaient
s’arrêter, maintenant je ne le crois plus. »
(S. Beckett)
LE CABARET DE L A DERNIÈRE CHANCE
2
ÉCHAUFFEMENT AU BONHEUR…
© François Chaffin, toute reproduction interdite sans autorisation écrite préalable.
LA VOIX QUI VA BIEN :
- Vous vous sentez perdante, néante, béante, bêlante, gênante, fainéante ?!…
Non ?
Alors vous vous sentez collante, coulante, croulante, croupissante ?!…
Non plus ?
Vous vous sentez affligeante, agaçante, agglutinante, abracadabrante ?!…
N’est-ce-pas ?
Ou bien jaunissante, verdissante, moisissante, salissante, détergente, désinfectante ?!…
Non… Oui ?
Peut-être excédante, exaspérante, exhilarante, exorbitante, écœurante ?!…
Ha ! Qu’est ce que je vous disais…
Bouffante, surabondante, redondante, protubérante, olifante, urticante, ventripotente ?!…
Mais pas seulement !
Vous vous sentez mal portante, juif errante, contre-courante, au demeurante,
soi-disante, clopin clopante ?!…
Hein, hein, c’est ça, vous vous sentez nonobstante ?!…
…
Ce n’est rien (pas grave, pas grave) ! Rien qu’une impasse, mauvaise passe,
un p’tit coup d’fatigue, comme un trou dans ton cœur, un sale trou par quoi
tu coules toute entière, bec et ongles, les cheveux la peau les os les liquides,
et tant qu’à la fin t’es plus personne qu’un vide au féminin, juste une femme
à la mer, à fond d’cale, le cul dans la bouteille, une fille au bout du rouleau,
au bord du gouffre, exactement…
C’est rien, mesdames, du nerf, yaka, yaka, tout reprendre à zéro, plouf plouf,
total reset, on s’regroupe, on se r’compte les abattis, une deux, une deux,
j’en dis pas plus, toutes à vos marques, yaka, fokon, les filles, keep ze preasure,
à mon commandement, attention, le bonheur, ça s’échauffe, en position, inspiration, expiration, décompression, exaltation, libération, révolution !
MOI 1 :
- Moi, moi d’abord, ma gueule, mes soucis, ma déprime, le mou de mes appétits,
j’ai tellement de problèmes, vous comprenez, ma vie, si vous saviez, ma vie, comment vous dire, ça marche
pas, c’est tout bancal, du raté plein la gueule,
des couilles plein mon potage ! Je m’sens si creuse, à côté de toutes mes plaques, rien que des sales histoires,
du mouron, des tonnes de tuiles, des kilomètres
de cafard, je sais pas pourquoi je déguste autant, c’est dingue, j’ignore d’où c’est parti, sauf que tout va mal,
une guigne de folie, depuis toute petite, c’était pire déjà,
du sang partout, accouchée dans les hurlements, ils riaient tous, les salauds,
les ogres, les loups, les sorcières, toute la ribambelle des bouffeurs d’enfants,
et encore j’explique pas bien, je préfère pas qu’on parle de ma mère…
Heu, je bouge quoi, d’abord, pour me chauffer l’bonheur ?…
MOI 2 :
- Non, attend, non, moi, mézigue, itou, comme elle, du pareil à la même, ma vie,
ma vie, faut que j’vous dise, c’est important, c’est la première fois que j’ai le crachoir, vous comprenez, faut
qu’ça sorte alors, sinon j’explose ! Qu’est ce que je disais, oui, c’est ça, ma vie, et j’invente rien, ma vie comme
une chanson de Zola, pure déveine, de l’authentique pathos, une purge, si vous saviez, comme aller de
Charybde en Scylla mais en plus catastrophe, un destin comme une sortie de route, bielle coulée, culasse
foutue, la poisse, toujours une sale petite garce de mauvaise étoile qui me pend au nez ! C’ est pas pour me
vanter, mais comparez, allez-y, comparez les Labbacides, les Attrides et toutes les putrides de la mytho, à
côté de moi, elles font un peu manège enchanté leurs guignes, et d’ailleurs il n’est pas question de parler de
mon père, ok !…
Heu, pour me chauffer l’bonheur, je bouge quelle partie de mon désastre ?…
MOI 3 :
- D’accord, d’accord, vous deux, c’est pas Byzance, j’dis pas, mais bon, quoi, moi,
et je pèse mes mots, moi, ma pauvre pomme, et encore, je devrais dire trognon,
pas plus haute que la misère, comment dire, quels mots parleraient de mes insignifiances ! Tombée du ciel
comme une disgrâce, un kilo, un kilo deux peut-être, enfin presque rien, pas plus grosse qu’un rôti, chétive
LE CABARET DE L A DERNIÈRE CHANCE
3
et fripée, pas plus jolie
qu’un furoncle, ils en rigolent encore à l’hôpital, et depuis cette avarie toujours patraque, un aimant à
microbes, toutes les saloperies, cherchez pas, ma pomme, toute pourrite, des vers comme s’ils n’aimaient que
moi, mal foutue, tordue, fourbue, jamais les watts, une rachitique de la niaque, comme si Dieu testait sur
moi toute sa petite boutique de sortilèges ! Et encore aujourd’hui, je saigne moins, c’est vous dire, mais bon,
la famille, c’est vraiment pas le bon médoc…
Heu, mes sutures, je les bouge comment pour me chauffer l’bonheur ?…
LA VOIX QUI VA BIEN :
- C’est ça ! Faites monter ce qui vous fait mal, remuez toute cette cochonnerie
qui vous colmate le bien-être, et pleurez, pleurez comme de pauvres baignoires trouées !…
© François Chaffin, toute reproduction interdite sans autorisation écrite préalable.
SUPER REFRAIN JOYEUX :
- La vie c’est bon ça s’boit sans modération
Ca va ça vient y’a pas d’contre indication
La vie te pose pas tant de question
Y’a des y’a qu’à et des faut qu’on
Et à la fin une chanson
UN RÉPONDEUR
Allô…
Allô !…
Y a quelqu’un !?…
Virginie, t’es là ou …
T’es pas là alors ?
Bon.
(très long silence)
C’est moi c’est maman ta mère je vais pas bien, du tout, pas bien du tout,
j’ai l’impression que c’est la crève, tu comprends, je souffre, je suis sûre
que je vais crever !
Oh oui, j’t’endends déjà, tu vas me dire : “Pas grave, maman, c’est pas grave“…
Pas grave, t’en as de bonne je te dis que j’vais crever tellement j’ai mal !
Tu sais, une mère on en a qu’une et quand je s’rai plus là faudra pas
venir me chercher !
(très long silence)
Ton père est un salaud !…ah l’ordure…et puis j’en ai tellement assez
d’être l’esclave du chien…
Pourquoi je te dis ça moi, oh, si tu savais, t’aurais vu la tête du docteur,
je suis sûre que je vais y passer, mais tout l’monde s’en fout, bien sûr,
ma voix, mes histoires, c’est comme si je pissais dans ton répondeur…
(très long silence)
Ca va toi, tu dis rien mais c’est sûrement parce que tu n’es pas chez toi ?…
Ah la la, ah la la, la la la la…
Tu as fais quelque chose pour tes jambes ?
Tes jambes, vraiment, c’est tout le portrait de ton père…
Ma pauvre petite !…
Mais tu as de beaux cheveux. Moi je vais les couper très court, j’en ai marre,
vous allez voir…
Tu sais je suis une sainte, une sainte, et je pèse mes mots !
Fatiguée, vidée, lessivée, j’dors plus, et puis ton père, ton frère, ta sœur,
tous, tous infects !
Allez, c’est pas grave, hein, on se rappelle quand j’irai mieux, même si ça m’étonnerait beaucoup. Embrasse
la petite et ton Jules, je sais pas si… non… rien.
C’était ta mère.
(clic)
CHIMIE DE FEMME
Une pincée d’aluminium
LE CABARET DE L A DERNIÈRE CHANCE
4
Sur trois beaux zestes de césium
Sans oublier mes iridiums
Ni mes vapeurs ni mon hélium
Carbone et Chrome et rubidium
Bouquet garni de nobélium
Le soufre un peu pas trop d’erbium
Juste c’qu’il faut de vanadium
Où j’ai foutu le pollonium
Ha le voilà dans mon calcium
C’est bien meilleur avec l’osmium
Dans mes ragoûts de berkelium
Soixante et onze pour cent d’une eau salée
Où d’aquatiques mâles se sont noyés
La femme est océan et naufragée
Baigne en ses flux le sang de ses marées
Flotte en son sein l’amour désamarrée
Dans le bouillon de mon radium
Tous mes grumeaux de silicium
L’âme et la chair de zirconium
Mes petites’ pulpes d’uranium
Tantale n’est rien ni l’europium
Et lâchez mon protactinium
Je suis infuse gadolinium
Précipitée de potassium
© François Chaffin, toute reproduction interdite sans autorisation écrite préalable.
Venez goûter mon dysprosium
Ma cerisette et mon Gallium
Servez-moi chaude en sanarium
Et saoulez-vous de mes sodiums
Soixante et onze pour cent d’une eau salée
Où d’aquatiques mâles se sont noyés
La femme est océan et naufragée
Baigne en ses flux le sang de ses marées
Flotte en son sein l’amour désamarrée
JE SUIS VENUE, J’AI VU, J’AI PAS PU…
Je suis venue
Au p’tit matin
Dans la rosée
D’un ciel mutin
Je dégoisais
Pire qu’un lutin
La pleine bouchée
De mes oursins
Moi l’accouchée
Du vilebrequin
Me voilà née
Six heures moins vingt
Je suis venue !
Alors j’ai vu
LE CABARET DE L A DERNIÈRE CHANCE
5
Dans les boussoles
Un océan
Que rien n’affole
Deux éléphants
Prendre leur vol
Trois ouragans
Faire les guignols
Tout l’bataclan
Des métropoles
Et puis le sang
Jaillir du sol
Alors j’ai vu !
Mais j’ai pas pu
Pauvre hirondelle
Aux équateurs
À tire d’aile
Trouver la lueur
Perpétuelle
La bonne humeur
Qui me démêle
Une étincelle
Un ascenseur
Providentiel
Pour le bonheur
Mais j’ai pas pu !
© François Chaffin, toute reproduction interdite sans autorisation écrite préalable.
Je suis venue, j’ai vu, j’ai pas pu
Ni supputé qu’en plus de mon nu
Je serai bue, mais qui l’eût cru
Tombée dans une feuille de laitue
Je suis venue
C’était midi
Un grand soleil
De chaud farcie
Comme une abeille
Léchait ma vie
Jusqu’aux oreilles
Je me suis dit
Que vivre au lit
Bailler corneille
Midi minuit
Était merveille
Je suis venue !
Alors j’ai vu
Mille chimères
Me chahuter
L’esprit la chair
Et pique niquer
Sur mes paupières
Une opiacée
Si éphémère
Que j’ai caché
Ma dure-mère
Dans l’fond ouaté
D’une atmosphère
Alors j’ai vu !
LE CABARET DE L A DERNIÈRE CHANCE
6
Mais j’ai pas pu
Dormir encore
Encore une fois
Multicolore
Rêver de toi
Ou Doryphore
Au fond de moi
Trouver de l’or
Aimer sans loi
Ni corps à corps
Et un deux trois
Je m’évapore
Mais j’ai pas pu !
© François Chaffin, toute reproduction interdite sans autorisation écrite préalable.
Je suis venue
Tombait le soir
Un crépuscule
Semblait vouloir
Que j’coagule
Dans l’trou du noir
Petite et nulle
Mais un beau soir
Une libellule
Sur un miroir
M’a dit : “Globule
Vis tes histoires“
Je suis venue !
Alors j’ai vu
Tous les quidams
Partir en foule
Et m’sieur madame
En chair de poule
Nous faire des squames
Et des blackboules
Dans l’monogame
Et la semoule
Ah quel programme
Que ces maboules
Sans queue ni âme
Alors j’ai vu !
Mais j’ai pas pu
Dans ces milliards
Trouver un homme
Pas trop cafard
Un astronome
Un peu jobard
Qui métronome
Mon nénuphar
Qui soit tout comme
Un malabar
Et tourne ma pomme
Contre l’espoir
Mais j’ai pas pu !
LE CABARET DE L A DERNIÈRE CHANCE
7
PETITES ANNONCES
1/ Femme plate, terriblement plate, cherche homme sans horizon pour consommer verticalité, et plus si
piolet en bon état.
2/ Femme enfant, terriblement enfant, cherche homme pileux, modèle Moise,
pour dénouer son oedipe, et plus si belle-mère décédée.
3/ Femme physique, terriblement physique, cherche homme en pensée
pour rééquilibrage neurosensoriel, et plus si court-circuit.
4/ Femme seule, terriblement seule, cherche homme orchestre pour unisson ou java, et plus si cordes bien
à son arc.
5/ Femme oiseau, terriblement oiseau, cherche homme exerçant l’ornithologie douce pour planer au sept et
huitième ciel, et plus si ascendants favorables.
6/ Femme qui louche, terriblement louche, cherche homme pas clair pour navigation en eau trouble, et plus
si naufrage.
7/ Femme superbe, terriblement superbe, cherche homme insignifiant pour flatter
son ego, et plus si costume de Casimodo.
8/ Femme fatale, terriblement fatale, cherche homme sans issue pour fausse fin
en noir et blanc, et plus si format kinémascope.
9/ Femme épilée, terriblement épilée cherche homme pré pubère pour frottis
sans douleur, et plus si mousse à raser.
10/ Femme pulpeuse, terriblement pulpeuse cherche homme épluchure
pour lui peler la cerise, et plus si fruit défendu.
11/ Femme triste, terriblement triste cherche homme prosac pour viager rapide,
et plus si balles réelles.
12/ Femme rock, terriblement rock cherche homme guimauve pour chakapoum
sans inspiration, et plus si musique d’ascenseur.
© François Chaffin, toute reproduction interdite sans autorisation écrite préalable.
13/ Femme objet, terriblement objet cherche homme maladroit pour démarrer collection de potiches, et
plus si deux mains gauches.
14/ Femme soumise, terriblement soumise cherche homme lessivé pour quelques heures de ménage, et plus
si plumeau derrière.
15/ Femme rustique, terriblement rustique, cherche homme acajou pour meubler
son intérieur, et plus si encaustique.
16/ Femme tango, terriblement tango, cherche homme avec de grosses bolas
pour sensualité bovine et plus si papa de la pampa.
17/ Femme mariée, terriblement mariée, cherche homme bagué pour célibat
en couple, et plus si deux salles de bains.
18/ Femme ta gueule, terriblement ta gueule, cherche homme sans voix pour
couper sa chique, et plus si bouche en cul de poule.
19/ Femme de ménage, terriblement ménage, cherche homme lessivé
pour nettoyage en règle, et plus si patins monstrueux.
20/ Femme voilée, terriblement voilée cherche homme cagoulé pour
relations anonymes, et plus si feu au cul.
LE CABARET DE L A DERNIÈRE CHANCE
8
AMOURS CHAGRINES
Amours chagrines sans abondance
Je dégouline des ambulances
Et rembobine un vieux silence
Dans la sanguine de tes absences
Ch’uis qu’une sardine sans importance
Où se burinent les abstinences
Une naphtaline qu’a pas eu de chance
Et se vaccine de l’existence
Dans ma poitrine crevée d’errance
Se cocaïnent des enfances
Les aspirines d’impuissance
Où calaminent nos distances
© François Chaffin, toute reproduction interdite sans autorisation écrite préalable.
DEUX RÉPONDEURS
Allô, Anna ?… Ah non, pardon, c’est le numéro de Fanette !
Oh écoute, c’est dingue de chez les fous ce qui m’arrive, un truc de folie, oh écoute, j’étais chez Ludo, tu sais le
p’tit casse pied qui livre les frigos, oh écoute, une folie pure, j’te dis, écoute, il faut que j’te dise, donc, j’arrive
chez lui, tu sais Ludo, mais si, les frigos, oh écoute, tu t’souviens, non ?…
Fanette ? Tu m’écoutes ?…Je te demande si tu connais Ludo qui livre des frigos ?…
Tu dis rien ?
(très long silence)
T’es pas là alors…
Oh écoute, c’est dingue de parler toute seule sans personne dans l’appareil
et puis je me demande à quoi ça te sert d’avoir un répondeur puisque
t’es jamais là !...
(très long silence)
Bon ben écoute tu m’as coupé la chique là…
Et toi,ça va, toujours divorcée ?
C’est une catastrophe… Ecoute ma chérie, ça va être dur je me demande comment tu vas faire pour t’en sortir
c’est tellement important d’avoir un homme à la maison surtout pour les commissions ça aide oh écoute je
dis pas mais aujourd’hui
on ne sait plus aimer, l’autre n’existe plus, on s’aime soi !
C’est dingue vous les jeunes écoute fais très attention Fanette attention attention
oh écoute c’est peut-être le moment ou jamais de voir un psy !!!
Tu sais, ces histoires, c’est toujours 50/50 !
(très long silence)
Mais nom de Dieu, j’arrive pas à y croire, c’est moi qui vous ai transmis
toutes ces angoisses ?
…
T’es toujours pas là ? Tu pleures au moins ?…
Bon…
T’es sûre que ta décision est prise, oh écoute tu crois que tu vas pouvoir
t’en sortir ?…
Evidemment tu veux tout tout de suite, alors voilà, ça devait arriver…
Mais je peux quand même dire quelque chose !
En même temps, tu te trompes faut pas chercher les p’tits bonheurs…
Ecoute, je suis confuse, je viens de me souvenir que tu embarques
sur le Paris Tokyo avec la compagnie Aeroflot…
Je t’aime ma chérie, c’est pas grave…
Heu, ne m’rappelle pas tout d’suite je vais manger chez des copines, là…
Pas grave…
(clic)
LE CABARET DE L A DERNIÈRE CHANCE
9
LE VERTIGE DE PÉNÉLOPE
Dans le chiffre de ses conforts
Elle se r’aspire tout le décor
Se robot mixe sans effort
Met dans son cœur un peu de chlore
Dans le chiffre de ses maris
Elle dit avoir des compagnies
Mais du silence jusqu’à la lie
Qui fait au vivre un bruit de scie
Dans le chiffre de ses copines
Elle se cancane entre sardines
Des jus de mots de la débine
Et des salives de Palestine
Vertige
Mais dans les bras de cet oiseau bancal
Vertige
Elle se perfuse au jus de ses spirales
Vertige
Et si loin des langueurs ombilicales
Vertige
S’abandonne au désir qui la déhale
Dans le chiffre de son miroir
Elle maquille de quelques noirs
Les yeux ratés d’une autre histoire
Qui lui racontent qu’il va pleuvoir
Dans le chiffre de sa pendule
Elle se tricote une paire de mules
Pour aller droit au vestibule
Naphtaliner sa libellule
© François Chaffin, toute reproduction interdite sans autorisation écrite préalable.
Dans le chiffre de ses amants
Elle se sent avoir mille ans
Mille ans pourtant rien que ses dents
Pour se croquer la pomme d’Adam
Vertige
Mais dans les bras de cet oiseau bancal
Vertige
Elle se perfuse au sang de ses spirales
Vertige
Et si loin des langueurs ombilicales
Vertige
S’abandonne au désir qui la déhale
POUR DEVENIR GRANDE
Pour devenir grande il a fallu que je finisse d’être petite
Vivre, avant toute autre chose, vivre dans l’instant…
Construire exactement ma vie sur cette seconde, ce dixième,
Etre grosse du passé, cabossée d’avenir…
Mais n’être pleinement que dans l’enfantement du présent,
Cette seconde, ce dixième…
LE CABARET DE L A DERNIÈRE CHANCE
10
Je courais partout, tout l’temps, j’attrapais tout, j’avais peur de perdre…
Quoi ? Je n’en sais rien, tout, évidemment. J’ai su que je devrais mourir,
je rêvais que des bombes explosaient tout autour de moi…
Je pensais que je pourrais sauver un peu tout l’monde…
Portos, quand il est mort, d’abord je n’y ai pas cru, je n’ai pas cessé
De l’appeler :“Portos, Portos, où es-tu ?“ L’a pas répondu…
Comment tu veux que ça réponde, un caniche…
Surtout qu’il était mort, ça aide pas…
Moi c’est pareil, j’avais deux poussins ; une nuit d’hiver, on les a oubliés dehors, devant la maison. Le lendemain ils étaient morts, comme deux p’tits esquimaux
gelés sur le capot de la voiture…
Je ne voulais pas croire que les gens qui meurent, ils pourrissent…
Et moi, mes lapins ! Un jour, ils ont disparu : le soir, à la maison, nous avons mangé du lapin, avec une sauce
beige et des petits légumes. Je regardais mes parents,
ils faisaient comme si… J’avais un goût de sang dans la bouche…
Je pensais que manger ne faisait pas grossir…
Je ne savais pas que les parents pouvaient mentir…
Je croyais que c’étaient des trucs de vieux, les souvenirs…
Je me suis fais enlevé l’appendice et aussi l’appendicite…
Mon arrière grand mère est morte ; c’était la dernière de la famille…
Alors ils ont vendu la maison de notre famille…
Quelqu’un avait volé mes poupées…
Quelqu’un avait jeté mes dessins…
Tout va bien tout va bien tout va bien
Et moi, qu’est-ce que j’vais bien putain
Tout va bien tout va bien tout va bien
Mais qu’est-ce qu’on dira demain…
© François Chaffin, toute reproduction interdite sans autorisation écrite préalable.
Petite, petite : c’était le matin, il manquait le soleil dans le ciel et on m’a dit
que le père Noël n’existait pas, que c‘était des histoires et que les histoires,
c’était moins fort que la vraie vie…
J’ai tout de suite compris que c’était pareil pour la petite souris et les cloches…
De toute façon il ne voulait pas donner de cadeaux aux enfants pauvres…
C’est moi qui ai décidé d’en finir avec mes poupées…
A onze ans, j’ai connu le goût d’une première cigarette…
J’ai arrêté de sucer mon pouce et de me tordre les dents…
Et puis le docteur a dit à ma maman : “ Nous pouvons avoir peur d’un cancer“.
Elle pleurait, je lui ai dit : “Maman, si je meurs c’est juste parce que c’est comme ça, c’est pas grave, je ne veux
pas que tu sois triste“…
Petite, j’ai eu la sensation d’être plus forte que ma mère…
Je l’ai regardée pleurer… “C’est pas grave, maman, c’est pas grave“…
Petite, j’ai compris que je ne serai pas toujours un modèle pour mes frères
et mes sœurs… Qu’on ne pouvait pas être le champion des enfants…
Qu’il fallait toucher terre…
Que c’était fini, les cabanes, les doudous, la vie de câlins…
Petite, j’ai senti que mon père pouvait me faire honte, parfois…
LE CABARET DE L A DERNIÈRE CHANCE
11
Et puis un jour, j’ai cessé d’aimer mon grand-père, j’ai décidé que j’en avais le droit…
J’ai dit non à mes vieux, jamais plus à mes parents, et merde à ma mère
qui voulait toujours choisir mes habits…
Finies les punitions, les violences, l’injustice !…
J’ai regardé des amis me quitter, j’ai rencontré de nouvelles têtes…
Je me suis laissée pousser les seins…
J’ai regardé à l’intérieur de moi, et j’ai compris que j’y étais seule,
et qu’il fallait faire avec…
Je pensais que c’était beau, d’être malheureuse, que ça se portait facile,
comme un vêtement, que c’était intéressant, que ça me rendrait belle…
Je croyais que Dieu avait des yeux pour moi toute seule…
Qu’il allait toujours marcher à mes côtés…
Mais là, quand j’ai senti qu’il se foutait de mon chagrin, qu’il ne m’aiderait pas,
là, j’ai laissé tombé…
“C’est pas grave, non, c’est pas grave“…
Un coup de pied au cul et hop, zou, fini l’éternel !…
Tout va bien tout va bien tout va bien
Et moi, qu’est-ce que j’vais bien putain
Tout va bien tout va bien tout va bien
Mais qu’est-ce qu’on dira demain…
Et vite, vite, je me suis dépêchée d’aimer…
Je croyais que c’était facile de dire je t’aime…
Je trouvais que c’était facile d’écrire je t’aime…
Je croyais qu’il fallait faire vite…
Arpenter toute la carte de mon quartier, de ma ville, mon pays et puis le monde…
Arpenter les hommes…
Je dessinais l’homme de ma vie, et comme il me prendrait dans ses bras…
Je me disais que l’amour, c’est la réciproque…
Je croyais que si je mourais, on n’allait plus m’aimer…
Je croyais que sans aimer, j’allais mourir…
Quelquefois, en me penchant tout au-dessus, je ne voyais qu’un trou noir…
Je ne savais pas ce qu’allait devenir tout mon amour, après ma mort…
“C’est pas grave, pas grave“…
© François Chaffin, toute reproduction interdite sans autorisation écrite préalable.
Je demandais, je demandais, je demandais…
Quand j’étais plus très petite, je croyais encore à ceux qui disaient
qu’ils allaient m’aider…
Un jour, un homme a voulu m’aider…
“Petite, tu n’es plus une gamine, monte, on va faire un tour dans mon auto“…
Il me touchait, moi, je ne bougeais plus ; je croyais encore qu’il voulait m’aider…
J’ai pas aimé le regard de ces hommes, j’ai pas aimé qu’ils me montrent leur sexe…
J’ai pas aimé que mon père danse avec Chantal…
J’ai pas aimé que mon père trempe les yeux de ma mère…
J’ai pas aimé que mon père nous abandonne, comme juste avant l’été, un chien,
sur une route inconnue…
“Pas grave, les filles, pas grave…“
Je croyais que peut-être je ne le reverrais jamais… Mon papa…
J’ai appris à me méfier de mes jamais…
De mes toujours…
Je pense à l’enfance, aux sorcières de mon enfance…
Je ne crois plus que c’est pour toujours…
Je sais que le prince charmant possède une voiture…
LE CABARET DE L A DERNIÈRE CHANCE
12
Mais j’embrasse pour de bon…
Tout va bien tout va bien tout va bien
Et moi, qu’est-ce que j’vais bien putain
Tout va bien tout va bien tout va bien
Mais qu’est-ce qu’on dira demain…
Alors, quand j’étais grande, j’ai commencé à cueillir moi-même mes souvenirs…
Et quelquefois je ne me souvenais plus de mes souvenirs…
Ni les bons, ni les mauvais…
J’ai commencé à oublier des morceaux de mes enfances…
J’ai compris qu’il fallait faire vite…
Je croyais que la vie c’était du solide et depuis je n’ai jamais cessé de sentir
le vide sous mes pieds…
J’ai découvert que les choses ne me tomberaient plus toutes cuites en plein bec…
Que du sable s’échappait d’entre mes doigts…
J’ai trouvé que les méchants n’habitaient pas que dans les dessins animés,
et que les gentils gagnaient de moins en moins souvent…
Qu’on pouvait être con, lâche, égoïste et vulgaire et se faire une belle vie
avec un peu de fric…
J’ai su que je pouvais haïr…
J’ai appris encore à fermer les yeux…
“Pas grave, hein, pas grave…“
© François Chaffin, toute reproduction interdite sans autorisation écrite préalable.
J’ai accepté de lâcher mes certitudes…
Ne pas tout contrôler…
Se laisser un peu aller, choisir le vent…
Me donner entière, ou un peu, pas mal, à la folie, pas du tout !…
Je pensais que j’aurai le temps de tout faire…
Le temps de vivre, le temps d’avoir le temps…
D’être toute nue…
Je pensais vraiment que Gérard Philippe me regardait nue dans ma chambre…
Je me disais que sortir avec Robert n’était pas une honte…
Je me disais que c’était pas non plus le Pérou…
Ni l’Amérique, ni ce dont je rêvais quand j’étais petite…
“Pas grave, les filles, c’est pas si grave…“
J’ai découvert qu’on pouvait me tromper, moi, moi, moi !…
Tout va bien tout va bien tout va bien
Et moi, qu’est-ce que j’vais bien putain
Tout va bien tout va bien tout va bien
Mais qu’est-ce qu’on dira demain…
Mais j’ai rencontré le hasard…
Amoureuse plusieurs fois…
J’ai senti que c’était mal et j’ai senti que c’était bon…
Que je ne serai jamais comme ma mère…
J’ai senti que devenir soi faisait grandir…
Et que donner la vie était un cri et puis un chant…
Etait… Absolument…“Pas grave…“
J’ai compris que ma peur ne nous protégeait pas…
Mais que l’amour, et mes mains, mon courage : si !…
LE CABARET DE L A DERNIÈRE CHANCE
13
J’ai retrouvé le père Noël, son traîneau, les cadeaux, toutes mes enfances…
Je suis repartie, je suis en route…
J’ai lâché le malheur, ça m’emmerde le malheur !…
Je sais quoi dire à mon enfant…
Je sais me taire…
Je le regarde qui pousse…
Je suis en route !…
Je suis en route !…
Je suis en route !…
Tout va bien tout va bien tout va bien
Et moi, qu’est-ce que j’vais bien putain
Tout va bien tout va bien tout va bien
Mais qu’est-ce qu’on dira demain…
© François Chaffin, toute reproduction interdite sans autorisation écrite préalable.
TROIS RÉPONDEURS
Allô, Stéphanie, t’es là ?…
Mais où est-ce que t’as encore disparue, ça fait une semaine qu’on sait pas
où t’es fourrée !
Déjà dimanche tu n’es pas venue c’était les quatre vingt ans de papi
et puis mardi l’anniversaire du pilou et même jeudi souvent tu viens me voir
le jeudi mais là non t’es pas venue franchement je m’inquiète.
T’es malade ou quoi, qu’est ce que tu couves, t’as le sida, le cancer,
la maladie du poulet ?
Tu veux rien me dire ?
(très long silence)
J’suis inquiète…
Moi je voulais juste te dire que je t’aime…
Tu sais si tu veux qu’on parle, n’hésite pas je suis là pour ça, et même pleurer,
si ça te fait du bien, bon, et ben pleure, moi, je t’assure, ça ne me dérange pas…
(très long silence)
P’tite louloute, t’es trop mignonne, et puis si forte avec ça, c’est dingue
ce que t’es forte !
Des fois c’est ça qui me fait peur…
Enfin tu sais, c’est la vie, elle est difficile pour toi comme pour moi.
Et encore, toi, tu n’es pas la femme de ton père, tu sais pas ta chance !
Mais bon, je crois pas que je pourrai vivre toute seule, c’est pas comme toi,
je suis ta maman, je suis pas aussi forte que toi…
Enfin ça va…
(très long silence)
Et pourtant y sont pas bons mes résultats…
J’ai tellement besoin de dormir, comment veux tu que ton père comprenne ça !
Tu me le diras si t’as des choses à me dire mais bon, pas en ce moment, hein,
je suis pas très solide et j’ai besoin de penser à moi…
Ca fait longtemps que ça te fait mal ?
(très long silence)
P’tite louloute, t’es trop mignonne…
Allez, je vais pas tout te gâcher ton répondeur, appelle moi, et surtout,
ne sois pas trop dure avec toi, avec le caractère que tu as !
(clic)
LE CABARET DE L A DERNIÈRE CHANCE
14
SI TU SAVAIS
Si tu savais si tu savais
Dedans l’écho de nos horloges
Comme il se compte et se déloge
Le sentiment d’éternité
Si tu savais si tu savais
Le tas des mille et une nuits
Et la citrouille de nos minuits
Sur l’étagère bien alignés
Si tu savais si tu savais
Comme il s’en va mais nous revient
Et mon désir et puis le tien
Aussi souvent que nos cafés
Si tu savais si tu savais
Le bruit des yeux quand ils se cassent
Au salé quand ils se ramassent
Mouillent des bleus démaquillés
Si tu savais si tu savais
Le chiffre de ma défaillance
Et comme entre nos deux silences
La chair a de ces envolées
Si tu savais si tu savais
Où renaissent mes sortilèges
Sur l’ordinaire quand ils s’abrègent
Et retombent en gros bouquets
Si tu savais si tu savais
Comme il se tient sans équilibre
Cet acrobate qui nous vibre
D’un même pouls désemballé
© François Chaffin, toute reproduction interdite sans autorisation écrite préalable.
Si tu savais si tu savais
A l’horizon de nos fenêtres
Ces grands oiseaux sans périmètre
Qui me voltigent un tantinet
Si tu savais si tu savais
Pour le meilleur et pour le pire
Entre deux portes et trois soupirs
Comme j’ai aimé ne plus t’aimer
Mon vieux Raoul mon bon Edouard
Dix sept ans et puis ce soir
Qu’on agglutine nos déboires
Ma petite poule mon gros chat noir
Dix sept ans mais pas ce soir
Qu’on s’aventure à l’entonnoir
Si tu savais pourtant ce soir
Et mon amour et mon espoir
LE CABARET DE L A DERNIÈRE CHANCE
15
LA RÉPONSE DU BERGER À SES TROIS BERGÈRES…
J’ai si peur d’être toute petite
Vivre rabougrie et confite
Si peur de ne pas être là
Disparaître en claquant des doigts
J’ai peur d’arriver à la fin
De m’y trouver nue sans matin
J’ai peur de c’que j’attendais pas
De c’qui vient plus, de c’qui vient pas
J’ai peur de ne pas lâcher prise
Que mes ongles un à un se brisent
J’ai si peur de devenir folle
Me vriller dans la dégringole
J’ai peur de n’pas avoir le temps
De n’avoir jamais eu le temps
J’ai peur de ne plus sautiller
Dans mon jus me finir clouée
De crever sans m’en rendre compte
Que mon cœur un jour se démonte
J’ai peur de n’plus jamais revoir
Sans un adieu ni même bonsoir
De rester bloquée en louchant
Des deux mondes m’en faire cent
J’ai peur du gros œil des gros porcs
Des ogres aux mains carnivores
© François Chaffin, toute reproduction interdite sans autorisation écrite préalable.
J’ai peur d’être enterrée vivante
Que dans ma bouche plus rien ne chante
J’ai peur que ce soit de ma faute
De me griller que mes plombs sautent
Et j’ai peur du déséquilibre
Tomber là où plus rien ne vibre
J’ai peur tout l’temps de quelque chose
Des petits riens des machins choses
J’ai peur d’avoir à me cacher
Des forêts où je me perdrai
J’ai peur de parler de mal rire
Des silences qui n’ont rien à dire
J’ai trop peur de l’éternité
Qu’en deux secondes elle soit passée
Peur de ne pas rev’nir à moi
Et qu’ailleurs non plus je n’y sois
LE CABARET DE L A DERNIÈRE CHANCE
16
Enfin de passer à côté
D’une vie l’autre et me louper
J’ai peur de me brûler les ailes
De me tourner en Béchamel
Peur de m’dilater de grossir
Dans les obèses me farcir
D’avaler une huître et vomir
Cracher ma langue dans un soupir
J’ai si peur que ça tourne mal
Pas rond vinaigre et brutal
J’ai si peur que la vie se bloque
Moi toute grippée de bric et broc
Et j’ai si peur de marcher seule
Moi ma pomme plus rien que ma gueule
J’ai peur de n’pas avoir eu peur
D’être complice de mes noirceurs
J’ai bien peur de tout compliquer
Me nouer partout m’y étrangler
De l’eau trouble et de mes hivers
D’être désaimée dans ma chair
J’ai peur d’être rattrapée au vol
Crevée fatiguée dev’nir molle
J’ai peur de n’plus avoir envie
Ne plus savoir rester en vie
© François Chaffin, toute reproduction interdite sans autorisation écrite préalable.
J’ai bien peur que ça finisse pourri
Que ça sente mauvais dans mon lit
J’ai si peur mais moins peur peut-être
J’ai moins peur un peu moins peut-être
Moins peur je crois de mes peut-être
Alors je vis c’est bon quand même
Quand même un peu mieux quand on aime
Alors je vais j’avance j’aime
Et ma peau se pique à mon cœur
Et mon cœur croche à la bonne heure
Et le temps passe entre mes peurs…
Et s’il ne restait à ma vie
Que cinq secondes qui s’accrochent
C’est par les yeux de mon petit
Que je passerais à l’effiloche
C’est dans la voix de ma jolie
Que je glisserais ma plus belle croche
Car s’il restait à ma vie
Que cinq seconde qui s’accrochent
C’est par les yeux de mon petit
LE CABARET DE L A DERNIÈRE CHANCE
17
Que je passerais à l’effiloche
C’est dans la voix de ma jolie
Que je glisserais ma plus belle croche
SOLO D’AMANDINE
heu, voilà… elles sont parties se… ou…enfin, on ne peut pas savoir…non ? vous ne dites rien ?…oui, je sais,
c’est idiot mais me voilà toute seule, avec mon piano, mes notes et puis mes mains…vous avez vu comme
elles bougent mes mains ? en vérité c’est de là qu’elle vient la musique, je veux dire, mes mains, et toc, en plein
dans vos oreilles…des mains de pianiste, c’est autre chose, regardez, elles bougent toutes seules, elles jouent
encore, même quand je ne joue plus. ça ne vous ennuie pas qu’on bavarde pendant qu’elles se…? c’est pas
facile, vous savez, pianiste de cabarette, c’est pas facile, ces filles, ces trois egos, énormes, hurlants, comme
trois ogresses et moi, juste mes mains, mon silence, ma musique, mes inaperçues…c’est l’anpe qui m’envoie,
ils m’ont dit, amandine, y a pas, au rollmops ils fabriquent un cabarette, amandine, sers toi de tes mains, il
faut que tu bosses, un cabarette, c’est exactement ce qu’il te faut, et puis c’est ta dernière chance…alors là,
comme c’est un peu long, comme il faut bien que je gagne ma vie, comme vous n’êtes pas là pour rigoler je
vous propose de vous chanter une complainte assez déchirante et quelque peu tzigane, qui me vient de ma
grand mère et… enfin, c’est vrai, elle n’était pas spécialement tzigane, mais plutôt déchirante et obstinément
plaintive… (elle joue et chante)
LE CHANTEUR ROMANTOC
Sous les cuirs d’un slow à petit prix
Le chanteur des amours délirées
Dans les postillons d’une agonie
Garde ses lunettes pour pleurer
© François Chaffin, toute reproduction interdite sans autorisation écrite préalable.
Sanglotant d’une voix de gourmette
Il se renifle quelques quatrains
Et dans une gerbe de trompettes
Se désespère pour un refrain
Le chanteur, c’est le chanteur!
Suant le satin bronzé
Il Port Bouc, il Pallavas...
Le chanteur, quel beau chanteur!
Bêle l’amour quand vient l’été
Dans la disco des maracas...
Le voilà qui palpe ses ulcères
Hulule à la vie son moi glaireux
Titube sa rime au ras des vers
Et crache au micro son sirupeux
Il pleure sur sa pilosité
Des crocodiles de top cinquante
Et son sourire en contre plaqué
Mouille le pathos des commerçantes
Le chanteur, c’est le chanteur!
Suant le satin bronzé
Il Port-Bouc, il Pallavas...
Le chanteur, quel beau chanteur!
Bêle l’amour quand vient l’été
Dans la disco des maracas...
LE CABARET DE L A DERNIÈRE CHANCE
18
UNE FEMME…
© François Chaffin, toute reproduction interdite sans autorisation écrite préalable.
Une femme, c’est pas la première venue, tombée de la dernière pluie,
c’est pas une coïncidence, pas n’importe qui…
Une femme c’est quelqu’un, quelqu’une avec quelque chose à l’intérieur.
L’intérieur, vous comprenez ?…
C’est en particulier ce quelque chose qui la distingue du reste des hommes,
et l’honore entre les charivaris.
Une femme, comment dire, ça s’épelle mal, ça se nomme ailleurs que dans un nom, ailleurs que dans un
mot, même dit, même une histoire, ça se trouve sur le bout d’une langue et hop, l’est partie, foutue le camp,
disparue, s’est engloutie dans un souffle, un soupir, un cri, quelque chose tombé du bout des lèvres... Hop,
hop, hop…
À l’intérieur de moi je sens ce quelque chose, l’indicible, la présence,
je dis que c’est un monstre, je dis ça parce que ça j’ai faim, parce que je m’écoule,
je me dissous, ça me trimbale de vertige en vertige, arrache mon sommeil,
les moutons de mon sommeil, et décapsule mes rêves.
Et puis je pleure.
C’est la faute à mes peurs…
Je pleure parfois sans comprendre. L’indicible, vous comprenez ?
Moi, je n’y comprends rien.
Mes mâchoires se ferment sur des épaisseurs, le silence se bouscule
et la colère se tient, là, pleine et charnue, la colère, la colère, la colère…
Et puis je me jette sur les gens, je me jette sur les mots, c’est impensable,
un bond et je suis là, hors de moi, la bouche à vif :
- Qu’est ce que vous faites encore là, vous ?!
C’est le monstre qui dit ça, il ouvre ma bouche, il s’expulse, salives et syllabes, échos, diphtongues, mon
haleine, mes caillots, ça passe entre mes dents,
se griffe dans les silences, c’est pas moi qui parle, c’est lui,
ce quelque chose de mon intérieur, ce quelque chose de mes peurs :
- J’ai caché ta maman ton papa tous ceux que tu aimes et voilà tu dois te débrouiller avec ta solitude et même
tu peux gueuler cracher à la gueule de l’existence on s’en fout maintenant t’es toute seule y’a plus personne
qu’est là pour te trouver belle…
Je le regarde dans mes yeux.
Le monstre louche, il ne distingue plus la lumière du jour, ni les invisibles,
ni les distances, les profonds ni les proximités ; il ne voit même pas
que mes larmes sont en couleur.
Alors le monstre prend ma main, il la dresse au-dessus des gens, et cogne,
cogne sur le pauvre crâne des passants qui venaient à ma rencontre,
es paumes tournées vers moi en signe de bienvenue, les passant qui maintenant trépassent, s’enfoncent dans
les bitumes, cicatrisent dans l’indifférence…
- Partez pas, s’il vous plait, faites un bout de chemin à mes côtés,
c’est mon intérieur qui a fait ça, c’est lui qui brandit ma main, c’est lui qui vous frappe,
qui vous repousse, écrase vos phalanges, vos bonnes intentions,
lui qui ne sait pas comme une main peut être levée pour caresser,
enjôler la peau et courir sur les frissons !…
Mais c’est foutu maintenant les hommes ont peur de ma main, ils se détournent, rebroussent poil et serrent
les poings.
Paumes racornies, des cales entre nos dermes…
Alors le monstre s’est installé dans mes jambes !
Il s’est mis à courir, courir comme un dératé, il s’est arraché de mes racines,
de mon enfance, de mes endroits, mes cabanes, et courant, courant sans répit,
le monstre allait mal, hue et dia, boiteux, il allait voir en enfer si je n’y étais pas,
il allait au ciel pour saccager Dieu et donner des coups de pieds
dans le cul des anges.
Des jours et des nuits, des mois des années, partout il courait
où je pouvais me perdre…
Aujourd’hui encore, entre mes peurs, si vous saviez comme je m’y vagabonde.
Si vous saviez mes chemins, les demi-tours, les ornières, les trous, les fossés,
les impasses, et ce nord, où je tombe toujours, ce nord,
si vous saviez comme je m’y perds…
LE CABARET DE L A DERNIÈRE CHANCE
19
© François Chaffin, toute reproduction interdite sans autorisation écrite préalable.
Enfin l’a fini en plein cœur. Le mien. C’est dans le mien qu’il s’est coagulé…
Boum boum, boum boum, boum boum, qu’il faisait en se hâtant !
Boum boum, boum boum…
- Ho ! Tu pourrais faire un peu moins de bruit, te pousser un peu au bord,
laisser de la place pour les autres, tu pourrais ne plus te cavaler
comme ça dans mon intérieur !
Y s’en fout le monstre, il se gave dans mes fragiles, il grossit à vue d’œil,
prend de la graisse et du mou, il se ferme de plus en plus, ne s’ouvre que rarement.
Et puis il boit, le salaud.
Il boit mon jus, le sang de mon corps, et du matin au soir, toujours la bibine,
il me suce jusqu’à l’os…
Il meurt dans mon cœur, ivre de mes peurs.
Mes peurs d’aimer, de voir, de comprendre, de toucher, d’aller, sentir,
mes peurs de vivre un peu plus mal, un peu plus seule, un peu moins belle…
Ca me fait comme un dégoût, une petite boule pleine de ma bile, de mauvais sang, de celui qui ne tourne plus
rond à force de s’épaissir entre mes blindages…
Je suis une femme, je sens ça au fond de moi, quelque chose de particulier
à l’intérieur.
Alors je pousse.
Si fort et si profondément je pousse.
Attelée à ce qui me reste d’innommable j’appuie sur mes entrailles pour
glisser la chose du cœur au corps, jusque dans le ventre, jusque dans le sexe.
La boule s’expulse de moi, tombe entre mes bras, ouvre ses yeux.
C’est un enfant.
C’est un enfant et je me sens si effrayée de sa chair, si forte de sa naissance…
Il pleure, sur mon ventre il fait tomber ses larmes de vie.
De l’eau sur ma fleur…
- Pleure pas mon bonhomme, tu sais, c’est pas facile, d’accord, mais ça vaut le coup d’être là. Tous les deux,
c’est une histoire incroyable, pitchoun, c’est comme
si le monde nous invitait à son festin, alors, mon petit, tu peux bien brailler,
je vais pas te laisser rater ça, je vais pas te lâcher d’une semelle, tu peux me croire… N’aie pas peur, je vais te
montrer les passages, je vais marcher dans tes pas,
je te laisserai pas filer en douce, je te dirai le nom des couleurs, des saveurs,
des odeurs, le nom des gens, le nom de nom de nom de dieu, je te parlerai
des ailleurs, je te montrerai où se tient l’amour, quand la vie nous fait face,
et que nous nous présentons à elle, l’œil posé sur l’horizon et les mains
dans les mains de nos humains.
Tu sais, j’avais tellement peur, et maintenant aussi, bien sûr, mais tu es là, et je me sens vivre une deuxième
fois, je me sens si forte de toi, si incroyablement prête à l’inconnu…
Allez petit, on va se faire le tour du manège, le pâté de nos maison, toi et moi,
bébé, et nous tous, et même nos monstres, on va se prendre par la vie,
se dégommer tous les obstacles, allez mon enfant, n’aie pas peur,
je m’appelle maman, et on va voir si ça vaut le coup…
SLAM DES TROIS BELLOTTES QUI RÊVENT
Moi quand je rêve c’est feu et noir
One for the rock two for my star
Je vais je rue dans les brancards
J’ai dans la bouche comme un pétard
C’est pas du mou pour les cafards
Ni le bon swing du père peinard
Mes décibels chantent le Tartare
A trois mille watts et des fanfares
LE CABARET DE L A DERNIÈRE CHANCE
20
Moi dans mon rêve y a pas de bruit
Pas de tutti ni de frutti
Mais de la route qui se languit
A l’horizon d’Amazonie
Je sens ma vie sans rétréci
Faire fi de la géométrie
Et tangenter pas à demi
De paysages en infinis
Tes infinis sentent la poussière
Et moi mon rêve ne touche pas terre
Il me décolle aux univers
Bien au-dessus des atmosphères
Et dans mon grand vaisseau d’éther
A la vitesse de la lumière
Je m’azimute l’étoile polaire
Où des Novas se désaltèrent
Un tiens vaut moins que trois tu rêves
Et le matin tombe comme un glaive
Un tiens vaut moins que trois tu rêves
Soleil qui roule ici s’achève
© François Chaffin, toute reproduction interdite sans autorisation écrite préalable.
Moi mon voyage il est sur scène
Je suis une lionne en pleine arène
Vêtue de rage et nue de haine
Bouche au micro un rien obscène
Mon corps brûlant comme hydrogène
J’hurle des FUCK et toute ma hyène
Dans la folie d’un gros tungstène
Qui me poursuit me désenchaîne
Mets un bémol à tes casseroles
C’est une migraine ton rock n roll
Ecoute un peu l’ami Eole
Chanter sa jungle en clé de sol
Moi l’Amazone sans boussole
Vers l’horizon qui dégringole
Je pousse mon truck et caracole
Où le soleil prend son envol
Ca sent l’pétrole et la sueur
Le tout petit de tes ailleurs
Moi d’une étoile je suis la sœur
Et d’un trou noir le crève cœur
Dans mon cockpit d’apesanteur
J’envoie mon corps dans les couleurs
Bébé planeur envahisseur
Aux espace-temps du p’tit bonheur
Un tiens vaut moins que trois tu rêves
Et le matin tombe comme un glaive
Un tiens vaut moins que trois tu rêves
Soleil qui roule ici s’achève
C’est d’la chimère de pacotille
Ton p’tit bonheur à la vanille
Moi mon cosmos il part en vrille
Sur des guitares que je bousille
LE CABARET DE L A DERNIÈRE CHANCE
21
Et dans ma voix que j’égosille
Il y a les diables que j’étrille
En vous crachant quelques torpilles
Et ma violence et ma guenille
Tu te gaspilles tu chantes faux
Arrête ta trille pose le marteau
Viens dans mon rêve deviens oiseau
Sans domicile et sans drapeau
Nous chercherons des sirocos
Pour aller loin pour aller haut
Et dans ce monde à fleur de peau
Nous vivrons nues : ecce homo
Dites moi les filles je vous arrête
Nues dans le sable c’est pas la fête
Je vous propose dans ma navette
De bonnes poudres d’escampette
Allons nous toutes prendre perpette
Nous la jouer façon comète
Et nos trois rêves en baïonnette
Finissons-nous dans les pirouettes
Un tiens vaut moins que trois tu rêves
Et le matin tombe comme un glaive
Un tiens vaut moins que trois tu rêves
Soleil qui roule ici s’achève
ROAAAD MOUVI POUR THREE BELETTES
© François Chaffin, toute reproduction interdite sans autorisation écrite préalable.
Sur les routes brûlantes
Qui démarrent au sud
La bagnole voltigeante
S’arrache des longitudes
Calandre étincelante
Fumant la rectitude
Poussières et tôle ardente
Klaxonne les habitudes
Oh ! Parties, we are parties
Disparues très far away
Flying in 4L birdy
Trois women on the way
Il y a Rita et Jane
Marie et la vitesse
Des mondes par centaines
Au loin qui disparaissent
Et l’horizon promène
Où les corps se renaissent
Des bitumes sans migraines
Tous nos cœurs en tempête
Oh ! Parties, we are parties
Disparues très far away
Flying in 4L birdy
Trois women on the way
Jamais la marche arrière
Never la touche stop
LE CABARET DE L A DERNIÈRE CHANCE
22
Nous claquons nos portières
En gueulant hop hop hop
Et jetées des ornières
Brûlant nos antilopes
On s’arrache des frontières
Face au vent qui galope
Oh ! Parties, we are parties
Disparues très far away
Flying in 4L birdy
Trois women on the way
Au soir qu’on dit dernier
Grimpant les firmaments
Nos vies illimitées
Seront si loin devant
Diables enferraillées
À l’œil pétaradant
Nous irons percuter
Les soleils se couchant
Oh ! Parties, we are parties
Disparues très far away
Flying in 4L birdy
Trois women on the way
© François Chaffin, toute reproduction interdite sans autorisation écrite préalable.
BIS ETERNITAS…
Voilà
Voilà
Voilà
C’est fini
Fini d’chanter
Bouger, remuer tout c’pataques
Et la cohue, la remuée de nos petites envies…
Voilà
Fini, non
Non
Non
c’est pas fini…
Il y a des fatigues mouillées sur nos visages
Des frissons comme des grenouilles
Qui nous remontent par l’échine
Des mains qui voudraient planer encore
Et ne plus tenir que l’air et le mouvement
Un bout de l’éternité...
Et le corps qui éclate
Toujours il éclate
Et voilà, le voilà qui tombe doucement
On dirait comme des oiseaux
On dirait comme de la lumière
Vous ne trouvez pas ?
Et alors il fait si beau sur ce plateau
Qu’on le croirait changé en océan
Qu’on le dirait désamarré
Qu’on se prendrait pour équipage
Qu’on se jetterait dans son voyage…
Et même les monstres
Nos poulpes d’amour
Et nos méduses
LE CABARET DE L A DERNIÈRE CHANCE
23
© François Chaffin, toute reproduction interdite sans autorisation écrite préalable.
Vous avez vu comme elles sont chouettes nos méduses ?…
Une sacrée bousculade
Avec des levants et puis des couchants
De la rumeur et du cri
Douceur, électricité, rock n roll et ce qui retombe.
Et le silence quand il retombe
Et tous les mots qui vont dedans
Toutes nos muettes…
Alors voilà
Voilà
Voilà
Pour sûr qu’il reste des mots
Qu’il reste des notes
Tant et tant pour dire toujours
Et puis merci et puis bonsoir !
Paris Boulogne sur Mer Lille, bonsoir !!!
Ah l’heureuse rencontre
Vous bien assis dans les velours de la pénombre
Et nous
Quatre voix
Autant de corps
Davantage de mains
Des milliers de souffles
Et tout en haut le chimiste des photons
Le mécanicien des acoustiques
Tout ce bataclan de la dernière chance
Merci les gars, merci…
Voilà
Voilà
Voilà
Même si c’est la der des der des der
C’est bien bel et bon
Et doux drôle et c’est pas grave
De se faire une vie
Des vies
Des qui tiennent dans une heure
De se faire une bonne virée
Deux ou trois twist sur quelques mots
Où se chantent nos mercis et nos bonsoirs
Et le va et vient de nos humeurs…
Bonsoir !
FIN
LE CABARET DE L A DERNIÈRE CHANCE
24