La place et le role des femmes dans les administrations africaines

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La place et le role des femmes dans les administrations africaines
La Place et le Rôle des Femmes dans les Administrations Africaines Présentation et
Rapport de Synthèse
Présentation
Malgré l'accès grandissant des femmes aux divers échelons de l'administration des pays
africains, les femmes africaines se voient encore aujourd'hui freinées dans leurs aspirations
professionnelles par de nombreux obstacles.
Souvent victimes des préjugés sociaux à leur égard, toujours ralenties dans leurs
performances professionnelles par un double cumul de charges ( emploi / vie familiale ) et par
la discrimination dont elles font l'objet dans leur milieu social, les femmes n'en constituent pas
moins de véritables acteurs du développement national et leur force de travail, loin d'être
négligeable, pourrait faire de la masse féminine la cheville ouvrière de la réalisation
socioculturelle, économique et politique de leur pays... si on leur en donnait les moyens.
Le but de cette recherche, initiée par le Centre Africain de Formation et de Recherche
Administratives par le Développement (CAFRAD), est d'abord de remédier aux lacunes en
matière de recherche scientifique en Afrique, et plus particulièrement dans la vaste domaine de
l'administration.
Mais ensuite, et essentiellement, fondés sur les résultats d'enquêtes menées par dix
chercheurs dans dix pays africains, il s'agit de fournir aux autorités concernées des éléments
objectifs qui pourront servir à J'élaboration d'une politique de promotion de la femme dans
l’administration.
En résumé, donc, et tel que défini par le CAFRAD, ce projet a pour objectif "de susciter et
de promouvoir en Afrique un mouvement de recherche scientifique orienté vers une finalité
pratique".
La méthode adoptée par les chercheurs opère à partir d'un double volet : d'une part, un bilan
établi sur la base d'études et de statistiques; d'autre part, des enquêtes directes menées dans les
milieux de travail par le biais de questionnaires s'adressant à trois groupes spécifiques dans
l'administration : les dirigeants, les femmes cadres supérieurs et les employés féminins en
général.
Ces deux "voies d'accès" ont permis d'élaborer et d'étoffer les cinq aspects distincts à la
problématique, proposés par le CAFRAD, soit:
•= la situation quantitative et qualitative de la femme dans l'administration
(publique et / ou privée, selon le cas);
•= L’influence de la société civile et des cultures nationales traditionnelles sur la
place de la femme dans la société et l'administration;
•= La relation homme-femme dans l'administration;
•= Les politiques officielles sur la place des femmes dans la société civile, dans le
développement économique, culturel et social, dans l'administration;
•= La formulation de recommandations visant la recherche d'un modèle de société
et d'administration qui, sans renier les valeurs culturelles traditionnelles,
permette à la femme de jouer, dans l'administration et dans la société civile, le
rôle d'acteur du développement auquel elle a légitimement droit comme
partenaire de ]'homme, dans le respect mutuel de chaque sexe.
Les dix pays étudiés sont, par ordre alphabétique:
•= La Côte d'Ivoire ; le Ghana ; le Kenya ; le Mali ; le Maroc ; le Nigeria ; le
Sénégal ; le Soudan et la Tunisie.
La synthèse qui suit procède selon une méthode de compilation générale. Pour privilégier ce
survol global, il va sans dire que certains aspects traités dans les études n'ont pu être retenus.
Nous prions les auteurs de ne pas nous en tenir rigueur et invitons les lecteurs à s'en référer, pour
les détails et exemples, aux textes sur chaque pays.
Il nous a semblé important toutefois, en dépit de la vocation résolument objective d'une
synthèse, de mettre en valeur un aspect qui nous apparaît être trop souvent négligé dans les
études sociologues : l'importance du culturel et des représentations imaginaires dans les réalités
quotidiennes, ici plus particulièrement celles des femmes. Cette question est évoquée dans de
nombreux textes. Mais bien qu'elle ne soit pas l'unique obstacle à la pleine participation des
femmes au développement national, elle compte tout de même comme l'un des aspects ]es plus
difficiles à transformer parce qu'il concerne un sentiment profond d'identité lié aux pratiques
culturelles et fondé sur les préjugés que celles-ci véhiculent.
C'est pourquoi, sans pour autant chercher à tirer vers ce parti pris l'essence de la recherche
effectuée et des résultats qu'elle nous livre, nous soulignerons à chaque fois qu'il le sera possible
la prépondérance de cette problématique de la représentation imaginaire dans le vécu social des
femmes.
Situation quantitative et qualitative des femmes dans l'administration
Tous les pays à l'étude font état de la même disproportion du personnel féminin par rapport au
personnel masculin, selon les critères tant quantitatifs que qualitatifs, ce dernier critère étant
établi non pas par rapport aux compétences mais plutôt relativement aux secteurs d'activités.
Les femmes constituant toujours plus ou moins 50 % de la population, on constate donc une
sous-représentativité notoire dans les chiffres qui suivent (selon qu'ils sont disponibles dans les
études).
Proportion de fonctionnaires féminins
sur l'ensemble des effectifs
Pays
Population
% Femme
Effectifs %
Côte
d'Ivoire
Egypte
Ghana
Kenya
Mali
Maroc
Nigeria
Sénégal
Soudan
Tunisie
10,815,694
49%
20%
13%
24,000,000
9,100,000
24,567,000
7,565
6,800,000
21,600,000
50%
52%
50%
18%
50%
49%
15,7%
16%
28,5%
48,638
323,227
68,086
443,200
Femmes
15%
8,9 %
22,5%
Conséquence d'une faible scolarisation, de mariages précoces, de préjugés sociaux concernant
le travail féminin et d'absence d'infrastructures visant à assurer un soutien familial et domestique
aux femmes professionnelles ou salariées, leur nombre est donc limité dans tous les secteurs du
travail.
Parmi elles, la proportion de femmes occupant des postes de responsabilités ou de cadres
supérieurs est encore moindre, ces hauts échelons exigeant des niveaux de formation élevés que
peu de femmes atteignent dans leur cheminement académique, ou des stages de
perfectionnement offerts par les milieux de travail, mais auxquels elles ne peuvent accéder pour
des raisons que nous verrons plus loin.
Proportion des niveaux professionnels parmi
les femmes fonctionnaires ( échantillon pour cinq pays
Pays
Cadres supérieurs
Cadres moyens
Cadres d'exécution
Côte d’ivoire
Egypte
Ghana
Maroc
Tunisie
15%
8%
14%
9,6 %
23,5 %
51%
34%
20%
36%
31,9%
34%
55%
66%
53%
42,5%
On souligne de façon générale, même dans les études ne fournissent pas de chiffres sur cette
situation, que le nombre de femme atteignant des postes élevés de l'administration est très
restreint et que la plupart d'entre elles se concentrent à des niveaux subalternes pour lesquels
elles ont besoin d'être moins formées ou moins spécialisées, demeurant ainsi toujours dans des
rôles d'exécution.
Les domaines d'exercice se limitant eux aussi à des champs spécifiques, soit la médecine (ou
le milieu de la santé), l'enseignement et le secrétariat, professions ou métiers typiquement
"féminins" et constituant ni plus ni moins le prolongement des activités traditionnellement
réservées aux femmes : Soigner, éduquer et exécuter. Ce phénomène relevé systématiquement
dans toutes les études, n'est pas sans entraîner, au niveau des choix de filières d'études des jeunes
filles, un réflexe d'émulation encourageant la perception que les sociétés traditionnelles ont des
femmes. Certes d'autres domaines exigeant de hautes qualifications comptent des femmes parmi
leurs employés, mais certains secteurs leur demeurent toujours formés : postes d'agents d'autorité
au Maroc, secteur de la justice en Egypte, ingéniorat aéronautique, douane, corps des sapeurs
pompiers au Sénégal, etc.
Si elles se font rares aux postes de cadres supérieurs, les femmes sont plus dramatiquement
absentes aux postes de prise de décisions. L'étude sur le Ghana fait toutefois remarquer que cette
situation n'est pas caractéristique de l'Afrique, qu'elle prévaut aussi en Occident. En effet, pas
plus de 2 % du sénat américain est occupé par des femmes.
Peu de femmes gravissant les échelons jusqu'à accéder aux hautes responsabilités
administratives et/ou politiques. Elles en sont généralement écartées dès le départ par des
conditions générales de recrutement et de promotion discriminatoires.
Il est en effet noté dans plusieurs études que le mode de recrutement se fait à partir de comités
constitués uniquement d'hommes plus enclins à embaucher d'autres hommes, et que très pou de
femmes sont invitées à siéger sur ces comités. Concernant la promotion, beaucoup de femmes
interrogées ont dénoncé le favoritisme dont jouissent leurs collègues masculins, à diplôme
pourtant égal. Il faut aussi souligner le t'ait que, en ce qui concerne les stages de
perfectionnement ou les formations spécifiques sur les lieux de travail, qui permettent bien
souvent l'accès à un échelon hiérarchique supérieur, beaucoup de femmes sont, ou bien
empêchées par leurs maris lorsque le stage se déroule ailleurs que dans la région ou à l'étranger,
comme c'est le cas pour les pays dont la législation exige l'autorisation maritale pour se déplacer,
ou bien limitées en termes de temps pour accomplir ces stages, pour celles dont la situation
familiale et les enfants en bas âge exigent une présence soutenue au foyer. Cette lourde charge
de responsabilités familiales qu'elles assument seules est la cause d'un haut taux d'absentéisme
des femmes évoqué aussi par les patrons pour expliquer le retard dans la promotion.
Les femmes professionnelles ou salariées se plaignent en effet majoritairement, de l'inertie de
leurs conjoints dans les responsabilités familiales et domestiques. Les plus aisées d'entre elles
peuvent engager du personnel domestique. Les femmes des plus bas échelons économiques, soit
la majorité des femmes actives, ne peuvent que s'en remettre aux femmes de la famille, s'il y en
a, ou voir cumuler leurs responsabilités. D'ailleurs, la sortie des femmes sur le marché du travail
a coïncidé avec la disparition progressive de la famille élargie, ce qui a eu pour effet de faire
retomber sur leurs épaules à la fois la partage de la responsabilité financière autrefois
entièrement assumée par le mari, et la responsabilité familiale qui était jusqu'alors partagés avec
la grande famille.
On remarque aussi que certains pays (Soudan, Mali, Côte d'Ivoire et autres) ont connu des
destabilisations socio-politiques et/ou économiques qui ont ébranlé tout le système, réduit
considérablement l'embauche et même entraîné des licenciements massif-, tant dans le secteur
public que privé. La population active féminine est, dans tous les cas, la plus affectée par ces
déséquilibres.
Mais pour citer les facteurs limitant, à la base, l'accès des femmes aux postes administratifs
supérieurs, il faut parler de la précarité de la scolarisation féminine. Tous les pays étudiés
comptant un très haut taux d'analphabétisme touchant davantage les femmes et atteignant au
Mali 85 % de la population, ce qui est l'un des taux les plus tristement élevé au monde.
Les raisons qui nuisent plus particulièrement à l'instruction des filles seront examinées au
chapitre suivant. Mais précisons tout de même déjà le poids des préjugés sociaux vouant la
femme au mariage et donc à l'entretien matériel par un homme, rendant superflues, voire inutiles,
les dépenses encourues par la famille pour sa scolarisation.
Influence de la Société Civile et des Cultures Nationales Traditionnelles sur la Place de la
Femme dans la Société et l'Administration.
Les études reconnaissent que l'Afrique est fortement imbue d'attitudes discriminatoires envers
les femmes, ceci est dû notamment aux influences religieuses, aux croyances et traditions
populaires ainsi qu'à la force indéracinable des préjugés et représentations stéréotypées de la
femme dans la société.
C'est ce qui ressort de l'ensemble des analyses qui attribuent à différents facteurs culturels la
marginalisation social, économique et politique vécue par les femmes.
Dans plusieurs études, les valeurs religieuses sont évoquées pour marquer les pratiques
sociales et les mentalités sexistes. l'Islam semble à cet égard plus récalcitrant à reconnaître
l'égalité à tout point de vue entre l'homme et la femme. Les régions les plus islamisées
accusent en effet le plus sérieux retard pour ce qui est de la scolarisation de type occidental
des jeunes filles.
Le discours intégriste des récentes années, tel que souligné dans certaines études, préconise
à outrance le retour des femmes dans les foyers et constitue une attitude rétrograde face aux
mentalités qui commencent à se transformer. La religion Purdah, en présence au Nigeria, a
elle aussi stigmatisé les femmes dans leur rôle de subordonnées au sein des foyers.
Le principe de division du travail entre hommes et femmes est mentionné parmi les
influences préjudiciables aux femmes et comme cause de leur marginalisation à différents
niveaux.
Dans le mode de vie rural, le travail est assumé en majorité par les femmes, sans rémunération
et comme extension des tâches visent à assurer les besoins vitaux de la famille. Ce qui fait que
ces femmes ne sont pas recensées dans la population active parce qu'elles ne touchent pas de
salaire. Dans tous les cas, on remarque que les femmes sont un soutien économique pour la
famille, que ce soit par le travail domestique qu'elles fournissent chez elles gratuitement ou par
des travaux qu'elles effectuent ailleurs.
Dans les mentalités cependant, et ce, de façon générale dans les sociétés patriarcales
traditionnelles, l'homme est le protecteur de la famille, le soutien financier et représente
l'autorité. La femme se voit, elle, assignés au rôle domestique de gardienne du foyer, éducatrice
des enfants, au service des mâles de la famille qui l'entretiennent. Il est question ici des milieux
traditionnels qui constituent la majorité des populations africaines. Il faut dire aussi que la
plupart des hommes dans les sociétés étudiées sont fermement convaincus de leur supériorité
(morale, physique, intellectuelle) et de la "nature" inférieure des femmes. Ceci est le résultat de
toute une éducation que les femmes elles-mêmes perpétuent, au détriment parfois de leurs
propres filles.
Par conséquent, les hommes continuent de considérer la femme comme un objet sexuel, ce
qui aura des retentissements jusque dans le milieu de travail, comme nous le verrons au chapitre
réservé aux relations homme/femme dans ]administration.
Il faut dire aussi que les lois sont généralement du côté des hommes, comme en ce qui a trait
aux pratiques, mortifiantes pour la femme, de la polygamie ou du divorce instantané appelé
"répudiation", encore légaux dans plusieurs pays.
Le principe de la division du travail est posé de façon très nette dans l'étude sur la Tunisie :
l'homme est généralement associé à la production et la femme à la reproduction, stéréotypes que
renforcent les médias et les manuels scolaires. C'est à cette séparation des rôles que les femmes
désireuses d’œuvrer au sein de la production de leur pays se heurtent.
Quelques exceptions échappent à ce modèle et on doit alors repenser la répartition des
responsabilités financières et de l'autorité familiale. Un groupe se distingue lui aussi de ce
mode de division du travail : les Touaregs du Mali qui fonctionnent selon un modèle de société
matriarcal.
C'est pourquoi l'équilibre fondamental de ces sociétés repose sur la nécessité impérative du
mariage. Dans certains pays, celui-ci est encore bien souvent arrangé entre familles, à l'insu
des intéressées. Beaucoup de mariages ont lieu à un âge précoce, dès la nubilité des jeunes
filles, malgré les lois les interdisant avant l'âge de la majorité, et sont suivis de grossesses
répétées.
Us mariages précoces constituent le facteur premier d'abandon des études chez les femmes.
Malgré l'augmentation de la scolarisation après les indépendances, il n'en demeure pas moins
que ce problème est crucial.
D'autres facteurs d'abandon d'études ou de sous-scolarisation féminine sont à déceler dans la
défaillance ou le manque d'infrastructures scolaires. Certaines écoles se trouvent trop loin des
foyers pour y accéder facilement, ou n'offrent pas suffisamment de places à la population
féminine. Ailleurs, ce sont les frais de scolarité qui, ayant significativement augmenté, rendent
impossible la scolarisation de tous les membres de la famille et c'est évidemment les filles que
l'on sacrifie, puisqu'elles se trouveront tôt ou tard un mari qui subviendra à leurs besoins.
Dans d'autres cas, l'instruction offerte aux filles est orientée vers les métiers traditionnels
(artisanat, cuisine, secrétariat), qui les préparent à leur futur rôle d'épouses et de mères. Ou
encore, les écoles sont sous-équipées en matériel didactique, technique ou de laboratoire. Ou
enfin, on n'offre tout simplement aucune formation technique, scientifique ou administrative
ailleurs que dans les écoles pour garçons. Ce qui a pour résultat que, même scolarisées, les
femmes sont vouées à demeurer subalternes.
Un préjugé bien assis dans les mentalités est aussi celui selon lequel le charme et la
séduction chez une femme est inversement proportionnel à son niveau d'étude. En d'autres
termes, plus une femme est instruire, moins elle est attirante et moins elle a des chances de se
trouver un parti. Ce préjugé fonctionne à plein dans les sociétés où le mariage régit les destins
et où une femme qui reste célibataire est la pire tare qui puisse être donnée à une famille.
De toute façon, la femme sur le marché du travail, instruite ou non, se le fait bien souvent
reprocher de façon plus ou moins avouée selon les milieux socioéconomiques et selon les pays.
Majoritairement, on perçoit mal le travail féminin. Et il est souvent plus mal admis dans le
milieu familial que dans le milieu social et professionnel lui-même, ce sur quoi nous nous
pencherons plus tard. Un homme dont l'épouse travaille est un homme qui se sent diminué
dans ses fonctions de chef et qui doit reconsidérer et partager sa prédominance parentale. Peu
d'hommes sont disposés à un tel partage et une femme qui travaille doit s'attendre à des
oppositions plus ou moins vives ou faire l'objet de soupçons sur son intégrité conjugale de la
part de son conjoint, quand ce ne sont pas aussi ses enfants qui se plaignent de son absence, ou
la famille élargie qui ne souscrit pas à une telle indépendance ni à une pareille autonomie. Ceci
est relevé, à des degrés divers, dans toutes les études.
Dans certaines cas extrêmes, comme au Soudan où la situation des femmes est l'une des
plus précaires, celles qui essaient de briser le modèle traditionnel de la femme sont
ostracisées et mal perçues par leur entourage.
Pourtant, bien que pour la plupart le travail soit une question de nécessité matérielle, une
majorité de femmes qui travaillent déclarent en éprouver plus de satisfaction au point de vue
de leur accomplissement personnel qu'au niveau des avantages financiers que représente le
revenu de leur emploi.
Toutefois, assez peu d'entre elles considèrent leur travail comme une contribution, au-delà
du palier familial, au niveau du développement national. Les femmes n'ont pas encore
développé cette conscience globale de leur apport social et économique à la nation. C'est
pourtant un terrain de lutte privilégié et un argument de premier choix dans la défense de leur
droit au travail.
Enfin, le cas le plus tragique de préjudice porté aux femmes pour des considérations
d'ordre traditionnel est sans aucun doute la persistance de certaines pratiques inutiles à tout
point de vue, sans support religieux mais encouragées par la tradition, exécutées par d'autres
femmes et dans bien des cas extrêmement périlleuses pour la santé physique et morale de
celles qui les subissent. Ces pratiques, l'excision clitoridienne et l'infibulation, sont encore
exercées au Ghana, au Mali, etc., malgré le travail d'organismes nationaux et internationaux
visant à les proscrire.
Pour tous ces cas de préjudices, il existe certes des droits et des recours auxquels les
femmes peuvent s'en référer, mais la plupart d'entre elles n'en sont même pas informées et
lorsqu'elles le sont, la pression du groupe est si forte qu'elles finissent plus simplement par s'y
soumettre au prix de leur liberté et de leur intégrité. Malgré nombre de politiques égalitaires,
de chartes de droits humains et de législations de bonne volonté, les représentations
culturelles que l'on a des femmes persistent au delà des textes officiels, quand ce n'est pas à
travers eux.
La relation homme/femme dans l'administration
Ce chapitre est certainement le plus ambigu du point de vue des réponses fournies tant par
les patrons que par la population féminine en milieu de travail. Tout fonctionne comme si,
selon certaines études, le sujet était entouré de tabous et que les femmes , craignant les
représailles si l'on ne découvrait leurs pensées réelles, avaient constamment voilé leur
réponses sur les relations de travail, tout en admettant par ailleurs certaines de leurs
insatisfactions professionnelles directement arrimées à ces relations.
Curieusement, en dépit de tous les obstacles socioculturels, familiaux et conjugaux se
dressant pour empêcher ou limiter l'accès des femmes au travail, celles-ci déclarent pour la
plupart avoir des rapport plutôt cordiaux avec leurs patrons collègues ou subordonnés.
Leurs patrons ne sont pas sans les encourager, affirment-elles, mais leur confient moins de
responsabilités qu'aux hommes; ils sont convaincus de leurs compétences, mais privilégient
des hommes pour les stages de formation et les promotions, à compétence égaux; ils vont
même jusqu'à trouver les femmes plus fiables et plus dignes de confiances, en dépit du fait
qu'ils hésitent parfois à les engager parce qu'elles sont considérées moins productives que les
employés masculins. On voit qu'il y a là de quoi se réjouir de l'excellence de ces relations.
Mais on suppose aussi que pour toutes ces raisons, les femmes sont assez peu associées à la
productivité et aux prises de décisions dans l’administration.
Par rapport à leurs collègues masculins, les femmes reconnaissent majoritairement l'appui
qu'elles cri reçoivent, et soulignent leur serviabilité et leur respect envers elles. Mais elles
sont enclines à soulever des problèmes spécifiques liés il la compétitivité masculine, à leur
égocentrisme, à leur absence de coopération dans le travail et à quelques tentatives de
sabotage.
L'étude sur le Mali dénonce les relations de travail entre hommes et femmes comme étant
modelées sur le rapport de domination conjugale.
On signale aussi au Soudan la nécessité de préserver des rapports d’ordre strictement
formel avec ses collègues et ce, par crainte de voir sa réputation salie et d'être jugée ou
méprisée pour les autres.
Dans leurs relations avec les subordonnées masculines, les femmes déclarent avoir certains
problèmes à faire respecter leur autorité. On désapprouve souvent le fait qu'une femme puisse
donner des ordres à un homme; cela semble contre-nature. L'étude sur la Côte d'Ivoire fait
état des relations des hommes avec leurs supérieurs féminins relativement à l'âge de celles-ci;
plus âgées, elles auraient droit au respect que l'on doit à sa mère, plus jeunes, à l'amitié et au
paternalisme que savourent les jeunes sœurs; d'une faible différence d'âge, elles feraient
l'objet de la défiance à laquelle ont droit les épouses.
Les hommes chercheront aussi à flirter et iront (patrons, collègues ou subalternes) jusqu'à
user du harcèlement sexuel en échange d'une promotion, d"un service. Ce problème est assez
peu révélé dans les réponses des femmes interrogées, mais les auteurs des études sont
unanimes sur le fait que le harcèlement sexuel se pratique (de façon insistante et généralisée.
Bien qu’il soit dans certains pays passible de poursuites cri justice, comme le précise l'étude
sur le Mali, la force des tabous interdit encore de soulever ce genre de question.
Les politiques officielles sur la place des femmes dans la société civile, dans le
développement économique, culturel et social, dans l'administration.
Dans presque tous les pays étudiés, les constitutions énoncent une égalité de droits entre
homme et femme. Les périodes de colonisation avaient le plus souvent négligé, l'aspect féminin
de la société et les femmes avaient, tout comme les hommes à la même époque, été privées de
nombre de leurs droits. Malgré les amendements nombreux qui ont été apportés par les régime
d'après l'indépendance concernant le statut (le la femme, les divers codes législatifs entrent en
contradiction avec les principes constitutionnels dans la mesure où ils perpétuent des disparités
notoires entre droits de l'homme et droits de la femme.
Le code du travail prévoit, dans la plupart des cas, des congés et certains autres avantages
relatifs à la maternité et a la période de Lactation.
D'autres arrêts de travail sont possibles sans sanction, notamment pour veuvage ou pour
soutien à un membre de la famille hospitalisé.
Au plan des avantages et des impôts, il faut relever quelques disparités dont souffrent les
femmes : des allocations de logement sont dans plusieurs cas attribuées mais l'homme est seul à
pouvoir en bénéficier, en raison de son rôle reconnu de chef de famille. Il peut avoir droit à des
déplacements prolongés accompagné de sa famille, mais une femme dans la même situation ne
peut accéder à ce droit.
Enfin, dans quelques pays, une femme mariée conserve en regard de l'impôt général sur le
revenu, son statut de célibataire, ce qui fait qu'elle n'a pas droit comme son mari à certaines
déductions en fonction du nombre d'enfants.
On voit aussi dans plusieurs pays, les femmes recevoir, à diplôme égal, un traitement inférieur
à celui des hommes. Les lois existent pourtant pour empêcher que ne se produise ce genre de
situation, mais personne ne se charge de vérifier si elles sont bien appliquas.
Les codes du statut personnel ou de la famille ou du mariage et de la tutelle sont à leur tour
aussi discriminatoires puisqu'ils se prononcent sur des questions mentales en défaveur de la
dignité de la femme : la polygamie et la répudiation tel que mentionné plus haut,
particulièrement au Maroc et au Mali ; l'autorisation obligatoire du mari pour l'utilisation des
contraceptifs, sa permission pour quitter le territoire etc.
Mais cette somme d'injustices ne doit pas faire oublier les efforts qui ont été faits ces
dernières années pour promouvoir les femmes dans la société et dans le milieu de travail.
La femme a maintenant obtenu la possibilité, dans certains pays où elle ne l'avait pas,
d'exercer un emploi, de toucher des rémunérations et d'ouvrir un compte bancaire personnel.
Certaines législations, notamment en Côte d'Ivoire, ont été renforcées sur les sanctions du viol et
J'adultère. Celui-ci peut maintenant être considéré comme un délit autant chez l'homme que chez
la femme, bien que plus de preuves soient exigées pour que la femme puisse soutenir cette
accusation contre son mari, ce qui reste discriminatoire.
En matière d'infrastructure de soutien familial, l’Egypte innove en prévoyant des garderies
pour enfants dans le cas des sociétés embauchant 100 femmes ou plus.
Pour arracher ces droits nouveaux, des organismes dans chaque pays ont été mis sur pied. Ils
prennent la défense des femmes et interviennent dans les transformations des législations.
La situation, bien que dramatique dans certains contextes, n'en a pas moins subi des
changements positifs dûs à l'acharnement, à la lutte et au travail de groupes de femmes et des
pouvoirs étatiques. De même, des chartes internationales et sous-régionales, comme il en est fait
état de manière exhaustive dans l'étude sur le Mali. ont contribués à soutenir les efforts mis en
œuvre à l'échelle du pays.
Plusieurs études, enfin, mentionnent l'année de la femme (1975) et la décennie de la
promotion de la femme (1976-1985) comme un tournant capital dans l'histoire l'émancipation et
de la promotion dans la société et le travail.
La recherche d'un modèle de société et d'administration qui sans renier les valeurs
culturelles traditionnelles, permette à la femme de jouer, dans l'administration et dans la
société civile, le rôle d'acteur du développement auquel elle a légitimement droit comme
partenaire de l'homme dans le respect mutuel de chaque sexe.
Ce long énoncé s'est vu soutenu, dans les études, par une série de recommandations que nous
tacherons ici, sans les énumérer toutes - ce qui appartient à chaque auteur pour chaque situation,
spécifique - de regrouper sous quatre, grandes catégories:
Droits légaux
Il est impératif qu’au niveau des Etats et des organismes de défense des droits humains, qu’on
doit poursuivre la lutte pour que les lois s’adaptent aux réalités socio-économiques nouvelle, et
aux droits fondamentaux et inaliénables, des femmes.
Instruction
Plusieurs recommandations portent sur la priorité de l'alphabétisation, de l'instruction, de la
formation professionnelle et technique des femmes, ainsi Que sur la nécessité de rendre
obligatoire dans tous les pays, la scolarisation féminine jusqu’à 16 ans.
Infrastructures
Pour mieux palier au double cumul de charges qui pèsent sur les femmes de par leur vie
familiale et leur activité professionnelle, et qui leur nuit dans la qualité de leur travail et au
niveau de leurs chances d'avancement et de promotion, il est recommandé de diverses manières
de prévoir des systèmes de crèches, de garderies et de soutien domestique.
Représentations de la femme
Pour lutter contre des représentations sociales préjudiciables aux femmes et qui parviennent
encore aujourd'hui à entraver et défier les lois et les dispositions en faveur du libre accès des
Femmes au travail et à une vie sociale active, il faudrait entreprendre une vaste campagne de
sensibilisation à travers les masse-média, les manuels scolaires et tous les organes de diffusion
d'information auprès du public, visant à déconstruire la perception traditionnelle du rôle de la
femme dans la société et à lui substituer- une représentation plus réaliste : Celle de la femme
participant pleinement et à tous les échelons au développement de son pays, à l'épanouissement
de sa famille conjointement et égalitairement avec son partenaire et veillant à son accomplissement personnel à travers le travail.
Isabelle Larrivée
Casablanca, avril 1993.