Pouvoir politique et État-Nation - Moodle Université Paris

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Pouvoir politique et État-Nation - Moodle Université Paris
> Pouvoir politique
et État-Nation
Objectif
L’objectif de cette première séquence est de maîtriser les concepts fondamentaux de la science politique, à commencer
par le terme « politique » lui-même, terme qui prend des sens différents selon qu’il est employé au masculin
(le politique) au féminin (la politique), voire au pluriel (les politiques). Seront également présentés durant cette première
séquence deux autres concepts fondamentaux, étroitement liés à celui de « politique », et qui sont respectivement
l’État et la Nation.
Mots-clés
:
Politique, régulation, coercition, pouvoir, autorité, légitimité, bureaucratie, État, Nation, féodalité, identité nationale.
Séquence 1-SE10
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Chapitre 1
Chapitre 2
Chapitre 3
> Rôle et fondements du politique
A
Introduction
B
La fonction du politique dans la société
C
La diversité des formes du pouvoir politique
D
La politique et le pouvoir
> L’État
.....................................................
...............................................................................................................................................
A
L’État moderne, produit d’une évolution historique
B
L’État dans la société féodale
C
L’État bureaucratique
> La Nation
.................................................................................................................................
A
Renan-Herder : deux conceptions irréconciliables de la Nation ?
B
Le couple État/nation
Conclusion
.......................................................................................................................................
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Rôle et fondements du politique
A
Introduction
L’intérêt pour les questions politiques se retrouve tout au long de l’histoire des cités et des nations. Il est au
cœur des écrits d’auteurs de l’Antiquité (Aristote, Platon, Cicéron…) comme de l’époque moderne (Machiavel,
Hobbes, Locke, Montesquieu, Rousseau…) ou contemporaine (Arendt, Foucault, Habermas, Rawls…) L’objectif
commun de tous ces auteurs est de maîtriser l’art de gouverner la cité, de diriger l’État.
À l’Université, les études de science politique font intervenir de nombreuses disciplines : histoire politique, militaire et diplomatique, géographie, droit constitutionnel et administratif, finances publiques, droit
international, sociologie, économie… Les thèmes traités sont ceux qui définissent la vie en société dans
sa dimension institutionnelle : rapports entre les individus et le pouvoir, formes d’action collective,
notamment des partis politiques ou des groupes de pression, comportements électoraux, fonctionnement
des systèmes démocratiques ou totalitaires…
Ce qui est en jeu à travers la politique, c’est le gouvernement de la cité afin que celui-ci se rapproche d’un idéal de justice et de raison (telle est l’ambition de Platon dans son livre le plus célèbre,
La République) ou, à tout le moins, qu’il agisse efficacement dans le sens de ses objectifs
(tel est le point de vue dit « réaliste » de Machiavel dans Le prince).
On fera attention au fait que le terme « politique » peut s’employer dans des sens qui ne sont pas les
mêmes ;
B
La politique, c’est l’art de gouverner la cité, de diriger l’État ; les décisions prises dans ce cadre
supposent des choix de société et se distinguent alors des décisions techniques qui ne reposent que
sur des données indépendantes des positions partisanes ;
Le politique, c’est l’ensemble du domaine des institutions où s’exerce un certain type d’autorité que
Weber définit par le « monopole de la violence légitime » et que l’on distingue alors d’autres aspects
de la réalité sociale, comme la sphère des activités économiques ;
Les politiques, ce sont des programmes d’action que se donnent les gouvernants dans des domaines
particuliers : les politiques de la défense, de l’éducation, de la santé…
La fonction du politique dans la société
La pluralité des acceptions possible du terme « politique » rend difficile toute tentative de définition. Il
est peut-être plus intéressant de souligner ce qui est commun à toutes ces acceptions : la fonction de
conservation des communautés humaines.
Avec Aristote, il est permis de penser que l’homme est un animal social. Il ne peut vivre qu’au sein d’une
communauté plus ou moins large à l’intérieur de laquelle il tisse un ensemble plus ou moins riche de
liens sociaux : amitié, travail, assistance, liens familiaux…
Du fait de leur diversité, ces communautés, quelles qu’elles soient, connaissent nécessairement des
tensions, voire des conflits plus ou moins violents et elles ne peuvent survivre que si elles sont capables
de les maîtriser et de conserver ou de rétablir un accord minimum entre les uns et les autres.
Dans les sociétés dynamiques où les individus et les groupes participent pleinement à la vie de la cité,
de nouvelles sources de tensions ou de conflits apparaissent tous les jours. L’accord politique est donc
toujours provisoire. Il ne supprime jamais la diversité des opinions et des intérêts mais produit des
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compromis toujours fragiles que la vie même de la société remet en question plus ou moins rapidement. Rien n’est donc plus certain que la résurgence continuelle des conflits, ce qui rend nécessaire à
la conservation de la société l’existence de mécanismes et d’institutions qui permettent d’entretenir
et de reconstruire en permanence les compromis qui garantissent la paix civile. L’exercice de cette
fonction de conservation se traduit en pratique par l’instauration de règles de vie en communauté :
obligations, interdits… dont le respect est assuré, en dernier recours, par la mise en œuvre de la force
publique dont le pouvoir politique est le seul détenteur légitime. C’est ce que Weber entend dire lorsqu’il
évoque le fait que le pouvoir politique se distingue de tous les autres par le monopole de la violence
légitime : le corps social autorise ceux qu’il a chargés de diriger la cité à utiliser la contrainte, qui va
jusqu’à l’arrestation et la détention éventuelle de certains individus, voire l’emploi de la force armée,
pour imposer le respect des règles visant à garantir la conservation du groupe.
L’essence du politique se trouve dans la fonction qu’il remplit au sein de la cité et qui
consiste à éviter que celle-ci ne disparaisse du fait des tensions et des conflits qui s’y
manifestent en permanence. Le politique a donc une fonction de régulation des conflits.
Pour l’exercer, il dispose d’un pouvoir de coercition qui est légitime aux yeux de ceux sur
qui il s’exerce.
C
La diversité des formes du pouvoir politique
En elle-même, la fonction du politique se retrouve dans toutes les communautés humaines car toutes
ont un besoin vital de se maintenir dans le temps en enrayant le développement de conflits destructeurs par le respect des règles communes et la recherche de compromis acceptables par tous. Mais, si
la fonction est universelle, les formes institutionnelles et les mécanismes dans lesquels elle s’incarne
varient considérablement d’une société à une autre. Dans la plupart des sociétés, l’expression classique du pouvoir politique se trouve dans l’existence d’un État plus ou moins complexe en fonction des
situations : État gendarme, État providence, État minimal… sont autant de qualificatifs que l’on peut
employer pour désigner la forme de l’État.
Pourtant, l’État n’est qu’une forme parmi d’autres d’expression du pouvoir politique. Il se caractérise
par la séparation du pouvoir politique du reste de la société et sa remise entre les mains d’organes
spécialisés, distincts du corps social et autonomes par rapport à lui. Le chef politique se distingue du
chef religieux ou du chef d’entreprise ; il se spécialise dans un certain domaine où il exerce des compétences qui n’appartiennent qu’à lui et il peut opposer ses pouvoirs propres aux autres. Ces traits
fondamentaux du pouvoir politique dans nos sociétés ne se retrouvent pas toujours et partout. Sans
remonter très loin dans le temps et dans l’espace, le seigneur féodal est l’exemple même du pouvoir
politique confondu avec le pouvoir économique (il est propriétaire des terres exploitées par les paysans),
le pouvoir judiciaire (il rend la justice sur ses terres), voire le chef religieux…
Cet exemple historique ne doit pas conduire à penser que l’expression du pouvoir politique suivrait une
loi d’évolution historique avec une origine dans des sociétés primitives sans État et sans pouvoir politique,
et un point d’aboutissement dans les sociétés contemporaines où l’État est omniprésent. L’anthropologue
Pierre Clastres a ainsi mis en évidence le fait que les sociétés sans État ne sont en rien des sociétés sans
pouvoir politique mais des sociétés où le pouvoir politique se manifeste différemment. L’absence d’État
n’est donc pas due à un retard de développement mais à un refus de toute différenciation et de toute
spécialisation du corps social : le pouvoir politique n’est pas isolé et confié à des organes spécifiques (pas
de distinction entre gouvernants et gouvernés) de même que le pouvoir économique n’est pas divisé entre
possédants et non possédants. Le refus de la division au sein de la société conduit à refuser l’émergence
d’un pouvoir particulier (qui serait celui d’organiser la cité), distingué des autres pouvoirs et qui serait
retiré à la collectivité pour être confié à des individus. Dans certaines tribus amérindiennes ou indonésiennes étudiées notamment par Pierre Clastres, il existe bien un chef de la tribu. Mais, ce chef, qui bénéficie
d’un très grand prestige parmi les autres membres de la tribu, n’a aucun pouvoir de coercition sur eux.
Il ne peut rien décider pour la communauté et ne peut rien imposer à ses membres. Il a seulement pour
fonction sociale de favoriser la résolution des conflits susceptibles de surgir en rapprochant les points de
vue. Il remplit une fonction de conciliation au profit du groupe, ce qui correspond bien à la fonction de
préservation de la société qui caractérise l’existence du politique.
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Il est donc possible de distinguer deux formes de sociétés également politiques : des
sociétés dites « coercitives » où le pouvoir politique s’exprime à travers un ensemble
d’institutions spécialisées détentrices du pouvoir de contrainte appuyé sur la force publique, et des sociétés dites « non coercitives » où le pouvoir de régulation des conflits ne
fait pas l’objet d’une autonomisation et de l’affectation à un groupe particulier.
D
La politique et le pouvoir
Qu’elle s’exerce dans une société coercitive ou non coercitive, la fonction politique suppose la mise en
œuvre d’un certain pouvoir, ne serait-ce que pour contraindre les parties en conflit à accepter de discuter
ensemble. Sans ce pouvoir minimum, aucune régulation de la violence n’est possible et l’existence de
la communauté est fortement menacée.
Mais même si la notion de pouvoir semble ainsi évidente, il reste à la définir, ce qui est plus complexe qu’il n’y
paraît. À la suite de Max Weber, il est possible de distinguer deux formes opposées d’exercice du pouvoir.
Définition
Fondement
Pouvoir « Macht »
en allemand
Capacité d’un individu à obtenir d’un ou plusieurs autres qu’ils fassent quelque chose qu’ils
n’auraient pas fait autrement.
La possibilité dont dispose l’individu qui exerce
le pouvoir de mettre en œuvre la contrainte qu’il
tire du monopole de la violence légitime.
Autorité « Herrschaft »
en allemand
Chance d’obtenir d’un individu qu’il obéisse à
un ordre.
Le consentement de l’individu sur qui le pouvoir
s’exerce à faire ce qui lui est demandé.
Selon cette distinction, le pouvoir politique peut, en théorie, reposer sur deux fondements opposés :
contraindre à l’obéissance celui que l’on commande au besoin par la force ou faire reconnaître comme
juste, naturelle ou nécessaire l’obéissance à celui qui commande. Mais l’analyse du pouvoir dans les
sociétés contemporaines montre bien que les deux fondements se combinent plus qu’ils ne s’opposent.
Même si l’on considère que le pouvoir politique est d’abord celui qui se distingue de tous les autres en ce
qu’il dispose de la force publique pour faire appliquer sa volonté et ses décisions, il faut bien reconnaître
que l’histoire des sociétés occidentales montre que le recours à la force publique s’est écarté de l’usage
qui a pu en être fait dans le passé. Nul pouvoir ne saurait se maintenir durablement de nos jours s’il se
fonde exclusivement sur l’usage de la force brute pour obtenir l’obéissance des individus à des ordres
plus ou moins arbitraires. Le consentement de ceux à qui l’on commande est une condition de réussite de
tout pouvoir en place. Pour autant, même si le consentement à l’autorité se trouve ainsi placé au cœur de
l’exercice contemporain du pouvoir politique, il n’en reste pas moins que l’usage de la force publique est
le moyen ultime pour le pouvoir politique d’obtenir l’obéissance de la population. La violence n’est plus
le moyen ordinaire d’exercice du pouvoir politique mais elle en demeure l’apanage en cas de crise.
Exercice 1
Les trois types d’autorité selon Max Weber
Dans ce texte célèbre, Max Weber distingue trois types purs d’autorité qui ne se rencontrent pas sous
cette forme dans la réalité mais qui permettent d’en comprendre les ressorts et qui induisent trois types
de légitimité du pouvoir.
« Il existe en principe — nous commencerons par là — trois raisons internes qui justifient la domination,
et par conséquent il existe trois fondements de la légitimité. Tout d’abord l’autorité de l’« éternel hier »,
c’est-à-dire celle des coutumes sanctifiées par leur validité immémoriale et par l’habitude enracinée en
l’homme de les respecter. Tel est le « pouvoir traditionnel » que le patriarche ou le seigneur terrien exerçaient autrefois. En second lieu l’autorité fondée sur la grâce personnelle et extraordinaire d’un individu
(charisme) ; elle se caractérise par le dévouement tout personnel des sujets à la cause d’un homme et
par leur confiance en sa seule personne en tant qu’elle se singularise par des qualités prodigieuses, par
l’héroïsme ou d’autres particularités exemplaires qui font le chef. C’est là le pouvoir « charismatique »
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que le prophète exerçait, ou — dans le domaine politique — le chef de guerre élu, le souverain plébiscité, le grand démagogue ou le chef d’un parti politique. Il y a enfin l’autorité qui s’impose en vertu de
la « légalité », en vertu de la croyance en la validité d’un statut légal et d’une « compétence » positive
fondée sur des règles établies rationnellement, en d’autres termes l’autorité fondée sur l’obéissance qui
s’acquitte des obligations conformes au statut établi. C’est là le pouvoir tel que l’exerce le « serviteur de
l’État » moderne, ainsi que tous les détenteurs du pouvoir qui s’en rapprochent sous ce rapport. »
Max Weber, Le savant et le politique, Deuxième partie : le métier et la vocation d’homme politique.
Dans le tableau suivant, vous relèverez la définition et les traits caractéristiques majeurs de ces trois
types d’autorité, puis vous en donnerez un exemple.
Définition
Léjitimitée
charismatique
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Exemple
Louis XIV
L’État
A
À L’État moderne, produit d’une évolution historique
Comme nous l’avons vu dans le chapitre précédent, l’État correspond à l’une des formes possibles du
pouvoir politique, celui qui caractérise une société coercitive dans laquelle le pouvoir politique a été isolé
et confié à un ensemble d’institutions spécifiques qui détiennent le monopole de la violence légitime.
La définition de l’État moderne doit beaucoup à Max Weber.
« Il faut concevoir l’État contemporain comme une communauté humaine qui, dans les limites d’un
territoire déterminé (…) revendique avec succès pour son propre compte le monopole de la violence
physique légitime. Ce qui est le propre de notre époque, c’est qu’elle n’accorde à tous les autres groupements, ou aux autres individus, le droit de faire appel à la violence que dans la mesure où l’État le
tolère : celui-ci passe donc pour l’unique source du « droit » à la violence »
Max Weber, Le Savant et le Politique.
L’analyse de Weber insiste sur un petit nombre de traits qui définissent ce qui fait la singularité de l’État
en tant que forme d’exercice du pouvoir politique :
Le
monopole de la violence légitime : l’affirmation de ce monopole ne signifie pas que l’État est la
seule organisation susceptible d’user de la violence dans une société donnée. De l’organisation criminelle qui assassine ceux qui s’opposent à ses visées au mari qui frappe sa femme, la violence est
présente dans toute société. Mais, l’emploi de la violence dans ces hypothèses n’est pas légitime et
il est d’ailleurs sanctionné par les lois de la société. Seul l’État se voit reconnaître par la collectivité
le droit de recourir, si nécessaire, à la force publique pour faire respecter ses décisions.
La permanence de l’organisation étatique dans un territoire : la définition de l’État par Weber ne se
limite pas à l’usage légitime de la violence.
Nous dirons qu’un groupement de domination est un groupement politique lorsque et tant que son
existence et la validité de ses règlements sont garanties de façon continue à l’intérieur d’un territoire
géographique déterminable par l’application et la menace d’une contrainte physique de la part de la
direction administrative.
Max Weber, Économie et société.
Cette deuxième citation met en évidence le fait que l’État est une forme de pouvoir politique qui
s’inscrit dans la durée en dépassant l’horizon temporel des individus. On ne dira pas qu’il y a un État
véritable en présence d’une organisation administrative mise en place par un chef politique et qui
disparaît avec lui. Il faut que les institutions par lesquelles s’exerce le pouvoir politique survivent à la
disparition de plusieurs générations d’homme politiques qui ont été à leur tête pour que l’on puisse
parler d’un véritable État. En outre, le recours à la violence légitime doit avoir pour finalité de faire
respecter le pouvoir politique et ses décisions. L’État n’utilise donc pas la violence dans n’importe quelles
circonstances. La démonstration du fait qu’un groupement a réussi à s’emparer de la force publique et
à interdire aux autres l’usage de la violence n’est pas suffisante. L’État ne se définit pas par le simple
monopole de la violence, c’est-à-dire l’usage potentiel d’une force brute, mais par l’usage finalisé et
raisonnable de cette violence. Enfin, l’État n’a de sens que par rapport à un territoire car l’usage de la
violence légitime ne s’exerce pas n’importe où, mais dans les limites géographiques sur lesquelles s’est
installée la communauté humaine soumise au pouvoir politique.
Ce modèle d’État moderne n’est pas universel et il est le produit d’une dynamique historique qui s’est
progressivement accomplie dans les pays occidentaux.
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B
L’État dans la société féodale
À la chute de l’Empire romain, en 476, une forme d’organisation sociale et politique très particulière
se met en place : la féodalité. Dans le désordre qui suit l’effondrement des structures politiques et
administratives mises en place par Rome, les communautés se réorganisent sur des territoires limités,
autour de chefs qui disposent des moyens d’assurer la sécurité des populations.
Les trois grandes caractéristiques de la féodalité sont à l’opposé de celles d’un État moderne :
La féodalité est totalement fragmentée et chaque centre de pouvoir dispose d’une très grande indé-
pendance. L’empire romain a explosé en un véritable puzzle de plus ou moins vastes territoires sur
lesquels règnent des familles capables d’assurer la défense des populations locales contre les invasions
fréquentes de peuples belliqueux. Chaque roitelet ou seigneur organise son propre pouvoir et cherche
à préserver son indépendance à l’encontre des pouvoirs concurrents plus ou moins lointains.
La féodalité renvoie à une conception personnelle des rapports de pouvoir. Les plus puissants de ceux
qui contrôlent un territoire s’assurent la fidélité et le soutien des autres qui deviennent leurs vassaux en
contrepartie de récompenses matérielles ou symboliques. Des chaînes de vassalité se mettent progressivement en place, qui créent des obligations réciproques et des liens de pouvoir de nature personnelle.
La
féodalité repose sur la propriété de la terre qui est la seule forme de richesse à cette période
où, faute de pouvoir suffisamment étendu, les routes commerciales ne sont plus protégées et les
échanges perdent de leur importance.
Ainsi caractérisée, la féodalité est une forme d’organisation sociale et politique instable. Elle engendre
d’elle-même une compétition entre les multiples pouvoirs locaux qui cherchent à étendre leur influence
et leur domination sur des territoires de plus en plus vastes. Cette dynamique politique, qui ressemble
tout à fait à celle de la concurrence économique, va progressivement aboutir à une diminution du
nombre d’entités politiques, à l’émergence d’un centre politique unique, capable d’assurer la paix et
la sécurité sur un territoire important dont il contrôle les ressources sur lesquelles il peut prélever les
impôts nécessaires à l’entretien des troupes et des infrastructures.
C
L’État bureaucratique
L’État moderne, ou bureaucratique pour reprendre l’expression weberienne, est le point d’arrivée de la
dynamique qui a fait évoluer la société féodale.
Le centre politique qui est progressivement apparu a conquis son indépendance par rapport aux autres
pouvoirs existant dans la société (le pouvoir religieux en particulier) et aux groupes d’intérêts dont il
arbitre les différends. Doté d’une légitimité propre, il a mis en place une administration qui s’est elleaussi autonomisée par rapport à la société dont elle contrôle de plus en plus étroitement un champ
d’activités toujours plus grand.
L’État bureaucratique correspond à ce stade particulier d’évolution de l’organisation étatique où celle-ci procède d’une légitimité rationnelle et se caractérise par un degré très
élevé d’institutionnalisation et d’autonomisation.
Les agents du pouvoir politique servent l’État et non le titulaire du pouvoir politique : ils obéissent
aux devoirs objectifs de leurs fonctions mais n’ont aucun lien personnel de dépendance vis-à-vis du
chef de l’État. Ils se situent dans une hiérarchie de fonctions et non de personnes, sont recrutés par
concours sur la base de leurs qualifications et non de leur proximité avec les responsables politiques.
Leur indépendance est garantie par un statut qui les libère de la crainte de sanctions arbitraires. Ils ne
peuvent travailler que pour l’État et sont rémunérés et contrôlés par lui. L’action de l’État repose donc
sur l’application, par un corps de fonctionnaires impartiaux, de règles valables pour tous.
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Le terme bureaucratie, qui est souvent utilisé pour stigmatiser les organisations publiques enfermées
dans des habitudes et des règles inadaptées, renvoie chez Weber à une forme d’organisation politique
et administrative doublement efficace : efficace pour les gouvernants dont elle met en œuvre les politiques grâce à des personnels compétents et qui ne les entraveront pas pour des raisons personnelles ;
efficace pour les membres de la collectivité qui seront assurés d’être traités selon des règles définies à
l’avance et applicables à tous de la même façon.
L’État bureaucratique se caractérise également par l’expansion de ses interventions et la croissance du
nombre de ses agents. En France, le nombre des fonctionnaires civils croît dès le milieu du XIXe siècle. De
200 000 en 1850, il passe à 500 000 en 1900. Cet essor des personnels de la fonction publique ne s’est
pas produit de manière identique dans tous les secteurs de l’administration. Jusqu’à la Première Guerre
mondiale, l’augmentation du nombre des fonctionnaires est surtout due au développement des fonctions
sociales de l’État tandis que les effectifs des fonctionnaires attachés aux fonctions régaliennes (police,
justice, défense) demeurent, à peu près stables. La généralisation de l’instruction publique à partir des
années 1880, a joué un rôle prépondérant dans cette évolution. Le poids de l’éducation dans la montée
de l’État bureaucratique demeure depuis lors déterminant. De 1830 à 1984, le nombre des personnels
du ministère de l’Éducation nationale a été multiplié par 25. Le phénomène de l’État providence, apparu
après la Seconde Guerre mondiale pour assurer aux individus une forme de protection contre les aléas
de l’existence, a engendré un quadruplement des fonctionnaires en une cinquantaine d’années.
L’émergence de l’État bureaucratique n’est pas propre à la France puisque tous les pays occidentaux
ont connu ce même mouvement d’autonomisation du pouvoir politique. Mais, si ce mouvement est
ainsi général, la montée des effectifs de la fonction publique est, dans notre pays, plus marquée
qu’ailleurs.
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La Nation
Le mot Nation est ancien ; on en retrouve la trace dès 1160 dans la langue française. Mais son sens
est alors bien différent de celui qui est le nôtre aujourd’hui. Issu de la racine latine « nascere »
(naître, venir au monde), il désignait « toute espèce de gens considérés comme faisant partie d’une
sorte de nation à part » (Dictionnaire Littré) Il pouvait s’agir de groupements d’individus d’un même
pays (la nation française), mais aussi d’une même ville (la nation des étudiants parisiens de l’Université de Bologne) ou d’un même mouvement littéraire (la nation des nouvellistes). Ce n’est que
vers la fin du XVIIe siècle que les définitions se resserrent autour de l’idée d’un peuple habitant un
territoire donné et vivant sous un même régime politique. Encore convient-il de remarquer que cette
définition n’implique aucune véritable dimension unitaire ni aucun lien de solidarité spécifique ou
de conscience collective. Cette dernière dimension n’apparaîtra qu’avec l’idée moderne de Nation
et le débat entre Renan et Herder.
A
Renan–Herder : deux conceptions irréconciliables
de la Nation ?
Au XVIIIe siècle, aucun enjeu fondamental ne s’attache encore au concept de Nation. Les choses
changent avec le XIXe siècle et les conflits entre la France et l’Allemagne : épopée napoléonienne,
annexion de l’Alsace et de la Lorraine en 1870, occupation de la rive gauche du Rhin par les troupes
françaises après 1918. Le point culminant de cette dispute philosophique se situe au lendemain de
la défaite de 1870. L’Alsace et la Lorraine sont annexées par l’Allemagne malgré les protestations
de nombreux habitants qui préfèrent d’ailleurs émigrer pour rester français. Un vaste débat s’engage
sur la question de savoir si un pays peut s’approprier des territoires et ceux qui les habitent malgré
leur volonté contraire. En d’autres termes, l’existence d’une Nation repose-t-elle sur des données
extérieures qui s’imposent à la population où suppose-t-elle la volonté de cette population de
constituer une Nation ?
La première réponse possible est celle de Herder. Elle lui a été inspirée par l’épisode napoléonien et
la domination culturelle française. Elle sera utilisée en 1870 au soutien de l’annexion de l’Alsace et
de la Lorraine. Sa principale ambition est de démontrer que la Nation existe indépendamment de la
volonté plus ou moins affirmée de ceux qui la composent. Pour Herder, la Nation est une communauté objective qui rassemble les membres d’un groupe dont l’unité est liée à la langue, au lieu de
naissance ou à la filiation. Quelle que soit la modalité retenue pour définir cette unité, la nation est
donnée aux individus et non choisie par eux. On ne peut pas davantage renier sa nationalité qu’on
ne peut la choisir ; elle est acquise à la naissance comme on a les yeux bleus ou les cheveux bruns.
Dans la conception dite « allemande », la culture tient une place centrale. Mais, il s’agit d’une culture
qui n’est pas académique et qui pourrait s’acquérir par l’étude de la littérature ou de la musique
du pays. Il s’agit d’une tradition propre au groupe et qui se transmet de génération en génération,
en particulier par la langue. C’est pourquoi cette conception de la nation est dite « culturelle »
ou « biologique ». Chaque Nation est close même si toutes les nations sont de même valeur. La
conséquence est bien évidemment l’exaltation des particularismes locaux et le rejet de ce qui porte
atteinte à l’esprit national, c’est-à-dire à la culture locale. Herder invite ainsi les élites allemandes à
rejeter la langue et la culture françaises, dominantes à l’époque, pour redécouvrir leur propre culture
et, au-delà, leur génie national propre.
La seconde réponse possible est apportée par le philosophe français Ernest Renan dans un célèbre
discours tenu à la Sorbonne le 11 mars 1882. Les lignes qui suivent sont extraites de la dernière partie
de ce discours.
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« Une nation est donc une grande solidarité, constituée par le sentiment des sacrifices qu’on a faits et de
ceux qu’on est disposé à faire encore. Elle suppose un passé ; elle se résume pourtant dans le présent par
un fait tangible : le consentement, le désir clairement exprimé de continuer la vie commune. L’existence
d’une nation est (pardonnez-moi cette métaphore) un plébiscite de tous les jours, comme l’existence de
l’individu est une affirmation perpétuelle de vie. Oh ! je le sais, cela est moins métaphysique que le droit
divin, moins brutal que le droit prétendu historique. Dans l’ordre d’idées que je vous soumets, une nation
n’a pas plus qu’un roi le droit de dire à une province : « Tu m’appartiens, je te prends ». Une province,
pour nous, ce sont ses habitants ; si quelqu’un en cette affaire a droit d’être consulté, c’est l’habitant. Une
nation n’a jamais un véritable intérêt à s’annexer ou à retenir un pays malgré lui. Le vœu des nations est,
en définitive, le seul critérium légitime, celui auquel il faut toujours en revenir. Je me résume, Messieurs.
L’homme n’est esclave ni de sa race, ni de sa langue, ni de sa religion, ni du cours des fleuves, ni de la
direction des chaînes de montagnes. Une grande agrégation d’hommes, saine d’esprit et chaude de cœur,
crée une conscience morale qui s’appelle une nation. Tant que cette conscience morale prouve sa force par
les sacrifices qu’exige l’abdication de l’individu au profit d’une communauté, elle est légitime, elle a le droit
d’exister. Si des doutes s’élèvent sur ses frontières, consultez les populations disputées. Elles ont bien le
droit d’avoir un avis dans la question. Voilà qui fera sourire les transcendants de la politique, ces infaillibles
qui passent leur vie à se tromper et qui, du haut de leurs principes supérieurs, prennent en pitié notre terre
à terre. « Consulter les populations, fi donc ! quelle naïveté ! Voilà bien ces chétives idées françaises qui
prétendent remplacer la diplomatie et la guerre par des moyens d’une simplicité enfantine ». - Attendons,
Messieurs ; laissons passer le règne des transcendants ; sachons subir le dédain des forts. Peut-être, après
bien des tâtonnements infructueux, reviendra-t-on à nos modestes solutions empiriques. Le moyen d’avoir
raison dans l’avenir est, à certaines heures, de savoir se résigner à être démodé. »
Ernest Renan, Qu’est-ce qu’une Nation ?
Exercice 2
B
La Nation selon Renan
Expliquez
pourquoi la conception de Renan est dite « élective et historique ».
Expliquez
la formule « L’existence de la Nation est… un plébiscite de tous les jours ».
Le couple État-Nation
Quoique l’opposition entre les deux conceptions de la Nation soit évidente, il convient
toutefois de la dépasser pour constater qu’elles ont au moins un point commun.
Toutes deux postulent l’existence objective d’une nation, qu’elle soit naturelle ou élective, c’est-à-dire
d’une entité collective qui poursuit un but politique commun. Pour Herder comme pour Renan, la Nation
justifie l’existence de l’État qui est l’organisation indispensable pour que puisse s’exprimer la fonction
politique. Dans la conception allemande comme dans la conception française, il n’y a pas de Nation sans
État et la défense de la Nation a bien pour finalité de justifier les contours géographiques de l’État :
pour les Allemands, justifier l’agrandissement de l’État Allemand par l’annexion de l’Alsace-Lorraine,
pour les Français mettre en lumière l’atteinte à la Nation française commise par l’amputation d’une
partie du territoire sur lequel s’impose le pouvoir de l’État français. Toute Nation a vocation et a droit
à être un État ; tout État est ou doit être une Nation.
Pour le philosophe Ernst Gellner, l’importance centrale prise par le concept de Nation s’explique par les mutations des sociétés européennes au tournant de la Révolution industrielle.
Les sociétés dans lesquelles l’agriculture est dominante sont fortement morcelées. Elles s’organisent en
communautés locales, dotées de leur vie propre et relativement indifférentes les unes aux autres. Selon
Gellner, cette fragmentation de la population en communautés étroites et très diversifiées devient un
handicap lorsque la société s’industrialise et que la production requiert un certain niveau de standarSéquence 1-SE10
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disation : l’économie industrielle ne peut se développer si les hommes qui doivent travailler ensemble
ou échanger des produits et des services ne parlent pas la même langue, ne comptent pas de la même
façon, ne croient pas aux mêmes valeurs…). L’éclatement des formes d’organisation locales et agricoles
laisse un vide dans l’exercice du pouvoir politique qui ne peut se rétablir que sur les nouveaux espaces
de l’activité économique. Le niveau pertinent d’exercice du pouvoir politique devient l’entité nationale et
c’est pourquoi le concept prend une importance aussi grande. La Nation est l’expression d’un nouveau
standard culturel dans lequel les individus sont appelés à établir des liens étroits de solidarité à un
niveau qui n’est plus celui de la paroisse ou de la commune mais celui du pays. L’identité nationale se
substitue à l’identité locale. On n’est plus breton ou auvergnat mais français. Ce processus sera notamment conduit au travers de l’éducation, l’école de la IIIe République apparaissant à cet égard comme le
facteur essentiel pour la destruction des identités régionales et la création d’une identité nationale.
Conclusion
Au terme de cette séquence, vous devriez pouvoir :
d’expliquer
les différents sens du mot « politique »: La politique, le politique, les politiques ;
de
donner une définition du politique par la fonction qu’il remplit dans la société ;
de
faire la différence entre pouvoir et autorité ;
de
présenter les trois fondements possibles de l’autorité ;
d’expliquer
d’exposer
la formule de Weber selon laquelle l’État détient le monopole de la violence légitime ;
les traits principaux du pouvoir politique à l’époque féodale ;
de
caractériser la notion d’État bureaucratique ;
de
distinguer la conception naturelle et la conception élective de la Nation ;
d’expliquer pourquoi les deux concepts d’État et de Nation sont aujourd’hui aussi étroitement associés ;
de
savoir à quels thèmes touchant à la politique rattacher les auteurs suivants : Aristote, Weber,
Herder, Renan, Gellner ;
Exercice 3 Test des connaissances
Le test suivant doit vous permettre de vérifier que vous avez bien acquis le vocabulaire et les notions
fondamentales de la séquence.
L’auteur pour qui le gouvernement doit avoir pour ambition d’agir efficacement dans le sens de
ses objectifs (point de vue dit « réaliste ») est :
a) Aristote
b) Platon
c) Machiavel
d) Locke
Le politique, c’est :
a) L’art de gouverner la cité, de diriger l’État
b) L’ensemble du domaine des institutions où s’exerce un certain type d’autorité
c) Les programmes d’action que se donnent les gouvernants
d) L’art de conquérir le pouvoir
Le pouvoir politique exerce :
a) Une fonction de régulation pour laquelle il dispose d’un pouvoir de coercition
b) Une fonction de coercition pour laquelle il dispose de la force publique
c) Une fonction d’impulsion économique pour laquelle il dispose d’un pouvoir de fixation des prix
et des revenus
d) une fonction de sécurité pour laquelle il dispose de l’armée et de la police
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Un
État théocratique est une forme d’État dans laquelle :
a) L’ordre politique et la religion sont totalement séparés
b Le chef du gouvernement est en même temps le chef religieux
c) Il n’y a pas de dualité entre l’ordre politique et la religion
d) Il n’y a pas d’ordre politique mais uniquement une organisation religieuse de la société
L’État bureaucratique repose essentiellement sur une légitimité de type :
a) Traditionnelle
b) Charismatique
c) Rationnelle
d) Politique
La thèse selon laquelle la Nation s’impose à l’individu a été formulée par :
a) Machiavel
b) Montesquieu
c) Herder
d) Renan
Le terme qui définit le mieux la capacité dont dispose un individu d’obtenir d’un autre qu’il
obéisse à ses ordres est :
a) L’autorité
b) La puissance
c) Le pouvoir
d) Le droit
Dans
la société féodale :
a) Le pouvoir est uni et le souverain l’exerce sans partage
b) Le pouvoir est uni mais le souverain doit le partager avec les grands seigneurs
c) Le pouvoir est morcelé et chaque centre dispose d’une large autonomie
d) Le pouvoir est morcelé mais tous les centres sont étroitement contrôlés par le souverain
Dans la société féodale :
a) Le pouvoir repose sur le contrôle des routes commerciales
b) Le pouvoir repose sur l’importance de la population gouvernée
c) Le pouvoir repose sur la maîtrise des systèmes d’information
d) Le pouvoir repose sur la propriété terrienne
La formule célèbre « L’existence de la Nation est un plébiscite de tous les jours » est de :
a) Renan
b) Herder
c) Gellner
d) Goethe
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