Étude épidémiologique et clinique de la spirocercose canine à l`Île

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Étude épidémiologique et clinique de la spirocercose canine à l`Île
ARTICLE ORIGINAL
Étude épidémiologique et clinique
de la spirocercose canine à l'Île de La Réunion,
à partir de 120 cas
° M. RECHE-EMONOT, °° F. BEUGNET °°° et G. BOURDOISEAU
° Clinique vétérinaire de La Possession, F-97 419 La Réunion
° ° Merial, 29 Av. T. Garnier, F-69348 Lyon (Corresponding author)
°°° Parasitologie, E.N.V.L., B.P. 83, F-69280 Marcy L'Étoile
RÉSUMÉ
SUMMARY
La spirocercose canine est une dominante pathologique sur l'Île de La
Réunion (Océan Indien). Une enquête épidémiologique et clinique conduite durant 3 ans à partir de 2498 chiens vus en consultation vétérinaire a permis de suivre 120 chiens infestés et symptomatiques (4,8%). L'étude clinique a permis d'identifier 4 types symptomatologiques, la forme fruste
(33,4 % des cas), la forme aiguë hémorragique (3,8 % des cas), la forme
classique (59,6 %) et l'évolution tumorale (4,2 % des cas), parfois accompagnée d'une ostéoarthropathie pneumique hypertrophiante (1,67 %). La
coproscopie a permis de dépister 82 % des infestations chez ces chiens.
Dans 32 %, l'éosinophilie était marquée (supérieure à 8 %). Des signes
radiographiques de densification en masse, correspondant aux nodules
oesophagiens ont été notés dans 74 % des cas. Les granulomes parasitaires
ont été visualisés à l'endoscope dans l'estomac dans 5,5 % des cas, tous les
autres cas étant oesophagiens. Il n'y a pas de prédisposition liée au sexe, ni
d'influence saisonnière dans les périodes d'apparition des signes cliniques.
La majorité des cas est observée sur des chiens de moins de 3 ans, indiquant
des infestations dans le jeune âge, en revanche l'évolution tumorale est
constatée sur des chiens dont la moyenne d'âge est de 7 ans. Un protocole
de traitement associant ivermectine et nitroxynil a permis d'obtenir un taux
de guérison de 81,6 %.
Epidemiologic and clinic study of canine spirocercosis in Reunion
Island, from 120 cases. By M. RECHE-EMONOT, F. BEUGNET and
G. BOURDOISEAU.
MOTS-CLÉS : Spirocerca lupi - La Réunion - symptômes
- épidémiologie - traitement - coproscopie.
KEY-WORDS : Spirocerca lupi - Réunion Island (Indian
Ocean) - epidemiology - treatment - coproscopy.
Introduction
C'est une helminthose rare en France, qui a été retrouvée en
particulier dans le midi [6] et les cas décrits sont souvent
décelés sur des animaux en provenance des zones tropicales
[4 , 8]. La spirocercose a une très large répartition dans toute
les zones tropicales et subtropicales, où elle peut atteindre
des prévalences élevées [1, 9, 10, 11, 12, 18, 19, 20 ; 24, 27,
29, 31, 32]. C'est une pathologie dominante sur l'île de la
Réunion [28]. La population canine de l'Île comprend environ 400 000 animaux qui se répartissent en 80 000 chiens de
propriétaires, médicalisés ; 120 000 chiens vivant en semiliberté et rarement médicalisés, et 200 000 chiens errants.
Ces deux derniers groupes peuvent constituer un réservoir
important d'agents pathogènes, dont Spirocerca lupi, mais
aussi Dirofilaria immitis [28].
La spirocercose canine est une parasitose interne provoquée par Spirocerca lupi, un nématode de l'ordre des
Spirurida, parasite à l'état adulte de la partie antérieure du
tube digestif, se localisant au sein de nodules formés dans la
muqueuse, et dont le cycle passe par un hôte intermédiaire, le
plus souvent un coléoptère, et des hôtes paraténiques variés
[5, 6, 7, 13, 22]. La spirocercose est caractérisée cliniquement par le développement d'une oesophagite chronique,
entraînant des vomissements, un amaigrissement, ainsi
qu'une anémie liée à l'hématophagie du parasite ou à des saignements.
Revue Méd. Vét., 2001, 152, 6, 469-477
Canine spirocercosis is one of the major dog diseases in Réunion Island
(Indian Ocean). An epidemiological and clinical survey has been conducted
during 3 years. It included 2498 dogs. 120 dogs were symptomatic and
infected by Spirocerca lupi (4.8 %). Four clinical types have been identified :
slight form (33.4 %), acute and haemorragic infection (3.8 % of cases), classical type (59.6 %) and tumoral evolution (4.16 % of cases) with in some
cases an associated hypertrophic osteoarthropathy (1.67 %). The coproscopy allowed to diagnostic 82 % of infections. 32 % of dogs had a blood
numeration with eosinophiles > 8 %. Radiographic signs were seen in 74 %
of cases. The parasitic cysts were seen by endoscopy in the stomach in
5.5 % of infected dogs, the others were localized in the oesophagous. No
sex or season predispositions were identified. The majority of symptomatic
dogs were less than 3 years old, whereas the tumoral evolution were diagnosed in older dogs (mean of 7 years old). An association of ivermectin
and nitroxynil was used to treat infested dogs with a cure in 81.6 % of cases.
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Spirocerca lupi peut contaminer diverses espèces de mammifères, comme des herbivores ou le chat, mais le chien est
l'espèce la plus fréquemment atteinte, avec des expressions
variées de la maladie, allant d'une phase totalement asymptomatique à des tableaux cliniques gravissimes [3, 5, 14, 19, 22].
L'étude épidémiologique et clinique a été réalisée au sein
des clientèles vétérinaires du Nord-Ouest de l'Île, à partir de
2498 chiens, sur un échantillon de 120 cas symptomatiques
avérés positifs en comparant diverses méthodes diagnostiques, sur une période de 3 ans et demi. Les objectifs étaient
de mieux cerner l'épidémiologie et de réaliser une enquête
clinique en appréciant les méthodes diagnostiques et les possibilités thérapeutiques.
1. Matériels et méthodes
A) ECHANTILLONNAGE DE LA POPULATION
L'enquête a été conduite dans 3 clientèles vétérinaires
situées dans le Nord-Ouest du département de la Réunion.
2498 chiens ont été inclus dans l'étude. Parmi ces animaux,
tous les chiens suspects cliniquement ont été retenus (n =
145). L'étude clinique et diagnostique et le suivi thérapeutique ont été conduits à partir de cette population (tableau I).
Parallèlement, 51 coproscopies ont été réalisées durant
l'année 2000 sur des chiens asymptomatiques venus en
consultation vétérinaire pour des raisons diverses (vaccination, stérilisation, tatouage....). 31 de ces chiens proviennent
d'une zone au micro-climat littoral, chaud et assez humide,
tandis que 20 autres viennent d'une zone, située à 500 m d'altitude, dans un micro-climat plus froid (en moyenne 2°C de
moins par rapport au littoral) et plus humide.
B) MÉTHODES DIAGNOSTIQUES
b) Examens cliniques complémentaires
Une numération-formule sanguine ainsi qu'un dosage de
l'urée et de la créatinine sont effectués en fonction des symptômes et de la chronicité supposée de l'affection (28 chiens).
Une radiographie thoracique (face/profil) a été réalisée sur
certains animaux (23 chiens).
c) Diagnostic coproscopique (89 chiens) [5, 16, 25]
Un prélèvement rectal de 2 à 5 g de selles est effectué pendant la consultation. Deux techniques ont été utilisées : soit
une coproscopie par flottation en sulfate de magnésium (avec
un rapport classique de 1g pour 15 ml de liquide dense) [5,
16], soit un examen direct : 1g de fèces dilué dans 0,5 ml
d'eau. Une goutte du mélange est ensuite observée à l'objectif 10 entre lame et lamelle. [16]. 10 coproscopies ont été également réalisées par technique de flottation en solution sucrée
saturée, considérée comme la plus sensible [25].
L'observation des oeufs de Spirocerca lupi (12 µm x
35 µm) se fait à l'objectif 25 [16]. L'examen de l'échantillon
est minutieux et complet (photo 1). En cas de lecture négative, l'examen est répété une deuxième fois avec une autre
préparation.
d) Diagnostic endoscopique (55 chiens)
Il se pratique sous anesthésie générale, avec visualisation
directe des kystes oesophagiens ou gastriques, voire des
tumeurs (photo 2). L'endoscope utilisé est soit un OLYMPUS
CF type IBW soit un OLYMPUS BF type PZOD.
e) Diagnostic nécropsique (15 chiens)
En cas de mort subite, d'euthanasie ou d'évolution fatale de
la maladie, des autopsies ont été réalisées (photo 3).
f) Autres techniques
En cas de suspicion clinique, un dépistage sérologique de
l'ehrlichiose, par technique d'immunofluorescence indirecte,
ou un dépistage des antigènes circulants de Dirofilaria immitis, ont été réalisés.
a) Diagnostic clinique
Lors des consultations, l'ensemble des commémoratifs
concernant les animaux est recueilli (race, âge, sexe, origine,
mode de vie, modifications comportementales, modifications
de l'appétit, vomissements, jeux avec des petits animaux,
ingestion d'insectes,...), puis un examen clinique est réalisé.
Des signes généraux (amaigrissement, anémie, fatigabilité)
associés à une atteinte de l'appareil digestif (oesophagite
et/ou gastrite) sont particulièrement recherchés.
2. Résultats
A) ÉTUDE ÉPIDÉMIOLOGIQUE
a) Incidence clinique de la spirocercose chez les chiens
médicalisés
Sur 2498 consultations, 145 chiens ont été cliniquement
suspectés de spirocercose et 120 se sont avérés réellement
TABLEAU I. — Récapitulatif des examens complémentaires.
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PHOTO 1. — Oeufs de Spirocerca lupi. Coproscopie par examen direct,
Objectif 25.
PHOTO 2. — Nodules spirocerciens visualisés dans l'œsophage par endoscopie.
PHOTO 3. — Lésion de spirocercose observée après nécropsie d'un chien
décédé suite à une rupture aortique.
PHOTO 4. — Lésion d'ostéoarthropathie pneumique hypertrophiante accompagnant le développement de fibrosarcomes oesophagiens associés au
parasitisme de Spirocerca lupi.
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infestés après diagnostic coproscopique et/ou endoscopique
soit une incidence clinique de 4,8 %.
b) Prévalence des infestations asymptomatiques
Parallèlement à l'étude clinique, 51 examens coproscopiques ont été réalisés sur des animaux en bonne santé, venus
en consultation pour des motifs autres (vaccin, ovariectomie,
tatouage...). 14 chiens (9 dans la zone littorale et
5 en arrière pays, différence non significative) sont infestés,
soit une prévalence d'infestation asymptomatique de
27,5 %. Parmi ces chiens, on retrouve 5 Boxers (38,5 %),
2 Bergers Allemands (15,4 %), et 2 Pinschers (15,4 %), races
qui semblent prédisposées (cf.infra).
c) Caractéristiques de la population atteinte
Race (tableau III)
Les races ont été répertoriées. Les taux d'infestation sont
corrigés en tenant compte de la proportion relative de la race
dans l'effectif global étudié (2498 chiens). Certaines races
sont plus atteintes que d'autres, notamment les labradors,
boxers, et bergers-allemands, mais plutôt que la race, il semblerait que la taille et le mode de vie des chiens jouent un
rôle, car les pourcentages les plus élevés correspondent aux
grands chiens, qui vivent souvent à l'extérieur.
Sexe
63 mâles (52,5 %) et 57 femelles (47,5 %) étaient parasités,
cette différence n'est pas significative.
Influence saisonnière
La répartition annuelle des cas cliniques ne présente pas de
variations interprétables. Les helminthoses non vectorielles
sont peu dépendantes de facteurs climatiques et les variations
dans la durée de la période prépatente puis de l'apparition des
symptômes expliquent cette absence de cyclicité.
d) Âge d'apparition des symptômes (Graphique 1)
Les 120 chiens infestés symptomatiques ont été triés par
tranches d'âge de 1 an au moment du diagnostic. Les symptômes apparaissent généralement entre 1 et 3,5 ans, ce qui
souligne une infestation précoce. Il est assez difficile d'interpréter ces données car plusieurs facteurs entrent en jeu : la
population canine de l'île est jeune et les causes de mortalité
sont nombreuses (empoisonnements, abandons, maladies
infectieuses ou parasitaires (ehrlichiose, dirofilariose, leptospirose, maladie de Carré...)). Les jeunes chiens présentent
souvent des formes cliniques assez graves, la moyenne d'âge
des cas de ruptures aortiques observés est de 9 mois. Au dessus d'un certain âge, les lésions évoluent assez fréquemment
en tumeur, 15 % des chiens infestés de plus de 5 ans présentent une tumeur de l'œsophage, avec une moyenne d'âge de
7,1 ans.
B) ÉTUDE CLINIQUE
a) Symptomatologie
Sur les 120 cas cliniques, 15 chiens (12,5 %) ne présentaient qu'une modification de l'appétit, tandis que 25 (20,8 %)
Répartition des 120 cas cliniques en fonction de l’âge des chiens,
par tranches de 1 an, au moment du diagnostic
GRAPHIQUE 1. — Répartition des cas cliniques selon leur âge.
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TABLEAU II. — Résumé des symptômes observés.
* 1 seul cas décrit dans les races suivantes : Porcelaine, Épagneul breton, American staff, Dogue Allemand, Yorkshire,
Gronëndal, Cocker
TABLEAU III. — Répartition des différentes races parmi les chiens symptomatiques.
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montraient une spirocercose fruste avec des signes digestifs
modérés comme de la dysphagie et des régurgitations fréquentes. L'étude symptomatologique précise a donc porté sur
les 105 cas cliniques ayant des symptômes marqués (tableau II).
- 52 chiens (49,5 %) ont présenté un amaigrissement
rapide, allant parfois jusqu'à la cachexie.
- 37 (31 %) ont présenté de la dysphagie et des vomissements. Ces derniers sont soit épisodiques, avec une fréquence
de 1 à 2 vomissements par semaine, soit observés régulièrement, environ une fois par jour, souvent après les repas.
Parfois, ils deviennent incoercibles, ce qui correspond généralement au développement d'une tumeur oesophagienne. Il
est à noter que l'appétit est parfois conservé voire augmenté.
- 26 chiens (25 %) présentaient de l'abattement.
- De la fièvre (> 39,5 °C) est observée chez 23 des chiens
(22%). Elle pourrait être due à la surinfection des nodules
oesophagiens, ou à des pathologies associées, comme l'ehrlichiose canine, diagnostiquée sérologiquement chez 13 de ces
chiens.
- 17 chiens (16,2 %) présentaient une atteinte respiratoire
avec dyspnée, essoufflement, et râles bronchiques. 17 chiens
(16,2 %) ont présenté une toux sèche.
- Un symptôme particulier, les raclements de gorge, se
retrouve chez 13 chiens (12,4 %). Ce symptôme est décrit
chez des chiens par ailleurs faiblement symptomatiques.
- 6 chiens (5,7 %) ont présenté une douleur thoracique.
- Des diarrhées transitoires ont été observées sur 6 chiens
(5,7 %), parfois avec du méléna, sans qu'un lien avec d'autres
parasitoses digestives ne puisse être établi.
- 6 chiens (5,7 %) ont présenté du ptyalisme.
- 4 cas d'hémorragie interne par rupture aortique (3,8 %)
ont été diagnostiqués à l'autospie.
- 5 chiens (4,16 %) ont présenté un fibrosarcome oesophagien lié au parasitisme de Spirocerca [23]. Un syndrome d'ostéopathie pneumique hypertrophiante a été observé chez 2 de
ces chiens.
- Trois manifestations isolées mais imputables aux spirocerques ont également été relevées : un oedème de la région
oesophagienne, une rupture oesophagienne, et un mégaoesophage.
b) Résultats des examens complémentaires
- Résultats des radiographies
Des clichés radiographiques (Face/Profil du thorax) ont été
pris sur 23 chiens. Les kystes ou tumeurs étaient bien visibles
sur 17 radiographies (74 %). Des zones de densification au
contour plus ou moins bien défini, situées à la base du cœur,
peuvent être observées. Elles évoquent très fortement la spirocercose. Les tumeurs oesophagiennes sont plus radioopaques que les nodules inflammatoires.
- Modification des paramètres biochimiques
Des examens sanguins ont été réalisés chez 28 chiens :
9 d'entre eux (32,1 %) présentaient une éosinophilie de 8 à
39 % ; 12 chiens (43 %) de l'anémie et 9 chiens (32,1 %) une
neutrophilie.
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c) Résultats du diagnostic parasitaire
89 coproscopies et 55 fibroscopies dont 27 examens
doubles (coproscopie + endoscopie) ont été réalisés.
Sur les 89 coproscopies par examen direct, 16 ont été négatives, alors que les animaux étaient porteurs de Spirocerca
lupi, visualisés par endoscopie, soit une sensibilité de 82 %
[16, 25]. Le nombre d'œufs observés est parfois important
(dans 15 cas sur 89). 20 % des coproscopies réalisées par
technique de flottation en sulfate de magnésium étaient négatives alors que l'examen direct était positif. La flottation en
solution sucrée (10 examens) a donné une sensibilité comparable à la flottation en Mg SO4.
L'endoscopie est la méthode de choix si l'on considère sa
sensibilité, avoisinant 100 % au terme de la période prépatente (présence des spirocerques adultes dans les nodules),
mais elle ne peut être réalisée sur chaque animal, soit pour
des raisons médicales (anesthésie générale), soit des raisons
de coût [13]. Les 55 endoscopies ont permis de visualiser les
nodules spirocerciens. Ils sont généralement au nombre de
1 à 2, mais peuvent être plus nombreux, de 3 à 6 kystes. Ils
sont de taille très variable, allant de 0,5 cm à plusieurs cm
[17]. Il peut s'agir soit d'un simple renflement de la muqueuse
oesophagienne, soit d'un nodule operculé (d'où les vers
adultes font saillie à l'extérieur), soit de nodules ulcérés,
inflammatoires, ou bien encore de volumineuses tumeurs.
94,55 % des nodules sont situés dans l'oesophage, dans la
portion postérieure. Ils n'ont été observés dans l'estomac (au
niveau du cardia) que lors de 3 examens (5,45 %).
d) Évolution clinique et traitement
Sur les 120 animaux étudiés, 15 sont morts des suites de
leur maladie, soit une évolution fatale dans 12,5 % des cas.
Ce pronostic est moins sombre que ce qui est décrit dans la
bibliographie [6, 7, 11].
Le traitement classiquement employé par les vétérinaires,
hors A.M.M. et sous leur responsabilité, est une association
d'ivermectine et de nitroxynil [2], à des posologies élevées,
respectivement de 1 000 µg/kg d'ivermectine (IVOMEC®),
soit 5 fois la posologie usuelle, et de 10 mg/kg de nitroxynil
(DOVENIX®). Ces produits sont administrés par voie souscutanée. Ce traitement est renouvelé 4 fois à une semaine
d'intervalle [5, 6].
Ce protocole a été appliqué aux 120 chiens symptomatiques : 4 d'entre eux n'ont pas été revus, 3 sont morts de
causes externes (accident, empoisonnement....), 15 sont
morts du fait de leur état clinique, et 98 ont présenté une évolution favorable et rapide de leur état général, soit un taux de
guérison de 81,6 %. Cette évolution est mise en évidence par
suivi endoscopique ou coproscopique (négativation des
coproscopies et réduction des nodules).
10 chiens sur les 98 (10,2 %) ont présenté des récidives de
spirocercose dans les 2 ans qui ont suivi le traitement. Si l'on
se réfère à la période prépatente de 4 à 9 mois, ceci indique
que les réinfestations se font très rapidement.
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3. Discussion
La spirocercose est une maladie qui évolue à bas bruit, pendant une période plus ou moins longue, jusqu'au jour où elle
se déclare avec des symptômes parfois catastrophiques, d'où
l'absence de saisonnalité dans l'apparition des symptômes, et
la proportion importante des chiens infestés asymptomatiques, ce qui est retrouvé par les enquêtes nécropsiques [28].
Deux autres enquêtes concernant la spirocercose ont été
effectuées à l'Île de la Réunion. La première par le LVD de
1987 à 1990 [28]. Dans cette enquête, 96 chiens d'origines
variées, morts pour une raison inconnue ou euthanasiés, ont
été autopsiés. Sur ces 96 chiens, 59 étaient porteurs de
Spirocerca lupi, ce qui donne une prévalence de 61,5 %. En
comparant ce résultat à ceux de notre étude, 4,8 % pour l'incidence clinique et 27,5 % pour les infestations asymptomatiques, obtenus à partir de chiens appartenant à une population médicalisée, on peut penser qu'il existe de grandes variations du taux d'infestation entre les diverses populations de
chiens. Les animaux en semi-liberté ou errants représentent
très probablement un réservoir non négligeable de parasites,
qui permet l'entretien de l'endémie sur l'île. La seconde
enquête a été basée sur l'autopsie de chiens errants en fourrière, à l'origine pour une étude de dirofilariose cardiopulmonaire [in 28]. La prévalence était de 71 %, très voisine des
chiffres du LVD, et beaucoup plus élevée que chez les chiens
de propriétaires, renforçant cette notion de "population
canine" réservoir.
D'autres pathologies se surajoutent fréquemment à la spirocercose, dans notre enquête, 13 des 120 chiens présentaient
des signes associés d'ehrlichiose (hyperthermie, trombocytopénie) et présentaient un titre sérologique élevé vis-à-vis
d'Ehrlichia canis (par technique d'immunofluorescence indirecte). 13autres chiens étaient infestés par Dirofilaria immitis
(dépistage de l'antigènémie par ELISA). Ces dernières pathologies peuvent reléguer, au moins pendant un certain temps,
la spirocercose au second plan, et certains des symptômes
sont communs : fièvre, abattement, amaigrissement, essoufflement, anémie.
De nombreux moyens diagnostiques sont aujourd'hui disponibles, comme la coproscopie [16, 25] et l'endoscopie [6].
Les examens complémentaires comme la radiographie et
l'examen des paramètres sanguins permettent uniquement de
suspecter une spirocercose [6, 7, 15]. Il serait intéressant de
disposer de techniques sérologiques, permettant un dépistage
durant la phase de migration des larves. Un des points de
cette étude en contradiction avec d'autres auteurs est l'intérêt
de l'examen coproscopique, puisque 82 % des chiens positifs
ont été dépistés, alors que la sensibilité est souvent donnée
pour beaucoup plus faible, de l'ordre de 30 % [5, 6, 15, 16].
Par ailleurs, les techniques de flottation sont considérées
comme les plus performantes, avec un intérêt particulier de la
solution sucrée [25]. Lors de notre étude, l'examen fécal
direct s'est avéré plus sensible. L'habitude ou non d'observation des œufs doit cependant entraîner une grande variabilité
selon les expérimentateurs.
Les symptômes observés sur les 120 chiens étudiés sont
conformes aux descriptions publiées [5, 6, 7, 13, 22]. En
fonction de la gravité des symptômes, mais également en
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considérant le caractère évolutif de la maladie, il est possible
de proposer 4 formes cliniques :
Forme fruste
Elle touche des chiens de tout âge, de 8 mois à 17 ans. Elle
est assez fréquente puisque 40 des 120 chiens (33 %) l'ont
présenté. Les propriétaires peuvent n'avoir rien remarqué et
la spirocercose est alors une découverte surprenante pour ces
derniers. Par une anamnèse complète, il est possible de
découvrir quelques symptômes comme des régurgitations
("raclements de gorge") ou des vomissements occasionnels
[5, 6].
Forme hémorragique
C'est une des formes les plus graves. Elle correspond à la
phase d'invasion de la paroi de l'aorte par des larves [4, 11,
17, 18]. La migration peut se dérouler sans encombre, mais
en cas d'infestation sévère, des ruptures aortiques sont possibles [29]. Cette forme a été diagnostiquée 4 fois (3,33 %
des chiens) après autopsie, sur des chiens de moins d'un an.
Ces derniers ne présentaient aucun symptôme annonciateur.
Certains sont d'ailleurs retrouvés morts chez le propriétaire.
Forme chronique
C'est la spirocercose dans sa phase d'état, la plus classique
[13]. Des symptômes variés mais caractéristiques apparaissent. Ils sont liés à l'installation des spirocerques dans la
muqueuse digestive et au développement des nodules dans la
muqueuse oesophagienne [6, 7, 17]. Les principaux signes
sont des vomissements, de la dysphagie, du ptyalisme. La
sphère respiratoire peut être touchée en second lieu, avec de
la dyspnée, de l'essoufflement, et de la toux, soit par irritation
de plexus nerveux, soit par compression trachéale. L'état
général empire, avec un amaigrissement marqué, de l'anémie,
de l'abattement, parfois de la fièvre. Les animaux de tous
âges sont touchés, de 6 mois à 13 ans, avec une moyenne de
3 ans et demi.
Forme néoplasique
Elle correspond à la phase, tardive, d'évolution tumorale
des granulomes parasitaires. Il s'agit le plus souvent de fibrosarcomes [8, 23, 26]. Cette forme a été observée dans cette
étude sur 5 chiens (4,16 %), âgés de 6,5 à 9 ans. Elle est
caractéristique du parasitisme de Spirocerca lupi et est probablement liée à une stimulation antigénique chronique des
tissus [8]. Les animaux atteints sont cachectiques et vomissent de façon incoercible. Un signe peut accompagner le
développement de ces tumeurs, il s'agit d'une ostéopathie
pneumique hypertrophiante ou syndrome de Cadiot-Ball [30,
33] (photo 4), observée à 2 reprises dans cette enquête (1,67
% des chiens).
D'autres symptômes ont parfois été décrits lors de localisations erratiques des spirocerques (localisation cardiaque, rectale), mais ils restent exceptionnels et n'ont pas été retrouvés
dans cette étude [18, 19, 21].
La spirocercose est une helminthose canine fréquente en
zone tropicale, caractérisée par l'importance de son pouvoir
pathogène, or il n'existe pas aujourd'hui de mesures de chimioprophylaxie et la thérapeutique reste basée sur l'emploi,
Revue Méd. Vét., 2001, 152, 6, 469-477
ÉTUDE ÉPIDÉMIOLOGIQUE ET CLINIQUE DE LA SPIROCERCOSE CANINE À L’ÎLE DE LA RÉUNION
hors A.M.M., à des doses élevées, d'antiparasitaires destinés
à d'autres espèces animales [2, 6, 7]. Des progrès seront à
faire dans ce domaine, comme celui du diagnostic sérologique.
Bibliographie
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