« Sécurité alimentaire : un objectif hors d`atteinte ? »
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« Sécurité alimentaire : un objectif hors d`atteinte ? »
Synthèse Session 2 du colloque « Alimentation durable : un bien partagé ? » Chaire Unesco « alimentations du monde » 27 janvier 2012 « Sécurité alimentaire : un objectif hors d’atteinte ? » Rapporteurs : J. Rochette, A. Maillet, Y. Jean (Étudiants IPAD-ISAM, Montpellier SupAgro) Afin d’aborder la question du droit à l’alimentation il convient de se replacer dans le contexte historique qui a précédé son introduction. La crise pétrolière de 1974 et la forte hausse des prix alimentaires qui a suivi ont induit la réémergence de préoccupations de type néo-malthusienne : le problème de la disponibilité alimentaire est alors au cœur du débat. Or, la pénurie tant redoutée ne survient pas. Mais alors que les stocks sont reconstitués, la sous-alimentation perdure. Dans son ouvrage « Poverty and Famines », publié en 1981, Amartya Sen met alors en évidence l’importance de se pencher sur le problème de l’accès à une nourriture par ailleurs disponible. Cette idée est en opposition avec la pensée productiviste de la révolution verte. Selon A. Sen, pour comprendre la faim il faut partir de la situation des plus pauvres, comprendre quels sont les obstacles à l’accès à l’alimentation pour pouvoir prendre des mesures qui seront évaluées de manière participative par l’opinion publique et ne pourront ainsi pas se permettre d’être inefficaces. Il établit une nouvelle manière de penser les solutions participatives et une nouvelle manière d’avancer dans l’organisation institutionnelle. En 1983, l’accès à l’alimentation est inscrit au cœur de la définition de la sécurité alimentaire de la FAO, définition qui continuera d’évoluer jusqu’à celle donnée lors du Sommet mondial de l’alimentation de la FAO de 1996 : « La sécurité alimentaire est assurée quand toutes les personnes, en tout temps, ont économiquement, socialement et physiquement accès à une alimentation suffisante, saine et nutritive qui satisfait leurs besoins nutritionnels et leurs préférences alimentaires pour leur permettre de mener une vie active et saine ». Pour la première fois, il est énoncé un engagement chiffré et daté : diviser par deux le nombre de personnes souffrant de la faim d’ici à 2015. Mais quels outils pour atteindre cet objectif ? Des directives volontaires Le Sommet de 1996 marque le point de naissance symbolique du droit à l’alimentation. Il sera ensuite clarifié en 1999 par les Nations unies dans le Pacte relatif aux droits économiques, socio et culturels. Puis en 2004 à travers les Directives volontaires à l’appui de la concrétisation progressive du droit à l’alimentation dans le contexte de la sécurité alimentaire nationale, issues d’un travail intergouvernemental dans lequel il est précisé de manière concrète et opérationnelle les mesures devant être prises par les États pour s’acquitter de ce droit. Le droit à l’alimentation doit guider l’action publique, obliger les gouvernements à corriger des politiques inefficaces et placer la sécurité alimentaire comme un objectif commun aux différents domaines que sont le commerce, la coopération pour le développement, le foncier ou encore l’investissement dans l’agriculture. Cette concrétisation du droit à l’alimentation s’opère dans le contexte des années 2000 qui voient l’émergence de points conflictuels traités dans différentes enceintes internationales, tels que les préoccupations grandissantes face aux changements climatiques et à l’épuisement des ressources, l’essor des biotechnologies, les transactions foncières à grande échelle, l’échec du cycle de l’OMC de Doha sur la question agricole ou encore le développement très controversé des agrocarburants. Autant de causes qui seront invoquées dans l’explication de la crise alimentaire de 2007-2008. Le Sommet de l’alimentation de 2009 visera à coordonner ces préoccupations avec la sécurité alimentaire comme objectif commun. Ce Sommet a cherché à modifier le système institutionnel global de la sécurité alimentaire pour gagner en efficacité. Suivront un certain nombre de « méta-initiatives » initiées par le G20, les Nations unies ou encore la Banque mondiale. C’est dans cet élan qu’a été refondé le Comité de la sécurité alimentaire mondiale (CSA) de la FAO, en lui donnant une plus grande visibilité et en incluant dans les délibérations la société civile, le secteur privé, les agences internationales et non plus seulement les gouvernements. Ce comité reformé va notamment insister pour que les pays mettent en œuvre les directives volontaires de 2004. La phase actuelle du Comité vise à la responsabilisation des gouvernements avec des travaux sur la gouvernance. Toutefois, la gouvernance de la sécurité alimentaire reste encore très fragmentée et compliquée à coordonner à l’échelle internationale. Face à cette problématique, le droit à l’alimentation, présenté par Olivier De Schutter, représente un outil pouvant servir de point de référence pour des stratégies nationales pour la sécurité alimentaire telles que celles mises en place au Brésil comme le montre Pedro Kitoko. L’exemple brésilien Lors de son discours d’investiture en 2003, le président Lula a placé la lutte contre l’insécurité alimentaire au Brésil comme priorité de son mandat. La Conférence nationale pour la sécurité alimentaire et nutritionnelle est composée d’environ 2 000 participants. Sont représentés chaque Etat, la société civile ainsi que les minorités. Tous les quatre ans elle évalue l’efficacité du Plan de sécurité alimentaire et nutritionnelle (PNSAN) et propose des pistes d’amélioration au Conseil national de la sécurité alimentaire et de la nutrition (CONSEA). Ce dernier est constitué de 61 participants, dont des représentants de la société civile (pour les deux tiers), des observateurs et des ministres. Il est chargé de formuler les propositions à la Chambre interministérielle de sécurité alimentaire et nutritionnelle comprenant dix-neuf ministères. Après validation in fine du PNSAN par le CONSEA, l’ensemble des programmes est mis en oeuvre par les différents ministères concernés, dans une démarche largement intersectorielle. L’un des programmes centraux dans la lutte contre l’insécurité alimentaire est le Programme d’acquisition d’aliments (PAA) qui comprend l’achat, le stockage et la distribution d’aliments issus de l’agriculture familiale et destinés aux personnes en situation d’insécurité alimentaire. Par ailleurs le Programme national d’alimentation scolaire permet la distribution aux élèves d’un repas équilibré par jour. Enfin le programme « Bolsa Familia » consiste en une allocation en espèce à des familles qui vivent dans des conditions d’indigence (disposant de revenus inférieurs au quart du salaire minimum). En intégrant notamment les préoccupations de la société civile dans la définition de ses politiques, le Brésil a suivi les recommandations de l’ONU en matière de droit à l’alimentation, droit qui est inscrit dans la Constitution brésilienne depuis 2010. Protéger le droit à l’alimentation Le droit à l’alimentation s’articule autour de trois types d’obligations faites aux États. Premièrement, l’État doit le respecter. Le droit à l’alimentation doit/peut être inscrit dans la Constitution comme un droit de l’homme. Il s’agit ainsi de donner aux juridictions nationales le pouvoir de contrôler leur gouvernement et de limiter l’influence parfois disproportionnée qu’exercent certains acteurs disposant d’accès privilégiés aux décisions politiques. Priver les agriculteurs de leurs moyens de production (notamment par un processus d’accaparement des terres), ou de leurs avantages sociaux (par corruption ou discrimination), constitueront des entraves au droit à l’alimentation aisément identifiées par la justice. Deuxièmement, l’État doit protéger le droit à l’alimentation. Il lui appartient d’intervenir pour contrôler les acteurs privés du système agroalimentaire pour éviter que leurs spéculations ou qu’une mauvaise rémunération des intermédiaires augmentent la pauvreté. Il paraît essentiel d’adopter des lois cadre sur le droit à l’alimentation, comme l’a fait le Brésil au travers de sa Loi nationale de sécurité alimentaire et nutritionnelle. En institutionnalisant le dialogue entre le gouvernement et les composantes de la société civile, de telles lois permettront d’accompagner une démarche participative pour la réalisation de la sécurité alimentaire, loin d’une vision strictement technocratique. Tel a été le cas dans nombre de pays d’Amérique latine. L’importance d’une gouvernance efficace est souvent sous-estimée pour enrayer la faim et la malnutrition. Elle est pourtant essentielle pour réguler les rapports de forces qui se nouent au sein des systèmes alimentaires. Troisièmement, l’État doit réaliser le droit à l’alimentation. Sur la base de démarches participatives, il s’agit ici d’élaborer des plans d’actions, de coordonner les acteurs et de les faire converger vers l’objectif de sécurité alimentaire. L’établissement de tels calendriers accroit le coût politique de l’inaction et incitent les gouvernements à respecter leurs promesses vis-à-vis de la population. Ces stratégies nationales ont la capacité d’intégrer des mesures de court terme avec l’objectif de développement de systèmes agricoles et alimentaires durables. De surcroît, elles créent une prévisibilité dont les acteurs économiques ont besoin pour investir. Avec les mouvements sociaux C’est ainsi que les mouvements sociaux se sont emparés du droit à l’alimentation comme instrument de modification des politiques publiques. Une société civile de plus en plus organisée à l’échelle internationale ou des syndicats de petits producteurs (Réseau des organisations paysannes et de producteurs de l’Afrique de l’Ouest, Eastern African Farmers Federation, etc.) promeuvent la relocalisation des systèmes alimentaires en s’opposant aux politiques visant à prioriser les cultures d’exportation. En défendant la souveraineté alimentaire, les acteurs de la société civile appellent à un rééquilibrage du système alimentaire en faveur des producteurs locaux. L’agroécologie est également proposée comme alternative au système agroindustriel. L’utilisation plus efficiente des ressources naturelles, notamment en créant des synergies à l’intérieur du système agro-sylvo-pastoral, est un moyen d’éviter la contrainte que représente la dépendance aux intrants externes. En somme, les mouvements sociaux défendent la « redémocratisation » des systèmes alimentaires en insistant sur la nécessaire participation des organisations de la société civile dans la définition des politiques publiques en matière agricole et alimentaire. La nécessaire transition vers des systèmes agricoles et agroalimentaires durables reste cependant difficile à réaliser si l’environnement international ne s’y prête pas. Il appartient par conséquent à des organes tels que le CSA d’accélérer l’apprentissage collectif par l’échange de bonnes pratiques et de donner à ces évolutions nationales une contrepartie au niveau international au travers d’un cadre stratégique global.