Voici juin. Le moineau raille Dans les champs les amoureux

Transcription

Voici juin. Le moineau raille Dans les champs les amoureux
A GRANVILLE EN 1836
Voici juin. Le moineau raille
Dans les champs les amoureux ;
Le rossignol de muraille
Chante dans son nid pierreux.
La grive et la tourterelle
Prolongent, dans les nids sourds,
La ravissante querelle
Des baisers et des amours.
Les petites ailes blanches
Sur les eaux et les sillons
S’abattent en avalanches ;
Il neige des papillons.
VICTOR HUGO
1
BESTIAIRE DES ANIMAUX À L’AISE DANS LEUR PEAU
Très oiseaux les oiseaux sont très sûrs d’être oiseaux
L’écureuil sait très bien son métier d’écureuil
Les chevaux dans leur peau de cheval sont chevaux
Le lézard sait par cœur l’art de vivre en lézard
La fourrure du chat tient le chat tout entier
Le renard est renard tout le long de l’année
Le poisson est dans l’eau comme un poisson dans l’eau
Mais moi je m’évapore et me perds et me trouve
Et ne suis jamais sûr d’être ce que je suis.
CLAUDE ROY
2
ABEILLE
Une habile abeille
travaille travaille
Est-il rien qui vaille
si frêle merveille ?
DANIEL LANDER
3
L’ÂGE D’OR
Du temps que les castors s’ébattaient dans la Bièvre,
Que le saumon rôdait sous le pont de Bercy,
Que la biche et le loup, le renard et le lièvre
Folâtraient à Chaillot dans les champs de persil,
Du temps que le glouton batifolait à Sèvres,
Le renne au Cours-la-Reine et le lynx à Passy,
Et l’aurochs à Duroc, et l’ours quai des Orfèvres,
Et le ptérodactyle au marché de Buci,
Boulevard Saint-Michel ou rue Monsieur-le-Prince,
On voyait certains jours un couple de province
(Elle était de Lespugue et lui de Cro-Magnon)...
A l’ombre d’un grand chêne au milieu de l’herbette,
Le cœur plein d’innocence, ils adoraient les bêtes,
Le mammouth avant tout, dans le filet mignon.
JEAN-LUC MOREAU
4
AGÉNOR LE BRONTOSAURE
Agénor le Brontosaure
Et son ami Dinosaure
Vivaient il y a cent mille ans.
Ils mangeaient pour leur dessert
Souvent des forêts entières
Et assis sur leur derrière
Ils se chauffaient aux volcans.
En ce temps-là, quel mystère !
Les oiseaux avaient des dents,
Les poissons marchaient par terre
Mais il n’y avait pas d’enfants.
RAYMOND LICHET
ET ANDRÉE MARQUET
5
L’ALLIGATOR
Sur les bords du Mississippi
Un alligator se tapit.
Il vit passer un négrillon
Et lui dit: « Bonjour, mon garçon. »
Mais le nègre lui dit: « Bonsoir,
La nuit tombe, il va faire noir,
Je suis petit et j’aurais tort
De parler à l’alligator. »
Sur les bords du Mississippi
L’alligator a du dépit,
Car il voulait au réveillon
Manger le tendre négrillon.
ROBERT DESNOS
6
LES ÂNES
Ils évoquent les vieilles fresques,
L’Enfant Jésus, Silène, Pan,
Et de leurs hihans pittoresques
Caressent l’air et le tympan.
Ils sont vertueux, ils sont tristes
Leur grâce est faite d’abandons.
Ils ont le poil long des artistes
Qui vivent comme eux de chardons.
Ils se gaussent de nos airs crânes
Et, prenant comme il vient le temps,
Ils confessent qu’ils sont des ânes.
Nous n’osons pas en faire autant.
ERNEST PRÉVOST
7
ANIMAUX FANTASTIQUES SONT...
Animaux fantastiques sont
Le molubec, le plumeçon,
La gicandouille qui pendouille
Au croc aigu de l’hameçon.
Et l’ophie, dis, la connais-tu,
Qui te dis disciple d’Orphée?
Poissons à becs fins et pointus,
Animaux des contes de fées,
Et l’unicorne ou bien licorne
Cabrée sur les siècles défunts
Dont l’œil d’une perle s’adorne
Et la toison de clairs parfums?
MAURICE FOMBEURE
8
ANIMAUX LÉGENDAIRES
Que sont les bêtes devenues
Qui faisaient frémir les enfants :
Le dragon, la coquecigrue
Et le loup hurlant dans le vent ?
La tarasque des bords du Rhône
Qui croquait les bateaux à roues
Est un masque de carton jaune
Que l’on porte à la fête, en août.
Et la bête du Gévaudan,
Toute en griffes et toute en dents,
Qui dévora mille troupeaux
En ne laissant qu’un peu de peau ?
Celle-là habite les fables
Tout comme le marchand de sable,
La chimère et dame Licorne
Dont la tête d’ivoire s’orne.
Pégase, le cheval ailé,
Travaille à la publicité,
Et le centaure à demi homme
Tourne au manège, foire du Trône.
La sirène, cette poissonne,
Jolie chanteuse à la voix d’or,
Pour l’usine et pour le feu sonne,
Eveillant la cité qui dort.
Que sont les bêtes devenues
Qui possédaient les sortilèges ?
En vain, je cherche sur la neige
A tâtons leurs traces perdues.
Mais dans le songe de l’enfance
Où les fées à jamais vivront,
On voit toujours leurs pattes blanches,
Leurs yeux de phosphore tout ronds.
MARC ALYN
9
LA BALEINE
Plaignez, plaignez la baleine
Qui nage sans perdre haleine
Et qui nourrit ses petits
De lait froid sans garantie.
La baleine fait son nid,
Oui, mais petit appétit,
Dans le fond des océans
Pour ses nourrissons géants.
Au milieu des coquillages,
Elle dort sous les sillages
Des bateaux, des paquebots
Qui naviguent sur les flots.
ROBERT DESNOS
10
BERCEUSE DE L’ÉLÉPHANT
Mère Eléphant, d’un œil énorme,
Cherche son fils au front bombé:
« Bébé! c’est l’heure que l’on dorme... »
Pour elle aussi, c’est un bébé.
Mère Eléphant, d’un cœur immense,
Croit son éléphant tout petit...
Mais voici son gros pas qui danse,
C’est lui qui rentre, c’est bien lui!
Alors, avec sa trompe grise,
Elle arrange, dans les roseaux,
Quelque chose qui, sous la brise,
Ressemble à l’éternel berceau...
Et, sous l’étoile merveilleuse
Qui garde les petits enfants,
Mère Femme et Mère Eléphant
Chanteront la même berceuse...
ROSEMONDE GÉRARD
11
BERCEUSE DES HOMARDS
Dors, petit prince,
dors, tendres pinces,
dors, mon moutard,
la vague danse
dans le silence,
dors, mon homard.
La lune pose
de blanches roses
sur tes yeux noirs,
dors, mon délice,
le sable est lisse,
bonsoir, bonsoir.
Dors, petit père,
dans l’ombre chère
du fond vermeil,
ta carapace
glisse avec grâce
dans le sommeil.
Laisse-toi faire,
dans l’onde claire,
dors, mon moutard,
dans la mer douce
aux vertes mousses,
dors, mon homard.
PIERRE GAMARRA
12
BÊTE À BON DIEU
Bête à bon Dieu fais-moi-t-un beau dimanche :
Qu’il pleuve à torrents,
Qu’il pleuve comme aux enterrements,
Comme dans les films, encore plus que nature !
Je pourrai tremper mes chaussures,
Mes chaussures de lézard dans les flaques d’eau,
Mes chaussures seront des bateaux,
Mes jambes les radars d’une autre planète,
Et je ferai naufrage dans mes chaussettes.
Bête à bon Dieu fais-moi-t-un beau dimanche :
Que tante Eulalie ne vienne pas,
Elle est trop vieille pour moi !
Elle apporte toujours des médicaments
Pour que je devienne plus grand,
Mais je voudrais bien savoir celui qu’elle prend :
Chaque fois qu’elle vient chez nous
Elle rapetisse à tous les coups !
RENÉ DE OBALDIA
13
MES BREBIS
Dans ces prés fleuris
Qu’arrose la Seine,
Cherchez qui vous mène,
Mes chères brebis!
Que je vous regrette!
Mais il faut céder.
Sans chien, sans houlette,
Puis-je vous garder?
L’injuste Fortune
Me les a ravis.
En vain j’importune
Le Ciel par mes cris.
Puissiez-vous, contentes
Et sans mon secours,
Passer d’heureux jours,
Brebis innocentes,
Brebis, mes amours!
MADAME DESHOULIÈRES
14
BROUTER
Dans mes plus lointains étés
J’entends la vache brouter,
J’écoute l’herbe qu’arrachent
Les mâchoires de la vache.
Ô, ma vache, broute, mâche.
Tu as tout le temps qu’il faut.
Broute bien l’herbe et le temps,
Le temps ! Goûte lentement.
Tu as l’Egypte et Lascaux
Qui ruminent sur ton dos.
Ne lève pas trop les yeux
Sur ce monde nébuleux,
Broute, mon antique bête,
Broute cette jeune herbette
Et la jeune éternité
Sourira de t’écouter
Brouter.
NORGE
15
LA CHANSON DE LA COCCINELLE
Catinette du vert bois...
Vous prenez la catinette
Qui dort près d’une fleurette,
Tel un cœur de pâquerette,
Sur votre doigt la posez
Et puis la faites monter
En dressant la phalangette,
Et doucement lui chantez :
- Catinette du vert bois,
Catinette au haut du doigt,
Quelle heure est-il, dites-moi?
Il est une heure, deux heures...
Est-il l’heure de l’amour?
Est-il l’heure du bonheur?
Catinette, envolez-vous...
- Catinette du vert bois,
Je vous en prie, dites-moi ;
Quand se tairont les coucous,
Ma blonde Catherinette
Viendra-t-elle au rendez-vous
Sous la fougère discrète ?
Catinette, envolez-vous...
- Catinette du vert bois,
Quand vous partirez pour moi,
Prenez garde aux filandières !
Le malheur serait sur nous:
L’araignée aux yeux jaloux
Vous guette dans la clairière.
Catinette, envolez-vous...
Catinette du vert bois...
Au gré de votre désir,
Son élytre bénévole
S’ouvre à la brise frivole ;
Sur le bout de votre doigt,
Vous la regardez partir:
Elle vole, vole, vole,
Et fuit comme le plaisir...
Ah, mes rêves d’autrefois...
Catinette du vert bois...
FRANCIS YARD
16
LA CHANSON DES MOUCHES
Eté qui flamboie,
Sois par notre joie
Fêté!
Dans ta clarté blonde
Menons notre ronde
D’été!
Agitant l’oreille,
La chatte sommeille,
Rêvant.
Croyant qu’il nous happe,
Le vieux chien attrape
Du vent.
La noire araignée
Demeure éloignée
D’ici :
Un balai fidèle
Prend constamment d’elle
Souci.
Les plaisirs du monde
Sont pour notre ronde
Aisés :
Longues rêveries,
Danse et sucreries,
Baisers !
Zon ! zon ! Tout repose.
La cuisine est close :
Disons,
Par bandes errantes,
Mille susurrantes
Chansons !
CHARLES GRANDMOUGIN
17
CHEVAUX
Je suis d’un village où j’entends
Les chevaux noirs, les chevaux blancs
Avec leurs yeux arabisants,
Leurs nez peuhls, leurs croupes latines,
Traîner tout le jour des racines
Et des surcharges de froment.
Rien n’est plus beau qu’une jument
Plongeant son masque d’Or-lent,
Sa belle face métissée
Dans les rivières tempérées !
CATHERINE PAYSAN
18
LE CHIEN
Ils ne s’étaient jamais rencontrés.
Ils se rencontrèrent.
- « Nom d’un chien ! » dit l’homme.
- « Nom d’un homme ! » dit le chien.
- « Parfait ! » dit Dieu. En voilà deux, au moins, qui jurent
mais qui ne sacrent pas ! Je jure,
Moi, qu’ils ne pourront plus désormais se passer l’un de
l’autre. »
Et le chien jappa d’aise, confondu dans l’ombre de l’homme qui
déjà avait repris sa route.
LOUIS DAUBIER
19
CHIEN DE PARIS
Un chien de Paris m’a dit :
« Ici, c’est le Paradis !
Nos gentils maîtres se mènent
Par la laisse ou par la chaîne.
Et du trottoir au salon,
De tapis en pantalon
Nous faisons, malgré le Maire,
Où l’on nous défend de faire.
Ils ont bon tempérament.
Il ne leur manque vraiment
Que la truffe et l’aboiement! »
BERNARD LORRAINE
20
LA CIGALE
L’air est si chaud que la cigale,
La pauvre cigale frugale
Qui se régale de chansons,
Ne fait plus entendre les sons
De sa chansonnette inégale.
Et, rêvant qu’elle agite encor
Ses petits tambourins de fée,
Sur l’écorce des pins chauffée
Où pleure une résine d’or,
Ivre de soleil elle dort.
PAUL ARÈNE
21
CIGALES
De la garrigue à l’olivaie :
Cliquetis de menue monnaie.
Pourquoi partout ce tintement
De millions de pièces d’argent ?
Les cigales dans leur délire
Secouent toutes leur tire-lire.
BERNARD LORRAINE
22
COMPLAINTE DU LÉZARD AMOUREUX
N’égraine pas le tournesol,
Tes cyprès auraient de la peine,
Chardonneret, reprends ton vol
Et reviens à ton nid de laine.
Tu n’es pas un caillou du ciel
Pour que le vent te tienne quitte,
Oiseau rural ; l’arc-en-ciel
S’unifie dans la marguerite.
L’homme fusille, cache-toi;
Le tournesol est son complice.
Seules les herbes sont pour toi,
Les herbes des champs qui se plissent.
Le serpent ne te connaît pas,
Et la sauterelle est bougonne ;
La taupe, elle, n’y voit pas ;
Le papillon ne hait personne.
Il est midi, chardonneret.
Le séneçon est là qui brille.
Attarde-toi, va, sans danger :
L’homme est rentré dans sa famille !
L’écho de ce pays est sûr.
J’observe, je suis bon prophète ;
Je vois tout de mon petit mur,
Même tituber la chouette.
Qui, mieux qu’un lézard amoureux,
Peut dire les secrets terrestres ?
Ô léger gentil roi des cieux,
Que n’as-tu ton nid dans ma pierre !
RENÉ CHAR
23
LE COUCOU
Le coucou chante au bois qui dort.
L’aurore est rouge encore,
Et le vieux paon qu’Iris décore
Jette au loin son cri d’or.
Les colombes de ma cousine
Pleurent comme une enfant.
Le dindon roue en s’esclaffant :
Il court à la cuisine.
PAUL-JEAN TOULET
24
LE COUCOU
Qui possède deux sous dans sa poche a raison
Devant un arbre en fleur de penser compte en banque
S’il m’entend répéter mes deux notes sans fin
Pour annoncer les noces du printemps.
Le pivert prétend qu’il fait pousser les morilles
Moi je dis la beauté délirante des arbres
Par qui même les sourds aux cris de la verdure
Retrouveront l’innocence perdue.
Si le merle prétend donner folie aux filles
Moi je dis la tendresse amoureuse des brises
Qui donne un rire vert même aux pavés des rues
Et des bourgeons aux crosses des fusils.
J’annonce du travail pour toutes les abeilles
Un abri pour les petits des oiseaux et pour
Ceux des hommes l’amour sans qui toute maison
S’écroulerait au premier vent d’automne.
J’annonce la douceur de vivre aux hirondelles
La santé pour le vent la gaîté pour les pierres
En fasse son profit qui n’a pas besoin d’ailes
Pour fuir le froid des pays sans amour.
La pluie et le soleil à toutes les orties
J’annonce le bonheur et la paix sur la terre
Tout le bonheur qui tient dans un nid de fauvettes
Toute la paix dans un cœur de tulipe.
PIERRE MATHIAS
25
LES CRAPAUDS
Les mélancoliques crapauds,
Avec leurs violons sous l’eau
Font une musique à la lune.
Ô crapauds, vos violons verts
Faits d’eau morte et de cristal clair
Sont cachés sous la mare brune.
CÉCILE SAUVAGE
26
LE CROCODILE ET L’ESTURGEON
Sur la rive du Nil un jour deux beaux enfants
S’amusaient à faire sur l’onde
Avec des cailloux plats, ronds, légers et tranchants,
Les plus beaux ricochets du monde.
Un crocodile affreux arrive entre deux eaux,
S’élance tout à coup, happe l’un des marmots
Qui crie et disparaît dans sa gueule profonde.
L’autre fuit en pleurant son pauvre compagnon.
Un honnête et digne esturgeon
Témoin de cette tragédie
S’éloigne avec horreur, se cache au fond des flots ;
Mais bientôt il entend le coupable amphibie
Gémir et pousser des sanglots :
« Le monstre a des remords, dit-il : ô Providence !
Tu venges souvent l’innocence ;
Pourquoi ne la sauves-tu pas ?
Ce scélérat du moins pleure ses attentats ;
L’instant est propice, je pense,
Pour lui prêcher la pénitence :
Je m’en vais lui parler... » Plein de compassion,
Notre saint homme d’esturgeon
Vers le crocodile s’avance :
« Pleurez, lui cria-t-il, pleurez votre forfait ;
Livrez votre âme impitoyable
Au remords, qui des dieux est le dernier bienfait,
Le seul médiateur entre eux et le coupable.
Malheureux, manger un enfant !
Mon cœur en a frémi; j’entends gémir le vôtre... »
- « Oui, répond l’assassin, je pleure en ce moment
De regret d’avoir manqué l’autre! »
Tel est le remords du méchant.
JEAN-PIERRE CLARIS DE FLORIAN
27
DANSE DES LIBELLULES
Les libellules dansent, dansent,
Et les feuilles qui se balancent
Dans les zéphirs
Ont l’air de mains applaudisseuses
Pour les danseuses
Au maillot bleu fait de saphirs.
Et l’eau sourit vers le ciel rose,
Et, parfois, un goujon morose
Qui s’égara
Ouvre, à ces visions célestes
De tutus lestes,
Des yeux d’abonné d’Opéra!
JEAN RAMEAU
28
DÉFENSE DES CROCODILES
Pourquoi les crocodiles pleurent-ils?
Parce qu’on tire leur queue.
La chose les horripile.
Ça les rend tristes et soucieux
et tire des larmes faciles
de leurs sympathiques yeux.
Mais ce qui les rend furieux
c’est qu’on dit de leurs alarmes
et du chagrin de leur âme :
« C’est larmes de crocodile ! »
Les hommes sont incivils
estiment les crocodiles
victimes d’un monde hostile.
CLAUDE ROY
29
LE DRAGON
Mettez des ailes au Caïman
Et faites-lui cracher du feu,
Badigeonnez son corps de bleu,
De noir, de jaune et puis de sang:
Voici l’épouvantable, le hideux,
Le lance-flammes à pattes,
Invulnérable casemate
Dont l’ombre garantit encor
L’entrée des grottes à trésors.
PIERRE FERRAN
30
LE DRAGON DOUX
Un serpent de mer arrive à bon port
il rencontre des journalistes
il leur explique quel est son sort
et pourquoi il se sent si triste
et d’où vient le fait qu’il existe
Au bout de peu de temps on se familiarise
On l’appelle par son petit nom
les femmes veulent lui faire des bises
un chasseur prépare du petit plomb
Quand il parle maintenant on ricane
plus question de lui à la télévision
on lui reproche d’obstruer la porte océane
ce qui amène de nombreuses protestations
Alors il retourne vers sa solitude marine
avant qu’on ne lui fasse un mauvais sort
s’il avait soufflé un peu de feu par les narines
peut-être aurait-il trouvé un plus accueillant port.
RAYMOND QUENEAU
31
L’HORRIFIQUE DRAME
Ore, oyez, Messieurs-Mesdames,
Oyez l’horrifique drame
Le roman d’amour et de mort
Dont la jungle frémit encor.
Le grand prince hippopotame
Désireux de prendre femme
Fit mander ce S.O.S.
Au roi des cacatoès :
« Mon cœur, autant que mon âme,
Pour ta fille est tout feu tout flamme
Si tu veux m’accorder sa main,
Je l’épouse avant demain. »
Ore, oyez, Messieurs-Mesdames,
Oyez quel épithalame
Vint lui chanter ce paltoquet
De prince des perroquets :
« Mon très cher hippopotame,
Merci pour ton télégramme,
Mais ma fille est fille de roi
Et tu ne fais pas le poids. »
Pour corser l’offense infâme,
Tout faraud de son épigramme,
L’oiseau pouffa, s’esclaffa
Et s’en fut d’un air fort fat.
Le grand prince hippopotame
Choisit sa plus longue lame
Embrassa ses vieux parents
Qui l’entouraient en pleurant.
Et, pour laver ses kilogrammes
De l’atroce blâme,
D’un seul coup, d’un seul, s’étripa
Et passa de vie à trépas.
Car tel est, Messieurs-Mesdames,
L’honneur des hippopotames
Qu’ils se font harakiri
Pour un simple ara qui rit
JEAN-LUC MOREAU
32
L’ESCARGOT
Le colimaçon quand on
Lui adresse une critique
Rentre à l’intérieur de son
Système philosophique.
Tout au fond de l’escargot vide
Se trouve un palais splendide
Orné d’un miroir si petit
Que, pour y voir comme on est mis,
Il faut être une fourmi.
PAUL CLAUDEL
33
SAGESSE
L’espace qui se courbe et s’enroule en frisant
Lorsque les galaxies dans leur lointain voyage
Se tordent lentement, s’impulsent d’âge en âge,
Et du passé perdu fondent notre présent;
Les tourbillons de feu des novas explosant
Au cœur noir de l’atome en fabuleux nuages,
Electrons affolés qui tournent dans leur cage,
Maelstroms effrénés, soleils agonisants;
L’espace, la durée, les atomes, les astres,
Tout semble déchaîné par quelque obscur désastre,
Tout se met à tourner pour notre vertigo.
À cette frénésie, ô combien je préfère,
Humble, sans prétention, toujours à ras de terre,
La spirale du temps que traîne l’escargot.
JACQUES CHARPENTREAU
34
VOYAGE
Il a bien de la chance
l’escargot qui part en vacances.
Pas besoin de caravane ni d’auto :
il a sa maison sur le dos !
LUCIE SPÈDE
35
LES ÉTOILES DE MER
Au pays de la vanille,
Dans les îles des Antilles
Le soleil est toujours beau
Et les étoiles ont trop chaud.
Elles vont dormir dans la mer.
Ça fait des étoiles de mer.
RAYMOND LICHET
ET ANDRÉE MARQUET
36
GASTÉROPODES EN LUTTE
Dans le jardin public ce matin,
Une manifestation d’escargots...
Ils réclament le droit de limacer
Dans toutes les allées.
Et le jardinier, de longue date syndiqué,
A beau leur répéter:
« Escargots go home
Escargots go home »,
Ils ne veulent rien entendre.
Ils ne bougent pas,
Ils sont là chez eux.
Cerné de toutes parts
Par les escargots furibards,
Finalement le jardinier
Rentre dans sa coquille
JOËL SADELER
37
LA GIRAFE
Elle inventa le télégraphe,
l’antenne et la télévision
pour mieux savoir ce qui se passe
aux quatre coins de l’horizon.
Pour mieux entendre, pour mieux voir
sans périscope ni radar,
sans miradors, sans Tour Eiffel,
dans le sillage du soleil,
arriver le premier avion.
Oui, mais, oui, mais, comment fait-on
quand on est tout petit garçon
pour lui dire un mot à l’oreille?
GILBERT DELAHAYE
38
LE GLYPTODON
Je rencontre un glyptodon
Qui traînait son ventre à terre.
Je lui dis : mais qu’as-tu donc ?
Il répond : le quaternaire.
Oui, vois-tu, je sens qu’il vient,
Que c’est la fin du tertiaire
Et donc aussi notre fin,
C’est dans tous les dictionnaires.
Il n’y aura plus d’égards
Pour nos grandes carapaces,
Puisqu’il y aura les chars :
Ça fait plus mal quand ça passe.
C’est pourquoi je suis atteint.
Savoir la fin de son règne
N’est jamais bon pour le teint,
Qu’on soit dieu ou musaraigne.
EUGÈNE GUILLEVIC
39
LA GRENOUILLE
Nous t’estimons une déesse,
Gente grenouille, qui sans cesse
Au fond des ruisselets herbeux
Te désaltères quand tu veux.
Le laboureur à ta venue,
Joyeux de ton chant, te salue
Comme prophète du printemps.
Ores tu prédis le beau temps,
Ore la pluie, ore l’orage;
Jamais ta bouche n’endommage
Ni herbe, ni plante, ni fruit,
Ni rien que la terre ait produit.
PIERRE DE RONSARD
40
LA GRENOUILLE BLEUE
I
PRIÈRE AU BON FORESTIER
Nous vous en prions à
genoux, bon forestier, dites nous-le! A
quoi reconnaît-on chez vous la fameuse
grenouille bleue ?
à ce que les autres sont
vertes ? à ce qu’elle est pesante ? alerte ?
à ce qu’elle fuit les canards ? ou se balance aux nénuphars?
à ce que sa voix est perlée ? à
ce qu’elle porte une houppe? à ce qu’elle
rêve par troupe? en ménage? ou bien isolée?
Ayant réfléchi très longtemps
et reluquant un vague étang, le bonhomme nous dit : Eh mais, à ce qu’on ne la
voit jamais.
II
RÉPONSE AU FORESTIER
Tu mentais, forestier. Aussi
ma joie éclate! Ce matin je l’ai vue : un
vrai saphir à pattes. Complice du beau
temps, amante du ciel pur, elle était
verte, mais réfléchissait l’azur.
III
LE REMORDS
Eh bien! non, elle existe et
son petit cœur bouge, ou plutôt elle est
morte : elle meurt dans nos mains. Nous
nous la repassons. Un enfant, ce matin,
nous l’a pêchée avec une épingle et du
rouge.
Pardon, ma petite dame, ô
douce chanterelle, qui chante quand la
lune a ses parasélènes, morte ainsi dans
nos mains, que tu me fais de peine! et
bleue, oui, tu es bleue, du plus haut bleu
du ciel!
Faut-il que le zéphir disperse
tes atomes! Légère fée des bois, tu n’es
plus qu’un fantôme. Bleue, je te pleure;
verte, hélas! qu’eussé-je fait?
je t’aurais rejetée. Le cœur n’est point
parfait.
PAUL FORT
41
LE GRILLON DU FOYER
Les tisons dormaient sous la cendre.
C’était l’heure d’aller au lit,
Mais le feu venait de reprendre
Comme si c’était le cri-cri
Qui, sourdement, soufflait ainsi.
Nous l’écoutions dire son nom
Qui conjurait l’ombre et le froid
Et je l’écoute encore au fond
Du souvenir de la maison
Où nous étions tous autrefois.
PIERRE MENANTEAU
42
L’HIPPOCAMPE
Unique voyageur d’un monde circulaire
Transparent comme le cristal,
L’hippocampe, de son bocal
A cru reconnaître son frère
Et regarde surpris galoper un cheval.
JEAN AUBERT
43
LE HOMARD
Cuisez-moi bleu
Cuisez-moi brique
Dit le homard au cuisinier
Moi je m’en fiche
Moi je m’embisque
Je suis cuit
Je suis cuirassé
ANDRÉ FRÉDÉRIQUE
44
J’AIME L’ÂNE
J’aime l’âne si doux
marchant le long des houx.
Il prend garde aux abeilles
et bouge ses oreilles;
et il porte les pauvres
et des sacs remplis d’orge.
Il va près des fossés,
d’un petit pas cassé.
Et il reste à l’étable,
résigné, misérable,
ayant bien fatigué
ses pauvres petits pieds.
Il a fait son devoir
du matin jusqu’au soir.
Il est l’âne si doux
marchant le long des houx.
Va trouver le vieil âne,
et dis-lui que mon âme
est sur les grands chemins,
comme lui le matin.
FRANCIS JAMMES
45
L’ÉCUREUIL
Tandis que je peignais ce paysage
Au bord du bois de hêtres,
Le gentil prince des noisettes
Vint m’honorer de son passage.
« Prince, lui dis-je, voulez-vous
Que je vous portraiture
Avec votre beau manteau roux
Et ce gilet blanc de fourrure? »
Mais, pirouettant, il fila sous les feuilles
Et je ne vis plus que la queue en panache
De bravache
Qui fait trembler le cœur de madame Écureuil.
TRISTAN KLINGSOR
46
J’AVAIS DONNÉ MA LANGUE AU CHAT
J’avais donné ma langue au chat
Il l’a prise au pied de la lettre
Il l’a mise sous sa chéchia
Puis est parti dans les violettes
Tout en faisant des entrechats
Et en sifflotant la polka.
Je suis allée me plaindre au Roi
Il mangeait un pot de rillettes
Il a crié à ses soldats:
« Visitez la cave et les toits! »
Qui a pris peur? Ce fut mon chat
Il tremblait comme une gourmette
Il n’avait plus sa tête à soi
Il avait perdu sa chéchia
Et ma langue était bien seulette.
Je lui ai dit: « Viens avec moi,
Personne ne t’inquiètera. »
Il s’est caché dessous mon bras
Nous avons croisé des soldats
J’ai retrouvé ma langue à moi
J’ai mis le chat dans son herbette
Il m’a dit: « Le bonjour chez toi ! »
Puis est reparti en goguette.
LUC BÉRIMONT
47
LAPINS
Les petits lapins, dans le bois,
Folâtrent sur l’herbe arrosée
Et, comme nous le vin d’Arbois,
Ils boivent la douce rosée.
Gris foncé, gris clair, soupe au lait,
Ces vagabonds, dont se dégage
Comme une odeur de serpolet,
Tiennent à peu près ce langage :
« Nous sommes les petits lapins,
Gens étrangers à l’écriture
Et chaussés des seuls escarpins
Que nous a donnés la Nature.
Nous sommes les petits lapins,
C’est le poil qui forme nos bottes,
Et, n’ayant pas de calepins,
Nous ne prenons jamais de notes.
Et, dans la bonne odeur des pins
Qu’on voit ombrageant les clairières,
Nous sommes les tendres lapins
Assis sur leurs petits derrières ».
THÉODORE DE BANVILLE
48
LES DINOSAURES
Ils ont rêvé, les dinosaures,
Ils ont rêvé d’herbages frais
Où ruminer l’après-midi
L’odeur des sèves écrasées,
Dans la mélancolie
Du souvenir des mandragores.
Ils ont rêvé, les dinosaures,
De gigantesques graminées
Balancées par la brise
Dans l’aurore indécise
Des mondes commencés.
Ils ont rêvé, les dinosaures,
Pendant quelques millions d’années,
Sous les soleils et sous les pluies,
Mâchant des grains de nostalgie.
Puis ils se sont mis à penser,
Les dinosaures.
Alors, ils ont sucé, la nuit,
Les noirs pavots de paradis,
puis ils sont morts,
Les dinosaures.
JEAN DESMEUZES
49
LES OISEAUX
Tant que durent les fleurs, tant que l’épi qu’on coupe
Laisse tomber un grain sur les sillons jaunis,
Tant que le rude hiver n’a pas gelé la coupe
Où leurs pieds vont poser comme aux bords de leurs nids,
Ils remplissent le ciel de musique et de joie:
La jeune fille embaume et verdit leur prison,
L’enfant passe la main sur leur duvet de soie,
Le vieillard les nourrit au seuil de sa maison.
Mais, dans les mois d’hiver, quand la neige et le givre
Ont remplacé la feuille et le fruit, où vont-ils ?
Ont-ils cessé d’aimer? ont-ils cessé de vivre?
Nul ne sait le secret de leurs lointains exils.
ALPHONSE DE LAMARTINE
50
LOUNG
C’est Loung, le dragon sage,
Pieds posés sur le monde,
Qui regarde aux nuages
Passer la lune ronde,
Dans la nuit étoilée
Où en triangles d’or
Les astres sont rangés
Dans le ciel bleu qui dort.
C’est Loung, le dragon sage,
Et ami de Bouddha
Qui le sait son grand âge
Et rêve au Nirwana.
C’est Loung, le dragon sage,
En son for qui le sait
Que rien ne meurt, ne naît,
Et que tout est mirage.
Et c’est Loung, et alors
Qui compte ses années
Par écailles, et d’or,
Sur son dos étagées.
MAX ELSKAMP
51
LA MANTE RELIGIEUSE
Qu’a-t-elle de religieux, cette mante
Matrimonialement gourmande ?
Ce qu’elle veut est évident :
Un mari bien appétissant.
FRÉDÉRIC KIESEL
52
S’IL Y A DES MERS SANS MÉROUS
S’il y a des mers sans mérous
il n’est pas d’orang sans outang.
Il n’est pas, hors sang, de pur-sang
mais il est des loups sans garous.
JEAN-CLAUDE RENARD
53
Monnaie de singe
MONNAIE DE SINGE
OU
LE BESTIAIRE
ANATOMIQUE
PSYCHOLOGIQUE ET
Cou de taureau
Cou de girafe
Épaule de mouton
Côte de bœuf
Dos d’âne
ANTHROPOMORPHIQUE
Monnaie de singe
Œil de lynx
Œil de bœuf
Œil de faucon
Œil de chat
Œil de perdrix
Dos de chameau
Sommeil de loir
Cœur de lièvre
Cœur de lion
Pavé de l’ours
Monnaie de singe
Monnaie de singe
Tête de linotte
Tête d’étourneau
Tête de cochon
Tête d’âne
Crâne de piaf
Cervelle d’oiseau
Mémoire d’éléphant
Museau de souris
Face de rat
Taille de guêpe
Croupe de jument
Cuisses de grenouille
Monnaie de singe
Monnaie de singe
Oreilles d’âne
Bec de lièvre
Langue de vipère
Gorge de pigeon
Dents de loup
Monnaie de singe
Faim de loup
Appétit d’oiseau
Larmes de crocodile
Rire de cheval
Froid de canard
54
Main de serpent
Patte d’oie
Pied de porc
Pied d’élan
Saut de puce
Monnaie de singe
Et pet de lapin
GEORGES-EMMANUEL
CLANCIER
OISEAUX ! BALLES PERDUES... Le souvenir du toit
Profond comme l’ornière
Où le char des saisons
A longtemps hésité ?
Oiseaux ! balles perdues
Dans le grand ciel d’octobre
Qu’un désir de clarté
A longtemps soutenus
Où allez-vous tomber
Sur quel pays profane
Bouclé de vents violents
Et de hautes ciguës ?
Je vous ai vus partir
Au début de septembre
Mélangés aux derniers
Fétus de la moisson
L’aile à peine mouillée
Par une nuit d’attente
Tandis que le soleil
Neigeait sur ma maison
Gardez-vous dans l’espoir
Insensé de croisières
Et d’espaces nouveaux
Sans cesse à mesurer
Mais qu’importe à l’oiseau
Qui porte dans le rêve
L’abandon de son aile
Et les grands alizés
Le regret du poète
Et son amour pareil
Au doux vrombissement
D’un insecte doré
Voyageurs de ma vie
Qui parcourez sans peine
Cet océan de brume
Entre le monde et moi
Je reste à vous attendre
Au bord de ma fenêtre
Soleils tant attendus
Par les jours de grands froids
RENÉ GUY CADOU
55
LES OISEAUX PERDUS
Le matin compte ses oiseaux
Et ne retrouve pas son compte.
Il manque aujourd’hui trois moineaux,
Un pinson et quatre colombes.
Ils ont volé si haut, la nuit,
Volé si haut, les étourdis,
Qu’à l’aube, ils n’ont plus trouvé trace
De notre terre dans l’espace.
Pourvu qu’une étoile filante
Les prenne sur sa queue brillante
Et les ramène ! Il fait si doux
Quand les oiseaux chantent pour nous.
MAURICE CARÊME
56
OVNIS
Chacun sait qu’une fourmilière
A des règlements rigoureux.
Bannis, les rêves et les jeux !
Au travail pour la Reine-Mère!
Voilà-t-il pas qu’une fourmi,
La Cassandre de la Cité,
Disait avoir vu se poser,
Et, toujours par deux, des ovnis ?
C’était un couple de faisans
Dont tournoyait le lourd envol :
Sur les monticules du sol
S’abattit soudain l’ouragan.
Au fond du nid la Reine-Mère
A ce désastre a survécu.
Elle a pondu, pondu, pondu,
Elle a refait la fourmilière.
Quant aux Ovnis, on ne sait pas
- Il y eut tant de coups de feu ! S’ils ont disparu de ces lieux
Et pris part à d’autres repas.
PIERRE MENANTEAU
57
LE PAPILLON
Le papillon, fleur sans tige
Qui voltige,
Que l’on cueille en un réseau !
Dans la nature infinie,
Harmonie
Entre la plante et l’oiseau !
Quand revient l’été superbe,
je m’en vais au bois tout seul :
Je m’étends dans la grande herbe,
Perdu dans ce vert linceul.
Sur ma tête renversée,
Là, chacun d’eux à son tour
Passe comme une pensée
De poésie ou d’amour !
GÉRARD DE NERVAL
58
PARTAGE
Lors du partage des oiseaux
le vanneau reçut le jonc
l’alcyon reçut les flots
et l’alouette le sillon.
L’aigle reçut le rocher
la perruche le perchoir
la corneille le clocher
et le coucou la Forêt-Noire.
PAUL NEUHUYS
59
LE PÉLICAN
Le capitaine Jonathan,
Etant âgé de dix-huit ans,
Capture un jour un pélican
Dans une île d’Extrême-Orient.
Le pélican de Jonathan,
Au matin, pond un œuf tout blanc
Et il en sort un pélican
Lui ressemblant étonnamment.
Et ce deuxième pélican Pond,
à son tour, un œuf tout blanc
D’où sort, inévitablement
Un autre qui en fait autant.
Cela peut durer pendant très longtemps
Si l’on ne fait pas d’omelette avant.
ROBERT DESNOS
60
LE PIC-VERT ET LE VER
Le pic-vert est très délicat.
Il frappe quatre coups de bec.
Le ver répond qu’il n’est pas là.
Le pic s’entête et d’un coup sec
gobe le ver qui n’est pas là.
CLAUDE ROY
61
LE POISSON ROUGE
Entre les parois invisibles
- Eau liquide, verre solide De son bocal, bulle et prison,
Le poisson rouge tourne en rond.
A chaque moment de sa ronde,
Qu’il poursuivra sa vie durant,
Le poisson voit le même monde
Dont il est le centre mouvant.
L’univers de notre poisson
Est une boule, sa planète,
Entourée d’astres, de comètes
Qui sont les lampes du salon.
Le ciel est courbe, quel silence !
Où allons-nous ? se dit poisson.
Parfois la main d’un Dieu immense
Verse une manne de grains ronds.
MARC ALYN
62
LE PYTHON
Que pourrait faire le python
Sinon s’enrouler dans le rond
De son sommeil ?
Il est logé, nourri, chauffé.
Aucun risque d’être emporté
- Un gardien veille Dans quelque sac à provisions,
Pour être ensuite découpé
En rondelles de saucisson.
Il dort, il dort, le python,
Dans le rond
Du temps qui passe,
Il dort, il dort, le python.
Il est rare que la boule
Se déplace,
Se déroule,
Et qu’elle fasse
Enfin surface
La tête au-dessus du rond.
Savoir alors ce qui se passe
Dans le triangle du python ?
PIERRE MENANTEAU
63
LE RAT DE VILLE ET LE RAT DES CHAMPS
Autrefois le Rat de ville
Invita le Rat des champs,
D’une façon fort civile,
A des reliefs d’ortolans.
Sur un tapis de Turquie
Le couvert se trouva mis.
Je laisse à penser la vie
Que firent ces deux amis.
Le régal fut fort honnête :
Rien ne manquait au festin ;
Mais quelqu’un troubla la fête
Pendant qu’ils étaient en train.
A la porte de la salle
Ils entendirent du bruit :
Le Rat de ville détale ;
Son camarade le suit.
Le bruit cesse, on se retire
Rats en campagne aussitôt ;
Et le citadin de dire :
Achevons tout notre rôt. »
« C’est assez, » dit le rustique
« Demain vous viendrez chez moi.
Ce n’est pas que je me pique
De tous vos festins de roi ;
Mais rien ne vient m’interrompre :
Je mange tout à loisir.
Adieu donc. Fi du plaisir
Que la crainte peut corrompre ! »
JEAN DE LA FONTAINE
64
LE RAT DE VILLE
Autrefois le rat des champs
M’invita, moi rat de ville,
A venir porter les dents
Aux fruits aimés de Virgile.
Loin des luxueux valets,
Des chats, de la souricière,
Nous voici parmi les blés
Qui semblent être en prière.
A la place du tapis
De Turquie on eut la flore
De corail et de lapis
Dont la maison se décore.
« Oh ! les merveilleux abris,
Me disait Jean Campagnolle;
Non, elle n’a pas de prix
La solitude agricole !
Que ce brouet soit épais,
Ah ! combien peu nous importe,
Si ne trouble point la paix
L’ouverture d’une porte ! »
Le rural vantait encor,
Le cœur débordant de joie,
La médiocrité d’or,
Quand le prit l’oiseau de proie.
FRANCIS JAMMES
65
SALAMANDRE
J’aimerais être salamandre
au moins quelques instants par jeu
pour pouvoir sans devenir cendre
comme elle triompher du feu.
DANIEL LANDER
66
LE SANGLIER
Ardenne ! Cri de gel et de chasses clameuses,
Epieu durci au feu dans le flanc de l’hiver !
Là-bas, dans tes halliers des lisières de Meuse,
Entre l’ombre et la neige erre le Solitaire.
Sanglier intraitable à la hure subtile,
En ta bauge isolé bien mieux que sur une île,
Où t’en vas-tu ainsi, sanglé de froid, de râles,
Comme ces chevaliers qui cherchaient le Graal ?
Aiguise, sanglier, aux rochers tes défenses
Et fonce, précédé de buée dans l’air ivre ;
Ecoute : la clameur de la meute s’élance,
Voici ton requiem modulé par les cuivres !
MARC ALYN
67
LA TAUPE
Nul ne l’entend ni ne la voit.
Elle est au fond, dessous, en bas,
Dans la blanche nuit des racines,
La passagère clandestine,
La ménagère du sous-sol.
Sous le cyprès ou sous le saule,
Sans rien voir elle suit sa voie
Qui la conduit peut-être en Chine,
Allez savoir ! Ici ou là,
Nul ne l’entend ni ne la voit.
De creuser ne se lasse pas
Avec ses mains pleines de doigts
Où parfois brille une opaline
Sur une bague vingt carats
Qui du mariage est le signe.
Elle a des enfants - deux ou trois Des vers luisants dans sa cuisine,
Un château souterrain à Troyes
Et une noire limousine
Pour aller au vert quelquefois.
Mais on ne sait rien de cela.
(La terre est mystère, cousines !)
Mieux vaut se taire. N’allez pas
Juger la taupe sur sa mine.
Nul ne l’entend ni ne la voit.
MARC ALYN
68
LES TROIS CHÈVRES
Ce sont trois chèvres un matin
qui travaillent dans leur jardin.
La première secoue le poirier.
La seconde ramasse les poires,
la troisième va-t-au marché.
Elles ont travaillé tant et tant
et gagné tellement d’argent
qu’elles ont pris à leur service
trois demoiselles de Saint-Sulpice.
La première fait la cuisine,
la seconde fait le ménage,
et la troisième au pâturage
garde trois chèvres le matin
qui s’amusent dans leur jardin.
Trois chèvres qui ne font plus rien.
CLAUDE ROY
69
VACHE
On ne mène pas la vache
A la verdure rase et sèche
A la verdure sans caresses.
L’herbe qui la reçoit
Doit être douce comme un fil de soie,
Un fil de soie doux comme un fil de lait.
Mère ignorée,
Pour les enfants ce n’est pas le déjeuner,
Mais le lait sur l’herbe.
L’herbe devant la vache
L’enfant devant le lait.
PAUL ÉLUARD
70
LE VER LUISANT
Au premier brin d’herbe il s’accroche,
Noceur qui rentre fatigué
Allumant sa lampe de poche
A la recherche d’une clef.
RUI RIBEIRO-COUTO
71
LE ZÈBRE
De symposium en consistoire,
Les zoologistes se penchent
Sur un mystère propre au zèbre,
Aussi compliqué que l’algèbre :
A-t-il robe noire à raies blanches ?
A-t-il robe blanche à raies noires ?
L’ambiguïté de tes raies,
Zèbre énigmatique, m’effraie.
BERNARD LORRAINE
72
LE KANGOUROU
Kangourou, bon facteur,
Que tiens-tu dans ta poche ?
Fais le bond du bonheur !
Mais garde en ta sacoche
Les lettres qui font peur.
LOUIS DAUBIER
73
D’UNE JEUNE FUYARDE
Petite pouliche farouche,
Mais pourquoi de tes yeux pervers
M’aguignant ainsi de travers,
Ne souffres-tu que je te touche ?
Je sais comme c’est que l’on dresse
La cavale qu’il faut choyer,
La domptant sans la rudoyer :
J’en sais la façon et l’adresse.
Arrête, pouliche farouche :
Modère ta course et ton cœur ;
Apprends si je suis bon piqueur,
Et prends le mors dedans la bouche !
JEAN-ANTOINE DE BAÏF
74
L’OURS
Le grand ours est dans la cage,
Il s’y régale de miel.
La grande ourse est dans le ciel,
Au pays bleu des orages.
Bisque ! Bisque ! Bisque ! Rage !
Tu n’auras pour tout potage
Qu’un balai dans ton ménage,
Une gifle pour tes gages,
Ta chambre au dernier étage
Et un singe en mariage !
ROBERT DESNOS
75
LE LAIT DES CHATS
Les chats trempent leur langue rose
Au bord des soucoupes de lait
Les yeux fixés sur le soufflet,
Le chien bâille en songeant, morose.
Et tandis qu’il songe et repose
Près de la flamme au chaud reflet,
Les chats trempent leur langue rose
Au bord des soucoupes de lait.
Dans le salon, seul le feu glose ;
Mère-grand dit son chapelet,
Suzanne dort sur un ourlet,
Et dans le lait, paupière close.
Les chats trempent leur langue rose.
CHARLES GUÉRIN
76
LE GUÉPARD
Le guépard est une magnifique bête de l’espèce
des félidés. Mais, à l’encontre des animaux de cette famille,
il ne possède pas des griffes mais des ongles, comme le
chien.
Sa course est superbe ; c’est un spectacle inoubliable mais fort rare, car généralement on court devant.
JEAN L’ANSELME
77
LE CHAT
C’est l’esprit familier du lieu ;
Il juge, il préside, il inspire
Toutes choses dans son empire
Peut-être est-il fée, est-il dieu ?
Quand mes yeux, vers ce chat que j’aime
Tirés comme par un aimant
Se retournent docilement
Et que je regarde en moi-même,
Je vois avec étonnement
Le feu de ses prunelles pâles,
Clairs fanaux, vivantes opales,
Qui me contemplent fixement.
CHARLES BAUDELAIRE
78
HOSPITALITÉ
L’oursin fossile que je mets
A l’honneur dans ma belle salle
Sur sa mémoire colossale
Reste verrouillé pour jamais.
Idem nous hébergeons céans
Une vénérable assemblée
D’ammonites cent fois bouclées
Sur l’écho d’anciens océans.
Qu’ai-je besoin de caresser,
D’installer dans ma vie humaine
Les biscornus, les phénomènes
Du Cambrien, du Crétacé?
Animaux archirévolus,
Entrez, restez, soyez des nôtres.
Présentons-nous les uns aux autres.
Le Temps ne s’y retrouve plus.
J’aime lui brouiller les idées,
A ce Temps dur, aveugle et sourd,
Et dédier un peu d’amour
Aux belles ères trucidées.
LUCIENNE DESNOUES
79
ELLE ET MOI
Tu m’accompagnes nuit et jour,
Ô ma secrète, ma touchante,
Ô mon rossignol en amour,
J’entends partout ta voix qui chante.
Ton aile lisse dans la nuit
L’arbre sombre soudain docile.
C’est ton ombre qui passe et fuit
Sur les hautes tours de la ville.
Tu es l’éclair d’argent dans l’eau
Qui brille près de la surface,
Un lent frisson, comme un sanglot,
Qui pleure un instant et s’efface.
Tu danses dans le fond du feu,
Ma flamboyante salamandre.
Nous brûlons notre âme tous deux,
Nous nous blottissons sous la cendre.
À petit bruit sourd je t’entends
Au fond des antres de la terre :
Tu grignotes le cœur du temps,
Ma souterraine solitaire.
De l’eau, tu brises le miroir,
De l’air, ton aile fend le voile,
De la terre, tu broies le noir,
Du feu, tu nourris les étoiles.
Tu es faite de tant de voix,
De regards et de chevelures,
De jours qui fuient entre les doigts,
0 mon étrange créature !
Ombre double en un même pas,
Charmante, incessante, éphémère,
Mais qui ne se désunit pas :
C’est le poète et sa chimère.
JACQUES CHARPENTREAU
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