1 L`AGRICULTURE DU BASSIN PARISIEN Mise au

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1 L`AGRICULTURE DU BASSIN PARISIEN Mise au
L’AGRICULTURE DU BASSIN PARISIEN
Mise au point
Quatre points semblent fondamentaux :
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II faut se méfier des simplismes abusifs : par exemple, cette zone comprend la céréaliculture
beauceronne ou briarde, l’élevage normand ou la viticulture champenoise : c’est donc une
région d’agriculture diverse et diversifiée. De plus, les hybrides complexifient encore
cette agriculture (maïs ou colza très au nord et accroissement des rendements, entre autres,
sans parler de l’adaptation récente du soja à notre climat).
•
C’est une agriculture qui évolue depuis très longtemps (2 200 ans en pays de Caux) et
qui est spéculative (orientée essentiellement vers la vente des productions) depuis l’an 1200
environ, en fonction du ravitaillement des villes et de Paris. Avec le chemin de fer, après
1845-1850, il y a eu spécialisation régionale, exode rural et accroissement global de la part
des élevages dans les RBE (Revenu brut d’exploitation). Mais cela a provoqué très tôt une
spécialisation entre les zones du centre du Bassin parisien et les périphéries : «.grande
culture» face aux régions en général d’élevage ou de culture plus extensive.
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C’est peut-être l’agriculture la plus efficace du monde, avec les plus forts rendements et
l’usage des technologies les plus avancées. L’intensification gagne depuis 20-30 ans des
zones comme la Basse-Normandie.
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Pourtant, le Bassin parisien connaît, comme l’ensemble de l’agriculture française, de
très graves difficultés complexes à traiter. Les problèmes sont souvent nouveaux et ne
dépendent plus seulement des agriculteurs : surproduction, baisse tendancielle des prix,
absence de maîtrise des coûts, directives de l’Union européenne par le biais de la PAC...
Face à la pression des IAA (industries agro-alimentaires) et face à la concurrence du reste
du monde (cf. l’Uruguay Round et les pressions constantes des USA sur l’UE), l’avenir de
cette agriculture très puissante et capable n’est pas assuré.
I. Une agriculture qui paraît homogène.
Il y a globalement homogénéité des paysages, des climats, des conditions de production et
de marché.
De plus, on constate une très ancienne histoire et une orientation très précoce vers le négoce
et la spéculation en fonction soit de la vente aux villes grâce aux rivières et fleuves calmes du
réseau de la Seine, soit de la spécialisation régionale :
- le Perche élevait, par exemple, des chevaux lourds face aux besoins en attelage de la
Beauce. Il y a donc un paysage très humanisé et totalement recomposé : « openfield »,
complémentarité des « pays » (Bray humide faisant de l’embouche face aux plaines de Picardie
; plaine de Caen face au bocage normand).
Mais cette longue histoire débouche sur des spéculations très diverses, en fonction des
facteurs historiques, climatiques, de transport, de proximité des marchés... On peut rappeler le
lien entre l’essor du camembert et celui du chemin de fer après 1850 ou les liens entre le
Champagne, la Marne et Dom Pérignon ou, enfin, l’importance du houblon dans le nord du
bassin pour fabriquer la bière en zone « germanique ». ,
Du fait de cette longue histoire, c’est une agriculture qui a paru peu touchée par les
tribulations des années 1950 à 1970 (l’exode rural, le remembrement, la modernisation
1 accélérée grâce aux emprunts... étaient faits en grande partie, au centre du Bassin parisien, du
moins depuis les XVP-XVIIP siècles) et qui semble donc plus apte à suivre les exigences de la
modernité grâce aux grandes fermes stables car anciennes.
II. La « grande agriculture » du centre du Bassin parisien (Brie, Beauce, Champagne,
Picardie, Artois et Haute-Normandie). Par ses grandes fermes, ses structures, la « grande
agriculture » du Bassin parisien est un modèle d’efficacité.
On peut schématiser les bases de la puissance de cette région : les sols lœssiques très
épais parfois (comme en Plaine de France) ; la platitude globale qui a permis de mettre en
place de grands lots de parcelle, très tôt mécanisés ; le soutien de marchés urbains porteurs
(Paris et les grandes villes) et, de plus, facilement accessibles grâce au réseau de la Seine. On
repère très bien les influences de ces différents facteurs sur la carte de Dammartin-en-Goëlle
par exemple.
On peut partir des chiffres des structures de production : par exemple, en Picardie, les
exploitations de plus de 50 ha représentent plus du tiers des fermes en 1988 (soit 9 000 sur 24
000) et il y a concentration vers les fermes de plus de 100 ha (soit + 20 % en nombre de 79 à
88). En même temps, le pourcentage de tracteurs de plus de 80 CV est passé de 18 % du total
en 1979 à 42% en 1988.
On a donc de grandes fermes, qui englobent les petites qui disparaissent (- 28 % pour les 5-10
ha ; - 36 % pour les 10-20 ha ; - 35 % pour les 20-35 ha et cela en seulement 9 ans !) et qui
produisent le plus efficacement possible, soutenues par les réseaux coopératifs, la proximité
des grands marchés (Paris, les ports d’exportation tels que Rouen pour les céréales, l’UE), et
les réseaux de transport très denses.
Néanmoins, le soutien capitalistique des grandes familles bourgeoises de Paris ou Rouen joue
de moins en moins : le capital agricole rapporte si peu que les propriétaires ont vendu, souvent
de force, les exploitations à leurs fermiers, depuis 1970.
Les rendements sont très élevés dans tous les domaines : on peut obtenir plus de 140 q de
blé non panifiable à l’hectare (soit 14 t !) ; plus de 10 000 1 de lait par an et par vache ; mais on
peut faire aussi dans la qualité : cf. le Champagne ou le cas extrême de l’élevage du cheval de
course ou de concours en Basse-Normandie (Falaise, Deauville). On va même jusqu’à parler
du « système des 3 M » dans l’Oise ou la Beauce c’est-à-dire « Mer, Maïs, Montagne » avec la
céréaliculture spéculative sur des fermes de 400-600 hectares qui permet de passer une
grande partie de l’année à la mer ou à la montagne.
Cette agriculture peut alors évoluer très vite en pariant sur des spéculations étonnantes :
passage aux céréales non panifiables (blé à 140-150 q/ha !) pour les animaux en stabulation ;
passage des vaches laitières aux vaches « allaitantes » qui élèvent des veaux dits « industriels
» (issus de croisements avec des races à viande) de façon « naturelle », « sous la mère » ;
cultures de légumes en plein champ. Si l’agriculteur est peu ou pas endetté, ces mutations sont
rapides et payantes (cf. l’essor du colza).
Cette agriculture de pointe rencontre cependant de gros problèmes : en Picardie, vieille région
agricole « prospère », de 1979 à 1988, il y a eu disparition de 20 000 exploitations (sur 430
000), ce qui démontre qu’il y a plus qu’un simple « malaise ». Cette crise se voit encore mieux
dans les zones périphériques du Bassin parisien consacrées en grande partie à l’élevage.
2 III. Les zones périphériques du Bassin parisien dont la modernisation a été beaucoup
plus tardive et spécifique que dans le centre.
Les zones concernées sont la Basse-Normandie, les marges ouest du Bassin parisien
(Perche, Sarthe), mais aussi les pays du Val de Loire et, enfin, les marges est, c’est-à-dire la
Lorraine, la Woëvre, la Thiérarche et le Nord-Pas-de-Calais (qui n’est pas géologiquement
dans le Bassin parisien mais qui l’est économiquement).
a. Les facteurs de différenciation
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Les facteurs de différenciation sont d’abord naturels : les sols argilo-mameux du pays
de Bray, les terrains argileux de la Woëvre ou les épandages sableux de Sologne, le
climat un peu plus humide de la Basse-Normandie sont, en partie, à la base de
l’orientation ancienne vers l’élevage. Ces régions étaient des zones d’embouche (des «
bons pays ») comme les « Terre Plaines » périphériques du Massif central (Avallon face
au Charolais).
À l’inverse, le Val de Loire profite de sa position méridionale et de ses sols légers (sables
de Sologne et de la vallée de la Loire) pour s’orienter vers le vignoble de qualité
(Sancerre, Bourgueil) ou l’arboriculture et le maraîchage.
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Le facteur d’éloignement de Paris, marché principal du Bassin parisien, a joué pour la
Lorraine ou la Basse-Normandie jusqu’au XIXe siècle : il y a eu polyculture vivrière et
élevage pour vendre au loin des produits élaborés. Puis, grâce au chemin de fer et aux
nouvelles techniques comme le frigorifique, ces régions ont évolué vers l’élevage
dominant dont on pouvait évacuer les productions vers les villes. Cela aboutit à des
spéculations agricoles dynamiques comme l’élevage laitier du pays d’Auge et ses
fromages (le camembert, le livarot) ou, à une moindre échelle, celui de la Woëvre lorraine
basée sur la Pie Rouge de l’Est.
Ceci se combine avec le plus faible impact des capitaux urbains sur l’agriculture et, donc, sa
plus faible modernisation et intensification.
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On peut aussi faire jouer les critères historiques en Lorraine (qui a été tardivement
rattachée à la France en 1766) ou pour le Val de Loire hors de l’orbite parisienne mais
dont l’agriculture fut marquée par les besoins de la cour des rois de France aux XVI-XVII
siècles. Le Val de Loire a toutefois souffert au XIXe siècle car il a refusé le chemin de fer,
ce qui l’a coupé des circuits commerciaux qui se sont alors mis en place.
On aboutit à trois grands types de spécialisation régionale en fonction de tous ces critères
différents.
b. Les diverses régions périphériques témoignent d’une grande inégalité d’évolution :
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Les régions d’élevage de plus en plus intensif comme la Basse-Normandie et le Val de
Loire.
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Les régions d’élevage plus extensif : la Lorraine pour les bovins et le Nord pour les porcs,
dont le dynamisme actuel est beaucoup moins fort.
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Les régions s’orientant vers les grandes cultures : la plaine de Caen, le Nord français, la
Thiérarche.
3 La modernisation est en cours depuis 20 ans et la transformation de ces zones en openfield
remanié est quasiment achevée.
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Les vignobles du Val de Loire et les vergers, les zones de maraîchage. De Saumur à
Sancerre en passant par Tours, on trouve le verger de la vieille France de la
Renaissance.
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Beaucoup de petites zones abandonnées ou classées « zones vertes » telles que
l’Argonne, le Barrois, le pays de Bray.
Cela montre qu’il ne suffit pas d’être au cœur du Bassin parisien pour que l’agriculture
fonctionne de façon intensive ; là, comme ailleurs, la crise agricole sévit et exige des
ajustements permanents. Or, il n’est pas évident, en 2003, de faire face à tous les problèmes
qui se posent à une agriculture aussi diversifiée et complexe.
IV.
Des causes de crise difficiles à traiter sur le court terme :
La course aux rendements, à l’efficacité n’est pas sans risques dans notre société
d’abondance.
a. Différentes concurrences se renforcent sans cesse face à l’agriculture.
La concurrence pour l’espace n’est pas un réel problème dans le Bassin parisien : en
région parisienne, la vente des terres agricoles permet de racheter trois à cinq fois plus de
surface en Poitou, ou dans le Limousin.
En revanche, la concurrence pour l’eau est de plus en plus forte : avec sept années «
sèches » (de 1989 à 1996), ne pas pouvoir pomper dans les rivières ou les nappes nuit à
une agriculture de pointe, dont l’une des garanties de rendement est le contrôle de l’eau.
Enfin, cette agriculture est accusée de polluer de plus en plus (engrais, épandages) et, par
l’abus d’engrais chimiques et de traitements, de « brûler les sols » en ne préservant pas
assez les taux humiques, les structures des sols.
b. L’Union européenne pose aussi de gros problèmes. Il faut se souvenir que jusqu’en
1973 la France reste globalement déficitaire en produits agricoles. La PAC a donc poussé
l’agriculture du Bassin parisien à produire de plus en plus (machines, engrais, hybrides, ce
qui peut créer de l’endettement) pour faire face aux besoins français et européens. Cela
dans un cadre très protectionniste.
Mais en 2000-2003, les conditions sont différentes : instauration des quotas face aux
surproductions chroniques (lait depuis 1984, céréales depuis 1995), d’où une baisse
tendancielle des prix officialisée en 1995 par la chute des prix garantis aux céréaliers dans
le cadre de la PAC « rénovée ». Les prix européens restent néanmoins deux à cinq fois
plus élevés que les prix mondiaux.
Face à cela, il est difficile de trouver de nouveaux marchés dans le monde (même si la
France est le deuxième exportateur mondial agricole), alors que l’agriculture du Bassin
parisien est fortement concurrencée par les USA ou le Canada pour les céréales ou par le
tiers-monde obligé d’exporter pour faire face à ses dettes.
Tous ces problèmes « classiques », connus ailleurs, sont renforcés dans le Bassin
parisien par le fait que cette agriculture est très intégrée et depuis longtemps aux IAA
(industries agro-alimentaires). Elle est donc de moins en moins maîtresse de ses prix, de
ses choix de spéculation alors que ses coûts ne cessent d’augmenter. La grande culture
mécanisée, à une unité de main-d’œuvre par ferme, oblige à recourir aux traitements
chimiques systématiques avec des engins de taille croissante ou à sans cesse investir
4 plus (nouvelles stabulations, machines pour nourrir automatiquement les bêtes...) pour
s’occuper seul de 3 ou 400 têtes de bétail. Cela réduit de plus en plus les marges et les
profits. Cette agriculture qu’on croit évoluée, « donc » stable et forte, se révèle alors
fragile, souvent trop endettée et sensible aux aléas climatiques.
D est facile de voir que les zones de « grande culture » sont moins concernées par ces
évolutions actuelles (même si leur situation est moins florissante qu’il y a 10-15 ans) alors
que les zones d’élevage ou de cultures moins intensives souffrent beaucoup plus en
2000-2003.
Même si certains annoncent un revirement des évolutions vers la hausse de la demande
mondiale et européenne d’ici à l’an 2005-2010, la suppression des quotas, des jachères et
la remontée des prix en fonction d’une forte demande ne sont encore qu’une hypothèse
de travail, peut-être destinée à calmer les esprits des agriculteurs...
Conclusion :
Cette agriculture du Bassin parisien apparaît forte et capable dans sa grande majorité, mais elle
connaît, malgré sa diversité, les problèmes actuels des agricultures françaises. Elle a du mal à
maintenir ses niveaux de production, d’efficacité et de prix, alors que le contrôle des coûts lui
échappe trop souvent face aux IAA et aux circuits de distribution. Toutefois, grâce à ses bases
et à son homogénéité, elle reste la plus puissante des zones agricoles de
France et d’Europe. Elle doit encore se concentrer et faire évoluer ses modes de production
(moins d’engrais, plus de cultures « intégrées », plus d’intensité dans les zones d’élevage telle
la Basse-Normandie). Il n’en reste pas moins que l’Oise, la Beauce ou l’Artois et la Champagne
sont les régions agricoles les plus riches, les plus dynamiques de France et que cela a de
bonnes chances de demeurer ainsi encore longtemps.
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