Le Livre des morts ”gyptien

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Le Livre des morts ”gyptien
Pascal Bancourt
Le Livre des morts
égyptien
Livre de vie
Ouvrage publié sous la direction de Jean-Pierre Bayard
Éditions Dangles
18, rue Lavoisier
45800 SAINT-JEAN-DE-BRAYE
ISSN : 1160-3380
ISBN : 2-7033-0515-X
© Éditions Dangles – Saint-Jean-de-Braye (France) – 2001
Tous droits de traduction, de reproduction et d’adaptation
réservés pour tous pays.
Introduction
E patrimoine spirituel de l’humanité comprend un certain nombre
de textes sacrés, la plupart assez renommés pour que les esprits
curieux de spiritualité ne puissent les ignorer. Si l’on reconnaît
au Livre des morts égyptien une valeur spirituelle de cet ordre, la question se pose de savoir si l’esprit d’une civilisation éteinte depuis si longtemps peut quand même nous être accessible. Or, à l’époque actuelle, une
curiosité notable liée à une nouvelle demande de spiritualité se manifeste
en faveur de l’Égypte ancienne. Cette civilisation, dont les traces laissées
sur son sol continuent d’impressionner les visiteurs, a montré dans ses
écrits des signes d’une maturité et d’un savoir authentiques. Elle suscite
toujours, en même temps qu’un sentiment de mystère non résolu, le
respect pour un passé qui fut brillant. Des témoignages très respectueux
de ses contemporains attestent de ce qu’était à son époque son rayonnement international. Et plusieurs siècles après l’extinction de ses lumières,
elle continue d’exercer une fascination sur ceux qui l’ont approchée ne
fût-ce que d’une manière superficielle. On pressent donc l’intérêt que
pourrait offrir la compréhension de ses textes, et notamment celle du
mystérieux Livre des morts.
L
Le titre de « Livre des morts » a été donné à l’ensemble des textes
trouvés auprès des momies, auxquels l’explication officielle attribue
pour objectif d’accompagner le défunt dans son voyage dans l’au-delà.
Mais il faut reconnaître à cet ensemble de textes une tout autre signification que celle d’un rituel de magie funéraire. Les Égyptiens appelaient
ce recueil « Sortie à la lumière du jour », et on relève qu’il contient plusieurs allusions indiquant assez clairement qu’il s’adressait bien à des
vivants. Et lorsque l’on déchiffre ses formules en leur restituant leur sens
allégorique et ésotérique, sa lecture en devient fascinante. Il est cepen-
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LE LIVRE DES MORTS ÉGYPTIEN
dant préférable d’être préalablement averti : le premier regard porté
sur le Livre des morts égyptien risque de laisser un goût de déception,
tant l’ensemble paraît obscur et incohérent. L’impression d’avoir affaire
à un mélange confus et désordonné a fréquemment eu pour effet de
désorienter et de décourager le lecteur. Il ne peut pas en être autrement,
tant que l’on ne possède pas la clef de lecture et que l’on ignore la
démarche appropriée.
On peut donner un avant-goût de l’intérêt de cet ouvrage en considérant ce qui suit. Parmi les livres saints les plus connus au monde, certains
extraits ont pris une importance remarquable par la qualité exceptionnelle
de leur inspiration et par la puissance de leur enseignement. Il ne serait
pas exagéré de compter parmi ces morceaux de bravoure le passage du
Livre des morts égyptien connu sous le nom de « Confession négative ».
Ce fragment est de tout l’ouvrage celui que l’on cite le plus facilement,
parce que c’est le seul qui paraisse compréhensible. Il est à lire pour
sa valeur, parce qu’il mériterait de prendre place dans une anthologie
qui pourrait regrouper, entre autres joyaux, le Décalogue de Moïse, les
Béatitudes du Christ, l’Épître aux Corinthiens de Paul ou le Sermon
des quatre vérités du Bouddha.
La « Confession négative » se dit de la proclamation d’innocence que
récite le défunt devant le tribunal d’Osiris, pour justifier l’irréprochabilité de sa conduite durant sa vie. Cet énoncé des fautes qu’il se défend
d’avoir commis contient la description la plus parfaite d’une âme vertueuse qui mérite le salut. On y trouve des paroles aussi touchantes que :
« Je n’ai pas fait punir un serviteur par son maître… Je n’ai fait pleurer
personne… Je n’ai causé de peur à personne… Je n’ai pas mis mon nom
en avant pour les honneurs… Je n’ai pas rendu ma voix hautaine… Je
ne me suis pas rendu sourd à des paroles justes et vraies… » D’après ce
discours, l’homme ne sera justifié et ne gagnera la félicité éternelle que
s’il peut affirmer, avec véracité, ne s’être jamais permis la moindre
indélicatesse envers qui que ce soit et n’avoir jamais commis aucun écart
envers la vérité et la justice. Ce passage du Livre des morts égyptien nous
transmet la plus ancienne conception du bien de l’histoire humaine qui
nous soit parvenue ; elle apparaît déjà avec une pureté irréprochable.
Simone Weil (1) citait ce texte en témoignage d’une civilisation non souillée
d’impérialisme, comme on n’en imagine même plus la possibilité.
1. Écrits historiques et politiques (p. 51-52).
INTRODUCTION
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Mais cette même « Confession négative » a laissé perplexe plus d’un
lecteur, car d’après ce texte, le salut éternel requiert une irréprochabilité
absolue qu’il ne semble pas réaliste d’exiger d’un être humain. Et comme
le mensonge paraît exclu devant Osiris, le « Seigneur de Vérité », les
commentateurs sceptiques ont recouru à la facilité consistant à prêter aux
anciens Égyptiens une mentalité superstitieuse, puisqu’ils devaient croire
qu’il suffirait de dire rituellement les choses pour qu’elles deviennent
telles. Selon cette interprétation, le défunt n’avait qu’à réciter les formules et répéter : « Je suis pur », pour se blanchir devant un Osiris naïf
ou magnanime. Par ailleurs, la « Confession négative » qui contient des
formules admirables en comporte d’autres qui ont prêté à sourire. On a
cru voir de grotesques tabous religieux en lisant que le défunt se défendait de n’avoir ni «volé la nourriture des dieux», ni «écouté aux portes»,
ni « pêché des poissons avec des cadavres de poissons », ni « obstrué les
eaux qui doivent couler », ni « coupé les barrages sur les eaux », ni
« éteint un feu », ni « empêché un dieu de se manifester »… Si l’on prend
à la lettre ces formules – dont la véritable signification sera donnée dans
la suite de cet ouvrage –, l’image des anciens Égyptiens retombe dans
le schéma d’un peuple crédule, naïf et superstitieux.
En considérant l’impression bien plus délirante que laisse la lecture
des autres chapitres du Livre des morts, on se trouve en présence d’une
véritable contradiction : la naïveté et l’incohérence apparentes de ces
écrits est-elle conciliable avec l’idée d’une civilisation égyptienne mûre,
sage, et à certains égards supérieure à la nôtre ? Est-il possible que des
préceptes d’une indiscutable élévation puissent cohabiter avec de puériles superstitions ? La réponse à cette question dépend de l’attitude que
l’on adopte. On peut traiter de haut l’ancienne Égypte en se gaussant
de la supériorité de l’intellectualité moderne ou, à l’inverse, chercher à
comprendre le message que cette civilisation aurait pu nous léguer. La
puissance évocatoire que déploie le texte, susceptible d’appeler un lecteur réceptif à son propre dépassement, vient à l’appui de cette seconde
option.
L’impression de l’indéniable qualité morale qu’inspirent les versets
de la «Confession négative», au lieu d’être cassée par l’incompréhension
de ses formules, se confirme lorsqu’on les entend à un autre niveau.
Ainsi, l’expression « voler la nourriture des dieux » ne signifie pas chaparder les offrandes rituelles dans les temples, mais dégrader à des fins
égoïstes l’énergie spirituelle que l’on devrait consacrer chaque jour à sa
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LE LIVRE DES MORTS ÉGYPTIEN
propre élévation. La « pollution des eaux » désigne la responsabilité que
l’on encourt pour chaque émission de pensées ou de sentiments négatifs.
« Pêcher des poissons avec des cadavres de poissons » indique la corruption des idées de nature supérieure lorsqu’un mental non purifié tente
de se les approprier. « Écouter aux portes » – sous-entendu, du temple –
ou « chercher à savoir ce qu’il n’y a pas lieu de savoir » veut dire prétendre forcer dangereusement l’accès à un degré de savoir initiatique que
n’autorise pas – ou pas encore – la qualification du prétendant. L’eau qui
coule et le feu qui brûle font allusion à la régénération par le baptême
de l’eau et de l’esprit. Enfin, la manifestation du dieu évoque la phase
d’initiation durant laquelle l’être entre en contact avec la partie divine
qui est en lui ; « empêcher un dieu de sortir en procession », c’est faillir
aux conditions de pureté requises pour passer cette étape dite de l’« illumination ».
Pour reconnaître quelque crédibilité au génie des anciens Égyptiens,
il faut admettre qu’ils n’étaient ni plus crédules ni plus stupides que nos
contemporains. Les représentations de leurs dieux relèvent d’un symbolisme qui ne traduit aucunement la naïveté qu’on leur a supposée. Et
c’est attribuer à ce peuple et à ses guides une mentalité bien puérile
que de leur prêter la croyance selon laquelle il suffirait de nier rituellement ses péchés pour les effacer. Les conditions exigées pour le salut de
l’âme n’étaient pas moindres en Égypte que dans les religions actuelles,
et pas plus qu’ailleurs on ne se tirait d’affaire par un mensonge consacré.
En fait, le texte de la « Confession négative » ne commence à se clarifier
que lorsqu’on admet pour explication que le défunt reconnu justifié
pour sa pureté sans tache n’est pas un homme ordinaire, mais un initié
aux mystères des anciens temples dont le Livre des morts décrit le parcours. La clef de ces écrits en apparence obscurs tient donc dans la
notion essentielle d’initiation. Lorsqu’on approfondit dans cette optique
le sens ésotérique des écrits, le Livre des morts s’avère riche en enseignements, car il renferme un fonds hermétique inépuisable.
Une caractéristique commune à plusieurs écrits de l’Antiquité, à travers différentes civilisations, tient à l’usage essentiel du mythe et des
symboles, auxquels il faut restituer leur signification. Depuis que les travaux de certains auteurs comme René Guénon et Mircea Eliade ont
éclairci l’hermétisme d’une grande partie du symbolisme universel,
l’horizon de notre compréhension s’est trouvé considérablement élargi.
La réponse cohérente à la contradiction que l’on ressent entre le senti-
INTRODUCTION
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ment de maturité qu’inspire la civilisation égyptienne et l’apparente
puérilité de ses écrits consiste à comprendre l’importance du symbole et
du mythe, en tant que langages susceptibles de communiquer une intuition inexprimable de façon littérale. Le décryptage des textes ouvre alors
l’accès à une dimension intellectuelle bien plus vaste que ne le laissait
supposer l’apparence naïve de leur expression.
La présente étude du Livre des morts, comparée avec les rares informations que l’on possède sur l’initiation dans l’Égypte ancienne, cherchera à retrouver la valeur cachée de ce document. Elle se fondera sur
cette hypothèse : le Livre des morts était à l’origine un guide et un support pour l’initiation, relatant un processus suivi par un soi-disant défunt,
mais que des initiés ont expérimenté en Égypte de leur vivant. L’initiation en question est une notion délicate à expliquer parce qu’elle ne
connaît plus d’équivalent dans le monde moderne ; un chapitre entier
sera nécessaire pour exposer ce en quoi elle consistait. Pour résumer son
objectif, on peut dire qu’il s’agit d’un mûrissement accéléré de l’être produit au moyen d’une « technique spirituelle ». Mais cette technique, qui
ne fonctionne pas pour tout le monde, ne dispense pas le candidat de
fournir un énorme effort et n’opère pas sans risque ni danger. Menée en
plusieurs étapes, l’initiation réussie devait aboutir à une véritable mutation de l’être, dont l’expression a été transmise dans le langage théologique par les termes de « salut », de « délivrance », de « libération » et
d’« immortalité ».
L’initiation nécessite une organisation habilitée à la délivrer. Les
sociétés anciennes où une telle organisation a existé ont reçu la marque de
son influence, car elle formait un noyau d’hommes d’une qualité hors du
commun. Le monde moderne ne connaît plus aucune institution propre
à dispenser l’initiation authentique. Il ne manque pas de mouvements
pseudo-ésotériques dont les porte-parole se réclament d’une manière aussi
assurée qu’invérifiable d’une filiation qui remonterait jusqu’à l’Égypte
ancienne. Mais à l’heure actuelle, il faut recevoir avec d’extrêmes réserves
la prétention qu’afficherait toute organisation à délivrer un message
initiatique. Bien qu’il subsiste incontestablement dans certaines organisations, comme la franc-maçonnerie ou le compagnonnage, des restes
d’un rituel et d’un symbolisme relevant d’une ancienne pratique initiatrice, il est douteux qu’aucun groupement actuel puisse se prétendre
habilité à dispenser l’initiation traditionnelle. On peut regretter la perte
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LE LIVRE DES MORTS ÉGYPTIEN
de cette ancienne institution sans pour autant se nourrir d’illusion : l’imagination de certains ne remplacera pas l’enseignement perdu.
La civilisation égyptienne est morte depuis de nombreux siècles.
Nous ne savons à l’heure actuelle que peu de chose sur le processus
d’initiation ayant eu cours dans l’ancienne Égypte, et il s’avère très difficile de définir exactement le contenu des anciennes doctrines égyptiennes. Notre effort de compréhension se heurte à la difficulté inhérente
à la découverte d’une spiritualité éteinte depuis plusieurs millénaires et
ce, malgré les différents rameaux issus de son héritage. Les rares sources
dont on dispose émanent tout d’abord des écrits de l’Antiquité, mais
leurs auteurs sont restés pour l’essentiel discrets et mesurés dans leurs
explications. Leurs allusions volontairement voilées et incomplètes ne
permettent pas de reconstituer d’une façon précise et certaine les modalités de l’initiation égyptienne.
Si l’on persiste néanmoins à vouloir éclaircir les textes religieux du
passé, la méthode la plus sûre consiste à approcher leurs fonds ésotériques
en les comparant avec les différentes sources d’information actuellement
disponibles. La démarche suivie dans cet ouvrage procède pour l’essentiel par rapprochement avec les traditions spirituelles encore vivantes,
comme les traditions orientales, ainsi qu’avec les traditions éteintes
depuis une époque moins reculée que la fin de l’ancienne Égypte. Sur
ce dernier point, le symbolisme de l’alchimie s’annonce d’une aide
d’autant plus fructueuse que la filiation de cette doctrine avec l’ancienne
Égypte peut être tenue pour assurée. L’hypothèse de travail sur laquelle
se fonde la méthode comparative adoptée ici repose sur le postulat de
l’universalité du fonds ésotérique commun à toutes les traditions spirituelles du monde, même entre celles qu’aucune filiation n’aurait apparemment pu relier.
La doctrine hermétique de l’alchimie nous fournira dans cette
démarche de précieux éléments. L’alchimie en question ne doit pas être
entendue dans son acceptation commune, autrement dit comme un tâtonnement empirique tenté par des expérimentateurs naïfs, ignorants et
intéressés. La production de l’or à partir du plomb doit se comprendre
au sens symbolique de la perfection spirituelle de l’homme, opérée au
moyen d’une technique qui, cependant, comporte des difficultés et des
risques. L’initiation traditionnelle n’avait pas d’autre but, et c’est pourquoi, tout en prenant la précaution de ne pas étendre abusivement la
signification des mots, on peut sous certaines restrictions qualifier
INTRODUCTION
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d’alchimique la tradition initiatique de l’Égypte ancienne. Le parallèle
tenté entre les doctrines alchimiques de diverses sources et les références rencontrées dans le Livre des morts révèle d’admirables coïncidences. À cet effet, la compréhension du symbolisme de l’alchimie est
de nos jours grandement facilitée depuis que de remarquables travaux
d’éclaircissement ont été menés par des auteurs comme Julius Evola (2),
Titus Burckhardt (3) et Mircea Eliade (4).
Une autre source d’information, plus récente, nous est livrée par les
travaux de décryptage des textes réalisés par ceux des égyptologues qui
ont mené leurs recherches en dehors d’un académisme conventionnel.
On a assisté à des tentatives très méritoires de la part de certains d’entre
eux pour reconstituer cette tradition spirituelle par l’interprétation des
symboles. Les mieux avertis ont notamment compris que la mort dont
il est question dans ces textes se réfère à la mort initiatique plus qu’à la
mort physique, ce qui avait généré auparavant beaucoup de confusions.
Car même s’il s’agit de la mort corporelle, cet événement ne concerne
pas l’expérience commune, telle que devrait la « vivre » un homme ordinaire, mais les circonstances que ne peut connaître qu’un individu préparé à cette transformation.
L’obscurité rébarbative du Livre des morts finira par s’éclaircir pour
celui qui le désire réellement. La récompense arrive tôt ou tard si l’on
surmonte la première impression de confusion. Après plusieurs chapitres, on repère assez vite quelques-uns des symboles les plus fréquents.
En poursuivant son effort, on constate qu’une cohérence générale se
dégage petit à petit de l’ensemble. Les textes à première vue obscurs produisent, à mesure qu’on leur prête attention, un effet analogue à la plupart des textes sacrés : ils s’animent d’une vie miraculeuse et finissent
par parler à celui qui les a suffisamment mûris. En livrant peu à peu le
secret de leur signification profonde, ils se parent d’une lumière nouvelle. Conformément à la parabole évangélique selon laquelle celui qui
demande du pain ne recevra pas une pierre, les symboles s’éclairciront
en profondeur pour l’œil qui cherche à voir.
Les égyptologues ont scientifiquement restitué le niveau philologique
des textes, aussi leur doit-on cette reconnaissance pour ce patient travail
2. La Tradition hermétique.
3. Alchimie : sa signification et son image du monde.
4. Le Mythe de l’alchimie et Forgerons et alchimistes.
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LE LIVRE DES MORTS ÉGYPTIEN
de déchiffrement et d’interprétation. Cependant, un grand nombre d’entre
eux se sont arrêtés aux formes sans songer à éclaircir le sens symbolique
des expressions. Des scrupules liés à leur engagement pour une certaine rigueur scientifique les retiennent d’avancer des synthèses trop
hâtives, mais une rigueur trop austère engendre aussi une forme de rigidité. De nombreux savants ont cru rester fidèles à cette exigence scientifique en réduisant la spiritualité égyptienne à une mentalité primitive
au sens péjoratif du terme. Des auteurs réputés se sont adjugé le droit
de traiter les textes religieux égyptiens de puérils et grotesques en les
déclarant comme le produit d’une insuffisance cérébrale. Faute de comprendre une démarche qui ne ressort pas d’une logique purement rationaliste, ils ont trouvé plus commode de rire des croyances des Égyptiens
en les qualifiant de superstitieuses.
L’époque actuelle voit cependant naître une curiosité nouvelle ; les
écrits anciens interpellent de plus en plus, en suggérant dans quelque
endroit profond de la conscience qu’une nouvelle compréhension s’avère
nécessaire. Certains signes témoignent d’une évolution : on ne traite plus
d’arriérées les civilisations extra-européennes traditionnelles; on se défie
des jugements de valeurs dont on les gratifiait autrefois à la légère pour
s’interroger plus respectueusement sur elles. Dans le domaine religieux,
des Églises comme l’Église catholique n’enseignent plus à prendre à la
lettre les textes symboliques comme la Genèse, ce qui générait autrefois
tant de perplexité dans les esprits. Mais si l’Occident contemporain
s’est presque débarrassé des a priori qui lui faisaient traiter avec hauteur
les civilisations extra-européennes, il lui reste à se défaire d’autres préjugés au sujet des civilisations anciennes. On ne peut plus conserver
certains lieux communs, comme ceux qui assimilent la religion égyptienne à une grotesque idolâtrie générée par une terreur paralysante de
l’au-delà. Des égyptologues comme Max Guilmot ou Christian Jacq ont
pris le tournant en évoquant les lumières que la civilisation égyptienne
apporterait au monde moderne, et l’hypothèse d’un message transmis
par son élite intellectuelle se répand de plus en plus.
Les explications données dans cette étude ne prétendent pas être
complètes ; une exégèse entière du Livre des morts égyptien, si elle était
possible, dépasserait les limites d’un seul ouvrage. L’objet de cet examen
est de pénétrer la vision égyptienne, intuitive et synthétique, d’une
manière qui convienne à la compréhension du texte, de façon à rendre
sa lecture abordable et de faire en sorte que le lecteur soit capable d’en
INTRODUCTION
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tirer par lui-même un maximum d’enseignements. Le travail préalable
consistera à dissiper les obscurités et à rectifier les malentendus et
incompréhensions les plus graves. L’essentiel de la tâche s’emploiera
ensuite à livrer la clef des principaux symboles, regroupés par thèmes.
Il s’agira d’expliquer notamment comment il faut comprendre les allégories du Livre des morts telles que la descente aux Enfers, l’envol dans
la barque solaire, les métamorphoses, la lutte contre les démons, la
communion à la nourriture des dieux, la régénération par l’eau et par le
feu, ou le corps de lumière. Les explications apportées à ces différents
thèmes posséderont un aspect « technique » inévitable, avec toutes les
difficultés d’approche que cela implique lorsqu’on aborde pour la première fois ces sujets. C’est pourquoi il est préférable d’être averti que
cet effort d’acquisition s’annonce incontournable pour une véritable
compréhension de fond.
Le présent ouvrage se fonde sur la version du Livre des morts des
anciens Égyptiens réalisée par Grégoire Kolpaktchy, qui est sans doute
actuellement la traduction qui permet le mieux de percer le véritable
mystère de ce recueil. Les citations empruntées à cette version ne seront
pas exhaustives afin de ne pas alourdir l’exposé. Le lecteur rencontrera
dans le Livre des morts d’autres morceaux analogues dont il pourra par
rapprochement saisir la signification, de sorte que le texte puisse lui délivrer son message tout en montrant sa puissance. Il ne dépendra que de
l’effort consenti par le lecteur pour que les mots s’animent ou restent
lettre morte, une source extérieure ne pouvant lui apporter que les clefs
et les indications qui lui permettront, selon ses dispositions personnelles,
de comprendre et de donner vie à cette substance.
De nos jours, beaucoup d’hommes fuient la solitude et le silence.
L’habitude de vivre dans la dispersion et l’agitation les laisse angoissés
dès qu’ils se retrouvent seuls avec eux-mêmes. L’épuisement de leurs
forces vitales et spirituelles sous l’effet du surmenage et de l’énervement
se traduit par des sensations de lassitude ou de dépression. La course au
gain et au bien-être matériel ne comble pas le malaise existentiel du
monde contemporain. Les réponses que les religions actuelles donnent
à cette angoisse laissent beaucoup de gens sur leur faim. Ce n’est pas
que le message de ces religions soit indigent, ce sont les clefs d’accès
à leur dimension supérieure qui font défaut à des mentalités devenues
plus exigeantes en ces derniers temps où une interrogation revient en
profondeur. Les résultats produits par un certain esprit technocratique
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LE LIVRE DES MORTS ÉGYPTIEN
éveillent le doute. L’angoisse de fond qu’une euphorie économique parvenait à peine à masquer dans certains pays se fait toujours sentir d’une
manière sourde et persistante. Les incertitudes devant l’avenir contribuent à mettre cette angoisse à nu.
Les représentations qui nous parviennent de l’ancienne Égypte donnent au contraire une impression de sérénité, en surface comme en profondeur. Un contact approfondi avec ce qui reste perceptible de cette
civilisation apporterait déjà une inspiration reconstituante. Les textes
du Livre des morts, attentivement lus, transmettent cette sensation à la
fois impressionnante par sa gravité, entraînante par sa vivacité et apaisante par sa sérénité. Les essais de style et la recherche de l’effet, assez
communs dans la littérature moderne, peuvent bien divertir ou attirer
l’attention un moment, mais leur répétition aura vite fait de lasser. L’imagination d’un auteur, aussi habile soit-il, ne dégagera pas une force
comparable à celle des textes sacrés, dont la puissance vient d’une
source située à un autre niveau et dans une tout autre dimension.
La fascination qu’inspire l’ancienne Égypte survit aux différentes
modes, car une interrogation durable prédispose son message à un
accueil positif. Il n’a sans doute jamais existé nulle part de société parfaite, ni de peuple composé uniquement de sages. Et l’esprit de la civilisation égyptienne ne peut pas plus revivre qu’elle-même ne peut ressusciter. Mais sa redécouverte peut apporter une inspiration susceptible
d’enrichir la vie intellectuelle et de ressourcer les croyances actuelles.
L’approche de la vie spirituelle de l’Égypte ancienne aura son utilité pour
autant qu’elle contribuera à éclaircir la nature de l’homme et la question
de son devenir, à lui ouvrir de nouvelles perspectives mentales et à
éclairer son cheminement intérieur ; elle aiderait la spiritualité moderne
non pas en restaurant une construction morte, mais en rappelant à la
connaissance des principes immuables connus des Anciens.
CHAPITRE I
Lumières de l’ancienne Égypte
1. La fascination de l’Égypte
Il ne subsiste de la plupart des civilisations antérieures à plus de
1 000 ans av. J.-C. que quelques pierres et de rares écrits. Seule l’Égypte,
dont l’origine remonte au moins à 4 000 ans av. J.-C., a laissé autant de
monuments dont l’architecture et la valeur artistique continuent d’émouvoir. La civilisation égyptienne fascine et interpelle nos contemporains
par son empreinte persistante, par l’éclat de sa noblesse et par la gravité
sereine de ses représentations. Les voyageurs un peu attentifs en conviennent : il semble que l’atmosphère de l’ancienne Égypte plane encore sur
le pays. Les édifices religieux et funéraires, les temples, les pyramides,
malgré l’état de ruine avancée de certains, laissent encore une vive
impression et témoignent d’un passé qui fut puissant. Quelques-uns des
voyageurs qui ont parcouru le pays et approché ses monuments anciens
ont décrit cette sensation profonde et durable à laquelle ils ne peuvent
échapper : celle du mystère, du silence et de l’éternité (1).
Avant Champollion, l’Égypte était connue de l’Europe par les écrits
d’Hérodote et de Plutarque. Bossuet rendait hommage à son art de former les hommes (2). On pressentait l’intérêt de cette civilisation et l’on
s’interrogeait sur son mystère. Le déchiffrement des hiéroglyphes,
brillamment réalisé par Jean-François Champollion, ouvrit l’accès tant
attendu à ce domaine. Mais l’enthousiasme communiqué par ce grand
1. Cf. Champdor, Albert : Le Livre des morts (p. 30-32).
2. Bossuet, Jacques Bénigne : Discours sur l’histoire universelle (III, part. § 3).
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LE LIVRE DES MORTS ÉGYPTIEN
savant pour l’Égypte ancienne retomba pour laisser place aux sarcasmes
dédaigneux ou à l’ennui. Le fait est que le formidable travail opéré par
Champollion pour décrypter les hiéroglyphes, qui représente déjà à ce
premier stade une tâche énorme, ne livrait pas encore le sens ésotérique
des textes. Par la suite, l’égyptologie officielle en vint à se moquer avec
hauteur du mystère égyptien.
2. L’égyptologie
Les égyptologues se partagent encore entre ceux qui considèrent la
civilisation égyptienne comme un tâtonnement infantile, qui n’aurait été
dépassé qu’à partir des Grecs, et un assez grand nombre de spécialistes
– et non des moindres – qui, eux, ont tourné cette page. Les historiens
et anthropologues actuels portent un regard beaucoup plus humble sur
la civilisation moderne, dont le dogme de la supériorité ne s’impose
plus. Des préjugés contemporains taxent encore d’idolâtrie d’anciennes
civilisations, au nom d’une prétendue supériorité attestée par le niveau
technique actuel, alors que le danger des idoles modernes, comme celle
du progrès matériel entre autres idéologies, n’est pas soupçonné. Mais
cette mentalité qui domine encore dans le milieu des technocrates et des
économistes ne fait heureusement plus la loi dans celui des sciences
humaines.
Des spécialistes réputés ont bien traité les Égyptiens de fous nageant
dans l’illogisme et l’incohérence ! À la fin du XIXe siècle, Adolf Erman
parlait de « folie, absurdité et déraison », qualifiant les croyances égyptiennes de sottises et de barbarie (3). Alan Gardiner, grammairien reconnu
de la langue égyptienne, considérait les Égyptiens comme incapables
d’élaborer une philosophie. Certains égyptologues parlaient du Livre des
morts comme d’un fatras d’absurdités et de niaiseries, et considéraient
la religion égyptienne avec dédain, tant la supériorité de l’intellectualisme
moderne leur paraissait évidente. Selon une autre thèse qui fut longtemps
dominante, cette religion n’aurait été qu’une tromperie destinée à conforter le pouvoir en place, en premier lieu celui des prêtres et ensuite celui
des princes, eux-mêmes assujettis par cet instrument à la suprématie du
clergé. Et les Grecs, sous l’effet d’une crédulité infantile, se seraient laissés impressionner par le pseudo-mystère des prêtres égyptiens.
3. La Religion des Égyptiens (p. 17).
LUMIÈRES DE L’ANCIENNE ÉGYPTE
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L’égyptologie nous a offert un accès à la plus ancienne forme de pensée élaborée que nous connaissions, puisque l’essentiel des institutions
sociales et des créations culturelles de l’Égypte remonte aux cinq premières dynasties. Mais l’orgueil de l’esprit moderne a longtemps imprégné cette discipline de ses préjugés, à son grand détriment. Car au lieu
de se réduire à une simple curiosité, l’égyptologie pourrait apporter ses
lumières à un monde en dérive.
L’Égypte laisse l’impression générale d’une civilisation orientée vers
l’éternité et l’absolu, attachée à ce qui était solide, immuable et qui bravait la durée. Son architecture imposante voit grand et défie le temps ;
elle utilisait la pierre en énorme quantité et sous de gros volumes, mais
aussi avec un soin, une technique et une précision qui étonnent. Il serait
contradictoire que de telles preuves de constance et de maîtrise technique
et artistique aient pu coexister avec des écrits inspirés par une pensée
désarticulée, fantasque ou archaïque.
3. La science en Égypte ancienne
La civilisation moderne s’enorgueillit de son avancée technique,
mais il s’agit là d’une supériorité relative que les anciens n’auraient pas
songé à lui disputer. Les Égyptiens n’ont ni atteint ni cherché à atteindre
un niveau technologique comparable au nôtre, car leurs efforts portaient
vers d’autres directions, en s’appliquant notamment à harmoniser leur
comportement social et individuel avec les forces universelles. Loin
d’être des ignorants, ils n’avaient rien à nous envier dans le domaine de
la connaissance. Ils possédaient en tout cas l’avantage dans ce qui relève
de la spiritualité et du développement de la vie intérieure.
La pensée égyptienne n’était pas, comme la philosophie grecque, formulée en termes rationnels, car elle cherchait à exprimer le langage
divin. Mais si les peuples anciens prenaient en compte des réalités
d’un autre ordre que la matière visible, ils n’ont pas renoncé pour autant
à penser de manière logique. Le raisonnement appartient à l’espèce
humaine au même titre que d’autres facultés, et le fait que les philologues comprennent mal les textes anciens n’autorise pas à réduire
l’intellectualité de leurs auteurs à un niveau primaire et infantile. Les
anciens savants ont même envisagé la science d’une manière plus
complète qu’on ne le fait actuellement. Leur démarche, fondée sur une
connaissance atteinte de l’intérieur, cherchait à déceler le principe créa-
20
LE LIVRE DES MORTS ÉGYPTIEN
teur et causal de toutes choses, considérées comme des incarnations du
flux d’énergie qui imprègne le monde. Les livres sacrés qui subsistent
des temps anciens témoignent, quand on sait les lire, des connaissances
que l’on possédait dans l’Antiquité. Les textes hiéroglyphiques, puérils
si on prend leur transcription à la lettre, révèlent à qui sait interpréter leur
sens ésotérique une profondeur et une hauteur de vue étourdissantes.
Il reste d’autant moins de traces de la science égyptienne que le
fanatisme politico-religieux livra aux flammes les plus riches collections
de manuscrits anciens. C’est ainsi que la célèbre bibliothèque d’Alexandrie flamba. Les césars de Rome, jaloux du fait que l’antique autorité
des corps savants égyptiens puisse leur porter ombrage, s’acharnaient
sur ses traces écrites. Dioclétien fera assassiner les prêtres et brûler les
livres sacerdotaux, dans l’intention qu’aucune autorité intellectuelle ne
puisse se redresser un jour pour s’opposer à son despotisme incontrôlé
et en dénoncer les crimes.
Mais surtout, les sciences étaient volontairement occultées, à cause
du danger qu’il y aurait à les livrer à tout homme qui ne se soit pas
affranchi de tout mobile passionnel. Leur enseignement ne se donnait
qu’à bon escient, à un cœur pur, désintéressé jusqu’à être prêt au sacrifice de sa vie. Plutarque parle à propos de l’Égypte de cette science
« qui est le plus souvent dissimulée par des mythes et par des discours
exprimant obscurément la vérité au moyen d’images et d’allusions (4) ».
Dans toutes les grandes civilisations du passé, les grands secrets de la
science sont demeurés cachés, en Égypte comme dans l’Empire chinois,
sous le gouvernement des sages empereurs comme sous celui tout différent de dangereux autocrates, sous les républiques grecques comme
sous les empires plus ou moins calamiteux des Assyriens, des Babyloniens, des Perses ou des Romains. Il n’y a qu’à l’époque moderne où l’on
a vu l’inconscience des savants laisser à la libre disposition de n’importe
quel fou dangereux les outils créés par la science.
Les anciens sacerdoces n’étaient pas scientifiquement moins bien
informés qu’aujourd’hui. Le bon sens devrait enseigner que, si à peine
sept siècles ont permis à l’Occident d’accumuler une somme considérable de connaissances scientifiques, la longue suite de siècles que dura
l’Antiquité égyptienne, avant et après Ménès, a laissé le temps à des
4. Plutarque : Traité d’Isis et d’Osiris (IX).
LUMIÈRES DE L’ANCIENNE ÉGYPTE
21
esprits curieux et évolués d’édifier un corps de connaissances non moins
respectable (5). Des auteurs anciens (Tite-Live, Agathias, Sozomène, Pline,
Ovide, Denys d’Halicarnasse) ont témoigné du fait que certaines forces
physiques étaient manipulées avec assez de précision par les corps sacerdotaux de l’Antiquité gréco-italienne et égyptienne, lesquels maîtrisaient
parfaitement l’électricité (6). Pour les raisons déjà exposées, ces auteurs
ne révélaient pas les formules qu’appliquaient ces anciens prêtres, mais
qui ne passaient pas les portes closes des temples.
Dès le début de leur histoire, les Égyptiens savaient endiguer les crues
du Nil sur des milliers de kilomètres, assécher les marécages, irriguer
les déserts et coordonner le travail de la terre sur des milliers d’hectares
grâce à une technique et à une organisation efficaces. La régulation des
inondations périodiques du Nil mettait en jeu des connaissances en astronomie, en trigonométrie et en hydraulique. Dès la VIe dynastie (23502180 av. J.-C.), on reliait la mer Rouge à la Méditerranée par un canal
construit entre le Nil et la mer Rouge (7).
Les œuvres architecturales de l’Égypte ne peuvent aucunement résulter d’une simple besogne. Elles attestent au contraire de l’activité de plusieurs corps de métiers, ainsi que de l’application d’arts et de sciences
possédés par une civilisation élaborée. Ni le granit ni le basalte ne pouvaient se tailler sans un excellent outillage en métal inoxydable. L’exploitation des carrières et des mines, la réduction des oxydes, la fabrication
de la céramique, la production de verre et de matériaux décoratifs ou la
teinture des étoffes supposent des connaissances indispensables en minéralogie, en géologie, en métallurgie et en chimie minérale et organique.
Claudien a rapporté, parmi les divertissements des anciens Égyptiens,
les feux d’artifices et les soleils tournoyants. Pline (8) a décrit la teinture
sur étoffe pratiquée en Égypte ; il parle de substances gommeuses dont
on enduisait la toile. Le passage à la chaudière rendait les teintes indestructibles, et ni le temps ni les lavages ne parvenaient à les altérer. Les
couleurs des fresques ont été elles aussi rendues inaltérables. Ces exemples supposent la résolution de problèmes chimiques complexes. Démocrite, qui résida longtemps en Égypte, en rapporta parmi de nombreux
5. Saint-Yves d’Alveydre, Joseph Alexandre : Mission des Juifs (p. 73).
6. Ibid. (chap. IV, « La science dans l’Antiquité »).
7. Carpiceci, A. C. : Merveilleuse Égypte des pharaons (p. 50).
8. Histoire naturelle : (livre XXX, chap. XVI).
22
LE LIVRE DES MORTS ÉGYPTIEN
autres secrets celui de la composition des pierres précieuses artificielles
au moyen du four à réverbère (9).
L’optique et l’acoustique étaient appliquées avec une précision dont
peuvent encore témoigner les temples et les théâtres de la Grèce. On a
retrouvé en Égypte des rails vraisemblablement employés, en même
temps que la mise en œuvre de techniques hydrauliques, pour le transport
de matériaux aussi lourds que certains blocs pesant cinquante ou cent
tonnes. Les astronomes égyptiens scrutaient les étoiles et observaient les
astres à l’aide de leurs instruments de visée; leurs bibliothèques accumulaient les observations. L’astronomie et l’architecture témoignent des
connaissances en mathématiques et en mécanique des Égyptiens, qui
furent les instructeurs des savants grecs. Par exemple, la grande pyramide est orientée vers le nord vrai (géographique) avec une erreur de
deux secondes seulement, alors qu’au XVIe siècle, l’astronome Tico
Braye, qui a calculé le nord vrai au moyen d’instruments modernes, a
commis une erreur de dix-neuf minutes.
Certaines recherches témoignent de l’étendue des découvertes dans le
domaine médical. L’embaumement des cadavres révèle déjà une connaissance approfondie du corps humain. Les Égyptiens savaient aussi désinfecter et cautériser les plaies, réduire les fractures et pratiquer des opérations chirurgicales délicates. Comme pour les autres sciences, la vision
égyptienne de la médecine était une vision du sacré, dans laquelle le traitement physiologique conservait une dimension spirituelle. L’organisme
humain était considéré comme un réseau de fonctions vitales dont la
santé dépendait de la bonne distribution et de la circulation des énergies.
Le prêtre médecin égyptien traitait l’organisme malade en lui réinsufflant
les éléments porteurs de dynamisme. Les plantes médicinales étaient très
utilisées à cet effet. Naturellement, la science appliquée au rétablissement
de l’harmonie du corps nécessitait une excellente connaissance des propriétés de la plante, ainsi qu’une appréciation exacte du déséquilibre
constaté et de la dose à prescrire (10).
La science égyptienne dépassait la nôtre au moins dans la connaissance de l’esprit humain. La volonté humaine a de nos jours remporté de
spectaculaires succès dans différents domaines techniques, mais cette
9. Saint-Yves d’Alveydre, Joseph Alexandre : Mission des Juifs (p. 72-73).
10. Jacq, Christian : Pouvoir et sagesse selon l’Égypte ancienne (p. 105-106).
LUMIÈRES DE L’ANCIENNE ÉGYPTE
23
expansion matérielle laisse l’homme insatisfait parce qu’elle maintient
inemployée une partie fondamentale de lui-même. Les conceptions métaphysiques modernes réduisent souvent la vision de l’homme à un dualisme entre le corps et une entité appelée âme, dont on ne possède qu’une
vague notion. Comparée à la science des anciens Égyptiens, cette représentation paraît d’une effrayante indigence. L’Occident moderne, à
l’exception des exercices spirituels pratiqués dans les ordres religieux,
ne connaît pratiquement rien des procédés susceptibles de réaliser
l’accomplissement de l’être, alors que l’exploration intérieure occupa
l’essentiel du génie égyptien, dont les représentants élaborèrent une
véritable technique de transmutation de la conscience dans ces laboratoires que furent les pyramides, les temples et leurs cryptes.
4. L’esprit de la civilisation égyptienne
Il est notable que l’architecture et l’urbanisme en Égypte n’ont pas
accordé la prééminence aux palais royaux ou aux places militaires, mais
aux temples et aux bâtiments religieux. L’envergure des édifices, bien
loin d’écraser l’individu sous la lourdeur, inspire un sentiment d’élévation. La beauté et la dignité des temples comme ceux de Karnak, de
Dendérah, d’Abydos ou d’Assouan forcent le respect. L’art égyptien
représente des personnages dignes, sereins, comme préoccupés par une
idée transcendante. Porphyre écrivait à propos des prêtres égyptiens (11) :
« Par la contemplation, ils arrivent au respect, à la sécurité de l’âme, et
à la piété ; par la réflexion, à la science ; et par les deux, à la pratique de
mœurs ésotériques et dignes du temps jadis. Car l’être toujours en
contact avec la science et l’inspiration divines exclut l’avarice, réprime
les passions et stimule la vitalité de l’intelligence. »
La civilisation égyptienne était dominée par le mystère de l’autre vie,
par l’unité du cosmos, et aussi par la transformation de la conscience
vers son perfectionnement. Dans son enseignement, la mort, au lieu
d’être vécue comme une fatalité, pouvait être maîtrisée pour donner
place à une nouvelle naissance. Il est vraisemblable que le peuple n’a pas
compris l’idéal spirituel de la même façon que l’élite intellectuelle ; il
est même possible que sa vision du mystère n’ait pas dépassé le seuil
d’un vulgaire rituel magique. Les versions rendues publiques du Livre
11. De abst. IV, 6-7.
Table des matières
Introduction .......................................................................................
7
Chap. I : Lumières de l’ancienne Égypte .......................................
1. La fascination de l’Égypte ......................................................
2. L’égyptologie ...........................................................................
3. La science en Égypte ancienne ...............................................
4. L’esprit de la civilisation égyptienne .......................................
5. L’influence de l’Égypte ...........................................................
6. L’héritage de l’Égypte .............................................................
7. La vie politique .......................................................................
8. Le lien social ...........................................................................
9. Le déclin de l’Égypte ..............................................................
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32
Chap. II : Pour comprendre le Livre des morts ..............................
1. La première approche des textes .............................................
2. Le thème du Livre des morts : l’initiation ...............................
3. Le texte dans son esprit ...........................................................
4. Les particularités du style ........................................................
5. Un regard différent sur le monde ............................................
6. Les différents sens d’une expression symbolique ...................
7. L’évolution des versions ..........................................................
8. Le problème de la traduction ...................................................
9. La rédaction des textes ............................................................
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51
Chap. III : Outre-tombe et outre-monde ........................................
1. L’outre-tombe dans les enseignements traditionnels ...............
2. Les effets immédiats de la mort corporelle .............................
3. La victoire sur la seconde mort ...............................................
4. La comparaison avec le Livre des morts tibétain ....................
5. La voie de la libération ............................................................
6. La vulgarisation des croyances ................................................
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64
396
LE LIVRE DES MORTS ÉGYPTIEN
Chap. IV : Mythes et symboles .......................................................
1. Le rôle du symbole ..................................................................
2. Le mythe ..................................................................................
3. Le polythéisme ........................................................................
4. Osiris, dieu des morts ..............................................................
5. Les antagonistes Horus et Seth ...............................................
6. Thot l’initiateur .......................................................................
7. Le dieu solaire Râ ....................................................................
8. Maât, la vérité-justice ..............................................................
71
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88
Chap. V : Qu’est-ce que l’initiation ................................................
1. La signification du terme ........................................................
2. Les procédés employés par l’initiation ....................................
3. Les mystères et les restrictions ................................................
4. La mort rituelle ........................................................................
5. Les épreuves ............................................................................
6. L’initiation lunaire et l’initiation solaire ..................................
7. Le signe de la Lune .................................................................
8. L’œuvre solaire ........................................................................
91
91
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100
104
108
Chap. VI : L’œuvre alchimique .......................................................
1. L’intérêt de l’alchimie ..............................................................
2. L’objectif de l’œuvre ...............................................................
3. Les origines et les équivalences de l’alchimie ........................
4. Le symbolisme minéral ...........................................................
5. Le cycle dissolution-coagulation .............................................
6. Le mercure et le soufre ............................................................
7. Les subdivisions du processus .................................................
8. L’« œuvre au noir », ou le régime de Saturne ...........................
9. L’« œuvre au blanc », ou le régime de la Lune .........................
10. L’« œuvre au rouge », ou le régime du Soleil ...........................
11. Les niveaux de profondeur ......................................................
111
111
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122
123
125
126
Chap. VII : Le voyage .......................................................................
1. La symbolique du voyage ........................................................
2. Les légendes et les récits .........................................................
3. Les différentes phases .............................................................
4. Le passage des portes ..............................................................
5. Les différents états de l’être ....................................................
6. Les repères astronomiques ......................................................
129
129
132
135
137
141
144
Chap. VIII : La barque de Râ .........................................................
1. L’identification avec le dieu solaire .........................................
2. Le trajet circulaire ...................................................................
149
149
150
TABLE DES MATIÈRES
397
3. Le symbolisme de la barque ....................................................
4. Le renforcement de l’initié ......................................................
5. L’itinéraire ...............................................................................
6. Les phases ascension-descente ................................................
7. La signification de l’envol ......................................................
151
155
157
158
160
Chap. IX : La descente aux Enfers .................................................
1. La signification du monde inférieur ........................................
2. Les légendes et les récits .........................................................
3. Le lieu des mystères ................................................................
4. Les contraintes et la liberté de mouvements ...........................
5. Les dangers du monde inférieur ..............................................
6. La géographie des régions traversées ......................................
7. Le désert, les ténèbres et la solitude ........................................
8. L’initié porteur de lumières .....................................................
9. L’Amenti ..................................................................................
10. L’arrivée devant Osiris .............................................................
165
165
168
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174
175
176
177
178
Chap. X : « J’ai été purifié » ............................................................
1. La nécessité de la purification .................................................
2. Les moyens employés ..............................................................
3. L’éthique et la morale ..............................................................
4. Les règles de vie ......................................................................
5. Les épreuves ............................................................................
181
181
184
185
188
191
Chap. XI : Les quatre éléments .......................................................
1. Les modalités de l’existence ...................................................
2. La manifestation des quatre éléments .....................................
3. Les étapes du voyage ...............................................................
4. Les propriétés respectives des quatre éléments .......................
5. Le degré Seth ...........................................................................
6. L’élément air ............................................................................
195
195
196
197
199
200
204
Chap. XII : L’eau et le feu ................................................................
1. L’importance de l’eau et du feu ...............................................
2. Les eaux supérieures et les eaux inférieures ...........................
3. Le fleuve céleste ......................................................................
4. La purification par l’eau ..........................................................
5. L’effet régénérateur de l’eau ....................................................
6. La puissance destructrice de l’eau ...........................................
7. L’intervention du feu ...............................................................
8. Les différents degrés du feu ....................................................
9. La purification par le feu .........................................................
10. Le danger du feu ......................................................................
209
209
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217
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222
223
225
398
LE LIVRE DES MORTS ÉGYPTIEN
Chap. XIII : La lutte contre les démons .........................................
1. La nature des démons ..............................................................
2. Les démons liés aux éléments .................................................
3. La nourriture des démons ........................................................
4. Les combats contre les démons ...............................................
5. L’imperturbabilité de l’initié ....................................................
6. Les armes contre les démons ...................................................
7. La parole comme arme ............................................................
227
227
229
233
234
237
238
240
Chap. XIV : Les métamorphoses ....................................................
1. La finalité des métamorphoses ...............................................
2. L’identité avec la métempsycose .............................................
3. L’actualisation des potentialités ...............................................
4. L’unité de la Création ..............................................................
243
243
244
247
249
Chap. XV : La nourriture des dieux ...............................................
1. La signification de l’offrande ..................................................
2. L’énergie vitale ........................................................................
3. Les composantes de la nourriture ............................................
4. Les ordures ..............................................................................
5. La nécessité d’une demande ....................................................
6. Les dispensateurs ....................................................................
7. L’échange ciel-terre .................................................................
8. Le sens du sacrifice .................................................................
9. Le don de l’homme .................................................................
253
253
254
256
259
261
262
263
264
267
Chap. XVI : Le jugement d’Osiris ..................................................
1. Une figuration spécifique à l’Égypte ......................................
2. La signification du jugement ..................................................
3. Le déroulement de la scène .....................................................
4. La double Maât ........................................................................
5. Le nombre des juges ................................................................
6. La pesée du cœur .....................................................................
7. Le monstre dévorateur .............................................................
8. Les paroles du candidat ...........................................................
9. Le justifié triomphant ..............................................................
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269
271
274
277
278
279
282
285
287
Chap. XVII : La proclamation d’innocence ...................................
289
Chap. XVIII : Les demeures célestes ..............................................
1. L’envol dans les cieux ..............................................................
2. Le dépassement de la dualité ...................................................
3. L’admission parmi les dieux ....................................................
4. Le retour dans l’œil d’Horus ...................................................
325
325
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328
332
TABLE DES MATIÈRES
399
5. Les champs et leur symbolique végétale .................................
6. Les îles ....................................................................................
7. La cité et son symbolisme minéral ..........................................
334
340
342
Chap. XIX : Le corps glorieux ........................................................
1. L’accomplissement de l’œuvre ................................................
2. L’importance du corps physique ..............................................
3. L’« œuvre au blanc » et l’« œuvre au rouge » ...........................
4. La glorification ........................................................................
5. Une nouvelle perception du corps ...........................................
6. L’éveil de la conscience corporelle ..........................................
7. Les correspondances symboliques du corps ...........................
8. La fusion de l’esprit et du corps ..............................................
345
345
346
348
349
350
352
353
354
Conclusion ........................................................................................
Index .................................................................................................
Bibliographie .....................................................................................
Table des matières .............................................................................
357
363
391
395