YVES TANGUY
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YVES TANGUY
YVES TANGUY ATELIERS D’ART, CONFÉRENCE D’HISTOIRE DE L’ART YVES TANGUY Mouvement stimulant l’entière création artistique, le Surréalisme, à l’origine d’essence littéraire, en englobant dans sa révolution des peintres, a poussé l’expression picturale dans une zone vierge : l’inconscient. Chacun des sectateurs accomplit alors son œuvre dans une direction qui lui est propre. C’est dans cet esprit que se développe l’œuvre unique d’un artiste, à priori sans métier, sans technique, mais doué d’une sensibilité exacerbée, d’un imaginaire riche : Yves Tanguy. De souche bretonne mais né à Paris en 1900, Yves Tanguy ne découvre les rivages atlantiques qu’en 1907 où orphelin de père il est envoyé comme pensionnaire chez sa famille dans les environs de Nantes puis dans les Côtes d’Armor. En 1911, il revient à Paris, au lycée, il y fait une rencontre capitale dont les conséquences ne jailliront que bien plus tard, Pierre Matisse, fils du peintre qui lui fait visiter l’atelier paternel, Tanguy reste marqué par le tableau qu’il y voit : L’atelier aux poissons rouges. L’adolescence le voit osciller des brumes éthérées, éthyliques à celles moins artificielles de la Cornouaille où sa mère possède le modeste prieuré de Locronan. Ces années rimbaldiennes forment le caractère du futur artiste à la dérision, mais aussi à un certaine forme de violence dont personne, surtout lui même, n’est à l’abri. Engagé comme pilotin.en 1918, il parcourt les pays baignés par le vaste océan ; paradoxalement il est mobilisé comme chasseur d’afrique pour effectuer son service militaire au cours duquel il se lie d’amitié avec Jacques Prévert qui n’écrit comme lui ne peint : pas encore. A sa démobilisation, il revient à Paris où Prévert lui présente Marcel Duhamel, rapidement une forte amitié naît : le trio s’installe ensemble chez Duhamel. La vie matérielle en ce début des années 20 leur fait affronter une précarité ponctuée de petits boulots et de sorties alcoolisées, les vacances les portent vers la Bretagne où Tanguy, très attaché à sa mère, emmène en vadrouille les familiers de la rue du Château, résidence parisienne des amis. Dans le bouillonnant creuset artistique qu’est le Paris des Années Folles, des voix s’élèvent, des mots s’échappent, la révolution surréaliste s’organise, se formalise ; bientôt le manifeste paraît. Dans le même temps, Yves Tanguy saute d’une plate-forme d’autobus fasciné par une apparition fugitive, un Terre d’ombre tableau de Giorgio de Chirico, Le cerveau de l’enfant, exposé en vitrine de la galerie Paul Guillaume. Dès lors, il dessine et peint, prenant de rapides croquis à la terrasse des cafés, remarqués par Vlaminck, l’autodidacte fauve, qui le signale à la revue d’art, L’art vivant. Surréaliste qui s’ignore, le trio Prévert – Duhamel – Tanguy affecte une attitude résolument anticonformiste, bravant les interdits, au fait du cinéma, lisant les feuilletons, puisant çà et là une riche nourriture spirituelle, leur mode de vie où le mot présent figure l’avenir respire l’art dans ses moindres aspects. Cette trajectoire fantastique ne peut que les propulser en direction d’André Breton, pamphlétaire de la surréalité. Ce mouvement, héritier direct du Dada de Tzara, qui prône l’indépendance totale de la création, l’insoumission à la norme, le hasard objectif, n’est en ces temps que littéraire et s’appuie en grande partie sur Les champs magnétiques, trône de l’écriture automatique. Tanguy qui ignorait jusqu’ à la vision chiriquienne la peinture contemporaine, travaille presque sans relâche, abandonnant les pinceaux pour sacrifier aux besoins alimentaires en la matière de quelques emplois journaliers. Partant d’un cubisme simplifié il évolue dans un réalisme où la force hallucinatoire et intemporelle des perspectives architecturales, comme les références anecdotiques confèrent au paysage urbain un aspect mélancolique (La rue de la Santé, 1925). L’adhésion du trio au groupe surréaliste permet à Tanguy de varier son approche de la peinture et l’oriente par l’expérimentation collective des cadavres exquis vers une réalisation qui le démarque progressivement de la figuration pour l’amener à la création (Demain, on me fusille, 1928). La seconde moitié des années 20 le transporte dans l’univers forcément créatif des surréalistes, il est de toutes les manifestations, peint, illustre tant qu’il peut (Aragon, La grande gaieté), expose lorsque cela est possible, cependant le quotidien du jeune marié (depuis 1927) ressemble toujours à la Bohème. La réception enthousiaste du jeune Salvador Dali au groupe surréaliste lui porte un peu ombrage, la peinture de l’espagnol ressemblant à celle du breton, ce dernier ne s’enthousiasme guère aux « performances » daliennes. En 1930, le couple Tanguy voyage en Afrique du Nord, les raisons, les circonstances tout comme les contrées visitées res- Paysage au nuage rouge tent mystérieuses, du moins les images rapportées se développent sur les tableaux en coulées de matières tubulaire et pétrifiée aux contours sinueux (Légendes ni figures, 1930). Les années 1930 confirment l’engagement de Tanguy dans le surréalisme orthodoxe, position qui l’amène à rompre avec ses premiers amis. Lentement, les difficultés matérielles s’estompent et ses œuvres s’inscrivent à la fois dans le dogme du mouvement mais aussi comme peintures à part entière, ce qui ne l’empêche de poursuivre les illustrations pour les autres membres du groupe. L’intérêt des milieux artistiques américains pour son œuvre se développe, surtout après 1936 ou deux expositions personnelles lui sont consacrées à New York, il découvre à cette époque le procédé des décalcomanies. La brève liaison qu’il a avec Peggy Guggenheim le propulse à l’avant-scène de la peinture, une exposition lui est consacrée à Londres en 1938 dans la galerie nouvellement ouverte, Guggenheim Jeune. En 1939, il rencontre Kay Sage, peintre et poète américaine, qu’il rejoint aux U.S.A. en novembre de la même année, annonçant l’exil des artistes européens sous la poussée nazie. Dans la dernière période de sa vie, Tanguy, à l’opposé de sa gestation artistique, feindra d’adopter la vie d’un gentlemanfarmer, loin de Montparnasse et des soucis matériels, dans un confort bourgeois que son talent apporte enfin. Divorçant en 1940, il se remarie aussitôt avec Kay Sage, dans une émulation symbiotique qui lui offre la quiétude propre à l’accomplissement de son œuvre. La révolution surréaliste s’achève à New York où les membres continuent d’agir et surtout influent sur la jeune peinture américaine. C’est dans cette Amérique préservée que Tanguy renoue avec son camarade d’enfance, Pierre Matisse, galeriste, qui le soutient et le présente sur ses murs. Retiré dans le Connecticut, voisin de Calder, le couple Tanguy-Sage, achève de concert le travail artistique de toute une vie dans un atelier quasi commun. Tanguy exécute alors des accumulations de structures minérales déployées jusqu’ à la ligne rigoureuse de l’horizon (Nombres imaginaires, 1954). Après un séjour en Europe, Tanguy s’éteint dans les premiers jours de 1955, son épouse patiemment classera et compilera son œuvre avant de mettre fin à ses jours en 1963. Pierre Matisse, exécuteur testamentaire livre les cendres des époux à l’Atlantique au fond de la baie de Douarnenez sur la plage du Ris cette même année. La peinture soigneuse et assurée d’Yves Tanguy montre d’étranges objet biomorphiques se succédant dans l’illusoire profondeur de paysages brumeux. Reliés parfois par de fins réseaux blancs (incisions faites dans la pâte à la lame de rasoir) image de la mise en damier renaissante, les créations globuleuses interrogent le regard dans leur rigueur formelle comme exécutoire d’un Jérôme Bosch définitivement détournée du sujet pour mieux signifier l’objet. Outre ce rapport allusoire et analogique, cette œuvre dispose d’un langage articulé où la grammaire chromatique articule la conjugaison des objets, figurations peut être inconscientes, dans une poésie lyrique à l’ambiance forte. Dictionnaire abrégé du Surréalisme Tanguy, autodidacte, surréaliste qui s’ignorait, peintre qui ne le savait pas, réalise une œuvre magistrale et unique et dans le même temps ouvre une porte, cerne une direction particulière dans l’application paradoxale du surréalisme et de la peinture. La période mature d’Yves Tanguy n’aborde l’abstraction, à l’égal de ses contemporains, Chirico et Ernst, ou de ses immédiats prédécesseurs, Matisse, Picasso, il effleure l’abandon du figuratif. Son univers pictural dans lequel s’installent d’étranges formes biomorphiques ne renie pas réellement les préceptes de la peinture figurative : les objets, mystérieux, possèdent une réalité picturale et sensible liée à leur traitement particulier : dégradé, ombres portées, lignes d’horizons, respect de la hiérarchisation dans l’illusion de la profondeur, installent dans le cadre du tableau un monde fantastique dans lequel la perception visuelle n’est choquée. Par contre la nature des formes figées dans les paysages nébuleux échappent à la comparaison. Peut-être encore convient-il, non de chercher leur signification mais d’admettre leur présence dans le champ de l’imaginaire luxuriant de leur dessinateur à l’égal des noms qui leur sont donnés. Ou bien ne sont-ils que la projection magnifiée de la faune aquatique et de la flore des landes bretonnes comme tendent à le paraître les atmosphères brumeuses de ces créations fantastiques. L’œuvre d’Yves Tanguy recèle comme toutes les autres, sa Sans titre part consommée de mystère, certainement même davantage. Peintre habile, à la gouache comme à l’huile, maîtrisant pleinement les aspects du métier ; nulle part il n’est mentionné dans ses biographies un apprentissage de la peinture, pourtant dès les premières années il fait montre d’un métier maîtrisé. Peutêtre a-t-il pris assez confidentiellement des cours dans le Montparnasse de l’entre-deux-guerres, quartier riche en peintres habiles et dans une révision surréaliste, aurait occulté objectivement cette période de mûrissement et d’apprentissage ? Ou plus simplement marqué du sceau du génie, il commença la peinture, naturellement, et idéalement ? Si les tous premiers tableaux portent des titres assimilables aux œuvres, le reste de la production picturale d’Yves Tanguy relève là aussi du mystère propre de la création. Mais le surréalisme en prônant une libre association des idées et des images, comme la configuration des cadavres exquis graphiques ou littéraires peut, sans expliquer, donner une idée de la vacuité sémantique du rapport entre le vocable et sa réalisation. Breton a indiqué à Tanguy certains traités de psychanalyse et psychiatrie et l’a même conseillé pour choisir ses titres de tableaux en s’y référant. Ainsi la relation à l’œuvre de son nom ne pourrait que se confiner dans les méandres sinueux du cerveau du peintre, dans une impulsion inconsciente d’association d’idées et d’images. La peinture d’Yves Tanguy ne se suffit dans une relation du Surréalisme aux arts plastiques mais expose dans un mystère tout aussi insondable que les limbes cérébrales, un langage poétique où le merveilleux le dispute à l’étrange, où la figure affecte des formes mystérieuses, auquel même le rapport au titre pousse à l’interrogation. Réalisations graphiques d’après : Terre d’ombre, 1927 Huile sur toile, 99 x 80 Detroit, U.S.A. Paysage au nuage rouge, 1928 Huile sur toile, 91 x 72 collection particulière Couverture pour le dictionnaire abrégé du surréalisme Sans titre, 1941 crayon et craie sur papier New York, Museum of Modern Art TEXTE, GRAPHISME ET MISE EN PAGE : LAURENT BARREAU