Ne cherche pas à te venger

Transcription

Ne cherche pas à te venger
“Si quelqu’un t’a fait du mal, ne cherche pas à te venger. Assieds-toi sur le bord de la rivière et
bientôt du verras passer son cadavre.”
Cette phrase attribuée à Lao-Tseu, peut se prêter à deux courants de variations
d’interprétations radicalement différents:
La premier revient à dire que si quelqu’un nous a causé du tort, il ne faut pas chercher à se
venger car une justice immanente se chargera du travail à notre place. Cette approche est très
profane car elle pose la vengeance comme allant de soi ou elle met en jeu une logique du style,
quelqu’un qui se comporte mal ira forcément à sa perte.
Pour le deuxième raisonnement, il ne supporte pas l’épreuve des faits: Notre monde compte
nombre de personnes au comportement exécrable qui se portent très bien et meurent
paisiblement.
Pour le premier raisonnement, je voudrais être plus relatif. Que le désir de vengeance chez
l’être humain blessé dans sa chair, ses affects ou son mental soit une réalité, c’est indéniable,
c’est même normal mais que la vengeance doivent être la norme n’est pas normal. Et j’en viens
ici au deuxième flux d’interprétations.
Lao-Tseu s’il est l’auteur de la phrase me surprendrait s’il soutenait les thèses du premier
courant. L’auteur du Tao Te King, prône le non agir, le détachement, la prise de recul.
D’ailleurs certaines sources complètent en ajoutant “...mais s'il est encore agonisant, sauve le
de la noyade.”
Un autre proverbe chinois dit aussi : “L'eau ne reste pas sur les montagnes, ni la vengeance sur
un grand cœur.“
En fait se venger c’est le contraire, c’est une illusion et ne fait que nourrir un processus involutif.
Comme pourrait le dire Epictète, c’est vouloir agir ce sur qui ne dépend pas de nous donc ce
sur quoi nous n’avons pas prise. Nous venger ne ramène pas ce qui est perdu, ne guérit pas ce
qui est blessé.
Quand bien même, nous retrouverions les assassins d’Hiram, quand bien même tels les
révolutionnaires français nous planterions leur tête sur des lances après les avoir exécutés, cela
nous ne rendrait pas les paroles perdues.
Il faut chercher plus loin, chercher au dehors et en nous même dans nos abîmes intérieurs
l’explication du mystère.
Au dehors:
On ne connaît que trop les mécanismes du conflits qui font que celui qui a perdu cherche à se
venger et que le jour où il l’emporte, c’est celui qui aura perdu qui cherchera à son tour à se
venger. Cette boucle ne prendra jamais fin.
Chercher à se venger, c’est nourrir le processus des pensées de haine, de colère qui ne
contribue pas à la progression de l’humanité et de la fraternité. Le progrès ne peut se faire que
mutuellement et ensemble, parvenir à se venger est un échec car celui qui disparaît ne pourra
plus évoluer donc quelque part l’humanité se coupe d’un élément qui pourrait encore évoluer.
Je ne dis pas qu’il faut tolérer l’intolérable mais espérer sincèrement que le fauteur de
souffrances s’améliore et progresse sur le chemin de l’humanité.
En nous-mêmes:
Une des rares choses sur lesquelles nous ayons prise, c’est nous-mêmes. Carl Gustav Jung
soulignait que la personne dont le comportement nous exaspère le plus est celle qui correspond
le plus à notre part d’ombre. Si les mauvais compagnons sont à chercher en nous et à rectifier
en nous-mêmes, alors il y a une explication.
La maxime chinoise, nous invite à nous asseoir sur le bord de la rivière. Si ce cadavre que nous
voyons passés dans le tumulte du flot des passions n’était que celui de notre ego dont nous
percevons le reflet déformé dans le cours de l’eau?
En fait je me plais à imaginer cette rivière comme celle où coulent nos passions qui tombent du
torrent de nos désirs pour couler de plus en plus paisiblement vers la mer de l’apaisement et du
détachement.
Comme le dirait encore Epictète, ce ne sont pas les faits subits qui nous posent réellement
problème, c’est le jugement que nous portons sur eux.
L’illusion d’une justice immanente suppose que le monde est équitable et juste, or il ne l’est pas.
Se venger, c’est l’illusion de rendre l’équilibre à ce qui de toute façons n’en a pas. C’est
contribuer à se couper de la réalité qui est le non équilibre et le changement continu. L’équilibre
n’est pas à rechercher dans le monde mais en nous-mêmes, seul endroit où nous pouvons
l’instituer.
Le seul travail à effectuer est de lâcher prise mentalement, de laisser s’apaiser nos émotions de
colère et notre désir de vengeance, de faire le deuil de ce sur quoi nous n’avons pas prise.
S’agira-t-il de pardonner ou de prendre du recul ?
Pour se libérer, pardonner serait idéal mais tant qu’il reste une prise émotionnelle, le mieux sera
de prendre du recul.
Tout ce que j’ai expliqué jusqu’ici souffre cependant une grande difficulté. Si c’est facile à
comprendre pour les autres, c’est extrêmement difficile à intégrer dans sa vie quotidienne. Les
êtres humains dont je fais partie arriveront plus ou moins à comprendre tout ce que je viens
d’expliquer avec plus ou moins de travail d’analyse et de réflexion mais nous seront hélas en
grande difficulté lorsqu’il s’agira d’appliquer ces préceptes lorsque nous sommes concernés. Si
quelqu’un nous fait du mal, le réflexe “naturel” appelle en nous la colère et un désir de
vengeance. Notre rationnel n’a pas une prise efficace sur notre émotionnel. Ce contrôle de
l’émotionnel et du mental ne peut s’acquérir que par des pratiques méditatives ou en laissant
agir le temps qui permet de relativiser. Encore faut-il dans cette dernière éventualité ne pas
remettre de l’huile sur le feu de nos pensées de douleur et de vengeance, sinon, il mettra
beaucoup de temps à s’éteindre.
J’ai ici longuement exposé la problématique de la vengeance pour des faits graves mais
qu’advient-il au quotidien pour toutes les petites frustrations que nous infligeons mutuellement
volontairement ou en croyant bien faire ? Combien de fois ce désir de vengeance naturel ne
vient-il nuire à l’entente fraternelle que nous aspirons à instituer sur la planète? Sur ces petites
choses, nous sommes sans doute plus en mesure de prendre du recul, de pardonner, de
dialoguer, de négocier. Comme apprend pas à naviguer par beau temps et non temps de
tempête, il convient d’apprendre à pardonner, à prendre du recul d’abord avec les faits du
quotidiens avant de vivre les grandes crises de la vie.
Alors qu’attendons-nous pour nous mettre au travail ?
J’ai dit.