Correction de la dissertation Peut
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Correction de la dissertation Peut
Correction de la dissertation Peut-on tout démontrer? Nous avons tous en tête le grand tableau noir blanchi par la craie en cours de mathématiques, soit ces longues et fastidieuses démonstrations à partir d'une figure géométrique ou encore d'un problème posé. Par la rigueur qu'elle nécessite, la concentration, nous faisons peu appel à elle au sein de la vie quotidienne. Aussi pourrions-nous nous voir reprocher cette négligence, la démonstration étant au fond la seule démarche garante de vérité. Mais est-ce toujours le cas? La démonstration est-elle ce qui me permet réellement de tout démontrer? Qu'est-ce que démontrer tout d'abord? La démonstration peut être vu comme un cheminement par étape, où chacune des étapes découlent nécessairement de la précédente. En effet, au sein d'une démonstration, de cette démarche algorithmique, chaque étape ne peut pas ne pas apparaître, du fait même qu'elle est la conséquence logique de tout ce qui précède. Ainsi, chaque point de la démonstration est justifier par les précédents, et ne dépend pas de ce fait même du bon caprice du sujet qui l'énonce. C'est ce qui fait précisément son objectivité puisque ce n'est jamais moi – sujet – qui décide de ce qui adviendra: l'enchaînement se fait même malgré moi. On comprend ici une chose déjà fondamentale, à savoir le fait que l'usage de cette faculté dont dépend la démonstration, et qui est la raison est ici un usage formel. Qu'entendons-nous par-là? Eh bien que nous n'allons pas nous concentrer sur les propositions-mêmes qui forment une démonstration, mais sur leur enchaînement logique. Peut importe au fond ce qui est dit, c'est la manière dont les choses sont dites, soit la manière dont elles se co-impliquent qui est important. Mais n'y a-t-il pas une limite à tout cela? Une limite interne tout d'abord, puisque la démonstration doit bien partir d'un point qui n'a pas lui-même était démontré, sous peine de ne jamais sinon prendre fin. Mais également une limite externe: en effet, cet enchaînement logique de la démonstration suppose cette même logique de la part de l'objet sur lequel elle porte. Or, est-ce toujours seulement le cas? Tout objet sur lequel porte la connaissance a-t-il une articulation nécessaire, logique? Puis-je seulement démontrer des phénomènes psychologiques comme les sentiments, ou même encore des phénomènes jamais observés? Ne risque-t-il pas d'y avoir quelque chose d'alors forcé dans cette démarche, quelque chose qui ne prenne plus en compte le réel auquel il doit pourtant faire référence par exemple? Dans les Premiers Analytiques Aristote nous rappelle ce qu'il faut entendre par un raisonnement démonstratif: « certaines choses étant posées, quelque chose d´autre suit nécessairement, par le seul fait que ces choses sont telles ». On comprend donc que la nécessité de la démonstration vient de l'enchaînement même de ces « choses posées ». Ainsi, la démonstration nous montre une chose qui n'est pas de l'ordre des faits, elle nous montre la nécessité d'un enchaînement de propositions. Nous partons de prémisses, soit les bases du raisonnement, et à partir d'elles, nous déplions seulement la démonstration. Mais Aristote va plus loin dans l'explication: « Mortel est attribué à homme, Homme est attribué à Socrate, Mortel est donc attribué à Socrate (…). Quand trois termes (ici : Mortel, Homme, Socrate) sont entre eux dans une relation telle que le dernier (Socrate) est contenu dans celui du milieu (Homme) et celui du milieu dans le premier (Mortel), il est nécessaire qu´il y ait un syllogisme parfait reliant les termes extrêmes ». En effet, dans le syllogisme, cette forme particulière de la démonstration, c'est la position des éléments à l'intérieur de la démonstration qui compte, et non tant ce à quoi il se réfère dans la réalité. La démonstration relève donc de la formalité, et c'est peut-être au fond ce qui fait toute sa force. Parce qu'elle ne s'intéresse pas tant aux propositions qui rentrent dans la démonstration, mais plus à la manière dont elles s'enchaînent. Elles ne s'occupent pas de quoi on parle, mais bien et plus de la manière dont on en parle. De ce fait, parce qu'elle se concentre plus sur la forme, et non sur le fond, elle peut porter sur tout. De ce fait, on peut véritablement tout démontrer. N'est-ce pas au fond toute la force de la démonstration qui fort de son abstraction précisément c'est-à-dire de son aspect formel, se libère même de l'expérience sensible. En effet, par la démonstration, par cet exercice de la raison, l'homme s'émancipe précisément de l'expérience qu'il peut avoir du monde par le biais de sa sensibilité, de ses sens. La raison me permet de penser, d'anticiper, ou même de reconstruire ce que je ne peux pas montrer, ce dont je ne peux pas faire l'expérience. Je me désolidarise de la réalité sensible, j'attends moins d'elle et du témoignage de mes sens que des constructions de ma raison. On a tous en tête l'inspecteur de police dans les films qui tente de reconstruire par raisonnement une réalité à laquelle il n'a pas pu assister. A partir d'un élément donné, il va parvenir par inférence à retrouver comment les choses se sont réellement passées. On peut ainsi tout démontrer par ce que l'on peut démontrer ce qu'on n'a pas vu, ce que l'on ne peut montrer dans l'expérience, ou même anticiper un donné que l'expérience ne m'a pas encore offert (cf. énoncé contrefactuel). On comprend ici deux choses: l'efficience d'une démonstration mathématique ainsi que son utilisation en physique.. Les mathématiques se fichent du réel tel que je le perçois par mes sens, pour être un peu brutal dans la formulation. Ainsi, nous connaissons la géométrie d'Euclide dont les notions primitives, les axiomes, reposent précisément su rl'expérience sensible. Ainsi, lorsque Euclide évoque ce qu'on appelle le postulatum, soit le fait que par un point donné par rapport à une droite ne peut passer qu'une seule parallèle, nous avons ici une vérité si l'on peut dire sensible, elle vient de l'expérience. Ainsi, Euclide fait reposer sa géométrie sur des axiomes qui euxmêmes reposent sur l'expérience. Mais, la grande force des mathématiques est précisément illustrée par la venue au 19ème siècle des géométries non-euclidiennes où l'on va revenir sur ce fameux postulatum: Riemann va imaginer un système géométrique qui par précisément des axiomes d'Euclide tout en modifiant le postulatum (par ce point par rapport à une droite donnée, ne passe aucune parallèle); Lobatchevski va quant à lui également reprendre l'axiomatique de Euclide en modifiant également le postulatum (par ce point par rapport à une droite donnée, passe une infinité de parallèles). Dans ces deux cas, on propose des démonstrations géométrique à partir d'un axiome contre-intuitif, qui ne repose plus sur l'expérience. Pourtant, ces géométries fonctionnent tout de même, et sont même parvenues, en rentrant dans le champ physique, la découverte de nouvelles théories expliquant la réalité (cf la relativité restreinte, la mécanique quantique). Au fond, la démonstration porte sur tout du fait même qu'elle est une production de la raison qui ne s'appuie que sur la manière dont s'enchaîne les choses. Mais l'univers est-il logique ou entièrement logique? Est-ce que toutes les choses se structurent entre elles de manière logique? Y a-t-il toujours une logique du réel, une cosmologie justement? On peut en effet commencer par s'interroger sur une véritable limite externe de la démonstration puisqu'on peut imaginer qu'il existe certaines choses qui ne se structurent pas sur le modèle logique. Les sciences humaines par exemple ne posent-elles pas une limite à la démonstration du fait même qu'elle porte sur des objets qui ne s'articulent pas de manière logique. Kant, dans les Premiers principes de métaphysique des sciences de la nature, évoque justement le cas particulier de la psychologie. Il serait difficile au sein de cette discipline de penser au fond une mathématisation de l'expérience psychologique. Les phénomènes dont s'occupe la psychologie, sont des phénomènes de ce que Kant appelle le sens interne, c'est-à-dire qu'ils se déroulent toujours dans le temps, ils engagent le temps. Les phénomènes psychiques et individuelles ne cessent au fond de se modifier selon le flux même du temps, c'est-à-dire en d'autres termes selon le flux même du temps, selon une succession continue. Ainsi, le désir, le souvenir (etc.) ne se passent pas en un instant, ils ne sont pas ponctuels et instantanés, mais bien plutôt dynamiques, continus. Or, il faut comprendre ici en quoi cela empêche toute connaissance objective. Kant nous rappelle que toute connaissance objective commence par la synthèse d'une appréhension. Cette dernière consiste, à partir de diverses impression sensorielles à faire une synthèse, c'est-à-dire faire de ces différents moments perceptif une unité dans un présent qui rassemble donc (par exemple: si j'étudie objectivement la chute d'une pierre, je vais opérer la synthèse des instants successifs de la chute dans un moment général. La pierre était à tel point à tel instant, tel autre point à tel autre instant, et je fais la synthèse de tous ces points instantanés dans un moment qui est toute la chute au présent). Cela suppose que l'objet étudié (ici la chute d'un corps) soit décomposable en plusieurs phases instantanées. Or, peut-on faire cela avec, par exemple, un sentiment? Ne risque-t-on pas au fond de perdre alors ce qui fait le propre du sentiment comme phénomène psychique s'écoulant précisément dans le temps, soit de manière continue? Nous pouvons utiliser ici une comparaison avec la musique: est-ce que je conserverai l'effet d'une mélodie, et même ce qu'est une mélodie, si je la décompose en phase successive, voire même en notes seules jouées une à une? Ne vais-je pas perdre de même l'essentiel de cette mélodie? Le problème serait au fond similaire. On en peut donc appliquer le modèle de la démonstration mathématisante qui déconstruit quelque chose en une succession d'instants aux phénomènes psychologiques qui supposent toujours dans leur déroulement non la ponctualité mais la continuité. Il n'y aura donc jamais de psychologie au sens fort selon Kant, soit de psychè-logia (étude, science de l'âme). Il y a donc des objets qui par leur structure même (comme les phénomènes psychologiques) ne sont pas de l'ordre du démontrable. Il y a donc une limite externe à la démonstration en ce sens même qu'elle ne peut porter sur tout car tout n'a pas la structure adéquate, à commencer par les phénomènes psychiques. Mais, si la démonstration ne peut produire sa propre exigence sur certains objets, elle ne peut pas non plus la porter sur elle-même! En effet, au sein même de la démonstration, il semble que tout ne soit pas démontrable! Il faut bien, en effet, que la démonstration parte de quelque chose, qu'elle ait des prémisses qui ne sont elles-mêmes évidemment pas démontrées. Si elles étaient démontrées, elles le seraient pas des propositions qu'il faudrait à leur tour démontrer, et cela serait proprement sans fin (régression à l'infini). Il faut donc bien arrêter de démontrer, au moins en ce qui concerne le point de départ qu'on postule alors. En effet, les axiomes (prémisses donc, points de départ) sont des postulats: si on les accepte, on pourra aller à partir d'elles et grâce à elles, plus loin grâce à la démonstration. Ainsi, on peut même accepter un postulat contre-intuitif comme point de départ du moment que le système de démonstration demeure cohérent, non-contradictoire. De ce fait, la démonstration s'appuie sur quelque chose qui n'est pas démontré, quelque chose qui trouve sa propre vérité autrement que par une démarche nécessaire. Sur quoi repose alors la démonstration? Si on fait de la démonstration un critère de vérité (comme cheminement et non comme résultat), elle repose donc sur quelque chose qui n'est pas soi-même vrai. A moins qu'on admette au fond un autre accès à la vérité, un accès qui ne soit pas de l'ordre d'une démarche, qui ne soit pas discursif (c'est-à-dire qui passe par les étapes du discours qui raisonne) mais intuitif. Dans l'intuition, en effet, je ne passe pas par le biais d'un cheminement discursif, mais je saisis quelque chose immédiatement (et non par la médiatement par le biais d'une série d'étape) comme une évidence. Qu'est-ce que l'on signifie par évidence? Quelque chose qui porte lui-même la marque de sa propre vérité: la vérité est alors saisie d'un coup si l'on peut dire, à travers une expérience qui me livre quelque chose de certain. Par exemple, je ne peux pas démontrer par un nombre d'étape fini, pourquoi j'aime quelqu'un, je ne peux pas démontrer qu'une ligne droite est le plus court chemin entre deux points. Dans le premier cas, un sentiment est vécu en première personne comme une évidence psychologique (je l'aime sans pouvoir l'expliquer « par a + b »). Dans le deuxième cas, j'en fais l'expérience dans l'espace immédiat: je ne le démontre pas, je montre. On ne peut donc pas tout démontrer: il y a d'autres voies d'accès à la vérité que la démarche discursive et algorithmique. On comprend donc qu'on ne peut tout démontrer. La démonstration est au fond garante d'une vérité, au sens de validité logique, qui n'est pas la seule voie possible. L'homme accède au propre des sentiments par d'autres voies plus médiates et intuitives. Certaines choses comme les sentiments, la réalité, Dieu, peuvent être le fruit d'un donné immédiat, d'une expérience irréductible en première personne où la chose m'apparaît d'un coup d'un seul. Si la démonstration est garante en bien des domaines de la vérité, il demeure donc des zones irréductibles, ou même des limites internes et externes à l'exercice même de la raison.