L`édition indépendante en Italie

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L’édition indépendante en Italie
Barbara Bechelloni
Communication & langages / Volume 2011 / Issue 170 / December 2011, pp 63 - 72
DOI: 10.4074/S0336150011014050, Published online: 02 January 2012
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Barbara Bechelloni (2011). L’édition indépendante en Italie. Communication &
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L’édition indépendante
en Italie
L’indépendance éditoriale
BARBARA BECHELLONI
« Le futur appartient à qui étudie davantage, à qui lit
davantage, et a ainsi plus d’instruments pour connaître
et comprendre le monde complexe dans lequel nous
vivons, et j’espère que les Italiens auront un futur. »
Emilia Lodigiani (Iperborea)
1. À L’ORIGINE DES ÉDITEURS INDÉPENDANTS
Il est possible de rapprocher le concept d’édition
indépendante de celui d’édition de « culture », celle-ci,
faudrait-il dire, puisant même ses racines dans la Rome
de l’époque classique. Mais c’est au XIXe , siècle du
Risorgimento, que « l’édition de culture » intensifie
sa production, déclenchant un processus graduel de
diffusion des connaissances. Les années de l’Unification
sont marquées par la croissance de projets pédagogiques
populaires pour l’éducation du bon Italien, véhiculés
par des éditeurs tels Utet (1791), Libreria Salesiana,
Paravia (1802), Gaspero Barbèra (1854). Dès le début
du XXe siècle, se profile déjà une production éditoriale
scindée en deux types d’édition qui se définissent
respectivement comme « édition de culture » et « édition
de consommation », cette dernière répondant à des
besoins de divertissement et de loisir, manifestés par
un public de plus en plus nombreux. Cette distinction
caractérisera toute l’histoire éditoriale italienne du XXe
siècle jusqu’à nos jours. C’est ainsi que naissent les
éditions Laterza (1901) et des revues comme La Voce de
Giovanni Papini (1908). Si les années vingt sont pour
certains éditeurs des années difficiles, elles permettent à
Après un bref aperçu historique sur
l’évolution de l’édition de culture en
Italie, qui puise ses racines dans la Rome
de l’époque classique et de laquelle est
née au cours des temps l’idée d’édition
indépendante, l’auteur examine sur la
base de plusieurs typologies d’éditeur
les caractéristiques de l’édition indépendante en se référant à ses développements enregistrés dans la première décennie du XXIe siècle. À partir d’enquêtes
spécifiques sur la petite et moyenne
édition, l’article fait état des chiffres
du marché et de la production du livre
dans ce secteur. Une étude panoramique
de quelques éditeurs choisis comme
exemples d’une édition indépendante qui
connaît du succès vient clore cet essai.
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d’autres d’augmenter le nombre de titres de leur catalogue, comme c’est le cas
de la Nuova Italia avec ses livres de pédagogie et de philosophie ou encore de
la Hoepli, désormais consolidée, avec ses manuels technico-scientifiques. Ce sont
aussi les années de l’« éditeur idéal » de Piero Gobetti (1925), intellectuel turinois,
représentant de la culture libérale ouverte au dialogue avec les socialistes (et
les communistes). C’est précisément Gobetti qui écrit combien il est important
qu’un éditeur parvienne à susciter des « mouvements d’idées », à être en même
temps homme de bibliothèque et de typographie et habile entrepreneur capable
de multiplier les affaires1 . C’est dans cette optique qu’il choisit ses auteurs et qu’il
cherche à découvrir les nouvelles voies de la littérature. Il publie ainsi le premier
recueil de poésie d’Eugenio Montale, Ossi di seppia (Os de seiche), qui allait devenir
une étape capitale de la poésie italienne du XXe siècle. Idée d’éditeur que nous
retrouvons, dûment actualisée, dans l’édition indépendante d’aujourd’hui.
Dans les années trente naît l’« éditeur protagoniste », « capable d’imprimer une
forte personnalisation à son projet et au processus complet qui va du choix du texte
à la circulation du produit »2 . Nous parlons d’éditeurs comme Bompiani (1929),
Rizzoli (1927), Einaudi (1933), Guanda (1932) qui ont fait l’histoire de l’édition
de culture en Italie. La deuxième moitié du siècle a été caractérisée notamment
par les Edizioni Comunità (1946), création de l’entrepreneur-intellectuel d’Ivrea
Adriano Olivetti, par Il Mulino (1954) et Il Saggiatore (1958). Dans les années
soixante, apparaissent, entre autres, Marsilio (1961), Adelphi (1962) et Dedalo
(1965) ; ce sont les années de Don Lorenzo Milani et de l’école de Barbiana3 ,
de la publication de L’homme unidimensionnel d’Herbert Marcuse, tous deux
représentants d’une « culture alternative ». Beaucoup, aujourd’hui, sont devenus
de très grandes maisons d’édition ou ont été englobés dans de grands groupes,
parfois même des multinationales4 . Les petits éditeurs se lançaient alors dans
l’arène, mus par une forte passion idéologique, afin d’occuper des espaces
politiques : ils considéraient le livre plus comme un instrument de lutte que
comme une source de débat. En 1969, avec la tuerie de la piazza Fontana à
Milan, commence la période des « années de plomb » ; c’est l’Italie de la
« stratégie de la tension » et des attentats terroristes. Dans ce contexte, et par le
recours à la traduction, l’édition assure le métabolisme des différents ferments
de changement en proposant une nouvelle offre éditoriale à un public qui, pour
des raisons diverses, politiques et culturelles, se montre très demandeur de livres
et d’information au sens large. À la fin de ces années-là, la crise économique
était galopante et le marché de l’édition drastiquement freiné : ces deux aspects
rendaient difficile la vie de beaucoup d’éditeurs, quelle que soit leur taille. Les
ouvrages d’essais étaient en nette régression alors qu’augmentait la production
du secteur des loisirs avec des titres de cuisine, jardinage, sport, jeux, en d’autres
1. Piero Gobetti, L’editore ideale, Taranto, Lacaita, 2006 [1925].
2. Gian Carlo Ferretti, Storia dell’editoria letterarie in Italia. 1945-2003, Turin, Einaudi, 2004, p. XI.
3. Paraît en 1967 Lettera a una professoressa (Lettre à une professeure), aux soins de Don Milani et de
l’école de Barbiana.
4. Par exemple : Groupe Rizzoli, Mondadori, Mauri Spagnol.
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termes, tout ce qui correspond à des distractions et passe-temps. Cette situation est
la conséquence, peut-être, d’une overdose d’engagement politique.
La décennie quatre-vingt est celle du roman best-seller, mais aussi des séries
TV Dallas et Dynasty, terrain fertile pour l’explosion sur le marché d’un nouveau
phénomène éditorial : le roman rose, qui n’a cependant pas suffi à sortir
l’édition de l’impasse. D’une part, le lectorat, qui a augmenté significativement,
il est vrai, dans les années soixante-dix, marque alors le pas et d’autre part,
l’inflation croissante empêche les éditeurs d’investir. Jusqu’à la moitié des années
quatre-vingt, beaucoup de maisons d’édition durent fermer et, même si de
nouveaux labels continuaient à apparaître5 , le nombre d’éditeurs est passé de 2
056 à 1 933 et l’on a enregistré la plus faible augmentation de la production
depuis 19566 . Quelques signes de reprise se manifestent vers la fin de la décennie,
notamment avec la naissance en 1988 du Salon du livre de Turin. Ce dernier
deviendra la principale foire de l’édition italienne, avec pour unique inconvénient
de représenter, au fil des années, une vitrine importante pour les grands éditeurs,
mais bien moins pour les petits et moyens devenus entre-temps beaucoup plus
nombreux. Avec l’expansion de certaines maisons d’édition s’estompe peu à peu
la figure de l’éditeur « protagoniste », à l’identité culturelle précise, portée par ses
auteurs et ses titres. Cette figure laisse peu à peu place à une classe hétérogène de
managers et de dirigeants.
La première partie des années quatre-vingt-dix est marquée par un déclin
économique7 qui a donné lieu à d’importants changements structurels. Le nombre
de titres augmente, mais les tirages moyens diminuent, tout comme les rééditions ;
le nombre de pages se réduit et les prix de vente s’effondrent (-26,4 %). C’est alors
que même des collections prestigieuses sont mises sur les rayons des remainder’s
(soldeurs), avec des rabais allant jusqu’à 75 %. Les plus grands éditeurs diminuent
le nombre de leurs nouveautés et travaillent sur leur catalogue. Selon Cadioli
et Vigini, « on procédait par expériences et coups d’imagination ; on cherchait
des formules ; on explorait des terres nouvelles, que l’on cultivait quelque temps
pour les abandonner ensuite si elles ne donnaient immédiatement aucun fruit »8 .
Mais, comme cela arrive très souvent, la crise, aiguisant l’ingéniosité, est porteuse
de nouvelles idées et l’on a observé des initiatives éditoriales courageuses et
importantes comme celles portées par la Donzelli (1992) et par Nino Aragno
(1998), misant l’une sur la littérature engagée et l’autre sur les œuvres classiques.
Ces années sont aussi celles du phénomène des Millelire. Ce sont de petits
volumes, des opuscules de peu de pages et de petit format, vendus à 1 000
lires. Cette collection de l’éditeur Marcello Baraghini et de sa maison d’édition
Stampa Alternativa a été reprise en France par les éditions Mille et une nuits
5. Entre autres : Costa & Nolan, Marcos y Marcos, Piemme, Il Sole 24 Ore.
6. Alberto Cadioli et Giuliano Vigini, Storia dell’editoria italiana dall’Unità ad oggi, Milan, Editrice
Bibliografica, 2004, p. 137.
7. L’augmentation du chiffre d’affaires de 1989 à 1990 avait été de +9,6 %, alors que de 1990 à 1991, elle
avait baissé de moitié avec un taux de +4,8 % pour continuer à chuter jusqu’à zéro les années suivantes.
(Alberto Cadioli et Giuliano Vigini, Storia dell’editoria italiana..., op. cit., p. 137).
8. Alberto Cadioli et Giuliano Vigini, Storia dell’editoria italiana..., op. cit., p. 144.
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en 19939 . C’est également pendant cette période que débute ce processus de
concentration au cours duquel de nombreuses et importantes maisons d’édition
ont été reprises par de grands groupes sans pour autant perdre leurs marques,
qui, dans certains cas, sont même devenues de puissants labels de qualité. Par ce
mouvement, l’édition s’est détachée d’un monde traditionnellement artisanal et,
d’une certaine manière, rassurant, pour s’engager dans un monde nouveau dont
les lignes directrices de développement et les enjeux n’étaient encore pas très clairs
à la fin du XXe siècle. Seul était perceptible un mouvement de forte accélération
d’un processus d’intégration de l’édition électronique et multimédia dans le champ
professionnel. Le succès d’un éditeur semblait alors dépendre essentiellement
de son aptitude à saisir rapidement les éléments importants des processus de
changement pour les transformer en sources de profits. La technophilie du
moment et l’enthousiasme qu’elle a pu soulever ont conduit à croire en l’idée
d’une production et d’un marché intégrés dans le cadre du développement des
« industries des contenus », dont l’édition était perçue comme une composante
assurant la production d’information, de divertissement et de spectacle. Selon
cette représentation, édition traditionnelle et édition électronique devaient alors
constituer un système capillaire de communication véhiculant ces contenus dans
le cadre d’une large convergence entre les divers médias, y compris le cinéma et la
télévision.
Ces perspectives ont certainement ravivé le monde éditorial italien qui, amené à
formuler de nouvelles réflexions et à s’engager dans de nouvelles expérimentations,
a ouvert la voie aux années 2000, décennie définie comme celle du « nomadisme
éditorial ». L’édition a acquis de nouvelles compétences, opérant sur différents
marchés, mêlant celles de l’éditeur traditionnel à celles du manager, mieux capable
de gérer économiquement et financièrement une entreprise pour produire des
revenus substantiels. Ces dernières années, on a parlé du risque, théorisé par
André Schiffrin, d’une « édition sans éditeur »10 dans laquelle une programmation
articulée du catalogue céderait le pas à la toute puissante logique du profit et des
affaires. À cette tendance décrite par Schiffrin s’ajoute, dans le cadre italien, le fait
que les éditeurs connaissent un contexte éditorial général devenu plus complexe :
le public s’est diversifié et fragmenté en même temps que le choix des publications
a considérablement augmenté. C’est dans ce cadre que l’on voit naître beaucoup
de petits et moyens éditeurs11 , de plus en plus indépendants, avec des offres
originales, des stratégies innovantes et des typologies éditoriales qui se démarquent
des politiques des grands groupes.
L’éditeur italien, pourrait-on dire, a navigué à vue, cherchant à comprendre
comment se restructurer et trouver de nouveaux débouchés. L’attention se porte
davantage sur les réalités locales, sur les ressources et leur gestion. La prédiction
9. Le premier titre, Lettre sur le bonheur d’Épicure, en 1993, devint un véritable best-seller.
10. André Schiffrin, L’Édition sans éditeur, Paris, La Fabrique-Éditions, 1999 (trad. it., Editoria senza
editori, Turin, Bollati Boringhieri, 2000).
11. Les petits et moyens éditeurs augmentent de même que leur présence dans les circuits de vente. En
2007, ils étaient 2 456 et ont augmenté de +7,5 % de 2006 à 2007 (5-10 titres = 1 259 ; 11-50 titres = 1
197). Source AIE (Associazione italiana editori).
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d’André Schiffrin est encore loin de se réaliser en Italie : si une large part du
marché est en effet occupée et gérée par des éditeurs managers, forte est la présence
d’éditeurs dont la gestion n’a rien de managérial. C’est même contre cette tendance
que sont nés de si nombreux éditeurs indépendants, renouveau de la démographie
éditoriale. Ce nouvel ensemble d’acteurs a conduit à la création, en 2001, de la Foire
de la petite et moyenne édition sous le slogan « Plus de livres plus libres ».
2. CARACTÉRISTIQUES DE L’ÉDITION INDÉPENDANTE
En Italie, l’« édition indépendante » est à considérer comme l’activité éditoriale
exercée par un nombre croissant de petits et moyens éditeurs qui entendent
proposer une alternative culturelle aux grands groupes éditoriaux. D’un point de
vue quantitatif, on s’accorde à désigner comme tels les éditeurs qui publient de
5 à 50 livres par an ; leur nombre est passé de 1 530 en 2001 à 2 653 en 200812 .
L’augmentation de 14,5 % du nombre des plus petits (5 à 10 titres par an) entre
2007 et 2008 s’explique surtout par l’utilisation des nouvelles technologies dans le
secteur. Celles-ci, d’une part, permettent de simplifier les phases de composition
et d’impression et, d’autre part, favorisent l’engagement des éditeurs sur de plus
nombreux types de productions. L’abaissement des barrières techniques a permis
à un plus grand nombre d’acteurs, professionnels comme amateurs, de prendre
pied dans le champ de l’édition.
La diversification du paysage éditorial va toutefois de pair avec la disparition, à
brève échéance, de bon nombre de ces structures nouvelles. Pourtant, la plupart
des éditeurs indépendants, en dépit d’innombrables difficultés, parviennent à
développer une politique éditoriale dans la durée, à prendre une part de marché
et à s’assurer de la fidélité d’un certain public. En outre, ces productions, dans
certains cas, s’enracinent sur le territoire en s’ouvrant aux identités culturelles
locales. Elles réussissent, comme l’« éditeur idéal » de Gobetti, à être plus proches
de leurs auteurs et à participer activement à ce qu’il advient d’important dans
les différents domaines du roman, de l’essai et de la recherche. Les éditeurs de ce
type, pourrait-on dire, participent au « mouvement culturel » de leurs régions et
contribuent, dans certains cas, à « exporter », dans le cadre national, leurs propres
auteurs et leurs propres histoires13 .
Chaque mois naissent à peu près soixante-dix éditeurs dans un contexte global
d’environ 8 000 maisons d’édition, mais tous bien sûr ne sont pas destinés à
avoir visibilité et succès. Dans ce grand vivier bigarré qu’est devenue l’édition
italienne se côtoient d’excellents et de moins bons éléments qui engendrent
au final environ 200 livres par jour entre nouveautés, nouvelles éditions et
réimpressions.
L’aire géographique où l’on enregistre la plus forte croissance du nombre de
librairies et des ventes de livres en librairie est celle de Rome et du Latium. Durant
ces quatre dernières années, le développement du chiffre d’affaires a été trois
12. Source AIE.
13. Que l’on pense par exemple aux éditions sardes Il Maestrale et à des auteurs comme Giuseppe Dessì,
Gavino Ledda et Salvatore Niffoi.
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fois supérieur à celui du pays (+6,4 % de croissance des ventes dans le Latium
et +2,2 % sur le plan national). Cet écart s’explique avant tout par un profond
renouvellement du réseau des librairies et des points de vente. De nouvelles
structures se sont ouvertes, d’autres ont agrandi leur surface commerciale ou se
sont réorganisées pour une meilleure exposition de leur offre. Mais surtout, elles
ont adopté de nouveaux formats commerciaux répondant mieux aux changements
des comportements d’achat des lecteurs et de leur consommation du produit.
D’autres raisons d’ordre structurel concernent directement ou indirectement
les politiques de la lecture. Le réseau des bibliothèques a amélioré les services
aux usagers en réalisant des efforts dans le domaine de la communication, en
renouvelant et enrichissant leurs collections. Il a ainsi accru l’attention et l’intérêt
portés au livre et à la lecture, mettant en évidence un cercle vertueux entre les
pratiques de lecture et le marché. Partant, si la pénétration de la lecture comme
loisir dans la population des plus de six ans est en Italie de 43,8 %, elle est dans le
Latium de 45,2 %, ce qui correspond à un écart significatif.
Si le Latium est un exemple particulièrement positif, on ne peut omettre
de signaler toutefois d’autres réalités locales intéressantes. On citera le cas de
la Sardaigne et de l’Association des éditeurs sardes, qui comptait en 2006
45 maisons d’édition avec 300 nouveautés par an et qui imprimait 600 000
exemplaires14 .
C’est justement pour exposer et faire entendre ces éditeurs indépendants que la
foire de la petite et moyenne édition Più libri più liberi (Plus de livres plus libres) a
été créée en 2002. Cette foire se tient chaque année au mois de décembre à Rome
au Palais des congrès de l’EUR. Organisée par l’Association des éditeurs italiens,
elle représente le plus important moment de rencontre entre un public de plus en
plus vaste15 et un nombre croissant d’éditeurs indépendants16 , avec des résultats
de vente chaque année plus satisfaisants17 .
3. LES CHIFFRES DE LA PETITE ET MOYENNE ÉDITION
En 2001 ont été répertoriées 4 226 marques éditoriales, y compris celles
d’organismes publics, privés, religieux, d’associations, d’entreprises, etc. De 1990
à 2001, leur nombre a augmenté de 66,4 %18 . Environ 8,5 % de ces structures
publient plus de 50 titres par an, 23,9 % entre 11 et 50 titres par an (tout
en disposant d’une distribution nationale ou à l’échelle de plusieurs régions).
Enfin, 67,6 % publient de 1 à 10 livres par an. Ces dernières ont une production
occasionnelle – moins d’un livre par mois –, ce qui laisse supposer une organisation
14. Voir aussi les actes du Colloque sur la petite édition qui s’est tenu à Cagliari en mai 2006.
15. En 2009, le nombre de visiteurs s’est élevé à plus de 55 000, soit +10 % par rapport à 2008. En 2002,
ils étaient 30 000. (Source AIE.)
16. En 2009, il y eut 409 exposants dont 95 provenant du Nord Ouest, 47 du Nord Est, 188 du Centre,
75 du Sud et des Îles et 4 de l’étranger. En 2002, les exposants étaient au nombre de 262. (Source AIE.)
17. On a enregistré une hausse de 20 % dans les ventes. En 2008, ont été vendus 75 000 titres contre
40 000 en 2002. (Source AIE.)
18. Cf., Rapporto sulla piccola e media editoria in Italia, présenté par le Bureau d’études de l’AIE.
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de type familial ou la simple expression d’un passe-temps ou d’une activité
secondaire. On peut estimer que le développement de ces petites éditions est dû
à certaines particularités du marché de la lecture en Italie. Il répond en fait à une
demande de livres issue de secteurs cultivés et exigeants du marché et à des besoins
de lecture très ponctuels, spécialisés et segmentés19 . Toutefois, les entreprises plus
structurées20 ou celles qui publient plus de 11 titres par an avec des services
commerciaux efficaces sont environ 700, auxquelles il faut ajouter les 180 maisons
d’édition qui ont les caractéristiques nécessaires pour entrer dans cette catégorie.
On peut donc chiffrer au total à 880 les maisons d’édition moyennes et petites qui
ont une activité éditoriale régulière, une équipe éditoriale, même minime, et qui
publient au moins un titre par mois. Les chiffres d’affaires de ces entreprises qui
comptent au moins deux employés, dont l’éditeur propriétaire, sont compris entre
50 000 et 6 millions d’euros.
Selon une enquête du Bureau d’études de l’AIE réalisée en 2002, le tirage
moyen des petites maisons d’édition était alors de 1 929 exemplaires, en dessous
du tirage moyen global relevé par l’Istat21 qui est de 4 100 exemplaires. Il faut
en outre préciser que 30 % des petits et moyens éditeurs tirent moins de 1 000
exemplaires par titre. Cette donnée révèle une situation critique quant à l’accès
aux circuits de vente. Les grands distributeurs, les seuls qui seraient en mesure de
garantir une présence capillaire sur le territoire, ne prennent pas en considération,
dans la plupart des cas, les petits éditeurs, qui du reste ne peuvent se permettre
que très difficilement de supporter le poids économique d’un tel service. Ainsi,
des distributeurs secondaires se sont établis, qui opèrent principalement au plan
régional et qui permettent à l’éditeur, d’une part, de couvrir le plus large territoire
possible et, d’autre part, de sélectionner, avec plus de soin, les lieux et les librairies
où leur production sera proposée. Il n’empêche que la distribution demeure le
problème principal des petits éditeurs indépendants. C’est pourquoi il est de plus
en plus important de favoriser les occasions où les éditeurs ayant les mêmes
caractéristiques et les mêmes problèmes puissent se rencontrer et aussi établir un
contact avec leurs lecteurs, se faire connaître et vendre. Ces manifestations comme
celle de la foire Più libri più liberi et d’autres, moins importantes, de caractère plus
local, se sont multipliées dans toute l’Italie22 .
En ce qui concerne les nouveautés, les petits et moyens éditeurs dépassent
la moyenne nationale qui est d’environ 60 %, et publient surtout des nouveaux
titres plutôt que des réimpressions. Des 274 éditeurs considérés dans la recherche
de l’AIE, 70,1 % déclarent que le nombre de publications par an dépend à
19. Giovanni Peresson, Rapporto sulla piccola editoria in Italia, présenté par le Bureau d’études de l’AIE,
in Cahier n◦ 6 du Giornale della libreria, novembre 2003, pp. 7-8.
20. Il faut entendre par là ces entreprises qui ont une continuité de production, un projet et un plan
éditorial, une direction, une rédaction, un réseau de collaborateurs et des rapports suivis avec des
entreprises de prépresse, impression et post-presse, distributeurs et promoteurs.
21. Institut national de statistique.
22. Par exemple, le Salon de la petite et moyenne édition indépendante de Milan a tenu sa seconde
édition en 2010.
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la fois de la nécessité de se constituer un catalogue et du fait que la librairie
valorise davantage, en fait d’exposition et de vente au public, la nouveauté que
les titres du fonds. À ce propos, 9,1 % seulement des 274 maisons d’édition
enquêtées indiquent que leur production est présente sur les rayons d’au moins
mille librairies, tandis que 72,6 % déclarent être présentes dans moins de cinq
cents. En moyenne, donc, la production de la petite et moyenne édition a été
présente en 2002 dans 353 librairies italiennes : un fait qui s’explique en partie par
la tendance à la spécialisation de leur production, mais aussi parce que beaucoup de
librairies sont peu enclines à «investir» du temps et de l’espace d’exposition dans de
nouveaux projets éditoriaux, sur de nouveaux titres et auteurs. Ce comportement
des librairies, lesquelles continuent toutefois à représenter la principale voie d’accès
au marché, a connu un changement entre 2002 et 2009. Tout d’abord, on signalera
ici que le nombre de titres disponibles au catalogue de ce type de maisons a doublé
entre 2001 et 2008, passant de 70 912 titres à 139 177. Les éditeurs indépendants,
en 2009, voient leurs ventes augmenter dans tous les circuits et notamment dans le
circuit des ventes en ligne (+34,7 %). Les ventes de ces éditeurs croissent de 21,5 %
dans les chaînes de librairies et de 5 % dans les librairies traditionnelles, alors que le
chiffre d’affaires global de l’édition italienne est en baisse de -2,8 %23 . Les éditeurs
indépendants augmentent plus que le reste du marché et, si l’on exclut la grande
distribution, la croissance par rapport à 2008 pour les petits éditeurs est de plus de
12,9 %, contre 0,5 % pour les grands.
Entre 2000 et 2002, la petite et moyenne édition a représenté environ 33 % de
l’activité globale de la filière, et son chiffre d’affaires est passé de 529,8 millions
d’euros à 533,1 millions (+0,6 %). Sur la base de toutes ces données, il apparaît que
le bilan des activités éditoriales indépendantes est positif. Ce qui pourtant ne doit
pas faire oublier les difficultés que doivent affronter chaque jour ces éditeurs pour
mener à bien leur projet.
4. QUELQUES ÉDITEURS ET LEURS CARACTÉRISTIQUES
Les éditeurs indépendants italiens se distinguent, dans l’ensemble de leurs activités,
par leur souci et leur capacité d’explorer de nouveaux domaines : ils s’appliquent à
mettre en œuvre une politique éditoriale innovante.
Citons par exemple les Edizioni Lavoro, les éditions e/o, Iperborea, Pisani,
ObarraO, Minimumfax, qui proposent des auteurs issus du Nord et du Sud et
que les grands éditeurs négligent. La Giuntina, avec ses collections de littérature
ancienne et moderne et de culture hébraïque, d’ouvrages sur la shoah, est aussi
représentative de cette prise de risque. La politique éditoriale s’inscrit alors dans
un élargissement à de nouvelles frontières littéraires et culturelles, qui intéressent
peu les grandes maisons.
Iperborea (Milan 1987) se propose de faire connaître en Italie la littérature du
Nord de l’Europe, qu’il s’agisse d’auteurs contemporains ou classiques, et aussi
des prix Nobel. Elle s’occupe de pays scandinaves (Suède, Danemark, Norvège
23. Données de l’AIE et du Giornale della Libreria qui se réfèrent à la période de janvier à novembre
2009.
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et Finlande), de romans néerlandais, estoniens, islandais (y compris d’anciennes
sagas médiévales) et, depuis 1998, publie une collection d’essais littéraires pour
proposer aux lecteurs des approfondissements de thèmes. Elle publie environ 10-12
nouveaux titres et 15-20 réimpressions par an.
L’éditeur de La Giuntina (Florence, 1980), Daniel Vogelmann, a choisi comme
premier titre La Nuit d’Elie Wiesel pour sa collection « Schulim Vogelmann », qu’il
dédie à son père rescapé du camp d’Auschwitz. Son catalogue compte aujourd’hui
jusqu’à 450 titres, chacun représentant, selon les termes de l’éditeur, « une porte
d’entrée dans l’histoire et la culture hébraïques ».
Mais l’innovation passe aussi par la proposition de nouveaux langages et de
nouveaux genres tels que le « roman noir » méditerranéen des éditions e/o ou
de Marcos y Marcos, la science-fiction de Fanucci, la BD ou roman graphique de
Coconino Press, Becco Giallo, Coniglio editore ou encore les nouveaux auteurs
italiens et étrangers, proposés par Fazi avec John Fante, Voland avec Amélie
Nothomb et l’éditeur Castelvecchi.
Les éditions e/o, créées à Rome à la fin des années soixante-dix par Sandro
Ferri et Sandra Ozzola, ont choisi, au début, de franchir les frontières littéraires de
l’Europe de l’Est et d’établir et stimuler un dialogue entre les cultures de ces pays
et l’Italie. Puis ces éditeurs ont élargi leurs horizons pour explorer la littérature
américaine sans cesser de se pencher sur l’aire méditerranéenne et en particulier sur
le « roman noir », avec des auteurs comme Jean-Claude Izzo et Massimo Carlotto.
Ainsi présentent-ils la collection du roman noir méditerranéen : « À l’origine il y a
la Bible, le premier livre né sur les rives de la mer Méditerranée, le premier recueil
d’histoires de crimes et de violences. Dès le début, avec l’homicide d’Abel par Caïn,
le Livre des livres nous dit que l’histoire de cette mer, de cet espace, se développe
sous le signe de la violence. Violence fratricide, vexation, pillage. Le crime existe,
nombreuses en sont les raisons qui résident dans l’âme humaine. Tout commence
par un homicide, il y en aura beaucoup par la suite, l’histoire de la Méditerranée
est noire, comme l’âme de Caïn. »
Fanucci (Rome, 1971), de Renato Fanucci, s’est lancée dans la littérature
fantastique, devenant rapidement une référence en matière de romans de
science-fiction, horreur et fantasy. Fanucci a publié des auteurs classiques de ce
genre comme Isaac Asimov, Paul Anderson et de nouveaux écrivains parmi lesquels
Neil Gaiman et Andreas Eschbach.
L’éditeur BeccoGiallo (Trévise, 2005) a choisi la voie du roman graphique avec
une collection de livres consacrés aux faits divers italiens les plus célèbres, tels
Unabomber et I Delitti di Alleghe. Le circuit des librairies non spécialisées en BD
a été retenu afin de toucher un plus vaste public.
Il faut également signaler l’essor de l’édition indépendante dans le secteur de
la littérature pour enfants avec, entre autres, Minerva, Little Nemo, Feguagiskia
Studios, Idest. . .
Les éditions de poésie méritent aussi une attention particulière, de l’historique
maison Scheiwiller à Genesi et Empiria.
Enfin, on citera ces nouvelles réalités issues du développement des nouvelles
technologies, et qui leur sont étroitement liées, comme les éditions de livres
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L’indépendance éditoriale : approches internationales
audio Full Color Sound, Emons Audiolibri, il Narratore audiolibri, Verdechiaro
audiobook.
Si l’édition indépendante se distingue, comme nous l’avons dit plus haut, par le
caractère innovant de ses productions, elle met un soin tout particulier à offrir un
produit de qualité : qualité des traductions et qualité dans l’innovation graphique.
Cette recherche de qualité se manifeste également dans le rapport de l’éditeur avec
ses auteurs, dans l’attention qu’il porte à ses lecteurs et surtout dans la cohérence
de son projet éditorial et culturel qui lui permet de se construire et de conserver
une identité bien reconnaissable de spécialiste.
BARBARA BECHELLONI
communication & langages – n◦ 170 – Décembre 2011