Guillaume Kessler - Droit comparé

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Guillaume Kessler - Droit comparé
Le double marché immobilier et foncier en droit comparé
Loin d’être un simple fantasme, le double marché immobilier et foncier est une technique
utilisée dans de nombreux Etats pour lutter contre la pression du marché et permettre aux
populations autochtones de trouver un logement.
Parmi les techniques de protection utilisées, la plus poussée est bien évidemment
l’interdiction totale d’acquisition d’un bien immobilier par un ressortissant étranger. On en
trouve des exemples dans les Îles d’Aland, en Indonésie, aux Îles Vierges, aux Îles Cook ou
encore aux Philippines. Dans certains de ces Etats, un système de souscription de baux à long
terme a cependant été mis en place pour permettre aux étrangers d’acquérir une résidence
stable. Une impossibilité d’acquérir peut également exister de fait, comme c’est le cas sur
grande partie du territoire écossais ou encore sur l’Île de Sark. Tous ces exemples ne
permettent cependant bien évidemment pas de caractériser l’existence d’un double marché,
l’interdiction ou l’impossibilité d’acquérir y étant absolue.
Pour trouver un double marché de droit, il faut en fait se diriger dans un premier temps du
côté des Îles anglo-normandes. On trouve ainsi, à Jersey et Guernesey, un double marché
officiel. Le marché immobilier et foncier est divisé en deux secteurs : le « local market »,
c'est-à-dire le marché local, réservé aux résidents, et l’ « open market », le marché ouvert aux
étrangers, qui ne concerne que des biens de grande valeur. Le premier n’est accessible qu’aux
personnes présentant un lien important avec le territoire, lien qui peut être caractérisé,
notamment par la durée de résidence, qui peut varier entre 10 à 15 ans selon que l’on est né à
Jersey ou Guernesey, nés de parents résidants ou que l’on exerce une activité vitale, comme
c’est le cas des médecins, par exemple.
A côté de ce double marché officiel, on peut également rencontrer des doubles marchés
innomés. C’est le cas à Malte, à Chypre ou en Thaïlande où la protection du marché est
assurée par un système de zonage doublé d’un prix plancher et d’une superficie maximum.
C’est aussi le cas à Maurice, où des exceptions au principe d’interdiction d’acquisition par des
ressortissants étrangers, le Non Citizens Property Restriction Act, a été amendé pour permettre
à l’Île de profiter de l’apport de capitaux étrangers. Tout individu non-mauricien peut ainsi
acquérir un bien, mais uniquement dans des zones bien délimitées et pour un prix minimum
de 500 000 dollars. Des « Resorts » de luxe ouverts aux étrangers coexistent ainsi avec les
biens immobiliers et fonciers classiques, réservés aux nationaux. On retrouve un système
analogue aux Bermudes, où seules peuvent être achetées des résidences dont la valeur locative
annuelle dépasse les 153 000 dollars pour une villa et 32 400 dollars pour un appartement ou
un logement en copropriété, et à condition de de payer une taxe de 22% de la valeur du bien
pour une villa et 15% pour un appartement ou un logement en copropriété.
Un autre système a été retenu à Monaco : plutôt que de limiter les possibilités d’acquisition
des non-monégasques et compte tenu des prix exorbitants de l’immobilier, la principauté a
opté pour la technique du circuit locatif domanial. Un contrat d’habitation-capitalisation
permet ainsi aux autochtones d’acquérir un droit d’habitation d’un appartement domanial pour
une durée de 75 ans, avec transmission au conjoint ou descendants de nationalité monégasque
en cas de décès.
Parmi les autres techniques envisagées, qui ne conduisent pas vraiment à l’établissement d’un
double marché et qui relèvent davantage des alternatives à cette technique, on peut également
évoquer l’établissement de critères d’intégration de l’acquéreur. Une résidence permanente est
ainsi exigée aux Seychelles et une durée minimale de résidence est fixée en Andorre ou
encore au Lichtenstein. Certaines législations, comme la législation danoise, ont enfin opté
pour une limitation des possibilités d’acquisition d’une résidence secondaire. L’exemple le
plus récent de législation de cette nature peut être trouvé en Suisse où une loi, la Lex Weber, a
été adoptée suite à une votation (référendum d’initiative populaire). Cette loi limite à 20% le
nombre de résidences secondaires par communes. Pour celles dans lesquelles ce taux est déjà
supérieur à 20%, cela conduit à bloquer la construction d’immeubles d’habitation ou d’hôtels.
Des projets de grande envergure, à Crans Montana ou à Verbier, notamment, ont ainsi été
gelés.
Guillaume Kessler
Maître de conférences à l’Université de Corse
ERT Droit et patrimoine