L`Accord sur l`agriculture, après Seattle

Transcription

L`Accord sur l`agriculture, après Seattle
Novembre 2000
Dossier d’information
sur le Commerce et l’Economie
No 2
L’Accord sur l’agriculture,
après Seattle
Synthèse
Introduction
La libéralisation du commerce devrait théoriquement apporter
des bénéfices aux pays développés comme aux pays en
développement. Mais les preuves laissent croire que les mesures
de libéralisation du commerce mises en oeuvre dans le cadre de
l’Accord sur l’agriculture de l’Organisation Mondiale du
Commerce (OMC) et d’autres accords internationaux nuisent
aux consommateurs et aux producteurs les plus défavorisés des
pays en développement. L’application de cet accord encourage –
voire contraint – les pays à intensifier leur agriculture, ce qui
favorise les gros producteurs, l’industrie agro-alimentaire et la
production agricole d’exportation au détriment des petits
agriculteurs. D’autre part, les pays développés continuent de
pratiquer largement un protectionnisme agricole, si bien que les
consommateurs de ces pays ne tirent guère profit du commerce
agricole mondial. Le commerce des produits agricoles est
particulièrement faussé par les subventions à l’exportation, les
excédents de produits étant écoulés sur les marchés extérieurs
à des prix inférieurs à leurs coûts réels de production.
La libéralisation du commerce – c’est-à-dire la suppression ou
l’abaissement des barrières et des politiques qui entravent le
commerce international – a amené d’importants changements
dans les politiques alimentaires et agricoles nationales de ces
vingt dernières années. Un des facteurs a été l’introduction des
programmes d’ajustement structurel de la Banque mondiale et
du Fonds monétaire international au début des années 80. Ces
programmes entraînèrent la libéralisation générale des
économies des pays en développement, qui furent obligés
d’ouvrir leur économie aux importations alimentaires et de
limiter les subventions agricoles.
Bien que les pays développés aient également abaissé certaines
barrières douanières pour les produits agricoles, ils continuent
de subventionner lourdement leur agriculture, par des
paiements directs et des subventions à l’exportation par exemple. Selon l’Organisation de Coopération et de Développement
Economique (OCDE), les pays développés ont dépensé en 1999
360 milliards de dollars US pour l’agriculture (environ sept
fois plus que ce qu’ils ont donné aux pays pauvres dans le
cadre de l’assistance internationale au développement). Le
niveau de protection de l’agriculture dans les pays développés
n’a pas non plus baissé depuis la fin des négociations
commerciales de l’Uruguay Round, en 1993. Subventions et
protection continuent d’assurer la surproduction dans
l’Union Européenne (UE), au Japon et aux Etats-Unis.
Certains pays développés réclament cependant davantage de
libéralisation, tandis que les pays en développement veulent
que l’on remédie aux inconvénients de l’Accord sur l’agriculture
et que les pays développés mettent en oeuvre les engagements
de libéralisation de leurs propres marchés avant d’aller plus
loin. En 2000, à la suite de la Conférence ministérielle de l’OMC
tenue à Seattle en novembre 1999, les gouvernements ont
soumis des rapports au Comité de l’agriculture de l’OMC. Les
négociations doivent démarrer en mars 2001. Etant donné le
rôle central que joue le commerce agricole dans la satisfaction
des besoins humains fondamentaux, Consumers International
demande que les mesures de libéralisation du commerce
agricole soient examinées et révisées de manière à garantir la
sécurité alimentaire pour tous les consommateurs avant que les
pays en développement ne libéralisent davantage le commerce.
La Politique Agricole Commune (PAC) de l’UE reste l’un des
systèmes les plus protectionnistes du monde. Les 15 pays de
l’UE dépensent chaque année 85 milliards de dollars US en
subventions agricoles. Et bien que les Etats-Unis critiquent
vertement la PAC, ils soutiennent de plus en plus leurs
agriculteurs. Ils ont supprimé une grande partie du soutien
aux prix et aux revenus des agriculteurs par un projet de loi
agricole voté en 1996, mais leurs dépenses agricoles globales
L’Organisation Internationale des Consommateurs (Consumers International, CI) soutient et représente les
organisations de consommateurs de par le monde. CI compte a ce jour 263 membres dans 119 pays. Ses
dossiers d’information sur le commerce et les questions économiques offrent un résumé de ses perspectives au
sujet de questions de politiques économique et commerciale spécifiques. Ce dossier d’information ne doit pas
etre considere comme l’expression definitive de la position de Consumers International.
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Organisation of Consumers Unions (S149999).
1
• les mesures de la catégorie bleue : certains paiements
directs versés aux agriculteurs, qui visent à limiter la production et qui ne font actuellement l’objet d’aucune réduction ;
sont passées de 23,4 milliards de dollars (moyenne de 1993
à 1995) à 28 milliards de dollars en 1999. Les Etats-Unis
protègent en outre leurs agriculteurs par une sévère législation
antidumping contre les produits agricoles provenant
des pays en développement.
• les mesures de la catégorie traitement spécial et
différencié : subventions à l’investissement généralement
disponibles à l’agriculture dans les pays en développement,
subventions aux intrants agricoles dans les pays en
développement à faibles ressources et encouragement à la
diversification pour remplacer les cultures de plantes
antinarcotiques. Ces mesures sont exemptes de réduction.
L’Accord sur l’agriculture
L’Accord sur l’agriculture est issu des négociations commerciales du GATT de l’Uruguay Round, qui ont eu lieu de 1986 à
1993. L’agriculture avait été alors soumise aux règles
commerciales multilatérales. L’objectif de cet accord est de
garantir la réduction substantielle et progressive du soutien et
de la protection de l’agriculture et de lancer un processus
pour une plus grande libéralisation du commerce agricole
international.
Au cours de la période qui a précédé la réunion de l’OMC
à Seattle, les Etats-Unis, l’UE et le groupe de Cairns réunissant les
pays exportateurs de céréales (Afrique du Sud, Argentine,
Australie, Bolivie, Brésil, Canada, Chili, Colombie, Costa Rica,
Fiji, Guatemala, Indonésie, Malaisie, Nouvelle-Zélande, Paraguay,
Philippines, Thaïlande et Uruguay) ont insisté pour que soit lancé
un autre cycle de négociations sur la libéralisation du commerce.
Mais étant donné que la planète produit une quantité plus que
suffisante de produits alimentaires pour nourrir sa population et
que plus de 800 millions de personnes souffrent encore de malnutrition chronique, la plupart des pays en développement avaient
d’autres soucis. Il avait été fait remarquer que la faim n’est pas
simplement due à un problème technique de production insuffisante de nourriture, c’est une question d’accès aux stocks et à la
distribution de produits alimentaires.
Pour les pays en développement, cet accord a imposé un
engagement supplémentaire par rapport aux modifications
qu’on leur demandait de faire dans le cadre des programmes
d’ajustement structurel. Il demandait à tous les pays trois types
de réduction.
1) Accès au marché : exige une réduction des tarifs de 36 % et
24 % en moyenne, respectivement pour les pays développés
et les pays en développement, ainsi que la suppression des
barrières non douanières.
L’Inde a indiqué dans un rapport à l’OMC que « l’idée maîtresse
de l’Accord sur l’agriculture semble reposer sur l’hypothèse que
la libéralisation est la panacée de tous les maux du secteur agricole ». L’Inde a indiqué qu’une approche purement basée sur le
marché n’était peut-être pas appropriée pour les pays en
développement, qui doivent avoir davantage d’autonomie pour
établir une politique agricole nationale et pouvoir fournir un
soutien interne. Pour certains pays, il serait peut-être nécessaire
d’adopter une « approche qui ne soit pas seulement basée sur le
marché et qui prenne en compte les préoccupations non
commerciales comme le maintien des moyens subsistance des
paysans et la production suffisante de produits alimentaires
pour répondre aux besoins nationaux ... Bien qu’il ne soit pas
possible de garantir immédiatement que les pays en développement puissent produire au moins un pourcentage minimum de
leurs besoins alimentaires annuels, c’est un but qu’il faut poursuivre ».
2) Soutien national à l’agriculture : spécifie la restriction
des mesures de soutien (voir encadré) de 20 % pour les pays
développés et de 13 % pour les pays en développement.
3) Subventions à l’exportation : réduction du volume des exportations subventionnées de 21 % pour les pays développés et
de 14 % pour les pays en développement, ainsi que réduction
des dépenses de subventions à l’exportation de 36 % pour les
pays développés et de 24 % pour les pays en développement.
Mesures sur le soutien interne
Les règles de l’Accord sur l’agriculture relatives au soutien
interne visent à réduire le niveau des subventions offertes aux
producteurs nationaux, y compris celles qui augmentent ou
garantissent le revenu des agriculteurs. L’Accord fait la
distinction entre :
Le Salvador, le Honduras, Cuba, le Nicaragua, la République
dominicaine et le Pakistan ont fait remarquer que l’amélioration
que l’on espérait de l’accès au marché des pays développés ne
s’était pas concrétisée. Pour créer de « véritables opportunités
commerciales », les futures négociations devront tenir compte de
la nécessité de « développer un ensemble de mesures visant à
améliorer la sécurité alimentaire du pays, à maintenir le niveau
de vie de la population rurale ... et exempter ces mesures de
l’engagement de réduction ».
• les mesures de la catégorie orange : programmes de soutien
qui encouragent directement la production. Elles déséquilibrent le commerce et doivent donc être abolies ;
• les mesures de la catégorie verte : politiques générales de soutien à l’agriculture qui n’encouragent pas directement la production (comme recherche et développement financée par des
fonds publics, contrôle des maladies, développement des infrastructures, aide en cas de catastrophes, régimes de retraite pour
les agriculteurs, protection de l’environnement et sécurité alimentaire), mais qui ne peuvent impliquer le soutien des prix
aux producteurs agricoles. Comme elles faussent le commerce
de façon imperceptible, ces mesures sont exclues de tout
engagement de réduction ;
Les pays en développement pourront tirer profit de l’Accord
sur l’agriculture, à condition qu’il soit modifié. Mais il reste
beaucoup de travail à faire, et certains Etats et groupes
socio-économiques rencontreront d’importants problèmes
d’ajustement.
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Preuves
Etudes de cas
En septembre 1999, l’Organisation pour l’Alimentation et
l’Agriculture (FAO) des Nations unies a élaboré une « Synthèse
d’études de cas » sur les répercussions de l’Accord sur l’agriculture sur 16 pays en développement (Bangladesh, Botswana,
Brésil, Egypte, Fiji, Guyane, Inde, Jamaïque, Kenya, Maroc,
Pakistan, Pérou, Sénégal, Sri Lanka, Tanzanie et Thaïlande). En
vertu de l’Accord, 12 des 16 pays avaient diminué leur soutien
interne à leurs agriculteurs.
Les produits de base au Kenya
Au Kenya, après la libéralisation du secteur alimentaire, en 1993,
on a assisté à une très forte augmentation des prix versés aux producteurs pour tous les produits de base, à l’exception du riz ; mais
la répercussion sur la production a été faible. Cette situation est
due à la forte fluctuation des prix à la production et à l’augmentation du coût d’intrants agricoles comme les engrais. En conséquence, la rentabilité des cultures alimentaires a été faible.
Ces études de cas ont révélé que l’Accord sur l’agriculture avait
entraîné une hausse des importations dans ces pays, mais sans
augmentation de leurs exportations. Cette situation obligeait les
agriculteurs à cesser leurs activités et à aller dans les agglomérations, ce qui conduisit à une concentration des propriétés
agricoles.
La libéralisation du commerce des produits de base a également
provoqué une hausse des importations des denrées alimentaires, principalement du maïs, du blé, du riz, du sucre et des
produits laitiers. Les importations subventionnées en provenance de l’UE et des Etats-Unis ont fait baisser les prix à la production, ce qui a eu pour effet de décourager l’augmentation
de la production nationale d’aliments de base.
Certains pays, notamment les petites îles-Etats des Caraïbes et
du Pacifique sud, semblaient rencontrer des difficultés en
raison de la hausse des importations de produits laitiers et
carnés, « avec des effets nuisibles sur les secteurs nationaux
concurrentiels ».
En raison du rôle dominant que joue l’agriculture comme source
de revenus, certaines preuves indiquent que la réforme des
politiques et le libre-échange, à travers le monde, pour les produits agricoles ont eu des conséquences négatives sur la sécurité
alimentaire au Kenya. La production agricole a baissé, ce qui a
réduit la quantité d’aliments disponibles dans le pays.
En Guyane, les importations de produits alimentaires et d’animaux vivants ont quasiment doublé entre 1994 et 1998. « On
craint que, sans une protection adéquate du marché, accompagnée
de programmes de développement agricole, de nombreuses denrées produites traditionnellement dans le pays (lait, volaille, fruits,
jus de fruits, haricots, petits pois, choux et carottes) ne soient
importées et que l’alimentation du pays ne dépende de plus en
plus des produits alimentaires importés. »
A long terme, on espère que les réformes des politiques
amélioreront la compétitivité de la production de denrées agricoles et favoriseront une utilisation efficace des ressources productives. Mais cela ne sera possible que si les producteurs ont
accès à de meilleures technologies et à un cadre institutionnel
de soutien approprié. En l’absence d’un environnement adéquat
permettant cet accès, ces politiques aggraveront le problème de
l’insécurité alimentaire au Kenya car les investissements agricoles baisseront, entraînant une diminution des revenus de la
production alimentaire, de l’agriculture et de l’emploi.
Dans le secteur des produits laitiers du Brésil, « la taille des
exploitations agricoles augmente ... des sociétés utilisant des
procédés à grande échelle s’implantent (Nestlé, Parmalat, par
exemple), et les coopératives traditionnelles font faillite ». Pour
ce qui est du maïs et du soja, les exploitations agricoles
brésiliennes « se consolident … par contraste, les secteurs du
blé, du riz et du coton sont en déclin ».
Les huiles comestibles en Inde
En Inde, après la signature de l’accord de l’Uruguay Round, les
tarifs sur les huiles comestibles passèrent de 65 % à 30 % en 1995.
Ils furent encore réduits à 20 % en 1996 et à 16,5 % en 1998 – des
réductions qui allaient au-delà des engagements de l’Inde au titre
de l’Accord sur l’agriculture. L’Inde venait de connaître une période de rapide croissance de sa production d’oléagineux – qui était
passée de 10 millions de tonnes en 1980 à 21 millions de tonnes en
1993-94. Ces oléagineux se composaient principalement
d’arachide, de colza, de moutarde, de soja et de tournesol. La consommation d’huile comestible passa de 3,3 millions de tonnes en
1980 à 5,4 millions de tonnes en 1993-94, tandis que les importations chutaient fortement, passant de 1,6 million de tonnes à 0,1
million de tonnes dans la même période. En dix ans, l’Inde avait
atteint l’autosuffisance pour ce qui est des huiles comestibles.
Une étude de cas menée au Sri Lanka a révélé que les gens quittaient les zones rurales. « Les importations alimentaires ont
connu une forte augmentation depuis 1996 … La hausse des
importations a en outre été suivie par un déclin de la production
nationale d’un certain nombre de produits alimentaires, ce qui
s’est soldé par une montée sensible du chômage rural. Une perte
de 300 000 emplois aurait suivi la récente chute de la production
d’oignons et de pommes de terre … On considère comme
indispensable une plus grande souplesse des soutiens, à court et
à moyen terme, pour soutenir le développement agricole et la
sécurité alimentaire ».
Quant à l’impact économique général sur les 16 pays, l’étude
indique que « l’on a couramment signalé une inquiétude concernant la tendance générale à la concentration des exploitations
agricoles, dans une grande partie des pays. Bien que cela ait
entraîné un accroissement de la productivité et de la compétitivité, avec des résultats positifs, le processus a également marginalisé les petits producteurs et contribué à augmenter le chômage et
la pauvreté, en raison de la quasi-absence de filets de sécurité ».
Mais des importations à grande échelle d’huile comestible, en
1998 et 1999, firent baisser les prix de l’huile produite dans le pays
et se traduisirent par un volume d’importations dépassant les
4,2 millions de tonnes au cours de la même période. Après être
devenue autosuffisante pour les huiles comestibles seulement cinq
ans auparavant, l’Inde était revenue à son point de départ en
devenant le plus gros importateur du monde.
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La libéralisation du commerce des oléagineux a eu un impact
négatif sur les agriculteurs, l’industrie, le commerce, les consommateurs et l’économie. Les importations massives d’huiles ont nui
aux broyeurs et aux raffineurs. Beaucoup d’entreprises ont fermé
leurs unités de production. Les négociants et d’autres intermédiaires ont été frappés. On estime que les moyens de subsistance
d’au moins trois millions de personnes ont été détruits. On s’inquiète également de la qualité d’huiles importées à meilleur
marché, qui a des répercussions sur la santé du consommateur.
public sur la réglementation de l’industrie alimentaire. Les
consommateurs doivent cependant s’assurer que ces préoccupations ne sont pas des prétextes pour éviter de mettre en oeuvre
les changements dont ont grandement besoin les marchés des
pays développés.
Le lait au Chile
Une étude réalisée par Consumers International sur l’industrie
laitière au Chili révèle que la concurrence déloyale qui domine
les marchés mondiaux et l’oligopole que constitue l’industrie
laitière nationale ont nui aux producteurs comme aux consommateurs. La chute importante des prix mondiaux du lait, provoquée par les subventions à l’exportation dans les pays industrialisés et par les excédents engendrés par la crise économique en
Asie, a entraîné de graves problèmes pour les producteurs de
lait chiliens. Ce ne sont pas les consommateurs qui ont bénéficié
des prix bas, mais plutôt les quelques entreprises qui dominent
le marché en contrôlant les prix d’achat et de vente du lait.
Mais les consommateurs ne sont-ils
pas gagnants ?
La raison d’être de la libéralisation du commerce est que les
ressources et la production aillent là où les coûts sont les plus bas,
et qu’elle suscite l’utilisation la plus efficace des ressources et les
prix les plus bas pour le consommateur, tant dans les pays
développés que dans les pays en développement.
On voit cependant que la réalité est bien plus complexe que
cela. Les consommateurs des pays en développement semblent
peut-être profiter des importations de produits alimentaires bon
marché. Mais ce n’est le cas que si leur pouvoir d’achat ne
diminue pas. La plupart des consommateurs des pays en
développement dépendent directement ou indirectement de
l’agriculture. Les importations alimentaires réduisent le marché
des produits agricoles nationaux et laissent la majorité des
agriculteurs et des ouvriers des industries liées à l’agriculture
sans aucune autre source de revenu possible. Le problème est
aggravé par le fait que les autres possibilités d’emploi sont
limitées.
En 1999, les prix mondiaux du lait sont tombés à leur niveau le
plus bas en raison des exportations fortement subventionnées
provenant de l’UE et des Etats-Unis. Le Chili a commencé à
importer certains produits laitiers pour la première fois et les
prix versés aux producteurs de lait locaux par les usines de
traitement ont alors fortement chuté. Les producteurs de lait
ont fermé boutique, quelque 40 000 personnes étant directement
affectées. Les prix à la consommation sont toutefois restés stationnaires ou ont augmenté, parfois de 12 %. On doit cela au
caractère d’oligopole de l’industrie locale de transformation du
lait, qui appartient principalement à des entreprises étrangères.
Ces dernières années, l’industrie laitière nationale s’est de plus
en plus concentrée, 80 % du marché étant contrôlé par quatre
sociétés.
La libéralisation du marché agricole de l’UE devrait profiter aux
pays en développement, en leur permettant d’accroître leurs
exportations. Les consommateurs européens bénéficieraient de
prix réduits. Selon l’Institute for International Economics, la
libéralisation agricole pourrait procurer aux consommateurs
européens un gain annuel de 15,4 milliards de dollars US.
Soprole, le plus gros importateur de l’industrie, est une entreprise contrôlée par le Dairy Board de la Nouvelle-Zélande, qui
la détient à 51 %. On l’accuse d’importer du lait en poudre et
du fromage de Nouvelle-Zélande. Les producteurs de lait
accusent Soprole d’être directement responsable de la baisse
continue des prix à la production depuis sept ans, en raison de
sa taille (elle contrôle 28 % de la réception du lait à l’usine) et
parce que d’autres usines suivent son exemple. Soprole contrôle
aussi les prix demandés aux consommateurs. En d’autres
termes, Soprole manipule les prix aux producteurs et aux
consommateurs du pays.
Mais même les consommateurs des pays développés risquent
d’être perdants si la libéralisation a pour effet que les petits
agriculteurs doivent cesser leurs activités à cause des grandes
entreprises, et si elle donne un nouvel élan à la concentration des
propriétés foncières. Dans la seule Europe, plus de 200 000
agriculteurs ont cessé leurs activités en 1999.
Si la libéralisation du commerce donne plus de pouvoir aux
grandes entreprises et au monopole des sociétés multinationales, les consommateurs des pays développés et de ceux en
développement pourraient en fin de compte devoir payer leurs
produits alimentaires plus cher, et non moins cher. Bien que la
libéralisation soit censée augmenter le taux de croissance
économique, on risque de voir les multinationales, et non les
consommateurs, tirer le plus grand bénéfice de cette croissance.
Que va-t-il se passer ?
Les membres de l’OMC peuvent soumettre, avant la fin de 2000,
des propositions présentant les objectifs pour les négociations.
Selon l’article 20 de l’Accord sur l’agriculture, sur lequel seront
basées les négociations, il faut prendre en compte les points
suivants :
Les préoccupations des consommateurs vont bien au-delà des
prix et de la sécurité des aliments de base. La qualité de la nourriture, le mode de production, les préférences culturelles, la
durabilité des ressources et la protection de l’environnement,
toutes ces questions sont maintenant discutées dans le débat
1) l’expérience acquise jusqu’ici dans la mise en oeuvre des
engagements en matière de réduction ;
2) les effets des engagements de réduction sur le commerce
agricole mondial ;
4
des négociations en cours, examiner ce problème de façon
systématique.
3) les préoccupations non commerciales, le traitement spécial et
différencié pour les pays en développement membres, ainsi
que l’objectif d’établissement d’un système commercial
agricole juste et axé sur le marché ;
4) tout autre engagement nécessaire pour atteindre l’objectif à
long terme d’une réduction progressive et substantielle du
soutien et de la protection.
Les Etats-Unis et les 18 pays exportateurs de produits agricoles
du groupe de Cairns adoptent des positions similaires les uns
par rapport aux autres. Ils réclament la suppression des barrières commerciales, de fortes réductions de tarifs et l’élimination des subventions à l’exportation. Les pays du groupe de
Cairns veulent pénétrer sur les riches marchés des Etats-Unis,
d’Europe et du Japon, tandis que les Etats-Unis veulent davantage d’accès aux marchés de l’UE et du Japon.
La plupart des pays en développement insistent pour que la priorité soit donnée aux problèmes particuliers qu’ils rencontrent,
notamment les pays importateurs nets de produits alimentaires.
Ils estiment que l’Accord sur l’agriculture les met dans une
position désavantageuse. Bien que l’un des principaux buts de
l’accord est de réduire les subventions dans les pays développés, ce même accord a pour effet d’empêcher les pays en
développement de recourir à des subventions. Ces derniers font
observer que les pays industriels continuent de recourir à des
barrières douanières et non douanières pour restreindre l’accès
aux exportations agricoles des pays en développement, ce qui
entraîne des pertes annuelles de bénéfices à l’exportation de 700
milliards de dollars US. Ils soulignent également que les pays
industriels pratiquent des tarifs plus élevés sur les produits alimentaires industriels que sur les produits non industriels, ce qui
entrave les efforts que déploient les pays en développement
pour ajouter de la valeur à leurs exportations agricoles.
En septembre 2000, l’UE a présenté un document visant les pratiques utilisées par les Etats-Unis, l’Australie et le Canada en
matière d’exportation. Ce document demande que toute future
négociation cherchant à réduire les subventions aux exportations doit également traiter des autres formes de mesures concernant l’exportation qui « faussent le commerce », comme les
crédits à l’exportation. L’UE a indiqué qu’elle était disposée à «
négocier davantage de réductions des subventions à l’exportation à condition que toutes les formes de soutien à l’exportation
de produits agricoles et alimentaires soient traitées sur un pied
d’égalité ».
L’UE et le Japon veulent que les négociations prennent en
compte le caractère « multifonctionnel » de l’agriculture et de la
terre pour que l’on reconnaisse que le secteur agricole, partout
dans le monde, joue un rôle dépassant celui de fournir de la
nourriture – il crée par exemple des emplois et stimule l’économie rurale.
Dans un document soumis à une réunion du Comité de l’agriculture de l’OMC, tenue en juin 2000, un groupe de 11 pays en
développement (République dominicaine, Pakistan, Kenya,
Zimbabwe, Sri Lanka, Cuba, Honduras, Haïti, Nicaragua,
Ouganda et Salvador) a accusé les Etats-Unis et l’UE de créer de
nouvelles barrières contre les importations agricoles provenant
des pays en développement. Les règles actuelles de l’Accord sur
l’agriculture, ont-ils dit, « semblent accorder un traitement spécial et différencié aux pays développés plutôt qu’aux pays en
développement ». L’Accord sur l’agriculture ne s’est pas attaqué
de façon satisfaisante aux préoccupations concernant la sécurité
alimentaire et le développement rural. Ces 11 pays proposent de
créer une « catégorie développement » pour s’attaquer spécifiquement à ces préoccupations.
Les gouvernements examinent actuellement les différentes
propositions, et les négociations devraient commencer en 2001
et durer jusqu’à la fin de 2002.
Recommandations
La mise en oeuvre de l’Accord sur l’agriculture ne s’est pas
attaqué aux préoccupations sur la sécurité alimentaire et le
développement. La libéralisation du commerce pousse les pays
à intensifier leur agriculture en favorisant les gros producteurs,
l’industrie agro-alimentaire et la production agricole
d’exportation au détriment des petits agriculteurs. Les
multinationales agro-alimentaires récoltent les gains.
L’Inde a maintenu son approche non basée uniquement sur le
marché et fait remarquer que comme une grande proportion de la
population rurale des pays en développement dépend de l’agriculture, toute mesure ayant un effet sur l’emploi dans ce secteur
doit être soigneusement examinée. Le ministre de l’agriculture
indien a indiqué que le principal objectif du pays « sera de maintenir la sécurité alimentaire pour notre peuple, qui compte 100
millions d’agriculteurs et 75 millions d’ouvriers agricoles, et de
lutter contre l’Accord sur l’agriculture pour protéger les agriculteurs du tiers monde ».
L’Accord sur l’agriculture doit donc être modifié.
• On doit donner une plus grande priorité à la sécurité alimentaire. On doit permettre aux pays en développement de
prendre des mesures raisonnables pour protéger leurs petits
agriculteurs. Il faut une catégorie « sécurité alimentaire » qui
permettrait aux pays en développement, notamment les pays
importateurs nets de produits alimentaires, d’accroître leur
sécurité alimentaire en protégeant leurs secteurs agricoles
(voir ci-dessous).
• Il faudra peut-être également une catégorie « développement
» pour permettre aux pays de prendre en compte des préoccupations plus générales, comme l’impact de la libéralisation
de l’agriculture sur l’emploi et la concentration des
propriétés foncières dus à la libéralisation.
• Les subventions à l’exportation dont se servent les pays
Les propositions soumises par les pays en développement mettent en évidence les problèmes et les défauts du système de la «
catégorie verte » de l’Accord sur l’agriculture. Ce système permet aux gouvernements de prendre des mesures limitées
(détenir des stocks pour les cas d’urgence, par exemple) et de ne
pas baser les paiements sur les niveaux de production. Les politiques de la catégorie verte doivent être en conformité avec les
règles de l’Accord sur l’agriculture relatives aux mesures de
soutien et non déséquilibrer le commerce. Il faut, dans le cadre
5
aux frontières par exemple. Cela leur permettrait d’accroître la
sécurité alimentaire en protégeant leurs propres marchés et leur
propre secteur agricoles et en les exemptant des exigences
imposées par l’OMC sur l’accès au marché minimum et la
réduction des tarifs. Cela leur permettrait également d’accroître
le soutien interne à l’agriculture jusqu’à ce qu’ils aient atteint
un plus haut niveau d’indépendance alimentaire.
industrialisés pour faire concurrence aux exportations
agricoles des pays en développement doivent être supprimées. Le dumping des produits alimentaires constitue une
menace pour la sécurité alimentaire des pays en développement et une forme de concurrence déloyale.
• Il faut offrir un soutien financier et technique aux pays en
développement pour les aider à faire face aux frais de mise
en oeuvre de l’Accord sur l’agriculture.
• L’OMC devrait procéder à une évaluation complète de
l’impact de l’Uruguay Round sur la sécurité alimentaire, en
se concentrant sur les pays les moins avancés et sur les consommateurs les plus pauvres des pays en développement
importateurs de nets de produits alimentaires. Cet examen
devrait se pencher sur le rôle des multinationales agroalimentaires qui contrôlent la production alimentaire et sur
leur impact sur la sécurité alimentaire. On ne devrait pas
demander aux pays en développement davantage de
libéralisation avant que cette évaluation ne soit faite.
La sécurité alimentaire n’implique pas l’autosuffisance ou
l’indépendance alimentaire. Cela n’est généralement pas le but
des pays en développement, bien que l’on s’inquiète de ce que
le degré d’autosuffisance diminue, créant une trop grande
dépendance vis-à-vis des importations. Les définitions actuelles
de la sécurité alimentaire vont au-delà de la seule quantité de
nourriture disponible ; elles mettent l’accent sur le concept de
droit ou de possibilité des individus, des communautés et des
pays à avoir accès à la nourriture. En tant que tel, c’est un
concept complexe qui englobe non seulement l’accès des
individus à la nourriture, mais aussi la politique de production
et la façon dont les aliments sont produits, commercialisés et
contrôlés. La déclaration du Sommet mondial de l’alimentation
de 1996 reconnaît le rôle du commerce. Mais le fort endettement, la baisse des prix des produits de base à l’exportation
et le fait que les devises sont en général peu abondantes
laissent souvent aux pays en développement peu de marge
pour accroître leurs importations.
Une catégorie sécurité alimentaire ?
Les mesures figurant dans cette « catégorie » pourraient viser
les pays en développement qui ne peuvent investir dans leur
agriculture ou la subventionner, mais qui ont besoin de protéger
les petits producteurs nationaux vulnérables pour leur garantir
la sécurité alimentaire – par le recours à des mesures relatives
Le Programme commercial et économique de Consumers
International se concentre sur des questions clés relatives au
commerce, à la finance, à la concurrence et à l’économie au
niveau international et régional, dans l’intérêt du consommateur. Il cherche à améliorer la capacité des associations de
consommateurs à influencer la prise de décision au niveau
national, régional et international et à fournir des analyses et
des résultats de recherches sérieux pour faire en sorte que la
politique de défense du consommateur soit intégrée à la
politique commerciale et que les politiques économiques visent
à renforcer le pouvoir des individus en tant que consommateurs
pour améliorer leur niveau et leur qualité de vie. Le Programme
est soutenu financièrement par la Fondation Ford.
Bureau régional pour l’Asie et le Pacifique (ROAP)
Lot 5-1, Wisma WIM, 7 Jalan Abang Haji Openg,
Taman Tun Dr Ismail, 60000 Kuala Lumpur, Malaisie
Tél. : +60 3 7726 1599
Fax : +60 3 7726 8599
E-mail : [email protected]
Autres dossiers d’information dans cette série :
1. Vers un nouveau système commercial multilatéral
3. Les Services à l’OMC
Bureau régional pour l’Afrique (ROAF)
Private Bag A6215, Avondale, Harare, Zimbabwe
Tél. : +263 4 302 283
Fax : +263 4 303 092
E-mail : [email protected]
Bureau régional pour l’Amérique latine et les Caraïbes
(ROLAC)
Las Hortensias 2371, Providencia, Santiago, Chili
Tél. : +56 2 335 4695
Fax : +56 2 231 0773
E-mail : [email protected]
Pour plus d’informations, visitez notre site web :
www.consumersinternational.org/trade
Bureau pour les économies développées et les économies
en transition (ODTE)
24 Highbury Crescent, London N5 1RX, Royaume-Uni
Tél. : +44 20 7226 6663
Fax : +44 20 7354 0607
E-mail : [email protected]
ou contactez l’un de nos bureaux :
Siège social
24 Highbury Crescent, London, N5 1RX, Royaume-Uni
Tél.: +44 20 7226 6663
Fax +44 20 7345 0607
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