Grandir avec les livres, avant d`apprendre à lire

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Grandir avec les livres, avant d`apprendre à lire
Grandir avec les livres, avant d’apprendre à lire
Viviane Bouysse
Compte-rendu de la conférence donnée lors des Journées de la Petite Enfance, Cassis, Juin 2013
Nous savons ce que nous devons à l’histoire de l’école publique, particulièrement à la maternelle,
en ce qui concerne la lecture et l’entrée dans la culture par le biais des livres. Cependant le travail
est encore à améliorer pour être plus efficient.
Souvent les enfants sont mis très tôt en contact avec les livres, mais le relais et la médiation sont à
développer. Le travail effectué n'est pas aussi efficace et positif qu'il devrait l'être : on met très tôt
les enfants au contact des livres mais ça manque d'efficacité.
L’entrée dans la culture avant l’apprentissage de la lecture
L’accès à l’objet-livre
Dans la famille, il s’agit de la première approche :
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l’appropriation de l’objet-livre,
l’habitude de manipuler cet objet,
la connaissance de son utilité,
l’apprentissage de son "utilisation", par exemple : tourner les pages ,…
Certains enfants ont acquis ces habitudes, mais ce n’est pas vrai pour tous. Il s’agit donc de
prendre du temps pour leur permettre de toucher les livres, de les découvrir, tout en observant la
manière dont ils s’en saisissent, leurs premières attitudes face au livre. C'est un apprentissage et
une première médiation.
Le choix des livres
Où sont les livres à disposition, comment sont-ils disposés, installés, comment les enfants y ont-ils
accès ? On pourra s’appuyer sur le fait qu’un livre n’est jamais isolé, il est en relation avec d’autres
livres (thème, réseau de lecture,…). L’ordre matériel des livres, le rangement de la bibliothèque
ont du sens. À l’école il y a lieu de prévoir des organisations progressives dans la classe pour aller
du moins formel vers le plus organisé et donc catégorisé (du bac dans la classe vers la
bibliothèque). En parallèle, les élèves seront familiarisés avec les lieux de lecture, à leur
fréquentation, à l’acquisition des gestes culturels adaptés pour faire apparaître des comportements
de "lecteurs cultivés".
Quelle place fait-on aux supports numériques ?
Il s’agit là de ne pas prendre de retard à l’école maternelle par rapport à ces nouvelles
technologies et aux supports culturels de demain. Pour autant l’objet-livre a d’autres vertus et doit
continuer à être utilisé. Il sera intéressant de suivre le lien entre ces différents objets ; pour
exemple, certains supports sont édités en parallèle : livre et support numérique voire autre objet
intégrant des scenarios didactiques et il faut s’y intéresser, notamment en ce qui concerne les
possibilités de travail autonome et le rapport de l’enfant avec le support numérique. Mais il ne
faudrait pas que la seule motivation pour l'utilisation du livre numérique soit de jouer avec un
écran.
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L’accès au livre comme support d’écrit particulier
Le support livre est à distinguer du journal, du magazine ou de la revue. En effet, il s’inscrit dans
le temps, a une pérennité et une unité (histoire, recueil de comptines, recettes,…) qui doit être
repérée progressivement par les enfants :
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par les données de la première de couverture : que nous dit-elle sur ce qu’on va trouver à
l’intérieur, quel est le titre (qui n’est d’ailleurs pas le nom du livre),…
par la continuité au fil des pages, la dynamique, la cohérence. Cette notion est compliquée
pour les tout-petits : la même souris peut être représentée autrement de page en page.
Pour certains enfants "il y a encore une souris, une autre souris", ils sont dans l’ajout et ne
comprennent pas qu’il s’agit du même personnage mis en scène de façons différentes. On
est proche du problème de compréhension des anaphores ensuite (la petite fille, elle, celleci, Boucles d'Or…). Le concept de personnage se construit, il est lent à émerger et il a
besoin d'être explicité.
Le choix des premiers livres avec de tous jeunes enfants est donc d’une grande importance. La
DGESCO propose une liste de 200 ouvrages pour la jeunesse repérés pour l’intérêt qu’ils présentent
avec les très jeunes enfants, particulièrement les "protohistoires".
L'accès au livre comme univers de textes et d’images
Pour les très jeunes enfants, l’accès aux images n’est pas plus évident que la compréhension des
textes. Les images sont donc d’excellents supports d’ateliers de langage.
La connaissance du "sens de lecture d’un livre"
L’orientation du regard est à travailler : la double page, le rapport entre la page de gauche et celle
de droite ; l’enfant apprend progressivement à aller de la page de gauche vers celle de droite et du
haut vers le bas. Les dispositifs numériques peuvent permettre de zoomer sur certains détails.
C'est d'ailleurs un bon indice pour l'enseignant de regarder les mouvements des yeux des enfants :
erratiques, en fixation, "zoom", dans le bon sens…
La relation des signes ou symboles aux référents
Les rapports de dénotation ou de connotation.
Les relations des illustrations avec le texte
Les situations sont très diverses, les relations texte/images peuvent être très complexes parfois
(par exemple : le "dit de l’image" est lié au "non-dit du texte"). Il faut prendre en compte le temps
et la durée pour construire progressivement des parcours de lecteurs (laisser aux plus petits la
possibilité de fouiller par anticipation et aux plus grands celle de revenir sur des ouvrages déjà
connus).
L’accès au livre comme vecteur d’histoires et de langue
Il faut mettre très tôt une grande variété de livres à la disposition des enfants, y compris ceux
jugés "difficiles". En effet, cette variété aide l’enfant à construire son regard sur le monde, sur les
autres et sur soi :
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la littérature de jeunesse permet une médiation avec certaines peurs, émotions (perte d’un
être cher, arrivée d’un petit frère ou sœur,…)
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dans la majorité des cas, les livres sont porteurs de représentations de choses absentes,
l’unité du livre constitue aussi un univers symbolique autonome. Il permet à l’enfant de
savoir que cela peut exister, c’est écrit dans le livre, l’enfant est alors libéré et sécurisé,
(par exemple : l’arrivée du petit frère ou sœur),
il faut être attentif à ne pas submerger les enfants de livres qui montrent tous les malheurs
du monde, ils doivent pouvoir continuer à inventer sans crainte,
la forme du récit et de la langue (rappel : lire, c’est être rigoureusement dans le texte de
l’album écrit) ont une grande importance. L’ordre des mots correspond à la syntaxe de la
langue française.
La condition essentielle d’efficacité : des médiations adaptées
Les aspects matériels
Mettre les enfants au contact des livres, les faire circuler, pouvoir les emporter à la maison ; que
toutes les personnes autour d’eux soient en capacité de prendre un livre, le feuilleter,...
Prévoir des rituels de lecture ; par exemple la dernière demi-heure de la journée, pour développer
un lien parents/école autour de l’histoire lue avant la sortie (tout en prévoyant d’autres moments
pour les activités de réinvestissement),
Faire construire les attitudes physiques du lecteur : s’installer confortablement, suspendre toute
autre activité (mais parfois, il faut savoir les laisser aller au bout de leur activité), se tenir
immobile, faire silence,
Anticiper les conditions de la présentation du livre pour le rendre accessible aux enfants :
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préférer avec les tout-petits les situations de côte à côte enfant/ médiateur-lecteur (afin
qu’ils voient le livre comme le lecteur) avant de les mettre en face à face,
ne pas feindre de lire en montrant le livre,
faire en sorte que les enfants n’aient pas à se lever pour aller voir.
Les aspects culturels
L’accès à la fonction documentaire des lectures
Il s’agira de faire prendre aux enfants l’habitude de recourir aux ouvrages de référence pour
trouver des réponses aux questions posées, pour confronter des observations à des connaissances,
et ainsi, mettre les élèves sur la voie de comportements "plus savants". Pour cela, l’enseignant
pourra :
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mettre à la disposition des élèves un ensemble d’ouvrages pour chercher des hypothèses de
réponses à la question posée (par exemple, que mangeaient les dinosaures ?),
organiser un temps de mise en commun et de confrontation entre l’écrit et ce que les
élèves pensaient avoir compris, (notamment en s’attachant à certains indices plutôt que
d’autres ; dans le cas des brontosaures, pour les enfants, de si grosses bêtes ne peuvent
être herbivores).
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L’importance de la place de la fiction
Raconter des histoires tous les jours, c’est nourrir l’imaginaire, faire découvrir le patrimoine, des
personnages, …
L’humanisation de l’écrit par la voix
Varier les lecteurs, donc les voix : celle du maître, de l’ATSEM, d’un élève plus grand... Rappelonsnous que la voix qui lit a une autre musique que celle qui parle.
Les aspects cognitifs
Générer des échanges autour des livres.
Accompagner la réception du livre pour en amplifier la résonance.
Comment met-on les enfants en situation de penser, de chercher, d’imaginer autour des livres
(plutôt que de lire puis les interroger) afin de :
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développer le contrôle des prises d’information,
enrichir la réception du livre par la discussion autour de lui,
enrichir l’appréhension que chacun a de ce livre.
Pour cela, un véritable travail de préparation a à être mené autour du livre :il ne peut pas être pris
"au hasard" juste avant d’être lu.
Mettre en œuvre des activités langagières
Le lecteur, mais aussi les auditeurs peuvent :
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commenter,
donner un avis,
effectuer un rappel du récit ou d’un moment du récit,
jouer l’histoire.
Développer un travail de compréhension explicite avec les enfants
Il existe un risque que, pour les enfants, le langage ne soit pas un apprentissage. Il faut donc
préciser (quand il ne s’agit pas d’une histoire offerte), qu’il y a un travail de compréhension, un
processus d’intégration sémantique :
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qu’il va y avoir à fusionner, synthétiser des informations données par le texte et/ou l’image
et des connaissances antérieures (et non deviner ou inventer),
que le texte peut ne pas avoir été totalement compris à la première lecture,
qu’on fera ensemble et collectivement ce que chacun fera plus tard tout seul dans sa tête.
Les modalités :
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faire reformuler, raconter à sa manière,
faire expliciter l’implicite,
faire jouer l’histoire, la rappeler en utilisant une maquette,
faire repérer les erreurs dans les suites,
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attirer l’attention des enfants sur les états mentaux des personnages, leurs buts, les raisons
de leurs actions,…
La valeur ajoutée des pédagogues
Savoir choisir les livres
Quelques critères :
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la résistance matérielle des ouvrages,
la qualité des illustrations et la nature des relations texte/ images (mais qui doivent être
assez simples pour les tout-petits),
la variété :
o des types de livres, (classiques, livres du patrimoine, albums,…),
o des genres,
o des constructions narratives : récits linéaires, enchâssés, en randonnée,
o des modalités d’énonciation.
des personnages archétypaux.
Savoir organiser des parcours de lecteur
L'enseignant doit guider ses élèves dans le monde du livre et dans sa démarche de lecteur. Pour
cela, il sait :
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coordonner des choix de livres,
naviguer dans le temps des enfants, pour permettre des reprises du réseau, une
progressivité,
développer un rapport au temps cumulatif (différent du rythme de l’actualité),
organiser la continuité, par la passation d’un bagage ; pour exemple, au Danemark un
enfant quitte la crèche pour l’école avec une "valise",
différencier le statut des livres de celui des histoires.
Organiser la mémoire des rencontres et des apprentissages
L'enseignant va s’attacher aux traces permettant des retours et une remémoration : cahier de
littérature, journal de lecteur, qui peut être individuel ou collectif (par exemple, le livre d’or de la
classe), mais aussi scénariser la disparition et la réapparition de livres dans la classe pour s’appuyer
sur un effet de surprise.
En conclusion
Proposer des livres aux enfants dès leur plus jeune âge représente des enjeux importants :
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rendre les enfants conscients que :
o le livre n’est pas un objet exclusivement scolaire,
o lire procure des connaissances qui mettent en mouvement le monde intérieur,
développer le travail avec les familles, partager avec elles des manières de faire.
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