backpacking, jeunesse et temporalités
Transcription
backpacking, jeunesse et temporalités
Tourisme & Territoires / Tourism & Territories (2012) B ACKPACKING , JEUNESSE ET TEMPORALITÉS Jocelyn Lachance 4 Résumé Depuis les années 1990, le backpacking fait l'objet de plusieurs recherches dans la littérature scientifique de langue anglaise, notamment dans le champ des Tourism Studies. Au-delà de l'hétérogénéité du groupe des jeunes backpackers, l'objectif de cet article est de dégager les caractéristiques récurrentes dans leurs discours pour saisir ce qui fait la singularité de ce type de voyage. À la suite de l'analyse de la littérature existante sur le sujet, nous verrons qu'un rapport singulier au temps s'instaure lors de la pratique du backpacking. Cet article offre donc au lecteur un survol des analyses sur ces voyages particulièrement prisés par la jeunesse occidentale en insistant sur la dimension temporelle, ce qui ouvre des pistes de réflexion sur la compréhension du phénomène et permet de dégager certains aspects qui seraient intéressants d'explorer dans des contextes nationaux comme celui de la France ou du Québec. Mots-clés : Backpacking, jeunesse, temporalités 4 Chercheur postdoctoral en sociologie, Institut National de la Recherche Scientifique (INRS), membre de l'Observatoire Jeunes et Société. Lachance Tourter.com 8 Tourisme & Territoires / Tourism & Territories (2012) V oyager, parcourir le monde avec pour seul compagnon son sac-à-dos. Et parfois un autre voyageur, le temps de franchir la distance entre deux villes. L’adage le dit bien, les voyages forment la jeunesse. Or, le backpacking rappelle que de plus en plus de jeunes donnent d’abord forme à leur voyage, c'est-à-dire qu'ils planifient un temps d'aventure dans leur parcours et qu'ils insistent, dans leur discours, sur l'originalité et la singularité de leur itinéraire et de leur expérience (Desforges, 2000; Lachance, 2007, 2008, 2010; Noy, 2004, 2005). Revendiquant également une expérience authentique et une liberté inédite, de jeunes backpackers déferlent dans les grands centres urbains de tous les continents et vont se perdre dans les villages du tiers-monde. À priori, l’idée est simple : errer pour un temps, se créer provisoirement un temps liminaire (Michel, 2004), loin du regard des siens, afin de se confronter à l’altérité culturelle, avant de reprendre le chemin menant vers chez soi, avant d’entrer pleinement dans la vie adulte. Voyager, pour s’arracher au temps des autres, vivre pour soi, expérimenter le monde pour se raconter. Depuis les années 1990, le backpacking fait l'objet de plusieurs recherches dans la littérature scientifique de langue anglaise, notamment dans le champ des Tourism Studies5. L'article qui suit propose de tracer les grandes lignes de ces études pour dégager les caractéristiques récurrentes dans le discours des jeunes backpacker, malgré la diversité de leurs parcours et de leurs profils. En utilisant l'entretien semi-directif et les histoires de vie, la majorité de ces recherches s'intéressent à la représentation de jeunes voyageurs occidentaux (Cohen 1972, 1973; Desforges, 2000; Elsrud, 1998, 2001; Hampton, 1998; Murphy, 2001; Noy, 2004; Riley, 1988; Scheyvens, 2002; Sørensen, 2003; Spreitzhofer, 1998;)6. Dans un premier temps, nous explorerons la littérature existante sur le phénomène backpacking et nous en montrerons l'évolution depuis la fin des années 1970. Dans un deuxième temps, nous explorerons la littérature à partir de la question suivante : comment pouvons-nous lire le rapport au temps des jeunes backpackers à partir des recherches actuelles? Notre méthode consistera en une lecture transversale de ces recherches 5 Notons que deux films ont mis en scène la figure du Backpackers : The Beach, de Danny Boyle (2000) qui s'inspire du roman éponyme d'Alex Garland, et, plus récemment, Into the Wild de Sean Penn (2007). Sur les figures identificatoires des backpackers dans la littérature, voire Richards et Wilson (2004). 6 Des travaux plus récents insistent sur l'apparition de backpackers d'origine asiatique (Teo & Leong, 2006). Lachance Tourter.com 9 Tourisme & Territoires / Tourism & Territories (2012) en interrogeant plus spécifiquement le rapport au temps des jeunes backpackers. Nous verrons qu'un rapport au temps singulier semble s'instaurer lors de la pratique du backpacking. Plus encore, et suivant les travaux de Torun Elsrud (1998), nous proposerons l'hypothèse selon laquelle le backpacking serait un moyen de s'arracher des contraintes temporelles telles que vécues au quotidien pour les remplacer par un nouveau cadre d'expérimentation au sein duquel le backpacker s'instituerait un rythme personnalisé. Cet article offre donc au lecteur un survol des analyses sur ces voyages particulièrement prisés par la jeunesse occidentale, ce qui ouvre des pistes de réflexion sur la compréhension du phénomène et permet de dégager certains aspects qui seraient intéressants d'explorer dans des contextes nationaux comme celui de la France ou du Québec. ÉVOLUTION DE LA LITTÉRATURE SCIENTIFIQUE SUR LE BACKPACKING De nombreux chercheurs accordent à Vogt (1976) et à Cohen (1972, 1973, 1979) la paternité des études sur le backpacking. En effet, bien que le terme backpacker s’impose dans la littérature seulement au cours des années 1990, ces deux auteurs sont les premiers à pointer l’émergence d’un nouveau type de voyageur caractérisé, entre autres, par sa recherche d’indépendance vis-àvis de l’industrie touristique. En cherchant l'origine du backpacking, certains penseront peut-être aux errances de la génération Beat, illustré dans le célèbre On The Road de Jack Kerouac, ou aux voyages initiatiques inhérents au mouvement hippie. Or, les formes de voyage connues au sein de ces deux mouvements sont rarement interprétées comme des précurseurs du backpacking, entre autres, parce que le contexte social semble affecter profondément la signification que prend le voyage aux yeux de chaque génération. Comme le souligne Xiberras et Monneyron (2010), les voyages, même individuels, au sein du mouvement hippie, s'inscrivent dans une participation à un mouvement collectif et une volonté de changer le monde. Le backpacking, quant à lui, n'est associé à aucun mouvement collectif, a priori, et le backpacker ne chercherait, au contraire, qu'à transformer son monde, c'est-à-dire sa vision sur le monde et sa propre personne. D'autres chercheurs font parfois remonter l'origine du backpacking au Grand Tour du 18e siècle en Europe. Si le Grand Tour s'apparente alors à un temps de passage institué par les classes dominantes, en revanche, à sa pratique correspond Lachance Tourter.com 10 Tourisme & Territoires / Tourism & Territories (2012) l'émergence d'un nouveau discours du voyageur sur son entreprise. En effet, comme le remarque Chloe Chard, les journaux et les lettres des jeunes s'adonnant au Grand Tour au 18e siècle montre que le voyage est déjà représenté comme une aventure personnelle parsemée de transgressions et de prises de risques (Chard, 1999). En d'autres termes, malgré l'apparence d'un voyage « programmé », inscrit dans le cadre d'une destinée tracée pour les plus jeunes, l'expérience du Grand Tour est souvent vécue comme le temps d'une aventure singulière. C'est ici sans doute l'argument le plus important pour considérer le Grand Tour comme précurseur du backpacking qui met en avant la revendication du voyageur à vivre une expérience unique. La forme de voyage pratiquée est ainsi qualifiée de noninstitutionnelle, ce qui ouvre la porte à l’examen d’un tourisme qui se situerait, paradoxalement, en dehors de l’industrie touristique. Les notions de liberté et de mobilité apparaissent dans les travaux de Vogt et de Cohen comme étant centrales pour comprendre les motivations de ce voyageur indépendant qui fuit les circuits organisés. L’idéologie du Off Beaten Track (hors des sentiers battus), repérée chez des jeunes voyageurs qui chercheraient à construire eux-mêmes leurs parcours et qui exalteraient les bienfaits de l’aventure dans leur vie, prend ainsi une place dans la littérature scientifique, peu de temps après l'apparition du premier guide de voyage Lonely Planet, qui consacre cette expression de Off Beaten Track au sein de la communauté des jeunes voyageurs. En effet, Shoestring in SouthEast Asia, publié par deux jeunes voyageurs australiens, connaît un succès instantanée dès sa sortie au milieu des années 1970. Dès cette époque, les termes employés pour désigner ces jeunes voyageurs sont donc nombreux et diversifiés : drifters - vagabonds (Cohen 1972); nomads - nomades (Cohen 1973); wanderers aventurier (Vogt 1976); hitchhikers - auto-stoppeur (Mukerji 1978). Au cours des années 1980 et au début des années 1990, des études sont orientées vers la compréhension de ces voyages noninstitutionnalisés et pratiqués, semble-t-il, principalement par la jeunesse occidentale. Si de nombreux chercheurs s’intéressent alors à un objet d’étude semblable, voire identique, c'est-à-dire à l'émergence d'une forme nouvelle de voyage au sein de la jeunesse contemporaine, le terme backpacking ne s’impose pas encore parmi tous, et les recherches de l’époque expriment la variété des concepts utilisés pour nommer à la fois le phénomène et ses adeptes. Certains chercheurs vont d'ailleurs insister Lachance Tourter.com 11 Tourisme & Territoires / Tourism & Territories (2012) fortement sur la relation entre cette figure du voyageur indépendant et la jeunesse de l’époque. Ainsi des auteurs parlent de Youth on the Road (Alder, 1985) et, un peu plus tard, de Youth Travel (Desforges, 1998). D’autres insistent sur un aspect singulier de la pratique du backpacking comme le long term (Riley, 1988), sur sa position vis-à-vis de l’industrie touristique (Cohen, 1972) ou sur son rapport à l'argent avec la dénomination de Youth Budget Traveller (Loker-Murphy & Pearcy, 1995; Riley, 1988). Les années 1990 voient les termes de backpacking et de backpackers s’imposer dans la littérature de langue anglaise dans le champ des Tourism Studies. La prévalence de ces termes semble, entre autres, s’expliquer par le besoin de nommer précisément un type affirmé et visible de voyage, tout en le différenciant des termes utilisés à l’origine par Vogt et Cohen. Les termes de wanderers et de drifter, utilisés par ces deux auteurs, trouvent alors leurs limites, puisque, déjà à la fin des années 1980, le backpacking est un phénomène qu'il est difficile d'associer à l’errance et au vagabondage telle qu’entendu jusque là, et qu'il est contradictoire de le lier à la figure du touriste. D'une part, il semblerait que le backpacker met au centre de sa pratique des éléments évoqués par Vogt et Cohen lorsqu'ils parlent des « aventuriers » et des « vagabonds », comme le sentiment de liberté et le caractère non-institutionnalisé de leur parcours. D'autre part, une nouvelle industrie naît en périphérie des services touristiques, sous la forme de guides pour voyageurs indépendants (comme Lonely Planet, et par la suite, le Guide du Routard) et d'hébergement à petits budget (comme les auberges de jeunesse et, un peu plus tard, les guesthouse). Ainsi, le backpacking apparaît comme une pratique hybride des formes de voyages déjà connus et repérés par les auteurs. Des caractéristiques comme la préférence pour un logement économique (Riley, 1988; Sørensen, 2003), l'indépendance vis-àvis des autres voyageurs (Sørensen, 2003) et de l'industrie du tourisme, la flexibilité des itinéraires également (Peel & Steen, 2007), apparaissent alors comme des éléments qui perdurent pour caractériser la figure du backpacker (Loker-Murphy & Pearcy, 1995). Notons d’ailleurs que la langue française trouve difficilement un consensus pour définir ce que nos collègues s'exprimant en anglais nomme le backpacking. En français, les termes randonneurs et routards sont parfois utilisés dans des traductions (notamment des traductions de résumés d’articles savants), et rendent maladroitement compte de ce qu’ils tentent de traduire. Lachance Tourter.com 12 Tourisme & Territoires / Tourism & Territories (2012) D’une part, le backpacking n’est pas un synonyme du hiking ou du trekking, qui font directement écho à la randonnée. Si la marche en montagne et les activités de loisirs associées à la nature sont courantes chez les backpackers (Loker-Murphy & Pearce 1995; Noy, 2005; Noy & Cohen, 2005), reste que ces pratiques ne s'inscrivent pas dans le parcours de tous ces jeunes voyageurs. En effet, nombreux sont les backpackers à se limiter à la visite de grands centres urbains (Peel & Steen, 2007), évitant tout ce qui peut ressembler à une randonnée. D’autres part, le terme routard est associé dans l’imaginaire à la route, voire à l’auto-stop, une autre pratique qui peut éventuellement être adoptée par le backpacker sans y être une condition (Lachance, 2007, 2010). Le terme plus récent de « tourisme pédestre » est aussi critiquable dans la mesure où il associe le backpacking au tourisme, alors que l'une des caractéristiques du backpacker serait de se distinguer continuellement de la figure du touriste (Cohen 1972, 1973; Elsrud, 2001; Maoz, 2005; Noy, 2004; Riley, 1988; Thyne, Lawson, & Todd, 2006; Uriely, Yonay, & Simchai, 2002; Vogt 1976). De plus, le terme pédestre ne semble pas approprié puisque la marche ne s'inscrirait pas nécessairement dans le quotidien de backpackers nombreux à utiliser l'avion et, plus souvent, les moyens de transports locaux (Bus, trains, 4x4, motos, taxis, etc.) (Vance, 2004). Les années 1980 et le début des années 1990 se caractérisent donc par la multiplication des recherches sur un phénomène auquel les auteurs n'attribuent pas toujours un terme commun. Toutefois, ces recherches contribueront à baliser les différentes caractéristiques d'un phénomène émergent et finiront par converger vers la reconnaissance du phénomène backpacking. Au cours des années 1990, de nombreuses études qualitatives se multiplient notamment autour de la question du sens de leur pratique et donc du discours qu’ils apposent à leurs expériences. Dans une perspective compréhensive, ces études redonnent à la parole des acteurs – en l’occurrence, celle de jeunes voyageurs – une place centrale. Trois dimensions du backpacking sont récurrentes au sein de ces études. LA RECHERCHE D'UN SENTIMENT DE LIBERTÉ Les études de Vogt et de Cohen pointaient déjà cette dimension, notamment en mettant en avant la volonté du sujet à voyager en dehors des circuits organisés et des destinations privilégiées par les touristes. Cette dimension de la liberté semble donc, dans un premier temps, être associée intimement à une volonté de Lachance Tourter.com 13 Tourisme & Territoires / Tourism & Territories (2012) distinction par rapport au tourisme de masse, une remarque qui traversera d'ailleurs les études sur le backpacking jusqu'à aujourd'hui. Ce sentiment subjectif de liberté s'expliquerait à travers plusieurs facteurs, dont la fuite des responsabilités inhérentes à la vie quotidienne (Desforges, 2000), le fait de différer dans le temps l'entrée dans l'âge adulte (Lachance, 2010; Noy, 2004), la création d'un temps propice aux expérimentations sous toutes ses formes (Desforges, 2000; Elsrud, 2001; Lachance, 2007; Michel, 2006), le dégagement des contraintes liées aux besoins matériels (Elsrud, 1998). Ce sentiment de liberté est aussi observé chez les jeunes s'adonnant à d'autres types de voyages, comme dans le cas des séjours inter-universitaires (Brown, 2009). LA RECHERCHE D'AUTHENTICITÉ La question de l'authenticité est centrale dans le champ des Tourism Studies et est récurrente dans le discours des backpackers (Bruner, 1991; Murphy, 2001; Richards & Wilson, 2004). Avec l'apparition d'études qualitatives sur le backpacking, la place occupée par l'authenticité s'incarne dans la parole des acteurs qui affirment que sa recherche constitue une des principales motivations de leur voyage (Elsrud, 2001; Hutnyk, 1999; Noy 2004; Sørensen 2003). Cette quête d'authenticité s'exprime dans divers aspects du voyage de forme backpacking. Un premier argument consiste à dire que la rencontre avec l'autre, les locaux (Noy, 2005), mais également avec les autres backpackers, est plus « naturelle » et plus « vraie » dans le contexte du voyage. Dans le cas de la rencontre avec les locaux, cet argument repose parfois sur le « mythe du bon sauvage » et sur un fantasme de retour à la nature ou, du moins, aux racines de l'existence. Certains backpackers vont même jusqu'à adopter la mode locale pour ressembler aux populations visitées (Muzaini, 2006). Dans le cas de la rencontre avec les autres backpackers, l'authenticité reposerait sur la caractère ponctuel et éphémère des rencontres, et sur la facilité de s'engager et de se désengager dans la relation avec l'autre (Sørensen, 2003). Dans ce contexte, rester avec l'autre pour partager, par exemple, quelques kilomètres le temps d'un déplacement ou quelques jours le temps d'un séjour dans un village, signifierait la réitération du sujet à vouloir rester (Lachance, 2007, 2010). La relation serait authentique car, dans le contexte du backpacking, il n'existerait jamais de relation forcée ou imposée par des contraintes extérieures au sujet. L'authenticité touche aussi la relation que le sujet entretient avec lui-même, dans la mesure où le voyage lui Lachance Tourter.com 14 Tourisme & Territoires / Tourism & Territories (2012) servirait à révéler des aspects inédits de sa personnalité (Noy, 2004, 2005; Riley, 1988). LA CAPACITÉ D'ADAPTATION ET LA MISE À L'ÉPREUVE DE SOI Les études montrent aussi que le backpacker valorise sa capacité d'adaptation aux différentes situations qu'offrent la route. L'adaptation aux langues locales, aux codes culturels, à l'alimentation, au climat et au mode de vie en général est mis en avant comme une qualité du backpacker. D'une part, cette adaptabilité marquerait la volonté du sujet à s'ouvrir à l'autre et au monde (Lachance, 2007). D'autre part, l'adaptation est perçue comme une réponse à des épreuves que le sujet affronte tout au long de son voyage. De nombreuses études pointent d'ailleurs la place occupée par la prise de risque prenant la forme de la maladie et de l'accident motorisée, mais aussi de la confrontation à l'inattendu et à l'altérité culturelle (Elsrud, 2001; Noy, 2004) pendant que d'autres affirment que la capacité à répondre à des situations d'urgence est reconnue par ces jeunes voyageurs (Tsaur, Chang-Hua, Chia-Li, 2010). L'adaptabilité prendrait alors le visage de la capacité du sujet à surmonter des épreuves et ces épreuves constitueraient pour plusieurs la condition même d'un voyage réussi (Elsrud, 2001). Dans une perspective socioanthropologique, cette épreuve est analysée comme une constituante du rite de passage à l'âge adulte (Bell, 2002; Desforges, 2000; Noy, 2004; Riley, 1988; Sørensen, 2003; Vogt, 1976). En effet, pour plusieurs auteurs, la traversée d'une telle épreuve, qu'elle soit réelle ou symbolique, participeraient à la construction d'un sentiment de transformation ontologique chez le jeune voyageur (Elsrud, 2001; Noy, 2004). À partir du milieu des années 1990, la plupart des auteurs émettent dans leurs articles l'hypothèse que, derrière de nombreux traits communs, le groupe des backpackers ne serait pas homogène. Ces chercheurs vont, dès lors, ouvrir la porte à des études portant sur les différences nationales encore peu explorées aujourd'hui. Au cours des années 2000, plusieurs d'entre elles vont constater l'hétérogénéité du profil du backpacker sans en approfondir l'analyse (Moaz, 2006; Murphy 2001; Scheyvens 2002; Sørensen 2003; Uriely et al., 2002). Des recherches montrent aussi que ce ne seraient pas les pratiques objectives du backpacking qui définiraient le phénomène, mais plutôt l'imaginaire que les backpackers développent autour de ces pratiques. En effet, certaines recherches révèlent qu'il existe une différence fondamentale entre l'uniformité des parcours objectifs Lachance Tourter.com 15 Tourisme & Territoires / Tourism & Territories (2012) empruntés par les jeunes voyageurs et l'originalité et la singularité revendiquée par ces mêmes voyageurs (Cooper, O’Mahoney, & Erfurt, 2004; Noy, 2005). Les motivations des backpackers seraient également différentes d'un groupe à un autre (Pearce & Foster, 2007). La diversification du phénomène backpacking est donc reconnue par les chercheurs et la relation singulière du backpacker à la liberté, l'authenticité et à l'adaptabilité sont des notions qui autorisent, encore aujourd'hui, à étudier de jeunes voyageurs en provenance de milieu divers. Selon nous, ces trois dimensions du backpacking sont intimement liées les unes aux autres à travers un rapport au temps singulier que ces jeunes expérimentent lors de la pratique du backpacking. En effet, notre analyse du corpus actuellement disponible sur le phénomène montre que la question de la temporalité est omniprésente et qu'elle autorise une lecture original du backpacking, tout en proposant des pistes à explorer ou à approfondir dans le cadre de futures recherches. Cette question de la temporalité est d'ailleurs déjà évoquée sous différentes formes, notamment dans l'étude importante de Pamela Riley (1988) lorsqu'elle relève que les backpackers affirment que l'abondance de temps libre est une caractéristique de leur pratique et dans celle de Torun Elsrud (1998) qui montre que la création d'un rapport au temps original est l'une des expériences les plus centrales pour de jeunes femmes backpackers. Nous proposerons donc ici une lecture exhaustive des études issues de la littérature scientifique qui abordent explicitement ou implicitement le rapport au temps des backpackers. Ces études explorent les représentations de jeunes occidentaux de différents pays, mais elles se distinguent en trois groupes par la détermination de leur échantillons. Les premières analysent une population de backpacker selon l'appartenance nationale. Ainsi, des recherches traitent spécifiquement des backpackers issus de pays anglo-saxons (Bell, 2002; Desforges, 1998, 2000; O'Reilly, 2006), de pays scandinaves (Elsrud, 1998, 2000; Enoch & Grossman, 2010) ou plus singulièrement d'origine israélienne (Enoch & Grossman, 2010; Maoz, 2004, 2005, 2006; Noy, 2004, 2005; Uriely et al., 2002). Les secondes analysent plutôt le backpacking en interrogeant de jeunes voyageurs circulant sur une zone géographique prédéterminée en y entremêlant les origines nationales. Ces zones concernent principalement l'Océanie (Cooper et al., 2004; Loker-Murphy, 1996; LokerMurphy & Pearce, 1995; Pearce & Foster, 2007; Peel & Steen, Lachance Tourter.com 16 Tourisme & Territoires / Tourism & Territories (2012) 2007; Vance, 2004) et l'Asie (Cohen, 1982; Hampton, 1998; Muzaini, 2006; Richards & Wilson, 2004; Spreitzhofer, 1998; Teas, 1988; Teo & Leong, 2006; Tsaur, Tzeng, & Wang, 1997). Les troisièmes ont une approche plus « globale » parce qu'elle additionne les zones géographiques et les origines nationales ou encore parce qu'elle propose une lecture plus générale du phénomène backpacking (Lachance, 2007, 2008, 2010; Scheyvens, 2002; Sørensen, 2003). Malgré la diversité apparente des recherches, force est de constater que les études actuellement disponibles s'intéressent surtout aux backpackers occidentaux avec une forte présence des pays anglo-saxon à la fois à travers l'origine des voyageurs interrogés et les zones géographiques privilégiées. ROMPRE PROVISOIREMENT TEMPORELLES AVEC LES CONTRAINTES Les études sur le backpacking montrent que ses jeunes adeptes entament généralement leurs voyages à une période de transition dans leur vie. À leur départ correspond alors l'obtention récente d'un diplôme, la fin d'un contrat de travail, parfois même une rupture amoureuse (Desforges, 2000; Riley, 1988; Sørensen, 2003). Leur départ se caractérise aussi par une planification minutieuse qui motive le choix de la date de départ et qui implique aussi une évaluation de ses coûts et l'élaboration d'un budget. Chez les jeunes voyageurs indépendants, l'habileté à préparer un voyage est d'ailleurs considérée comme une qualité centrale (Tsaur et al., 2010). En d'autres termes, c'est généralement pendant une période caractérisée par la difficulté à se projeter dans l'avenir ou qui demande une prise de décision pour poursuivre dans une voie ou une autre que des jeunes optent pour la pratique du backpacking. C'est pourquoi, pour des chercheurs comme Torun Elsrud, ces jeunes s'offrent le luxe de prendre du temps sans perdre de temps, dans une société qui abhorre la perte de temps (Elsrud, 1998). Les backpackers diffèreraient, en quelque sorte, le moment de prendre des décisions quant à leur avenir. Ils échapperaient ainsi provisoirement à l'impératif de se projeter dans l'avenir à long terme et se replieraient sur d'autres horizons temporels délimités à l'intérieur de la durée du voyage. Le backpacking implique aussi une rupture avec les contraintes sociales qui imposent un horaire au sujet. La pratique du backpacking suppose une distance importante avec une existence rythmée par l'horaire de l'école et du travail (Elsrud, 1998; Lachance Tourter.com 17 Tourisme & Territoires / Tourism & Territories (2012) Lachance, 2009, 2011). Les relations amicales et parentales sont d'ailleurs suspendues, elles se poursuivent généralement par l'intermédiaire d'internet, mais elles n'imposent plus dans le quotidien du jeune des contraintes pour se rencontrer et partager du temps. En d'autres termes, ce qui rythmait l'existence dans son pays natal laisse place à une nouvelle liberté pour le sujet qui peut rythmer autrement, et selon son caprice, ses journées. Cet abandon des repères temporels s'expriment d'ailleurs chez plusieurs jeunes par l'abandon concrète des instruments de mesure du temps. En étudiant le cas singulier des jeunes femmes en Suède, Torun Elsrud observe qu'elles abandonnent leur montre avant leur départ et qu'elles accordent à ce geste une dimension symbolique qui incarne leur nouvelle liberté (Elsrud, 1998). Le moment du retour, et donc la durée du voyage, est aussi assujetti au choix du backpacker. Trois cas de figures sont révélés à travers les différentes recherches. Certains backpackers fixent, avant même leur départ, le moment de leur retour (Sørensen, 2003); d'autres vont plutôt déterminer ce moment plus tard, ce qui contribue, semble-t-il, à l'élaboration de leur sentiment de liberté (Cohen 1972, 1973, 1982; Murphy, 2001; Riley 1988; Vogt, 1976). Il est remarqué également qu'un lien semble, pour plusieurs, exister entre l'argent disponible et la durée du voyage, c'est-à-dire que les études dépeignent un voyageur qui s'efforce d'étirer la durée de son aventure en dépensant un minimum d'argent (Riley, 1988; Teas, 1988), ce rapport à l'argent constituant d'ailleurs, pour plusieurs auteurs, une caractéristique du backpacking (Cohen, 1972, 1973; Loker-Murphy & Pearce, 1995; Riley, 1988; Teas, 1988; Vogt, 1976). Derrière cet usage spécifique de l'argent se dessine aussi une relation avec la quête d'authenticité (payer le prix local, vivre comme la population locale, etc.) (Riley, 1988). La durée du voyage est donc contrôlée de diverses manières par le jeune voyageur. Ces premières remarques montrent que la rupture avec les contraintes temporelles s'effectuent sous le signe du choix de la part du sujet qui peut éventuellement élaborer un sentiment de maîtrise autour de cette rupture provisoire. Contrairement aux périodes de transition, marquée par l'insécurité et par l'incertitude, la décision d'ouvrir la parenthèse du voyage vient possiblement changer la position du sujet face à son existence, évacuant un éventuel sentiment d'hétéronomie. Notons que cette parenthèse, le temps du voyage, est pour plusieurs auteurs associés au temps liminaire du rite de passage à l'âge adulte bien connu dans les sociétés traditionnelles. Pour Torun Elsrud, il s'agit Lachance Tourter.com 18 Tourisme & Territoires / Tourism & Territories (2012) d'un time bubble, un temps dont la durée est maîtrisé subjectivement par le voyageur (Elsrud, 1998). S'INSTITUER UN RYTHME INTIME À LA TEMPORALITÉ La rupture avec les contraintes temporelles de la vie ordinaire n'entraînerait pas, semble-t-il, un sentiment de hors-temps (Elsrud, 1998; Lachance, 2008, 2011). Au contraire, il s'agit alors pour le jeune voyageur de remplacer ces contraintes temporelles par un nouveau rythme de vie dont il sera l'instigateur. À ce sujet, des études sur le backpacking soulignent que le rythme du voyage, c'est-à-dire la vitesse des déplacements et la durée des séjours dans les différents lieux, semblent varier d'un voyageur à un autre. En revanche, des auteurs remarquent, à l'opposer, que les lieux fréquentés et les parcours empruntés par les backpackers diffèrent peu les uns des autres (Cooper et al., 2004). En d'autres termes, non seulement le rythme du voyage est décidé par le jeune voyageur, mais il serait aussi un moyen de singulariser son parcours. D'ailleurs, la possibilité d'étirer le temps d'un séjour apparaît comme un moyen de distinction par rapport au tourisme de masse (Peel & Steen, 2007) et le rythme des déplacements est l'un des sujets de prédilection situés au coeur des discussions entres backpackers (Sørensen, 2003). Les modalités de la rencontre avec l'autre renforce cette hypothèse d'un rythme insitué par le sujet lors de la pratique du backpacking. La rencontre reste, pour ces jeunes voyageurs, essentielle et significative. Toutefois, la rencontre semble plus importante que la relation développée avec l'autre dans la mesure où la durée d'un échange dans le temps n'est pas un gage de la qualité et de l'importance d'une relation. Selon les auteurs, dans le monde des backpackers, l'engagement envers l'autre s'effectue sur la base d'un contrat implicite et constamment renouvelable minute après minute (Lachance, 2007; Sørensen, 2003). En d'autre termes, une rencontre brève et éphémère, vécue cependant avec intensité par le sujet, peut devenir significative pour lui et venir s'inscrire dans le récit de son voyage. Par conséquent, ces auteurs dépeignent un contexte où le désengagement des uns et des autres est légitimé à travers le statut du backpacker qui cherche à vivre une expérience originale, unique et dépourvue de contraintes. Anders Sørensen observe d'ailleurs que l'internet est utilisé dans cette perspective par les backpackers qui se séparent et se réunissent plus facilement, en se rencontrant par hasard et en organisant, sous une base flexible, des retrouvailles ponctuelles (Sørensen, 2003). C'est Lachance Tourter.com 19 Tourisme & Territoires / Tourism & Territories (2012) pourquoi les communautés de backpackers sont mouvantes, en perpétuelle reconstruction, au fil du hasard des arrivées, des rencontres et des séparations, et que ces commuautés conservent un caractère informel (Loker-Murphy 1996; Murphy 2001; Riley 1988). Par contre, le temps partagé entre deux voyageurs est considéré comme intense et significatif, car, dans le contexte du backpacking, ce temps partagé serait, par définition, désirée et voulu par chaque voyageur susceptible de rompre à tout moment ce partage (Lachance, 2007, 2010, 2011). Les relations, qui participent à la construction du rythme du voyage, ne sont donc pas perçues comme des contraintes, mais bien comme des moyens d'affirmer sa liberté de choix et de vivre des échanges voulus, et souvent perçus comme étant authentiques. Le rythme du voyage, institué par le backpacker, ne s'effectue pas seulement sur la base du rythme de ses déplacements et sur des relations ponctuelles. Pour plusieurs, les rythmes du corps deviennent aussi des repères, certains mangeant lorsqu'ils ont faim et dormant lorsqu'ils sont épuisés, indépendamment des horaires conventionnels et des rites qui organisent les temps des repas et du sommeil dans les différents contextes culturels. Pour d'autres encore, il s'agit de prendre les besoins corporels comme repères afin de les combattre, notamment en s'imposant un certain ascétisme alimentaire pour moins dépenser d'argent. Par exemple, certains vont dormir le jour dans des parcs pour éviter les hostels la nuit, ou préfèrent voyager pendant de longues heures, voire des jours, malgré l'épuisement qu'entraînent de telles entreprises (Elsrud, 2001). Dans ces différents exemples, le sujet s'institue des rythmes qui sont vécus sous le signe de l'autonomie, parce qu'ils sont subjectivement choisis et déterminés par le sujet qui vit alors une expérience radicale de désynchronisation par rapport aux rythmes connus dans le pays d'origine. Les horaires de repas, de l'école ou du travail, les rendez-vous avec les amis ou la famille, même l'alternance des jours et des nuits ne sont plus les premiers repères qui rythment l'existence du jeune voyageur. L'improvisation est, plus que jamais au rendez-vous, et le désengagement envers l'autre, mais aussi envers ses propres choix effectués la veille, trouvent ici un cadre d'interprétation nouveau qui les légitime. Notons d'ailleurs que les rythmes du voyage sont, en quelque sorte, brusqués par le backpacker qui s'autorisent à changer ses plans. Ainsi, les parcours empruntés se dessineraient à partir du ressenti subjectif du voyageur, son sentiment qu'il devrait rester ou partir, s'investir dans une Lachance Tourter.com 20 Tourisme & Territoires / Tourism & Territories (2012) relation ou lui mettre un terme, manger maintenant ou jeûner encore quelques heures, etc. RÉORGANISER LA TEMPORALITÉ DU VOYAGE PAR LE RÉCIT Le besoin de se raconter est une autre caractéristique omniprésente dans les études sur le backpacking. Les études plus anciennes, comme celle de Pamela Riley (1988) insiste sur la tenue de journaux de voyage chez les jeunes voyageurs et même sur l'envoie de lettres aux membres de la famille à qui l'on demande de les conserver. Les études plus récentes sur le backpacking insistent toujours sur la tenue de carnets de voyages et explorent, sans surprise, l'usage abondant de l'internet par la communauté des backpackers (Sørensen, 2003). On sait depuis Paul Ricoeur que le récit est, pour le sujet, un moyen de réorganiser la temporalité des évènements vécus (Ricoeur, 1983). En effet, le récit d'un événement suppose toujours la sélection consciente et inconsciente de fragments de ce qui a été vécu pour en faire une histoire intelligible et partageable avec les autres. Cette opération de sélection suppose donc de donner une certaine importance à des moments singuliers d'un événement et d'en rayer d'autres de son récit. En d'autres termes, le récit d'un événement est une re-construction narrative à partir du vécu. Ainsi, certains moments peuvent prendre une place plus ou moins importante en comparaison avec ce qui a été réellement vécu. En racontant son voyage, le backpacker s'adonne à une réorganisation de la temporalité de son aventure. Dans les études sur le backpacking, nous pouvons repérer deux types de récit. Dans un premier temps, les recherches font état des récits qui accompagnent le déroulement du voyage. Ces récits s'organisent lors de la rencontre avec d'autres voyageurs, dont le sujet principal est le voyage lui-même, mais aussi par l'intermédiaire des blogs (Enoch & Grossman, 2010; Sørensen, 2003) et, depuis quelques années, des médias sociaux (Adkins & Grant, 2007). Ces récits se caractérisent par leur évolution dans le temps du voyage. Ils témoignent à la fois des expériences vécues quotidiennement et de la transformation de la vision du monde du backpacker. Plusieurs raisons motiveraient cette prise de parole; la volonté de rencontrer d'autres voyageurs (Riley, 1988), le besoin de faire reconnaître la valeur de son voyage (O'Reilly, 2006), voire de gagner un certain prestige au sein de la communauté des backpackers (Sørensen, 2003). Cette volonté de partager le récit de son voyage expliquerait même, dans certains Lachance Tourter.com 21 Tourisme & Territoires / Tourism & Territories (2012) cas, le regroupement des backpackers avec d'autres jeunes de même nationalité avec qui il serait plus facile de communiquer son expérience (Cohen, 2004; Noy, 2004). Plusieurs études insistent d'ailleurs sur l'importance du statut du backpacker au sein de cette communauté de voyageurs (Noy & Cohen, 2005; Riley, 1988; Sørensen, 2003; Teas, 1988). Dans un deuxième temps, des études explorent les récits des jeunes backpackers lors de leur retour au point d'origine. Certaines d'entre elles insistent sur l'opération de formalisation de leur discours en fonction de leurs interlocuteurs. C'est, par exemple, ce que montre Luke Desforges en insistant sur la difficulté des backpackers à raconter leur histoire à de futurs employeurs (2000). Mais la plupart des recherches pointent surtout l'importance du récit pour raconter et partager une expérience significative pour le jeune. Cette expérience s'accompagne d'un discours qui redéfinirait le voyage comme un temps de transformation ontologique du sujet (Noy, 2004, 2005). Ce « mythe de passage », pour reprendre l'expression de l'anthropologue Frank Michel, orienterait d'ailleurs la construction du récit de voyage et donc de sa temporalité (Michel, 2006). Par exemple, les épisodes de prises de risques, semblant représenter objectivement une place minime dans le temps du voyage, prennent une place centrale dans le récit des jeunes voyageurs et participent à magnifier leurs parcours (Elsrud, 1998; Tsaur et al., 1997). La capacité de répondre aux situations d'urgence est d'ailleurs reconnu au sein de la communauté comme une qualité essentielle du backpacker (Tsaur et al., 2010). Ainsi la réorganisation de la temporalité du voyage par le récit s'effectue par la sélection d'évènements significatifs aux yeux de ces jeunes voyageurs et est influencée par la volonté de valoriser le voyage comme un temps de transformation ontologique. CONCLUSION Les spécialistes du phénomène backpacking invitent souvent la communauté des chercheurs à explorer les caractéristiques nationales pour mieux en comprendre l'évolution. Cette orientation permettra sans aucun doute de révéler des données importantes pour comprendre l'influence du contexte national et culturel sur les jeunes voyageurs et la nature de leur parcours. Des études récentes (Enoch & Grosmann, 2010) proposent des comparaisons nationales entre backpackers et soulèvent déjà, malgré quelques tendances généralisables en fonction de la nationalité, qu'un groupe de backpackers provenant d'un même Lachance Tourter.com 22 Tourisme & Territoires / Tourism & Territories (2012) pays peut lui aussi être hétérogène. Ainsi le développement de recherches dans cette perspective ne devraient pas, à notre avis, empêcher l'exploration de ce qui rassemble et unit les membres de la communauté des backpackers indépendamment des résultats intéressants trouvés par rapport à leur identité nationale (Noy & Cohen, 2005; Maoz, 2007; Teo & Leong, 2006), à leur classe sociale (Cohen, 2004; O'Reilly, 2006), à leur âge (Maoz, 2005), à leur sexe (Elsrud, 2001; Loker-Murphy, 1996; LokerMurphy & Pearce, 1995; Murphy, 2001; Noy, 2004; Riley, 1988). En effet, les caractéristiques communes de jeunes occidentaux s'adonnant à la pratique du backpacking ont déjà été étudié, mais le contexte en mutation de l'Occident obligera les chercheurs à reconsidérer la question au fil du temps. La compréhension du phénomène backpacking peut précisément s'enrichir de la qualité de recherches explorant des groupes spécifiques, comme par exemple à l'échelle nationale, et de recherches préférant aborder la question à une échelle plus large afin de révéler des points communs, par exemple, à une jeunesse occidentale. La question de la temporalité ouvre précisément des perspectives dans les deux sens et pourraient devenir l'interface pour préciser, comparer et rassembler des études éparses sur ce phénomène. En effet, au cours de notre article, nous avons dégager trois phases révélant un rapport singulier à la temporalité chez le backpacker; rupture provisoire avec les contraintes temporelles, institution d'un rythme intime à la temporalité, réorganisation de la temporalité du voyage par le récit. Or, nous pouvons concevoir que des jeunes voyageurs peuvent traverser ces mêmes phases en adoptant des pratiques diversifiées et en attribuant une signification singulière à chacune d'entre elles. Le rapport à la temporalité, comme donnée socio-anthropologique universelle, apparaît alors comme une solution pour mettre en perspective des populations hétérogènes, des pratiques diversifiées et des variations de ces pratiques dans le temps. Dans tous les cas, un travail important de terrain reste à faire, entre autres parce que le phénomène backpacking semble en pleine mutation. Dans le contexte plus spécifique des études en français, un travail sur la terminologie employée pour désigner le backpacking enrichirait la réflexion sur le sujet dans une perpective susceptible d'intéresser les chercheurs sur le rapport au voyage des jeunes au Québec et dans les autres pays de la francophonie. Par ailleurs, les études quantitatives restent peu nombreuses sur le phénomène. Dans ce contexte, des recherches plus spécifiques sur le rapport des jeunes québécois au Lachance Tourter.com 23 Tourisme & Territoires / Tourism & Territories (2012) backpacking, et de leur place dans le contexte de la jeunesse occidentale, viendrait enrichir à la fois la réflexion sur la jeunesse d'ici et sur le phénomène backpacking en général. RÉFÉRENCES Adler, J. (1985). Youth on the road : reflections on the history of tramping. Annals of Tourism Research, 12(3), 335–354. Adkins, B., & Grant, E. (2007). Backpackers as a community of strangers : the interaction order of an online backpacker notice board. Qualitative Sociology Review, 3(2), 188–201. Bell, C. (2002). Young New Zealand travellers as secular pilgrim. Tourist Studies, 2(2), 143-158. Brown, L. (2009). The transformative power of the international sojourn. An ethnographic study of the international student experience. Annals of Tourism Research, 36(3), 502–521. Bruner, E. M. (1991). Transformation of self in tourism. Annals of Tourism Research, 18(2), 238-250. Cohen, E. (1972). Toward a sociology of international tourism. Social Research, 39(1), 164-182. Cohen, E. (1973). Nomads from affluence : notes on the phenomenon of drifter tourism international. Journal of Comparative Sociology, 14(1-2), 89–103. Cohen, E. (1979). A phenomenology of tourist types. Sociology, 13, 179–201. Cohen, E. (1982). Marginal paradises : bungalow tourism on the Islands of Southern Thailand. Annals of Tourism Research, 9(2), 189–228. Cohen, E. (2004). Backpacking : diversity and change. Dans G. Richards, & J. Wilson (Éds), The global nomad (pp. 43-59). Clevedon : Channel View. Cooper, M., O’Mahoney, K., & Erfurt, P. (2004). Backpackers join the mainstream? An analysis of backpacker employment on the ‘Harvest trail circuit’ in Australia. Dans G. Richards, & J. Wilson (Éds), The global nomad (pp. 180-195). Clevedon : Channel View. Lachance Tourter.com 24 Tourisme & Territoires / Tourism & Territories (2012) Chard, C. (1999). Pleasure and guilt on the Grand Tour : travel writing and imaginative geography, 1600-1830. Manchester : Manchester University Press. Desforges, L. (1998). “Checking out the planet” : global representations/local identities and youth travel. Dans T. Skelton, & G. Valentine (Éds), Cool places : geographies of youth culture. London : Routledge. Desforges, L. (2000). Traveling the world : identity and travel biography. Annals of Tourism Research, 27(4), 926–945. Elsrud, T. (1998). Time creation in traveling : the taking and making of time among women backpackers. Time and Society, 7(2), 309–334. Elsrud, T. (2001). Risk creation in traveling : backpacker adventure narration. Annals of Tourism Research, 28(3), 597–617. Enoch, Y., & Grossman, R. (2010). Blogs of Israeli and Danish backpackers to India. Annals of Tourism Research, 37(2), 520–536. Hampton, M. (1998). Backpacker tourism and economic development. Annals of Tourism Research, 25(3), 639–660. Hutnyk, J. (1999). Magical mystical tourism. Dans R. Kaur, & J. Hutnyk (Éds), Travel worlds : journeys in contemporary cultural politics (pp. 94-119). London : Zed Books. Lachance, J. (2007). Le backpacking : un visage positif de l’errance. Dans S. Dupont, & J. Lachance (Éds), Errance et solitude chez les jeunes (pp. 35-42). Paris : Téraèdre. Lachance, J. (2008). Temporalité et narration chez le backpacker Dans L’Autre Voie, 4. Repéré à http://www.deroutes.com/backpacking4.htm Lachance, J. (2010). Le Backpacking : voyager hors de soi. Dans N. Ducournau, L. Mathiot, J. Lachance, & M. Sellami (Éds). La recherche d'extase chez les jeunes. Québec : Presses de l'Université Laval, coll. Sociologie au coin de la rue. Lachance, J. (2011). L’adolescence hypermoderne. Le nouveau rapport au temps des jeunes. Québec : Presses de l’Université Laval. Lachance Tourter.com 25 Tourisme & Territoires / Tourism & Territories (2012) Loker-Murphy, L. (1996). Backpackers in Australia : A motivationbased segmentation study. Journal of Travel and Tourism Marketing, 5(4), 23–45. Loker-Murphy, L., & Pearce, P. (1995). Young budget travelers : backpackers in Australia. Annals of Tourism Research, 22(4), 819–843. Maoz, D. (2004). The conquers and the settlers : two groups of young Israeli backpackers. Dans G. Richards, & J. Wilson (Éds), The global nomad (pp. 109-122). Clevedon : Channel View. Maoz, D. (2005). Young adult Israeli backpackers in India. Dans C. Noy, & E. Cohen (Éds), Israeli backpackers : from tourism to rite of passage (pp. 159-188). Albany : State University of New York Press. Maoz, D. (2006). The mutual gaze. Annals of Tourism Research, 33(1), 221–239. Maoz, D. (2007). Backpackers’ motivations : the role of culture and nationality. Annals of Tourism Research, 34(1), 122–140. Michel, F. (2004). Désirs d’ailleurs. Essai d'anthropologie des voyages. Québec : Presses de l'Université Laval. Michel, F. (2006). Rites de voyages et mythe de passage. L'Autre Voie, 2. Repéré à http://www.deroutes.com/Rites.htm Mukerji, C. (1978). Bullshitting : road lore among hitchhikers. Social Problems, 25(3), 241–252. Murphy, L. (2001). Exploring social interactions of backpackers. Annuals of Tourism Research, 28(1), 50-67. Muzaini, H. (2006). Backpacking southeast Asia : strategies of looking local. Annals of Tourism Research, 33(1), 144–161. Noy, C. (2004). The trip really changed me : backpackers’ narrative of self-change. Annals of Tourism Research, 31(1), 78–102. Noy, C. (2005). Israeli backpackers : narrative, interpersonal communication, and social construction. Dans C. Noy, & E. Cohen (Éds), Israeli backpackers : from tourism to rite of passage (pp. 111-157). Albany : State University of New York Press. Noy, C., & E. Cohen (2005). Israeli backpackers : from tourism to rite of passage. Albany : State University of New York Press. Lachance Tourter.com 26 Tourisme & Territoires / Tourism & Territories (2012) O’Reilly, C. C. (2006). From drifter to gap year tourist : mainstreaming backpacker travel. Annals of Tourism Research, 33(4), 998–1017. Pearce, P., & Foster, F. (2007). A “university of travel” : backpacker learning. Tourism Management, 28(5), 1285–1298. Peel, V., & Steen, A. (2007). Victims, hooligans and cash-cows : media representations of the international backpacker in Australia. Tourism Management, 28(4), 1057–1067. Richards, G., & Wilson, J (2004). Travel writers and writers who travel : nomadic icons for the backpacker subculture? Journal of Tourism and Cultural Change, 2(1), 46-68. Ricoeur, P. (1983). Temps et récit. Tome 2. Paris : Édition du Seuil. Riley, P. (1988). Road culture of international long-term budget travelers. Annals of Tourism Research, 15(3), 313–328. Scheyvens, R. (2002). Backpacker tourism and third world development. Annals of Tourism Research, 29(1), 144–164. Sørensen, A. (2003). Backpacker ethnography. Annals of Tourism Research, 30(4), 847–867. Spreitzhofer, G. (1998). Backpacking tourism in Southeast Asia. Annals of Tourism Research, 25(4), 979–981. Teas, J. (1988). “I’m studying monkeys; what do you do?” : youth and travelers in Nepal. Kroeber Anthropological Society Papers, 67, 35–41. Teo, P., & Leong, S. (2006). A postcolonial analysis of backpacking. Annals of Tourism Research, 33(1), 109–131. Thyne, M. Lawson, R., & Todd, S. (2006). The use of conjoint analysis to assess the impact of the cross-cultural exchange between hosts ans guests. Tourism Management, 27(2), 201-213. Tsaur, S.- H., Chang-Hua, Y., & Chia-Li, C. (2010). Independant tourist knowledge and skills. Annals of Tourism Research, 37(4), 1035-1054. Tsaur, S.- H., Tzeng, G.- H., & Wang, K.- C. (1997). Evaluating tourist risks from fuzzy perspectives. Annals of Tourism Research, 24(4), 796–812. Lachance Tourter.com 27 Tourisme & Territoires / Tourism & Territories (2012) Uriely, N., Yonay, Y., & Simchai, D. (2002). Backpacking experiences : a type and form analysis. Annals of Tourism Research, 29(2), 520–538. Vance, P. (2004). Backpacker transport choice : a conceptual framework applied to New Zealand. Dans G. Richards, & J. Wilson (Éds), The global nomad. Clevedon : Channel View. Vogt, J. (1976). Wandering : youth and travel behaviour. Annals of Tourism Research, 4(1), 25–41. Xiberras, M., & Monneyron, F. (2010). Le monde hippie. De l’imaginaire psychédélique à la révolution informatique. Paris : Imago. Lachance Tourter.com 28