Et voilà le travail!

Transcription

Et voilà le travail!
Et voilà le travail!
par Jean-Pierre THIBAUDAT
QUOTIDIEN : mardi 21 mars 2006
Push up de Roland Schimmelpfennig par le collectif Drao au théâtre de la Tempête,
jusqu'au 2 avril.
Rien de tel que le théâtre pour faire imploser le monde de l'entreprise.
Car ce qu'il y a de bien au théâtre c'est que les morts, les remords, les
fantasmes, les désirs inassouvis, les voix intérieures ont autant de réalité
que le babil habituel de deux êtres se rencontrant au bureau ou à la
caféte. On peut le constater et s'en régaler au Théâtre de la Tempête et
au Théâtre du Chaudron, deux hauts lieux de la Cartoucherie de
Vincennes.
Monde clos. Le premier de ces lieux est dirigé par Philippe Adrien. C'est
lors d'un stage avec celui-ci que six comédiens se sont rencontrés
autour de la pièce de Jean-Luc Lagarce Derniers Remords avant l'oubli.
Ils ont décidé de la jouer et de la mettre en scène ensemble avec
succès, plus de cent représentations à ce jour , reprenant les initiales du
titre pour créer le collectif Drao.
Push up, de l'Allemand Roland Schimmelpfennig (qui fut, de 1999 à
2001, dramaturge à la Schaubühne de Berlin), est leur second spectacle.
Trois hommes, trois femmes, comme chez Lagarce, mais une tout autre
histoire. Si les personnages de Derniers Remords règlent leurs comptes
avec un certain passé, ceux de Schimmelpfennig sont tournés vers
l'avenir d'une promotion, d'un plan de carrière, lequel commence souvent
par un plan séduction. A l'intérieur de la maison de campagne
lagarcienne succède le monde clos de l'immeuble de l'entreprise où, au
16e étage, règnent le patron et son bras droit-amante.
Chaque scène se présente sous forme de duel. Cela commence par le
combat à mots nus entre le bras droit-amante et la responsable très
douée d'une division, perçue comme une rivale à qui elle entend barrer
la route des Indes (poste à pouvoir à Delhi). Le corps est toujours
l'envers du décor. Ainsi dans le duel suivant, mettant en rivalité
professionnelle deux êtres dont les épidermes s'attirent. L'auteur joue
constamment sur le double registre du texte social et intime et sur l'effet
de miroir qu'il radicalise entre les duettistes de façon un peu mécanique.
L'homme, pas plus que la femme, ne sort grandi de ces affrontements
d'intérêt et d'intestin. Les six acteurs de Drao Stéphane Facco, James
Joint, Sandy Ouvier, Maïa Sandoz, Fatima Souahia Manet et Christophe
Vienne cosignent la mise en scène, laquelle part du groupe et y revient
toujours. Leur jeu tranchant explore les moindres recoins et a l'élégance
de rendre la pièce plus subtile qu'elle ne l'est sans doute. Là où chacun
des personnages ne pense qu'à sa pomme, les acteurs privilégient le
collectif : «On se sent responsable de chaque instant de chacun», dit
Sandy Ouvier ; nous sommes «socialisés» complète Maïa Sandoz, avec
un territoire, «celui de la cité».