Je la vois là-bas au milieu de tous ces gens. Elle me regarde avec
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Je la vois là-bas au milieu de tous ces gens. Elle me regarde avec
Je la vois là-bas au milieu de tous ces gens. Elle me regarde avec les yeux d’une femme vaincue. Une femme qui a perdu toute raison de vivre. Ce regard éteint qui me brise le cœur. Elle est tellement différente du jour où je l’ai rencontrée, ce jour qui a changé ma vie ... C’était une belle matinée de printemps, l’hiver peinait néanmoins à partir, mais nous pouvions recommencer à vendre la laine des moutons. J’étais parti au marché avec frère Jean afin d’essayer de liquider quelques stocks de l’hiver. Cela faisait deux heures que nous étions là, et nous avions presque fini notre petit commerce quand soudain, toute une cavalerie arriva. Nous comprîmes rapidement que le seigneur venait faire un tour au village et ainsi vérifier que tout allait bien, principalement au marché. Cette fois, sa fille l’accompagnait. Elle s’appelait Jeanne, je ne l’avais jamais vue, mais avant d’entrer au monastère, j’avais beaucoup entendu parler d’elle. Jeanne était connue pour sa beauté sans pareille, et quand je la vis, mon cœur fut immédiatement conquis. Ses cheveux descendaient en cascade sur ses épaules. Ils avaient une couleur d’or et brillaient au soleil. Sa silhouette était fine et élancée et elle se déplaçait avec tellement de grâce que même un abbé ne pouvait renoncer à la regarder. Je pris à ce moment-là la décision qui bouleversa ma vie. Cela faisait maintenant trois mois que j’avais prononcé mes vœux et je ne me sentais toujours pas fait pour ce mode de vie. Sa vision finit par me convaincre. Je ne pouvais plus passer une minute dans ce monastère. Alors je dis à frère Jean : - Je pars, n’essaie pas de me retenir, je m’en vais retrouver l’élue de mon cœur. Il n’eut même pas le temps de réagir que j’étais déjà parti. En me retournant, le regard de Jeanne et le mien se croisèrent et je vis dans ses yeux qu’elle avait ressenti exactement la même chose à mon égard. Je ne puis jamais l’expliquer, mais ce fut le coup de foudre. J’allai vers elle en entendant le frère Jean qui me criait : - Frère Mathieu ! Reviens ! Tu ne peux pas partir, tu as prononcé les vœux, tu seras sévèrement puni ! Mais je n’en tenais pas compte, je continuais à marcher. Elle descendit de son cheval et vint à ma rencontre. Nous nous regardâmes longtemps avant d’oser nous parler. J’avais l’impression de la connaître depuis toujours. C’était tellement étrange et magique en même temps. Malheureusement, son père la rappela rapidement. Je luis promis alors de la revoir très bientôt. Il s’écoula quelques semaines avant d’avoir utilisé tout mon argent. J’étais sans un sou et je n’avais pas encore pu revoir Jeanne. Mais je ne perdis pas espoir. Nous allions nous revoir, je lui avais promis. Même si la saison était clémente, je ne pouvais vivre sans manger. A contrecœur, je me mis à voler. Plusieurs fois je réussis à prendre quelques pommes sur un étalage mais je vivais avec la crainte constante d’être attrapé. Cela faisait deux mois maintenant que je vivais en hors-la-loi et toujours pas de nouvelles de Jeanne. Je n’en pouvais plus d’attendre. Un jour pourtant, miraculeux, j’entendis des chevaux arriver. Je courus me cacher dans la forêt car j’étais certain que les cavaliers étaient là pour moi. Mais avec la plus grande des surprises, j’aperçus ce visage que j’aurais pu reconnaître entre mille. C’était elle. Jeanne m’avait retrouvé. Elle courut vers moi et se jeta dans mes bras. Ce fut le plus beau moment de ma vie. Mais à peine après m’avoir lâché, elle me dit avec une peur immense dans les yeux : - Mathieu, tu cours un grave danger, tous les soldats de mon père sont à ta recherche, l’abbé du monastère ainsi que plusieurs marchands t’ont dénoncé. Tu dois t’en aller, ils arrivent. Mais je ne pouvais la laisser, c’était impossible. Après tout ce temps, je ne pouvais renoncer à rester. Alors nous vécûmes les derniers instants de paix, de bonheur qu’il nous restait. Une heure plus tard, ils étaient là, comme elle l’avait prévu. Ils m’arrachèrent à elle et me jetèrent dans leur carriole à prisonniers. Je la voyais là-bas, au milieu de tous ces bras qui la retenaient. Pleurant et criant qu’on me libère. Mais nous savions tous les deux que c’était fini. Le lendemain j’étais sur l’estrade de la place du village. Ma pendaison allait être le spectacle du jour. Tous les gens criaient, m’insultaient et rigolaient. Tous, sauf elle, seule au milieu de cette foule. Et je me demandai soudain comment j’avais pu en arriver là ... Alors ma dernière pensée alla vers elle et je sus qu’elle m’entendait : ”Oh, Jeanne, pour aller jusqu’à toi, quel drôle de chemin il m’a fallu prendre. ” Camille Gall, 2nde A.