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OSWALD VON WOLKENSTEIN (c.1377-1445)
Songs of Myself
TRADUCTION FRANçaise des texte chantés
1 | Es fügt sich (I)
I
Il advint, quand j’eus atteint l’âge de dix ans,
Que je fus pris du désir de voir comment le monde était fait.
Dans ma détresse et grande pauvreté, en tant de lieux et chauds et froids
Ai demeuré, parmi Chrétiens, Orthodoxes, Païens.
Trois sous en poche et un morceau de pain
Pour tout viatique, ainsi je m’en allai au-devant de la misère.
De singuliers amis ont depuis fait couler tant de gouttes de mon sang
Que mille fois j’ai cru mourir.
J’allais à pied, portant ma lourde peine, jusqu’à ce que mourût mon père ;
Quatorze ans, déjà, sans que j’eusse un cheval à moi,
Sauf un, volé, un aubère,
Dont fus, hélas, séparé de la même manière.
Fus, sur ma foi, messager, cuisinier, écuyer ;
Fus assis au banc des rameurs – dure besogne ! –
En Crète et en d’autres lieux, et sur le chemin du retour.
Que de sarraus furent mes plus beaux habits !
II
En Prusse, Lituanie, Tartarie, Turquie, au-delà de la mer,
En France, en Italie, en Lombardie, Espagne, m’entraîna l’amour
Et toujours à mes frais, avec les armées de deux rois :
Ruprecht et Sigismond, tous deux ayant une aigle pour emblème.
Français, maure, catalan, castillan, allemand, latin,
Slovène, italien, russe et grec :
J’usai de ces dix langues quand besoin était,
Et je viellais aussi, et savais la trompette, le tambour et la flûte.
Tout autour d’îles et de presqu’îles ai navigué, vu des pays sur de grands navires
Qui m’ont sauvé des fureurs des tempêtes ;
Et du Nord jusqu’au Sud ai sillonné les mers.
La mer noire m’apprit à m’accrocher à un tonneau
Lorsque pour mon malheur mon brigantin se fracassa
(J’étais alors marchand), mais sain et sauf je regagnai la terre,
En compagnie d’un Russe. Dans la fureur des flots capital et profit
Sombrèrent ; mais moi, je nageai vers la rive.
III
La reine d’Aragon était belle et charmante,
Devant elle m’agenouillai, lui présentant, à son vouloir, ma barbe,
Et de ses blanches mains elle y attacha un annelet joli,
Me disant avec grâce : “Non mai plus disligaides !” (“Jamais plus ne le détacheras !”)
De ses mains furent mes oreilles
D’une aiguille en cuivre percées,
Et y fixa, selon l’usage, deux boucles
Que je portai longtemps ; on les appelle raicades.
Du roi Sigismond me mis aussitôt en quête, et le trouvai :
Il resta bouche bée et se signa lorsqu’il me reconnut.
Lui, aussitôt, de me crier : “Quels brimborions me viens-tu là montrer ?”
Puis demanda, d’un ton aimable : “Ces anneaux ne te font-ils pas mal ?”
Femmes et hommes me regardaient et riaient,
Parmi lesquels neuf messagers royaux, qui se trouvaient
À Perpignan, leur pape de Luna, qu’on dit Pedro,
Et le dixième était le roi romain, et puis encore la souveraine de Prades.
2 | Herz, müt, leib, sel
Cœur, esprit, corps, âme, et tout ce que je possède,
Un doux visage fait leur joie,
Auquel je me veux tout entier soumettre,
Et que je veux toujours servir.
Ma Dame et ma maîtresse, à tout jamais
Je te porterai dans mon cœur ;
Si tu voulais à cet amour répondre,
Pas même un roi ne serait plus heureux.
Si de mon amitié tu avais connaissance,
Sans prévention, fût-ce de la moitié,
Tu apprendrais sur moi et sur toi-même
Maintes nouvelles agréables.
Aussi loin que je sois, je sens ton noble corps
Suivre mes pas en une ardente ivresse,
Et pour lui me consume en amoureux désir ;
Car tu fais mon bonheur plus que tout autre femme.
4 | Fröhlich zärtlich
Joyeuse, tendre, gracieuse, éclatante,
Et charmante, et douce, et paisible,
Sereinement et chastement,
Éveille-toi, si bonne et belle,
Tire, étire ton noble corps tout plein de grâce,
Ouvre tes yeux si limpides et clairs.
Vois comme peu à peu
Le jardin des étoiles
Disparaît dans l’éclat des rayons du soleil.
Entrons dans la danse !
Tressons des guirlandes
De blondes et brunes fleurs,
Et bleues et grises, jaunes, rouges, blanches,
Et violettes aussi.
Chuchotant, susurrant, et tout bas murmurant,
Pour prononcer des paroles exquises,
Ouvre tes lèvres pleines et vermeilles
Qui dans mon cœur ont allumé un feu,
Et mille fois, en de douces alarmes,
M’arrachant au sommeil,
M’ont laissé voir à travers leur sourire
Un rouge, tendre, étroit pertuis
Gardé par de jolies dents blanches,
Qui font sa bouche scintillante,
Éclatante et resplendissante,
Comme une image étincelante.
Si elle voulait, si elle venait, vite elle ôterait
De mon cœur la grande et cruelle peine,
Et si elle y posait un de ses beaux seins blancs,
Toute ma tristesse au vent s’en irait.
Comment une aimable et tendre jouvencelle
Peut-elle donc combler mon cœur,
Sans lui causer la moindre peine,
D’une joie pure et sans partage ?
Bouche contre bouche en un baiser scellées,
Langue contre langue et sein contre sein,
Ventre contre ventre et cheveux emmêlés,
Fi de la paresse
Et allons bon train !
7 | Grasselik lif
“Méchant garçon, où donc te cachais-tu
Pendant ce long et bel été ?
– Que vous veniez à moi
Remplit mon cœur d’une joie sans pareille.
Sans chagrin ni souci, le cœur plein d’allégresse,
Laissez-moi seul vous donner toute joie ! – Bien folle si j’y renonçais,
Car je veux devenir ta femme.
– Cher amour, mettons bien la clé dans la serrure
Et fermons-la à double tour !
– Je connais enfin les délices,
Et mon cœur ne veut plus d’autre amoureux que toi !”
8 | Bist grüßt maget reine
Salut, Vierge pure
Toi seule es la reine
De l’univers entier.
Car de pitié elle est prodigue,
Vers elle je tends mes pensées :
Vie elle peut donner,
Douceur émane d’elle,
C’est elle que je veux chanter ;
Donne-nous, toi que je salue,
Espérance et prospérité.
Avec ferveur vers toi nous élevons nos voix,
Assiste-nous dans la détresse,
Ne nous délaisse pas, fils d’Ève que nous sommes.
Nous soupirons vers toi – ne te détourne pas –
Pleurant et gémissant,
Dans cette Vallée de Larmes, regarde-nous,
Et chasse de nous toute peine.
Oh ! viens à nous, notre avocate,
Défends-nous en tous lieux,
À ceux qui veulent te servir
Accorde ta miséricorde,
Ô douce Vierge, ô Vierge de bonté,
Tourne vers nous
L’éclat de ton regard,
Daigne accueillir le troupeau des chrétiens.
Et que Jésus à jamais soit béni,
Fruit d’abondance, enfant de tes entrailles,
Pour nous pauvres pécheurs sois le refuge,
Accorde-nous, après tant de misère,
L’espoir de ta miséricorde.
Ô diadème de virginité, sois notre récompense,
Ô trône de Salomon, dans sa magnificence,
Ô parfaite félicité, que le soleil de ses rayons couronne,
Ô fontaine de douceur, ô Marie.
9 | Durch Barbarei, Arabia
I
Par le pays Berbère et l’Arabie,
À travers l’Arménie vers la Perse,
La Tartarie vers la Syrie,
Et Byzance vers la Turquie,
La Géorgie :
Tous ces chemins sont oubliés.
Par la Russie, la Prusse et l’Estonie,
Vers la Lituanie, Livonie, par la côte,
Vers Danemark, Suède et le Brabant,
À travers Flandres, France et Angleterre
Et puis l’Écosse,
Ne suis passé depuis longtemps,
Par l’Aragon et la Castille,
À travers Grenade et Navarre,
Du Portugal et d’Hispanie
Jusqu’au cap Finisterre,
De Provence jusqu’à Marseille.
C’est à Ratzes sur le Schlern
Que je suis retenu par les liens du mariage,
Pour faire, contre mon vouloir,
Mon malheur toujours plus affreux,
Sur cet étroit et rond caillou
Qu’entourent des forêts épaisses.
Je ne vois chaque jour que cimes élevées,
Vallées profondes,
Pierres, buissons, souches et neige dure.
Une chose encore m’accable,
Le bruit de ces petits enfants
Qui fait l’assaut de mes oreilles
Et les perce.
II
Tous les honneurs que j’ai reçus
De princes – et même d’une reine ! –,
Toutes les joies que j’ai connues,
J’en paie le prix sous un seul toit.
Et ma funeste situation
N’est pas près de se terminer.
Il me faut déployer beaucoup d’habileté
Pour gagner maintenant mon pain de chaque jour.
De plus, sans cesse on me menace,
Et pour me consoler point de bouche vermeille.
Ceux à qui j’ai rendu service
Me délaissent cruellement.
Où que je tourne mes regards,
Des délices enfuies je ne vois que les ruines ;
À la place de ceux qui jadis m’entouraient,
Veaux, chèvres, boucs et bœufs pour toute compagnie,
Des rustres, noirs et laids,
En hiver tout couverts de suie,
Qui vous mettent en joie comme le mauvais vin et la vermine.
Et dans mon désespoir je chasse loin de moi
Mes enfants à coups de taloches,
Et leur mère ne tarde pas
À se ruer sur moi avec des cris furieux.
Si de ses poings elle faisait usage,
Je paierais cher pour mon forfait !
Elle hurle : “Comment oses-tu, misérable,
Comme crêpe aplatir tes enfants ?”
Sa colère me fait frémir ;
Hélas, qui s’y frotte s’y pique,
Je n’y échappe pas souvent !
III
Mes divertissements sont variés et multiples :
Le chant de l’âne ou bien le cri du paon ;
Je n’en voudrais pour rien au monde.
Et le ruisseau, avec un bruit de tous les diables,
Me fend le crâne
Et donne la nausée.
Ainsi je porte mon fardeau ;
Des soucis quotidiens et des sombres nouvelles,
Hauenstein jamais ne sera épargné.
Si je pouvais changer tout cela sans péril,
Ou si quelqu’un pouvait à ma place le faire,
Pour toujours lui aurais gratitude infinie.
Mon seigneur n’a pour moi que griefs et reproches,
À cause de l’envie de gens remplis de fiel.
Mes services ne l’agréent plus
(Ce qui fait mon tourment et me cause du tort)
Bien que jamais nul rejeton princier
– J’en donne ma parole ! –
N’ait attenté à mon corps, mon honneur,
Mes biens ou mon renom au sein de son domaine
Si prospère et si beau.
Mes amis sans raison ont de moi pris ombrage,
Et mes cheveux en sont devenus gris.
J’adresse ma complainte à la face du monde,
Aux probes et aux sages,
À tant de grands et nobles princes
Qui veulent en tous lieux entendre leurs louanges :
Qu’ils n’abandonnent pas le pauvre Wolkenstein
À la dent vorace des loups
Et ne le laissent pas si seul dans sa misère !
10 | Es fügt sich (II)
IV
Ma folle vie, je la voulus changer, par ma foi,
Et me fis pour deux ans moine errant, à moitié.
Et certes le début était plein de piété,
Si l’amour n’était venu ruiner la fin.
Tant que j’allais à l’aventure, en quête de tournois,
Chevalier servant d’une Dame – dont ici je ne dirai rien –,
Celle-ci ne daignait m’accorder ses faveurs,
Avant qu’un froc ne fît de moi un sot.
Tout alors me devint facile,
Dès que bure et capuche m’enveloppèrent.
Vrai, nulle fille, avant ou après, ne fut envers moi plus gentille
Et plus aimablement n’écouta mes paroles.
La dévotion filait droit par la cheminée
Lorsque dans la fumée je jetais mon habit.
J’ai depuis pour l’amour mené tant de combats
Que mon plaisir s’en est presque gelé.
V
Il serait bien trop long de raconter tous mes tourments ;
M’y pousse cependant une bouche vermeille,
Dont mon cœur est blessé de mortelle blessure.
Que de sueur à sa vue sur mon front ruissela !
Souvent du rouge au blanc se colorait ma face
Lorsque je me tenais devant la belle.
Tremblant et soupirant souvent ne sentais plus
Mon corps, comme s’il eût été réduit en cendres.
En d’affreuses terreurs, même à mille lieues d’elle,
Je grille dans les flammes, sans espoir de consolation.
Froid, pluie, neige et le gel pénétrant ne m’ont tant tourmenté
Que je n’aie brûlé quand mon soleil bien-aimé m’embrasait.
Auprès d’elle, mon être est comme ensorcelé.
À cause d’une Dame, je dois sur des chemins étrangers et hostiles
Errer vers l’inconnu, jusqu’à ce que pitié vienne chasser sa haine.
Si elle daignait me secourir, ma peine en joie se changerait !
11 | Ach senliches leiden
Ah ! torturant désir,
Fuites, querelles, adieux, quelle douleur cruelle !
Mieux vaudrait périr en la mer.
Douce amie de mon cœur,
Tu me bannis, m’envoies vers Josaphat.
Mon cœur et mon âme, mon esprit et mes sens sont désormais sans force.
La mort peut seule m’arracher
À cette peine trop affreuse,
Si ta foi désormais ne peut me secourir.
Tu ne peux savoir mon angoisse ;
Ta bouche de carmin
A si souvent tourmenté mon désir !
D’elle j’espère enfin un jour obtenir grâce.
Mon cœur, luttant dans les tourmentes,
Est sur le point de se briser. Dis un mot et guéris ma peine !
Ma Maîtresse, j’attends un décret favorable ;
Car je suis au dauphin semblable,
Qui sagement s’abîme au plus profond des mers
Pour échapper à la tempête,
Puis vient se réchauffer aux rayons du soleil,
Ramenant la joie en son cœur.
Hélas, ô douce amie, par ta grande bonté
Je t’en conjure, garde-moi ta foi !
Ne laisse point celui qui t’aime
Mourir, souffrir et dépérir ;
Privé de toi je n’ai plus ma raison.
Ma tête retentit
De cris, soupirs, luttes contre moi-même,
Et j’en suis en une heure plus qu’en mille accablé.
Si la nuit je songe à ma peine,
Le sommeil qui me fuit me rend tout languissant,
Et ma joie s’enfuit loin de moi.
Nul ne saurait me consoler
Tant ma peine est immense,
Et mon cœur se consume
En soupirs déchirants.
Ah ! quand serai-je enfin de mes maux délivré ?
L’attente et le désir me rongent, me dévorent,
Et me font perdre la raison.
12 | Des himels trone
Le trône des cieux
Pâlit
Aux premiers assauts du matin ;
Les oiselets charmants
Doucement me réveillent
De leurs chants mélodieux.
La neige a disparu,
Feuillages, herbes, trèfle,
Éclosent, radieux.
Et je voudrais de tout mon cœur,
Loin de toute peine cruelle,
Pour ma Dame chanter,
Elle qui, seule, peut
Apaiser ma langueur,
Effacer ma tristesse
Avec ses douces mains ;
Lorsque ma gente amie
Remplit mon cœur de joie,
Tout mon chagrin
S’évanouit.
Lorsque je songe à ses façons charmantes,
À ses embrassements
Pleins d’ardeur amoureuse
– Qu’elle sait bien les prodiguer ! –,
Je suis à ma Maîtresse
Corps et âme
Dévoué,
Où que mes pas me portent.
Loin de nous, tempêtes rageuses,
Ne venez plus nous tourmenter,
Vous êtes désormais vaincues,
Vous qui vous déchaîniez autour
De la bouche vermeille
De ma très tendre amie !
Son visage, ses deux mains blanches,
Avec soin
Seront de vous désormais protégés,
Lorsque, traversant la prairie,
Elle baigne
De rosée ses pieds mignons.
Debout, les paresseux,
Courez les rues,
Vous qui jusqu’à ce jour,
Comme corps par la pluie délavés,
Demeuriez sur vos bancs,
Stupides et sans force !
Que le soleil vous réjouisse !
Voyez le frais éclat
De la claire fontaine !
Ô joli mai,
À toutes choses
Tu donnes une vie nouvelle
Qui follement nous met en joie.
Et voulez-vous savoir pourquoi ?
Tout cela – sans autre raison –
Parce que Dieu, en vérité,
Seul, a daigné nous accorder
Une telle grâce et bonté.
13 | Nu rue mit sorgen
“Laisse dormir tes craintes, ô mon secret amour !
Ferme tes yeux las de tout ce tumulte,
Avant que du matin ne reviennent les feux,
Sans t’inquiéter du jour qui va paraître !
Il est bien tôt encore, ô mon aimé,
Oublie la peine et les alarmes,
Ne songe qu’à la joie.
Si tu m’obéis en cela,
Alors tu seras mien vraiment.
– Douce amie, qu’il en soit ainsi !
Ma Dame, punis-moi, j’ai dormi trop longtemps,
L’étoile du berger déjà s’en est allée.
Ah ! bouche vermillonne,
Guéris-moi,
Viens ici te poser pour apaiser mes maux !
Que ta tête inclinée se penche sur mon cœur,
Serre-moi dans tes bras d’une étreinte suave,
Livrons-nous au doux badinage,
Maîtresse, qui fait notre joie !
– Ô tendre ami, ainsi ferai-je !
L’azur chasse bientôt le pâle éclat du ciel,
Des chants d’oiseaux partout résonnent.
Qui t’a mandé ici, ô jour ?
Ton habit
Ne cachera pas notre honte,
Et ta pâleur n’est pas la bienvenue. – Bonjour, ma tendre et seule amie !
Ne pleure pas si fort,
Je serai bientôt de retour !
Je pars, ô ma Maîtresse, et te salue !”
15 | Kom, liebster man
– Viens, ô toi, le plus cher des hommes !
À toi et pour toujours
Je veux m’abandonner !
Viens, ô cher compagnon,
Et plein de joie fuis tout malheur !
Viens, cher amour, et fièrement dédaigne
La fourbe perfidie des langues malfaisantes !
Hâte-toi de chasser la peine de mon cœur,
Et viens me consoler, pauvrette que je suis.
Ton mâle port guérit mon esprit et mon âme
Plus que tout autre chose au monde.
– Tes paroles et tes façons
Rendent ma peine plus légère,
Maîtresse, et plus encor me réjouit le cœur
Qu’une Dame charmante et jeune et noble et bonne
Et pleine de vertu,
Daigne m’aimer et consoler
De ses propos gracieux et d’un doux badinage,
Dont mon cœur se sent rajeunir.
Car son corps plein de grâce et ses traits pleins d’amour
Font que point ne vieillis, et que de ses yeux clairs
Je me sens rafraîchi comme d’une onde pure.
– Ton départ fait toute ma peine,
Ton départ est pour moi la mort,
Mes yeux de larmes sont rougis,
Je ne me soutiens plus
Et ma raison s’égare.
Ma pudeur, que le désir consume,
Sur moi a perdu tout empire.
Si tu ne m’écris bien vite
Et trop longtemps demeures loin de moi,
Ah ! ton absence et ton silence
Feront – je ne le crains que trop ! –
Que plus jamais je ne te reverrai !
17 | Der mai mit lieber zal
De ses riches splendeurs le mai pare la terre,
Collines, plaines, montagnes et vallons. De tendres chants d’oiseaux
Partout résonnent, tout là-haut chantent l’alouette, la grive et le rossignol.
Puis voici le coucou, qui des petits oiseaux
Vient rabattre la joie. Écoutez-le parler :
“Coucou, coucou, coucou, or ça ! paie-moi l’impôt,
Je l’exige de toi, la faim creuse mon ventre. – Hélas, comment pourrais-je ?” répond la gent ailée.
“Roitelet, serin, mésange, alouette, venez, et chantons tous ensemble :
ozi, ozi, ozi, ozi, ozi, fi,
fideli, fideli, fideli, fi,
zi ziriri zi, zi ziriri zi,
ri ziwick, zidiwick, fizi, fizi,”
Mais le coucou fait seulement : “Kawa wa, coucou.”
“Rako, dit le corbeau, je sais aussi chanter,
Mais la bedaine pleine,
Et mon chant dit : remplis, remplis mon ventre !
– Liri liri liri liri liri lon
Chante, chante, chante l’alouette.
– Et moi, et moi, et moi, la grive,
Moi, la grive, chante si clair que toute la forêt résonne.”
Trillez et gazouillez, coassez, sautillez,
Comme notre curé, zwidick, zwidick, zwidick,
Zifizigo, zifizigo, zifizigo, le rossignol
Avec son chant trouverait le Saint-Graal.
“Upchachi”, fait le poulain, laissez-nous être de la fête !
La vache s’est levée tôt. L’âne crie : “Venez, sacs, sur mon dos !”
“Rigo rigo rigo rigo rigo rigo viens !
Appelle le moulin, appelle le moulin,
– Fiche le camp ! crie la meunière. – Debout, dit la fermière,
Porte ces sacs, mon petit âne, allons ! et pousse ton Hi-han !
Sans paresse, fais ta musique,
Jusqu’à ce qu’à l’étang le vautour emporte ta peau !
En route ! Tends ta corde, cordier ! Et tiens-toi prêt, Walburg !
Allons, ami chasseur, dans les bois la chasse t’invite !
19 | Der oben swebt
Celui qui plane au-dessus nos têtes et soutient le monde,
Qui derrière, devant, de tous côtés est agissant ;
Qui vit éternellement et qui n’a jamais eu de commencement,
Vieux et jeune à la fois, et qui dès l’origine
En un seul mot est trois fois contenu,
Dans une inconcevable harmonie ;
Qui, mort dans les douleurs, pourtant ne mourut pas ;
Qui chastement, par une Vierge pleine de grâces
Sans souffrance fut conçu ;
Qui accomplit tant de miracles ;
Qui, forçant la porte de l’Enfer, défia le démon ;
Qui des racines fit éclore tiges et corolles ;
Celui pour qui tous les cœurs sont ouverts,
Qu’ils soient rudes, mauvais, faibles, nobles ou bons,
Si bien qu’en eux il lit toute pensée ;
Celui à qui l’univers est soumis,
Les étoiles au ciel, le soleil et la lune,
La terre et les hommes, les animaux et les rivières ;
De qui découle tout savoir ;
Qui judicieusement à chaque créature
Confère grâce et avantages ;
Que tous les animaux, dociles ou sauvages,
Remercient pour le grain qu’il a partout semé
En abondance pour leur nourriture ;
Qui a bâti sans faille ciel et terre,
Sans fondations ni assise,
– Et l’eau vient la baigner de mille rus charmants –
(Il faudrait, de telles merveilles,
En tous lieux mille fois les chanter
D’une voix éclatante, mais mon art n’y suffirait pas) ;
Celui qui m’a donné une âme pure,
Corps, honneur, biens, esprit, chrétienne foi :
Qu’Il soit à mes côtés, afin que je lui dise ma reconnaissance,
Et qu’ici tout comme là-bas
Je repousse mes ennemis, afin que nul ne me puisse nuire.
Ô chaste Dame, que ton secours aussi me soit accordé !
20 | Es fügt sich (III)
VI
Quatre cents femmes ou plus et pas un homme
Trouvai-je à Nios ; elles vivaient sur cet îlot.
Jamais en une salle on ne vit plus beau spectacle ;
Nulle pourtant ne surpassait la Dame
Pour qui sur mes épaules je porte un si lourd fardeau.
Oh Dieu ! Si elle connaissait la moitié de ma peine,
Il serait plus léger, quoi qu’il puisse advenir,
Et j’aurais l’espérance qu’elle me prenne en pitié.
Bien loin, quand de douleur mes mains se tordent,
Son aimable salut cruellement me manque,
Ni tôt ni tard ne trouve le repos ;
Ses doux bras blancs en sont les seuls coupables.
Filles et garçons amoureux, songez au mal d’amour !
Comme j’étais heureux quand l’aimée me donna sa bénédiction.
Je savais, sur ma foi, que plus jamais je ne la reverrais,
Et que mes yeux souvent se mouilleraient de larmes.
VII
J’ai vécu quarante ans, moins un ou deux, peut-être,
En folie, frénésie, poésie et chansons.
Il serait temps qu’en bon époux j’entende
Les cris de mon enfant dans son berceau.
Je ne puis cependant pour toujours l’oublier,
Celle qui me donna la joie sur cette terre ;
Nulle part ici-bas n’ai trouvé sa pareille,
Et les criailleries d’une épouse m’effraient.
De mes avis maints sages firent cas,
Car mes chansons joyeuses les charmaient.
Moi, Wolkenstein, je vis à l’étourdie,
Depuis longtemps qu’avec le monde je m’accorde.
Quand je mourrai, j’avoue que je l’ignore,
Et rien ne me suivra que le prix de mes actes.
Si j’avais servi Dieu selon sa volonté,
Je ne m’effraierais point des flammes crépitantes.
21 | Wes mich mein bühl
Les plaisirs dont jadis ma belle me combla,
J’eus tout loisir après de bien les digérer,
À cause de maints fers rouillés
Qu’à son vouloir elle me fit mâcher,
Et qui, hélas, ne se peuvent compter !
Du bonheur n’ai pas à revendre,
Depuis qu’aimablement, pour ma grande douleur,
À un piquet par les pieds me pendit,
Sans dire mot d’autres affreux supplices
Que son amour me fit goûter.
Faudrait-il de surcroît que je l’en remercie ?
S’il ne tient que de moi, elle attendra longtemps !
À cause d’elle je dois subir,
En Hongrie,
Les assauts répétés d’enfants
– “Sept pattes” comme ils les appellent –
Qui m’assaillent,
Me tourmentent,
Qui me mordent,
Me torturent
Tant que j’aurai bientôt expié tous mes péchés.
À Presbourg devant le poêle,
Avec Ebser je tins conseil.
Et j’attisai, et je chauffai si bien
Que je tirai le Roi de sa retraite :
Je me fis de lui reconnaître,
Il me dit : “Les maux que tu souffres
Viennent de celle qui rompit avec toi,
Parce que tes cordes ne sonnaient plus.”
Tout à trac je lui répondis :
“Si j’eusse, comme Votre Grâce,
Possédé bourse plus remplie – entendez bien ! –
J’eusse auprès de ma Dame été plus fortuné.”
Mon procès, je l’espère, prendra bonne tournure,
Si le duc Frédéric cesse de quereller.
S’il n’abandonne point l’affaire,
Ce sera bien fini de rire.
Il exige six mille florins !
Mes affaires de cœur pourraient bien sentir l’aigre !
Car lorsqu’elle rompit, si j’eusse laissé faire,
Je n’aurais pas ainsi à me rompre l’échine
Toute la nuit, sur ce banc, en Hongrie,
Où l’on use de selles en guise de coussins.
Donc, que tout amoureux dans les choses d’amour
Agisse avec prudence, afin qu’il puisse en rire.
Traduction : Michel Chasteau