Quelle est la part d`animalité dans l`homme :

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Quelle est la part d`animalité dans l`homme :
5ème CAFE PHILO
Quelle est la part d'animalité dans l'homme :
La violence est-elle naturelle ou culturelle ? Qu’est-ce que l’humanité ? Et qu’est-ce que
l’inhumanité ? La barbarie est-elle une fatalité ? La « nature humaine » ne comporte-t-elle
pas le meilleur comme le pire ? Quel humanisme pour aujourd’hui ?
SYNTHESE DES ECHANGES
A noter : ceci n'est pas un compte-rendu complet de la discussion telle qu'elle s'est
déroulée mais une tentative de synthèse ordonnée des idées les plus importantes. « L'ouverture »
est un ajout des deux auteures.
L'introduction, comme d'habitude depuis les premiers café-philo, se fait par l'étymologie.
Animalité vient du latin et désigne l'être qui possède une « anima », une âme au sens de principe de
vie ; l'animal est l'être qui peut se mouvoir grâce à ce principe vital, en opposition au végétal qui
pousse sur place. Ce n'est qu'au XVI ° siècle que « l'animosité » (hardiesse au départ) prend le sens
péjoratif de violence et d'agressivité. Homme dérive du mot latin homo, lui-même lié à « humus » :
à la différence des dieux qui habitent le ciel, les hommes se pensent comme terrestres... Mais c'est
tout de même par rapport aux dieux qu'ils se pensent !
Les questions par lesquelles le sujet était annoncé semblent à certains orientées : l'animalité
n'est-elle pas comprise exclusivement ici comme cruauté, bestialité, barbarie ? En revanche la
photographie proposée sur la feuille introductive (deux ânes, photographiés par en bas, semblent
rire en nous regardant) oriente le débat dans une autre direction : elle remet d'emblée en question la
tradition philosophique occidentale, car pour Aristote, par exemple, « le rire est le propre de
l'homme ». Peut-on donc aujourd'hui opposer radicalement animalité et humanité ? Cette photo est
aussi une invitation à l'humilité : si nous voulons comprendre les animaux, cessons de les regarder
de haut ! Les participants semblent, en tout cas, s'accorder pour dire qu'on assiste à partir du XX°
siècle à une nette revalorisation du statut de l'animal.
Le débat tourne autour de trois grandes questions : animalité et inhumanité de l'homme ;
spécificité de l'homme par rapport aux animaux ; supériorité de l'homme.
Animalité et inhumanité de l'homme.
L'homme est d'abord, évidemment, un animal. Cette incontestable part d'animalité en lui nous
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renvoie spontanément au manque d'intelligence (« il est bête ») aux instincts débridés (« il se
conduit comme un animal »), ou à la violence. Mais de manière plus positive, elle évoque ensuite la
sensibilité, comme faculté d'éprouver des sensations, des émotions, de l'attachement, des intuitions.
On se rend compte alors que l'animalité est pour nous positive et indispensable. On dit souvent que
seuls les hommes peuvent aimer (eux seuls font l'amour face à face) alors que les animaux ne font
que se reproduire, mais pourrions-nous aimer sans animalité ? Selon Les ailes du désir (film de
Wim Wenders) ce que désirent le plus les anges c'est de devenir des hommes, car la part animale de
ces derniers leur manque : sentir l'odeur de la pluie, la caresse du soleil, le goût du café, le
sentiment amoureux... Ne devons-nous pas dès lors cultiver notre part animale et la regarder sans
mépris ?
Réciproquement, il y a une part d'humanité chez l'animal quand il est domestiqué. Hommes et
animaux, quand ils vivent ensemble, forment, selon le mot de Dominique Lestel, des
« communautés hybrides » avec un attachement réciproque. On donne deux exemples de cette
humanisation des animaux. Pour le pire : on passe des films pornographiques à des pandas en
captivité pour qu'ils se reproduisent. Ou pour le meilleur : des vaches « écoutent » la musique de
Mozart et la qualité du lait s'améliore ! C'était un des enseignements du spectacle Nature aime à se
cacher (présenté au Centre Aragon peu avant le café-philo) : l'animal singe l'homme, l'homme singe
l'animal.
Peut-on alors identifier animalité à inhumanité ? Non. L'homme seul peut-être inhumain et
cela n'a rien à voir avec l'animalité. L'animal tue pour manger et survivre, l'homme peut massacrer
par idéologie. La « violence » animale n'a rien d'organisé ni surtout d'intentionnel. Si un homme tue
Grand-père, c'est de l'inhumanité : coupable, il devra en répondre. Mais si un lion hélas dévore
Grand-père, on ne songera pas à l'accuser d'inhumanité ; dans le premier cas, on est dans le domaine
du mal, dans le second, il s'agit d'un malheur.
Comment expliquer alors que l'homme puisse être inhumain ? Cette question est à lier avec
celle de la nature humaine. L'exemple des enfants sauvages montre qu'on ne naît pas homme, on le
devient par la compagnie de ses semblables. Pour Lucien Malson, l'enfant sauvage n'est ni un
animal ni un homme, c'est un hybride raté, inclassable, un être qui n'a pas eu ce qu'il lui aurait fallu
pour s'humaniser : l'éducation, la culture. L'homme est cet être dont la nature propre est de ne pas en
avoir, cet être pour qui « tout est possible », capable du meilleur comme du pire, du dévouement
comme de la barbarie, capable de perdre ou de progresser en humanité.
Quelles différences entre l'homme et l'animal ? Y a-t-il une spécificité des hommes ?
L'animal a des besoins ; l'homme seul a aussi des désirs, des envies. Le premier se cantonne
au nécessaire, il vit pour survivre ; le second vit dans le superflu. Avec là encore deux aspects
opposés : les hommes se créent des besoins artificiels mais ils créent également des œuvres d'art,
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ces choses les plus importantes dont Nietzsche disait que ce sont celles qui ne servent à rien.
Pour la tradition philosophique (Aristote, Descartes), l'homme est l'animal qui pense ; il se
définit par la conscience, faculté de se rendre compte, de réfléchir. La conscience ne peut se définir
comme un ensemble de prestations dont l'ordinateur est parfaitement capable, elle est une présence
du monde et une présence à soi-même que nous constatons sans savoir l'expliquer : nous n'avons
aucune preuve qu'un tel effet de présence puisse éclore dans un support matériel ou biologique autre
que le nôtre. Peut-on accorder la conscience à l'animal ? Une chose semble certaine : il n'y a que
l'homme qui puisse se poser cette question ! L'homme cherche à comprendre l'animal, la réciproque
n'est pas vraie. Les chimpanzés, aussi doués soient-ils ne font pas de café-philo ! Voilà une
singularité des hommes qu'on ne peut guère refuser !
Le langage est-il le propre de l'homme ? A première vue, on serait tenté de répondre par la
négative : on peut apprendre à des chimpanzés à parler la langue des signes (celle des sourdsmuets), au moins de manière limitée. On peut aussi évoquer le langage des abeilles. Mais à y
regarder de plus près, l'abeille, selon Benvéniste, ne dit pas, elle fait, son « langage » décalque la
situation objective : elle danse trois minutes pour indiquer que le pollen est à une distance de trois
minutes en orientant son corps dans la bonne direction. Pour dire que l'action se déroule huit jours
plus tard, au théâtre, on l'écrit sur un carton, on ne baisse pas le rideau huit jours ! De plus il n'y a
pas chez les abeilles de dialogue : le message que délivre une première abeille n'est ni commenté ni
interrogé par les autres, elles partent chercher le pollen, c'est tout. Leur «réponse» se réduit à une
réaction automatique et instinctive. L'instinct est une inscription génétique par laquelle l'animal est
adapté à ses conditions de vie, il exclut le choix.
Parler, en fait, n'est pas seulement transmettre des informations, c'est incarner une
signification. Les sourds-muets sont à l'évidence capables de cela : mais les animaux ? La parole
semble le seuil de l'univers humain. Au moins aux yeux des chimpanzés... Car selon une expérience
relatée par Boris Cyrulnik, quand on demande à ceux qui ont appris à parler de trier des photos en
classant d'un côté les animaux et de l'autre les hommes ils mettent leur propre portrait du côté des
hommes !
Une autre spécificité de l'homme semble la liberté ; On entend d'abord par là le choix, c'est à
dire le pouvoir de faire autre chose que ce que l'on fait. Etres d'instinct, les animaux vivent dans la
nécessité, ils n'ont pas le pouvoir de choisir. Pour l'homme, depuis Freud, on parle moins d'instinct
que de pulsions : une force naturelle qui émerge en nous mais à laquelle nous ne sommes pas forcés
de répondre. La liberté est aussi une capacité d'initiative, une forme de créativité ;
traditionnellement, on fait remonter l'humanité à la maîtrise du feu, or les chimpanzé, encore eux,
peuvent maîtriser le feu, du moins si on le leur apprend. Tous les actes humains que l'animal réussit
à accomplir, on les lui a appris, il n'a pas pris l'initiative de les faire.
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Peut-on dire dès lors que l'homme est supérieur à l'animal ?
La discussion sur le désir, le langage, bref les propres de l'homme, nous conduit à une
conclusion paradoxale : on trouve chez l'animal une forme d'authenticité qu'on ne trouve pas chez
nous. Un animal est incapable de mensonge (c'est pour cela d'ailleurs que le contact des animaux
peut soigner). Il y a une sagesse naturelle chez l'animal : il ne gaspille pas, ne détruit pas la nature,
n'y prend que ce dont il a besoin. L'animal a une supériorité du côté du sentir : l'homme a perdu
certains sens (l'odorat par exemple) en développant exclusivement celui de la vue et nous devrions
peut-être réapprendre à avoir du nez !
Certains dans le groupe refusent alors avec vigueur l'idée d'une supériorité des hommes ; le
monde animal et le monde humain sont devenus des mondes parallèles, l'homme a fait « bande à
part » mais il n'est pas supérieur, il est seulement devenu incapable de considérer les animaux ou la
nature à égalité avec lui-même. Mieux, se voir comme supérieur, ne serait-ce pas là l'animalité en
l'homme, comprenons la volonté d'être un chef, la réintroduction de la loi du plus fort ?
Pour d'autres, il y a une supériorité de l'homme, qui réside dans son sens des valeurs.
L'homme seul différencie le juste de l'injuste. Face à la punition injuste, l'enfant sauvage se révolte,
preuve qu'il a une conscience morale et qu'il appartient à l'humanité ; un homme peut se sacrifier
pour un autre, comme le père Kolbe à Auschwitz ; il ne se jette pas sur la nourriture mais la partage
en considérant chacun. En tout cas, s'il ne le fait pas toujours, il en est capable. Cette «supériorité»
d'ailleurs lui confère une responsabilité : celle de considérer, préserver, respecter les êtres plus
faibles ou plus vulnérables que lui.
Ouverture
La violence est moins naturelle que culturelle. L'inhumanité, propre de l'homme, ne peut être
confondue avec l'animalité. Mais la barbarie n'a rien d'une fatalité, l'homme est capable du pire
comme du meilleur ; son histoire est toujours ouverte. L'humanisme contemporain devrait nous
conduire à revaloriser le sentir, à mieux vivre en accord avec la nature, et à respecter l'animal, cet
être qui garde tout son mystère, «le plus autrui des autrui», selon la belle formule de Lévi-Strauss. Il
se peut qu'entre l'homme et l'animal, la différence soit moins de nature que de degré ; certains
anthropologues soulignent l'exception occidentale qui consiste à séparer radicalement la nature de la
culture (1) là où certains philosophes (2) affirment que dire « l'homme est un animal comme les
autres » est une contradiction dans les termes ; Si la phrase est vraie, le fait que l'homme la dise, la
théorise ou seulement s'interroge à son propos suffit à monter que l'homme n'est pas un animal
comme les autres. Nous, êtres humains, ne sommes donc pas près de fermer la question de la part
d'animalité en l'homme !
Catherine VALLEE & Béatrice SCOLA (notes)
Notes: 1-cf Philippe Descola, l'homme est-il un animal ? France Culture, 30 juillet 2011.
2- cf Francis Wolff, Notre humanité, d'Aristote aux neurosciences, Fayard, 2011.
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