Faillite et insolvabilité / Droit du travail

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Faillite et insolvabilité / Droit du travail
Faillite et insolvabilité / Droit du travail
Printemps 2006
Fasken Martineau DuMoulin S.E.N.C.R.L., s.r.l.
Adoption de la Loi 47 : la protection des salariés en cas d’insolvabilité de
leur employeur
Par Serge Guérette
Le parlement fédéral a adopté, fin novembre dernier, le projet de loi C-55 intitulé Loi édictant la Loi sur le
Programme de protection des salariés et modifiant la Loi sur la faillite et l’insolvabilité, la Loi sur les
arrangements avec les créanciers des compagnies et d’autres lois en conséquence, devenu de ce fait le
Chapitre 47 des lois de 2005 (ci-après la « Loi 47 »). La loi a notamment pour objet de mieux protéger les
salariés des conséquences de la faillite de leur employeur. Les divers chapitres de cette loi ne doivent entrer
en vigueur qu’aux dates fixées par décret du gouvernement. Il faut s’attendre à ce que ce ne soit le cas que
dans plusieurs mois, ne fusse que pour donner au gouvernement le temps d’élaborer les règlements
d’application. Le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce a exprimé le désir que la loi
n’entre pas en vigueur avant la fin juin 2006 pour lui donner l’occasion d’ici là d’examiner de plus près ce
texte législatif important et que le gouvernement puisse proposer les amendements nécessaires. Quelle que
soit la nature de ces amendements, il est permis de croire qu’ils n’affecteront pas les caractéristiques
essentielles de la loi en ce qui concerne la protection des salariés.
1)
Le Programme de protection des salariés
La Loi 47 édicte notamment la Loi sur le programme de protection des salariés. En vertu de ce programme,
un salarié mis à pied pourra s’adresser au gouvernement fédéral pour recevoir paiement du salaire impayé
durant les six mois précédant la faillite ou la mise sous séquestre de son employeur (c’est-à-dire la prise de
possession des biens de l’employeur par ou pour les créanciers garantis). Le salaire couvert comprend la paie
de vacances courue, mais non pas l’indemnité de départ ou de cessation d’emploi. Le montant maximum
auquel le salarié aura droit équivaudra au plus élevé de 3 000 $ ou quatre fois le maximum hebdomadaire
assurable en vertu de la Loi sur l’assurance emploi, moins les déductions applicables en vertu des lois
fédérales et provinciales. Sont exclus du programme les employés comptant trois mois ou moins de services
auprès de l’employeur, les dirigeants et administrateurs de l’employeur, l’actionnaire de contrôle et les
employés cadres. Les définitions d’« actionnaire de contrôle » et d’« employé cadre » doivent être précisées
par règlement.
Le Programme de protection des salariés est provisionné par les fonds publics : on ne prévoit donc pas la
constitution d'un fonds particulier ni de cotisations au programme. Par contre, le gouvernement fédéral sera
subrogé dans les droits des salariés envers leur ancien employeur et ses administrateurs.
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2)
FAILLITE ET INSOLVABILITÉ / DROIT DU TRAVAIL 2
Les salariés bénéficieront d’un meilleur rang
En vertu de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité, les salariés bénéficient depuis longtemps d’une priorité sur
les autres créanciers ordinaires pour les salaires impayés dans les six mois précédant la faillite, jusqu’à
concurrence de 2 000 $. Mais cette priorité demeurait sujette aux droits des créanciers garantis. En pratique,
le banquier de l’employeur failli n’avait donc pas à se préoccuper de cette priorité et, dans la plupart des cas,
il ne restait plus aucun fonds au bénéfice du salarié impayé, malgré cette priorité.
La nouvelle loi modifie la Loi sur la faillite et l’insolvabilité en créant une charge prioritaire pour 2 000 $ de
salaires courus dans les six mois précédant la faillite ou la mise sous séquestre portant sur les éléments
d’actif à court terme du failli et opposable aux créanciers garantis de ce dernier.
Les modifications apportées à la Loi sur la faillite et l’insolvabilité comprennent une définition d’« actif à
court terme ». En pratique, il faut comprendre qu’il s’agit des biens d’une entreprise qui servent
ordinairement à garantir son crédit rotatif d’exploitation, soit essentiellement les stocks et les comptes à
recevoir. Cette charge prioritaire demeure néanmoins subordonnée aux fiducies présumées de l’État
(notamment pour le recouvrement des déductions à la source) et au droit des fournisseurs impayés de
récupérer les biens livrés dans les trente jours précédant la faillite ou la mise sous séquestre.
On peut se demander pourquoi cette charge prioritaire est limitée à 2 000 $ alors que le Programme de
protection des salariés acquitte les salaires à concurrence de 3 000 $, et même plus, avec subrogation en
faveur de l’État dans les droits du salarié envers son employeur. Cela est peut-être lié à la responsabilité
personnelle des administrateurs d’une compagnie pour les salaires impayés. En effet, en vertu de la Loi
canadienne sur les sociétés par actions comme de la Loi sur les compagnies (Québec), les administrateurs
sont depuis longtemps personnellement responsables envers les employés de la compagnie, suivant certaines
modalités, jusqu’à concurrence de six mois de salaires et de paie de vacances courue. On aura sans doute
voulu que les administrateurs restent personnellement à risque même en cas d’exercice de la charge
prioritaire, pour au moins une partie des salaires impayés. Le gouvernement fédéral pourra donc, dans la
mesure prévue par les lois corporatives, poursuivre les administrateurs en lieu et place des employés euxmêmes pour la différence entre le montant payé aux employés et le montant recouvré à même la liquidation
des biens de la compagnie-employeur.
3)
Protection des contributions à un régime de pension
Les modifications qu’apporte la Loi 47 à la Loi sur la faillite et l’insolvabilité comprennent également
l’octroi d’une charge prioritaire, sans limite de montant, sur tous les biens du débiteur en cas de faillite ou de
mise sous séquestre, pour le recouvrement des sommes déduites du salaire d’un employé à titre de
contribution à un régime supplémentaire de pension, et des sommes que l’employeur devait lui-même verser
à ce régime en guise de contribution (mais non pas le déficit actuariel du régime). Cette charge prioritaire est
opposable aux créanciers garantis et prend rang immédiatement après la charge en faveur des salaires
impayés.
La multiplication des charges prioritaires, fiducies présumées et autres droits opposables aux créanciers
garantis n’est pas sans soulever des inquiétudes quant à la capacité d’une entreprise d’emprunter sur la
garantie de ses biens. Ainsi, un prêteur sera-t-il en mesure d’évaluer l’importance des contributions à un
régime de pension payables à tout moment donné? Dans quelle mesure ces nouvelles charges prioritaires
viendront-elles affecter le calcul de la margination1 applicable au crédit rotatif d’exploitation? Il faut croire
que tout banquier prudent, dans la mesure où il sera en mesure de le faire, posera comme condition à l’octroi
d’une marge de crédit d’exploitation que l’emprunteur utilise le service de traitement de la paie offert par son
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institution. C’est sans doute pour lui la meilleure façon de se mettre à l’abri de mauvaises surprises en ce qui
concerne les déductions à la source non versées et les salaires impayés.
4)
« Ne touche pas à ma convention collective! »
La Loi 47 comporte également nombre d’autres dispositions, notamment en matière de propositions
concordataires sous l’empire de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité et d’arrangements en vertu de la Loi sur
les arrangements avec les créanciers des compagnies. Pour une bonne part, ces dispositions donnent un
cadre législatif à des pratiques déjà reconnues par les tribunaux, notamment en matière de dénonciation de
contrats et de financement provisoire. Il existait toutefois une question sur laquelle les décisions judiciaires
jusqu’ici n’étaient pas concluantes : dans quelle mesure une entreprise insolvable peut-elle répudier la
convention collective en vigueur et obliger le syndicat à en négocier une nouvelle? On se souviendra, à
l’occasion de la restructuration d’Air Canada, que le tribunal avait laissé entendre qu’il pourrait bien
intervenir si les parties ne parvenaient pas à s’entendre. La crainte qu’il le fasse avait été efficace, semble-til. Ce ne sera plus le cas. Certes, la Loi 47 permet à une entreprise en cours de proposition concordataire ou
d’arrangement de s’adresser au tribunal pour qu’il l’autorise à adresser à l’agent négociateur un avis de
négociation en vue de la révision de la convention collective. Mais cette obligation de négocier manque de
dents puisque le tribunal ne pourra pas modifier la convention collective sans le consentement des deux
parties. L’entreprise ne pourra donc faire valoir que des arguments économiques pour inciter ses employés à
négocier, puisqu’elle n’aura à sa disposition aucun moyen juridique pour rouvrir la convention. Cet état de
fait s’éloigne des dispositions du Bankruptcy Code américain qui permet à un syndic, si certaines conditions
sont réunies, de s’adresser au tribunal pour qu’il résilie la convention collective à défaut d’entente entre les
parties sur les changements qu’il y aurait lieu d’y apporter.
Serge Guérette pratique dans le domaine du litige d’affaires, en matière d’insolvabilité et de restructuration et,
plus généralement, en litiges corporatifs et de valeurs mobilières. Il contribue régulièrement à la restructuration
financière et corporative d’entreprises, tant publiques que privées. Il représente des créanciers et des débiteurs
dans le recouvrement ou la renégociation de créances garanties. Il conseille fréquemment les acheteurs à
l’occasion de l’acquisition d’entreprises en difficulté ou de l’achat d’actifs dans un contexte d’insolvabilité. Il
œuvre également dans les litiges corporatifs et de valeurs mobilières à l’occasion de fusion, d’acquisition et de
privatisation de compagnies publiques, et en matière de recours pour oppression.
On peut joindre Me Serge Guérette au 514 397 7461 ou à [email protected].
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1) « Margination » : le pourcentage de la valeur des stocks et des comptes à recevoir à concurrence duquel l'entreprise est
autorisée à tirer sur sa marge de crédit d'exploitation.