Work in progress

Tout dʼabord, merci à tous dʼêtre venus ce soir, pour le premier work in progress de mon one
vanne show, one man show. Je vous mentirais si je vous disais que ça ne me faisait pas très
plaisir. Je sais quʼau moins la moitié de vous étaient là pour lʼAG dʼExpression 5/20+ et se sont
endormis, et maintenant vous êtes coincés avec moi. Ceux qui étaient là pour « Tout arrive à
lʼimproviste », merci dʼêtre resté. Comme quoi, tout arrive à lʼimproviste, même un mec qui vous
kidnappe pour répéter son spectacle. Et ceux qui sont venus parce que je vous ai supplié, merci
de me permettre dʼentretenir un tout petit peu plus longtemps lʼillusion que jʼai un avenir dans ce
métier. Jʼespère que les 25 prochaines minutes seront suffisantes pour convaincre les
sceptiques, notamment ceux dans la fosse. Et des vannes pourries comme ça, jʼen ai encore
sous la manche, ne vous inquiétez pas. Cʼest mon métier. Apparemment.
Dʼailleurs, les gens de mon entourage ont tous réagi assez fortement quand je leur ai annoncé ce
que je voulais faire quand j'ai eu mon diplôme.
Mes potes à HEC ça donnait un truc comme ça:
- et alors toi tu vas aller où faire ton master?
- je vais pas faire de master.
- ah, et tu as trouvé un boulot déjà.
- non
- ah, ça se passe bien les recherches?
- j'ai pas vraiment cherché pour l'instant.
- ah mais tu vas faire quoi?
- je sais pas, là j'écris un one man show.
- hahaha, nan mais sérieusement?
- c'était sérieux.
- ah pardon j'ai cru que c'était une blague.
- ben j'espère que tu rigoleras autant quand je ferais vraiment des blagues sur scène.
Mais cʼest normal, mes potes, qui sont en route vers de prestigieux diplômes et des métiers très
lucratifs, ne comprennent pas tous mon choix de vie. Mais y a un truc qui est marrant, car même
si certains, voire la plupart, voire tous mes amis ne s'imaginent pas que je puisse réussir, ils me
disent tous une chose, invariablement: tu te rappelleras de nous quand tu seras connu.
Ne comptez pas là dessus. Si l'amour rend aveugle, alors le fric rend amnésique. Si si c'est vrai.
Non il faudra pas m'appeler une fois que je vaudrais sept zéros.
- allo? Oui c'est moi? Comment ? Ah on était amis à 20 ans? Ah tu es même venu voir mon Work
In Progress au CPO quand je galérais à mes débuts ? Jamais entendu parler, vous avez le faux
numéro, au revoir.
Les gens sont un peu dubitatifs, je comprends, c'est un choix inhabituel que j'ai fait et c'est très
bien d'avoir certaines figures de sagesse et d'autorité autour de moi qui vérifient que j'aie bien
réfléchi et que je suis sûr de mon choix… comme mon banquier. Faut savoir qu'en suisse il fait
presque partie de la famille. C'est dʼailleurs en famille que s'est déroulé notre dernier rendez-vous
à la banque. Après avoir demandé à mon frère et ma sœur quels étaient leurs projets pour le
futur, et obtenu des réponses satisfaisantes du point de vue financier, on en est arrivés à moi. "Je
veux faire un spectacle. Un one man show." Étant ouvert d'esprit, et contractuellement obligé de
ne pas éclater de rire, mon banquier joue le jeu et s'adresse aux deux autres tiers de la
progéniture, pour savoir si je suis drôle. Mon frère à fait « pff. » ma sœur a fait « mmmh » et moi
jʼai fait « merde ».
Quand je vous disais que si j'étais la ce soir c'était grâce au soutien de ma famille.
En parlant de ma famille, il y a mon grand père, immigré roumain, relâchez votre sac madame.
C'est marrant quand je dis aux gens que je suis d'origine roumaine ils vérifient directement où
sont leurs objets de valeur, donc les femmes serrent leurs sacs, et les hommes.. [main au
paquet] ben aussi. Vous savez, ça veut pas dire que j'habite dans une caravane et que je fais
partie des gens du voyage. Quoi que, si ce spectacle marche bien, y a des chances que j'habite
dans une caravane et que je sois sur la route tout le temps. Comme quoi on échappe jamais
vraiment à sa nature. Mon grand père sa nature c'était d'être très travailleur. Réfugié du
communisme, pour lui gagner sa croute de façon honnête était un honneur, un honneur qu'on lui
enlèverait pas de sitôt. La retraite à 65 ans c'est pour les tarlouzes, vingt ans plus tard il travaille
toujours. Donc quand il a appris mes intentions, il m'a dit quelque chose du genre:
"Thomas, il faut qu'on parle. Tu as obtenu ton diplôme et je suis fier de toi. Est-ce que c'est vrai
que tu n'as pas de travail?
- oui ben écoute pour l'instant j'ai pas vraiment cherché, je veux prendre du temps pour réfléchir
et tenter le coup avec mon spectacle.
- écoute, tu es un garçon intelligent. Je me fais pas de souci pour toi. J'ai eu ton âge un jour. Le
théâtre c'est très bien. Il faut que tu trouves quelque chose pour gagner ta vie, c'est important.
J'avais l'impression de parler a Vito Corleone, c'était vachement intimidant. Mais je lui ai dit que
j'étais pas pressé, que plus on commençait tôt plus vite on arrivait à la retraite, et à le voir, ça
avait pas l'air d'être très attractif.
Ce a quoi, étant très cultivé, il a répondu: "j'ai un ouvrage, si ça t'intéresse, qui traite justement
des problèmes des jeunes adultes".
Il faut pas lui en vouloir, quand il avait mon âge, les jeunes voulaient travailler et aimaient lire, les
choses ont changé c'est tout. Maintenant on aimerait gagner à la loterie ou Marier une héritière et
on préfère regarder des séries en se grattant la bourse plutôt que de lire un roman.
C'est vrai, les choses ont beaucoup changé. C'est indéniable. Mais ça me fait marrer parfois
d'écouter certains vieux, ah pardon, on peut plus dire vieux, certaines personnes au capital
d'expérience très élevé parler du passé comme si tout était mieux qu'aujourd'hui. Faut pas
déconner non plus, la nostalgie est une chose, le réalisme en est une autre.
Les choses ont bien changé, quand j'avais ton âge, c'était différent
Les gosses passaient leur journée dehors, pas devant un écran
Avec deux bouts d'ficelle et un ballon, on s'amusait plus simplement
Pas de chats ou SMS, le plus souvent on communiquait oralement
Pour courtiser une fille, tu prenais ta plus belle plume et écrivais
Tout ton amour dans des lettres, en rimes même si tu y arrivais
Les repas sʼprenaient ensemble, c'était un moment privilégié, familial
Et pas des plateaux repas réchauffés en regardant le téléjournal
Les gens travaillaient dur pour gagner leur vie, a la sueur de leur front
On avait toute sa vie le même métier, et souvent le même patron
Juste assez pour mettre à la bourse, celle dans ta poche, pas wall street
On croyait encore en ces valeurs fortes qui maintenant s'effritent
On se mariait pour la vie, et pas seulement pour trois ans
Pour 20 centimes tu avais un café et un croissant
l'air était plus frais, le ciel plus bleu et les gens bien plus vivants
J'ai pas peur de le dire, les choses ont bien changé, et c'était mieux avant
Les choses ont bien changé et ok de nos jours, y a des trucs regrettables
Les filles de 13 ans en string qui copient MTV, c'est insupportable
Obésité, télé réalité, y a une longue liste de chose qui m'font péter un cable,
Je suis dʼaccord avec certains dʼtes points, mais si on veut jouer cartes sur table
Les choses, au bon vieux temps, n'étaient pas toutes roses non plus
Je comprends qu'on garde en mémoire surtout ce qu'il nous a plu
Mais même si quand tu avais mon âge, Pluton était une planète
A ton époque, il s'est quand même passé deux trois trucs pas nets
Ces enfants qui jouaient dehors, certains portaient une étoile à leur veste
Avant que les choses prennent une tournure horrible et 6 millions y restent
Et ces histoires d'amour que tu décris, ces lettres et mots doux si mignons
Je les réconcilie mal avec des femmes sans droit de vote et liberté d'opinion
les familles mangeaient ensemble mais souvent c'était de la soupe et du pain
Beaucoup étaient à l'usine depuis les bancs d'école jusqu'à la boite en sapin
C'était tout a fait normal de penser qu'être de couleur signifiait être inférieur
Tu comprends que j'ai de la peine a croire qu'avant l'homme était meilleur
Je comprend que tu aies perdu tes repères, désolé si tu te sens vieux
J'ai pas peur de le dire, les choses ont bien changé, et c'est tant mieux
Non mais c'est vrai, parfois à entendre certaines personnes on pourrait croire que y a 60 ans tout
le monde était parfait. On a un peu tendance à oublier que l'homme de base était raciste,
xénophobe, misogyne et égoïste, et que la seule chose qu'il donnait à sa femme c'était
éventuellement la syphilis.
Mon grand père n'est pas du tout de ces gens-là. Il a cependant parfois quelques attitudes qui
montrent bien dans quel environnement il a grandi et formé ses opinions, et c'est dur de lui en
vouloir. L'autre jour, lors d'une conversation avec lui, il m'annonce:
- ta cousine a un copain
- ah bon? C'est qui?
- c'est un métis!
- sérieux?
- Oui, il est français et allemand.
- c'est pas métis ça, c'est binational. Métis c'est quand tu as un parent noir et un blanc, café au
lait en somme.
- ah non, il est tout blanc
- tu aurais dit quoi si elle sortait avec un noir?
- je dirais non!
- pourquoi?
- parce que je suis un vieux con.
Il marie a merveille cette pointe d'anachronisme raciste avec une lucidité quant à son attitude, et
parvient à rendre le tout drôle, comme seules les vie.., les personnes âgées peuvent le faire. Et
moi à force de raconter des conneries je viens de me faire déshériter.
Avant d'aller plus loin il faut que je vous avoue quelque chose. C'est quelque chose qui se dit pas
a tout le monde donc je vous demande d'être plutôt réceptif face a mon honnêteté.
J'suis suisse. Laissez-moi vous rassurer tout de suite cependant. Je ne suis que suisse romand.
C'est moins grave. Vous conviendrez qu'on se sent quand même mieux et que vous me regardez
désormais d'un regard plus relâché. Je sens même une pointe d'intérêt purement animal, voire
sauvage chez une demoiselle du deuxième rang. Pointe que je me réjouis d'explorer et de
comparer a la mienne dans ma loge après le spectacle. Vous la trouverez facilement, c'est la plus
grande. La loge, pas ma pointe. S'il vous plait ne commencez pas comme ça car sinon la soirée
s'annonce longue. Je sens que certains d'entre vous sont venus dans l'espoir d'un spectacle
purement salace aux blagues graveleuses, et que les autres sont restés chez eux.
Finalement être suisse romand c'est comme être français, mais il y a moins d'avantages sociaux.
Et on est mieux payés. Et on fait pas la guerre. Et notre équipe nationale se contente de jouer, a
la coupe du monde, un rôle mineur, au lieu de jouer avec la croupe d'une blonde mineure. Et nos
politiciens de gauche essaient d'améliorer les conditions de travail des femmes de ménage tandis
que les politiciens français de gauche les empêchent d'exercer leur profession, à coup de
manche à balai. Oui cette fois vous pouvez rire puérilement, le sous-entendu est intentionnel.
Bon en fait, être suisse c'est pas du tout comme être français. J'ai eu l'audace de travailler à
Paris pendant six mois, au cours desquels j'ai appris que j'avais l'accent suisse, que le gruyère
venait de France, la fondue de Savoie et le meilleur chocolat de belgique. De part la neutralité
que me confère ma nationalité et ma nature soucieuse d'éviter les conflits, je gardais mon calme
en leur expliquant méthodiquement que jʼavais pas lʼaccent suisse, cʼest eux qui avaient lʼaccent
français, que je leur laissais volontiers le cantal et le brie mais que le gruyère et la fondue fallait
pas déconner, ho, et que la seule tablette de chocolat belge qui mérite d'être citée appartient a
Jean-Claude Van Damme, et voulez-vous bien me passer le papier ménage que je vomisse un
peu dans ma bouche merci. Ce a quoi, ils répondaient: oh le suisse, le Sopalin il appelle ça du
papier ménage. Eh ben alors Nico, alex, vous avez entendu?
C'est a peine si on parle la même langue. Nous les suisses, on compte d'une façon qui est tout
de même nettement supérieure au niveau de la logique. Voyez plutôt. Ma main droite
représentera le coucou helvétique, ma gauche le coq français.
Donc, main droite, coucou suisse, main gauche, coq. 0. 0. Comme le nombre de fois ou je vais
parler de Lady Gaga dans ce spectacle, parce que franchement, y en a marre. Ah merde. Bon
passons.
10. 10. Jusque la tout va bien, même booba arrive à compter jusque là. Et Zidane. Vingt. Vingt.
En France c'est une bonne note ça, ou le passé simple de venir. On me l'a dit l'autre jour encore:
vous vîntes de façon très agréable. En banlieue c'est une tournante. Trente. Trente. Comme le
nombre de fois par mois où Strauss-Kahn fait venir sa femme de ménage. Enfin s'il ne vient pas
en premier. Quarante. Quarante. La j'ai pas de bonnes vannes sur la différence de taille entre
Carla Bruni et Nicolas Sarkozy donc on continue. Cinquante. Cinquante. Ah voila, il a de la
chance que Mimie Mathy vote à droite comme ça il peut grimper sur ses épaules et embrasser sa
femme. Soixante. Soixante. Vous commencez à vous demander si cet exercice en vaut la peine.
Moi aussi, mais j'ai plus de vannes avant la fin du spectacle, alors on remplit comme on peut
avec ce qu'on a. Oui je me doute que c'est ce que vous dites à votre femme.
Soixante dix. Oh. Septante. Septante. Soixante-dix. Maintenant je me rappelle pourquoi je parlais
de ça. Curieux, n'est-il pas? Je suis pas l'observateur le plus objectif mais en l'occurrence je suis
le seul avec un micro donc je m'y colle. C'est tout de même pas le summum de la logique
soixante dix. Comme si le mec avait la flemme d'aller plus haut, on s'arrête à soixante et on
recommence à compter. Bon soit, c'est un peu chargé, mais ça fera peut être moins de termes à
apprendre pour les écoliers des générations futures. Et si y a moins à apprendre, c'est une
initiative que je peux soutenir ça.
Sauf que... Quatre-vingts. Huitante. Quatre-vingts. Là ça devient carrément incompréhensible,
vous me l'accordez. Déjà, d'insérer des additions, avec soixante-dix, j'étais moyennement
conquis, mais là, on y va de la multiplication. Et on a pas encore commencé les calculs, c'est
juste le nom des nombres, nom de nom! Pardon je m'emporte, et pas seulement dans cette pièce
[sourire bête]. Vous saisissez pas? Emporte-pièce. Et c'est drôle parce que pièce de théâ.. Ah
quand ça parle de cul vous êtes tous au taquet et là y a plus personne. Il faut revenir demain,
vous comprendrez peut être les aspects les plus subtils du spectacle. Et vous pourrez les
expliquer à l'assemblée d'adulescents qui ne manquera pas de remplir la salle et tentera d'attirer
mon spectacle vers un humour pipi-caca que j'ai juré de délaisser. Voilà je dis pipi caca et l'autre
est obligé de se mordre la lèvre pour ne pas rire. C'est navrant. En plus les mecs on en a que
deux, c'est quatre de moins que chez les femmes, et après on vient me parler d'égalité.
Et pourquoi quatre-vingts d'ailleurs? Oui je saute du coq à l'âne pour retomber à cheval et
retourner à nos moutons, notre coq et notre dindon, sinon on est pas sortis de la ferme. De
l'auberge. Jʼespère que certains suivent. Les autres se demandent s'ils sont venus voir les
musiciens de Brême. Mais si, les musiciens de Brême, ce conte pour enfants du temps où l'on
essayait encore de me faire croire que les animaux étaient intelligents, qu'ils parlaient et jouaient
de la musique et que les bouses de vache n'étaient pas responsables de l'effet de serre.
Et pourquoi quatre-vingts d'ailleurs? Disais-je avant d'être grossièrement interrompu par les
élucubrations fantasques de mon esprit malade. Pourquoi pas huit-dix, ou deux-quarante? Même
les belges ont réussi a être plus malins, ils disent octante. Et quand les belges sont plus malins
sur un sujet, vous avez l'air con, ou comme dirait mon grand-père, vous avez pas la frite.
Et si j'étais marteau, je pourrais encore enfoncer le clou en vous parlant de quatre-vingts-dix,
parce que la c'est du grand n'importe quoi. On multiplie 4 par 20 puis on ajoute dix, je retiens 2, je
prends un oh et puis j'arrête ça me fatigue de compter, y a mon banquier pour ça.
Ça aussi c'est une grande différence entre la France et la suisse. Ou même entre la suisse et le
reste du monde. Les banques. En suisse on a un truc qui s'appelle le secret bancaire. C'est
formidable le secret bancaire. Quand j'étais petit, on m'a expliqué que la suisse ne voulait pas
entrer dans l'union européenne car elle voulait garder le secret bancaire. Évidemment j'ai rien
compris, je croyais que c'était une espèce de recette de cuisine confidentielle que des gens très
diplômés en costard se chuchotaient entre eux et leur permettait de faire beaucoup d'argent. En
tant que bon suisse, j'avais évidemment très peur de divulguer le secret bancaire au détour d'une
conversation et menacer la suprématie de mon pays, et c'est pour ça que j'ai évité de parler a
tous ceux qui n'avaient pas l'air bien de chez nous, acte courageux et patriotique qu'on a
bêtement pris pour de la xénophobie. Les gens sont cons, je vous le dis. J'ai appris que bien plus
tard que le secret bancaire c'est de garder de l'argent aux origines douteuses et de voler l'argent
de juifs disparus pendant la deuxième guerre mondiale, mais chut, ça reste entre nous, il y a peut
être des européens dans la salle. D'ailleurs ce monsieur au fond a l'air tout à fait suédois. Déjà
qu'on est obligés d'acheter nos meubles pas chers chez eux, imaginez la banque Ikea. Vous allez
retirer de l'argent, on vous donne un carton avec des plans, et vous pouvez rentrer chez vous et
construire vos billets vous-mêmes. Non merci, le secret bancaire on le garde.
Ou imaginez que les français s'en emparent, ce serait un désastre. Ils font très bien certaines
choses, les français, remarquez. L'aviation par exemple. Ah, l'aviation ça je peux rien dire.
Swissair a été renommé Swiss pour pas qu'on leur colle un procès pour publicité mensongère.
Bah oui, "air" ça le faisait plus tellement puisque les avions restaient au sol. Et apparemment
swissground c'était trop compliqué. Tandis qu'Air France. Ça c'est la classe. Déjà avec le
concorde ils nous en ont mis plein la vue. Une révolution. Payer 2000€ de plus pour gagner 2h
sur le trajet Paris-new york, soit seulement 1000€ de l'heure, quelle affaire. C'est exactement le
même tarif que payait l'équipe de France pour s'envoyer en l'air justement. Non content de cette
première révolution, ils ont poussé l'innovation encore plus loin en proposant un concorde qui, en
20 minutes, vous amenait directement à l'hôtel. Et quand je dis directement à l'hôtel, l'avion
atterrissait dans l'hôtel. Je sais pas pourquoi ça n'existe plus. Et ils se sont pas arrêtés en si bon
chemin, puisqu'ils ont inauguré en 2007 la ligne spéciale Paris-Rio, qui proposait de vous
déposer en pleine mer, pour éviter les plages bondées aux vendeurs de fausses montres plein de
zèle. J'ai un ami qui a essayé, eh bien pour vous dire à quel point ça lui a plus, il n'est jamais
revenu!
Donc moi je prône la spécialisation des nations, comme David Ricardo avant moi, lui qui était,
comme son nom l'indique, économiste écossais et non pas footballeur portugais. Vous pourrez
pas dire que vous vous endormirez plus cons. Enfin, sauf si vous regardez TF1 avant d'aller au lit
la je peux rien faire. La spécialisation des nations, laissons les banques aux suisses, les tables
clic-clac aux suédois, les avions aux français [rire pouffé], l'aménagement des caves souterraines
aux autrichiens, la pédophilie aux belges et bien entendu la malbouffe aux américains.
L'obésité aux états unis c'est une institution, tout de même. C'est même devenu une stratégie de
vente. Si vous êtes dans un fast food, vous commandez votre menu avec cette arrière-pensée de
culpabilité qui précède tout ingurgitage massif de calories, quand la gentille vendeuse
boutonneuse a la jolie chemise à manches courtes et dont la plaquette indique qu'elle s'appelle
'Mindy' vous dit entre deux mastications de son chewing-gum: "wanna double it for 3$ less?"
Ça veut dire, voulez vous le double de la taille pour trois $ de moins? Comment ? Non je connais
pas de chirurgien qui fait le meme deal. Pas sur d'avoir entendu la première fois je lui demande
de répéter. Oui, c'est moins cher pour plus de quantité. Jʼhésite, car me voilà partagé entre ma
nature pingre qui compte chaque sou et le coté de moi qui compte repousser le plus longtemps
possible le jour où je ne me verrai plus les pieds en allant pisser. Oui, les pieds, non mais c'est
que j'ai de grands pieds. Et vous savez ce qu'on dit. Grands pieds, grandes chaussettes. Ah vous
aviez pas entendu cette version? Vous me raconterez tout a l'heure. Ah on se tutoie maintenant?
Alors tu me raconteras tout a l'heure. Pendant ce temps la mindy elle attend, et elle s'énerve
alors je finis par commander le double de la taille pour 3$ de moins en espérant qu'elle ne crache
pas dedans. Puis je prend mon plateau, cherche une place dans un coin peu hostile du
restaurant, je m'assieds, que de détails, on croirait y être non? , et je commence à manger. Et
c'est seulement à ce moment là que je comprend la logique commerciale derrière cette offre.
C'est pas de la junk food, c'est carrément du lest. Ah non je n'exagère pas, je n'exagere jamais,
je laisse cet échappatoire comique facile aux humoristes de moindre talent. Cette nourriture vous
leste, elle vous bétonne l'estomac, immobilise lʼensemble de vos fonctions motrices et vous vous
retrouvez donc condamnés à rester dans le même « restaurant » pendant au moins un cycle de
digestion, ce qui vous force a consommer d'autres « repas » chez eux, ce qui prolonge votre
« séjour ». Vous voyez la logique? C'est tout de même ingénieux. Cʼest pour ça que les
banquettes sont si confortables chez McDonaldʼs.
Mais si je suis devant vous ce soir, a défaut d'être derrière [a la fille du public] tout a l'heure tout a
l'heure, c'est que j'ai réussi a m'extirper de plus dʼun établissement de restauration rapide (ben
oui parlons français, for fuckʼs sake). Je me suis quand même préalablement munis de dix kilos
supplémentaires pour affronter les rudes hivers helvétiques. Ne me regardez pas comme ça, jʼai
eu un bon prix.
Les américains sont un peuple formidable. Ne rigolez pas. Oui, vous y a pas besoin de vous
prier, j'ai l'impression que vous êtes pas venus pour rigoler. "oh mais ce qu'il est fatigant a
essayer de nous faire marrer tout le temps". Je vous aurais a l'usure. Ça a marché pour séduire
ma femme.
Qui n'est pas américaine. Puisqu'elle n'existe pas. Mais si elle existait, elle le serait peut-être, et
vous savez pourquoi? Car les américains sont un peuple formidable. Si ça c'est pas de la
transition, je mʼappelle Arthur et mes fesses sont constituées de poulet. Je suis le chat du standup, vous pouvez me lancer dans des digressions dans toutes les directions, rime riche, et je finis
toujours par retomber sur mes pattes, poil a la rate, rime suffisante.
Je dis ça sérieusement, j'adore les amerloques. Enfant j'ai admiré Bill Clinton. // Le mec était
entouré par des bouches tout de meme. Il a été précédé par un Bush, suivi par un Bush, et tout le
long il s'introduisait dans une troisième.
Jsuis qu'un petit suisse, mais si j'avais pu choisir, j'aurais voulu être américain
J'suis bien dans ma peau, c'est pas ça, mais y a quand meme un ptit hic, un
J'aurais voulu naitre a new york, dans l'ombre de l'empire state building
Ou voir le jour a Los Angeles, devenir champion de bodybuilding
Je me serais bien vu au Texas, élever du bétail et tenir un ranch
Franchement tout sauf être dans le métro de Chicago a faire la manche
J'aurais même kiffé être dans les hells Angels, un vrai putain d'motard
Je sais que pour le rêve américain, j'ai plus d'un siècle de retard
mais j'aurais bien voulu être un d'ces gosses du nouveau monde
M'appeler John, Ron ou Don et ensuite marier une blonde
Qui s'appelle daisy, Lucy, missy et me donnerait trois mômes
Habiter dans les suburbs, un ptit jardin devant mon Home Sweet Home
Si j'étais ricain, j'serais joueur de baseball, basketteur ou quarterback
Faut être honnête, si j'étais ricain, j'aurais aimé être black
J'aurais enfin été danseur, chanteur, et la nuit j'aurais pas Peur
j'aurais un entourage de 40 personnes car chuis un gangsta rapper
Ou j'aurais pu être star de cinema, un grand nom a Hollywood
Avec un agent qui m'dit don't worry it's all good
Jʼprend pas un rôle pour en dessous de sept zéros
Et dans un d'mes films, j'suis un superheros
je changerais de copine tous les six mois
Dès qu'elle me dit: tu fais plus attention à moi
Ou mieux, j'aurais fait 1m80, 100 kg avec une méchante droite
Un ancien champion du monde reconverti en videur de boite
Imagine moi en fils de bonne famille, un de ceux qu'on appelle junior
J'aurais un numéro a coté de mon nom, comme le pape, c'est fort
Je pourrais dire, fais chier ce chauffeur, la vraiment il tarde
Faire mon choix dʼuni entre Yale, Stanford ou Harvard
De toute façon pas besoin d'étudier, mon père leur a offert une bibliothèque
Et ensuite je pete les plombs et bute tout le monde, Virginia tech
J'aurais trouvé un moyen d'arracher mon quart d'heure de celebrity, for sure
Au pire je serais devenu une star de TV reality, Jersey shore
En Amérique, je serais capitaine d industrie, ou trader a wall street
Mon seul plan de vie, c'est de faire le plus possible de fric, et vite
Steuplai, si tu veux me parler et tu vaux pas ton pesant dʼor, évite
Ma retraite a 35 ans, mon infarctus a 40, jʼai pris trop d'coke, oh shit
J'aurais voulu comme Donald trump, mettre mon nom sur des édifices
J'aurais voulu comme Enron ou madoff, empocher les bénéfices
J'aurais voulu aller a central Park lancer la balle avec mon petit fils
J'aurais voulu fêter le 4 juillet avec tout plein d'feux d'artifices
Voter le 4 novembre pour celui qui a la plus belle femme, le plus de charisme
Et qui pendant 4 ans, fera des jolis discours et la chasse au terrorisme
J'aurais voulu mater la télé toute la journée, des mentons en avoir deux ou trois
Je sais pas ce que je serais devenu, mais en tout chuis né au mauvais endroit
Bon vous voyez qu'aux états unis on peut être beaucoup de choses. Mais c'est peut être un de
leur problèmes. Ils s'intéressent qu'assez peu au reste du monde et aux autres pays, comme
l'Europe. Ah si si, l'Europe est un pays, pour certains. Par contre ils vont pouvoir te réciter les
capitales des 50 états ainsi que les 46 présidents des états-unis, dans l'ordre.
Être suisse aux USA, c'est pas forcement facile. Déjà quand on te demande "where you from" et
tu réponds, muni de ta plus belle imitation d'accent grossièrement anglo-saxon « Iʼm swiss », il
peut se passer plusieurs scénarios, que je me permets d'énumérer ci-dessous, avec votre
permission tacite, permission que je ne vous laisserais pas le temps de retirer :
Numéro 1. Le mec très joyeux te demande si c'est vrai que toutes les suédoises sont blondes, et
si tu es pote avec les mecs de abba.
Petit deux. Le mec très Joyeux te demande de lui dire un truc en suisse.
Tres. Le mec très joyeux te raconte ses vacances à Lucerne, te dit que les montagnes sont
magnifiques et ne comprend pas pourquoi vous devenez pas meilleurs potes car vous avez tant
de choses en commun.
Last but not least. Le mec un peu moins joyeux te demande de rendre l'argent que les banques
suisses ont volé a sa famille pendant la deuxième guerre mondiale.
Une fois qu'ils ont compris que tu parles français, c'est de mieux en mieux. Ils te disent une des
deux phrases qu'ils connaissent dans la langue de Molière. "Je m'appelle Michael", ce qui
propulse inévitablement la conversation a des niveaux de complexité intellectuelle jusque la
rarement atteints. Ou alors "voulez vous coucher avec moi ce soir", que ce soit un mec ou une
fille. Dans le cas ou c'est un mec tu cherches soudainement un prétexte pour partir loin, et dans
le cas ou c'est une fille, tu dis oui, tu l'embrasses et tu te prends une claque. Donc tu perds à tous
les coups.
C'est pas vrai. Il y a quand même une façon de s'en sortir. Il faut avoir un accent. Un accent
français. Avec un accent français aux états-unis, il y a même plus besoin d'être beau, d'être
intelligent ou d'avoir de la conversation. Il suffit d'être là, de dire "exciouze mi, Cannes aie baille
you a drink?" et la fille s'imagine déjà sur votre tour eiffel. Ça se voit que j'ai pas l'accent français
et que je suis très frustré? Pas du tout?
Il y a quand même un endroit au monde où il vaut mieux être suisse que français. Le Québec. La
belle province. Là-bas c'est incroyable. Quand on vous entend parler sans accent, enfin pour eux
vous me direz, c'est avec accent, directement vient la méfiance, le regard noir, les sourcils
froncés et la question menaçante, qu'il vaut faut quelques secondes avant de bien comprendre:
Criss de calice, êtes-vous donc un sti d'français?
Ce à quoi vous êtes tout heureux de répondre, muni de votre plus beau drapeau blanc de
neutralité, ah non, je suis suisse. Et là l'ambiance se détend: "oh excuse moi donc, je suis confus,
j'ai bien cru qu'c'etait encore un gros cave de parisien".
Comprenez-les, c'est vraiment pas facile d'être québécois. Les canadiens vous aiment pas parce
que vous êtes un minorité et je crois que de nos jours c'est plus ou moins obligatoire de détester
les minorités. En plus avec l'accent français quand ils parlent anglais, voir ci-dessus,c'est
magnifique comme je peux m'auto-référencer, les québécois arrivent à subtiliser les plus belles
canadiennes anglophones, ce qui ne va pas pour apaiser les tensions. Les américains détestent
les québécois, car c'est des canadiens français et ils détestent les canadiens car ils ont
l'assurance maladie universelle et les français parce qu'ils ont du meilleur vin et un accent quand
ils parlent anglais, voir ci-dessus, puis encore au dessus. Les français détestent les québécois
car ils raflent toujours les victoires de la musique, car garou a brisé le coeur de Lorie et car même
s'ils ne sont pas drôles, les filles rigolent à leur blagues à cause de leurs accents.
Du coup les pauvres québécois se retrouvent à détester les canadiens, les américains, les
français, Céline Dion qui les ridiculise dans le monde entier, Dieu qui a décidé que la température
moyenne dans la province serait -25, Vladimir Poutine qui ose voler le nom de leur plat national,
les caribous qui arrêtent pas de refaire le désigne de la carrosserie de leur dernier char, le christ,
les calices, les hosties et les tabernacles parce que pourquoi pas, et Pascal Obispo car tout le
monde déteste Pascal Obispo.
C'est pas facile d'être québécois. Vous avez déjà essayé d'avoir une vie sociale quand il fait -20
dehors? C'est un vrai problème politique au Québec. Le taux de suicide chez les jeunes y est le
deuxième plus élevé au monde après le Japon. Et si tu comptes pas tous les ados japonais qui
se croient dans un jeu vidéo et sont persuadés qu'ils ont plusieurs vies, donc ils se tuent en
essayant de voler ou en se battant avec des sabres lasers, au final c'est presque comme si le
Québec était premier. Mais mes sources me disent que les chinois, dans leur effort de dominer
tous les classements mondiaux, ont mis sur pied un programme de formation de jeunes
suicidaires pour rattraper leur retard.
Les québécois, en revanche, essaient dʼempêcher les gens de se suicider en les faisant sortir de
chez eux même quand la météo menace de vous cryogéniser les testicules sitôt le nez mis
dehors. Croyez-moi c'est pas agréable. Et comment fait-on pour donner aux gens une raison
valable de risquer leur vie? La chaine Ashton's, qui vend les fameuses poutines (les poutines,
pour les rares incultes parmi vous, c'est la base de tout régime Weight watchers, c'est une portion
de frites, recouverte de fromage fondu, le tout noyé sous la sauce brune), vend ses fameuses
poutines de moins en moins cher plus il fait froid. Si si c'est vrai, je suis le premier à avouer que
j'ai peut être raconté quelques conneries depuis que vous êtes arrivés, mais en l'occurrence c'est
100% factuellement correct, parole de boy-scout. Par exemple, s'il fait -10 degrés la Poutine est à
moins 10%, s'il fait moins 30, la Poutine est à moins 30%, et s'il fait -quatre vingts dix degrés, le
poutine est à ...? Bon déjà on dit nonante et a -90 degrés tout le monde est mort et on a mieux à
faire que de manger des poutines. Des fois je me demande pourquoi je prends la peine avec
vous, il y a aucun espoir.
Mais le pire c'est qu'au Québec ça marche. Les gens mettent 18 couches, passent 30 minutes a
dégivrer leur char et enlever la neige de leur chemin pour pouvoir sauver 50 centimes sur des
frites au fromage pleines de sauce. Quand je vous disais que c'était pas facile d'être québécois...
Et si les suisses romands et les français parlent des langues microscopiquement différentes, le
québécois c'est carrément le vilain petit canard. Le petit dernier de la famille qui n'est pas sorti
tout à fait de la même couleur mais qu'on explique par une anomalie génétique plutôt que par les
bons services du facteur congolais. On connait tous les classique, char pour dire voiture, un
casse-tête c'est un puzzle, le magasinage c'est le shopping, pis blonde c'est petite copine et
gosses c'est les couilles. Je me permets d'emprunter une blague à un spectacle que j'ai écrit et
que vous n'avez pas vu, et, quitte à ce que ça goute le réchauffé tant pis, je la mets au microondes et:
"Au Québec, si vous dites que vous avez trois gosses et que la dernière c'est votre petite blonde
chérie, on va vous regarder bizarrement."
Sauf si vous le dites dans un film, là on va vous écouter bizarrement. Oui, on écoute un film, une
cassette video ou un DVD. C'est étonnant non? Peut être que comme les habitants de les
habitants de la grotte du célèbre mythe de Platon, ils ont tout simplement le dos tourné à l'écran
et ils n'entendent que le son. Pas étonnant qu'ils se suicident. Encore moins étonnant que le
cinéma muet y ait eu très peu de succès. Ce qui pose une question au moins du niveau de le ou
la nutella, "est-ce qu'au Québec, on écoute où on regarde un film muet?"
Quel peuple fascinant. J'ai un pote dont le père est suisse et la mère québécoise. Et si je vous en
parle, ce n'est pas pour me vanter devant vous que mes amis sont d'origines et background
divers et sans doute plus intéressants que les vôtres, mais parce qu'il y a une anecdote derrière
tout de même, vous me prenez pour qui. Et c'est toujours marrant quand tu es chez lui parce que
quand il parle à son père, il a l'accent suisse... Je testais pour voir si vous étiez attentifs, l'accent
suisse ça n'existe pas, on en parlait tout à l'heure. Donc avec son père il parle normalement,
comme je vous parle en ce moment, enfin a part que son père l'écoute, merci. Et si sa mère lui
adresse la parole, tout d'un coup, Paf, accent québécois, c'est très étonnant les premières fois.
"papa, tu peux me passer le sel s'il te plait?" " oué maman j'te racontais tout à l'heure, ct'un vrai
calvaire" "non le sel, s'il te plait. Mais oui je te parle respectueusement" "non mais je te disais car
mon cheum avait sa blonde et elle avait d'la misère pour ses examens" "mais non je parle juste a
maman je t'ignore pas".
Et toi tu es au milieu, comme un vulgaire spectateur d'un match de Ping pong, à te torturer les
cervicales pour assister à cet échange proche de la schizophrénie.
Vous voyez? Je vous avais dit que mes amis étaient plus intéressants que les vôtres. Ah non?
Ben si vos potes sont si incroyables que ça vous n'avez qu'à en faire un spectacle et dans ce cas
là vous pourrez en parler. Mais bon je viendrais pas voir je ne vais pas au théâtre. Y a que des
cons.