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Congrès national des Observatoires régionaux de la santé 2008 - Les inégalités de santé
Marseille, 16-17 octobre 2008
M1 - Faciliter l’accès à la prévention et aux soins des travailleurs en
situation de vulnérabilité : le protocole PREMTES
J.-J. Moulin a, E. Labbe a, C. Sass a, C. Chatain a, L. Gerbaud b
a
Centre technique d’appui et de formation des centres d’examens de santé (Cetaf), St-Étienne,
b
France ; Département de santé publique, CHU de Clermont-Ferrand, France
RESUME
Introduction. Faciliter l’accès à la prévention et aux soins des travailleurs en situation de
vulnérabilité sociale et à risque de santé dégradée (« travailleurs pauvres »).
Matériel et méthodes. Le protocole est une intervention de santé publique qui repose sur un
partenariat entre les Services de Santé au travail et les Centres d'examens de santé de
l’Assurance Maladie. Ce partenariat consiste à identifier les « travailleurs pauvres » lors de la visite
de médecine du travail et à leur proposer l’examen de santé réalisé par les centres. Une
coordination nationale est mise en place, comprenant des représentants des Services de Santé au
travail, des Centres d'examens de santé et de plusieurs structures institutionnelles et universitaires
La réalisation débutera en 2008 – 2009 par une phase expérimentale qui sera suivie, après
évaluation, d’une phase d’extension à partir de 2010.
Résultats. Le dispositif sera évalué à l’aide d’indicateurs mesurant la proposition, l’acceptation et
la réalisation de l’examen de santé, les facteurs liés à la non acceptation et à la non réalisation de
l’examen, les facteurs de risque et des pathologies dépistées, ainsi que le niveau de satisfaction
des salariés et des professionnels de santé par une enquête qualitative.
Discussion et conclusion. Les bénéfices attendus sont (i) au niveau individuel pour les
salariés (prévention primaire, secondaire et tertiaire, accès au dispositif du « médecin traitant »,
relais avec dentistes, diététiciens, psychologues, travailleurs sociaux ...), (ii) au niveau des
partenaires du protocole (meilleure prise en charge des populations vulnérables et adaptation des
pratiques aux nouvelles formes d’emploi), (iii) au niveau collectif pour l’épidémiologie et la santé
publique (résultats sur les déterminants socioprofessionnels des inégalités de santé et sur
l’identification de secteurs professionnels à risque de précarité d’emploi et de santé dégradée).
Mots-clés : Travailleurs Pauvres, Précarité De L’emploi, Prévention, Expérimentation Sociale, Santé Publique, Inégalités
Sociales De Santé
Keywords: Poor Workers, Precarious Employment; Prevention, Social Experimentation, Public Health, Social Health
Inequalities
1. INTRODUCTION / OBJECTIF
1.1 Contexte. L’entreprise constituant un modèle de salariat par l’emploi stable, associé au
renforcement des protections des employés, a été remise en cause à partir du milieu des années
70, au profit de diverses formes de précarisation du travail (Cottrell, 2002) (Rigaudiat, 2005). Ce
processus de transformation du monde du travail a plusieurs déterminants : les effets de la
construction juridique des statuts d’emploi et des droits qui y sont attachés, les restructurations
d’entreprises, l’externalisation d’activités et la sous-traitance, les nouvelles formes de management
et les différentes modalités d’intensification et de flexibilité du travail (Billiard I, 1999).
Le développement des situations d’instabilité professionnelle va de pair, au niveau de l’individu,
avec la fragilisation des liens sociaux, le sentiment de disqualification et l’altération de l’image de
soi, la crainte de la perte d’emploi et l’incertitude pour l’avenir (McDonough P, 2000; Domenighetti
G, 2000; Mohren D, 2003). Ces sentiments, couplés aux difficultés économiques, renforcent le
processus de désinsertion professionnelle et relationnelle, et se répercutent sur la santé (Haut
Comité de Santé Publique, 1998).
Alors que la littérature renferme de nombreuses publications concernant l’état de santé des
chômeurs, les conséquences sanitaires et sociales du développement des nouvelles formes
d'emplois ont été peu étudiées (Sermet, 2004; Moulin, 2005). Une étude récente a été conduite
parmi 540 860 consultants des Centres d'examens de santé de l’Assurance Maladie, afin de
mesurer les relations entre l’instabilité professionnelle et la santé. L’étude a montré que l’instabilité
professionnelle est un déterminant majeur des inégalités sociales de santé, et qu’elle amplifie le
gradient social lié à la PCS (profession et catégorie sociale) (Labbe, 2007b). La figure 1 illustre les
résultats obtenus pour la variable « non suivi gynécologique régulier ».
Figure 1. Non suivi gynécologique : odds ratios ajustés sur l'âge (242 846 femmes)
Référence : cadres - emplois stables - temps plein (OR = 1)
2.6
2.4
2.2
2.0
1.8
1.6
1.4
1.2
1.0
0.8
0.6
Cadres
Professions
Intermédiaires
Employées
Ouvrières
■ stable-temps plein, ○ stable–temps partiel,
▲ non stable-temps plein, × non stable-temps partiel
1.2 Objectif. Le protocole PREMTES (PREvention, Médecine du Travail, Examens de Santé) a
pour objectif de faciliter l’accès à la prévention et aux soins des travailleurs en situation de
vulnérabilité sociale et à risque de santé dégradée (« travailleurs pauvres »). C’est une intervention
de santé publique qui repose sur un partenariat entre les Services de Santé au Travail (SST), les
Centres d'examens de santé de l’Assurance Maladie (CES) et le Cetaf. Ce partenariat consiste
à identifier les travailleurs à risque lors de la visite de médecine du travail et à leur proposer
l’examen de santé réalisé par les CES.
Le Haut Commissariat aux Solidarités Actives contre la Pauvreté a lancé un appel à projets sur
l’Expérimentation sociale. L’expérimentale PREMTES, proposée par le Cetaf, a été retenue pour
financement par le Haut Commissariat sur la période 2008-2010.
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2. METHODES : DESCRIPTION DU DISPOSITIF
2.1 La population cible. La population cible est celle des travailleurs en situation de vulnérabilité
sociale. Ils seront identifiés par l’administration d’un auto-questionnaire durant la visite de
médecine du travail. L’échantillonnage des SST sera diversifié en direction des divers secteurs du
monde du travail : services interentreprises, services d’entreprises, entreprises d’intérim, fonction
publique (Etat, hôpitaux, collectivités territoriales).
2.2 Les données recueillies. Le questionnaire contient des données individuelles (âge, sexe,
PCS), des informations sur le type de contrat et d’horaires de travail, le secteur d’activité et le
score EPICES. Le score EPICES est calculé à partir des réponses à 11 questions binaires oui/non
(Sass, 2006b). C’est un score individuel quantitatif variant de 0 (absence de vulnérabilité) à 100
(vulnérabilité maximum).
Des relations score – dépendantes ont été montrées entre EPICES et les indicateurs de position
sociale et de santé physique et mentale (Sass, 2006b; Moulin, 2006; Bihan, 2005; Fieulaine, 2007).
Le score EPICES permet, en outre, d’identifier des populations vulnérables qui ne sont pas
repérées par les critères de reconnaissance de droits sociaux (Sass, 2006a; Labbe, 2007a).
2.3 Le dispositif de partenariat. Le dispositif se déroule en plusieurs temps (figure 2) :
o L’auto-questionnaire est proposé à l’accueil des salariés au SST, soit à l’ensemble des
salariés, soit à un échantillon aléatoire de ceux-ci.
o La lecture du questionnaire permet au médecin du travail, à l’issu de la visite médicale,
d’identifier les salariés auxquels il propose de passer l’examen de santé réalisé par les CES.
o La proposition de l’examen de santé au salarié, l’acceptation, ou le refus et les motifs de refus,
sont enregistrés dans le questionnaire.
o Le CES réalise l’examen de santé (examens clinique, dentaire, para-cliniques, biologiques) et
formule des préconisations qui devront être réalisées dans les suites de l’examen de santé, en
relais avec le médecin traitant.
o Le CES adresse en retour au médecin du travail le compte rendu individuel de l’examen si le
salarié en a fait la demande. Le médecin du travail reçoit également des données agrégés sur
les examens de santé des patients qu’il a adressé au CES.
o Le Cetaf reçoit l’ensemble des questionnaires et des donnés collectées, et en assure les
traitements statistiques : analyses descriptives, analyses multivariées, indicateurs d’évaluation.
Figure 2. Description du dispositif
Médecin traitant
Accueil au service
de Santé au travail
Questionnaire
PREMTES
Cetaf
Décision
Non
proposé
Examen réalisé
Centre d’examens
de santé
Examen
proposé
Accepté
Refus
Non réalisé
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2.4 Calendrier prévisionnel. Une phase expérimentale sera conduite sur la période 2008 - 2010.
Elle consistera à mettre en place le dispositif dans 15 à 20 SST et dans un nombre équivalent de
CES, sélectionnés dans plusieurs régions. Le nombre de sujets nécessaires est estimé à 10 000
salariés qui auront rempli le questionnaire. Cette phase permettra de tester les procédures de
fonctionnement, de conduire l’évaluation du dispositif et de formaliser les conclusions de
l’évaluation.
Une phase d’extension sera ensuite conduite, à partir de 2010. Elle consistera à inclure un nombre
de plus en plus important de SST et de CES, l’objectif étant de parvenir à la pérennisation du
dispositif.
2.5 Organisation générale. Le Cetaf est le promoteur du protocole et en assure la coordination.
L’ensemble du protocole est soumis à l’avis de la CNIL. La mise en œuvre du protocole nécessite
l’information et la participation de plusieurs structures institutionnelles de la médecine du travail et
de ses partenaires : Direction Générale du Travail, Médecins Inspecteurs Régionaux du Travail,
Direction des Risques Professionnels et branche « Accidents du travail et maladies
professionnelles » de la Sécurité Sociale, Instituts Universitaires de Médecine du travail, Caisse
nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés.
Un comité de pilotage a été constitué. Il comprend des représentants des SST, des CES, du Cetaf
et des structures énumérées ci-dessus. Il aura la charge de piloter l’application et l’évaluation du
protocole au niveau national et au niveau local, et d’en interpréter les résultats. Au niveau local,
chaque partenariat entre un SST et un CES fera l’objet d’une convention de collaboration.
3. EVALUATION ET RESULTATS ATTENDUS
Le dispositif sera évalué à l’issu de la période d’expérimentation. Différents paramètres seront
enregistrés afin de calculer des indicateurs (figure 2) : taux de proposition (n1/N), taux
d’acceptation n2/n1), taux de participation (n3/n2), taux de réalisation (n3/n1). L’évaluation
comprendra également (i) l’étude des facteurs liés à la non acceptation, à la non participation et à
la non réalisation de l’examen de santé (âge, sexe, PCS, type d’emploi ...), (ii) la description des
facteurs de risque et des pathologies dépistées, (iii) une enquête qualitative sur le niveau de
satisfaction des salariés et des professionnels de santé des SST et des CES.
De plus, l’analyse des données recueillies dans le questionnaire produira des résultats permettant
(i) de mieux définir la population des « travailleurs pauvres » (ii) d’identifier des groupes de
professions ou de secteurs d’activité à risque de précarité d’emploi et de santé dégradée, (iii)
d’apporter des connaissances épidémiologiques sur les déterminants socioprofessionnels des
inégalités de santé.
4. BENEFICES ATTENDUS ET CONCLUSION
Des bénéfices sont attendus au niveau individuel pour les salariés et au niveau collectif pour les
partenaires du dispositif et pour la santé publique. Les bénéfices attendus pour les salariés sont de
diverses natures :
o accès à la prévention : prévention primaire (facteurs de risque dépistés, éducation à la santé),
prévention secondaire (diagnostic précoce, dépistage (frottis cervical, HIV, Hép C) et accès
aux programmes de dépistage organisé (mammographie, colorectal)), prévention tertiaire
(complications et limitations liées aux pathologies chroniques, éducation thérapeutique),
o accès au dispositif du « médecin traitant » de l’Assurance maladie,
o relais avec divers professionnels tels que dentistes, diététiciens, psychologues, travailleurs
sociaux pour l’ouverture de droits ...
o suivis en aval de l’examen pour diverses pathologies (diabète, hypertension artérielle ...).
Pour les partenaires, les bénéfices portent sur l’amélioration du suivi médical des salariés qui en
ont le plus besoin, sur l’adaptation des pratiques aux nouvelles formes d’emploi et aux risques
émergents, sur l’amélioration du recrutement des CES en direction des populations vulnérables
éloignées des systèmes de soins, et sur la mise en place de partenariats entre professionnels de
santé et avec le tissu institutionnel local.
Par ailleurs, la publication des résultats épidémiologiques pourront générer des objectifs nouveaux
pour des actions de santé publique initiées dans le cadre des politiques nationales de lutte contre
la précarité et des politiques publiques pour la réduction des inégalités sociales de santé.
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