PDF: Le Cinema de Michel Brault - Film Studies Association of
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BOOK REVIEWS • C.OMPTES RENDUS LE CINEMA DE MICHEL BRAULT, it I:IMACiE D'UNE NATION Andre Loiselle Paris: l:H\lrmattan,2005, 342pp. Compte rendu de Pierre Veronneau Louvrage d'Andre LOiselle est une etude d'envergure sur lecineaste Quebecois Michel Brault, completee d'une filmographie et d'une longue bibliographie. Des Ie debut, I'auteur precise la portee de son travail: « une lecture du corpus de Michel Brault, comme directeur photo et realisateur, qui Ie situe it I'interieur du cadre specifiquedu cinema Quebecois et dans Ie contexte plus large du Quebec modeme. » Selon Loiselle,' Brault est un temoin de I'histoire du Quebec et son cinema un miroir de I'evolution de sa culture. Cela Ie conduit it articuler son travail d'une maniere singuliere. D'abord, les informations sur Brault sont inserees dans un expose des co!itextes historique et culturel qui puisent dans des ouvrages generaux de qualM mais qui sont it la fois trap courts pour un lecteur histririen et parfois trap longs par rapport it I'objet Michel Brault. Ensuite, on ne camprend pas toujours la relation reelle du cineaste aux evenements qui lui sont contemporains, sauf pour saisir qu'ils lui sont synchranes. Le lecteur qui n'est pas tres farnilier avec I'histoire du Quebec pourra en retirer des benefices alors que celui qui se tient Ie moindrement au fait de I'evolution de I'historiographie .pourrait souhaiter des references plus apprafondies (mais man but n'est pas de debattre ici des textes sur les cultures et histoires canadiennes et quebecoises donnes en bibliographie) au pourrait tout simplement diverger d'opinion avec I'auteur Quant it la caracterisation du quasi demi-sieele dans lequel s'inscrit Michel Brault. Venons-en donc it ce que dit Ie livre du cineaste. Le livre procede par ordre chronologique. Le premier chapitre presente Ie contexte socioculturel dans lequ~l se forme la cinephilie de Brault et qui explique, selon I'auteur, son rejet de l'autoritarisme. Brault aurait prefere Ie mode moins autoritaire de l'observation documentaire et d'une certaine maniere, aurait opte pour cette forme en rejetant l'eglise et Ie monde de Duplessis. On notera que Ie traitement des films et des periodes n'est pas toujours bien mesure. Les chapitres deux et trois, qui couvrent les premiers pas de Brault et s'arretent it la fin des annees 1960, font cent ving-trois pages. Les autres chapitres, qui couvrent trente-deux ans et ineluent la majorite des realisations, font cent vingt-cinq pages. Lauteur n'explique pas pourquoi. Procede-t-il uniquement par affinites? Peut-etre, mais ce desequilibre ne permet pas toujours d'obtenir une etude apprafondie du travail de Brault. On comprend, par la place que Loiselle reserve it Pour la suite du monde au Les Ordres, que ces films sont capitaux dans son eEuvre, autant au plan cinematographique qu'en ce qui concerne I'image de la nation. Regardons donc de plus pres la demarche. Le chapitre Deux s'ouvre sur une evocation des vingt premieres annees de l'ONF destinee it introduire Ie film Les Raquetteurs (1959) ainsi que d'autres courts metrages, photographies par Brault, qui temoignent de son sens de l'image realiste et de l'approche ethnographique des cineastes du direct. La caracterisation de certains films, comme A Saint- Henri Ie cinq septembre (1962), laisse Ie lecteur sur sa faim dans la mesure au I'historiographie de ces films a evolue depuis les textes cites par Loiselle. Apres deux longues sections sur la fin de la Grande Noirceur et l'avenement de la Revolution tranquille, l'auteur rappelle Ie rOle de Jean Rouch dans la pratique de Brault. II aborde ensuite Pour La suite du monde (1963) apres un detour par A tout prendre (1963) et Le Chat dans Ie sac (1964) dont la pertinence peut se discuter car it ce titre, chaque film pourrait etre complete de courtes analyses de films auxquels Brault n'est pas mele et qui feraient digression. Les quinze pages consacrees it Pour la suite du monde situent tres bien ce film important sans manquer d'ecorcher au passage ceux qui en font davantage un film de Perrault que de Brault. Au meme chapitre, Lqiselle aborde Entre la mer et I'eau douce (1967) essentiellement sous deux angles: l'influence du direct sur Ie filmage et Ie jeu des acteurs, et la convergence des createurs qui nourrissent Ie film tout entier. Ceci Ie conduit it brosser un portrait de la vie culturelle quebecoise de l'epoque et Ii aborder Ie cinema de fiction qui prend place it la fin des annees 1960 et au debut des annees 1970. Certaines observations sont avisees (comme les sequences consacrees it la SeEur du heros du film) mais on s'etonne qu'il neglige Ie personnage de l'Amerindienne, .capital au debut du film, et surtout qu'il ramene au niveau anecdotique la presence de Reggie Chartrand. Cela temoigne certainement de la mesestime de la portee politique du film. Le titre de ce demier, qui correspond it la structure de l'eEuvre, aurait aussi merite plus d'explications. La Crise d'Octobre constitue un evenement majeur dans l'histoire du Quebec, et Loiselle se plait it en rappeler les parametres, capitaux pour La comprehension de Les Ordres (1974). Ces vingt-cinq pages sont typiques de l'approche de Loiselle qui entrelace les observations sur Ie cinema et sur Ie contexte politique. L'auteur enchaine ensuite s·ur une section intitulee « Un destin d'Americain francophone }) au il s'interesse au concept d'americanite et Ie situe dans l'ensemble de la culture quebecoise de !'epoque. Cela permet d'introduire les deux films acadiens de Brault, L'Acadie, l'Acadie?!? (corealise avec Perrault, 1971) et Eloge du chiac (1969). On comprend toutefois mal Ie mutisme quasi total sur l'imposante serie que Brault realise avec Andre Gladu, « Le Son des Franc;ais d'Amerique » (1974-80), qui compte quand meme vingt-sept episodes de trente minutes. La mise it l'ecart surprend, d'autant que l' auteur enchaine sur la question du nombre grandissant de femmes qui, it l'epoque, prennent la parole. Cet element contextuel certes majeur s'articule mal avec une etude sur Michel Brault, si ce BOOK REVIEWS· COMPTES RENDUS CANADIAN JOURNAL OF FILM STUDIES' REVUE CANADIENNE D'ETUDES CINEMATOGRAPHIQUES VOLUME 16 NO.1' SPRING' PRINTEMPS 1007' pp 98-109 z 99 n'est que pour di~e qu'il fut cameraman de certains films mentionnes. Le dernier chapitre avant la conclusion couvre vingt ans de pratique, quatre longs metrages, Les Naces de papier (1989), Shabat Shalom! (1992), Man amie Max (1994), Quand je serai parti... vallS vivrez encore (1999), et quelques courts metrages. On aurait souhaM des developpements plus pousses autant sur Ie plan des idees avancees par ces films que sur leur esthetique, puisque ces questions semblent poser probleme. On dirait que Loiselle reconduit l'idee que la grande periode du cinema de Brault s'arrete avec Les Ordres. Loccasion etait justement merveilleuse pour questionner cette impression et approfondir la connaissance des ceuvres et du contexte cinematographique des vingt-cinq 'dernieres annees. Leg" deux premiers films traitent de l'autre ethnique et si Loiselle defend Ie premier, subtil et imance, proche des Ordres, il se montre assez severe avec Ie second qu'i! juge trap didactique. Quant aux autres films, illes lit sous Ie signe de la nostalgie quiest selon lui l'ethos dominant des annees 1990. Apres en avoir identifie quelques traces dans l'histoire politique de ces annees-la, iI note la nostalgie de Montreal dans Diagene (1990) et La demiere partie (1991) et celie du pays et du cinema d'antan dans Man amie Max. II effectue des rapprochements avec les cineastes dont J'ceuvre explore Ie J;lleme filon. Mais c'est surtout son film Ie plus ambitieux que Loiselle decortique, celui de la nostalgie de la Rebellion de 1837-38 ou se manifeste Ie besoin de retourner aux sources du nationalisme. II Ie rapproche du film de Pierre Falardeau sur Ie meme evenement, 15 fevrier, 1839 (2001), qui Ie seduit davantage. Selon lui, Quand je semi parti... echoue a joindre verite histarique et force dramatique alors que son ambition, saisir l'ambigu·ite du reel en tournantle dos ala propagande, est plus grande. En conclusion, Loiselle avance, en s'appuyant sur la video documentaire La Manic (2002), qu'« aucun cineaste n'a su traduire la societe quebecoise aussi fidelement et pendant aussi longtemps que Michel Brault », ce qui resume bien Ie projet de son ouvrage. Le livre ne propose pas toujours un point de vue unifie et structurant. Lauteur nous entralne sur denombreuses pistes laterales qui n'eclairent pas toujours de fac;:on convaincante les realisations de Brault. Egalement, on parseme c;:a et 1.1 des considerations stylistiques sur !'esthetique de l'image du cineaste alors qu'on aurait pu donnerdavantage de details sur son ecriture cinematographique. On en retrouve parfois de fort pertinents, mais Hs sont masques par Ie foisonnement du texte. Louvrage traite aussi de certains films auxquels Michel Brault a collabare et dont il a assure les images. La encore, les choix et !'importance relative des films laissent perplexe. Rien sur Kamauraska, Ie film de fiction au Brault est sans doute aile Ie plus loin dans sa direction photographique. N'y avait-il pas lieu de detailler Ie travail esthetique et technique qui lui a valu une recqnnaissance internationale? On avance plutot que « Brault a toujours su collaborer a des films qui sont a l'image de sa nation ». Cette affirmation ne s'applique pas a I'ensemble des films auxquels il a travaille et il s'agit 1.1 d'une curieuse raison pour privilegier certains 100 Volume 16 No. I titres. Il reste toutefois que Loiselle nous offre un travail serieux qui accrolt notre connaissance du cineaste. Les notes en bas de page et la bibliographie temoignent d'{Ine recherche documentaire abondante effectuee par l'auteur dans les sources secondes (quotidiens, revues, etc.), quand ce n'est pas dans des ouvrages sur l'histoire et la culture. Certains films sont mis en perspective par Ie recours a des etudes sur Ie cinema Quebecois (Gittings, Marshall, etc.) qu'il n'Msite pas it critiquer it l'occasion pour avancer sa propre lecture. Si cela est gage d'une excellente {{ synthese de lectures », il y aurait certainement eu des sources premieres, des dossiers de production, des scenarios a consulter qui auraient procure une coloration differente a l'etude. On se serait d'ailleurs attendu a plus d'echanges entre Brault et l'auteur, mais bizarrement, les seuls auxquels il est fait reference sont dates de juin 2005, un mois it peine avant !'impression du livre. Un ouvrage sur un cineaste aussi important que Michel Brault etait necessaire. On ne pouvait plus se contenter des bribes qui existaient i;a et 1.1. Loiselle a eu raison de s'attaquer a ce sujet bien qu'on puisse quereller sur certains aspects de son approche qui, en convoquant toutes sartes de considerations socioculturelles, n'eclairent pas toujours la riche carriere et la demarche esthet!cotechnique de Brault. On aurait aime avoir une demonstration plus convaincante qu'une simple mise en synchronie. Si la mise en contexte historique puise dans des ouvrages generaux de qualite, celle-ci est parfois trop courte pour un lecteur historien et trap longue pour bien mettre en valeur la relation n~elle du cineaste aux evenements qui lui sont contemporains, On peut comprendre les choix de Loiselle tout en s'interrogeant sur la clientele visee par l'ouvrage, d'autant plUs qu'il est publie en France. Cela explique peuH~tre des detours qui n'auraient pas toujours ete necessaires pour un ouvrage quebecois, a mains de viser un public carence en elements d'histoire du Quebec et du Canada. En resume, Loiselle nous propose un ouvrage instruit qui stimule I'intelligence critique de son lecteur. Brault est un cineaste complexe et contradictoire qu'on a trap souvent ramene acertains traits. Sans epuiser son sujet, Loiselle en souligne d'autres. II .fournit par 1.1 une assise a l'ectifice que serait l'analyse compll~te du travail de Brault. On peut souhaiter qu'it partir du materiel dont il dispose, Loiselle choisisse d'approfondir son sujet et puisse beneficier d'un ectiteur qui porterait plus de soin a la correction et a l'illustration du texte (il n'y a aucune photo dans Ie livre). Mentionnons, pour terminer, la parution recente d'un coffret de cinq DVD, Michel Brault. CEuvres 1958-1974 Works, qui offre bon nombre des films dont il est question dans Ie livre. On y retrouve egalement deux films- etudes, Le Cheval de Troie de l'esthetique (Gilles Noel) et Le Direct avant la lettre (Denys Desjardins), ainsi qu'une brochure bilingue de cent quatre pages tres bien faite au on retrauve justement des textes de Loiselle qui s'affirme dorenavant comme une reference quand on veut parler de Michel Brault. Cinematheque quebecoise BOOK REVIEWS' COMPTES RENDUS 101