Le fantôme de Landevennec - Les éditions du Bout du Monde
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Le fantôme de Landevennec - Les éditions du Bout du Monde
4 5 Le fantôme de Landevennec En prenant la route de Crozon ou de Camaret, il suffit de tourner à droite au carrefour des Quatre Chemins et revenir sur ses pas pour atteindre le bourg côtier de Landévennec. Tout proche du cœur opérationnel de la dissuasion nucléaire sous-marine française, invisible pour le profane à l’Ile Longue, Landévennec est un havre de paix où mer et rivières se mêlent en complices pour tailler et arrondir la terre en de vastes anses tortueuses. Le belvédère qui s’offre soudain au promeneur, le confronte à la beauté rugueuse de la Bretagne mais aussi à un plus surprenant mystère. Dominique, plongeur de l’Expédition Scyllias, se trouve à cet endroit, à l’instant où la nuit se retire, laissant les vapeurs marines et les effluves iodées se mélanger aux parfums de la forêt. Il assiste simplement à la magie du spectacle dans lequel, de façon anachronique, se sont invités cinq navires gris et tristes amarrés à coffre. C’est que le cimetière marin de notre flotte de guerre se trouve ici, sous ses yeux. Quittant sa contemplation, une étrange lecture modifie son regard, et lui ouvre des horizons inattendus. Un banal panneau d’information touristique raconte qu’un navire nommé ARMORIQUE repose dans les profondeurs de l’anse ou l’Aulne se perd. Une épave importante et riche d’histoires est donc cachée ici, dans le plus parfait anonymat du cimetière de Landévennec. Le plan d'eau de Landévennec en 2007 où attendent cinq navires désarmés. Le plus important est le croiseur COLBERT récemment remorqué depuis les quais de Bordeaux. Il sert à pourvoir en pièces de rechange le bâtiment école JEANNE D'ARC. Cette découverte provoque un enthousiasme profond auprès des membres de l’Expédition Scyllias qui décident alors de mener des investigations historiques sur ce bateau, connu dans la mémoire locale des gens de mer, comme le navire de l’Ecole des Mousses. Plonger sur cette épave inédite devient rapidement une évidence, mais l’endroit est classé site militaire et toute plongée y est bien sûr interdite. Il faut donc les autorisations de la Préfecture Maritime et du Département des Recherches Archéologiques Sous-marines pour envisager une première expédition. Les sésames administratifs obtenus, la rencontre avec les vestiges de cette remarquable épave se révèle un des plus forts moments que nous avons rencontré au cours de nos pérégrinations subaquatiques. Cette épave raconte aussi une histoire perdue dans les archives. Son puzzle, peu aisé à reconstituer, retrace une épopée qui nous emmène loin, très loin de l’ARMORIQUE qui sommeille aujourd’hui dans les eaux bretonnes. Il nous emmène vers l’Orient, où naviguait ce beau navire appelé alors le MYTHO. 7 Le MYTHO à l’Exposition Universelle de 1878 Il peut être surprenant de commencer l’histoire de ce navire en relatant un évènement international qui précède son lancement. Cette manifestation populaire, artistique, ethnographique et surtout scientifique se déroule à Paris au Palais du Trocadéro, remplacé par le Palais de Chaillot à l’occasion de l’Exposition Universelle de 1937. Ces rendez-vous d’une ville à l’autre, d’un pays à l’autre, expriment la formidable suprématie des pays occidentaux sur les inventions et les progrès techniques mêlés aux présentations officielles des arts, dans une atmosphère baignée des frissons exotiques venus des Colonies et des territoires lointains. En 1878, l’immense ballon captif de Giffard permet à 35 000 visiteurs de découvrir les toits du Palais du Louvre à 600 mètres d’altitude. Monsieur Edison, après avoir largement amélioré la technique de la lampe à incandescence inventée par Joseph Swan, présente son phonographe, et le moteur à quatre temps est livré aux visiteurs. A son tour, l’homme d’affaires Emile Guimet présente une collection d’objets remarquables symbolisant la culture, la religion et la société japonaises, après un voyage mystérieux dans ce pays en 1876. La collection suscite une grande curiosité et l’immense admiration du public. Dans les nouvelles cathédrales industrielles, les hommes bâtent et re-bâtent dans la lueur du feu et le bruit étourdissant du marteau-pilon, des bielles, des vilebrequins et autres pièces géantes qui, dans le rouge et sa chaleur intense, naissent peu à peu du bloc d’acier. Des années plus tard, certaines de ces pièces se retrouvent englouties dans le noir et le silence des profondeurs. Derniers vestiges récalcitrants d’une autre aventure humaine, leurs images fugaces prises au cours de ces plongées réveillent un instant l’histoire dantesque de ces immenses forges où des hommes usèrent leur vie pour être maîtres du feu et permettre à d‘autres de traverser les océans. L’Exposition Universelle, si elle doit surprendre et impressionner le peuple, fait l’objet d’une attention particulière de la part des hommes politiques, des militaires et des capitaines d’industrie à l’affût des techniques industrielles nouvelles. C’est aussi l’occasion pour les grandes nations concurrentes de comparer leurs atouts. Pour cela, il existe la vaste Galerie des Machines très encombrée. On y examine des machines-outils de toutes sortes, des locomotives également, mais surtout la machine à vapeur du MYTHO, présentée en avantpremière. Ce modeste navire, transport de troupes ou navire-hôpital selon les circonstances, mis sur cale en 1873, est le seul navire de sa série à être doté d’une coque en fer, et ses machines visiblement dignes d’intérêt sont exposées aux yeux du monde. L’acier fait l’objet de toutes les réflexions, car on en maîtrise mal l’oxydation, le laminage et le rivetage. Les militaires et surtout les marins lancent des missions d’études chez les industriels de la métallurgie, ils hésitent dans leurs choix : faut-il utiliser l’acier en bordée extérieure sur le TURENNE ? Les Anglais ont déjà construit 2 croiseurs en acier en 1875. Les ministères demandent des rapports, le vice-amiral Jauréguiberry écrit à la suite de l’Exposition : « L’Etat aussi est intéressé aux réalisations montrées, bien que les différentes nations ne viennent pas y livrer tous les secrets de leur armement » Et plus loin : « les divers services doivent d’ailleurs, avant tout, se procurer les matières premières les meilleures, le matériel le plus perfectionné ; ils ne peuvent enfin reculer devant les expérimentations nouvelles et parfois coûteuses, que leurs ressources permettent bien souvent à eux seuls de mener à bonne fin » En cette année 1878, il n’y a pas d’invention capitale, mais à chaque pas, on sent la trace d’une instruction scientifique et technique plus large et plus étendue. On s’interroge déjà sur l’avenir des ressources pour fabriquer cette généreuse vapeur, on écrit qu’il faut, à terme, économiser la houille ou trouver de nouveaux gisements, on soupçonne à ce propos l’égoïsme américain et on redoute l’arrivée en force d’un coûteux charbon chinois. On parle de façon prémonitoire d’un déplacement des industries, et de modifications profondes dans les relations internationales. Le MYTHO attire donc tous les regards tel un ambassadeur des technologies que l’on va bientôt apprivoiser. En exposant ses machines, les officiels français vantent bien sûr le savoir-faire de nos industriels mais profitent également de la formidable vitrine de l’Exposition pour se situer au meilleur rang face à leurs concurrents occidentaux, sur le marché de la navigation à vapeur. 14 Caserne de l'Infanterie Coloniale à Saïgon. La campagne de Chine de 1860 En 1860, il devient évident que le gouvernement chinois n’a pas l’intention de respecter le traité de Tsien Tsin, autorisant certaines villes chinoises à faire du commerce avec le monde occidental. Les Français et les Anglais décident alors conjointement de mettre sur pied une expédition punitive. En décembre 1859, 8 000 soldats français embarqués à Toulon se joignent aux 12 000 Anglais de Hong Kong. Le corps expéditionnaire s’empare des forts de Ta Kou qui protègent l’embouchure du fleuve Peï ho, et investit Tien Tsin. Les Chinois ne cèdent toujours pas et les forces alliées marchent sur Pékin. Ils prennent la ville après la prise du pont de Palikao et pillent le palais d’été. Vaincue, la Chine signe un nouveau traité le 26 octobre 1860. 15 On connaît le traité de Nankin* de 1842 et l'arrivée de 70 bâtiments de guerre en rade de Saïgon en 1860, mais il n'y a que par hasard ou chez un bouquiniste averti que l'on peut lire la chronique d'une rencontre entre le mandarin Phan Tanch Gian et Napoléon III en juin 1863. De vieux journaux sauvés du temps nous apprennent aussi que nous sommes toujours et encore en concurrence avec les Anglais qui règnent en Birmanie pour chercher la meilleure route vers la Chine. Qu'en 1866, on remonte le Mékong en partant de la Plaine des Quatre-Bras dans l'espoir de la trouver. Qu'il faut deux ans d'explorations pour en trouver l'accès et qu'en descendant le Yangzi Jiang, on arrive à Shanghaï. Ces voyages audacieux mettent en évidence que la voie la plus simple est finalement celle tracée par le Fleuve Rouge. Découvreurs et marins décident que pour la maîtriser, il faut conquérir le Tonkin et son delta surpeuplé. Le MYTHO a quitté Toulon. En route depuis le 28 mai 1880 en passant par Aden et Singapour, il amène, avec d'autres navires, le corps expéditionnaire, les compagnies d'infanterie de marine et les canons. Dix compagnies s'emparent de la citadelle des mandarins et gagnent ensuite la bataille de Nam Dinh. En 1882, Hanoï est conquise. On recule un peu pour ne pas effrayer l'ennemi et on négocie avec les princes, pour l'usage régulier des ports de Haïphong, de Qui Nonh et d'Hanoï. Mais devant les pirates chinois infiltrés dans le vaste bassin du Fleuve Rouge qui descend au printemps comme un géant des hauts plateaux du Yunnan, Jules Ferry et les militaires décident la guerre. Les modestes canonnières patrouillent dans les méandres, les cuirassés s'installent devant le delta. On occupe la position des Sept Pagodes, le MYTHO participe à la prise de Bac Minh le 12 mars 1884 et on finit par signer le traité de Tien Tsin un 11 mai 1884. Mais la paix asiatique n'est pas si simple, on joue au chat et à la souris, on tiraille, on s'accroche, alors Courbet donne l'ordre à son escadre de bombarder l'arsenal de Fou-Tcheou pour punir les récalcitrants puis réduit à néant la flotte chinoise à l'entrée du Fleuve Bleu. On signe ensuite avec prudence, mais avec force ambassade chamarrée, un nouveau traité de protectorat le 9 juin 1885 et le 11, Courbet meurt d'épuisement à bord du Bayard au large des îles Pescadores. La rade de Haïphong vers 1900. Inspection des armes avant un combat. Les forces navales françaises en Extrême-Orient au 1er août 1883 Division navale des mers de Chine et du Japon : G cuirassé VICTORIEUSE G cuirassé TRIOMPHANTE G croiseur VILLARS G croiseur TOURVILLE G avisos VOLTA et KERSAINT G canonnière LUTIN Division navale du Tonkin : G cuirassés ATALANTE et BAYARD G croiseur CHATEAURENAULT G avisos HAMELIN et PARSEVAL G canonnière LYNX et VIPERE G torpilleurs n° 45 et 46 La modeste chaloupe canonnière YATAGAN en patrouille dans le delta. * Le traité de Nankin est l'accord qui mit fin à la première guerre de l’opium, en 1842 avec une nette victoire du Royaume-Uni sur la Chine. Le traité ouvre aux Européens de nouvelles possibilités commerciales dans un pays auquel ils n'avaient encore qu'un accès restreint. Il ouvre quatre nouveaux ports au commerce et proclame la cession de l’île de Hong-Kong au Royaume-Uni. Flottille du Tonkin : G aviso PLUVIER G canonnières ECLAIR, FANFARE, LEOPARD, SURPRISE et TROMBE G chaloupes-canonnières CARABINE, HACHE, MASSUE et YATAGAN Station navale de Cochinchine : G canonnière ALOUETTE G chaloupes-canonnières FRAMEE, JAVELINE et MOUSQUETON De 1880 à 1887 le MYTHO effectue une rotation annuelle entre la France et la Cochinchine, chaque voyage est suivi d'un carénage à Cherbourg. En décembre 1881 après avoir passé 12 jours à réparer ses machines, le navire et son équipage se rendent en Tunisie pour évacuer 300 malades vers la métropole. Le bateau mouille également à Cotonou au large du Dahomey où il embarque 1 200 malades puis il reprend ses voyages orientaux. Comme le raconte un voyageur en 1883, le MYTHO est un bateau fort inconfortable par l'entassement de ses 1 000 passagers mais il se transforme à son retour vers la France en navire-hôpital très bien aménagé. Il met 41 jours, soit deux fois plus de temps que les grands courriers, pour se rendre de Toulon au Tonkin. Le voyage se déroule en une fresque grandiose où les spectacles se succèdent sous les différents climats et par la diversité des océans, des pays et des populations. On vogue vers Alger, sur la Méditerranée, Port Saïd, on entre dans le canal de Suez puis c'est la brûlante atmosphère des déserts de la Mer Rouge dont Aden et Perim constituent le verrou sous la main des Anglais. Voilà l'Océan Indien où le MYTHO avance entre calme et tempête, entre le ciel et l'eau, dans la féerie des couchers de soleil et des nuits étoilées, on mouille les ancres dans le grand port de Colombo et sa puissante végétation tropicale puis on arrive enfin au bout du périple qui se nomme Singapour, porte de l'Extrême-Orient. Quelques heures encore et le navire découvre la baie d'Along qui apparaît comme un massif montagneux enseveli sous les eaux et dont émergent seuls, les plus hauts sommets. Ils se dressent en blocs monolithiques nus ou couverts de végétation, disséminés en un vaste cercle de 10 kilomètres de diamètre. Autour d'eux, la mer forme un dédale de canaux entrelacés dont l'enchevêtrement rend la navigation difficile. Dans cette rade, la division navale qui assure le blocus des côtes d'Annam et du Tonkin est au mouillage. En ce début d'année, le bateau maintient pendant 24 heures à la voile, une moyenne de 14,5 nœuds. Au cours d'un autre trajet, il porte à Saïgon le torpilleur 46 qui va se couvrir de gloire à Boutcéou. Le transport embarque aussi un peloton de Chasseurs d'Afrique avec un cheval pour Courbet. Quand le temps est calme, on répand du sable sur le pont et on lui en fait faire le tour, la bride à la main. 22 23 1909, le MYTHO arrive à Brest. Le tableau arrière A cette date, la ville est une vaste cité ouvrière où 6000 ouvriers sont employés pour le seul Arsenal, sorte d’impressionnant complexe militaroindustriel. L'élément décoratif en bois sculpté qui orne la poupe du MYTHO peut paraître tout à fait incongru. On peut s'étonner en effet qu'un navire portant haut les couleurs de la Marine nationale, offre aux regards l'animal emblématique du panthéon des croyances hindoues sous la forme de deux éléphants qui se font face. Bien sûr, les dieux les plus célèbres de l’hindouisme sont représentés avec une tête d'éléphant comme Ganesh, quelquefois par l'animal entier, ou encore comme Indra chevauchant son éléphant blanc Airavata. On les invoque pour appeler à la sagesse, l'abondance, la fertilité ou la richesse. Nous sommes donc bien loin des préceptes religieux occidentaux de l'époque ainsi que des canons artistiques habituels qui enjolivent la poupe ou la proue des navires de la Royale. On peut imaginer que ce bateau, outre son rôle de transport de troupes, ait joué celui d'un ambassadeur, et que certains, par une volonté de conciliation politique, aient voulu respecter les croyances des autochtones, par un effet visuel qui leur était adressé. Le travail de sculpture et les essences de bois utilisées laissent à penser que cette décoration fut réalisée en Orient et non en France, et il y a fort à parier que le MYTHO ne portait pas cette décoration amovible au moment de son lancement. A la période où le bâtiment est en pleine activité, l'éléphant est apprécié de la société européenne. L'épopée d'Hannibal lors de sa traversée des Alpes a déjà frappé les esprits et de nombreux cirques font de l'animal une attraction majeure recherchée par un public goguenard qui s'ouvre au bestiaire du monde dans un mélange de peur et d'émerveillement. Dans ce même registre, certains n'hésitent pas alors à entretenir la confusion entre l'homme et l'animal pour peu qu'ils se ressemblent, ce qui vaudra l'exhibition de Joseph Merrick, « l’Elephant Man » dans de monstrueuses parades. Les éléphants du MYTHO gardent une part de leur mystère, mais ils nous sont pourtant parvenus aujourd'hui. Le plus surprenant reste que les lettres gravées du MYTHO ont laissé place à celles, maladroites et anachroniques, de l'ARMORIQUE. Risquons alors une explication, et disons qu’on les substitua suite à la volonté de conserver pour la postérité, les signes évidents de l’aventure orientale de ce navire, sachant qu'il était promis à l’immobilité en même temps qu’il entrait dans la mémoire maritime bretonne. De nombreux travaux ont été entrepris qui ont d’ailleurs remis en cause l’existence de l’arsenal voisin à Lorient. En 1905, on construit le quai d’armement ; entre 1910 et 1916, on creuse les deux bassins de construction et de radoub de Lannion, connus comme bassins 8 et 9. Ils ont 250 mètres de long et 36 mètres de large avec une station de pompage commune. Ces bassins verront la construction du DUNKERQUE et du RICHELIEU. Mais en attendant ces lancements prestigieux, c’est le cuirassé COURBET que l’on met sur cale le 1er septembre de cette année-là, tandis que l’on installe la célèbre Grande Grue qui deviendra au fil du temps et des photographes, le totem emblématique de l’Arsenal. Quand le MYTHO pénètre dans la rade, la Marine nationale a commencé une profonde mutation. Une commission officielle rend un rapport le 1er juillet 1910 qui est l’acte fondateur de l’aviation maritime. Le 26 décembre, la Marine reçoit son premier appareil volant, un biplan Maurice Farman. Le porte-avion n’est pas encore né mais il modifiera les doctrines militaires de la Marine française. On réfléchit aussi sur l’avenir du charbon comme combustible essentiel pour alimenter les trop gourmandes chaudières des navires de ligne. Un ordre ministériel du 25 mai 1910 demande que l’on établisse des prévisions de consommation en combustible liquide. En 1909, on a déjà construit à Cherbourg 2 réservoirs de 1000 tonnes chacun, pour stocker des résidus pétroliers venant de Roumanie puis du Texas. La Marine nationale se dote du pétrolier RHONE de 4 300 tonnes qu’elle utilise comme citerne en rade de Toulon, puis comme transport en avril 1912. Le GARONNE de 6 300 tonnes suivra. Torpillage du bateau-hôpital GLOUCESTER CASTLE. Bâtiment de guerre d'un autre âge, le MYTHO ne verra pas la cruelle révolution des combats maritimes née avec l'usage à outrance des sous-marins au cours de la première guerre mondiale. Terreur des marines marchandes anglaise et française qui perdirent près de 5000 steamers, 344 sous-marins allemands furent lancés, 168 furent perdus au combat. Les torpillages des paquebots LUSITANIA le 7 mai 1915 par le U20 et de l'ARABIC en août décideront les Etats-Unis à entrer dans le conflit. Devenant caserne et école, le BRETAGNE renommé l’ARMORIQUE va assister en témoin suranné aux évolutions radicales d’une marine qui l’avait fait naître dans un autre temps, pour courir sur les chauds océans par la poussée des vents et par l’ardeur du charbon. Le tableau arrière portant le nom « ARMORIQUE » est aujourd'hui conservé dans les collections permanentes du Musée National de la Marine, Citadelle de Port Louis à Lorient. 28 Jean POULIQUEN André DAOUBEN Yves RAGUENNES Pierre Sevestre 29 Jean POULIQUEN … c'est là qu'avec mon père nous avions rendez-vous avec cet ancien capitaine d'Armes de la « Royale » autrement dit : la Marine nationale. S'adressant à moi, il dit : « tu veux coiffer le pompon rouge, c'est bien. A ton âge, ce qui se présente pour ton entrée dans la Royale c'est l'Ecole des Mousses. Cette école se trouve à Brest à bord de l'Armorique ». Le premier octobre 1937 de bon matin, en compagnie de mon père, me voilà sur le quai de la gare, attendant le train pour Brest. La porte Tourville, située au bas de la rue Pasteur, était l'entrée principale de l'arsenal et du port militaire. C'est là que tous les futurs apprentis marins avaient rendez-vous ce 1er octobre. Un coup de sifflet donna le départ et le convoi prit la direction de la rade abri au fond de laquelle était mouillé l'Armorique. Tous les bâtiments de l'Escadre atlantique étaient là, amarrés à leur coffre respectif. Impressionnants ces cuirassiers, croiseurs, torpilleurs, contre-torpilleurs, sous-marins, alignés comme à la parade ! Nous accédâmes à notre navire par une rampe en bois prenant appui sur les pontons et nous pénétrâmes dans une immense pièce nue, badigeonnée à la chaux. Le plafond bas comportait un aménagement destiné à suspendre les hamacs pour la nuit. En abord étaient disposés des tables et des bancs bien alignés. Il y avait 2 batteries superposées sur chaque bord pour accueillir 4 compagnies de 200 élèves en moyenne. Le séjour ici allait être plus ou moins long selon l'âge. Ceux qui avaient 16 ans à leur entrée à l’école y restaient 9 mois, tandis que ceux de 15 ans y restaient une année entière. L'après-midi allait être consacrée à la mise en ligne du couchage, aux consignes pour la nuit… Direction la voilerie, nous commanda notre chef de section. La petite troupe descendit les échelles menant dans les entrailles du navire jusqu’au magasin où étaient entreposés les équipements nécessaires au gréement du hamac. C'était le mode de couchage dévolu à tout marin et ceci tant qu'il porterait le pompon rouge. Chacun recevait une toile, une paire d'araignées et une couverture. Nous arrivâmes devant une baraque en bois derrière laquelle était rangé en bon ordre, chaque vêtement ou équipement constituant le « sac » du marin. Une forte odeur de naphtaline nous accueillait, mélangée à celle des tissus écrus. La distribution commença sans tarder. Un quartier-maître chef, trois galons rouges en lézarde sur chaque manche, prenait sommairement les mesures et annonçait les tailles. En fin de circuit chacun partait vers la batterie avec une brassée hétéroclite de vêtements, chaussures, nécessaire de toilette, trousse à boutons, et un petit sac destiné à mettre le linge sale et les chaussures. J'avais reçu le numéro 3079 B 37. J'étais donc le 3079ème nouveau marin immatriculé à Brest pour l'année 1937. Un pochoir portant ce numéro avait été remis à chacun de nous afin d'inscrire notre marque à l'intérieur des vêtements. Selon la méthode du service à bord en vigueur dans la Marine, nous allions être répartis en deux bordées. A bord de l'Armorique, la répartition était basée sur le niveau d'instruction générale. Les plus calés d’entre nous étaient les Tribordais, les Bâbordais constituait l'autre groupe. Cette division devait faciliter l'organisation des cours d'instruction générale dispensée par des professeurs de l'Education nationale. Bon nombre de disciplines étaient enseignées à bord : le matelotage ou l'art d'utiliser les cordages et d'y faire les nœuds propres à sécuriser chaque manœuvre, l'instruction militaire, l'apprentissage des différents grades de la Marine etc… Un manuel approprié récapitulait l'instruction militaire, et nous étions soumis à un questionnement inopiné qui demandait une réponse automatique. Les signaux à bras, utilisés pour la communication rapprochée entre deux navires, étaient enseignés par le quartier-maître timonier… » 40 41 L’épave est majestueuse par sa taille, et son état de conservation, remarquable. Nous reconnaissons sans peine une des deux poulaines latérales formant une saillie sur chaque bord, caractéristique architecturale de cette série de transport mixte voile-vapeur particulièrement réussie. Notre progression nous amène à l’étrave, pièce colossale qui semble émerger du néant, puis nous explorons le pont principal qui présente de grandes surfaces recouvertes de lattes de bois encore bien visibles, ainsi qu’une sorte de chaloupe ou petit chaland perpendiculaire au bord. Plusieurs bossoirs toujours en place et de grands compartiments extérieurs apparaissent au fur et à mesure de notre progression. Nous y pénétrons ainsi que dans l’entrepont, avec un maximum de précautions afin d’éviter de soulever d’importants nuages de particules et surtout de rester prisonnier dans ce qui peut se révéler comme un piège mortel. A l’intérieur, apparaît ce qui peut ressembler à d’anciennes machinesoutils munies de volants et de manettes, et même d’antiques groupes électrogènes. Il est difficile de mettre un nom sur ces curieux objets dont l’aspect a été lissé par l’importante couche de dépôts vaseux qui les recouvre. Bercés par cette étrange ambiance presque sépulcrale, l’esprit vagabonde et la pensée se tourne vers ces jeunes mousses pleins d’entrain et de vie qui, au siècle dernier, animaient ce navire à jamais silencieux.