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Philippe Jourdon
La monnaie unique
européenne et sa relation
au développement
économique et social
coordonné: une analyse
cliométrique
Tome II :
Donnees empiriques sur la
periode 1800-2000 :
histoires economique &
monetaire de l’Europe
ENTELEQUIA
revista interdisciplinar
Philippe Jourdon
La monnaie unique
européenne et sa relation
au développement
économique et social
coordonné: une analyse
cliométrique
Tome I :
Donnees empiriques sur la periode
1800-2000 : histoires economique
& monetaire de l’Europe
2010
http://www.eumed.net/entelequia/ebooks
La monnaie unique européenne et sa relation au développement économique et social coordonné : une analyse cliométrique
Tome II : « Donnees empiriques sur la periode 1800­2000 : histoires economique & monetaire de l’Europe »
par Philippe Jourdon. These de Doctorat de 3ème Cycle sous la direction de Monsieur Claude Diebolt
Premier édition, Mars 2010
ISBN: PENDANT
Publié par:
Entelequia. Revista Interdisciplinar (grupo Eumed∙net)
Tome I disponible à http://www.eumed.net/entelequia/es.lib.php?a=b010
Tome II disponible à http://www.eumed.net/entelequia/es.lib.php?a=b011
Tome III disponible à http://www.eumed.net/entelequia/es.lib.php?a=b012
Tome IV disponible à http://www.eumed.net/entelequia/es.lib.php?a=b013
fait avec OpenOffice.org
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 567
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 568
La monnaie unique européenne et sa
relation au développement économique
et social coordonné : une analyse
cliométrique
TOME II
DONNEES EMPIRIQUES SUR LA
PERIODE 1800-2000 : HISTOIRES
ECONOMIQUE & MONETAIRE DE
L’EUROPE
PHILIPPE
JOURDON,
THESE
DE
DOCTORAT DE 3ème CYCLE SOUS LA
DIRECTION DE MONSIEUR CLAUDE
DIEBOLT
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 569
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relation au développement économique
et social coordonné : une analyse
cliométrique
TOME II
INTRODUCTION
PHILIPPE
JOURDON,
THESE
DE
DOCTORAT DE 3ème CYCLE SOUS LA
DIRECTION DE MONSIEUR CLAUDE
DIEBOLT
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 573
La monnaie unique européenne.
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Philippe Jourdon / 574
La monnaie unique européenne.
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Philippe Jourdon / 575
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
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Au terme du tome I sur les auteurs, nous pouvons légitimement nous
interroger sur le fait de savoir si, en étudiant l’histoire, d’abord
économique, puis spécifiquement monétaire, de l’Europe depuis 1800,
nous aurions une confirmation de ce que les auteurs nous ont appris, des
contradictions partielles, ou encore de nouvelles découvertes.
Nous n’avons pas remis en cause la théorie de KONDRATIEFF, puisque
fondamentalement, c’est d’elle que nous avons choisi de partir. Nous en
considérons dès lors les preuves comme fermement établies 1293.
Néanmoins, compte tenu de la différence de nature entre les quatre
explications principales retenues pour expliquer l’existence, constatée par
KONDRATIEFF, de mouvements longs des prix puis de la production :
mouvements de découvertes de mines d’or et de métaux précieux,
guerres et révolutions, innovations, mouvements démographiques… nous
considérons que cette théorie ne se suffit pas vraiment à elle-même en
l’état actuel des connaissances, mais qu’elle requière pour être de quelque
utilité dans la suite de tout raisonnement économique soucieux d’intégrer
la théorie des cycles longs, quelque(s) raisonnement(s) déductif(s) qui lui
donne(nt) sa pleine dimension scientifique, dès lors à la fois inductive et
déductive.
Nous avons toujours buté sur le fait que la théorie en elle-même porte
une sorte de « nuée psychanalytique » dans son sillage. Car, rapprocher
ensemble des phénomènes aussi disparates que l’or et la démographie, ou
encore que la guerre et l’innovation, repose, si on ne trouve pas quelque
explication générale relative à une théorie des systèmes, et s’appuyant
aussi sur l’étude de l’esprit humain, sur une violence paraissant être faite
à la raison1294 1295 1296.
Les lecteurs qui en douteraient sont priés de se reporter aux œuvres de
KONDRATIEFF elles-mêmes.
1294
Pour répondre aux sceptiques au sujet de la théorie des cycles de KONDRATIEFF,
nous pouvons assurer que nous avons nous-mêmes butés sur le fait que nous ne voyions
pas l’intérêt de cette théorie, dès lors qu’on ne pouvait s’exprimer sur des cycles longs de
l’histoire, puisque celle-ci est fréquemment interrompue par des guerres.
1295
C’est un peu le reproche que SCHUMPETER lui-même établissait à l’encontre de
KONDRATIEFF, en disant que les guerres n’ont rien à voir avec les innovations.
Cependant, KONDRATIEFF s’est contenté d’établir des faits, un peu comme COPERNIC
dans le domaine physique établissant que la terre était ronde. Beaucoup de gens, soi
disants « instruits », refusèrent pendant des siècles de croire à cette affirmation, à
l’époque considérée comme hérétique, aujourd’hui tombée dans le sens commun.
1296
Dès lors que nous avons su que des historiens n’ayant pas maille à partir avec la
théorie des cycles de KONDRATIEFF, tel par exemple DUROSELLE, considèrent que 19141918 et 1939-1945 ne sont pas deux guerres séparées, mais les deux extrémités d’une
« guerre civile Européenne », on retrouve la cohérence de la théorie des cycles longs,
non dans le cadre d’une histoire nationale mais dans le cadre de l’histoire d’Europe,
probablement moins arbitraire car à l’évidence moins particulariste. On peut se douter
alors, que si on a le courage d’affronter intellectuellement l’histoire, il faut absolument
une théorie liant guerres, c’est-à-dire périodes qualifiées généralement d’exceptionnelles
de l’histoire, et périodes elles-mêmes qualifiées de normales de l’histoire ou périodes de
paix… c’est-à-dire que si on passe cette fois-ci de l’histoire des faits à l’histoire de
l’évolution de l’esprit humain, on pourrait avoir une théorie liant les périodes plus ou
1293
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européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 577
Dès lors, nous avons choisi de soumettre la théorie à une sorte de
vérification « littéraire », à travers l’examen d’écrits de divers auteurs,
historiens, économistes, politologues, sociologues, dont les travaux auront
pu paraître des corroborations assez évidentes de cette théorie, ou même
d’autres auteurs spécialisés dans la théorie elle-même. Cependant, une
théorie comprenant quatre « pôles » ne peut être facilement vérifiée ou
corroborée, car comme nous l’avons indiqué, il y a forcément des
interactions entre quatre « pôles » de natures différentes. Or, si nous
voulons une théorie déductive du phénomène, il nous faut adopter une
théorie générale de ces interactions 1297. En pratique, il est plus simple de
partir d’une des
C
2
4
= (4 ! 2 !) / (2 !) possibles entre deux axes
seulement, en supposant que cela oriente les autres interactions qui
peuvent se produire entre les autres axes. Peut-être est-ce que l’état de
ces interactions particulières nous met sur la voie d’un sens de l’histoire
particulier, ou d’une direction possible, ce qui serait probablement
intéressant à explorer dans le cadre de la science de l’histoire.
Mais il n’y a pas que la difficulté d’avoir à sélectionner deux axes parmi les
quatre, qualifiés de principaux, (et considérer donc les deux autres
comme intéressants aussi mais d’un intérêt secondaire), ces deux axes là
en tout état de cause ne dépendant que de l’examen des faits. Or, il faut
aussi tenir compte de la façon dont nous regardons ces faits, donc de nos
idées à propos des faits. On passe de la sphère que l’on peut qualifier de
« réelle » au sens large, à une sphère que nous qualifions ici en tout et
pour tout de « symbolique ». Nos croyances, et non pas seulement nos
préférences, interviennent dans la façon dont nous regardons l’histoire,
parfois même dans la façon de considérer l’impossibilité de tenir des
commentaires d’une certaine nature sur cette histoire, commentaires qui
dès lors seront considérés a priori comme non scientifiques. Parce que
l’histoire est un phénomène complexe.
Toute théorie scientifique déductive, ou même une théorie philosophique
et pourquoi pas métaphysique, également déductive, ne pourra être
qualifiée de « scientifique » ne serait-ce qu’à la marge, et servir à la
moins inconscientes et celles pleinement conscientes. Ou, si l’on veut bien encore nous
suivre dans notre déduction, les périodes dans lesquelles l’homme s’autorise à détruire ce
qu’il avait lui-même construit, et qui pendant l’essentiel de l’histoire humaine ne faisaient
pourtant même pas l’objet de procès, mais d’une volonté d’oublier - c’est pourquoi nous
les qualifions ici de périodes en partie inconscientes -, et les périodes normales, qui ne
nous posèrent en principe pas de tels problèmes. Les conséquences de telles prémices
sont indénombrables. La théorie des cycles longs de KONDRATIEFF en est une base
d’interprétation magistrale : elle ne demande qu’à être renforcée par des tests, qui lui
donneront aux yeux du monde son caractère pleinement « scientifique », et non celui
« pré scientifique » qu’elle revêt aux yeux des monétaristes Américains et de leurs
affidés… Mais avant ces tests, il faut aussi une théorie déductive.
1297
La théorie de SCHUMPETER sur le rôle de l’innovation en est une, possible. Elle peut
sembler ne pas aborder, parmi les quatre éléments, différents éléments « tabous ». La
validité n’est peut-être assurée que pour un temps et un lieu précis, par exemple
l’histoire Occidentale du vingtième siècle voire aussi du dix-neuvième siècle.
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européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 578
construction d’outils technologiques permettant à l’homme de pouvoir
exploiter son environnement, à l’aide des connaissances de codes entre
techniques et de la maîtrise élémentaire d’autres techniques plus simples
combinées dans la nouvelle technologie, facilement appropriables, en
faisant l’effort de les apprendre… que dans le cadre d’une période donnée
en un lieu donné, cadre supposé relativement homogène. En d’autres
époques, en d’autres lieux, une telle technologie pourra paraître
ésotérique, car on ne percevra pas le lien entre les éléments. C’est dans le
cadre de notre époque, et plus particulièrement dans le cadre du vingt-etunième siècle fortement influencé par l’histoire et par les valeurs
Européennes, que nous voulons nous placer, et communiquer un peu de
valeur humaine et scientifique ! Il faut une acceptation sur la nature des
rationalités engagées, et sur le fait qu’il s’agisse bien d’un type de
rationalité, que l’on peut pleinement apprécier la valeur et l’utilité d’une
théorie qui se veut déductive voire même scientifique. Notre référence
dans ce domaine est la théorie de HABERMAS sur les différentes formes
de rationalité(s), et les différents types de sciences qui en découlent :
- sciences de l’esprit ou « sciences critiques » : psychologie,
psychanalyse, sociologie ;
- sciences de l’histoire ou « sciences à finalité pratique », qui procèdent
par interaction ;
- sciences naturelles, « sciences à finalité technique et à rationalité
instrumentale » ;
- (sciences de la quotidienneté ; &
- sciences de la communication), ne figurent pas en tant que telles dans
la classification des sciences faite par HABERMAS, mais en constituent
en quelque sorte un prolongement dans le cadre d’une « éthique de la
communication ». C’est à la fois un malaise et une exigence, que nous
partageons.
Cette segmentation est orientée dans la direction d’un « monde » (c’est-àdire un espace humain, à la fois physique et mental, créé par l’homme et
pour l’homme) où la quotidienneté émerge fortement. D’une part, pour
HABERMAS, la communication sous sa forme particulière de publicité, a
été l’aune privilégiée pour la classe bourgeoise, afin de se faire valoir
socialement au cours des temps modernes. Et, en même temps, la valeur
très importante donnée à la communication comme forme de lien social et
même de rationalité, à notre époque, interroge très fortement celle-ci et
le sens qu’elle revêtira dans l’histoire.
C’est dans un cadre général de communication, que le phénomène de
monétarisation prend tout son sens, et que l’on pourrait chercher à
l’expliquer. Mais, néanmoins, nous n’oublions pas que nous ne proposons
qu’une théorie possible de la monétarisation, et qu’il peut y en avoir
d’autres. Notre théorie se veut scientifique, mais elle aura peut-être
besoin d’être complétée par d’autres apports afin de trouver toute sa
portée, ceci dans le cadre d’une société et d’une économie en évolutions
rapides. Dès lors, si la théorie de la monétarisation avait vocation à
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s’insérer dans une théorie générale de la communication, où elle aurait un
sens à la fois scientifique mais aussi juridique (C’est-à-dire qu’elle servirait
de base reconnue juridiquement, dans la société, pour faire valoir son
droit, pour s’opposer à des adversaires ou à des concurrents ; ainsi sont
souvent utilisés les résultats « scientifiques » dans les sciences humaines,
sociales et économiques.), reconnaissons qu’avant d’en arriver là, nous
trouvons dans la source même de la théorie, et non dans sa destination,
de nombreux obstacles qui pourraient nous décourager d’avancer plus
avant dans la voie que nous nous sommes pourtant fixée.
En clair, une théorie des cycles longs économiques, politiques ou sociaux,
ou même pour être plus précis en ce qui nous concerne, des cycles longs
monétaires, doit-elle recourir au vocabulaire et aux termes, aux
signalements de recherche sur la méthode ou sur l’objet, au type de
rationalité retenus dans :
- les sciences de l’esprit ?
- les sciences de l’histoire ?
- ou les sciences naturelles ?
Cela apparaît comme discutable. Et cela ne veut pas dire que notre
domaine d’étude ne soit pas scientifique1298. Arrivés à ce point de notre
introspection et de notre examen de notre environnement à l’aune du
critère « existence de cycles longs », nous pouvons affirmer que notre
Nous rappelons ici que nous considérons comme scientifique un domaine qui peut et
doit être abordé : à la fois par des observations empiriques nombreuses convergentes
vers des lois générales ; une théorie déductive ou un ensemble de théories déductives
formant un « tout » globalement cohérent et ordonnant ces faits empiriques, contribuant
à les « construire » et à leur donner un intérêt scientifique ; des tests aussi nombreux
que possible, à l’aide des méthodes notamment statistiques adéquates les plus
modernes, permettant de progresser sur l’objet comme sur la méthode, de façon à
confirmer toujours plus la pleine validité scientifique de l’ensemble « théorie + recueil
des faits observés ». Il pourrait apparaître, toujours en suivant notre raisonnement, que
notre ambition est de présenter une théorie qui soit « inspirée des sciences naturelles »
par son caractère inductif, partant des faits, et « inspirée des sciences de l’esprit » par
son caractère déductif travaillant sur des concepts et en forgeant de nouveaux. Mais le
cœur de la pratique liée à cette théorie permettant de forger les tests futurs de cette
théorie, est qu’elle travaille sur des interactions, à la fois entre faits (ce qui renverrait
toujours, selon nous, à son caractère inductif) d’un côté, et entre concepts ou
représentations (ce qui renverrait, pour poursuivre dans notre raisonnement, à son
caractère déductif) de l’autre côté. Et elle crée entre les deux des structures, qui
procèdent de la juxtaposition de faits et d’idées, et peuvent donner une nouvelle
perspective à l’histoire. Ce côté scientifique est sans doute discutable. Nous pensons que
la théorie des cycles longs apporte une nouvelle épistémologie aux sciences
économiques, politiques, humaines et sociales. Mais il y a aussi l’aspect pédagogique et
technologique de notre théorie, aussi un versant exploitable : dans ce cadre, elle a selon
nous une valeur certaine si elle permet de communiquer plus efficacement. Son caractère
scientifique serait au surplus confirmé par sa « pratique technologique », si par là elle
arrive à donner un sens quotidien plus important aux théories économiques, politiques,
sociales en usage : passant par le filtre de l’interprétation de notre approche par les
cycles longs. Notre théorie scientifique, dont le domaine est au final contestable entre
science économique ou politico-économico-sociale d’un côté (conception de l’économie en
partie inspirée des sciences dures), psychanalytique de l’autre côté, et historique au
milieu, s’appuierait volontiers sur un socle philosophique de type habermassien.
1298
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 580
approche et notre théorie est « aussi scientifique » que les approches et
les théories qui l’ont précédé au sujet des cycles longs. Et nous donnerons
notre verdict définitif à ce sujet au cours de la conclusion de la thèse.
Cependant, nous nous devons de signaler une difficulté particulière : la
théorie est aussi scientifique que celles qui ont précédé, et nous pouvons
avancer des faits historiques concrets qui vont dans le sens de notre
analyse et de nos recommandations, jusqu’aux années soixante-dix. Mais,
arrivés à ces années soixante-dix, l’examen des faits et des idées se
mêlent énormément, jusqu’à ce qu’il soit de plus en plus difficile de
séparer ces deux natures. La théorie devient alors fatalement subjective,
même si il y aura bien des moyens pour une personne extérieure de
décider de son caractère scientifique ou non1299.
Dès lors, nous avons tenté un pari osé : aller jusqu’au bout de notre
démarche « subjective » qui procède largement de notre démarche
scientifique de témoin « engagé et distancié » vis-à-vis de son époque,
pour reprendre la formule d’ELIAS, afin d’en épuiser précisément les
facettes, et d’arriver plus sûrement, in extremis, à une étude de type
totalement scientifique (sans le moindre doute possible à ce sujet). Ces
remarques générales ne sont pas fortuites : elles proviennent du fait que
les changements de structure de l’économie monde, dans un sens visant
par certains aspects une dimension assurantielle plus poussée (réformes
sociales, réformes institutionnelles monétaires lors des périodes longues
dépressives, qu’ont bien mis en évidence les auteurs que nous avons
cités), mais par d’autres aspects, dialectiques par rapport à ceux
précédents, repoussant les effets assurantiels à cause des efforts de
domination inhérents à l’économie-monde… font que la pensée sur le
système doit être reconduite en redéfinissant et décrivant le système à
chaque cycle long (et peut-être en particulier à l’occasion de chaque phase
dépressive du cycle long, car on dispose alors de plus de temps pour
cela). Et dans une telle réflexion, faits et idées se mélangent fatalement,
alors pourtant que les premiers devront être analysés en utilisant d’abord
les méthodes empruntées aux sciences historiques voire naturelles, et les
secondes celles issues des sciences de l’esprit, avant d’en arriver à la
synthèse finale, volontairement située en cliométrie.
Allant jusqu’au bout de notre approche, qualifiée par nous de
« subjective » 1300 – mais dont le caractère de subjectivité est fortement
réduit par le fait que, à l’ère de la communication, notre thèse sera en
effet fortement critiquée et contredite, et que l’on saura vite si elle est
comprise, quels sont les éventuel(le)s malentendus ou différences de
méthodes qui justifieraient de ne pas parvenir aux mêmes résultats, enfin
1299
Enquêtes d’opinion, corroboration avec d’autres témoignages, etc.
Elle provient d’une vision personnelle que nous souhaiterions soumettre à la
discussion et à l’échange. Elle s’appuie néanmoins sur de très nombreux éléments
scientifiques. Nous croyons donc que, munis d’une telle « configuration », nous sommes
en mesure de faire avancer le débat scientifique à ce sujet.
1300
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 581
si on peut trouver des faits certains permettant de la réfuter en partie ou
en totalité, ou si au contraire elle peut servir de base ou de relais, à une
action ou une réflexion future – nous effectuons une sorte de démarche
« à rebours ». Partant de notre théorie pour le moment non dite – ce sera
l’objet du Tome III de la divulguer – nous décrivons des faits qui ne sont
pas des faits « immédiats » - tel mariage, tel couronnement, telle guerre
-, mais des faits structurels qui sont par nature très difficilement
séparables des idées auxquelles les humains s’accrochent pour faire
évoluer la société et pouvoir évoluer eux-mêmes. « Mieux » même, les
faits structurels retenus sont de nature à nous orienter vers une certaine
définition de la monnaie, qui ne trouvera sa pleine et entière signification
qu’avec les structures actuelles, à notre époque, en clair pour la période
privilégie 2007-2050. Les faits en question concernent la souveraineté
monétaire, institutionnellement reconnue, ou s’exprimant par la force des
choses dans le jeu des relations internationales, des nouveaux concepts à
ce sujet qui ont permis de faire évoluer les formes de la monnaie, mais
aussi de construire notre rapport au temps 1301, et à la mémoire… ou
encore à la violence, car plus celle-ci s’exprime, plus cela pourrait avoir
tendance à nous inciter de ne pas nous souvenir 1302.
Derrière les concepts que nous utilisons pour mettre en avant notre
« théorie des ensembles » - sphère réelle, sphère monétaire, sphère
symbolique dont l’agencement permet de construire le type de rationalité
qui est celle de l’ homo monetarius vivant à cette époque -, il peut y avoir
une dimension épistémologique. Dans notre approche historique, nous
choisissons d’insister sur le « réel » afin d’en déduire le « monétaire », en
laissant prudemment de côté le « symbolique » en attendant d’exposer
une théorie plus générale, plus complète, plus abstraite, de l’histoire et
des cycles longs monétaires 1303. La monnaie et la sphère monétaire
constitue(nt) un outil d’appropriation du réel dans un premier temps, un
moyen dans un second temps de lui donner une expression qui se réfère à
des valeurs à atteindre dans le futur, non encore atteintes,
« symboliques » au plein sens du terme.
Dès lors, nous pouvons annoncer deux choses :
-
Concernant l’Histoire Economique de l’Europe, elle montrera le long des
cycles longs dont l’existence a été prouvée et attestée par
KONDRATIEFF jusqu’en 1940 – et pour les décennies suivantes par
d’autres auteurs –, que l’on voit très bien s’exprimer, dans le
déroulement des faits économiques depuis 1800, une prise de recul, un
souffle qu’il s’agit d’assurer en créant des formes juridiques et
institutionnelles servant à l’échange, et que l’on appelle « monnaie ».
Par exemple, à notre époque, l’ « indépendance de la Banque Centrale » ; mais aussi,
à l’époque de l’or, l’idée d’ « étalon » des échanges.
1302
Ou du moins d’adopter une mémoire plus sélective.
1303
Ce sera en effet plutôt l’objet du Tome III, ce n’est pas d’ores et déjà celui du Tome
II.
1301
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
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On observe ainsi aussi le développement de ces différentes formes, qui
confirment bien le travail des auteurs précédents, mais sur lesquelles
nous pouvons dire de nouvelles choses en partant de la période la plus
récente ;
-
Concernant l’Histoire Monétaire de l’Europe, nous montrons la
continuité de cette Histoire, et nous avons une certaine tendance à
privilégier les faits structurels allant dans ce sens. C’est-à-dire que
systématiquement, nous avons essayé de nous mettre à la place des
autorités monétaires, pour expliquer les choix et les enjeux auxquels
elles étaient confrontées – le dit et le non-dit à ce sujet, notamment
pour la dernière période actuelle -. Cet effort était nécessaire, du
moment que nous croyons, que l’Europe doit en passer par là afin, non
seulement de créer, mais aussi de diffuser sa monnaie unique 1304. Des
faits anthropologiques profonds, propres à l’Europe et à son histoire,
justifient que l’on en arrive là. Notre tentative se veut une synthèse
pédagogique et un essai d’explication à ce sujet 1305. Partant d’une
Histoire Economique qui illustre le processus de monétarisation à partir
de la base, comme une sorte d’ « orthographe historique », l’ Histoire
Monétaire de l’Europe est au contraire une sorte de « grammaire des
cycles longs », qui nous amènera vers une théorie déductive pour finir.
A travers l’examen de ces faits structurels, on continue de privilégier l’axe
de discussion dialectique : guerres (et forces de coercition) contre
monnaie (et quasi monnaies) contribuant à la rationalisation du domaine
social. Notre problématique reste : « se peut-il que de 1300 à 1800, les
cycles longs de type KONDRATIEFF en Europe, étaient des cycles de
guerre et de paix, et qu’ils sont devenus depuis 1800 des cycles de
démocratisation, grâce à l’évolution des formes sociales de la
monnaie ? ». Le Tome II permet de montrer que c’est relativement
probable, mais ce ne sera pas encore certain, compte tenu des dimensions
fortement subjectives concernant l’appréciation de la dernière période, la
seule pouvant permettre pourtant d’approcher le Système Mondial au plus
près possible de son état d’achèvement définitif.
A l’image des cycles longs, nous luttons nous-mêmes contre le vent à la
recherche de quelque signification bien établie. Celles-ci heurteront
nécessairement le sens commun.
A l’ère actuelle, les phénomènes peuvent connaître un succès, ou au contraire un
échec plus rapide, en fonction du retentissement qu’ils peuvent recueillir dans l’opinion,
puissamment aidés par la médiatisation moderne et post moderne.
1305
Certaines « Histoire Monétaire de l’Europe » sont donc plus détaillées sur les faits, et
en particulier sur les faits événementiels. Ainsi de J-P. PATAT, « Histoire de l’Europe
monétaire », Repères Editions la Découverte, 1998. Nous avons au contraire choisi de
montrer à quoi nous en arrivons aujourd’hui en remontant plus loin que 1945, jusqu’en
1800. Ce découpage est nécessaire pour une telle approche par les cycles longs.
1304
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La monnaie unique européenne et sa
relation au développement économique
et social coordonné : une analyse
cliométrique
TOME II
DONNEES EMPIRIQUES SUR LA
PERIODE 1800-2000 : HISTOIRE
ECONOMIQUE DE L’EUROPE
L’EVOLUTION DE L’ECONOMIE REELLE
EUROPEENNE DE 1800 A 2007 – PRODUCTION ET
CROISSANCE
PHILIPPE
JOURDON,
THESE
DE
DOCTORAT DE 3ème CYCLE SOUS LA
DIRECTION DE MONSIEUR CLAUDE
DIEBOLT
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
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La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
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La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
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La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 590
1800-1873 :
I.1) DE 1800 A 1810 : PERIODE
EXPANSIVE :
A)
LES INVENTIONS
TECHNOLOGIQUES :
ET
LES
REVOLUTIONS
Autour de 1800, c’est la première révolution industrielle, dont le processus
et les effets sont décrits par A. SMITH dans son ouvrage sur la richesse
des nations1306. Cette révolution industrielle s’appuie notamment sur la
découverte de la machine à vapeur.
B) LES STRATEGIES NATIONALES. LA STRATEGIE
ANGLAISE, LIBRE-ECHANGISTE. LA STRATEGIE
FRANCAISE, PROTECTIONNISTE. LUTTE POUR
L’HEGEMONIE
ECONOMIQUE
ENTRE
ANGLETERRE ET FRANCE :
Pendant vingt ans prend place entre la France et l’Angleterre une lutte
pour l’hégémonie tant européenne que mondiale, ce qui n’est pas sans
créer quelque ambiguïté… dont les européens pourraient profiter, en tout
état de cause, si ce n’était l’existence d’une nouvelle nation : les EtatsUnis d’Amérique. Il s’agit pour chaque belligérant européen de l’emporter
en affaiblissant l’économie de son adversaire : littéralement, « sa capacité
à réduire son environnement – les autres pays – pour le dominer ». Il
s’agit donc bien aussi de faire triompher une conception de l’économie :
libre-échangiste pour l’Angleterre, protectionniste et autoritaire pour la
France. La conception anglaise, sur le plan des fins, est plus coopérative,
mais c’est contrebalancé sur le plan des moyens, par nombre de
conditions. Cette voie est alors nécessairement ambiguë. Mais l’ambiguïté
apparaît peu. En effet, cette voie permet d’éviter la guerre. Compte tenu
des conditions, elle oblige l’adversaire – la France – à s’y abaisser – à la
guerre - ! La paix d’Amiens (mars 1802), signe un compromis entre les
deux pays, mais c’est un armistice juridique car les voies empruntées
continuent d’être différentes. La France prend à l’égard de l’Angleterre des
mesures protectionnistes (tarifs douaniers), ce qui agace cette dernière.
A. SMITH, « Recherche sur la nature et les causes de l’origine de la richesse des
nations », (1776), W. Strahan and T. editors, Cadell, Londres.
1306
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européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 591
En 1806, Napoléon décide le blocus continental pour bloquer l’accès de
l’Angleterre au continent et même avec ses colonies. En 1807, Napoléon
va plus loin : il envahit le Portugal, qui est le client privilégié de
l’Angleterre. Napoléon peut alors librement imposer une économie de
guerre à l’Europe : il continue de protéger la France, tout en appliquant un
tarif prohibitif – aux échanges – à l’ensemble du territoire européen. Les
deux conceptions s’affrontent clairement : ouverture ou guerre, sauf que
l’Angleterre est physiquement « fermée » par la mer. Ce sont deux choix.
C) TENDANCES ECONOMIQUES A LONG TERME.
TENDANCES GENERALES EN TERMES DE PRIX
ET
DE
SALAIRES.
CONSTITUTION
DES
CIRCUITS. RELATIONS ENTRE ECONOMIE ET
DEMOGRAPHIE :
L’Angleterre réglemente le travail des enfants en 1802. En avance
économiquement (industrialisation), elle se montre alors aussi en avance
socialement, ce qui lui donne une « autorité juridique » sur les autres
pays d’Europe.
D) TENDANCES INSTITUTIONNELLES :
En France est affirmé le droit à la propriété dans le code civil 1307. Les idées
françaises auront du succès dans l’Europe entière, jusqu’à constituer un
point d’achoppement en Europe de l’Est, restée en retard
économiquement. Il est intéressant tout d’abord de s’interroger sur le
sens de cette propriété privée. D’une part, d’un point de vue matériel, elle
est depuis longtemps le droit des bourgeois, des financiers et des
marchands à accumuler. D’autre part, d’un point de vue matériel et
spirituel, elle est aussi le droit des nobles, qui longtemps ont possédé
l’essentiel des terres. D’un point de vue monétaire, elle fut longtemps le
droit des religieux à accumuler de l’or pour leurs reliquaires. La propriété
privée comme droit de tous est un concept nouveau, qui s’impose dans les
valises de la révolution. Il s’agit de la petite propriété privée. Du point de
vue de la propriété économique, réduite à sa dimension sécuritaire la
propriété privée, les conquêtes économiques et politiques sont
inséparables : le droit économique est une liberté politique. Pendant tout
le dix-neuvième siècle, la France connaîtra un « âge d’or » des campagnes
faites de petits propriétaires. La conscience de leur propriété privée
servira à créer des « droits monétarisés », c’est-à-dire de l’épargne, qui
aidera l’industrialisation.
1307
« Code civil », édition originale 1802 : nouvelle édition 1997-1998, Dalloz.
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 592
I.2) DE 1810 A 1850 : PERIODE
DEPRESSIVE :
LES
INVENTIONS
TECHNOLOGIQUES :
ET
REVOLUTIONS
Des inventions marquent le monde des transports, la médecine, la
physique (électricité, photographie), ou encore l’industrie (machine à
vapeur, déjà mentionnée lors de la période précédente ; mais aussi
procédé de coulage de l’acier ; et machine à coudre) et pour finir la
presse1308. Dans les transports, ce sont la locomotive à vapeur (1813), le
navire à vapeur (1819), les trains de voyageurs (1825). Les chemins de
fer se développent vite, d’abord au Royaume-Uni, puis sur le continent. Le
stéthoscope est inventé en 1816. Le moteur électrique (1821) et la
dynamo sont inventés par Faraday : la loi des courants électriques (1827,
Ohm), le télégraphe électro-magnétique (1833, Gauss, Weber) sont
d’autres inventions majeures de la « fée électricité ». En 1823, le principe
même de la photographie est découvert par Niepce. En 1830, la toute
première machine à coudre est mise au point en France. En 1812 la
presse à imprimer à cylindres est inventée, en 1835 la première agence
de presse, Havas, est créée en France. En Bavière, le chimiste Liebig est
le premier à mettre au point des applications agricoles à la chimie
organique. En Angleterre, Joule établit sa loi sur la proportionnalité entre
dégagement de chaleur et travail fourni. Tout un programme… !
TENDANCES ECONOMIQUES A LONG TERME.
TENDANCES GENERALES EN TERMES DE PRIX
ET
DE
SALAIRES.
CONSTITUTION
DES
CIRCUITS. RELATIONS ENTRE ECONOMIE ET
DEMOGRAPHIE :
A partir de 1815/1817 jusqu’en 1896, a lieu une baisse générale des prix,
qui succède à leur hausse séculaire le long du XVIIIe siècle 1309. Les points
tournants des mouvements longs sont, pour l’Angleterre, en ce qui
concerne les prix agricoles, 1813, 1852, 1872 et 1896, et, pour les prix
industriels, 1809, 1849, 1872, 1894/1897. En France les décalages sont
A. DE MOUCHERON, « Les 2000 dates qui ont fait l’Europe », Le Grand Livre du mois,
1990.
1309
J. WOLFF, « Histoire économique de l’Europe », TROISIEME PARTIE. L’économie
britannique, économie européenne dominante. Ascension. Hégémonie. Amorce de déclin
(1730/1740-1896) II. Libre-échange. Début du développement d’autres économies.
Contestation de la domination économique britannique (1815/1817-1896). P.331.
1308
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 593
peu importants aussi bien pour l’agriculture, que pour l’industrie ; il n’en
n’est pas de même pour l’Allemagne (agriculture : 1817-1824-1873/741896 et industrie : 1808-1851-1873-1894). Les différences d’évolution
des prix agricoles et industriels dans un pays sont d’importance car elles
modifient les termes de l’échange et, donc, les débouchés réciproques
entre secteurs et leur revenu. La baisse des années 1817-1850 est, en
Allemagne, caractérisée par une baisse des prix agricoles supérieure à
celle des prix industriels, d’où un avantage implicite accordé au secteur
industriel pour qu’il se développe. On a alors constitution d’un « circuit »
de retraitement des revenus, lié au développement économique de la
nation. Les paysans doivent se serrer la ceinture. Ils sont incités à aller
chercher fortune dans les villes et dans l’industrie. L’industrie parvient en
jouant sur le différentiel de prix à créer une petite épargne et à payer des
salaires, qui incitent à travailler pour l’industrie. Mais l’ensemble reste
dépressif en raison de la baisse générale des prix.
En France (1813) est interdit l’emploi des enfants dans les mines. La
France suit l’Angleterre. En 1824, en Angleterre, le droit de grève est
voté. L’Etat britannique tient compte de l’influence des mouvements
révolutionnaires, et commence à intervenir pour régler les rapports du
capital et du travail, et réformer la société en un sens égalitaire. D’où une
série de lois entre 1831 et 1847, par exemple la limitation de la journée
de travail des femmes à dix heures. Mais il y a aussi l’existence d’un
dualisme dans l’économie, comme pour l’Allemagne, entre le secteur de
ceux qui tirent leurs revenus des prix (les paysans), et ceux qui tirent
leurs revenus des salaires (les ouvriers et travailleurs de l’industrie). Les
premiers ne perdent pas au libre-échange car ils ont la propriété privée
(conquise, en Angleterre, pour les paysans, plusieurs siècles avant par
exemple la France, car les révoltes paysannes anglaises, qui ont abouti à
un compromis entre aristocratie et paysannerie, sur la propriété, ont eu
lieu au XIVe siècle) et peuvent vivre dans une relative autarcie. Les
seconds en revanche gagnent beaucoup à payer leur nourriture moins
cher. Il y a donc un enrichissement du peuple sur le plan réel, qui va de
pair avec l’enrichissement de l’Etat sur le plan financier, car ce dernier tire
des capitaux du fait du commerce international. De plus, pour l’Angleterre,
le circuit interne – ou circuit du revenu – se double d’un circuit externe –
ou circuit monétaire -, car ce dernier est un « circuit » quasi mondial.
L’Allemagne au contraire, qui doit gérer dans le même temps son
unification, peine plus dans la mise en place d’un circuit vertueux.
L’Angleterre gagne du fait de son avance économique sur les autres pays
y compris la France. Cette avance existe aussi dans le domaine social :
l’impôt sur le revenu, en Angleterre, est instauré entre 1841 et 1846,
soixante dix ans avant la France. Le libre-échange amène, à terme, hors
difficultés structurelles (des pays restés « à l’âge de pierre » par rapport
au développement naturel des échanges, qui peuvent perdre à l’ouverture
des échanges ; des pays qui n’acceptent pas le droit du pays dominant, ce
qui peut mener à des guerres ou à des révolutions), à une égalisation
relative des conditions des différents pays. Durant cette période, il y a un
rapprochement de l’Angleterre et de la France – qui partait de plus loin –
sur le thème du droit à la propriété privée. L’Allemagne résiste, parce que,
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 594
sur le plan de la propriété privée, elle est justement en train de constituer
sa propre unité territoriale !
De 1845 à 1847, en Irlande, une maladie de la pomme de terre, base de
l’alimentation des Irlandais, décime les récoltes et provoque une terrible
famine, qui fait d’innombrables victimes. Une vague d’émigration achève
de dépeupler l’île, qui perd le tiers de ses habitants. Cette crise est
l’occasion, avec les agitations révolutionnaires de l’année d’après, de
confirmer un débouché des crises européennes : le départ vers les
nouveaux pays en en particulier vers les Etats-Unis. C’est un circuit
économie/démographie qui s’instaure : les Etats-Unis comme débouché
démographique pour l’Europe.
LES STRATEGIES NATIONALES. LA STRATEGIE
ANGLAISE, LIBRE-ECHANGISTE. LA STRATEGIE
FRANCAISE, PROTECTIONNISTE. LUTTE POUR
L’HEGEMONIE
ECONOMIQUE
ENTRE
ANGLETERRE ET FRANCE. LA STRATEGIE
ALLEMANDE, EMBRYONNAIRE ET REAGISSANT
CONTRE LES TENTATIVES D’HEGEMONIE. LES
AUTRES PAYS, SUIVEURS :
En 1815, entre la France et l’Europe, se négocie le deuxième traité de
Paris, où la France est durement rançonnée. La grande guerre économique
entre la France et l’Angleterre terminée, les luttes ne disparaissent pas.
Elles restent économiques, commerciales ; elles concernent tous les pays
européens. L’Angleterre promeut une politique de libre-échange, une
division internationale du travail, une baisse des coûts de production, un
accroissement de la productivité. Elle parvient à ses fins après un effort
long et tenace d’un quart de siècle. Elle fait des importations de produits
agricoles à des prix inférieurs à ceux pratiqués en Europe occidentale.
Mais cela ne dure que le temps de se rembourser du coût des guerres
napoléoniennes. La mécanisation de son industrie, assure à l’Angleterre
une production bon marché permettant de lutter contre les tarifs
douaniers pouvant avoir été instaurés par les autres pays. Pendant un
demi-siècle, les fluctuations économiques de l’Angleterre s’imposent aux
autres pays européens ; sa prééminence s’affirme ; elle est l’économie
dominante. L’Angleterre va très loin pour diffuser ses idées d’expansion du
commerce entre les pays : en 1824 elle abolit son système colonial, en
1825 l’entrée des soies françaises est facilitée, en 1826 les droits entre le
pays et l’Irlande sont supprimés. Or, des changements dans les idées se
font jour à la fin des années 1820 en France, après dix ans de campagne
anglaise dans ce sens. Le libre-échange commence à être prôné par des
commerçants bordelais. Mais l’Angleterre sait aussi défendre ses intérêts :
libre-échangiste au nom des progrès de la division du travail – c’est-à-dire
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 595
pas au nom du commerce entre agents individuels mais au nom d’une
organisation -, elle conserve un certain protectionnisme vis-à-vis de
l’agriculture, plus fragilisée. Il faut attendre 1846, face à la gravité de la
famine en Irlande, pour que le Premier ministre britannique décide la
suppression des taxes douanières sur le blé importé, et réduise aussi les
droits sur les autres produits agricoles. Partant après et victime d’une
certaine suspicion, la France a quant à elle beaucoup de mal à développer
ses échanges avec d’autres pays européens : des conventions limitées
sont néanmoins signées avec la Belgique, la Hollande et le Piémont.
Pendant ce temps, l’Allemagne crée, en 1810, les usines Krupp à Essen.
La première étape dans l’unification économique de l’Allemagne est la
signature d’un traité tarifaire entre la Prusse et le petit Etat de
Schwarzburg-Sonderhausen en Octobre 1819 1310. L’Allemagne va
commencer à se constituer économiquement à partir de cette période, à
partir d’une union douanière progressivement élargie. Il s’agit d’un
protectionnisme économique relatif, qui va faire qu’à la fin du siècle
l’Allemagne prendra la tête des pays « protectionnistes », alors que la
France, indécise, évoluera dans le sens de l’Angleterre, revenant de loin. A
la fin de la lutte de cette période, l’Angleterre a gagné la bataille de
l’hégémonie, et gagné avec cela même la bataille idéologique. Mais cette
victoire est encore marginale, et prépare plutôt la victoire de la période
suivante, car 1810-1850 est dépressive. L’Allemagne encore non
constituée, est déjà une « contradiction » à un régime quelconque imposé
sur l’Europe, qui contient elle-même plusieurs « sous-contradictions » que
nous aurons l’occasion de développer lors de l’illustration des périodes
suivantes. En un peu plus d’un demi-siècle (1815-1871) se constitue un
marché allemand à partir d’une union douanière. Cette constitution est
marquée par la rivalité entre la Prusse et l’Autriche pour la domination en
Allemagne. Le pacte fédéral (8 juin 1815) crée une Confédération
germanique : les Etats ont désormais une frontière de douanes
communes, partagent entre eux le produit des douanes, recherchent une
législation uniforme. La Prusse conquiert d’autres Etats à sa cause. A
partir de 1825, le mouvement d’union de l’Allemagne se fait plus rapide.
On peut distinguer le Zollverein du Nord, et le Zollverein du Sud constitué
de la Bavière et du Wurtemberg 1311. En 1834, a lieu l’entrée en vigueur du
Zollverein Nord et Sud, qui durera huit ans. Il ne reste alors en dehors
que le Steuerverein (union des impôts), groupe d’Etats se réclamant du
libéralisme, proches géographiquement de l’Angleterre. Le Zollverein signe
des traités avec la Turquie et l’Angleterre en 1840. Puis, avant 1854, il
intégrera le Steuerunion. Des accords suivent, avec la Belgique (1845),
faisant ainsi concurrence à la France, puis la Sardaigne et Naples.
Dans le domaine agraire aux Pays-Bas, une politique libre-échangiste est
menée à partir des années 1821/1822 avec une politique de réduction des
droits de 3 à 6%. Les Pays-Bas se placent ainsi du côté de l'Angleterre.
O. DARNE, C. DIEBOLT, « The institutional development of the Reichsbank »,
Document de Travail du LAMETA n°23, 2001.
1311
J. WOLFF, « Histoire économique de l’Europe ». TROISIEME PARTIE – II. CHAPITRE
VII – La constitution du grand marché allemand. Le Zollverein (1815-1871). P. 387-392.
1310
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 596
Les Pays-Bas ont toujours oscillé entre l’Angleterre et l’Allemagne. En
1825, les Pays-Bas recourent à un protectionnisme industriel suscitant des
protestations en Hollande. Les droits d’entrée sont réduits à 6% tandis
qu’est créé un fonds de soutien à l’industrie. C’est le protectionnisme
éducatif appliqué à l’industrie que pratiquera l’Allemagne et que théorisera
l’économiste allemand LIST1312. D’autres pays sont plus ouvertement
protectionnistes : ainsi la plupart des pays méditerranéens et des pays
d’Europe centrale et orientale. Pourtant une partie des économies
méditerranéennes est tournée vers l’économie britannique. L’Italie quant à
elle est le pays de la confusion des régimes douaniers (entre toutes les
régions) et de l’insuffisance du système des transports. En 1834, en
Espagne, débutent les guerres carlistes, traduction espagnole du conflit
entre libéralisme et conservatisme qui agite l’Europe durant cette période.
LA RELATION ENTRE EUROPE DE L’OUEST ET
EUROPE DE L’EST ET LES CONFLITS INTERNES.
LE RÔLE D’OPPOSITION/ATTRACTION DES
Etats-Unis
ET
LE
CHANGEMENT
DE
DIMENSION.
LES
MOUVEMENTS
AUX
FRONTIERES DE L’EUROPE ET DANS LE MONDE
ELOIGNE :
En 1810 en Russie, le tsar rompt le blocus continental. La Russie en 1810
est pleinement intégrée à l’Europe. Elle n'en n’est pas éloignée encore, par
le mouvement de répulsion qui prendra sa source dans les années 18601870 et qui se nouera autour de l’enjeu, pas forcément immédiatement
visible derrière les bouleversements entre puissants, mais certainement
essentiel, de la propriété privée et de son lien avec le développement des
secteurs économiques autant que par le développement d’une Europe
économiquement plus intégrée, laquelle sera visible bien plus tard encore,
soit après le choc de la guerre civile 1918-1945. Déjà, en 1810 cependant,
la Russie, comme la Turquie, servent d’enjeux indirects quoique proches,
au noyau dur de l’Europe, en se positionnant par rapport à des problèmes
de sécurité économique et de sécurité tout court, le genre de problèmes
complexes par lesquels les puissances idéologiques de l’Ouest (entraînant
des intérêts économiques sous-jacents) parviennent à se dominer
mutuellement dans la lutte pour l’hégémonie. La position de la Russie de
1810, donne un avantage à l’Angleterre engagée dans sa lutte
momentanée avec la France. En 1815 en Autriche, c’est l’acte final du
Congrès de Vienne. La Russie récupère la Pologne. Une quadruple alliance
(Angleterre, Autriche, Russie, Prusse) est constituée, chargée de veiller à
la paix et à l’équilibre des puissances en Europe. Entre la Russie et
l’Empire Ottoman, le traité d’Unkiar Skelessi, signé entre le tsar et le
sultan, prévoit, entre autres clauses, la fermeture des détroits du
1312
F. LIST, « Système national d’économie politique », (1840), Gallimard, 1998.
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 597
Bosphore et des Dardanelles à des navires autres que russes. C’est en
1841, grâce à Guizot, que la France réintègre le concert des nations
européennes, en ratifiant avec l’Angleterre, la fermeture des détroits à
tout navire. Ainsi, la France et l’Angleterre se rapprochent sur le dos de la
Russie. Le rapport de force entre Europe de l’Ouest et Europe de l’Est se
confirme. Le tsar, en Russie, ne ménage pourtant pas ses efforts pour
donner à la Russie un équipement moderne. Le commerce extérieur de la
Russie fait plus que doubler, représentant le huitième de celui de la
France. Ce développement économique de la Russie est un contreexemple de notre argumentation selon laquelle la Russie ne servirait que
de variable d’ajustement dans le jeu économique européen pour des
problèmes de sécurité. Mais nous pouvons argumenter à notre tour que
sans doute, la situation de la propriété privée était trop piteuse en Russie
(situation des serfs) pour que la tentative du tsar puisse aller jusqu’au
bout. Il y avait des oppositions structurelles trop graves entre l’Est et
l’Ouest de l’Europe pour que la Russie parvienne à résoudre son problème
de manière endogène. Au demeurant, le développement de la Russie
pendant cette période, a coûté aux puissances européennes qui y ont
investi. La Russie était décidément, largement en dehors du jeu
économique européen. En 1849, le tsar souhaite émanciper
progressivement les serfs au sein du mir, les faire échapper au pouvoir
arbitraire de leur seigneur et les rattacher plus directement à l’autorité de
l’Etat ; il cherche à définir le travail de nuit des enfants de serfs dans les
fabriques créées par les seigneurs sur leurs domaines. Ces réformes
échouent devant l’opposition passive qui se manifeste. En même temps en
1849, en Autriche : l’Empire autoritaire est instauré, les institutions sont
centralisées et bureaucratiques (avec l’appui de l’armée). L’émancipation
des paysans est maintenue (1848). La distinction entre biens nobles et
biens roturiers prend fin1313. Cela signe la ruine de la petite et moyenne
noblesse, un avantage pour la grande noblesse, qui devient l’oligarchie
dominante. Ainsi, les mesures autoritaires sécuritaires ne se réduisent pas
à la Russie (qui au contraire à cette époque essaie de s’ouvrir, mais à
grandes difficultés), elles s’étendent même à l’Europe centrale. Cela
montre l’avancement du thème de la propriété privée en Europe, accordée
aux uns et refusée aux autres, ce qui a sans doute un lien avec la
situation des secteurs économiques (plus ou moins grand avancement de
l’agriculture, de l’industrie…). Comme MARX 1314 le pensait, l’Allemagne
était effectivement confrontée physiquement à ce problème : ainsi la
Prusse avait manœuvrée au sein du Zollverein pour écarter l’Autriche, la
repoussant d’un territoire de propriété privée et donc d’enrichissement
possible, sa situation étant trop juste. Car il aurait été supposé n’y avoir
pas assez de place pour tout le monde.
Les économies de l’Europe occidentale se sont, les premières,
dans la voie de l’industrialisation. Ceci dit, bien-être et
s’opposent, et l’opposition se situe à l’intérieur même des
Angleterre et en France, les années 1830 à 1850 connaissent de
engagées
puissance
pays. En
l’agitation
J. WOLFF, « Histoire économique de l’Europe ». PREMIERE PARTIE. II. CHAPITRE X –
Changements d’organisation économique et différences de développement. p. 405-415.
1314
K. MARX, « Manifeste du parti communiste », collection 10-18, 4° édition, 1962.
1313
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 598
sociale. Ainsi, les conflits sont internes aux pays. En Europe de l’Est par
contre, il y a peu de conflits, sauf ceux en Pologne déclenchés par
l’oppression venant de Russie. Les conflits, les règlements de compte
entre minorités, et par suite les déplacements de populations imposées
n’en seront que plus graves lors des périodes de guerre, bien plus tard. La
période 1810-1850 est une période où les conflits couvent plus en Europe
de l’Ouest qu’en Europe de l’Est. Mais les lois sociales édictées en
Angleterre permettront d’éviter l’agitation révolutionnaire de 1848
constatée notamment en France, et théorisée par MARX 1315. Ce sont les
pays hésitant entre libre-échange et protectionnisme, comme la France,
qui sont agités. L’avance prise par l’Angleterre dans le domaine des idées
économiques, lui permettent de se prémunir du conflit, et certainement
d’exporter les conflits internes chez ses proches partenaires. L’économie
servira de plus en plus à exporter des solutions au développement, mais
dans les mêmes bagages à exporter la nécessité d’investir pour faire face
au devoir d’assumer des possibilités accrues. D’où sur le plan économique
le développement de deux secteurs : celui des infrastructures ou encore
des biens de production, et celui des biens de consommation, et un
secteur intermédiaire, la finance, qui crée des fluctuations, ce qui posera
de nombreux problèmes à gérer (voir nos explications dans « Histoire
Monétaire de l’Europe » 1316). A partir de 1832, les ouvriers s’organisent en
Angleterre pour défendre leurs droits à participer aux bénéfices du
développement. Néanmoins, les patrons réagiront par la répression à
l’action des syndicalistes dans les entreprises. Pourtant, il s’agit seulement
de défendre un des éléments du droit de propriété (droit de propriété sur
soi-même à l’origine) dans un contexte particulier : l’ouvrier est, pour
reprendre les analyses de MARX1317, séparé de son travail. C’est
l’employeur qui lui reverse une part du produit créé collectivement (à la
différence du travail agricole traditionnel où chaque paysan est bien
maître du travail et du produit, effectué et réalisé de bout en bout). Cette
difficulté du contrôle de la valeur créée par les ouvriers, que nous
appellerions aujourd’hui asymétrie d’information 1318 (qui comprend aussi
des délais d’information), est le prétexte pour effectuer une pression sur
les ouvriers « éclatés » et donc déjà sous tension psychologique, leur
extorquer ce que MARX1319 aurait qualifié de « surtravail » et de
« surprofit ». Les travailleurs doivent lutter à la fois pour leurs conditions
de travail, et pour leur part du produit. Mais il n’y a pas encore de cadre
légal pour cela, bien que la démarche soit légitime (« propriété privée »
dans un contexte « éclaté »). Il y a donc la naissance d’un conflit. Celui-là
sera exporté. Il sera surmonté nationalement, pays par pays, par le biais
du recours à la représentation symbolique, avec l’évolution des
institutions. Dans certains pays (pays de l’Est), il ne sera cependant pas
surmonté, il y aura changement de système. En Angleterre en 1834, est
votée la Poor Law (loi sur les pauvres), qui parque ceux-ci. Le mouvement
ouvrier se radicalise. Mais le conflit intra-social sera certainement
1315
1316
1317
1318
1319
K. MARX, « Manifeste du parti communiste », collection 10-18, 4° édition, 1962.
Dans le Tome II, « Histoire monétaire de l’Europe, 1800-2007 ».
K. MARX, « Le capital », Quadrige / PUF, 1ère édition, 1983.
Pour reprendre le vocabulaire de J. STIGLITZ.
K. MARX, « Le capital », Quadrige / PUF, 1ère édition, 1983.
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 599
surmonté dans ce pays, et plus tard en France. Plus difficilement en
Allemagne, encore plus difficilement dans les pays d’Europe de l’Est et
plus difficilement encore au fur et à mesure que l’on se dirige vers l’Est…
En 1847, à Londres, est fondée la fédération communiste. Elle sera à
même d’apprécier à sa juste valeur les révolutions de 1848, suites
auxquelles le thème de la révolution générale, que MARX 1320 avait vu au
cœur du conflit c’est-à-dire en Allemagne, va être chassé vers l’Orient de
l’Europe, là où la propriété privée avait déjà ses fondements les moins
solides. La révolution de 1848 est assez rapidement stoppée.
En 1812 a lieu une déclaration de guerre des Etats-Unis à la GrandeBretagne1321, qui bloque le commerce depuis la reprise des hostilités avec
la France. Les Etats-Unis jouent un rôle d’arbitre dans les conflits intraeuropéens.
En 1810, c’est l’insurrection générale des colonies espagnoles en
Amérique du Sud. La révolution fait son chemin dans le monde. L’empire
colonial espagnol est ébranlé. En 1815, a lieu l’acte final du Congrès de
Vienne : l’Angleterre conserve toutes ses conquêtes coloniales. Mais en
1834, l’esclavage est aboli dans les colonies britanniques. En 1839, entre
l’Angleterre et l’Arabie, les Anglais occupent Aden, au sud du Yémen, point
stratégique sur la route des Indes. En 1842, ils récupèrent, plus loin,
Hong-Kong. La France, de son côté, entame un processus de conquête en
Algérie dès 1840. Les pays européens, par le biais de la colonisation,
préparent l’importante phase de mondialisation de la fin du siècle, qui a
pour but un monde d’échanges commerciaux multipliés.
LE RÔLE DES CRISES :
En 1811, les effets du blocus continental et de la guerre se font sentir : la
France et l’Angleterre subissent une crise économique.
La crise de 1825 amène un renouveau temporaire du protectionnisme.
Précédant la crise de 1825, les exportations britanniques vers l’Amérique
du Sud s’accroissent. Puis la situation se détériore progressivement. Les
importations s’avèrent supérieures aux exportations. Les prix baissent
fortement, de même les exportations. Le chômage augmente et les
salaires diminuent de 30 à 50%. Au début de 1826 s’entame une longue
et forte dépression. On voit que la crise pour l’Angleterre est liée à la
mauvaise maîtrise d’une pratique à proprement parler mondiale de
l'économie. La pratique économique de ce que l'on ne peut pas encore
appeler l'Allemagne (mais les Etats germaniques) est seulement
européenne, ce qui est financièrement moins risqué… en période normale
du moins ! Ce bloc profite de la crise de 1825 pour accélérer sa
constitution. L'Europe révèle sa faiblesse : une double contradiction avec
K. MARX, « Manifeste du parti communiste », collection 10-18, 4° édition, 1962.
A. DE MOUCHERON, « Les 2000 dates qui ont fait l’Europe », Le Grand Livre du mois,
1990.
1320
1321
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 600
des intérêts mondiaux qui commencent à lui poser des problèmes et à lui
échapper, même si l’évolution de cette difficulté commence tout juste (les
fameuses « contradictions du capitalisme » selon MARX1322, qui devaient
précipiter sa chute, pourront se donner libre cours jusqu’en 1914 du
moins, et au moins !), et la difficulté d’un développement interne
cohérent, avec ses tensions entre secteurs d’activité, qui va petit à petit
séparer Europe de l’Est et Europe de l’Ouest, sur le thème d’un inégal
accès à la propriété privée. Les conquêtes extérieures sont pour le
moment, aussi, le moyen de différer des conflits entre pays d’Europe. Et
les conflits en Europe sont muselés par la grande vague de libre-échange,
on peut à peine parler de tensions entre secteurs (agricole et industriel),
le progrès encore très récent dû à l’industrialisation n’ayant pas créé de
véritables déchirures, et le droit à la prise de parole et les moyens pour ce
faire étant réduits. En 1830, en Angleterre, la crise de 1825 se trouve à
peu près liquidée. Des marchandises, de la main d’œuvre sont exportés
vers les Etats-Unis. De plus en plus, ce seront les Etats-Unis qui
permettront de sortir des crises, puis, ce sera, à partir de 1857, des EtatsUnis que viendront les crises et les reprises.
Les premiers symptômes du retournement apparaissent à nouveau dans
les échanges extérieurs à partir de 1836, sous le visage d’une moindre
exportation vers les Etats-Unis, et d’une baisse des prix. Cette crise est
aussi une crise de mutations : avec le développement de l’industrialisation
en France, l’Angleterre n’est plus la seule économie engendrant des
fluctuations1323.
En 1847, l’Europe est en proie à une grave crise économique due aux
mauvaises récoltes. La crise la plus grave a lieu en Irlande. La grande
crise de 1847-1848 est à la fois agricole et industrielle. L’épargne reflue
vers l’industrie. Les recettes des chemins de fer augmentent aussi bien
que la demande de travail, les salaires et les prix. On a aussi une hausse
des salaires – liée à la monétarisation progressive des économies du fait
de l’industrialisation -. En Angleterre, on assiste à une accentuation des
charges de l’Etat, une hausse des frais de construction, une baisse des
recettes prévues et effectives. L’Etat est pris à partie par l’économie. Un
nouveau rôle lui sera attribué progressivement dans un mouvement qui va
jusqu’à la grande crise des années 1930. Pour le moment, l’Etat ne sait
pas bien comment répondre. L’Etat s’en sortira par une fuite en avant
dans des aventures coloniales, une forte émigration de main d’œuvre vers
les nouveaux pays, contribuant à réguler le chômage. En 1847-48, le
chômage se développe ; en France, 780.000 individus sont affectés par
l’arrêt de la construction des chemins de fer. Le salaire diminue. Des
mouvements populaires se produisent en France et en Angleterre. Une
crise agricole a aussi pris place dans les deux pays. Pourtant, en 1847, les
récoltes sont bonnes dans ces pays, mais deux crises de spéculation sont
déclenchées : la première au début de l’année, la seconde à l’automne. La
crise est clairement le lieu de tensions entre les secteurs de l’agriculture et
K. MARX, « Le capital », Quadrige / PUF, 1ère édition, 1983.
J. WOLFF, « Histoire économique de l’Europe », TROISIEME PARTIE – II. CHAPITRE V
– L’évolution de l’activité économique : prospérités et dépressions. P. 365-375.
1322
1323
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 601
de l’industrie. Cette crise est une crise du circuit : à la fois le circuit
économie réelle/économie monétaire, et le circuit économie/démographie.
Les pays européens n’en sortiront pas indemnes. Dans les périodes
suivantes, les mouvements (expansif puis dépressif puis expansif) vont
aller dans le sens de l’accentuation des déséquilibres accumulés dans la
période 1810-1850, ce qui débouchera sur une trentaine d’années de crise
généralisée de l’Europe.
STRUCTURES
SOCIALES
D’ACCUMULATION / 1810-1850 :
PERIODE DEPRESSIVE :
LE LIBRE-ECHANGE COMME DEBOUCHE.
L’AFFIRMATION DE LA PROPRIETE PRIVEE.
DES
REFORMES
SOCIALES
POUR
RENDRE
SUPPORTABLE L’EXPLOITATION DU SURPLUS
ECONOMIQUE PAR RAPPORT A LA PROPRIETE
PRIVEE.
DES CONSIDERATIONS D’ORGANISATION
DOUANIERE.
LA REVOLUTION INDUSTRIELLE DE LA VAPEUR.
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 602
I.3)
1850-1873 :
EXPANSIVE :
LES
INVENTIONS
ET
TECHNOLOGIQUES :
LES
PERIODE
REVOLUTIONS
Les innovations et les avancées concernant la communication physique
(transports) et informationnelle vont se multiplier. Ainsi a lieu la création à
Londres de l’agence de presse Reuter1324. L’écossais Nelson met au point le
principe de la rotative pour l’impression des journaux. Cette invention, liée
trente ans plus tard à celle de la linotype (mécanisation de la composition
des textes), donnera naissance à la presse de masse. L’agence de voyage
Cook, créée en 1844, propose les premiers voyages circulaires en Europe.
En 1863, premier métro, à Londres. Entre l’Europe et les Etats-Unis, est
inauguré le premier câble télégraphique transatlantique. En 1869 est
inauguré le canal de Suez. En 1870 : l’Angleterre, la France et
l’Allemagne, opèrent un bel exemple de coopération intra-européenne :
des agences de presse signent un accord pour se répartir et diffuser
l’information mondiale : Reuter (Grande-Bretagne, Asie), Havas (monde
latin), Wolf (Allemagne, Europe du Nord et de l’Est). Dans l’industrie,
apparaissent les prémices des révolutions de la chimie, de l’acier et de
l’électricité. On découvre les premiers colorants de synthèse. En 1854 a
lieu la première synthèse de l’aluminium. A partir de 1856, la
production
d’acier
s’industrialise. La dynamo à courant continu
découverte par Gramme est réversible : elle transforme le courant en
électricité, mais elle peut également transformer cette électricité en
énergie mécanique. Grâce à cette machine, l’électricité peut remplacer le
charbon à l’usine. La « houille blanche » fait aussi son apparition : il s’agit
d’utiliser la force de l’eau pour créer de l’électricité. On découvre la
photographie en couleurs.
A. DE MOUCHERON, « Les 2000 dates qui ont fait l’Europe », Le Grand Livre du mois,
1990.
1324
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 603
TENDANCES ECONOMIQUES A LONG TERME.
TENDANCES GENERALES EN TERMES DE PRIX
ET
DE
SALAIRES.
CONSTITUTION
DES
CIRCUITS. RELATIONS ENTRE ECONOMIE ET
DEMOGRAPHIE :
De 1849 à 1873, en contraste avec la tendance à la baisse séculaire, il y a
une hausse des prix en Angleterre 1325 : forte hausse jusqu’en 1856-57,
puis stabilité entre 1858 et 1870. La dernière hausse cyclique 1870-74 est
marquée en Grande-Bretagne et en Allemagne, amenant à un niveau
supérieur à celui de 1856-57, plus faible en France et en Belgique.
La durée maximale du travail est de sept heures pour les moins de
quatorze ans en Allemagne, en 1860. L’Allemagne a suivi les progrès
sociaux initiés au départ en Angleterre. En 1868, en France : est reconnu
le droit de grève, est créée une caisse d’assurance contre les accidents.
En Irlande, les dîmes et les privilèges de l’Eglise anglicane sont abolis.
L’Allemagne à partir des années 1870 mène une politique résolument
sociale, afin de dissuader les masses d’adhérer au socialisme. En 1871, en
Grande-Bretagne, les syndicats sont légalisés, les réformes sociales
entreprises dans ce pays continuent. La Grande-Bretagne se dote d’une
loi sur la durée du travail (cinquante-quatre heures), les ouvriers agricoles
peuvent se syndiquer (1872).
Vers 1850 en Europe, la population est de deux cents soixante-cinq
millions, pour un milliard d’habitants dans le monde. En Angleterre, 50%
de la population est rurale, en Allemagne 65%, en France 75%. Déjà, le
transfert de population active du secteur agricole et des campagnes vers
le secteur industriel et les villes, dont parlera A. SAUVY 1326 le siècle
prochain, a lieu. Il explique largement la dynamique économique et
démographique de l’Europe. Il permet le début de l’existence d’une classe
de salariés. C’est à ceux-ci, souvent prolétarisés par le détachement de
leurs racines, qu’il faut donner des droits. L’Angleterre puis l’Allemagne
s’y consacrent. La France, moins touchée par ce phénomène, connaît en
revanche un ralentissement démographique plus précoce que ses voisins.
L’espérance de vie est d’une quarantaine d’années (trente-huit ans
hommes, quarante et un ans femmes, en France) 1327.
J. WOLFF, « Histoire économique de l’Europe ». TROISIEME PARTIE. II. CHAPITRE IV
– L’évolution de l’activité économique. Mouvements longs des prix et des métaux
précieux. P. 361-363.
1326
A. SAUVY, « Mythologie de notre temps », Payot, 1971 ; & « La machine et le
chômage », Dunod, 1981.
1327
A. DE MOUCHERON, « Les 2000 dates qui ont fait l’Europe », Le Grand Livre du mois,
1990.
1325
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 604
LES STRATEGIES NATIONALES. LA STRATEGIE
ANGLAISE, LIBRE-ECHANGISTE. LA STRATEGIE
ALLEMANDE,
PROTECTIONNISTE.
LA
STRATEGIE FRANCAISE, INTERMEDIAIRE:
1860 est une date importante pour la France et l’Angleterre, qui signent
un traité de libre-échange pour dix ans, autorisant des réductions de taxes
douanières sur plus de quarante produits. Au-delà de ces deux pays, dont
l’évolution est stratégique pour l’Europe, se dessine une Europe dominée
par deux critères : la pratique du libre-échange, l’importance des liens
économiques avec la Grande-Bretagne. Les nations continentales doivent
acheter avec leurs produits les produits manufacturés anglais, ou bien se
faire elles-mêmes manufacturières ; elles ont maintenant un débouché
plus large sur le marché anglais, peuvent se spécialiser dans telle ou telle
production et ne pas avoir à supporter la charge d’une industrialisation
complète, ce qui aboutit à lier davantage leur économie à l’économie
britannique. Mais, à partir de 1870 le vent tourne. L’Allemagne gagne plus
d’influence : imposant ses idées protectionnistes ; et l’Angleterre se
détache de l’Europe, lorgnant vers le monde.
Le Zollverein en se développant a traversé de nombreuses crises,
alimentant la concurrence stratégique entre la Prusse et l’Autriche.
L’Autriche n’a guère de chance car elle est rattachée à l’empire AustroHongrois dans lequel l’institution de la propriété privée n’est pas assez
avancée pour assurer un développement. Au contraire, la Prusse tire son
épingle du jeu du fait du malheur de la Pologne proche : qui sera englobée
dans la Russie ; et de son autonomie qui lui laisse plus de marge de
manœuvre, et lui laisse la liberté de mener un jeu : celui de la constitution
progressive du Zollverein avec des régions allemandes plus à l’Ouest, la
Prusse constituant donc un ultime rempart vis-à-vis de l’Est, et cette
situation la poussant historiquement à agir. Cette position inconfortable
expliquera cependant les conflits que la Prusse va s’ingénier à cristalliser
par la suite. Quand la Bavière, le Wurtemberg et le Bade résistent à
l’hégémonie prussienne, la Prusse dénonce le Zollverein. L’Autriche
organise alors une conférence à Vienne (janvier 1852) en vue d’un accord
commercial. La Prusse pense que le Zollverein ne doit être ni trop
protectionniste, ni pas assez, pour défendre les intérêts d’une Allemagne
prétendant à se développer et à s’industrialiser, mais placée entre deux
chaises (l’Est et l’Ouest). En 1853, la Prusse passe un accord commercial
avec l’Autriche, pour, sept ans plus tard, s’opposer à une union douanière
avec ce pays. Elle préfère, en 1862, signer un traité de commerce avec la
France. Sans consulter les autres membres du Zollverein, elle a accepté
de larges concessions envers la France. Même lorsque l’Autriche accepte
de jouer le jeu du Zollverein, et notamment ses tarifs qu’elle juge
« libéraux » (on trouve toujours plus « protectionniste » ou au contraire
plus « libéral » que soi !), elle est alors boutée par la Prusse. Mais, en
1863, les tarifs du Zollverein redeviennent très protectionnistes
(régression de quarante années en arrière) ce qui exclue définitivement
l’Autriche, en 1866. L’Allemagne rétablit le traité de commerce avec la
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 605
France, et sa prolongation jusqu’en 1881. Des deux côtés, la meilleure
solution consiste à faire appel à la clause de la nation la plus favorisée.
Cette clause fait ainsi corps pour la première fois avec un traité de paix, et
lie à perpétuité deux Etats. Tout avantage consenti par l’Allemagne à ses
voisins profitera aussitôt à la France sans négociations. Mais, en fait, la
clause est favorable aux industries allemandes, tant que celles-ci ont
besoin de protection, puis devient une gêne pour l’Allemagne. L’Allemagne
ne pourra établir avant 1914 de tarifs préférentiels avec l’AutricheHongrie, du fait d’une clause signée avec la France qui aurait considéré le
développement des échanges entre l’Allemagne et l’Europe de l’Est
comme dirigée contre la France. Le virage de 1870/72 montre une
Allemagne davantage protectionniste. Et cela ne fera que s’accentuer dans
la période suivante, dépressive et de chute des prix. Le rattachement de
l’Alsace-Lorraine à l’Allemagne peut être considéré comme symbolisant le
conflit d’accumulation de l’Allemagne. Elle voudrait être de l’Ouest, où
l’institution de la propriété privée stimule le développement. Mais elle est
attirée malgré elle par les démons de l'Est. Il n'est pas facile d'investir
dans des infrastructures modernes là où les superstructures retardent.
Elle incarne ce conflit, économique dans sa dimension dynamique.
La France en revanche incarne une tentative de réconciliation, entre une
Angleterre plus avancée économiquement depuis très longtemps, et une
Allemagne qui se développe sous pression de l’histoire, depuis trop peu de
temps pour que ses superstructures soient apaisées. Les Etats européens
se lient par un réseau de traités contenant la clause de la nation la plus
favorisée, et la France prend la direction opérationnelle de ce mouvement,
signant elle-même de nombreux traités entre 1861 et 1866. Le rôle
politique et institutionnel de la France est important. Elle sert
d’intermédiaire pour faire évoluer les structures de pensée et les
pratiques commerciales. Sa vision est moins mondiale que la vision
anglaise, moins européenne que la vision allemande, sa stabilité lui octroie
un rôle d’utile courroie de transmission. Après dix ans de traité de
commerce avec l’Angleterre, la situation de son industrie s’est améliorée.
Mais elle répercute la montée européenne du protectionnisme, en relevant
ses droits sur divers produits agricoles (1871).
Les autres pays européens suivent le trio de tête : Allemagne, France et
Angleterre constituant le cœur d’une théorie des jeux de l’Europe. Une
deuxième théorie des jeux concerne les relations entre Europe de l’Ouest
et Europe de l’Est : celle-ci est non coopérative.
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 606
LA RELATION ENTRE EUROPE DE L’OUEST ET
EUROPE DE L’EST ET LES CONFLITS INTERNES.
LE RÔLE D’OPPOSITION/ATTRACTION DES
Etats-Unis
ET
LE
CHANGEMENT
DE
DIMENSION.
LES
MOUVEMENTS
AUX
FRONTIERES DE L’EUROPE ET DANS LE MONDE
ELOIGNE :
La Russie a toujours mis en œuvre un protectionnisme rigoureux renforcé
par de nombreuses prohibitions mais conduisant à une forte contrebande.
Elle constitue un modèle d’économie fermée et en retard. La Pologne et la
Finlande passent dans les frontières de la Russie. La Russie protège ses
industries naissantes, comme l’Allemagne. Après la guerre de Crimée
(1854), la Russie s’ouvre davantage à l’extérieur. L’accent est mis sur la
priorité d’une réforme agraire. Alexandre II, après son avènement en
1855, libère les serfs de la Couronne (vingt millions sur les deux tiers du
sol). Le servage est remplacé par un bail imposé à l’ancien seigneur ; de
plus, est octroyée la possibilité d’acquérir la terre moyennant le versement
d’une indemnité au propriétaire, ou par abandon gratuit fait par le
propriétaire du quart du lot nécessaire à la subsistance d’un ménage de
paysans. Sur les domaines de l’Etat, les paysans sont usufruitiers
perpétuels des terres, et ont la facilité de les racheter. Mais la libération
des serfs rend aussi le mir autonome. Leurs élus deviennent des
magistrats publics et exercent les pouvoirs de police ; ils répartissent les
terres entre les paysans, fixent les redevances. Le système du mir est
d’ailleurs un système largement communiste, selon LITVIAKOV 1328. Les
terres sont redistribuées régulièrement en fonction du nombre d’enfants.
En Russie, c’est l’économie qui rend des comptes à la démographie. En
Europe de l’Ouest, c’est le contraire : l’essentiel est la propriété privée
économique, la démographie subit un traitement. D’une part il y a des
transferts des campagnes vers les villes quand la régulation s’opère bien à
l’intérieur du système parce que celui-ci se développe, d’autre part il y a
des départs vers de nouveaux pays ce qui a pour effet de réguler le
problème du chômage par un moyen externe. La démographie est à
l’Ouest une variable d’ajustement. Elle constitue au contraire l’essentiel à
l’Est. D’autres pays en Europe de l’Est, entreprennent des réformes
agraires mais sans avoir l’intention ni la possibilité d’entreprendre un
développement économique basé sur l’industrialisation : en Grèce après
1862, en Roumanie aussi, notamment. L’exploitation des richesses
minérales et minières est poussée en Russie, l’industrie pétrolière apparaît
(1863). Les échanges avec l’étranger triplent presque de valeur de 1856 à
1871. C’est la rationalisation de l’agriculture et le développement de
l’industrie. Moscou est relié à la mer noire. En 1878, le réseau de chemin
de fer est multiplié par vingt et un.
M. LITVIAKOV, « Monnaie en Russie : représentations traditionnelles et réalités
modernes », Economies et Sociétés, Série « Monnaie », ME, n°3, 2002, p. 85-103.
1328
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 607
Dans le même temps, l’Europe va se replier sur des conflits liés
directement à l’évolution des structures économiques et sociales du fait du
développement et de l’industrialisation, ce cas de figure étant typiquement
celui de l’Allemagne. La deuxième problématique est celle du
développement de la propriété privée, comprise comme une sortie du
Moyen Âge : cette sortie, pour le tout venant, s’est opérée singulièrement
tard dans les pays d’Europe de l’Est, et surtout en Russie. Il peut arriver
que des zones économiques nationales voisines représentent des époques
différentes. L’explication des évolutions doit intégrer une théorie des jeux
entre systèmes, guidés par leurs règles internes et par leurs interactions
externes. Pour commencer, on peut comparer la dynamique d’évolution
des systèmes économiques à l’Ouest et à l’Est de l’Europe, en se
demandant au départ si ces pays bénéficiaient de la propriété privée ou
non, en considérant celle-ci comme un rapport entre la prise en compte de
facteurs spirituels (venant de la superstructure) et de facteurs purement
matériels
(représentant
les
infrastructures).
La
possibilité
du
développement découlerait d’une harmonie entre la dynamique interne
des superstructures et celle des infrastructures. En Europe de l’Est, la
structure du jeu est non coopérative. En effet, ceux qui n’avaient pas de
propriété privée accédèrent marginalement à la propriété d’eux-mêmes
(fin du servage), alors que c’était déjà fait depuis longtemps en Europe de
l’Ouest. Mais dans le même temps, les petits nobles, avec lesquels les
serfs traitaient, sont remplacés par les grands nobles, un pouvoir plus
lointain. Chaque classe monte d’un rang, la classe matérielle (les serfs),
comme la classe spirituelle (les nobles). Ce processus s’effectue donc
quasi sans frottement, donc sans communication. En réalité, le conflit ne
fait que se déplacer, il n’est pas résolu. La structure du jeu est
fondamentalement non coopérative comme l’histoire nous l’a appris, la
propriété privée ne bénéficie pas d’un contexte dynamique favorable :
aussi en période de paix il n’y a pas de conflits apparents, mais les acquis
sont fragiles, et les périodes de guerre vont occasionner d’importants
déplacements de population, en particulier touchant les minorités. Le jeu
est non coopératif car il ne permet pas un développement harmonieux, et
ceci parce qu’il n’y a pas de débouché sous la forme d’une classe troublefête ayant un rôle positif dans le développement économique et le
catalysant. Il n’y a rien à négocier, les évolutions sont abstraites. En
progressant chacun d’une classe, les motifs d’insatisfaction se perpétuent
fondamentalement, car il n’y a personne à qui parler… Au final, les
conquêtes provisoires (meilleure propriété privée) sont fragiles. En Europe
de l’Ouest, l’existence de la classe bourgeoise servant de trouble-fête
assure au contraire un jeu ouvert où le dialogue a lieu. Cela désamorce le
conflit. Le jeu d’Europe de l’Est reste désespérément fermé. Le jeu
d’Europe de l’Ouest est plus coopératif car il est plus ouvert, permettant
des phénomènes d’apprentissage. Mais il y a les limites à cet
apprentissage, liées aux structures de la propriété privée, aux liens et à
l’harmonie de ces liens entre infrastructures et superstructures. Nous
pourrons approfondir l’étude de ce jeu en effectuant des simulations
pratiques, lorsque nous en viendrons à l’étude du mécanisme des guerres,
et de la constitution progressive de la monnaie de crédit européenne, au
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 608
travers des cycles longs de l’économie 1329. Une dernière raison pour
laquelle le jeu d’Europe de l’Ouest est plus coopératif est qu’il existe
depuis plus longtemps, ayant ainsi permis le phénomène de répétition et
d’apprentissage de par l’histoire. Le temps importe en économie !
La frontière douanière séparant l’Autriche et la Hongrie n’est abolie qu’en
1850. Cette zone tampon de l’Europe ne connaîtra pas un véritable
développement,
faute
d’une
société
ouverte.
Les
partenaires
commerciaux, en attendant une telle ouverture, sont l’Allemagne, la
Russie, la Grande-Bretagne, l’Empire Ottoman 1330. On note la construction
de chemins de fer rattachant l’Autriche au réseau international.
Les Etats allemands, proclament les uns après les autres la liberté
industrielle. Il y a donc une certaine harmonie dans le développement de
l’Allemagne, même si on bute sur des résistances internes cumulatives
dans le cadre des cycles longs, ce qui est non-coopératif (par exemple,
constitution de nombreux cartels et donc gestion pas très « partageuse »
de l’information économique qui permet de diffuser le développement, une
menace plane en permanence). Le prolétariat industriel s’accroît (cinq
cent mille ouvriers en 1860). En Angleterre, Karl MARX trouve des relais.
L’association internationale des travailleurs tient son second congrès à
Lausanne (1867), et se prononce pour l’appropriation par l’Etat des
moyens de transport et de circulation, et pour la constitution d’une
confédération des Etats libres d’Europe. Le troisième congrès (1868) à
Bruxelles préconise une grève générale en cas de guerre, énonce que le
but est l’absorption du capital par le travail, le conflit doit être dépassé de
l’intérieur. Mais à partir de 1870 on assiste à un virage autoritaire, après
que le congrès de 1869 ait revendiqué l’abolition du droit d’héritage. Le
courant autoritaire est mené par Marx. L’autre courant, mené par
Bakounine, tend à l’anarchisme. Mais on peut analyser historiquement
que, parce que ces conflits sur la propriété sont en Europe de l’Ouest
ouverts (il y a même scission au sein des courants de contestation), la
structure du jeu peut être globalement coopérative : le conflit peut être
désamorcé, sauf les guerres…
Les conquêtes coloniales servent aussi d’échappatoires. C’est pourquoi le
pays qui a moins de colonies que les autres, l’Allemagne, va développer
une attitude extérieurement moins coopérative. Mais peut-être est-ce
aussi le pays qui sur le long terme va réussir à résoudre l’équation de
production de l’Europe, surmonter le déséquilibre fruit du développement.
Les Français s’implantent en Nouvelle Calédonie (1852), Sénégal (1854),
Indochine (1859), Cambodge (1863). Le Japon s’ouvre à l’Occident. En
Chine, des conflits armés ouvrent davantage de ports au commerce avec
l’Occident. L’Angleterre accorde en 1867 l’autonomie à son premier
Dans ce Tome II, « Histoire monétaire de l’Europe, 1800-2007 ».
J. WOLFF, « Histoire économique de l’Europe », TROISIEME PARTIE – II. CHAPITRE VI
– Le libre-échange, moyen de domination. L’économie anglaise et les économies
européennes. P. 377-385.
1329
1330
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 609
« dominion » : le Canada. Elle est en avance d’esprit de coopération avec
ses colonies comme elle l’était avec l’Europe.
TENDANCES INSTITUTIONNELLES :
En Allemagne, la législation économique est progressivement simplifiée :
elle élimine les entraves freinant le développement des échanges, abolit
les restrictions imposées à l’exploitation du sous-sol, fait disparaître les
corporations de métiers. Il ne reste plus rien du régime de la
réglementation en 1869. Le régime de liberté s’impose en Allemagne
comme il s’est déjà imposé en Angleterre puis en France. L’Allemagne
s’arrache à l’Europe de l’Est sous les coups de boutoirs de la Prusse.
LE RÔLE DES CRISES :
Vers 1850, les prix ont beaucoup baissé depuis 1847. Se développe
l’industrie des biens de consommation, ce qui constitue une bonne sortie
de la « crise du crédit » née des tiraillements entre agriculture et
industrie. Le développement de l’Europe au dix-neuvième siècle,
notamment à l’Ouest, est décidément irrésistible au-delà des crises…
En 1857 s’ouvre une autre crise, qui intéresse l’économie allemande et
montre l’influence des Etats-Unis. Les chemins de fer ne fournissent pas
les résultats escomptés1331. Les abondantes récoltes européennes
entraînent une baisse des importations en provenance des Etats-Unis, une
baisse des prix américains. Les américains ne peuvent payer, et la crise
gagne alors la Grande-Bretagne. On s’en sort par la fuite en avant dans le
libre-échange, qui se trouve consacré en 1860. Cela annonce un tournant
pour l’Europe, dans le même temps se déroule la guerre civile aux EtatsUnis (arrêt des commandes américaines et des importations de coton).
La crise suivante survient en 1866, avec la faillite de compagnies de
chemin de fer. La guerre de Sécession aux Etats-Unis, et la situation
tendue en Europe, en sont la cause. La réaction protectionniste
européenne est nette dès 1868. Les crises, jusqu’aux années 1860, ont
été françaises et anglaises et, accessoirement, allemandes. Or, les
économies française et anglaise connaissent des périodes de hausse et de
baisse moins amples. Les fluctuations américaine et allemande
deviennent prépondérantes1332. L’Allemagne protectionniste se dresse
devant l’Amérique libre-échangiste. C’est un changement de dimension
dans les crises européennes. Après 1860, le tournant de 1870, qui
J. WOLFF, « Histoire économique de l’Europe ». TROISIEME PARTIE. II. CHAPITRE V –
L’évolution de l’activité économique : prospérités et dépressions. P. 365-375.
1332
J. WOLFF, « Histoire économique de l’Europe », même chapitre que note 1331.
1331
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 610
contredit le précédent, est décisif pour l’Europe. L’Amérique va prendre
l’avantage (grâce à sa jeunesse et à un marché domestique plus vaste).
STRUCTURES
SOCIALES
D’ACCUMULATION / 1850-1873 :
PERIODE EXPANSIVE :
CONTRADICTIONS :
1)
ACCUMULATION
DE
MOTIFS
DE
RANCŒUR :
nationaux :
en
Allemagne la Prusse qui chasse l’Autriche du
Zollverein ;
internationaux :
la
1ère
Internationale
qui
propose
un
modèle
alternatif de gouvernance ; sectoriels : l’accès
à la propriété privée des serfs en Russie est
très relatif : le mir est un système communiste
appliqué à l’agriculture. 2) INTERPOLATION
ENTRE MODELES et entremélage défense de la
propriété
privée/conflits :
à
l’Ouest
la
démographie rend des comptes à l’économie ;
à l’Est l’économie rend des comptes à la
démographie.
3)
FUITE
EN
AVANT :
colonisation de la part des pays défenseurs du
libre-échange,
en
contradiction
avec
la
propriété privée des pays conquis; jeu des
alliances
économico-diplomatiques
de
la
Prusse, qui constitue une menace cumulative
de guerre pour l’Europe.
DIPLOMATIE ECONOMIQUE : la clause de la nation
la plus favorisée à l’intérieur ; la livre devise
clé à l’extérieur : un dépassement des tensions
dues au développement.
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 611
EXPANSION LIBERALE ET DEVELOPPEMENT DE
CIRCUITS
MONETAIRES:
INDUSTRIALISATION, DEVELOPPEMENT DE LA
CONSOMMATION.
REVOLUTION DE L’INFORMATION.
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 612
1873-1945 :
II.1)
1873-1896
DEPRESSIVE :
LES
INVENTIONS
ET
TECHNOLOGIQUES :
-
LES
PHASE
REVOLUTIONS
En 1876 en Allemagne, Otto met au point le moteur à quatre temps, base
de tous les moteurs à explosion. En France, a lieu une nouvelle invention
capitale dans le domaine de l’électricité : l’alternateur de Gramme. Les
inventions vont se multiplier. L’ampoule électrique d’Edison est importée
en Angleterre dans les années 1880 1333. En France, Deprez effectue la
première démonstration de transport à distance d’énergie électrique en
courant continu. L’utilisation industrielle de l’électricité est alors désormais
possible ! Hertz découvre les ondes électromagnétiques en 1886 : cela
permet la radiotélégraphie ! On assiste à l’installation du premier
ascenseur hydraulique en France, puis Siemens présente en Allemagne le
premier ascenseur électrique. Le téléphone, inventé par l’Américain Bell,
fait son apparition en Europe. Dans les années 1870-1880, s’imposent les
nouvelles méthodes de fabrication de l’acier. Dans le domaine des
transports, en 1883 est inauguré l’Orient-Express, Paris-Istanbul. En
Allemagne, Daimler et Benz inventent le moteur à essence, ce qui rend
possible la révolution de l’automobile. En 1890, Clément Ader parvient à
faire décoller un engin qu’il prénomme « avion ». Armand Peugeot
construit une automobile équipée du moteur à explosion de Daimler, et
montée sur pneumatique : le progrès se partage par delà les frontières !
Le chimiste Chardonnet, en 1884, dépose un brevet pour la fabrication de
la soie artificielle.
A. DE MOUCHERON, « Les 2000 dates qui ont fait l’Europe », Le Grand Livre du mois,
1990.
1333
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 613
LES TENDANCES GENERALES EN TERMES DE PRIX
ET
SALAIRES.
LA
CONSTITUTION
DES
CIRCUITS.
LA
RELATION
ENTRE
DEMOGRAPHIE ET ECONOMIE :
En 1873 se situe le point haut du cycle de KONDRATIEFF 1334. Entre 1873 et
1896, en Angleterre, il y a une baisse des prix, qui prélude à la tendance
séculaire à la hausse qui débutera vers 1896. La baisse des années 18721896 est, en France, pour les années 1881-1896, une baisse des prix
alimentaires supérieure à celle des prix industriels. Cela permet de
renforcer la constitution de circuits industriels, ce qui favorise le
développement par l’industrialisation. De nombreuses personnes quittent
le secteur agricole, pour rejoindre le secteur industriel. Le développement
de « circuits » permettant un progrès économique et social, ou/et
permettant l’émergence d’une économie monétarisée 1335 par rapport à une
économie simplement réelle, s’appuie sur les mouvements de prix à long
terme. Ceux-ci véhiculent les anticipations et la confiance des agents
envers l’avenir, permettant l’accumulation qui prend des formes variées
selon les périodes.
D’autres secteurs que l’industrie, bénéficient des évolutions économiques.
Ainsi, le pourcentage de la force de travail employée dans les transports
augmente sensiblement avant la première guerre mondiale. Cela est lié à
la révolution du transport. On peut noter que dans le domaine des
chemins de fer, les profits étaient privatisés et les pertes socialisées.
Plusieurs compagnies de chemin de fer en Europe ont été nationalisées
durant la période. Dans cette Europe qui croit au libre-échange (malgré la
résistance de l’Allemagne), le domaine des transports comme de la
communication immatérielle (presse) est un enjeu économique ; cela
devient un enjeu pour les Etats au moment où ceux-ci ont beaucoup
investi dans les « nouveaux pays » de l’époque (la Russie). En 1874, en
France, est promulguée la première loi sociale protégeant les enfants à
l’usine. En 1875, l’égalité patron-ouvrier dans le contrat de travail est
reconnue en Grande-Bretagne. Puis vient l’application du droit commun au
délit de grève. En compensation de la crise économique de cette période
dépressive, s’équilibre le social par rapport à l’économique, par une série
d’avancées. Pour ACKERMAN1336, on atteint dans les années 1870-1880, le
maximum historique du pouvoir d’achat agricole, et une hausse des
salaires réels ouvriers. Il y a donc un équilibrage des « circuits »
économiques et sociaux, comme en particulier le circuit prix/salaires
opposant les secteurs agricole et industriel, et asseyant le développement
par le truchement d’un transfert démographique de l’un à l’autre. A partir
de 1880, viennent aussi la responsabilité patronale en cas d’accidents, des
mesures sur l’hygiène, les logements ouvriers. Le socialisme municipal se
N. KONDRATIEFF, « Les grands cycles de la conjoncture », édition originale, 1925,
traduction française, Economica, 1992.
1335
Dans le Tome II, « Histoire monétaire de l’Europe, 1800-2007 ».
1336
cité dans : P. NOREL, « Cycles longs Kondratieff et crises : une approche
épistémologique », 1991, Economies et Sociétés, Série AF, n°16.
1334
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 614
développe en Grande-Bretagne. En 1881, en France, l’enseignement
primaire devient obligatoire et gratuit. En 1884, dans ce même pays, la loi
Waldeck-Rousseau légalise l’existence des syndicats et le droit de grève,
rejoignant les conquêtes anglaises. La France a plus de facilité à rattraper
l’Angleterre dans le domaine social que dans le domaine économique. Cela
peut expliquer qu’au cours de ces deux siècles, la France ait souvent été
un facteur de stabilité pour l’Europe (par exemple à cette époque, placée
entre deux modèles concurrents, Anglais et Allemand, son rôle
diplomatique et opérationnel est parlant). La France profite de la période
de ralentissement des années 1880 pour édicter des lois sociales. La
réforme électorale de 1884 amène de plus le suffrage universel : le
politique complète alors l’économique et le social.
La croissance économique est concomitante à un vaste transfert de forces
de travail de l’agriculture à l’industrie, qui bien au-delà de cette seule
période englobe tout le dix-neuvième et le vingtième siècle. En GrandeBretagne, dès 1880, 13% de la force de travail est employée à
l’agriculture, contre 6% en 1930. En Allemagne, 34% en 1880 ; la moitié,
17%, en 1930. En France, 43% en 1870 ; 24%. Dans les années 18701880, c’est aussi l’apogée du développement démographique selon
ACKERMAN1337. Elle appuie l’équilibre des transferts entre agriculture et
industrie ; c’est l’âge d’or de l’agriculture en France, modèle de stabilité
économique et sociale parce que pays de petits propriétaires. Après
viendra le temps des déséquilibres.
LES STRATEGIES NATIONALES. LA STRATEGIE
ANGLAISE, LIBRE-ECHANGISTE. LA STRATEGIE
ALLEMANDE,
PROTECTIONNISTE.
LA
STRATEGIE FRANCAISE, INTERMEDIAIRE :
En 1881, l’Angleterre obtient, dans une négociation avec la France, la
clause de la nation la plus favorisée sans accorder de réciprocité. L’United
Empire Trade League suggère (1891) une fédération économique
groupant la Grande-Bretagne, les dominions et les colonies avec des tarifs
préférentiels et des droits protecteurs contre la concurrence des pays
protectionnistes. C’est dire que pendant la période de dépression,
l’Angleterre revient un peu sur son libre-échangisme. Sa position peut
paraître hypocrite pour un pays comme la France, si épris de clarté sur les
idées. C’est surtout un enjeu pour l’Europe : l’Angleterre a un pied en
Europe et un pied hors d’Europe. A la Conférence d’Ottawa (1894), les
dominions protestent contre le traité de 1865 entre l’Angleterre et le
Zollverein sur la clause de la nation la plus favorisée 1338. Cela fouette
cité dans : P. NOREL, « Cycles longs Kondratieff et crises : une approche
épistémologique ». 1991, Economies et Sociétés, Série AF, n°16.
1338
J. WOLFF, « Histoire économique de l’Europe ». TROISIEME PARTIE. II. CHAPITRE IX
– Le début du déclin du libre-échange. P. 399-404.
1337
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 615
l’Angleterre au sang. Elle commence alors à mener une politique
impérialiste, cesse apparemment de se considérer européenne.
Un programme de protection est exposé en Allemagne (décembre 1878)
mettant au premier plan le travail national. La dépression confirme
l’Allemagne dans ses tendances protectionnistes. L’Allemagne s’efforce
pourtant de mener une politique d’expansion externe. Elle est attirée par
l’idée d’un vaste marché dans toute l’Europe centrale, pense à constituer
de Hambourg à Bagdad un grand bloc économique. Bismarck discute de la
possibilité d’une union douanière entre les puissances du continent
européen y compris la France. L’idée d’une union douanière européenne
avec l’Autriche sera reprise à nouveau en 1879 et 1885. La dépression
souffle à l’Allemagne l’idée d’Europe économique. C’est souvent dans les
périodes dépressives que prennent racine des idées et des innovations
politiques qui déclencheront une expansion dans la période suivante. Pour
le coup, il faudra plusieurs périodes pour qu’émerge une telle innovation
politique que l’Europe économique. Peut-être en effet, les cycles à long
terme sont, comme l’a suggéré MADDISON, des phénomènes monétaires
(entre l’économie et la politique). Ici, l’Allemagne ne peut pas seulement
miser sur sa vision externe, politique, mais doit aussi composer avec ses
tensions internes, économiques. Faute d’une monnaie institutionnalisée
par des relations extérieures naturellement dominantes (comme
l’Angleterre avec son avance), l’Allemagne doit composer. Et finalement,
elle se referme sur un mécanisme de défense et d’auto protection : qui
d’un point de vue dynamique, en interaction avec les autres, mène aussi à
l’attaque. L’Allemagne, avec ses moyens et son conflit interne, se projette
au dehors : crée un réseau d’accords commerciaux à long terme, qu’elle
aura du mal à institutionnaliser. En 1888, Hambourg et Brême se
rattachent au Zollverein. Un traité de commerce entre l’Autriche-Hongrie
et l’Allemagne est signé (1891). De même, avec l’Italie (1892), et enfin la
Belgique. L’ensemble de ces rapports d’interdépendance entre Etats
participants, domine l’Europe centrale et la dirige vers l’unification. C’est
autour de celle-ci que se font désormais les grands traités européens,
c’est-à-dire autour d’une zone de conflit : le conflit tient notamment au
manque de créations de richesses. L’essor allemand est provoqué par le
développement des moyens de transport, terrestres ou maritimes (les
constructions annuelles de chemin de fer sont multipliées par huit entre
1892 et 1901). L’Allemagne conserve une forte protection agraire. Enfin,
elle augmente beaucoup sa production de charbon.
En 1876, les droits de l’agriculture, du commerce et de l’industrie sont
élevés sensiblement : la France se range sous la bannière protectionniste
allemande. A partir de 1878 s’engage une série de conflits tarifaires avec
l’Italie. De 1887 à 1898, c’est la guerre douanière. Indirectement,
l’Allemagne est vue comme la nation la moins favorisée en rétorsion à son
protectionnisme qui ne plaît pas à la puissance dominante. En toute
logique en théorie des jeux, il reste alors à l’Allemagne à devenir ellemême la puissance dominante ! En 1892, la France, après avoir dénoncé
tous les traités de commerce, applique le tarif Méline aux produits
agricoles : c’est l’année du sommet de protectionnisme.
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 616
Grèce et Roumanie (1887) relèvent aussi leurs tarifs. Le Portugal se
montre protectionniste (1892). Cette dernière année, l’Espagne applique
un double tarif, en privilégiant ses colonies. En 1894, les agrariens
protectionnistes obtiennent la majorité en Suède.
LA RELATION ENTRE EUROPE DE L’OUEST ET
EUROPE DE L’EST ET LES CONFLITS INTERNES.
LE RÔLE D’OPPOSITION/ATTRACTION DES
Etats-Unis
ET
LE
CHANGEMENT
DE
DIMENSION.
LES
MOUVEMENTS
AUX
FRONTIERES DE L’EUROPE ET DANS LE MONDE
ELOIGNE :
Le rachat des terres s’est effectué rapidement en Russie. En 1881, il reste
seulement un million et demi de paysans non encore rachetés du servage.
Le rachat devient alors obligatoire. Mais huit millions de paysans très
pauvres ont des terres insuffisantes pour vivre; le système d’exploitation
agricole pratiqué ne peut fournir à la population des moyens suffisants
d’existence. Les nobles endettés vendent à des paysans ; entre 1861 et
1914, ils perdent la moitié des terres qui leur avaient été laissées. On peut
suggérer que la rapidité de la fin du servage rend difficile l’adaptation à un
niveau de vie plus élevé, qui donnerait véritablement des lettres de
noblesse à la notion de propriété privée dans ce pays. Sa relative
fermeture en ce qui concerne les échanges extérieurs avec d’autres pays
européens, montre que ce pays a à peine de quoi vivre : aussi il n’a guère
de quoi échanger. Il n’est donc pas incité à se mesurer à autrui et à tenter
de s’améliorer. Le cercle vicieux est là. En Russie, où existent quelques
centres industriels et une concentration ouvrière, sont prises en 18821886 des lois sociales (interdiction du travail des femmes et des enfants
dans les industries insalubres, obligation de payer le salaire en argent).
C’est une tentative pour rattraper le temps en retard, une course après le
temps. Peut-elle permettre de prendre le dessus sur les cycles longs et se
développer? Le processus en est à son début, et dans l’histoire, cette
tentative de rejoindre le procès de production en développement de
l’Europe tiendra seulement deux périodes et demi : de 1860 à 1873,
1873-1896 et 1896-1914. Peut-être faudra t-il s’interroger sur la longueur
de ce cycle et la capacité qu’il avait d’aboutir ? En Russie, une large
protection est assurée à l’industrie nationale (hausse des droits de douane
de 10% en 1881, 20% en 1885). Pendant cette période où la Russie peut
être rattachée à l’Europe, le pays se range derrière l’Allemagne : un pays
secoué de conflits internes. En 1887, Bismarck soutient la politique
expansionniste de la Russie dans les Balkans, ce qui déstabilise un peu
plus l’Europe : cette Europe de l’Est était acculée à devoir changer vite,
trop vite sans doute par rapport au modèle moteur. Subissant trop
d’asymétries (y compris d’asymétries d’information dans un jeu qui lui
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 617
aurait permis d’accéder à la propriété privée en prenant exemple sur plus
avancé), elle choisit finalement de changer de jeu et de modèle. La Russie
choisira un jeu protectionniste quand l’Allemagne définitivement guérie de
ses conflits internes car s’étant suffisamment développée pour pouvoir
suivre le rythme sans souffler, choisira le jeu du libre-échange au nom de
toute l’Europe, mais avec des structures monétaires protectrices dont n’a
jamais bénéficié un pays « sans carapace » comme la Russie. Nous
étudierons la nature de cette carapace.
En Belgique et en Allemagne, les ouvriers se structurent politiquement. En
France, ils optent pour une doctrine révolutionnaire. En 1881 en GrandeBretagne, apparaît le marxisme dans le mouvement syndical,
revendiquant de nationaliser banques et chemins de fer. La IIe
Internationale, en 1891, expulse les anarchistes pour adopter le point de
vue marxiste. En 1895, elle déclare vouloir construire un régime
collectiviste ; et la CGT voit le jour en France.
En 1875, l’Angleterre devient le principal actionnaire du canal de Suez. En
1876, la reine Victoria est proclamée impératrice des Indes. En 1878
commencent les explorations belges au Congo. En 1881, la France profite
de ses désaccords avec l’Italie pour imposer son protectorat en Tunisie. La
France accepte le fait accompli d’une intervention militaire britannique en
Egypte, où elle avait pourtant des intérêts. La Grande-Bretagne devient
alors « protectrice » de l’Egypte. Il y a ainsi une alliance tacite entre les
puissances européennes libre-échangistes et bénéficiant d’une large
propriété privée partagée par le peuple, pour s’étendre dans le monde en
traitant ce monde comme une marchandise au nom de l’écart des
civilisations, ce qui crée bel et bien des spoliations. Ce fait orientera le
procès d’accumulation de l’Europe clairement vers la guerre. Celle-ci
viendra incidemment d’une résistance à ce comportement ambigu : celle
de l’Allemagne qui avec la guerre de 1870 plante la première banderille.
C’est seulement après avoir dépassé sa propre violence que le continent
pourra devenir plus rationnel, et ce faisant pourra accélérer son
unification. En 1883, guerre entre la France et la Chine. Bismarck choisit
1885 pour tenter de régler, par une réunion à Berlin, les litiges entre
puissances, nés de la colonisation européenne en Afrique. Les aires
d’influence sont déterminées : l’Angleterre se réserve une ligne
transversale partant du Cap vers le Caire ; la France s’ouvre tout territoire
au sud du Sahara (ils ont choisi les contrées les plus pauvres !) ; le
Portugal est présent en Angola et au Mozambique. Les acquisitions de
l’Allemagne seront donc marginales par rapport à celles des pays « libreéchangistes ». La volonté des Français et des Anglais de se partager le
monde est une volonté indirectement de se partager l’influence sur et la
direction de l’Europe, inspirée par le principe de la jalousie : « j’ai ce que
je touche, mais j’y met les formes pour ne pas froisser le concurrent dont
le regard conforte ma possession ». La France s’implante en Indochine, à
Madagascar, au Dahomey (1893) ; l’Angleterre en Birmanie, en Afrique du
Sud (création de la Rhodésie dans les années 1890).
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 618
TENDANCES INSTITUTIONNELLES :
A partir des années 1870/1873, il y a un virage, qui coïncide avec la
baisse des prix et une conjoncture dépressive. Les Etats considèrent le
risque de guerre, le besoin de se défendre et de se ravitailler. Les
relations économiques internationales sont considérées comme un mal
nécessaire devant être réduit autant que faire se peut 1339. Or, on s’éloigne
toujours davantage du temps où les grandes nations pouvaient se suffire à
elles-mêmes. Il y a donc une contradiction.
Tout se passe comme si les nations qui représentent apparemment le
« bon droit » libre-échangiste, s’étaient mises à se partager le monde
pour laver dehors ce qui aurait pu devenir une compétition à domicile.
L’Allemagne, qui s’est sentie concernée par ces conflits implicites, a
proposé une autre voie, le protectionnisme, obstacle à terme au
développement. Les limites du développement harmonieux de l’Europe
économique étaient alors posées. Le développement par les échanges,
poussé par l’externe, devra pour vaincre ses démons et constituer un
modèle en dehors de toute course contre le temps, résoudre l’équation
interne et aborder le problème du procès de production commun. En 1896
nous en sommes encore loin.
LE RÔLE DES CRISES :
De 1873 à 1879, se déroule en Europe une nouvelle crise économique,
accompagnée d’un effondrement des prix industriels, d’un ralentissement
des travaux de chemin de fer. Le coût de production agricole en Europe
est élevé. Les céréales d’Amérique affluent sur les marchés européens à
partir de 1873/1875 ; les prix agricoles (également pour le mouton)
diminuent. La dépression de l’industrie est aggravée par la diminution du
pouvoir d’achat des agriculteurs. Par réaction, on exporte à des prix
inférieurs au coût de production. En 1875, l’industrie sidérurgique
allemande prend la tête du mouvement protectionniste. Les grands
propriétaires fonciers de l’Est redoutent quant à eux la concurrence russe.
C’est la première fois depuis des siècles que l’Europe sent le vent de la
concurrence de nouveaux pays (Argentine pour le mouton). Elle va y
répondre de façon agressive (accélération de la colonisation).
De 1878 à 1882, la prospérité retrouvée est surtout française, en partie
grâce au plan Freycinet.
Dans les années 1880, on observe dans la plupart des pays d’Europe une
croissance moindre que par le passé. En 1882, la crise éclate en France
avec le ralentissement des travaux publics, la chute de banques de prêts à
la production, ce qui influe sur les industries minières et métallurgiques.
J. WOLFF, « Histoire économique de l’Europe ». TROISIEME PARTIE – II. Même
chapitre que note 1338. P. 399- 404.
1339
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 619
Puis, l’économie reprend. En Grande-Bretagne, on exporte des rails vers
les nouveaux pays. En Allemagne, on constitue une industrie
métallurgique. L’Europe se sort de la crise plus sûrement en produisant
des biens industriels, pour réagir à l’importation à bas prix de biens
agricoles. C’est le renforcement d’un circuit. Vers 1885-1886, les droits
dans l’ensemble de l’Europe sont inférieurs à ce qu’ils étaient avant 1860,
malgré la poussée du protectionnisme. Les pays font tantôt du
protectionnisme, tantôt du libre-échangisme, naviguent à vue (exemple
de la Russie). Cela ne suffit pas pour rattraper un retard. Lorsqu’il faut se
développer rapidement, les tensions sociales s’accumulent. Ne pouvant
s’exprimer étant donné le régime de la propriété, un nouveau régime
émergera de la guerre. L’Europe Occidentale parvient à mieux réguler ses
tensions, celles-ci pouvant s’extérioriser.
A partir de 1890 en Angleterre, les exportations vers l’Argentine diminuent
de moitié. Les Etats-Unis reviennent à une politique protectionniste (tarif
Mac Kinley 1890). Aux Etats-Unis, l’essor se prolonge jusqu’en 1893 (crise
en Allemagne jusqu’en 1895). L’essor de ce nouveau pays se prépare, ce
qui va pousser les pays européens à se replier sur eux-mêmes ; cela
ouvrira, faute de résolution du conflit, voie à la guerre.
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 620
STRUCTURES
SOCIALES
D’ACCUMULATION / 1873-1896 :
PERIODE DEPRESSIVE :
SPOLIATION DES PAYS DES COLONIES OU LA
PROPRIETE PRIVEE EST NIEE. FUITE EN
AVANT POLITIQUE DES PAYS DEFENSEURS DU
LIBRE-ECHANGE QUI IMPOSENT CETTE FORME
DE COMMERCE, SANS GARANTIE POUR LES
PAYS DOMINES EN EUROPE, QUI RECOURENT
ALORS
A
DES
FORMES
DE
DUMPING
MALADROITES, POUR SE DEFENDRE. LE LIBREECHANGE
RESTE
ECONOMIQUEMENT
RENTABLE.
OPPOSITION
ENTRE
LE
PROTECTIONNISME
POLITIQUE DE L’ALLEMAGNE , ET LA MONTEE
MALGRE
TOUT
DU
LIBRE-ECHANGE
EN
VOLUME. OPPOSITION DES MOUVEMENTS
SOCIAUX RADICAUX.
CONTREPARTIE
MONETAIRE
DE
CE
DESEQUILIBRE :
LA
MONTEE
DES
ENDETTEMENTS PUBLICS EN EUROPE DE
L’OUEST NOTAMMENT, PAR SOCIALISATION
DES DETTES DU PRIVE (CHEMINS DE FER).
CONSTITUTION
DE
CIRCUITS,
MONDIAUX
(ANGLETERRE),
PAN-EUROPEENS
(ALLEMAGNE), NATIONAUX (FRANCE), DANS
LE CONTEXTE DE CONFLITS AU SUJET DE LA
PROPRIETE PRIVEE, CE QUI MONTRE LE
DEBUT DE LA PRISE DE RECUL DE L’ECONOMIE
MONETAIRE PAR RAPPORT A L’ECONOMIE
REELLE.
REVOLUTION INDUSTRIELLE DE L’ELECTRICITE,
DE L’ACIER ET DES TRANSPORTS.
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 621
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 622
II.2)
1896-1914
EXPANSIVE :
LES
INVENTIONS
ET
TECHNOLOGIQUES :
-
PERIODE
LES
INNOVATIONS
En 1896 en Allemagne, Diesel invente le moteur à explosion interne. En
1899, en Angleterre, grâce à un émetteur qu’il conçoit à partir de
l’oscillateur de l’Allemand Hertz et de l’antenne du Russe Popov, l’Italien
Marconi réussit à transmettre un message par-dessus la Manche. C’est la
naissance de la Transmission sans fil. En France a lieu le lancement du
Narval, premier sous-marin du monde. En 1900 en France a lieu
l’ouverture du métro1340. C’est aussi le premier vol du dirigeable Zeppelin.
En 1903, Auguste Perret inaugure un nouveau matériau, le béton armé.
LES TENDANCES GENERALES EN TERMES DE PRIX
ET DE SALAIRES. LA CONSTITUTION DES
CIRCUITS.
LA
RELATION
ENTRE
DEMOGRAPHIE ET ECONOMIE :
L’année 1896 marque un tournant. Après le mouvement séculaire de
baisse longue des prix débute un mouvement de hausse qui va se
poursuivre jusqu’en 1973/19741341. Donc le trend séculaire haussier des
prix de gros succède à partir de 1895/1986 au trend séculaire baissier de
1815/1817-1895/1896. La hausse des prix se déroule sans interruption
jusqu’en 1914.
En Belgique, c’est l’Eglise qui organise le milieu rural, puis les milieux
ouvriers (Fédération nationale des syndicats chrétiens, 1909). En France,
un projet de loi d’impôt sur le revenu est déposé (1909). Cet impôt sera
créé après guerre, soixante-dix ans après la Grande-Bretagne.
Vers 1900 en Europe, la population est d’environ quatre cents millions, le
quart de la population mondiale. C’est le continent le plus peuplé du
monde (quarante habitants / km2). La France est le seul pays où la
population n’augmente pas. Les ruraux représentent environ 30% de la
population en Grande-Bretagne, 40% en Allemagne, 55% en France.
L’espérance de vie est en moyenne de cinquante ans : un progrès
qualitatif n’a pas véritablement commencé !
A. DE MOUCHERON, « Les 2000 dates qui ont fait l’Europe », Le Grand Livre du mois,
1990.
1341
J. WOLFF, « Histoire économique de l’Europe ». QUATRIEME PARTIE – Divisions de
l’Europe et début de l’intégration européenne (1896-1996) – I. Les essais de formation
d’un grand marché européen (1896-1973) – CHAPITRE III – Les fluctuations de l’activité
économique. P. 451-459.
1340
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 623
LES STRATEGIES NATIONALES. LA STRATEGIE
ANGLAISE,
MONDIALE
PLUTÔT
QU’EUROPEENNE. LA STRATEGIE ALLEMANDE,
PAN-EUROPEENNE, LA STRATEGIE FRANCAISE,
AUTOCENTREE :
L’expansion économique en Europe entre 1896 et 1914 va de pair avec le
conflit des intérêts privés et publics pour l’hégémonie économique sur le
continent, s’accompagne donc de changements dans l’organisation. On a
un abandon progressif du libre-échange, des affrontements à partir des
échanges extérieurs, un début de morcellement européen. Entre 1896 et
1913, d’une économie européenne organisée autour de l’Allemagne et de
l’Angleterre, où les tensions externes sont de plus en plus vives, on passe
à un repli sur soi de chaque pays, une tentative d’organisation devant
résulter de la guerre. Par contre, 1904 marque le début de l’Entente
cordiale entre France et Angleterre. L’Allemagne apparaît comme un
joueur isolé, supposé impérialiste et belliqueux comme l’était la France un
siècle plus tôt.
L’Angleterre comprend qu’en devenant protectionniste, elle peut assurer
aux produits importés des droits préférentiels. Elle a développé néanmoins
des intérêts en Europe, en contradiction avec ceux de l’Allemagne. PaysBas, Belgique, Scandinavie, Danemark se tiennent autour d’elle, de même
que le Portugal, l’Espagne. Mais les Dominions élèvent en 1902 contre la
Grande-Bretagne des tarifs douaniers pour protéger leur industrie
naissante. Alors la Grande-Bretagne développe au sein de son Empire un
système de droits préférentiels, ce qui en fait une zone protégée. C’est à
mettre en rapport avec le fait que l’Allemagne, se considérant comme une
économie forte dès 1896, s’ouvre aux échanges extérieurs. Elle souhaite
désormais développer des échanges avec l’Autriche-Hongrie, autrefois
repoussée et pas encore très stable. Pour le cycle protectionniste de
l’Angleterre, il dure de 1873 à 1945, voire à 1973. Le protectionnisme
mondial va de pair avec une conception auto-messianique qui fait perdre
de vue à l’Angleterre les réalités européennes, mais peut-être pas les
intérêts européens bien compris, si l’on entend par ces intérêts le désir
d’être en paix, du moins avec soi-même, et donc d’imposer l’Etat de droit.
Ce « protectionnisme » est un détour de production pour protéger l’Europe
de ses démons. Pendant une longue période, c’est l’Angleterre qui va se
réfugier dans une neutralité et une recherche de la stabilité. Ce sera alors
l’Allemagne qui se fera l’apôtre du développement de la production, au
nom de la production et non des échanges eux-mêmes, ce qui renvoie
aussi à une conception différente de la source, intérieure ou extérieure, de
la légitimité des institutions et de la monnaie. L’Angleterre peut être
protectionniste, car elle garde une assez bonne sécurité vis-à-vis de ce
qu’une guerre pourrait lui faire perdre en termes de droits de propriétés.
En effet, elle conserve en 1913 la maîtrise des mers, ce qui est décisif lors
de toute guerre. L’Angleterre est un curieux mélange de sagesse et
d’audace. Elle sait très bien à quoi elle tient et qu’on ne pourra lui
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 624
prendre : une avance de plusieurs siècles dans la constitution de circuits
et d’une économie permettant un niveau élevé de revenus, ce qui permet
la liberté d’esprit engendrant des règles de démocratie et de droits
libéraux, lesquels en retour entretiennent prospérité et création de
richesses que l’on peut alors se partager. Les Anglais ont eu de la liberté
par rapport au temps, plus que les Français, plus encore que les
Allemands. Un temps qu’ils ont pu alors vendre aux autres pays, ce qui
explique le développement de leur secteur financier.
En Allemagne, la production du minerai de fer de lorraine augmente de
75% entre 1895 et 1900 (trois quarts de la production allemande) ; celle
de la métallurgie (Lorraine, Rhénanie, Westphalie) de 30%. La hausse de
la population et les mouvements internes expliquent la hausse de la
construction. Dans les mines et la métallurgie, des cartels se créent,
régularisent prix et production, diminuent la concurrence en se partageant
les domaines de vente. A partir de la fin du XIXe siècle, les fluctuations de
l’économie allemande deviennent les plus importantes, rythment la
croissance1342 et la conjoncture européennes. Le conflit latent entre EtatsUnis et Allemagne est inégal, les Américains disposant de plus grandes
marges de manœuvre vue la taille de leur territoire. A la fin du siècle,
l’Allemagne cherche une place privilégiée dans les Balkans, en Turquie et
en Perse. Elle prend des risques économiques sur des territoires pas
particulièrement sûrs. Personne ne la soutiendra dans son attitude.
L’opposition viendra de trois pôles : de ces pays eux-mêmes, menacés
dans leurs droits de propriété et qui n’avaient pas besoin de cela ; des
autres pays européens en particulier France et Angleterre au nom de leurs
intérêts propres, et de l’idée élevée qu’ils ont des droits de propriété des
pays européens ; des Etats-Unis, puissance montante accompagnant la
vision française et anglaise. L’Allemagne mène une politique
expansionniste en Pologne, se heurte directement à la Russie. La crise de
l’Empire Ottoman entre 1894 et 1903 lui donne l’idée d’en faire sa zone
d’influence : elle propose un projet de chemin de fer Berlin-Bagdad en
1899. L’Allemagne importe de Turquie des matériaux de construction. Elle
met aussi dans ses entreprises toute sa conviction nationale. Les syndicats
chrétiens connaissent en Allemagne une extension particulière.
L’Allemagne ne désarme certainement pas vis-à-vis du protectionnisme.
En 1902, elle promulgue un nouveau tarif pour stimuler sa production
agricole (droits en hausse de 50% pour le froment, de 40% pour le seigle)
et industrielle. Elle mène une politique de dumping. Elle veut conserver sa
main-d’oeuvre tout en organisant une émigration vers la Pologne et
l’Argentine, fait appel à une certaine immigration. Elle commence à voir
les perspectives de sécurité structurelle que procurerait une guerre
gagnée. En 1913, elle a fortement développé sa puissance navale et son
artillerie lourde. En 1913, les échanges de l’Allemagne, par rapport à
1880, ont quadruplé. Où va-t-elle trouver des crédits pour financer cette
J. WOLFF, « Histoire économique de l’Europe ». TROISIEME PARTIE – L’économie
britannique, économie européenne dominante. Ascension. Hégémonie. Amorce de déclin
(1730/1740-1896). II. Libre-échange. Début du développement d’autres économies.
Contestation de la domination économique britannique (1815/1817-1896) – CHAPITRE V
– L’évolution de l’activité économique : prospérités et dépressions. P. 365-375.
1342
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 625
expansion ? Certainement pas chez les pays de l’Est partenaires,
cruellement frappés par le manque d’institution « propriété privée ». Des
Etats-Unis alors, mais jusqu’à un certain point, ce nouveau pays ne
voulant supporter le poids en termes politiques de ce que représente la
volonté d’expansion Allemande à l’Est. L’Allemagne est, de par sa solitude,
relativement acculée, si elle veut se développer, à défier le démon de la
guerre, les débats ne pouvant être étalés franchement et clairement sur la
question européenne, étant donné la division de l’Europe. Division telle
que l’Angleterre s’est enveloppée d’un voile de droit pour s’éloigner aux
yeux de l’Europe, et que donc le protectionnisme peut triompher… avec
son cortège de menaces pour l’ouverture des idées à une époque où
celles-ci sont le ferment du développement économique vu le niveau bas
d’où l’on part. L’ouverture sur la déchirure européenne, celle de
l’Allemagne en face des pays de l’Est, est une attitude de défi qui
finalement mène au dumping, c’est-à-dire à la guerre économique.
L’Europe est aveugle : il lui faudra descendre au plus bas pour pouvoir
ensuite seulement remonter. Des éléments de son jeu interne ne viennent
pas d’éléments coopératifs qui lui permettraient de coordonner le
développement, en favorisant les pays relativement en retard en termes
de droits de propriété. Ce jeu – qui s’est en partie cependant joué à cette
période – n’est pas structurellement coopératif car les joueurs – sauf
l’Angleterre qui décide donc de relativement se retirer – doivent trop lutter
contre le temps. Dans la période expansive qui s’est ouverte entre 1896 et
1914, les anticipations comprennent la dimension de conflit structurel
d’intérêts. La pente glissante représentée par la guerre dans les Balkans,
zone la plus fragile économiquement du continent, n’est qu’un détonateur
qui se mettra en marche à la fin de la période.
L’agriculture bénéficie de nouveaux droits (blé, vin, viande) en France, par
la loi de 1897. A l’Angleterre « le grand large » ; à la France l’Europe et
ses marchés : voilà le marché de dupes, car la France se trouve limitée
par la montée allemande. La loi de 1910 en France prévoit qu’en cas de
dumping il pourra être établi des droits compensateurs. Ce pays se
prépare désormais aussi à la guerre, car en Europe, seul un pays conserve
encore des perspectives de développement (l’Allemagne), en tirant le
diable par la queue. Au nom des idéaux européens où l’économie ne doit
pas être un jeu de chantage mais la condition permissive de la
démocratie, on ne peut laisser faire cela ; même si dans les faits, au titre
des relations entre l’Europe et le reste du monde moins développé, c’est
ambigu. La France suit ainsi, à son corps défendant, l’Allemagne dans sa
course folle. Depuis 1860, un traité de paix et de commerce conditionnel
liait les deux pays. Les conditions sont levées.
En 1906 l’Espagne instaure un tarif protecteur.
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 626
LA RELATION ENTRE EUROPE DE L’OUEST ET
EUROPE DE L’EST ET LES CONFLITS INTERNES.
LE RÔLE D’OPPOSITION/ATTRACTION DES
Etats-Unis
ET
LE
CHANGEMENT
DE
DIMENSION.
LES
MOUVEMENTS
AUX
FRONTIERES DE L’EUROPE ET DANS LE MONDE
ELOIGNE :
En 1896 en Russie la journée de travail est de onze heures et demie (dix
heures le samedi). La Russie veut faire des paysans la base de l’Empire,
faciliter l’acquisition de terres, le partage des biens communaux,
l’émigration vers la Sibérie. Mais une pénurie de terres se fait sentir.
L’absence de lois sociales dans les nouveaux centres industriels (le Donetz
avec la métallurgie, Lodz et le textile…), la faiblesse des salaires, ne
règlent pas les problèmes des concentrations ouvrières. Aussi, rien ne dit
que la Russie pourra rattraper son retard. Pour des raisons sécuritaires,
elle se rapproche de l’Angleterre et de la France (Triple Entente),
encerclant l’Allemagne comme pour la contenir.
Cela commence à bouger dans l’Empire Austro-Hongrois. Des
groupements s’affirment, en premier lieu celui des Balkans (Roumanie,
Bulgarie…) autour de l’Allemagne et de l’Autriche-Hongrie. La Roumanie a
créé une banque nationale, un réseau de voies ferrées, développé une
protection des paysans (fixation d’un maximum pour les fermages) et des
ouvriers agricoles (minimum de salaires). L’Autriche-Hongrie, la
Roumanie, la Serbie instaurent à partir de 1906 un tarif protecteur… Ces
pays créent des circuits de protection internes et externes.
En 1898, entre l’Espagne et les Etats-Unis, une guerre éclair oppose les
deux pays après un soulèvement anti-espagnol à Cuba 1343. L’Espagne perd
ses dernières colonies. Les Etats-Unis se sont posés comme aiguillon de la
décolonisation européenne. Il reste cependant aux pays brandissant le
libre-échange (Grande-Bretagne, France) une marge de manœuvre pour
poursuivre leur colonisation. Celle-ci, comme toute œuvre économique
sous l’égide du capitalisme, est un lieu de prise de risque ; la réputation
peut y importer autant que les réalités.
En 1896, la France annexe Madagascar. L’Italie est malheureuse en
Ethiopie où son armée subit un massacre. L’Allemagne préfère une
conquête économique plus proche et plus autonome : elle obtient la
concession des chemins de fer de Konia et Bagdad, dans l’empire
ottoman. Les ambitions françaises et britanniques se heurtent au Soudan.
La France évacue ses troupes de Fachoda. De 1899 à 1902, une guerre
oppose les Anglais aux Boers en Afrique du Sud, au sujet des mines de
diamants. Les Anglais ont soixante ans d’avance sur les Français dans la
A. DE MOUCHERON, « Les 2000 dates qui ont fait l’Europe », Le Grand Livre du mois,
1990.
1343
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 627
réalisation d’une guerre coloniale sanglante (cette dernière pour les
Français avec l’Algérie). En 1900, entre la Chine et l’Europe, la Chine
supporte mal la mainmise européenne sur son Empire. Les Boxers (secte
pratiquant la boxe sacrée) massacrent les membres des légations
étrangères. Les Européens envoient un corps expéditionnaire. L’indemnité
à payer est lourde et humiliante pour l’empire céleste. En 1901, l’Australie
devient un dominion de l’Angleterre. En 1904, dans le cadre de leur
politique de rapprochement contre l’Allemagne, la France et l’Angleterre
concluent un accord colonial : Paris abandonne toute prétention sur
l’Egypte, tandis que Londres s’engage à ne pas entraver la politique
française de colonisation au Maroc. Ces enjeux se situent bien prêt de
l’Europe et concernent la politique arabe de l’Europe. Celle-ci sera un
domaine de rapprochement des vues des européens. L’Europe se cherche
un double. Autant elle est laïque, autant le monde arabe est croyant. Estce que cela a une influence sur le développement économique ? Le monde
arabe peut donner à l’Europe l’image d’une stabilité, qui la rassure en lui
rappelant son passé, d’où l’importance de s’entendre à son sujet. En
1904, l’Allemagne obtient le droit de prospection sur les pétroles de
Mésopotamie mais éprouve des difficultés à le mettre en œuvre. La
Grande-Bretagne intervient pour financer la création d’une société turque
des pétroles de l’Irak (participée à 50% par Shell et la Deutsche Bank). La
politique arabe de l’Europe se précise dans le sens d’une exploitation des
ressources. Au sujet du Maroc et de l’Europe, soucieux de briser l’Entente
cordiale qui lie la France et l’Angleterre, Guillaume II choisit d’intervenir :
la question marocaine ne saurait être réglée sans consultation de
l’Allemagne1344 ! En 1906, la conférence internationale réunie pour régler
cette question est pour le Kaiser un échec : l’ensemble des puissances
européennes à l’exception de l’Autriche-Hongrie soutient la prépondérance
française au Maroc en matière d’administration (finances et police). En
1910, l’Union sud-africaine devient un dominion. La politique de force des
puissances du libre-échange loin de chez elles s’impose. En 1911, pour
protester contre l’absence de réparations économiques au sujet du Maroc,
Guillaume II contraint la France au marchandage (en faisant mouiller un
navire de guerre à Agadir) : l’accès au Congo en échange de la
reconnaissance des droits français au Maroc. Le compromis adopté sera
mal accueilli de part et d’autre. Il est clair que l’Allemagne paraît avoir des
revendications exorbitantes, parce qu’elle s’y prend trop tard pour avoir
des visées coloniales (Et on pense à tous les pays d’Europe de l’Est qui
sont derrière elle). Ce pays court un peu après l’espace et beaucoup après
le temps… L’Italie attaque les possessions ottomanes de Tripolitaine et
Cyrénaïque sous le prétexte d’entraves au commerce italien dans ses
régions. Tout se complique, l’Italie n’a pas envers le monde arabe une
politique aussi diplomatique que les grands d’Europe. En 1912, vaincus
malgré une farouche résistance, les Ottomans cèdent la Tripolitaine aux
Italiens, qui ne tarderont pas à pénétrer dans l’intérieur des terres. En
1913-1914, la Banque ottomane cède sa part de prospection du pétrole
irakien, à l’Angleterre ; cette dernière contrôle ainsi le pétrole de l’Irak. En
1914, en Octobre, les Turcs attaquent la flotte russe sur la mer Noire. Les
A. DE MOUCHERON, « Les 2000 dates qui ont fait l’Europe », Le Grand Livre du mois,
1990.
1344
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 628
Alliés déclarent la guerre à la Turquie. Le jeu des alliances européennes
est particulièrement complexe. Les pays aux marges de l’Europe (Russie,
Turquie) sont plus ou moins d’Europe, et comme tels sont plus ou moins
soutenus par les grands d’Europe, dont la politique se base déjà sur le
développement économique et le paternalisme qu’il permet. Mais les
grands d’Europe excluent plus ou moins les pays aux marges. Ceux-ci
réagissent par des stratégies peut-être à plus longue vue encore que
celles des pays d’Europe : bientôt la laïcité pour la Turquie, pour se
rapprocher d’Europe, bientôt le communisme en Russie, pour s’en
éloigner. La pression est tellement forte que ces pays sont obligés de
réagir par des politiques outrées. L’Europe fait peur, dans la contradiction
entre son désir de puissance et sa division, à mettre en rapport avec un
développement basé sur des valeurs individualistes à court terme et des
filets de protection collective à long terme (droit du sol, droits de l’homme
et du citoyen, circuits économiques…).
TENDANCES INSTITUTIONNELLES :
En 1904, un accord sur les rails entre pays producteurs, en 1912, un
accord pour l’aluminium (incluant les Etats-Unis), marquent le
développement de l’économie monde. La Russie résiste avec un taux de
protectionnisme de 36%. Le commerce international est passé de six
milliards de marks or à trente-sept en 1870, soixante-dix-neuf en 1900,
cent soixante-neuf en 1914. Dans l’industrie, on compte quatre-vingt
cartels. Il y a un hiatus, dans la mondialisation de ce tournant du siècle,
entre internationalisation de l’économie et affirmation des valeurs
politiques nationales. La mondialisation à cette époque est sauvage. Notre
époque apparaît civilisée en comparaison.
La Turquie est sous l’influence de l’Allemagne. La Serbie entre en guerre
douanière avec l’Autriche (1901-1911) ; elle est appuyée par la Russie. La
Grèce subit une série de crises économiques ; les puissances occidentales
ont en main son contrôle financier.
La guerre de Tripolitaine et les guerres balkaniques (1991-1913)
provoquent un changement d’équilibre. Cette ébullition dans les Balkans a
profondément miné l’Europe. L’Europe paternaliste vise des territoires
lointains. Elle se voit contestée sur ses propres marges : Europe de
l’Ouest, Russie, Turquie, s’éloignent les uns des autres. L’Europe ne peut
être à cette époque un facteur d’union car elle provoque trop le droit de
propriété aussi ténu soit-il que possède chaque citoyen sur terre. Il y a
ceux qui ont réussi à s’assurer contre cette provocation – Angleterre,
France et Etats-Unis – et ceux qui n’ont pas pu : ils se sont, pour leur
protection, isolés (Russie future U.R.S.S.), ou ils ont du d’abord se
défendre (décolonisation).
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 629
LE RÔLE DES CRISES :
En Russie, les commandes à l’industrie diminuent une fois les grandes
lignes de chemin de fer terminées. La France et la Grande-Bretagne
subissent une crise en 1900, puis connaissent une dépression modérée.
Les traités de commerce de l’Allemagne expirent dans les premières
années du siècle. En Russie, une crise agraire éclate en 1901. Les nations
n’avaient pas prévu l’entrée dans le nouveau siècle, tant la fuite en avant
est grande. Mais la reprise est nette en 1905. Les chemins de fer en
Allemagne, les industries navale et textile en Angleterre manifestent. La
Russie constitue chez elle des coopératives agricoles.
La crise de 1907 est particulière à l’Allemagne, et entraînée par la fin de la
guerre russo-japonaise. En Grande-Bretagne la construction navale est
touchée, puis les autres secteurs. La France aussi souffre... En Angleterre
les tendances révolutionnaires du socialisme sont stoppées par des
réformes suivant les grèves perlées et le sabotage : journée de 8h30 dans
les mines, retraites ouvrières. A partir de 1909, la crise s’arrête, plus
brutalement encore en Allemagne. L’électricité, les machines,
l’automobile, repartent à la hausse. Puis, à nouveau, le passage de l’essor
à la dépression se déroule, lentement, en 1913. D’abord en Allemagne
(bâtiment, sidérurgie…), puis en France et en Angleterre (métallurgie).
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 630
STRUCTURES
SOCIALES
D’ACCUMULATION / 1896-1914 :
PERIODE EXPANSIVE :
TOURNANT POUR L’EUROPE ET SON ECONOMIE
CONTRADICTIONS ENTRE EXPANSION, CONFLITS,
ET PROBLEMES D’ORGANISATION, LES PAYS
NE PEUVENT PLUS SE SUFFIRE A EUX-MEMES
MAIS NE PEUVENT PAS ENCORE S’ENTENDRE.
PROBLEME D’EDUCATION : LES MENTALITES
SONT
EN
RETARD
SUR
LE
PROGRES
ECONOMIQUE.
TRIOMPHE DE L’ECONOMIE ALLEMANDE, SON
ORGANISATION
PROTECTIONNISTE,
SES
CARTELS.
CONTRADICTION ENTRE MONDIALISATION ET
EUROPE ? PAR EXEMPLE DANS LES BALKANS.
INTERVENTION
DE
L’Allemagne
POUR
FREINER LA COLONISATION DE SES VOISINS
(MAROC). L’EUROPE S’EST TOURNEE VERS LE
MONDE DEPUIS UN SIECLE, LE MONDE
S’APPRETE A SE TOURNER VERS L’EUROPE :
EXPLOSION DE LA RUSSIE (REVOLUTION
1905), IMPLOSION DES Etats-Unis (CRISE
MONETAIRE 1907).
ORGANISATION NON COOPERATIVE : DUMPING
ALLEMAND, REPLI DES AUTRES (ANGLETERRE
TOUCHEE
PAR
LE
PROTECTIONNISME),
PREPARATION DE LA GUERRE. CONCURRENCE
ANGLO-ALLEMANDE EN EMPIRE OTTOMAN.
REVOLUTION INDUSTRIELLE DE L’ELECTRICITE
ET DE L’AUTOMOBILE.
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 631
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 632
II.3)
1914-1945
DEPRESSIVE :
LES
INVENTIONS
ET
TECHNOLOGIQUES :
-
PERIODE
LES
INNOVATIONS
C’est André Citroën qui sort le premier modèle de voiture de tourisme 1345.
La première société privée d’émissions de radio naît en Angleterre : c’est
la future BBC. J. L. Baird, en Ecosse, est le pionnier de l’image télévisée.
En 1934 a lieu la première émission publique de télévision sous l’égide de
la BBC. Avec le développement de l’image, la perception du monde
change : celui-ci devient soudainement proche. En Allemagne est
créée la première Compagnie aérienne commerciale la Lufthansa. Mermoz
réalise en 1930 la première liaison aérospatiale entre France et Amérique
du Sud. Puis en 1933 naît Air France.
LES TENDANCES GENERALES EN TERMES DE PRIX
ET DE SALAIRES. LA CONSTITUTION DES
CIRCUITS.
LA
RELATION
ENTRE
DEMOGRAPHIE ET ECONOMIE :
La hausse des prix régulière de 1896-1914 devient plus rapide entre 1914
et 1920. GOLDSTEIN1346 a mis en évidence que les guerres
correspondaient souvent à des périodes de forte inflation. En 1920, c’est
le point haut du cycle de KONDRATIEFF. Puis c’est la baisse des prix. On
ne peut pas parler d’un mouvement à la baisse de longue durée pendant
seulement treize / quatorze ans. On peut parler d’une baisse relative des
prix sur la période 1921-1946/1948. Les prix hésitent jusqu’en 1925,
puis baissent aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne sans secousse et
sans crise sous l’effet de la reconstitution de la production mondiale, du
perfectionnement technique dans tous les domaines, de l’orientation des
prix de gros à la baisse conduisant à une diminution du revenu des
producteurs. L'Allemagne, qui s’est d’elle-même isolée, est en dehors de
ce mouvement : elle connaît l’hyperinflation dans les années trente.
En Allemagne, en 1918, est signé un accord industriels / syndicats
ouvriers tendant à créer une communauté de travail : réaliser une
concentration industrielle, former des conseils d’exploitation. C’est la
A. DE MOUCHERON, « Les 2000 dates qui ont fait l’Europe », Le Grand Livre du mois,
1990.
1346
J. GOLDSTEIN, « Long Cycles: Prosperity and War in the Modern Age », New Haven &
London, Yale University Press, 1988.
1345
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 633
démocratisation industrielle, l’ancêtre de l’ « économie sociale de
marché ». Le pourcentage de la force de travail tend à se stabiliser, voire
à décliner après la première guerre mondiale. Les croissances d’un très
grand nombre d’activités économiques à l’échelle du monde changent
d’allure à partir de 1914-1918 : accélération du progrès technique. Les
deux guerres mondiales et l’ampleur des fonds consacrés par les pouvoirs
publics qui vont avec (accroissement de la conscience collective du
changement) ont fourni cette grande impulsion. Au sein de l’Europe, le
rôle de l’Angleterre décline, celui de l’Allemagne devient prépondérant 1347.
Les scientifiques commencent à migrer vers les Etats-Unis car c’est cette
zone, dont la dimension est plus taillée à la mesure des nouveaux
événements, qui tire les marrons du feu de toute cette évolution.
Inversement, on note l’amenuisement du rôle de l’Angleterre dans la
formation des prix mondiaux. La stagnation des salaires réels à partir du
début du XXe siècle montre que les salariés bénéficient de moins en moins
des investissements à l’étranger. Aussi le dilemme lancinant entre le rôle
financier international de l’Angleterre, et sa croissance interne, qui va
empoisonner la vie économique du pays pendant soixante ans, commence
et apporte son lot de protectionnisme. Les anciens circuits ouverts
deviennent des circuits fermés, mais ils continuent à fonctionner.
Le temps des crises commence en 1914 et dure un tiers de siècle. Entre
1914 et 1920, et en comptant la révolution russe, le nombre de morts
s’élève à treize millions. Les maladies viennent ensuite pour affaiblir la
population. Les transferts de populations sont d’importance, notamment
des transferts forcés, et surtout dans les pays de l’Est. Ainsi, à l’occasion
des guerres, ont lieu de brutales secousses démographiques, alors que
des mouvements plus doux ne peuvent se passer dans les périodes de
paix car la société y est fermée à cette époque. A partir de la première
guerre mondiale, on lit sur la courbe la profonde chute entraînée par cet
événement, et les conséquences de la politique restrictive de l’immigration
adoptée par les Etats-Unis à partir de 1920. La population européenne
(hors Russie) s’élève à trois cents vingt-huit millions en 1920, trois cents
quatre-vingt (+16%) en 1940. L’Angleterre n’a pas eu de politique
démographique entre deux guerres. En revanche, Allemagne et Italie
montrent que l’on peut modifier l’évolution du régime démographique et
que, pour y parvenir, l’action doit être multiforme, s’accompagner d’une
politique relative à l’emploi. En Europe orientale, le recul de la mortalité,
accompagné d’une moindre baisse de la natalité, entraîne des évolutions
considérables : la population polonaise passe de 26,2 millions en 1919 à
30,6 en 1929, et 34,8 en 1939. Pendant la seconde guerre mondiale, les
exodes et transferts de population jouent un rôle encore plus
considérable. L’après-guerre sera l’occasion de solder le problème des
minorités. De 1939 à 1941, on a un rapatriement vers l’Allemagne en
provenance d’Estonie, Lettonie, Haut-Adige (250.000 au total) ; échange
des Allemands dans la Pologne occupée par l’URSS contre les Ukrainiens
et les Biélorussiens de la Pologne occupée par l’Allemagne. C’est alors que
J. WOLFF, « Histoire économique de l’Europe ». QUATRIEME PARTIE – I. Les essais de
formation d’un grand marché européen (1896-1973) – CHAPITRE II – Nouvelles
inventions et nouvelles innovations. Atteinte à la prépondérance européenne. P. 439-449.
1347
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 634
commence la politique de population en France : Code de la famille en
1939, dégrèvements fiscaux. En 1940, trois millions et demi de Français
du Nord et du futur Bénélux partent vers la France méridionale. Des
échanges de population se déroulent dans le sud-est européen en fonction
des rétrocessions de territoires et des expulsions. Des déportations
politiques commencent (100.000 Alsaciens). Hollandais, Norvégiens,
Belges, sont envoyés en Pologne et en Russie pour remplacer les dix ou
vingt millions de Russes occidentaux vers l’Oural. En 1940, 45% des
appelés en France sont des agriculteurs. Le nombre de chômeurs diminue,
la durée du travail augmente. En 1942/1943, le repli des populations dans
l’autre sens (vers l’Ouest ou l’Allemagne) s’effectue. Le service du travail
obligatoire amène deux millions de travailleurs étrangers en Allemagne fin
1941, six fin 1942, neuf fin 1944, contre deux millions d’Allemands
évacués vers les pays voisins. Les individus trop jeunes ou trop âgés pour
être mobilisés sont appelés à travailler. Des individus sont déportés pour
aller travailler en Allemagne. C’est en 1943 qu’a lieu en France la création
du Service du travail obligatoire (S.T.O.) des jeunes Français au profit des
Allemands. En Angleterre, l’effectif des femmes passe de cinq à sept
millions entre mi 1939 et mi 1943. Le reflux des personnes déportées
pendant la guerre commence à partir de juin 1944. La zone orientale de
l’Europe expulse les Allemands de Prusse, de Pologne (dix millions),
d’Autriche et, pour trois millions et demi, de la Bohême, des Sudètes et de
Hongrie.
LES STRATEGIES NATIONALES. LA STRATEGIE
ANGLAISE,
MESSIANIQUE,
A
LA
FOIS
MONDIALE ET EUROPEENNE, LA STRATEGIE
ALLEMANDE ET LA STRATEGIE ITALIENNE,
DIRIGISTES, EUROPEENNES, AUTO-CENTREES,
LA SITUATION FRANCAISE, MAINTENANT UNE
CERTAINE STABILITE :
En Angleterre en 1919, on s’efforce de mener une politique de grands
travaux, d’accorder des subventions temporaires et de développer la
conciliation pour résoudre les conflits du travail. Le gouvernement fait
adopter le principe d’un conseil national consultatif – ouvriers et patrons -,
et la journée de sept heures. Il brise les grèves de 1919 et 1920, lutte
contre l’esprit extrémiste du travaillisme. En 1925, en Angleterre, la
concurrence allemande provoque des conflits sociaux. Le charbon
allemand coûte moins cher que le charbon anglais. En 1931, l’Angleterre
riposte en constituant avec la métropole britannique le Commonwealth. En
1932, elle s’oppose à la convention d’Ouchy signée entre les pays du futur
Bénélux. Elle s’oppose à l’embryon de la construction européenne, veut
maintenir ses privilèges dus à son avance historique, ne veut pas les voir
dilués dans une union. En 1937, les premiers camps de vacances font leur
apparition en Angleterre.
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 635
En 1915, l’Allemagne dresse avec ses alliés (Autriche-Hongrie, Bulgarie,
Turquie) les bases d’une coopération pour les approvisionnements. Les
approvisionnements, des industries en matières premières, et du public en
produits de consommation : deviennent des devoirs nationaux. Il existe
des sociétés d’achat, la principale a trois cents comptoirs et bénéficie de
crédits illimités. L’Allemagne utilise ses excédents de fabrication pour se
procurer des produits alimentaires : dans le Proche-Orient, puis après
1918 en Ukraine, Finlande, Russie. En 1919 est créée l’union nationale de
l’industrie allemande. L’empire allemand est plus puissant en 1918 qu’en
1914, du fait de l’absence de contrepoids russe : l’Allemagne a tiré profit
de la guerre et de la révolution russe… bien qu’elle ait perdu la guerre ! Au
traité de Rappalo (1922), elle obtient un véritable monopole de matériel
pour l’industrie en URSS. Dans la période 1896-1914 elle s’était tournée
vers l’Autriche-Hongrie et l’empire Ottoman, elle se tourne désormais vers
la Russie. Elle n’a pas peur des risques et du déséquilibre, contrairement à
l’Angleterre. En 1925, elle est la première puissance économique
européenne. Elle a accru et rationalisé son capital industriel ; modifié son
organisation en mettant en place des cartels ; retrouvé son hégémonie sur
l’économie européenne (création du cartel de l’acier, trust de la potasse
avec la France). Le gouvernement allemand, en 1928, en réclamant une
évacuation anticipée de la Rhénanie, la réoccupation de la Sarre,
l’Anschluss avec l’Autriche, le droit pour les minorités allemandes hors du
Reich de disposer d’elles-mêmes, l’égalité des droits pour l’Allemagne,
pose le problème de l’Allemagne. Ses droits de propriété sont remis en
cause du fait d’un jeu très vieux de menaces de guerre et de paix, qui
constitue une épée de Damoclès pour tout développement à long terme,
les investissements et les infrastructures étant menacés d’être détruits ce
qui serait ruineux. L’Allemagne se trouve précisément sous le coup de la
demande de réparations pour la guerre précédente, ce qui est aussi
ruineux. En 1930, le chancelier Brüning a le projet d’orienter l’Allemagne
vers le Sud-Est (l’Autriche). Le chancelier autrichien n’est pas d’accord.
Les droits de propriété s’opposent. L’économie allemande toute entière
constitue comme un défi. Sa production industrielle va plus que doubler
après la sortie de crise (triplement pour l’industrie lourde). A partir de
1934-1935, il devient nécessaire de réaliser un montant d’exportation
suffisant pour importer les matières premières indispensables à l’industrie
et à la constitution de stocks. L’importateur et l’exportateur allemand se
soumettent à un système de clearing, de même dans le pays commerçant
avec l’Allemagne. En 1936 est inaugurée la première usine Volkswagen,
qui doit produire « la voiture du peuple ». De la compensation, on en
arrive à l’autarcie, avec le contrôle des matières premières (1936). En
1938, le chômage est résorbé. C’est au prix de la constitution d’une
économie de guerre, dans des termes encore plus importants que ceux qui
avaient précédé la première guerre mondiale. Cette régression s’explique
entre autres par de multiples incompréhensions.
En 1927 en Italie, la Charte du travail tente de concilier les intérêts des
ouvriers et des employeurs. Congés payés, indemnités de licenciement,
prévoyance sociale sont instaurés. Une politique libérale est menée
jusqu’en 1930. Pour le chômage, on essaie d’y remédier par des grands
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 636
travaux, l’amélioration des terres incultes et le partage des latifundia.
Paradoxalement, les systèmes dirigistes ont anticipé dans l’application de
certaines avancées sociales et de grands travaux, par rapport aux
démocraties. Mais la période n’est pas coopérative, car elle a hérité de la
part de la période précédente d’un contexte non coopératif et, de plus
c’est une période de dépression, où tout se conjugue pour exacerber les
menaces.
En France a lieu une diminution du temps de travail : fixation de la durée
de travail à quarante-huit heures (1919). En 1927, une loi française
autorise le gouvernement à façonner lui-même le tarif douanier selon les
besoins des pourparlers en cours avec l’Allemagne. Cela révèle à quel
point les développements économique et industriels allemands sont
devenus un enjeu pour ses voisins européens. De tous les pays
européens, c’est l’Allemagne qui a le plus, une vision et une démarche
européenne, même si elle veut l’imposer par la force. Devant la menace
du chômage, la France prend des mesures : des grands travaux, puis une
politique sociale financée par la hausse de l’impôt sur le revenu. Il s’agit
d’assurances sociales, de la retraite du combattant, ou encore de la
hausse du nombre de fonctionnaires. Après le rapprochement francoitalien de 1935 (concessions françaises en Tunisie et Somalie), c’est la
victoire du Front populaire en 1936. D’où des grèves qui paralysent le
pays, mais aussi des lois sociales attendues : liberté syndicale dans les
entreprises, congés payés de quinze jours, semaine de quarante heures…
nationalisation progressive des usines d’armement, création d’un office du
blé, fonds contre les calamités agricoles, retraite des vieux travailleurs.
Mais la reprise des affaires est peu importante. En 1937, on cherche une
hausse de la production, source de tous les remèdes, on commence à
assouplir la loi sur les quarante heures. En 1938, les chemins de fer
français sont nationalisés1348.
En 1918 la révolution manque de triompher en Suisse.
J. WOLFF, « Histoire économique de l’Europe ». QUATRIEME PARTIE – I. CHAPITRE IX
– Les économies européennes des années trente. Repliement et regroupement.
Stagnation et expansion. Dirigisme et planification. P. 491- 500.
1348
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 637
LA RELATION ENTRE EUROPE DE L’OUEST ET
EUROPE DE L’EST ET LES CONFLITS INTERNES.
LE RÔLE D’OPPOSITION/ATTRACTION DES
Etats-Unis
ET
LE
CHANGEMENT
DE
DIMENSION.
LES
MOUVEMENTS
AUX
FRONTIERES DE L’EUROPE ET DANS LE MONDE
ELOIGNE :
En Août 1915, en Pologne, une offensive allemande déplace vers l’Est le
front oriental. En Russie, l’autoritarisme se renforce, l’incapacité des
pouvoirs publics est reconnue (1915). Il y a diminution de la production
alimentaire. En Février 1917 a lieu la révolution à Pétrograd. L’hostilité à
la guerre et au régime atteint alors son paroxysme. Grèves et
manifestations poussent Nicolas II à abdiquer. Il est remplacé par un
gouvernement libéral. C’est alors que Lénine, rentré de Suisse, publie ses
Thèses d’avril. De Mai à Octobre, des désertions massives sont
provoquées par la propagande bolchevique sur le front. Cela mène à la
Révolution d’Octobre. La Russie signe une paix séparée avec les
puissances centrales (Allemagne, Autriche-Hongrie et leurs alliés).
L’Empire russe est démantelé (perte de l’Ukraine, de la Finlande, la
Pologne et les Pays Baltes). La clause de la nation la plus favorisée figure
dans ce traité de paix avec la Russie. La ligne de séparation Russie /
Pologne est tranchée par la guerre, fixée en 1920 (traité de Riga). Les
Français ont imposé leurs vues à ce sujet. Plus tard, à l’instigation de la
S.D.N., la Haute-Silésie est partagée entre l’Allemagne et la Pologne. En
1935 en Pologne, sont fixées les grandes lignes d’un plan militaire et
économique. En 1938, la superficie des terres mises graduellement à la
disposition des paysans se monte à 10%. En 1939, Hitler réclame en
Juillet le corridor polonais. Deux mois plus tard, c’est le début de la
Seconde Guerre mondiale, déclenchée à cause de cela. Une fois de plus,
les frontières à l’Est ont eu un rôle sécuritaire ou anti-sécuritaire pour
l’Europe. Il faut dire que c’est par là que pendant longtemps se sont faits
les mouvements de population préludant à la création de nouveaux
citoyens. La Pologne est à nouveau rayée de la carte. En Novembre, les
soviétiques envahissent la Finlande. Puis, en Mai-Juin 1940, ils
envahissent l’Estonie, la Lettonie et la Lituanie. En 1942, en Pologne, a
lieu la déportation en juillet des juifs de Varsovie dans le camp
d’extermination de Treblinka.
En Autriche-Hongrie, la fourniture de pain est interdite dans les hôtels et
restaurants en 1916. On observe une hausse des prix. En 1918, la
Roumanie ayant capitulé s’engage à accorder à l’Allemagne le monopole
de l’exploitation du pétrole. Elle ne peut augmenter ses droits jusqu’en
1930 ; en cas de réalisation de la Mittel Europa, elle accepte par avance
en 1918 une union douanière avec l’Allemagne et l’Autriche. Les pays
d’Europe de l’Est sont pris à la gorge dans leurs projets de
développement, placés sous tutelle. Leur politique est orientée, contre
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 638
contrôle des finances. De plus, les traités de Saint-Germain, Neuilly et
Trianon (1919), s’appuyant sur le principe des nationalités, aboutissent à
la création de territoires économiquement non viables. Des réformes
agraires, des transformations du système existant et l’établissement de
régimes différents, se font, cependant, heureusement jour. En
Tchécoslovaquie, la réforme agraire partage les domaines de plus de cent
hectares, soit 25% des terres cultivables ; elle dépossède les propriétaires
étrangers (Allemands dans les Sudètes, Magyars en Slovaquie où on peut
parler de l’accession d’un peuple de paysans à la liberté et la propriété).
La Hongrie ne met pas en œuvre de réforme agraire après la Première
Guerre mondiale, conserve sa structure seigneuriale ; la propriété
paysanne y représente 11% des cultures. La Bulgarie est un Etat de petits
paysans sans grande propriété. Des coopératives y sont créées. En Serbie,
les petits paysans sont nombreux. En Roumanie, 1,4 millions de paysans
reçoivent six hectares. Mais les ouvriers agricoles, sous-formés et sans
capitaux, vendent leurs terres, si bien que la grande propriété se
reconstitue. C’est un paradoxe de constater que dans les pays d’Europe de
l’Est (hors Russie), ce sera le communisme qui mènera à l’accélération de
l’accès à la propriété individuelle agricole. Dans les Balkans, après guerre,
la tentative révolutionnaire n’aboutit pas, notamment en Bulgarie où ont
eu lieu des réformes agraires. L’Estonie met en œuvre une réforme
agraire qui brise l’hégémonie des propriétaires allemands ; en Lettonie, le
même processus accouche de 100.000 nouveaux propriétaires. En
Pologne, le morcellement des terres est subordonné à l’accord des
intéressés. En 1931, le nombre des fermiers indépendants a augmenté.
Cette période est celle de l’accès à des droits dans ces pays, qui étaient
acquis il y a au moins un siècle en France, davantage en Angleterre.
En France, la CGT (1917) suit le mouvement révolutionnaire mondial,
décide de se montrer. Le Congrès de Tours (1920) donne naissance à une
scission entre SFIO et SFIC. La France entretient des idées qui entraînent
un climat de tension : héritage logique de la révolution de 1789, peut-être
nécessaire au processus de développement.
Le 2 avril 1917, les Etats-Unis entrent en guerre à leur tour. Ils seront
désormais le grand frère de l’Europe occidentale. Leur indépendance
d’esprit est garante de leur efficacité à intervenir à bon escient dans les
affaires du monde. Mais le Sénat américain s’oppose au président Wilson,
refusant la ratification du traité de Versailles et l’entrée américaine à la
S.D.N.
Après la guerre, l’Allemagne perd sa part de prospection du pétrole de
l’Irak. Pour ce qui est de l’Empire ottoman, la guerre livre le Proche-Orient
et le pétrole à l’Angleterre. Son projet est d’y joindre celui de Bakou. En
effet, la Grande-Bretagne, les Etats-Unis et la France se partagent le
pétrole du Moyen-Orient. Le traité de Sèvres parachève le démembrement
de l’Empire Ottoman, qui perd la totalité de ses possessions européennes.
L’Europe n’a pas le pouvoir – nouveau – des Etats-Unis, du à l’unité de
son territoire et de ses institutions, mais elle a encore le pouvoir de diviser
à ses frontières. Ainsi en va-t-il de la division du monde arabe pour
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 639
répondre à la division de l’Europe ! Les territoires arabes passent sous
mandats britanniques et français. Dénonçant le traité de Sèvres, la
Turquie déclare la guerre à la Grèce. En Russie, on assiste au blocus du
pétrole russe par le groupement international des sociétés pétrolières en
Russie, créé en 1922. Avec l’aide de techniciens étrangers, l’URSS produit
le pétrole dont elle a besoin, exporte vers l’Angleterre, la France et les
Etats-Unis. En 1923, la guerre turco-grecque s’achève. En 1925, les
Anglais abandonnent leur protectorat sur l’Iran, mais y conservent leurs
concessions pétrolières. En 1942, de Mai à Septembre, s’effectue en
Russie l’avancée allemande vers les puits de pétrole du Caucase. En 1943,
les partis communistes des pays balkaniques signent un pacte prévoyant
la création d’une fédération des futures républiques populaires
balkaniques destinées à s’intégrer à l’URSS. Puis est repris un plan qui
dépasse les Balkans, et vise à réunir tous les pays danubiens, et la
Pologne, dans une union douanière. En Grèce, à la fin de la guerre, débute
une guerre civile. La Hongrie est occupée, après ses voisins, par l’URSS.
Un deuxième système, concurrent du système d’alliances européennes,
s’est constitué en Europe : celui de l’U.R.S.S.
TENDANCES INSTITUTIONNELLES :
En France, les Cahiers mensuels socialistes, de 1919 à 1933, présentent
une conception nouvelle et particulière, fondée sur l’entente francoallemande1349, au motif que la SDN serait un instrument de la domination
anglo-saxonne. En 1922 est constitué le mouvement paneuropéen, qui
veut grouper tous ceux désirant réaliser les Etats-Unis d’Europe. Il touche
surtout certains milieux d’affaire ainsi que certaines personnalités de
gauche. Ce mouvement exclut l’Angleterre pour son insularité, ses liaisons
intercontinentales, l’existence du Commonwealth, mais affirme la
nécessité de relations entre l’Empire britannique et la future union
européenne. En 1925, A. Briand lance un appel en faveur de l’Europe unie.
G. Stresemann en Allemagne affirme la nécessité d’une Europe
économique. Un industriel, Rechberg, parvient (à partir de 1929), à
réaliser une entente groupant industriels et financiers de France et
d’Allemagne. Potasse, azote, chimie, industries lourdes des deux pays, se
trouvent liées et doivent établir des cartels pour trente ans. En 1926, la
France, l’Allemagne, le Luxembourg, la Belgique, fondent le cartel de
l’acier. C’est une première en Europe en matière d’organisation de la
concurrence. En 1927, ce cartel est élargi à la Tchécoslovaquie, la Hongrie
et l’Autriche. Une union douanière européenne est formée (1929). Le
mémorandum Briand (1930) concerne l’organisation d’un régime d’union
fédérale européenne. Les problèmes économiques s’y trouveraient
subordonnés aux problèmes politiques : le progrès dans l’union
économique est déterminé par la question de la sécurité, celle-ci étant
liée à l’union politique. En 1932, la convention d’Ouchy préconisant une
J. WOLFF, « Histoire économique de l’Europe ». QUATRIEME PARTIE – I. CHAPITRE
VIII – Les idées d’Europe et la persistance des luttes pour l’hégémonie. p. 487-490.
1349
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 640
baisse progressive des tarifs douaniers (50% en quelques années), est
signée entre Belgique, Hollande et Luxembourg ; cette convention reste
ouverte à tous les pays désireux d’y adhérer. En juillet 1944, une
« Déclaration des résistances européennes » prévoit l’intégration des
industries métallurgique et chimique Allemandes en une organisation
européenne, et prévoit de réaliser au plan politique une union fédérale
remplaçant « l’anarchie des Etats souverains ». Ainsi, pendant cette
période, a été lancée l’idée d’une construction politique de l’Europe par sa
construction économique. Cette vision permet de dépasser les anciens
réflexes ancestraux, et correspond à une adaptation progressive des
mentalités et de la rationalité des agents à un état de plus grand
développement économique. Mais il faut aussi pour y arriver engager une
lutte contre le temps. Le jeu des crises au contraire, encastrées dans la
grande crise que constitue cette période, mène à la guerre : on épouse les
anciens réflexes avec une sauvagerie accrue !
Les problèmes de la formation, de l’organisation et du fonctionnement
d’une Europe économique se posent avec acuité tout au long du XXe
siècle. Jusqu’en 1945, l’accent est mis sur la réalisation par la force par un
pays européen, l’Allemagne, réussissant presque dans sa tentative
d’hégémonie semblable à celle menée par la France au début du XIXe
siècle. L’Allemagne pense à la création d’une Mittel Europa, allant de la
Vistule à la Somme et de la Galicie au lac de Constance. En 1915, elle
cherche à créer une union douanière avec l’Autriche-Hongrie, la Bulgarie
et la Turquie. Cette vision est source de conflits, car elle veut intégrer des
zones de niveaux de développement épars, et cela provoque un tropisme
en faveur du pays le plus fort, l’Allemagne. Cela ne plaît ni au pays les
plus faibles de la Mittel Europa, ni aux pays plus forts que l’Allemagne,
unis en dehors de la Mittel Europa (France, Angleterre…). En Italie qui suit
la tendance auto centrée et autoritaire de l’Allemagne, le fascisme a pour
programme une transformation des bases politique et économique de la
société : confiscation des revenus improductifs, journée de huit heures,
principe coopératif pour réorganiser la production, participation ouvrière
aux bénéfices. Au contact des réalités, le fascisme devient ensuite plus
modéré. En 1922, l’autorisation est donnée aux préfets de dissoudre
syndicats et coopératives, des mesures favorables aux grands
propriétaires terriens sont prises. On souhaite la collaboration des classes
en instituant un régime corporatiste. En 1925, le protectionnisme est
prépondérant. Malgré ce, un chômage technologique se fait jour. Mussolini
propose (1929) d'organiser le continent européen selon l'idéologie
totalitaire, coupant l'herbe sous le pied des partisans des Etats-Unis
d’Europe. En Allemagne, la tendance à la concentration se poursuit. La
cartellisation des industries devient obligatoire. Les grèves sont interdites.
Des débouchés sont constitués par les travaux publics et l’armement. Le
Führer est chef de toutes les forces militaires et économiques. La tentative
d’unification européenne échoue ; une division en deux ensembles lui
succède. Une première réorganisation (1939-1944) est le fait de
l’Allemagne. Elle reprend et amplifie les projets élaborés depuis plus d’un
demi-siècle, leur apporte un début d’application. L’ensemble voulu par
l’Allemagne doit présenter un caractère autarcique, fermé, sous l’autorité
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 641
de l’Allemagne qui aura la direction technique et scientifique de toutes les
entreprises. Economiquement, il y a un système de rétention
d’information en faveur d’un pays. Le jeu est donc économiquement sous
optimal, comme l’exemple ultérieur de l’U.R.S.S. l’illustrera. Les pays
disposant d’un excédent de main d’œuvre mettront celle-ci à la disposition
de l’Allemagne. Les contacts avec les pays Outremers seront coupés ; un
système de chemins de fer et de canaux convergera vers Berlin.
Hambourg, Koenisberg, Vienne, Munich, Cologne seront les portes du
Reich ; Breslau son centre industriel à l’Est. A l’Ouest, l’ambition est de
parvenir à une population de deux cents cinquante millions d’habitants.
Sur ces bases, l’Occident conquis se trouve divisé en trois zones : le
Luxembourg, la Lorraine et l’Alsace sont annexés ; la Norvège, le
Danemark et la Hollande trouvent leur place dans la communauté
germanique ; la France, amputée de la Flandre, la Lorraine, l’Alsace et la
Haute-Savoie, ne sera admise que dans la Communauté européenne. En
Europe de l’Est, les pays considérés comme germaniques (Autriche,
Sudètes, Dantzig, corridor polonais) sont incorporés au Reich. Les
Tchèques sont séparés, expulsés progressivement vers l’Est et remplacés
par des Allemands. La Pologne est séparée en deux : zone allemande et
zone proprement polonaise. La colonisation est la tâche européenne
principale à laquelle seront conviés tous les Etats soumis à l’autorité du
Reich. On pense tourner l’Europe de l’Atlantique vers l’Est, la refaire sur
une base continentale et autarcique. L’économie hollandaise est
réorganisée de façon à être intégrée à l’économie allemande. En Bulgarie,
l’Allemagne représente 90% des exportations bulgares, presque
exclusivement agricoles. A la fin de 1941, l’Europe a la configuration que
lui donne l’Allemagne. Pour celle-ci le continent, pour l’Italie la
Méditerranée. Il reste cependant des Etats indépendants : Espagne,
Portugal, Suisse, Finlande, Turquie. L’économie française doit être réduite
dans de larges proportions et intégrée à l’économie allemande. Le bassin
danubien est soumis à l’hégémonie allemande. Pour les peuples de
l’Europe sub-germanique, le Reich doit exercer le rôle d’un haut
protectorat. La Hongrie par contre conserve son indépendance. La vision
de l’Allemagne par rapport à une unification européenne n’a pu se faire
qu’au travers de la guerre, finalement. On n’en est qu’au début d’une
vision de l’Europe organisée économiquement à partir d’une gestion
souple de droits de propriété partagés, c’est-à-dire grâce à la monnaie
dirigée de façon responsable1350 : assurance du revenu qu’elle permet de
construire, et non moyen de spéculer sur le revenu d’autrui.
Fatalement, le dirigisme s’oriente très vite vers la préparation d’une
économie de guerre. L’Italie, face à un million de chômeurs dans les
années trente, pratique le dirigisme économique. Elle nationalise aussi son
industrie de guerre. La guerre devient une cause nationale. En Italie
comme en Allemagne, la préparation économique de la guerre va devenir
une contre régression, régressive elle aussi et la plus agressive, face à la
régression économique communiste de Russie. Il y a en un sens refus des
perspectives libérales parce que celles-ci sont désormais soutenues du
dehors de l’Europe (des Etats-Unis). A partir de 1935, le réarmement en
1350
Dans le Tome II, « Histoire monétaire de l’Europe, 1800-2007 ».
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 642
Allemagne est financé par l’impôt. La durée et l’intensité de la préparation
à la guerre, permettent en partie de résoudre le chômage, et entraînent
un développement de l’activité économique. Les effectifs constitués
passent de cent mille hommes en 1930 à cinq cents cinquante mille en
1936, huit cents cinquante mille en 1938. La place des différents secteurs
de l’économie se modifie au profit du secteur industriel. La composition de
celui-ci change en faveur de certaines branches. On est aussi confronté à
une nouvelle sorte de guerre. Le nombre de soldats a en effet
considérablement augmenté, leur équipement s’est modifié en quantité et
en qualité1351 ; le coût du soldat s’est accru (sur la base un en 1756/1763,
quinze en 1870, cinquante en 1905, mille en 1941). Un pays ne peut plus
mener une guerre moderne s’il ne dispose pas d’une économie diversifiée
et développée, les chances d’une victoire dépendent plus que par le passé
des facteurs économiques. C’est un paradoxe car dans le même temps, on
peut noter qu’un pays industrialisé, si il entre en guerre, devra par la suite
reconstituer des infrastructures fort coûteuses. Décidément, la préparation
économique de la guerre à cette époque est la conséquence du retard des
mentalités par rapport au développement économique de ces pays, car ce
dernier devrait logiquement interdire la guerre. Les industries
manufacturières, métallurgiques, énergétiques et chimiques connaissent
une forte augmentation… les industries textiles et alimentaires un déclin
sensible. Les industries situées à proximité de la frontière sont
partiellement transférées, les industries nouvelles sont implantées en des
endroits jugés hors de la portée de l’ennemi, ou carrément enterrées sous
des massifs montagneux. La mise en œuvre du progrès technique connaît
une vive accélération1352. Tout est fait pour accroître la productivité du
travail et compenser la diminution
des effectifs
employés dans
l’industrie. La consommation baisse beaucoup pendant la guerre dans
les pays annexés. La guerre est l’occasion d’une exaspération de
l’économie. Faute de consommer, certains agents mettent de côté de
fortes sommes. La démographie est à la remorque de l’économie, avec les
forts transferts de population.
Belgique, France, Angleterre, Italie, Japon, Portugal, Serbie, Russie
confèrent à Paris (1916), et élaborent la politique à suivre après la guerre.
Ils ont confiance en la solidarité alliée pour restaurer les pays dévastés,
veulent exclure l’Allemagne du régime de la nation la plus favorisée, et
supprimer des abus commerciaux des cartels. L’expression de leurs
intérêts disséminés revêt les termes les plus généraux : elle veut
préserver certaines valeurs, telle la propriété privée. A la fin des années
vingt, les accords commerciaux se sont élargis, assouplis, et se
conjuguent par la clause de la nation la plus favorisée que l’on emploie
davantage. Un consortium franco-allemand construit en 1931 une ligne de
chemin de fer entre la Tchécoslovaquie et la Haute-Silésie jusqu’à la
Pologne à Gdynia. Les projets interdits à l’Allemagne, la France peut se
J. WOLFF, « Histoire économique de l’Europe ». QUATRIEME PARTIE – I. CHAPITRE XI
– La Seconde Guerre mondiale. Economie et finance. P. 505-510.
1352
J. WOLFF, « Histoire économique de l’Europe ». Même chapitre que note 1351.
1351
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 643
permettre de les réaliser sous l’œil bienveillant de ses voisins car elle
défend certaines valeurs.
En 1919, après la guerre, Pologne et Russie sont dévastées. L’Europe est
concurrencée par les pays neufs. La nouvelle tendance institutionnelle est
de partir de la situation de délabrement de l’Europe. C’est l’opportunité du
partage de pas grand’ chose, pour y implanter plus tard l’essentiel (la
propriété).
En 1918, aux Etats-Unis, le président Wilson expose son plan de paix en
quatorze points, fondé sur le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et
prévoyant la création d’une organisation politique mondiale : la Société
des Nations. C’est la propriété privée au niveau des nations. Mais les
traités de paix ont été établis par les seuls vainqueurs : les colonies
allemandes sont distribuées à ceux-ci. L’Allemagne est en dehors du
principe des nationalités. C’est l’occasion du partage allemand, qui
satisfait à la fois les Américains, les autres pays Européens, et l’U.R.S.S.
Ce partage confirme que l’on part d’un délabrement pour reconstruire
quelque chose, et cette reconstruction ne pourra se faire sans les EtatsUnis, qui incarnent un modèle autrement plus fédérateur que l’Allemagne
« plus petit commun diviseur », ce modèle est un grand marché
commercialement homogène à d’autres grands marchés à venir, tels que
LEONTIEFF1353 a déclaré au début du siècle qu’il y en avait quinze ou vingt
dans le monde. En 1928, le pacte Briand-Kellog, qui met la guerre hors la
loi, est signé à Paris par une soixantaine de pays. Pour clore la
période, les Etats-Unis, comme en 1918, sauveront l’Europe d’elle-même
et de ses divisions. En 1943 a lieu la rencontre au sommet de Staline,
Roosevelt et Churchill. En 1944 on lieu les débarquements américains en
Normandie et en Provence.
L’Allemagne a constitué pendant toute cette période le « plus petit
commun diviseur ». Après la guerre, les Alliés aspirent en effet à la reprise
du négoce, mais chacun pour son compte, en juste continuation de la
période précédente. Ils exigent, sans y consentir, le traitement de la
nation la plus favorisée. Le partage de l’Allemagne constitue le principe du
« PPCD » : les fleuves allemands sont internationalisés, le canal de Kiel
ouvert à toutes les flottes commerciales, le Danube soumis à l’autorité
d’une commission européenne. On assiste à l’occupation de Düsseldorf,
Duisbourg et Ruhrort. En 1923, malgré l’opposition anglaise, attachée à la
propriété privée pas seulement chez elle mais aussi en Europe, les
Français et les Belges occupent la Ruhr. Les Allemands résistent (grèves,
sabotages). En 1924, aux termes du plan Dawes, la France accepte
d’évacuer la Ruhr. Les chemins de fer allemands sont gérés par une
société commune à l’Allemagne et aux Alliés. Les recettes provenant des
douanes et d’impôts (alcool, tabac, bière, sucre) sont versées à une
commission alliée. En 1929, aux termes du plan Young, les alliés
1353
W. LEONTIEFF, « The Future of The World Economy », Dunod, 1977.
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 644
s’engagent à évacuer définitivement leurs troupes des territoires encore
occupés. Mais l’Allemagne va alors vouloir reconstituer des richesses de
manière autrement plus brutale… La période avait mal commencée. A la
conférence de Téhéran (1943), le partage de l’Allemagne reprend. Ce pays
doit être divisé en cinq Etats autonomes (Prusse, Hanovre, Saxe,
Rhénanie, Sud) ; Hambourg, le canal de Kiel, la Ruhr et la Sarre
passeraient sous la tutelle de l’ONU. Pour Churchill, il convient d’isoler la
Prusse, de rattacher les autres Etats à l’Autriche, de créer une fédération
danubienne. Le plan Morgenthau veut transformer l’Allemagne en un pays
agricole, l’outillage industriel serait transporté pour réparations. On veut
empêcher l’Allemagne d’être la source de destructions massives
d’installations industrielles coûteuses, il faut résoudre la contradiction du
développement économique voisinant avec la guerre. Churchill accepte
finalement aussi que l’Allemagne soit transformée en pays agricole.
De 1914-1945, on va purement et simplement de guerre en crise et de
crise en guerre. Il y a une « collectivisation du conflit » qui rend les
explications générales inévitables. Le partage de l’Allemagne est un
exemple parlant. Les Allemands n’avaient pas droit à la parole. Toute
théorie cliométrique doit s’attacher à essayer d’en démêler les causes en
les rattachant à des phénomènes historiques quantitatifs massifs, tels
qu’ils peuvent apparaître au travers de cette période. Les Allemands
n’avaient pas le droit de prendre d’initiatives économiques concernant
l’Europe, si ce n’était en étroite collaboration avec les autres Européens
(Anglais et Français). En mars 1931
est présenté en Allemagne un
projet d’union douanière avec l’Autriche. Il est abandonné devant les
protestations de la France, de l’Italie et de la Tchécoslovaquie. Il est
inacceptable de reprendre la méthode du XIXe siècle – faire de la Mittel
Europe une réalité politique en tentant d’abord de l’établir sur le plan
économique et douanier – car cela revient à intégrer sans préavis des
pays qui n’ont pas encore intégré eux-mêmes un droit de propriété
décent. C’est l’occasion d’une attitude opportuniste, colonialiste, de la part
de l’Allemagne à leur égard, qui compromet le développement
économique, politique et social coordonné ultérieur de l’Europe.
Une nouvelle conception des choses apparaît avec le keynésianisme venu
d’Angleterre. Celui-ci est le moyen de concilier des choses contradictoires,
notamment le partage du travail et la propriété du patrimoine, la défense
du capitalisme d’un point de vue statique tout en empruntant au
socialisme certaines de ses idées dynamiques. Il permet aussi un
raisonnement dualiste (Etat/privé), ce qui est une bonne chose depuis que
KANT1354 nous a habitués à devoir faire cohabiter raison pure et raison
pratique. Cette doctrine1355 a été appliquée pour partie ou totalité dans les
pays dirigistes, et chez le grand voisin Américain, au cours de la période.
E. KANT, « Critique de la raison pure », Gallimard, 1980, & « Critique de la raison
pratique », Gallimard, 1989.
1355
J. M. KEYNES, « Théorie générale de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie », (1936).
Bibliothèque Scientifique Payot, 1969, traduction française par J. DE LARGENTAYE.
1354
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 645
Cela a commencé en Italie dans les années trente et s’est amplifié aux
Etats-Unis à partir de 1936. Cette doctrine souligne le rôle économique de
l’Etat. Cela a aussi une application aux évolutions des périodes : pour la
juste régulation entre protectionnisme et libre-échangisme, en tenant
compte du rôle à la fois protecteur et non-neutre des circuits. KEYNES fait
une
analyse
particulièrement
aiguë
du
système
économique
1356
international
, ce qui touche bien en particulier l’Europe dans la
recomposition douloureuse de ses rapports économiques avec le monde.
Le commerce international, décrit KEYNES, est « un expédient désespéré
pour protéger l’emploi à l’intérieur des pays par des ventes au dehors ;
moyen qui lorsqu’il réussit ne fait que transférer le problème du chômage
au pays le moins bien placé dans la lutte ». C’est sauver l’essentiel du
capitalisme – la propriété privée et le droit à accumuler – tout en laissant
l’avenir ouvert ; « créer du revenu » au lieu de faire des politiques
d’austérité pour répondre à la crise.
LE RÔLE DES CRISES :
A la suite de la guerre, il existe des déséquilibres généraux et sectoriels.
Les reconstructions, menées différemment selon les pays, demandent plus
de temps que prévu. Une économie industrialisée souffre davantage
qu’une économie agricole des conséquences de la guerre : il faut
reconstruire les infrastructures !
En 1920, les prix des matières premières (cuivre, plomb, zinc) chutent,
suivis par le marché de la soie. L’Angleterre subit la chute des commandes
indiennes en cotonnades. La baisse des frets mène au ralentissement de
la construction navale, puis à la chute de la production de fer et d’acier, et
des industries mécaniques. La crise frappe les pays vivant de leurs
exportations. La hausse du chômage (1,3 millions de chômeurs en
Grande-Bretagne fin 1921) pose à nouveau le problème du libre-échange.
La grève des mineurs conduit quatre millions d’ouvriers au chômage. Les
lois britanniques de 1921 vont donc protéger les industries clés dont la
guerre a révélé les insuffisances.
En 1925, la reconstruction européenne est achevée, mais sa production a
retrouvé son niveau d’avant guerre alors que le monde progressait de
20%. Les exportations britanniques ont chuté d’un tiers depuis 1913. En
1926, l’Allemagne est accueillie à la S.D.N à l’unanimité. En GrandeBretagne en 1926, grève générale. L’Allemagne paraît dès lors plus forte
que l’Angleterre : les croyances sur lesquelles repose le jeu européen sont
remises en cause.
J. M. KEYNES, « Les conséquences économiques de la paix », (1919). Gallimard,
2002, traduction française de D. TODD. Collection Tel.
1356
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 646
L’exaspération des nationalismes que provoque la dépression économique
des années trente balaie toute vélléité de coopération à l’échelle
européenne. Le « Jeudi noir » qui a ruiné les Etats-Unis en quelques
semaines pèse comme une lourde menace sur l’équilibre économique de
l’Europe, où les investissements Américains sont énormes (surtout en
Allemagne). Mais le sursaut allemand n’a-t-il pas sonné comme une
mauvaise nouvelle de l’autre côté de l’Atlantique, provoquant cette crise
catastrophique de confiance ? Cela fait désormais plus de soixante ans
que les deux moteurs économiques sont concurrents, l’Angleterre ayant
effectué jusqu’ici une liaison. Les tarifs douaniers sont majorés pendant la
crise. La crise Américaine s’est propagée en Europe d’autant plus
facilement que les industries y étaient déjà déprimées (Angleterre depuis
1920, Allemagne depuis 1927). La convergence réelle des économies,
apparue comme négligeable jusqu’en 1929, est accélérée par la crise des
années trente ; elle sera remise en cause par la deuxième guerre
mondiale (HENIN, LE PEN1357). En 1930, faillites et chômeurs (trois
millions) s’accroissent en Allemagne. La Grande-Bretagne, plutôt que
d’accompagner l’économie européenne, renforce ses liens avec le
Commonwealth en 1932. En 1931, le ralentissement commence en
France.
Par une politique économique autoritaire, en Allemagne le nombre des
chômeurs diminue rapidement à partir de 1933, passant de 5,6 à 2,6
millions. Entre 1929 et 1938 le commerce mondial diminue, en valeur,
des trois cinquièmes, de même que celui de l’Europe. Le manque de
confiance dans les autres est érigé en nouvelle institution.
La guerre mène à une accélération du progrès technique. Suivant la crise,
elle est le sommet de trois chocs de longs termes arrivés simultanément :
un choc monétaire, la fin de la Livre devise clé ; un choc politique, le
manque d’institutions et de coordination européenne nécessaires pour
riposter de façon idoine aux nouveaux pays, et entraînant un repli obscur
dans la violence ; un choc technologique, le progrès technique devient une
donnée fondamentale s’accélérant. Tout cela sans aucune préparation ni
prévision ni expérience a donné ce que l’on peut constater et qui fut
meurtrier.
P-Y. HENIN, Y. LE PEN, « Les épisodes de la convergence européenne », Revue
économique – vol. 46, n°3, mai 1995, p. 667-677.
1357
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 647
STRUCTURES
SOCIALES
D’ACCUMULATION / 1914-1945 :
PERIODE DEPRESSIVE :
GUERRES MONETAIRES.
AUTO-EXCLUSION DE L’EUROPE D’UN DE SES
PAYS, LA RUSSIE ET REGRESSION DANS LA
PERIODE D’ « AVANT LA PROPRIETE PRIVEE ».
DIVISION QUI COUPE L’EUROPE EN DEUX.
DIRIGISME
ECONOMIQUE
ET
ECONOMIE
TOURNEE VERS LA GUERRE , CARTELS ET
ECONOMIE NON COOPERATIVE.
ACCELERATION DU PROGRES TECHNIQUE.
CREATION D’UNE INSTITUTION MONDIALE LA
S.D.N. QUI COUPE L’HERBE SOUS LE PIED DES
EUROPEENS. VIRAGE DE L’ANGLETERRE VERS
LE PROTECTIONNISME
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 648
III. 1945-2007 :
III.1)
1945-1973 :
EXPANSIVE :
LES
INVENTIONS
ET
TECHNOLOGIQUES :
LES
PERIODE
REVOLUTIONS
En 1953, se déroule en Europe occidentale, la naissance de l’Eurovision,
accord entre plusieurs pays européens sur des programmes communs de
télévision. En 1956, c’est l’apparition des premiers ordinateurs
(découverts par les Américains). Tout au long des années 1970 se déroule
la révolution informatique : l’introduction des ordinateurs dans les usines
offre des possibilités technologiques sans précédent dans les secteurs de
l’automobile, de l’aéronautique ou de la construction navale. Les
transistors envahissent eux aussi le marché. En 1972, la société Philips
présente le premier vidéodisque. Les premières vidéocassettes sont
commercialisées. La firme DAF lance sur le marché la première automobile
à changement de vitesse automatique. En 1969, c’est le premier vol
d’essai de l’avion supersonique franco-britannique Concorde. En GrandeBretagne, on note l’apparition dans les années 1960 des premières pilules
contraceptives mises au point aux Etats-Unis. En 1966, en France, c’est la
mise en service de la centrale marémotrice de la Rance.
LES TENDANCES GENERALES EN TERMES DE PRIX
ET
SALAIRES.
LA
CONSTITUTION
DES
CIRCUITS.
LA
RELATION
ENTRE
DEMOGRAPHIE ET ECONOMIE :
En 1973, on arrive au point haut du cycle de KONDRATIEFF. L’inflation n’a
cessé d’avoir cours pendant la majeure partie de la période, favorisant le
crédit immobilier des ménages.
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 649
Le pourcentage de la force de travail employée en services professionnels
a tendu à augmenter continûment depuis 1800 (PERROUX 1358). Les
campagnes achètent dans les villes des biens d’usage et d’investissement
qu’elles obtenaient naguère elles-mêmes avec les moyens du bord : des
habits, des équipements domestiques, des pièces de mobilier, des engrais
artificiels, des machines agricoles, etc. Tandis que les industries et les
villes obtiennent un surcroît de produit « exportable » avec une plus
grande force de travail et de meilleures combinaisons productives, les
exploitations rurales et les campagnes, avec relativement moins de forces
de travail, peuvent produire plus que par le passé et « importer » une
partie de ce qu’elles produisaient elles-mêmes naguère. Ainsi un circuit
vertueux ville-campagne se crée comme l’a montré SAUVY1359.
La deuxième guerre mondiale s’est terminée par une catastrophe
démographique1360. A partir de 1945, des Allemands de Pologne,
Roumanie, Hongrie, Tchécoslovaquie, ainsi que dix millions de Prussiens,
Poméraniens, Silésiens et Sudètes, sont rapatriés en Allemagne. Après la
guerre, la baisse de la mortalité reprend. Il y a aussi reprise de la natalité.
Plus de vingt millions d’Européens sont morts (russes et polonais
compris). De 1946 à 1948, les seize millions de personnes déplacées en
Allemagne, Autriche et Italie retournent chez elles. Mais entre 1947 et
1955, quatre-cents quarante mille personnes quittent l’Europe chaque
année : réfugiés des pays de l’Est (trois cents mille Polonais), Italiens (six
cents mille), Anglais (six cents mille), Allemands de l’Ouest (trois cents
mille), Ibériques… En France la population augmente de 10% entre 1946
et 1959. La progression britannique est comparable. La progression
allemande est plus forte : plus dix millions de 1946 à 1963. L’immigration
est faible. Les pays méditerranéens voient leurs taux de natalité et de
mortalité diminuer rapidement. En URSS et en Europe de l’Est, le taux de
mortalité diminue très fortement, mais celui de natalité moins rapidement.
Entre 1945 et 1965, les différences de natalité et de mortalité se réduisent
dans l’ensemble de l’Europe, à l’Ouest comme à l’Est. En 1961, à Berlin,
c’est la construction du « mur de la honte » par la RDA, pour stopper le
flux migratoire des Allemands de l’Est vers l’Ouest. A partir de 1963
commencent à apparaître les signes avant-coureurs d’une crise
démographique d’importance en Europe. Dans un avenir prochain le
remplacement des générations ne sera plus assuré. Le taux annuel
d’accroissement de la population, de 1965 à 1975, passe de 1,2 à 0,4 en
RFA, de 0,7 à 0,2 en Grande-Bretagne, de 1,3 à 0,8 en France. Des
politiques de lutte contre la dénatalité et le vieillissement cherchent à
réaliser une compensation des charges liées à la venue de l’enfant et,
notamment, du troisième, à aménager le temps en vue de permettre aux
familles de concilier travail et éducation des enfants. A l’Est aussi. Aussi,
F. PERROUX, « Matériaux pour une analyse de la croissance économique »,
Economies et Sociétés, n°27, Développement, croissance et progrès, Juin-Juillet1978.
1359
A. SAUVY, « La machine et le chômage », Dunod, 1981.
1360
J. WOLFF, « Histoire économique de l’Europe ». QUATRIEME PARTIE – I. CHAPITRE I
– Crises des populations européennes et renouveau temporaire. P. 429-437.
1358
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 650
une stabilisation ou même un relèvement du taux de natalité est
finalement observé dans la majorité des pays, entre 1963 et 1973.
LES STRATEGIES NATIONALES. LE MODELE
ALLEMAND.
LE
« OUI
MAIS »
DE
L’ANGLETERRE A L’EUROPE. LA SITUATION DE
LA FRANCE :
L’économie allemande, réunifiée (1946) se dirige vers le libéralisme. En
1949, la Constitution fédérale met fin au régime d’occupation. Les
allemands choisissent l’économie sociale de marché 1361. L’Etat veille à ce
que le progrès soit social et non plus seulement déterminé par la notion
de profit particulier. Le principe essentiel est constitué par
l’autofinancement des entreprises. La baisse du coût de production et la
hausse de l’investissement entraînent une forte expansion. Malgré l’afflux
des réfugiés le chômage diminue de 1949 à 1952. On pratique la
cogestion avec les syndicats. La productivité s’accroît, les exportations
diminuent. Les dépenses militaires sont absentes. L’Allemagne sera le
moteur économique car industriel de l’Europe. Il s’est produit un
« miracle » entre 1945 et 1953, et le plan Morgenthau, qui voulait en faire
un pays uniquement agricole, a été abandonné. L’Allemagne peut enfin
réaliser son projet de toujours : participer à la construction de l’Europe
grâce à l’économie. Ce projet n’est plus conflictuel car il y a eu séparation
forcée avec les pays de l’Est. Le projet est en revanche accompli avec la
France, avec laquelle une solidarité de fait, dans le bien comme dans le
mal, est apparue depuis 1860, et sous le regard bienveillant de
l’Angleterre.
Le parti conservateur, en Grande-Bretagne, a annoncé en 1945 un train
de réformes sociales sur quatre ans. Les travaillistes ont proposé un large
programme, comprenant le plein emploi, des nationalisations et le
contrôle des monopoles ainsi qu’un dirigisme planifié de l’industrie, la
défense du niveau de vie et de l’égalité de revenus, une protection et une
organisation pour le domaine agricole et les services sociaux. Houillières,
transport, gaz-électricité, plus 10% de l’industrie, ont effectivement été
nationalisés. Dans le même temps, l’Angleterre craint toujours que l’Union
européenne nuise au Commonwealth ; elle cherche donc à contrecarrer
toute tentative de l’Europe occidentale pour organiser son économie.
L’Angleterre sert de balancier par rapport à la stabilité économicoidéologique de l’Europe – le rapport à la propriété incluant une part de
J. WOLFF, « Histoire économique de l’Europe ». QUATRIEME PARTIE – I. CHAPITRE
XV – Les expériences d’après guerre en Europe occidentale. Dirigisme et renouveau du
libéralisme. P. 533-539.
1361
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 651
socialisme -. La politique d’égalisation relative des revenus – aidée par
l’impôt – va très loin. L’Angleterre est devenue en 1949 un pays de petits
et moyens revenus. En revanche, le manque de capitaux s’accompagne du
manque de main d’œuvre. Les Trade-Unions refusent de nombreux
travailleurs européens, polonais, allemands ou italiens. Grâce à
l’augmentation du personnel administratif, on finit par atteindre le plein
emploi. De 1938 à 1950, les salaires ont augmenté de 160%, les prix de
125%, le revenu national de 70% ; la hausse du pouvoir d’achat est réelle
pour les salariés, moindre pour les fonctionnaires ; les revenus du capital
ont baissé de 20%. La Grande-Bretagne refuse toute participation à la
C.E.C.A. Elle se situe délibérément en dehors de la perspective
d’intégration économique européenne de la production. Elle mise sur les
échanges en escomptant que les termes de l’échange continueront à ne
pas lui être défavorables. En 1951, les conservateurs revenus au pouvoir,
dénationalisent, construisent des logements sociaux, augmentent les
attributions des administrations locales et diminuent le rationnement. On
abandonne aussi le colonialisme comme cela était décidé, avec quelques
années d’avance sur la France. De 1954 à 1966, les exportations vers
l’Europe passent de 28% à 38%. L’Angleterre participe bien à la
construction européenne, mais uniquement du point de vue des échanges.
Elle ne souhaite pas mêler ses informations et jusqu’à son mode de vie
avec l’Europe continentale ; à moins qu’elle n’estime que le droit n’y aurait
pas été respecté ?
En France, le Conseil national de la résistance a décidé de la
nationalisation des grands moyens de production, et de la participation
des travailleurs à la direction économique. Les houillières, Renault, le gaz
et l’électricité passent à l’Etat. La direction du commerce extérieur est
prise en main : contingents, accords bilatéraux, licences d’importation et
d’exportation. En 1951, les entreprises nationales contrôlent 40% de
l’économie. Mais un tournant libéral est pris en 1952. Le gouvernement
veut s’appuyer sur la libre concurrence et la pression de l’opinion. Mais il
reste aux commandes de l’économie… ! En 1965, la France achoppe sur
les conditions financières exigées par la mise en place du Marché commun
agricole. Tout comme l’Angleterre au nom des échanges entre partenaires
libres et autonomes, la France s’oppose à l’Europe à cause de son
« exception agricole » : une exceptionnelle stabilité sociale grâce à un
modèle de petits propriétaires. L’opposition de la France continentale est
de plus courte durée que celle de l’Angleterre insulaire… Les grèves
consécutives à Mai 68 annoncent la crise économique prochaine qui sera
une crise de civilisation.
La Suisse, pendant la guerre, renforce les attributions économiques de
l’Etat. La Belgique s’engage dans la voie du dirigisme en fixant les prix des
produits à un niveau peu élevé. Le traité de paix de 1947 présente des
clauses dures pour l’Italie : les pertes des colonies qui représentaient un
débouché pour la population. En 1948, le nouveau gouvernement
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 652
préconise la solidarité avec l’Europe occidentale, l’union douanière avec la
France, la réforme agraire. En Hollande, les destructions ont été
importantes (polders recouverts par les eaux de mer notamment). Le
besoin d’importer des vivres et des matières premières est élevé. Dans ce
pays aussi, on s’oriente vers le dirigisme, abandonnant le libéralisme
traditionnel. La convention d’Ouchy est effective le 1 er avril 19481362. Les
salaires sont supérieurs de 60% en Belgique par rapport aux Pays-Bas. La
Belgique prend des mesures défensives contre la Hollande dans
l’agriculture mais non dans l’industrie. En 1948 est créée une commission
de coopération entre les quatre pays scandinaves plus l’Islande, suivie en
1952 par un conseil nordique. En 1949 en Belgique, l’économie n’est plus
dirigée. L’importation est laissée plus libre que dans aucun autre pays
d’Europe, les exportations augmentent, et on paie malgré cela une
importante protection sociale. La période débute donc dans tous les pays
d’Europe par des intégrations régionales ou par l’intégration européenne.
La croissance des vingt ans suivant transformera ce phénomène en cercle
vertueux.
LE PARAPLUIE AMERICAIN. LES MOUVEMENTS
AUX FRONTIERES DE L’EUROPE (REGRESSION
RUSSE). LES MOUVEMENTS DANS LE MONDE
ELOIGNE (DONT LA TURQUIE) :
Au lendemain de la guerre, les Américains mettent au point le plan
Marshall avec les seize pays européens qui le veulent, (l’URSS, les
démocraties populaires et la Finlande le refusent) pour engager la
reconstruction économique de l’Europe. A la suite de ce redémarrage aidé,
les rapports Europe-Etats-Unis se modifient. De 1919 à 1952, l’Europe
suivait les Etats-Unis. Désormais, les relations sont moins de domination
que d’interdépendance, du fait de la hausse des capacités de production
en Europe, de l’accroissement des échanges intra-européens, de ceux
entre Europe et pays non industrialisés. Les Etats-Unis deviennent un
repère vers lequel tendre. Mais vers 1967, commence à se manifester aux
Etats-Unis un ralentissement, tant de la croissance du PNB que de la
productivité du travail, accompagnés d’inflation. Les pays européens
connaissent aussi une baisse de leur productivité, mais aussi une
amélioration de la compétitivité vis-à-vis des Etats-Unis, ainsi que des
tensions sur le marché du travail. Des Etats-Unis s’annonce la crise qui va
venir quelques années plus tard en Europe. En 1968, l’Europe
communautaire supprime les droits de douane à l’intérieur du marché
commun, et met en vigueur un tarif extérieur tenant compte des
1362
J. WOLFF, « Histoire économique de l’Europe ». Même chapitre que note 1361.
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 653
exigences Américaines pour atténuer les effets du protectionnisme
Européen.
L’Angleterre attend la conférence de la Paix pour décider de la fixation des
frontières occidentales de la Pologne. A l’Est, les réformes agraires sont
nombreuses et diverses. Elles portent sur la dimension de la propriété,
son statut et les modalités de son transfert. En Bulgarie, la superficie
maximale de la propriété privée est fixée à vingt hectares ; en
Yougoslavie, quarante-cinq hectares, les terres des banques, des églises,
sont récupérées par l’Etat ; en Roumanie, cinquante hectares, sauf pour
l’Eglise, l’Etat. En Transylvanie, en Bohême, les propriétés allemandes
sont confisquées ; en Moravie, il s’agit des propriétés hongroises ; en
Slovaquie, les deux. En Pologne, des territoires sont perdus à l’Est.
L’expulsion des Allemands détruit tout naturellement les grands domaines.
En Pologne, les limites de la propriété privée sont aussi fixées à cinquante
hectares, sauf pour l’Eglise. Tous les paysans reçoivent au moins cinq
hectares de terres. La Pologne devient un pays de petits propriétaires :
c’est le communisme qui aura fait du secteur agricole (plus tard appelé
secteur de la consommation) un secteur de petite propriété. Les pays de
l’Est ont au moins cent cinquante ans de retard sur la France et
l’Angleterre. En 1945, la conférence de Potsdam fixe sur la ligne OderNeisse la nouvelle frontière occidentale de la Pologne, et confirme la
frontière orientale avec l’URSS le long de l’ancienne ligne Curzon. Les
économies des pays de l’Est sont maintenant organisées pour servir
l’URSS. Les échanges commerciaux entre eux sont réduits et les échanges
avec l’URSS augmentent à l’importation comme à l’exportation. L’URSS
pousse les nationalisations industrielles dans ces pays : en Pologne, l’Etat
assure 85% de la production industrielle. La Yougoslavie étatise 70% de
son industrie. En Allemagne de l’Est, on regroupe les deux cents usines les
plus modernes sous la coupe d’une société anonyme soviétique. En
Roumanie, l’Eglise et la maison royale se retrouvent expropriés (1947). En
Allemagne de l’Est, les entreprises laissées au secteur privé sont groupées
sous le contrôle de « comptoirs régionaux ». En 1947, Yougoslavie,
Pologne, Tchécoslovaquie, Hongrie, Albanie, Bulgarie, signent des traités
d’assistance mutuelle. En Hongrie et en Roumanie sont constituées des
sociétés mixtes, non nationalisées. En Hongrie, toutes les entreprises
individuelles de plus de cent ouvriers sont nationalisées (1948). Dès la fin
des années quarante, les pays de l’Est recourent à des plans
quinquennaux pour se coordonner avec le plan quinquennal soviétique. Le
Conseil d’assistance mutuelle (1949) regroupant Bulgarie, Hongrie,
Pologne, Roumanie, Tchécoslovaquie, URSS, est mis en place pour parer à
d’autres défections que celle de la Yougoslavie, dans le camp soviétique. A
la fin de 1950, en Allemagne de l’Est : l’alimentation de la population est
redevenue normale. La production de 1950 dépasse de moitié celle de la
Pologne et de la Tchécoslovaquie réunies. En 1951, en Allemagne de l’Est,
la propriété privée représente 20% de la production industrielle et 50%
des ouvriers. Les petits propriétaires terriens se multiplient du fait de
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 654
l’expropriation des domaines de plus de cent hectares ; ils sont
accompagnés par quelques sovkhozes et des kolkhozes. Les chars
soviétiques mettent fin au soulèvement ouvrier de RDA en 1953. La même
année, Grèce, Turquie et Yougoslavie forment le pacte balkanique. Les
exportations yougoslaves vers la Grèce sont multipliées par dix, vers la
Turquie par trois et de la Grèce vers la Yougoslavie aussi par trois. En
RDA, la baisse des salaires entre cependant en contradiction dans l’esprit
des gens avec les réformes annoncées : développement de l’industrie de
consommation, rétablissement du commerce avec la RFA. Un traité de
paix (1955) rend à l’Autriche son indépendance. Elle doit adopter une
position de neutralité, mais s’engage à livrer de la marchandise pendant
dix ans à l’URSS ; les biens de la Compagnie de navigation du Danube lui
sont restitués. En 1956, des manifestations ouvrières éclatent en Pologne.
Gomulka, emprisonné sous Staline, prend le pouvoir et engage des
réformes. Nagy, en Hongrie, ne peut poursuivre les siennes, car l’agitation
continue entraîne l’intervention des chars soviétiques sans la moindre
réaction occidentale. Le Comecon recommande à ses membres la
conclusion d’accords bilatéraux à long terme détaillés en accords annuels.
Comme en Europe de l’Ouest, il y a intégration de la production.
Cependant, à l’Ouest, la question monétaire est centrale : alors qu’à l’Est
il n’y a pas de monnaie… Cela tient aux régimes de la propriété privée et
du rapport entre travail et patrimoine privé, ainsi que de l’héritage. Entre
1957 et 1963, se déroulent divers assouplissements dans les pays
communistes. En Hongrie des entreprises sont regroupées en trusts. En
Tchécoslovaquie, des associations d’entreprises sont créées. En RDA, les
ministères industriels sont abolis, un niveau hiérarchique intermédiaire est
créé. En 1958, le Comecon adopte les prix mondiaux récents de 1957,
avec un an de retard. A partir de 1963, en Hongrie, l’entreprise ne reçoit
plus d’indicateur obligatoire, et est guidée par des régulateurs indirects.
La planification du commerce extérieur freine l’extension des échanges,
non seulement entre Etats socialistes : mais avec le reste de l’Europe. Les
pays socialistes ne vendent que parce qu’ils ont besoin d’acheter, leur
commerce extérieur tient une faible place dans le commerce mondial
(10% en 1967). En RDA, la politique visant à renforcer la construction
industrielle et à accélérer la croissance entre en contradiction avec la
décentralisation à partir de 1968/1969. La planification impérative est
abandonnée (Hongrie 1968). A la fin des années soixante, pour le
Comecon, le volume des échanges extérieurs est six fois plus élevé qu’en
1950. Chaque pays effectue de 35 à 50% de ses échanges avec l’URSS.
La part des machines et des équipements tend à s’accroître, et celle des
matières premières à diminuer. Les réformes connaissent des reculs
divers dès la fin des années soixante pour une période allant de dix ans
(Hongrie, jusqu’à 1979) à vingt ans (Roumanie, jusqu’en 1989). Pendant
la crise, les pays de l’Est vont s’enfermer dans leur modèle. Ce modèle,
parce qu’il est fermé, est retardateur d’une crise qui sera alors plus dure.
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 655
La période est marquée par la décolonisation. En 1946, pour la France,
c’est le début de la guerre d’Indochine. En 1947, l’Ethiopie recouvre son
indépendance vis-à-vis de l’Italie. En 1947 pour l’Inde, le Pakistan et la
Birmanie, s’annonce un régime de décolonisation pacifique dans l’Empire
britannique. La décolonisation britannique, en avance historiquement sur
celle de la France, est de plus pacifique. Par contre, entre les Pays-Bas et
l’Indonésie, il faut l’intervention de l’ONU pour que cesse l’insurrection
indonésienne contre la présence hollandaise. L’indépendance de l’archipel
est alors reconnue. En Chine, la proclamation par Mao Zedong de la
République populaire ferme cet immense pays à l’Occident. La Libye
obtient son indépendance, et réunit en un seul Etat le Fezzan, la
Tripolitaine et la Cyrénaïque, administrés par la France et la GrandeBretagne depuis 1943. En 1954, entre la France et l’Indochine, c’est le
désastre français de Diên-Biên-Phu. Il faut les accords de Genève pour
mettre fin à la guerre et à la présence française. Entre la France et le
Maghreb, on assiste au début de la guerre d’Algérie. Le Front de libération
nationale (F.L.N.) déclenche une insurrection anti-française dans tout le
pays. Le conflit algérien, qui durera huit ans, sera sanglant et désastreux
pour les deux pays. La décolonisation française est décidément moins
pacifique que la décolonisation anglaise. Entre Egypte, France, GrandeBretagne et Israël, intervient la crise de Suez. Le président égyptien
Nasser annonce la nationalisation de la Compagnie du canal de Suez. La
Grande-Bretagne et la France s’entendent alors secrètement avec Israël et
interviennent militairement, mais l’O.N.U. envoie ses troupes pour rétablir
le calme. Au Maghreb, la France reconnaît officiellement l’indépendance
de la Tunisie et du Maroc. En 1957, se séparant d’avec la GrandeBretagne et le Commonwealth, le Ghana est le premier Etat d’Afrique
noire à devenir indépendant. La Malaisie devient par contre un dominion.
La France se rattrape en Afrique Noire de ses erreurs en Algérie. En 1958
est déclarée l’indépendance de onze républiques d’Afrique noire dans le
cadre de la communauté française. En 1959, en Belgique, le roi Baudouin
reconnaît l’indépendance du Congo belge. Les Britanniques accordent
l’indépendance à Chypre. En 1958, c’est l’indépendance du Nigeria et du
Togo vis-à-vis de la Grande-Bretagne 1363. En France : l’indépendance du
Cameroun français. Une organisation groupant un certain nombre de pays
producteurs de pétrole (OPEP) est créée en 1960. Enfin, en 1962, par les
accords d’Evian la France reconnaît l’indépendance de l’Algérie ; c’est le
début de l’exode pour des centaines de milliers de pieds noirs qui devront
quitter ce pays là. En 1964, le conflit entre Chypriotes grecs et turcs
entraîne l’intervention des Casques Bleus de l’O.N.U. La Grande-Bretagne
reconnaît l’indépendance de Malte dans le cadre du Commonwealth. Dans
le même temps, en dehors de la décolonisation ou prenant appui sur elle
(il n’y a pas toujours eu « décolonisation » économique), certaines
tensions se rapportent aux matières premières et opposent Nord et Sud.
Les pays dits du Sud revendiquent le contrôle de leurs ressources
A. DE MOUCHERON, « Les 2000 dates qui ont fait l’Europe », Le Grand Livre du mois,
1990.
1363
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 656
naturelles et par là même, une amélioration de leurs termes de l’échange.
A partir de 1971, les compagnies pétrolières ayant, au cours des années
passées, accordé des conditions plus favorables aux pays producteurs, le
prix du pétrole est accru de 20% (février/avril 1971), puis à nouveau en
janvier 1972 et juin 1973. Il s’agit là d’un rattrapage, permis par
l’augmentation de la demande mondiale et la baisse de la production
Américaine qui a amené une hausse sensible.
TENDANCES INSTITUTIONNELLES :
Après la guerre, sont plus nombreuses et plus approfondies que par le
passé les propositions relatives à la création d’une Union européenne :
création de l’Union européenne des fédéralistes (1946), discours de
Churchill sur un plan de construction des Etats-Unis d’Europe, mouvement
socialiste pour les Etats-Unis d’Europe qui prévoit une planification des
industries de base et des investissements (1947), Ligue européenne de
coopération économique (1947), Nouvelles équipes internationales (1947)
d’inspiration chrétienne qui insistent sur l’aspect social de la construction
européenne, United Europe Movement (1947) qui envisage la participation
directe de l’Angleterre à la construction européenne. Ce mouvement
propose une confédération où certains adhéreraient pour des raisons de
défense, d’autres pour des raisons économiques 1364. En 1948, c’est la
naissance du Benelux. Grande-Bretagne, France et Benelux forment
l’Union de l’Europe occidentale. Enfin, l’Organisation européenne de
coopération économique (O.E.C.E.) est créée pour gérer l’aide du plan
Marshall pour seize pays : Grande-Bretagne, Irlande, France, Portugal,
Italie, Autriche, Suisse, Luxembourg, Belgique, Pays-Bas, Norvège, Suède,
Danemark, Grèce, Turquie. En 1949 a lieu la création du Conseil de
l’Europe, dont l’objectif est de favoriser l’intégration économique des pays
européens. En 1950, inspiré par Jean Monnet, Robert Schuman propose la
création d’une Communauté franco-allemande du charbon et de l’acier,
ouverte éventuellement à d’autres pays d’Europe. Il s’agit entre autres de
favoriser les investissements, ce qui implique la renonciation aux
discriminations et aux pratiques restrictives. En 1951 donc, France, RFA,
Italie, Belgique, Luxembourg et Pays-Bas signent le traité instituant la
Communauté européenne du charbon et de l’acier (C.E.C.A.), dont le
siège est au Luxembourg. Jean Monnet préside le tout. La C.E.C.A. entre
en vigueur en 1952 : c’est une union douanière entre contractants, une
communauté supranationale dotée des attributs de la souveraineté. Elle
décide de réaliser un marché économique fondé sur la libre circulation des
marchandises et des hommes, de conclure des traités d’associations avec
J. WOLFF, « Histoire économique de l’Europe ». QUATRIEME PARTIE – I. CHAPITRE
XVI – Les débuts de l’intégration économique en Europe de l’Ouest (1945-1957). P. 541545.
1364
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 657
des Etats tiers. En 1955, la conférence de Messine réunissant les Six de la
C.E.C.A. pose les bases de l’établissement du Marché commun européen.
Elle décide d’entreprendre l’étude de l’établissement d’un réseau européen
unique exclusif des droits de douane et de restrictions quantitatives,
devant être réalisé par étapes, et elle recommande l’harmonisation des
législations sociales. Puis, en 1957, c’est le traité de Rome, qui envisage
sérieusement l’intégration des marchés de marchandises (sur douze ans),
de services, de capitaux, leur libre circulation ainsi que celles des
personnes, travailleurs ou touristes. La C.E.E. a pour objectif de
coordonner les politiques économiques des pays européens. Les pays
signataires restent au nombre de six. En 1958 sont mises en place les
institutions de la C.E.E. : la Commission européenne, et le Conseil des
ministres. En 1967 les exécutifs des trois communautés européennes, y
compris celle du charbon et de l’acier, fusionnent.
L’Europe dès lors qu’elle existe a aussi des extensions : recentrage et
alliances stratégiques résument cette émergence de l’interlocuteur
Europe. Dans l’esprit du traité CEE, il s’agit de réaliser progressivement
une grande zone de libre-échange euro-africaine. La première convention
de Yaoundé (1963/1964) apporte un changement : le principe du libreéchange n’est plus prévue qu’entre la CEE et chacun de ses partenaires
devenus indépendants. L’Europe se recentre : elle établit des liens
privilégiés avec les pays du Maghreb, et des accords limités avec d’autres
Etats au sud et à l’est de la Méditerranée. Les pays d’Europe apprennent
la dépendance conjointe et profitent de la forte croissance, investissent
dans les institutions communes. Entre 1960 et 1970, les importations de
la France en provenance de la Communauté passent de 35 à 56% de ses
importations totales (39 à 52% pour l’Allemagne, 37 à 47% pour l’Italie),
les exportations de 38 à 58% (de 40 à 50%, de 40 à 52%). Les relations
avec le Japon sont limitées avant 1970. Quant aux pays de l’Est, ils
manifestent leur hostilité jusqu’en 1972, puis reconnaissent enfin la C.E.E.
à partir de la crise des années 1970. La C.E.E. passe des accords
sectoriels (sidérurgie, textile) avec plusieurs pays. En 1971 est institué le
système de préférences généralisées avec le Tiers monde, traitement
tarifaire préférentiel pour les importations de produits manufacturés en
provenance des pays en voie de développement afin de favoriser leur
développement industriel. Il s’agit d’une dérogation à la clause de la
nation la plus favorisée : aucune réciprocité n’est demandée. Les textiles
posent davantage de problèmes en raison du lien entre cette industrie et
la stabilité des tissus sociaux nationaux.
La Grande-Bretagne refuse de prendre part à la création de la C.E.E. de
1957 et lance, pour la concurrencer, le projet d’une association
européenne de libre échange : ce qui ne gâche cependant rien à la fête…
C’est toujours de rapprochement économique qu’il s’agit, même s’il s’agit
uniquement d’échanges et non de production, ce qui impliquerait dans ce
dernier cas un partage des facteurs et de l’information plus étroit (Ici, il
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 658
n’y a aucune politique commune). L’A.E.L.E. lancée par la GrandeBretagne en 1960 est limitée aux produits industriels, les produits
agricoles faisant l’objet d’un système partiel de contrats bilatéraux. Elle
regroupe Grande-Bretagne, Suisse, Autriche, Portugal, Danemark,
Norvège, Suède. En 1963, De Gaulle s’oppose à l’intégration de la GrandeBretagne dans le Marché commun, à cause de conditions d’entrée
extravagantes. Sauf pour l’agriculture, il n’y a cependant pas non plus en
Europe communautaire de politique commune à l’exportation…
Après 1945, la croissance – et donc l’emploi – a été en effet obtenue
prioritairement par les échanges extérieurs. Ceux-ci ont permis un
accroissement de la productivité et du revenu par tête. « Le marchand et
le producteur supplanteront le guerrier en répandant la prospérité par
application de règles simples : fabriquez beaucoup d’objets utiles,
échangez-les à leur prix. Le monde connaîtra le bonheur ». Cette idée du
XIXe siècle s’est trouvée appliquée au XXe en Europe.
L’ouverture aux échanges matériels extérieurs se fait conjointement à une
meilleure relation entre les générations à l’intérieur du pays et de la
société. C’est une des façons de dépasser « l’état stationnaire » auquel
auraient été condamnées les économies selon les classiques 1365. Ainsi, des
systèmes de sécurité sociale sont instauré à partir de 1945, en Angleterre
et ailleurs. La boucle vertueuse fordienne, notamment, associe de façon
étroite effort d’investissement, croissance de la demande et essor de la
productivité (R. BOYER et P. RALLE (1986), R. BOYER et P. PETIT (1981)).
1366
Après la guerre, le droit est reconnu à l’URSS de procéder librement aux
enlèvements qu’elle juge nécessaire dans sa zone en Allemagne.
L’Allemagne avait confisqué en URSS les entreprises pétrolières, les
sociétés de navigation danubienne et les principales entreprises
industrielles du pays. En 1945 : partage de l’Allemagne en quatre zones
d’influence (américaine, soviétique, britannique et française), et partage
de la ville de Berlin, enclavée dans la zone soviétique, en quatre secteurs.
Un Conseil de contrôle quadripartite est chargé de limiter la puissance
industrielle du pays, tout en assurant sa démilitarisation et sa
dénazification. La zone française peut subsister par ses propres
ressources, tandis que les habitants des zones anglaise et Américaine sont
entretenus par leurs occupants. C’est le partage de l’Allemagne qui
continue… plus pour longtemps. En 1946, l’Angleterre et les Etats-Unis
invitent la France et l’URSS à se joindre à la réunification économique de
l’Allemagne, mais se heurtent à un refus. En 1954, l’Allemagne retrouve
D. RICARDO, « Principes de l’économie politique et de l’impôt », (1817), traduction
française en 1847 par SOLANO CONSTANCIO et FONTEYRAUD.
1366
R. BOYER, « Le bout du tunnel ? Stratégies conservatrices et nouveau régime
d’accumulation », Economies et Sociétés, Série Théorie de la Régulation, n°5, Décembre
1990.
1365
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 659
sa pleine souveraineté1367. Mais il faut aussi au moteur économique de
l’Europe qu’est l’Allemagne en puissance une pleine et entière propriété
d’elle-même pour que le système d’Europe Occidentale, basé largement
sur la propriété privée, puisse fonctionner ! Le Conseil de l’Union de
l’Europe Occidentale est constitué en 1954. Les puissances du Traité
remanié coopéreront avec l’OTAN. L’Angleterre adhère au Conseil. Après
trente-six ans de partage matériel et territorial de l’Allemagne, on
s’apprête à partager autre chose : la croissance et l’information.
L’intégration des économies européennes est un phénomène nouveau. Il
n’y a pas d’ailleurs, seulement développement des échanges entre ces
pays, mais intégration de la production : donc une intégration des
informations très en amont du processus économique endogène de
production. La convergence réelle des économies européennes mesurée à
leur PIB par tête est régulière depuis 1950. Elle était en œuvre dès 1880
si l’on considère un noyau plus restreint de quatorze pays, noyau
représentatif du cœur de l’unification européenne 1368. L’alternance de
phases de convergence et de divergence a résulté aussi bien du
renforcement ou de l’affaiblissement des mécanismes endogènes que de
l’ampleur variables des chocs asymétriques. Les deux guerres mondiales
ont engendré le maximum de tels chocs asymétriques suivies par les
années trente. Depuis le milieu du XXe siècle, a lieu la tentative d’une
intégration basée sur la coopération, incorporant l’économie anglaise
jusque là hostile à cette idée. Cette coopération est un saut qualitatif et
quantitatif. C’est dû aussi à une économie où le partage et le traitement
de l’information sont devenus plus importants, ainsi qu’au recentrage de
l’Europe sur elle-même. Les Trente Glorieuses représentent la seule
période continue de convergence. C’est un fait structurel, un élément
fondamental à prendre en compte du cycle long sur la structure des
échanges et de la production.
Instruits pour partie par l’expérience des suites de la Première Guerre
mondiale, les gouvernements européens (et Américain) ont entrepris le
passage à une économie de paix différent de celui des années vingt, et
l’ont mené de manière relativement rapide en utilisant des solutions
originales tant sur le plan interne qu’externe. La Conférence des ministres
des affaires étrangères qui réunit seize pays à Paris en juin-juillet 1947,
décide d’établir une politique étroite de collaboration économique pour
hâter le redressement. Un halo d’organisations, à but d’information, de
défense, d’illustration de grands principes éthiques qui doivent guider la
construction européenne, chapeautées en partie par les Etats-Unis,
s’instaure : la grande nouveauté est le dialogue entre pays européens.
C’est un filet protecteur de la construction européenne. L’OECE (avril
1948) résume bien ce halo. Hormis l’Espagne et l’Allemagne (avant 1949),
les pays occidentaux sont tous inclus. L’orientation est économique en
J. WOLFF, « Histoire économique de l’Europe ». Même chapitre que la note 1361.
P-Y. HENIN, Y. LE PEN, « Les épisodes de la convergence européenne », Revue
économique, vol. 46, n°3, mai 1995, p. 667-677.
1367
1368
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 660
direction du libéralisme. Le Traité de l’Atlantique Nord (avril 1949) prévoit
aussi une collaboration économique à travers un comité de défense
économique chargé de coordonner l’aspect économique des actions des
Etats membres en matière de défense. En septembre 1952, le Conseil de
l’Europe
recommande
la
constitution
d’une
zone
économique
préférentielle, englobant les pays du Conseil de l’Europe, leurs territoires
d’outremer et le Commonwealth britannique. Nul ne doit être écarté
arbitrairement d’un mouvement dont la structure est pacifique. En 1954,
en Europe occidentale, on salue la création de l’Union de l’Europe
occidentale (les Six et la Grande-Bretagne), qui se donne comme objectifs
la collaboration économique, sociale et culturelle et la légitime défense
collective. En 1958, l’Organisation de Coopération et de Développement
Economique (O.C.D.E.) remplace l’O.E.C.E. Elle inclut les Etats-Unis et le
Canada, et est chargée d’harmoniser les politiques économiques
européennes.
Autour de ce halo en est constitué un autre, international voire mondial.
L’Organisation des Nations Unies (ONU), en juin 1945, remplace la SDN,
avec comme objectif de « préserver les générations futures du fléau de la
guerre ». Cela aura un impact important sur l’Europe qu’il a fallu couper
en deux. Cela montre que tous ses problèmes et leurs fondements
économiques, dans un continent construit sur l’individualisme, ne sont pas
résolus !
Hongrie, RDA, Tchécoslovaquie ont connu un déficit de main d’œuvre
résultant d’une structure économique différente de la structure d’URSS qui
a au contraire pu utiliser la main d’œuvre de façon extensive. En Europe
de l’Est se fait jour l’incitation à utiliser plus de capital. Le taux
d’investissement s’est fortement accru depuis 1950. Dix ans après déjà
cela est freiné car les employés soviétiques ayant des garanties d’emploi
(absence de risque), et guère d’incitations à mieux faire (absence de
rentabilité), ne sont pas encouragés… Les vingt années d’expansion
économique des pays européens ayant commencé en 1953/1954, sont
marquées dans les économies socialistes par un ralentissement progressif
du rythme de croissance. Leur système, replié sur lui même, a du mal à
faire passer des réformes. Celles-ci s’étendent néanmoins de 1959 à
1968. Mais on n’arrive pas à passer de façon décisive à un modèle de
croissance intensive basé sur l’innovation. Le développement apparaît dès
lors plafonné. La réforme du commerce et de l’agriculture a lieu dans les
années 1960/1967. Pour le commerce de détail des biens de
consommation, il y a simplification des indices planifiés imposés aux
magasins. En 1970, les réformes des pays socialistes se trouvent dans
une impasse, car elles ont été plaquées sur un système de direction et de
planification qui est resté inchangé. En Hongrie, la productivité du travail
et le développement technologique ne sont pas accélérés. Or, dans ces
pays, la contrainte extérieure joue à partir des années 70, et s'exprime
par la détérioration du solde de la balance commerciale. Les pays de l'Est
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 661
seront cueillis comme un fruit mûr, plus tard. Peut-être la période
communiste a-t-elle été une parenthèse utile pour protéger des pays qui
n’étaient pas à un niveau de développement économique et à un niveau
de développement des institutions – absence de propriété privée pour le
tout-venant – leur permettant de commercer sans dommage avec
l’extérieur. On a vu dans quels conflits et dans quels dommages s’est fait
le développement d’un pays comparativement beaucoup mieux armé,
l’Allemagne, au travers de décennies de « protectionnisme éducatif », et
sans avoir pu éviter un partage de son territoire donc de sa propriété.
Cela est à mettre en rapport avec les relations entre monnaie,
information, rapport
production/échanges,
rapport
salaire
du
travail/revenu permanent venant du patrimoine privé. L’évolution des
pays d’Europe de l’Est représente à certains égards une énigme pour
l’Europe, mais elle a connu aussi, au-delà de son filet de protection
systémique spécifique, des avancées au regard de l’histoire économique
de l’Europe toute entière (avancement du thème de la propriété privée
dans le secteur gouverné par les prix, le secteur agricole) à travers ces
quelques périodes.
LE RÔLE DES CRISES ET DES RECESSIONS :
En 1945, Pologne et Russie européenne sont de véritables champs de
ruine : leur potentiel industriel et les voies de communication sont détruits
à 70%. L’Allemagne ne se trouve pas mieux, mais a conservé une bonne
partie de ses grandes entreprises (mines, textiles, essence, caoutchouc).
A l’Ouest, la France a le plus souffert, contrairement à l’Italie. Anglais et
Français se sont aussi très lourdement endettés auprès des Etats-Unis. Ils
se trouvent en grande part moralement responsables du bon déroulement
de la reconstruction.
En 1948/1949, les Etats-Unis connaissent une récession marquée par la
décélération de la demande de biens de production. Et les pays européens
en subissent l’impact à travers un plafonnement de leur production
industrielle.
A l’occasion d’une crise militaire – la guerre de Corée – et du démarrage
économique subséquent de l’Europe – en particulier mené par le moteur
industriel allemand – et du Japon, la « Triade » se constitue entre un pôle
Américain, un pôle Européen et un pôle Asiatique. En 1958, une récession
est vite surmontée. 1953-1973 signe une période de croissance presque
continue. Mais à l’Est, les pays structurellement fermés connaissent une
chute de croissance, puis s’ouvriront un peu plus, accueillant alors des
déséquilibres extérieurs, qu’ils ne peuvent pas encore supporter, étant
fermés comme tout Etat totalitaire à la notion de crise. La situation
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 662
économique est parallèle à la situation idéologique. Nous croyons que ce
n’est pas étranger à l’institution centrale du développement humain qu’est
la propriété privée et son mode de gestion.
A l’Ouest, un ralentissement en 1961 est suivi par une reprise dès 1962.
Le doublement des prix des matières premières et des produits agricoles,
en 1972, annonce la fin de l’expansion structurelle ainsi que le début de la
dépression structurelle. Les termes de l’échange entre pays, et aussi les
termes de l’échange entre produits ou secteurs, ainsi des produits
financiers et du système d’assurance d’un côté, de la régulation par les
salaires au milieu, des produits matières premières de l’autre côté, au
travers de grands phénomènes de pompage ou de déversement le long
des périodes KONDRATIEFF : tout cela doit être analysé pour forger une
théorie opérationnelle.
LE RÔLE DE LA CROISSANCE :
L’importance de la croissance pendant deux décennies est à noter. Elle a
pris sa lancée à l’occasion de la guerre de Corée, c’est-à-dire comme une
conséquence des dépenses militaires Américaines. A cette cause externe à
l’Europe de la croissance (guerre et Etats-Unis), s’ajoute une cause
interne à l’Europe. Celle-ci est liée au commerce. Le marché commun fut à
l’origine d’une des phases de croissance les plus importantes que la
France ait connues. Les marchés des produits et des facteurs accroissent
leur interdépendance. C’est une période d’augmentation de la cohésion du
modèle, un véritable cercle vertueux. Il existe toutefois, alors, une
hiérarchie entre les économies, acceptée car tous en profitent.
L’Allemagne de l’Ouest arrive en tête des possibilités de croissance, grâce
à l’élasticité de son offre de travail, l’absence de tensions dues aux excès
de l’investissement ou de la dépense publique, et une forte productivité du
travail. L’Italie par contre s’attache à former sa réserve de main d’œuvre.
LES POLITIQUES EUROPEENNES SECTORIELLES
ET REGIONALES DEPUIS 1957 :
Ces belles cohérence et cohésion permettent de démultiplier les politiques,
de décliner la croissance dans tous les secteurs économiques. La première
politique européenne sectorielle concerne l’agriculture. En 1958, la
conférence agricole des six à Stresa (Italie) parle d’accroître la
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 663
productivité agricole, de stabiliser les marchés, tout en maintenant des
prix raisonnables aux consommateurs et un niveau de vie correct pour les
producteurs. Il faut organiser le marché à l’échelon européen, et prévoir
des fonds agricoles. Les Etats membres parviennent à un consensus sur la
protection du marché intérieur, le lien entre politiques des prix et des
structures, et la sauvegarde des exploitations. Le Néerlandais Mansholt
préconise une diminution des surfaces cultivées et du nombre des
agriculteurs en Europe, prenant effet en 1967. La liberté de circulation des
produits et la préférence communautaire sont décidées. La protection du
marché agricole voisine avec l’ouverture – soumise à nuances – d’une
industrie européenne relativement dominante dans le monde – avec
quelques autres pays bien sûr -. L’application du plan Mansholt provoque
quand-même de vives réactions dans le monde agricole européen. A la fin
des années soixante, quelques problèmes se posent : commerciaux du fait
de l’apparition d’excédents, sociaux car la parité de revenu pour les
agriculteurs n’est pas assurée. Le budget le plus important de toutes les
politiques sectorielles est aussi celui consacré à la politique agricole
commune. Cette politique budgétaire de nature redistributive a été
complétée par divers fonds structurels, elle représente presque les trois
quarts du budget.
L’esprit de la construction européenne est illustré à partir de 1957. Il
s’agit d’une intégration progressive, comparable à ce qu’avait été le
Zollverein pour l’Allemagne un siècle plus tôt. C’est une véritable politique
douanière et fiscale. L’harmonisation, puis l’uniformisation, des législations
douanières nationales, sont effectuées de 1958 à 1961, puis en 19681969. Elles portent sur la valeur en douane, la définition de l’origine, le
transit communautaire. Des clauses de sauvegarde sont prévues pour
atténuer les difficultés sectorielles et régionales. Le principe structurant
pourrait être la prise en compte et le dépassement des déséquilibres liés à
l’ouverture, par plus d’ouverture en même temps que par un réel
approfondissement, permettant de se donner les moyens de cette
ouverture en trouvant des ressources en soi : la croissance intensive
s’appuie sur la gestion des crises successives ainsi que des périodes
d’expansion, ce qui permet de répartir les innovations sociales,
technologiques, organisationnelles, politiques. Cela renforce par
conséquent l’identité commune. La suppression des frontières fiscales et
l’harmonisation des impôts indirects sont prises en considération. On
souhaite mettre fin aux manipulations de compensation fiscale aux
frontières, puis éliminer les frontières fiscales dans les échanges entre
Etats membres. La règle de neutralité fiscale édicte qu’une seule taxe sur
le chiffre d’affaires est appliquée, celle du pays de consommation. Les
contingents disparaissent assez rapidement. Pour les produits industriels,
elle est complète fin 1961. Le tarif douanier commun est mis en place. Le
tarif est peu élevé, variable suivant les catégories de produits, et de
dispersion limitée. Des exceptions ont lieu (sel, soufre, bois, vins, alcools).
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 664
L’élimination des droits de douane en Europe communautaire, pour les
produits industriels, est réalisée avant les échéances prévues.
L’Europe sociale commence avec les premiers objectifs du Traité de Rome.
La C.E.E. prévoit la liberté d’établissement et de prestation de services. En
1958 est créé le Fonds social européen (promotion de l’emploi, de la
formation et de la mobilité professionnelle) 1369. Mais c’est tout au plus une
chambre de péréquation remboursant aux Etats membres jusqu’à la
moitié du coût des projets de réadaptation de la main-d’œuvre réalisée
par des organismes publics. La libre circulation des travailleurs est plus ou
moins réalisée dès 1968. On décide d’abolir toute discrimination fondée
sur la nationalité. En 1972, un nouveau fond a pour but de sélectionner
les projets sur la base de critères définis au niveau communautaire
(formation professionnelle, réinsertion de travailleurs).
Dans le domaine énergétique, en 1962 la Communauté européenne opte
pour un marché ouvert afin d’obtenir le meilleur prix pour l’énergie.
Une politique de recherche-développement s’amorce en 1963 en Europe
communautaire : elle s’exprimera dans la volonté du Conseil de l’Europe
de créer des conditions favorables à la recherche, ainsi que des projets de
coopération (dans les télécommunications).
Les fonds régionaux ou « fonds structurels » : renvoient à la volonté de
bâtir l’Europe des régions. En Europe de l’Est, les approches sectorielles et
régionales se sont succédées, c’est plus fermé, en Europe Occidentale
elles ont cohabitées : signe d’un système plus ouvert ou ayant plus de
moyens. Dans les années 1960, l’écart de revenus entre régions à l’Ouest
va de un à cinq.
Une réflexion sur des problèmes de politique industrielle en Europe, prend
place avant 1970 : fixation des droits du tarif douanier, structures
économiques. Mais, après la PAC et les fonds régionaux, une politique
industrielle digne de ce nom peine à émerger comme troisième pilier de la
politique européenne. La politique de recherche & développement est
faible comparée à celle des Etats-Unis. C’est un début.
La politique de l’environnement (1972) a pour but d’introduire
l’environnement dans l’ensemble des politiques, et de tenir compte de la
dimension extra-communautaire. Ce peut être une issue pour la
réconciliation de l’Europe avec elle-même, source de sa cohésion, a
travers la notion de développement durable qui lierait encore plus
étroitement le développement économique de l’Europe au développement
planétaire.
J. WOLFF, « Histoire économique de l’Europe ». QUATRIEME PARTIE – I. CHAPITRE
XVIII – La Communauté économique européenne – Les premiers développements d’un
marché libéral et concurrentiel (1958-1973) – P. 559-568.
1369
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 665
LES
DIFFICULTES
EUROPEENNE :
DE
LA
CONSTRUCTION
La construction économique européenne a néanmoins connu des déboires.
La Communauté Economique Européenne est en effet un espace
économique qui dans une large mesure, n’est ni homogène dans ses
structures et les comportements de ses agents, ni cohérent dans ses
parties, ni même animé d’un but identique. D’où les difficultés de
réalisation d’une politique économique et financière commune, et les
blocages de fonctionnement. Les tensions, les contradictions et les
blocages naissent nécessairement de cette coexistence qu’aucun
mécanisme de marché, qu’aucune politique globale économique et
monétaire ne sont susceptibles de résorber automatiquement.
Les réévaluations fiscales montrent la possibilité de manipulation de la
règle de neutralité fiscale fixée dans les pays de l’Europe communautaire,
aussi les frontières fiscales persistantes empêchent la réalisation d’un
véritable marché intérieur. D’où l’idée d’avoir, dans les Etats membres
autres que la France, une taxe unique, ou TVA, pour le 1 er janvier 1970.
Pour les monopoles nationaux à caractère commercial (tabac et allumettes
en France, régime d’importation des produits pétroliers), les Etats
membres font preuve d’un moindre empressement à faire disparaître les
contingents, dans les années soixante. Cela provoque le déclenchement
de procédures pour infractions. L’élimination des taxes d’effet équivalent
aux droits de douane s’avère difficile vers la fin des années soixante. Les
distorsions fiscales européennes illustrent le manque d’homogénéité et
invitent à la réflexion.
Pour la liberté d’établissement et la libre prestation des services, le
principe est celui de la suppression des restrictions avant le 1 er janvier
1970. Mais il y a de nombreux obstacles : par exemple la reconnaissance
mutuelle des diplômes. Les mentalités restent différentes, ce qui est un
aspect important du manque d’homogénéité.
La C.E.E. s’est fixée un objectif de politique commune des transports.
C’est un des points délicats, car il existe de très fortes discriminations et
différences à l’intérieur de chaque pays entre secteur public (par exemple
en France la S.N.C.F.) et secteur privé (les camionneurs) dans ce
domaine, ainsi qu’entre chaque pays. C’est un sujet sensible aussi puisque
touchant à la logistique, la chaîne de valeur de l’Europe, la représentation
du territoire lequel est sensé devoir protéger chaque citoyen.
La politique commune à l’importation en Europe communautaire fait
l’objet d’une longue mise en place. Cela touche en effet au
protectionnisme, qui peut s’exprimer sous formes de normes sociales ou
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 666
environnementales. Politiques de larges concertations : Japon, Suisse,
R.F.A. Ces pays, tout en accentuant leur pression économique et
financière sur le marché mondial, ont protégé de diverses façons leurs
espaces économiques et financiers internes des perturbations externes,
aux moyens de règlements sanitaires, et diverses normes de qualité.
Depuis plusieurs périodes s’est instaurée une « guéguerre » entre EtatsUnis et Europe s’accusant mutuellement et périodiquement de
protectionnisme. C’est donc un enjeu important.
En Europe communautaire, les produits et services destinés à satisfaire les
besoins du secteur public échappent largement à la libre circulation des
marchandises. La directive de 1971 est alors relative aux travaux ; elle
coordonne les procédures nationales de passation des marchés publics, et
introduit un minimum de règles pour les marchés dépassant un certain
seuil.
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 667
STRUCTURES
SOCIALES
D’ACCUMULATION / 1945-1973 :
PERIODE EXPANSIVE :
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 668
KEYNESIANISME, GESTION HARMONIEUSE DE
L’OUVERTURE PROGRESSIVE DES ECONOMIES
AVEC UN RÔLE ECONOMIQUE POUR L’ETAT.
FIN
DU
CONFLIT
OUVERT
« LIBREECHANGE/PROTECTIONNISME », QUI ASSURE
UNE STABILITE SOCIALE. RETRAITES PAR
REPARTITION, SECURITE SOCIALE.
CONSTRUCTION
DU
MARCHE
COMMUN :
HARMONISATION ENTRE EXPANSION DE LA
PRODUCTION ET EXPANSION DES ECHANGES
AVEC
DES
CONSEQUENCES
MONETAIRES
VERTUEUSES.
FORDISME, REGULATION DE L’EXPANSION DE
L’ERE DE LA CONSOMMATION. ECONOMIE
SOCIALE DE MARCHE.
PAX
AMERICANA
ET
ETALON-DOLLAR,
ETALON-«GRAND
MARCHE »
(AVEC
LES
EFFETS
D’ECHELLE,
DE
PRODUCTIVITE,
D’INFORMATION, Y AFFERANT).
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 669
A
L’EST, ALLIANCE DE L’EXPANSION DE LA
PROPRIETE PRIVEE DANS LE SECTEUR DE
L’AGRICULTURE AVEC LA GARANTIE DE
L’EMPLOI DANS LE SECTEUR DE L’INDUSTRIE
CE QUI PERMET DE CREER DES CIRCUITS
POSITIFS EN INTERNE. MAIS GESTION DE
L’INFORMATION ET DE L’EXTERNE NULLE AVEC
ATROPHIE DU COMMERCE EXTERIEUR, CE QUI
ENTRAÎNE
UN
NON-DEVELOPPEMENT
DE
L’INSTITUTION MONNAIE MESURANT LES
ECHANGES, ET UN DECLIN PROGRAMME,
QUOIQUE REPORTE TANT QUE LE SYSTEME A
LA FORCE DE DONNER LE CHANGE EN
INTERNE. EN FAIT LE DESEQUILIBRE EST ICI
INTERNE ET NON EXTERNE, ALORS QUE LA
CROISSANCE
EST
EXTENSIVE
ET
NON
INTENSIVE. LES SYSTEMES DE L’EST ET DE
L’OUEST SE REGARDENT A TRAVERS UN
MIROIR MAIS PARTICIPENT DE LA MEME
HISTOIRE.
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 670
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 671
III.2)
1973-1996
DEPRESSIVE :
LES
INVENTIONS
ET
TECHNOLOGIQUES :
-
LES
PERIODE
INNOVATIONS
Les inventions se multiplient dans l’informatique et dans les transports.
Ainsi, les premiers micro-ordinateurs apparaissent. En 1974 est inventée
la carte à mémoire, en 1979 le Compact-Disc. En 1981 est inauguré en
France le Train à Grande Vitesse. En 1988 débutent les travaux de l’eurotunnel entre France et Grande-Bretagne 1370. En 1987, Berndhorz et Müller
mettent au point une nouvelle classe de matériaux supra-conducteurs.
LES TENDANCES GENERALES EN TERMES DE PRIX
ET DE SALAIRES. LA CONSTITUTION DES
CIRCUITS.
LES
RELATIONS
ENTRE
DEMOGRAPHIE ET ECONOMIE :
A partir de 1973, on attaque un cycle de KONDRATIEFF descendant.
L’inflation, qui se déchaîne à partir du choc pétrolier, sera rapidement
vaincue : en France, à partir du tournant de la rigueur en 1982-1983.
Mais les circuits vertueux prix-salaires mis en place lors de la période
précédente ne fonctionnent plus. L’inflation est devenue structurelle.
L’Etat Providence sert cependant, de 1974 à 1978, d’ « Etat Assurance » :
les politiques keynésiennes permettent de retarder de quatre ans la
période pendant laquelle le retournement de la conjoncture a un effet
pessimiste sur les revenus.
A l’Ouest de l’Europe, l’indice de fécondité, compris entre deux et trois
avant 1963, est inférieur à deux. La population est devenue stationnaire.
En Europe de l’Est, le remplacement des générations est assuré : en 1980
le taux de fécondité est supérieur à deux sauf en R.D.A. A la fin des
années 1980, les pays de l’Est de l’Europe sont en tête pour le nombre
A. DE MOUCHERON, « Les 2000 dates qui ont fait l’Europe », Le Grand Livre du mois,
1990.
1370
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 672
d’enfants mis au monde, et en queue pour la mortalité. Mais depuis 1989,
la natalité diminue dans tous les pays sauf en Lituanie. En Allemagne de
l’Est, c’est l’effondrement. Le nombre des mariages y est divisé par trois
au début des années 1990. L’espérance de vie, à cause de l’alcoolisme, de
la pauvreté et du non versement des retraites, diminue. 5% de la
population est-allemande gagne l’Ouest en 1989/1990. Des Allemands de
souche immigrent en provenance d’Europe centrale et orientale. 0,4
million de demandeurs d’asile arrivent à l’Ouest en 1988/1990. Les pays
ayant les meilleurs systèmes de protection sociale (Autriche, Allemagne,
France, Suède, Suisse), attirent au total plus de quinze millions de
personnes1371. Cela explique largement l’augmentation de la population
européenne dans les années 1980.
LES STRATEGIES NATIONALES. LE MODELE
ALLEMAND.
LE
« OUI
MAIS »
DE
L’ANGLETERRE A L’EUROPE. LA SITUATION DE
LA FRANCE :
La France et l’Allemagne n’arrivent pas à se coordonner : à l’Allemagne
plus de chômage, à la France plus d’inflation, pendant les années
soixante-dix. Après 1989, la réunification allemande ne sera pas étrangère
à un ralentissement de cette économie.
En 1982, en Grande-Bretagne, se déroule une guerre contre l’Argentine
pour la défense des îles Malouines. Pendant cette période, l’Angleterre a
renoncé à cinquante ans de travaillisme qui en avait fait le pays
socialement le plus à gauche d’Europe, pour adopter la politique très
libérale de Mme Thatcher. Cela accentue le clivage britannique sur
l’Europe. Le slogan de Mme Thatcher est « I want my money back ».
En 1978, entre la France et les Etats-Unis, l’avion Airbus, construit par un
consortium européen, a trouvé un client aux Etats-Unis : la compagnie
Eastern Airlines. A partir des années 1982/1983, la France prend le
tournant de la rigueur, ce qui lui fait pleinement endosser la politique
économique d’alliance avec l’Allemagne. La solidarité suit jusque dans la
réunification allemande. La France veut se sortir de la crise par l’Europe.
J. WOLFF, « Histoire économique de l’Europe ». QUATRIEME PARTIE – II. Croissance
ralentie. Disparition d’un régime économique. Accélération de l’intégration des économies
européennes (1974-1996) – CHAPITRE I – Les années difficiles – p. 571-575.
1371
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 673
LE
PARAPLUIE AMERICAIN. LES MOUVEMENTS
AUX FRONTIERES DE L’EUROPE (REGRESSION
RUSSE). LES MOUVEMENTS DANS LE MONDE
ELOIGNE (DONT LA TURQUIE) :
Avec les Etats-Unis, on a vu une suite de conflits dans le secteur agroalimentaire (1974, 1986, 1991, 1993), la PAC étant jugée trop
protectionniste puis trop offensive. Ce furent aussi des conflits dans la
sidérurgie (1983/1992), l’aéronautique, les textiles et les marchés publics,
enfin la culture (1989). Depuis 1989 a pourtant lieu une politique de
coopération commerciale. Les Etats-Unis, relativement peu touchés par la
crise (pas de chômage à part dans les seules années soixante-dix), sont
un partenaire de l’Europe qui veut elle aussi devenir un « grand
marché » : avec tous ses avantages induits (effets d’échelle, productivité,
relance coordonné de l’économie). Des divergences commencent à se faire
remarquer entre les « modèles » Américain et Européen : plus social et
plus environnemental pour le second, le premier étant plus productiviste
mais restant le moteur essentiel de l’économie mondiale. Cependant, la
place des Etats-Unis en matière d’échanges de biens et de services a
considérablement diminuée ces trois dernières décennies.
En RDA, en 1975, est introduit un système de comptabilité analytique
doublé d’un effort d’informatisation des entreprises. A travers la crise qui
a aussi touché les pays de l’Est (c’est une crise de civilisation), l’Est
Européen cherche à conquérir une croissance plus intensive, plus
analytique. En 1980, en Pologne, a lieu la création de Solidarnosc, sous
l’autorité de Lech Walesa. En 1982 en Hongrie, intervient une première
légalisation des activités économiques privées. La « chute » du régime
communiste de 1989 a été soigneusement préparée économiquement
pendant toutes les années quatre-vingt, qui elles mêmes suivaient la crise
des années soixante-dix et le début de rapprochement et de
reconnaissance de la part de « l’Europe » Occidentale, et qui elles mêmes
suivaient les réformes des années soixante. Ces réformes avaient été
avortées, ce qui a alors été suivi par un début d’ouverture des pays de
l’Est lesquels, ne pouvant être réformés jusqu’au bout de l’intérieur, se
devaient désormais de s’ouvrir complètement, et de sacrifier leur système
fermé. La date symbolique de 1989, deux siècles après la révolution
française, a certainement représenté quelque chose pour toute l’Europe.
C’est à l’Est, économiquement, le début d’une période de turbulence,
l’ouverture créant aussi des déséquilibres, mais cette période est à
replacer dans toute l’histoire économique de l’Europe de l’Est. C’est, enfin
dans ces pays, le triomphe de la société ouverte, ce qui économiquement
conduit à prendre pleinement en compte de nouveaux facteurs : les
échanges d’information, et la monnaie de crédit (voir « Histoire Monétaire
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 674
de l’Europe, 1800-2007 » 1372). La planification impérative est abandonnée
(Pologne 1982). En Hongrie, entre 1984 et 1989, sont mises en place la
plupart des institutions d’une économie de marché : régulation de l’emploi
(1984), allocation chômage (1988), libéralisation de l’accès des
entreprises au commerce extérieur (1988). Les lois sur les sociétés
prennent place en 1984 et 1988 / 1992 dans les pays de l’Est. Les lois sur
la faillite y prennent place de 1986 à 1992. 1989 : en Pologne, Solidarnosc
accède au gouvernement. C’est une nouvelle relation, ouverte, entre le
social et l’économique dépendant de tous les agents. En R.D.A., en 1989,
le mur de Berlin est détruit. Dès lors, la Pologne mène, à compter de
1990, une politique dure et rapide, incluant liberté des prix, limitation de
l’indexation des salaires… La « démonopolisation » commence en Pologne
en 1990. Elle n’a pas lieu dans les autres pays de l’Est. A l’automne 1991,
la stabilisation de l’économie polonaise n’est toutefois pas réalisée. En
Hongrie en revanche, l’excédent commercial est réalisé. Un nouveau code
de commerce est adopté en Bulgarie et en Tchécoslovaquie en 1991. La
privatisation est considérée comme le changement institutionnel le plus
important. Petite privatisation – entreprises de moins de deux cents
employés soit 10 à 20% de la production nationale, par exemple hôtels,
restaurants, magasins – et grande privatisation sont distinguées. Les
premières sont réalisées habituellement sur enchères publiques. La
réalisation des secondes s’avère limitée. La restitution des terres agricoles
est admise dans tous les pays excepté la Russie, la Biélorussie et
l’Ukraine ; celle des actifs industriels n’est adoptée qu’en Bulgarie,
Tchécoslovaquie, Allemagne, Albanie, pays Baltes. Les petites
privatisations ont été importantes en Pologne, Roumanie et
Tchécoslovaquie. Arrive aussi la désagrégation du CAEM, en 1991. Dès
janvier, sont établies des barrières douanières sur les règles du GATT. Les
pays ayant déjà orienté leur commerce hors du CAEM sont ceux qui
souffrent le moins (Hongrie, Roumanie, Pologne). Pour la Bulgarie, la
Roumanie, la Hongrie, la Pologne et la Tchécoslovaquie, le commerce
extérieur avec les pays du CAEM diminue de 15 à 20% par an en valeur et
en volume, et s’accroît avec l’Ouest. Mais en 1992, le revenu national de
la Pologne est inférieur de 15% à celui de 1979. L’ouverture est brutale !
Les institutions économiques de l’Europe de l’Ouest ne fonctionneront pas
du jour au lendemain. Depuis l’automne 1992, la rigueur budgétaire est
relâchée en Pologne, mais il existe 2,5 millions de chômeurs.
TENDANCES INSTITUTIONNELLES :
1372
Dans le Tome II de cette Thèse.
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 675
En Europe, on en arrive au début de la période à la Communauté des
Neuf, avec l’arrivée de la Grande-Bretagne, de l’Irlande et du Danemark
en 1972. En 1981, c’est l’Europe des Dix avec la Grèce, en 1986, l’Europe
des Douze avec le Portugal et l’Espagne. Le Portugal se retire de l’AELE.
On signe l’Acte Unique prévoyant la libre circulation des hommes, des
marchandises. La Finlande rejoint l’AELE (1986). Au total ; l’AELE devient
en tout plus dépendante de la CEE. En 1992, les Douze et les sept pays de
l’AELE signent le traité créant une zone de libre-échange, l’Espace
économique européen (E.E.E.) le 1 er janvier 1993. La stratégie Anglaise de
libre-échange, qui avait largement inspiré la stratégie de la C.E.E., est
désormais englobée dans celle-ci, qui comprend aussi une intégration de
la production et à terme une Union politique. La Suisse, puis l’Autriche,
demandent leur adhésion à la CEE. Les Danois s’opposent en refusant en
1992 le Traité de Maastricht par référendum. Suivent toute une série de
ratification dudit traité par référendums : Irlande, France… et par les
parlements nationaux : Luxembourg, Belgique. Le 16 octobre, le Sommet
de Birmingham a lieu, afin de recoller les morceaux d’une solidarité
européenne mise à mal par la difficile ratification de Maastricht, et par les
pressions Américaines sur la C.E.E. Le Traité de Maastricht reconnaît des
champs d’action nouveaux à la politique européenne (politique
industrielle, réseaux de transports, protection des consommateurs,
formation professionnelle, politique sociale), et affirme la mise en vigueur
d’une politique étrangère et de sécurité commune. L’Angleterre peut ne
pas participer à l’ensemble des actions nouvelles. Le Traité de Maastricht
reconnaît le principe de subsidiarité. En 1995, l’Autriche, la Suède et la
Finlande : rejoignent l’UE. L’Europe se trouve deux pôles externes
d’équilibre à ses frontières et dans sa mouvance : l’Europe de l’Est, en
voie d’intégration ; le Sud de la Méditerranée, comme contrepoids. Elle
devient un pôle géostratégique (capable de répondre aux Etats-Unis et à
la Chine) en puissance, et plus seulement le lieu d’un projet économique
interne.
L’Acte unique exprime la décision de faire du grand marché intérieur (au
1er janvier 1993) le centre de la construction européenne. La création de
l’Espace économique européen (EEE) tend à faire participer les pays de
l’AELE au grand marché, au 1 er janvier 1994. Il s’agit d’une extension
(sauf l’agriculture) des quatre libertés du Traité CEE. L’Espace économique
européen ne comprend pas la réalisation d’une union douanière, de
politique commerciale commune. Le grand marché est au centre et
devance « l’Europe puissance ». L’Europe se veut avant tout un espace
ouvert, ce qui est de bon augure notamment vis-à-vis de l’Europe de l’Est.
Mais cette stratégie doit désormais être dépassée, dans une intégration
plus profonde englobant même le politique.
L’émergence de l’Europe politique dépassant la simple Europe économique
se fait très en amont de la période. En 1974, le Conseil européen est créé.
Les Etats par le biais de leurs chefs orientent les décisions exécutives de
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 676
l’Europe. C’est l’affirmation d’un choix, celui de la préservation d’une
cohésion. Au travers de la crise qui s’annonce, on ne veut pas retomber
dans les errements de l’entre-deux-guerres, qui avait vu se jouer des
politiques nationales individualistes. Un principe politique, la coopération
par la coordination : est affirmé en exact contre poids à la crise. C’est
ainsi que l’Europe dépasse la crise et qu’elle accueille l’Europe de l’Est. Le
principe d’ouverture et d’unité à travers l’ouverture, constitutif de l’Europe
autant que l’individualisme, a été loin. Il affirme une unité à travers une
renaissance européenne qui, d’après J.B. DUROSELLE 1373, s’affirme tous
les sept siècles environ depuis Charlemagne. L’Acte Unique, dans plusieurs
domaines (mais non la fiscalité) substitue la règle de la majorité qualifiée
à celle de l’unanimité. La volonté une fois affirmée, l’Europe a les moyens
d’affronter sa diversité de vues. Signe politique et démocratique fort, les
pouvoirs du Parlement Européen sont progressivement élargis en matière
budgétaire. Avec la réunification allemande en 1990, l’Europe devra se
forger, mauvais souvenirs une fois oubliés, une vision de ses frontières,
une Constitution et une convention sur les valeurs sociales, économiques
et monétaires permettant de vivre ensemble et de gérer cette unification.
Le 28 juin 1991, tombe la dissolution du Conseil d’assistance économique
mutuelle (ou COMECON).
De 1974 à 1996, il y a accélération de l’intégration des économies
européennes. L’intégration connaît des succès. Par exemple, on a de bons
signes venant de l’intégration récente des pays Méditerranéens, avec les
Jeux Olympiques de Barcelone et l’Exposition Universelle de Séville, en
Espagne, en 1992.
En ce qui concerne les pays Méditerranéens, le changement vient dès les
années 1970. Avec le Maghreb et Israël, entre 1977 et 1988, les
importations communautaires de produits manufacturés quintuplent
(principalement le textile)1374. Au début des années 1980, le réseau de
régimes préférentiels réduit, ou supprime, le tarif douanier commun pour
de vastes zones géographiques. Celui-ci ne s’applique plus dans son
intégralité qu’aux échanges avec l’Amérique du Nord, le Japon, l’Australie,
l’Afrique du Sud et les pays de l’Est. Les accords commerciaux signés
quinze ans plus tôt avec les PED d’Asie et d’Amérique latine, sont élargis à
de nouveaux domaines comme l’environnement et la santé. C’est toute
une vision globale, fondée sur les échanges entre « grandes régions », qui
s’affirme en même temps que s’affirme l’Europe dans son unité. En 1992,
est envisagée l’instauration à terme avec le Maghreb d’une zone de libreéchange pour les produits industriels. L’Union européenne propose dans la
foulée la constitution d’un Espace économique euro-méditerranéen (EEEM)
J-B. DUROSELLE, « L’Europe : histoire de ses peuples », Hachette Littérature, 1998.
J-P. BASSINO, R. TEBOUL, « Echanges, investissements et perspectives d’intégration
économique dans l’espace euro-méditerranéen », Economies et Sociétés, H.S. n°34,
10/1998, p. 91-109.
1373
1374
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 677
fondé sur le libre-échange. De 1985 à 1993, les exportations entre pays
Méditerranéens ont été multipliées par deux. Il y a aussi des aides
publiques au développement, concernant les infrastructures et le capital
humain. Les principaux destinataires de l’aide sont Israël, la Turquie et
l’Egypte1375. Le Maroc bénéficie de dons. La politique de l’UE à destination
des pays Méditerranéens complète celle en direction des pays de l’Est.
Cela aide à renforcer les complémentarités.
Un accord multifibre (1974) est un domaine d’accords entre CEE et PVD.
Les produits originaires des Etats ACP sont admis en exemption des droits
de douane et de restrictions quantitatives en Europe ; la CEE n’exige plus
la réciprocité. Des mécanismes de stabilisation des recettes d’exportation
sont mis en place (Stabex). A partir du milieu des années soixante-dix, il
faut que l’Europe dise son mot au sujet du commerce avec les PED d’Asie
et d’Amérique latine. Des accords bilatéraux sont signés. Avec les pays
ACP sont mis en place des mécanismes de stabilisation des recettes
d’exportation (Sysmin).
Dans les pays de l’Est, les symptômes d’une crise économique générale,
interne et différenciée selon les pays, sont repérables dès le milieu des
années 1970. La crise résulte de l’épuisement des sources de la croissance
extensive. La disponibilité des ressources naturelles décroît. De plus, ces
économies montrent une incapacité à accroître la productivité. L’efficacité
technique décroît en raison de l’aversion pour l’innovation. Les sureffectifs
n’arrangent rien. Les produits dans les pays d’Europe de l’Est ne sont pas
compétitifs. On mène une politique de stabilisation interne (freinage de la
hausse
des
salaires,
retour
au
rationnement,
réduction
de
l’investissement). Mais c’est reculer pour mieux être pris dans la crise, car
c’est relativement incompatible avec une volonté de croissance. Une
cassure se produit dans presque tous les pays de l’Est en 1978/79. En
1980 en Pologne, émerge un projet de loi sur l’autogestion. En quinze ans,
la différenciation des économies de l’Est s’est accentuée suivant leur degré
de décentralisation et l’incapacité de l’URSS (ou de la Roumanie) à mettre
en œuvre une véritable réforme. La Hongrie apparaît avec une réforme
radicale partiellement réussie ; l’URSS est revenue en 1979 à un système
d’économie centralement planifié presque classique ; entre les deux la
RDA. En Hongrie, en 1980, le principe du licenciement de la main-d’œuvre
est affirmé. C’est une véritable révolution idéologique dans les pays de
l’Est. La « démonopolisation » signifie le démantèlement des grands trusts
d’Etat ; celui-ci commence en Hongrie en 1980. En 1991, le 22 novembre,
entre la CEE et l’Europe centrale : signature d’accords d’association avec
la Hongrie, la Pologne et la Tchécoslovaquie qui ont conclu entre eux une
zone de libre-échange. Le 26 novembre, au Conseil de l’Europe : adhésion
de la Pologne puis, le 7 mai 1992, de la Bulgarie. Des accords de
J-P. BASSINO, R. TEBOUL, « Echanges, investissements et perspectives d’intégration
économique dans l’espace euro-méditerranéen », Economies et Sociétés, H.S. n°34,
10/1998, p. 91-109.
1375
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 678
coopération sont conclus entre l’Albanie et les pays baltes (1992). Avec
les pays de l’ex-URSS sont signés des accords intermédiaires entre la
coopération et l’association (Ukraine, fédération de Russie, 1994) avec la
CEE. C’est le début d’un processus d’élargissement économique qui passe
aussi par la clarification du rôle de l’histoire économique…
A Tokyo (1973/1979) sont négociés des abaissements annuels devant en
huit ans réduire d’un tiers les droits moyens sur les produits manufacturés
importés par les pays industrialisés. En Europe on passe d’une moyenne
pondérée de 9,9% à 7%1376. Les négociations en Uruguay (1986/1993)
aboutissent à la soumission de nouveaux secteurs de l’économie (services,
propriété intellectuelle, textiles) au marché mondial. Les droits de douane
de la Communauté doivent être abaissés de 37% en moyenne. Il existe
des exceptions : le système unilatéral de préférences généralisées vers les
PED mis en œuvre en 1971. La construction de l’Europe est un rempart
contre une libéralisation qui serait trop poussée, non respectueuse des
identités et histoires nationales.
LE RÔLE DES CRISES ET DES RECESSIONS :
En 1973 a lieu le premier choc pétrolier. En Europe, où le pétrole
représente plus de 50% de l’énergie primaire, l’inflation grimpe entre 10
et 25% selon les pays. Avec le retournement de l’activité économique de
1973/1974 et l’entrée dans une période de croissance ralentie, une phase
nouvelle de l’intégration des économies européennes commence. Les
pouvoirs de la Communauté s’accroissent. Le prix du baril quadruple en
octobre et décembre 1973. En un an la production industrielle diminue de
6% (RFA) à 10% selon les pays. Le pic d’inflation se situe en Angleterre. A
cause du ralentissement, le produit national brut à prix constants s’accroît
d’une hausse comprise entre 25% (Angleterre) et 30% (France, RFA)
entre 1974 et 1987. Le revenu réel par tête connaît sur la même période
une hausse de plus de 20%. La poursuite de la hausse du commerce
mondial sauve le monde de la récession. La production industrielle grimpe
de 4% par an en France, de 15% en RFA et Angleterre. Les pays du Sud
de l’Europe ont une croissance plus rapide, l’Angleterre ralentit le plus. La
construction Européenne amortit la crise. Six pays européens ont connu
trois récessions, et quatre seulement une. Certains grands pays
(particulièrement l’Allemagne), présentent un retournement d’activité
avant les autres du fait qu’ils jouent un rôle moteur. L’Angleterre a un
comportement plus cyclique que les autres, la France a le comportement
J. WOLFF, « Histoire économique de l’Europe ». QUATRIEME PARTIE – II. CHAPITRE
III – L’intégration économique et monétaire à l’Ouest et son accélération – p. 589-604.
1376
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 679
le moins cyclique. Grâce à des politiques nationales keynésiennes et
protectrices, le revenu par tête continue de nettement progresser, au
moins jusqu’en 1978. L’Europe a vécu à partir de 1974 avec un niveau
important de marges de capacité inemployées. On peut donc parler de
crise de l’investissement, de la confiance. Il s’agit probablement même
d’une crise de civilisation. L’Europe est entrée dans un état de langueur
qui rappellerait le progressif déclin de l’hégémonie britannique dès la fin
du XIXe siècle. La liaison fordiste entre effort d’investissement, croissance
de la demande et essor de la productivité est atteinte. AGLIETTA (1976),
BILLAUDOT (1977), le CEPREMAP & CORDES (1977), BOYER & MISTRAL
(1978), LIPIETZ (1979), ont tous annoncé la crise structurelle
européenne1377. C’est une crise de la régulation et un test pour l’Europe.
L’Amérique, dans le même temps, ne connaît pas une telle mise à plat.
En 1981/1982, la production industrielle en Europe connaît un second
recul depuis 1974. Cette crise européenne touche l’Est comme l’Ouest et
va favoriser leur rapprochement. Vers 1983/1984, le chômage, en hausse
depuis plusieurs années dans les pays européens, atteint 7 à 12% de la
population active, puis il commence à décliner (sauf en France) pour
rester compris entre 6 et 9,5%. Le produit national brut décroît dans
presque tous les pays de l’Est à partir de 1989. A partir de 1980, des
rythmes fort voisins de productivité sont compatibles avec des
mouvements très différents de l’investissement. Des stratégies
conservatrices expliquent le ralentissement du taux de croissance des
salaires en Europe. En revanche, les pays sociaux démocrates (Autriche,
Danemark, Norvège, Suède), tout comme le Japon et les Etats-Unis, ont
remarquablement limité la montée du chômage grâce à une augmentation
des taux d’activité. En 1986, les pays ayant les plus forts taux d’activité
ont aussi les plus faibles taux de chômage. Se trouve apparemment
démentie une interprétation purement démographique du chômage 1378. Le
chômage massif constitue un mal Européen. Souvent, la montée des
transferts sociaux est allée de pair avec celle du chômage. La réduction
des profits est à terme source du blocage de l’investissement. « Le régime
d’accumulation flexible » est le nouveau nom magique trouvé par BOYER
pour décrire les moyens qu’il faudrait trouver afin de sortir de la « crise du
Fordisme ». Heureusement aussi qu’il y a unité européenne : ce nouveau
« parapluie » peut protéger des replis frileux.
Le 30 mai 1992, en Serbie-Monténégro, le Conseil de sécurité de l’O.N.U.
décrète un embargo commercial, pétrolier et aérien. Aussi l’ouverture de
l’Est va aussi de pair avec des conflits et des guerres. S’agit-il de
« guerres frictionnelles » ? En 1992/1993, dans plusieurs pays dont la
R. BOYER, « Le bout du tunnel ? Stratégies conservatrices et nouveau régime
d’accumulation », Economies et Sociétés, Série Théorie de la Régulation, n°5, Décembre
1990.
1378
R. BOYER, même article que note 1377.
1377
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 680
France, le produit national brut à prix constants connaît un léger recul. Le
fort ralentissement de la demande ne s’est pas accompagné d’un essor de
la production. Sur le moment, l’ouverture à l’Est et la réunification
allemande ne voisinent pas avec une très grande confiance dans l’avenir,
des ménages ou des entreprises. Il reste à forger des convictions pour
anticiper une demande vis-à-vis du nouvel homo oeconomicus et de ses
besoins. A la suite d’une hausse du taux d’intérêt, les ménages
augmentent leur consommation, les entreprises réduisent leur
investissement. Le déficit de l’Etat augmente. L’équilibre est obtenu avec
une consommation plus forte et un investissement plus faible
qu’antérieurement. La production diminuant, les dépenses publiques
doivent diminuer pour réduire la demande. La dette publique reste
importante. L’activisme budgétaire, enfin, veut compenser la perte de
contrôle de la politique monétaire. On ne voit pas très bien l’issue.
LE RÔLE DE LA CROISSANCE :
L’expansion du capitalisme allemand qui a réussi à s’implanter solidement
dans une région (Amérique du Sud) tenue pour être un domaine réservé
des entreprises Américaines, montre que si l’Amérique reste le moteur de
l’économie mondiale, peu touché par la crise, la « vieille Europe » a de
beaux restes.
LES POLITIQUES EUROPEENNES, SECTORIELLES
ET REGIONALES :
Le Royaume-Uni, peu après son entrée (1974), demande une
renégociation de la politique commune pour obtenir des concessions 1379.
En 1980, il est proposé que les producteurs assument désormais, le coût
de toute production à une certaine valeur. En 1986, la P.A.C. est discutée
au niveau mondial, par l’Uruguay Round. Début 1990, l’autoapprovisionnement de la Communauté atteint 120% pour les céréales et
102% pour les viandes. En 1992, on décide une baisse des subventions
aux produits agricoles, une hausse des aides aux exploitants. Avec l’action
A. DE MOUCHERON, « Les 2000 dates qui ont fait l’Europe », Le Grand Livre du mois,
1990.
1379
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 681
sur les structures (boisement, protection de l’environnement, avantages
aux productions non alimentaires), des croisements sont opérés entre
P.A.C. et politique de l’environnement.
La politique régionale n’était pas prévue à l’origine. En 1975, est créé un
fonds de développement régional, suite au principe énoncé d’une action
régionale. L’Acte Unique prévoit des politiques régionales de
l’environnement.
Une politique industrielle s’énonce dans les années quatre-vingt (Acte
Unique, Traité de Maastricht). Il s’agit pour le moment d’une politique
défensive et même d’accompagnement social, dans des secteurs
restructurés : sidérurgie entre 1980 et 1988, textile, construction navale,
l’aide aux P.M.E. parfois. C’est souvent « la socialisation des pertes ». Dès
lors, il n’y a pas encore de politique industrielle offensive, ni de « géants
européens ». La politique de la concurrence reste omniprésente.
Lors du premier élargissement communautaire, un désarmement
contingentaire a lieu, entre 1973 et 1977. Une directive sur
l’harmonisation de la TVA est adoptée en 1977. Le rapprochement des
taux impose des efforts parfois considérables : on passe d’une fourchette
entre 12 et 25% (pour les taux normaux), à une zone entre 14 et 20%.
De 1985 à 1992 est planifiée la suppression des contingents pour
l’Espagne et le Portugal, lors du deuxième élargissement.
La politique de la concurrence interdit l’abus de position dominante,
contrôle les concentrations. En 1973, la Commission suggère de recourir à
deux règles, notification et interdiction, pour contrer l’augmentation du
nombre de concentrations. En 1989, un règlement lui donne le pouvoir
d’autoriser ou d’interdire ces concentrations. Depuis 1992, elle se
préoccupe en revanche de l’ouverture à la concurrence des secteurs restés
réglementés.
En 1975, en Europe occidentale, trente-cinq pays d’Europe et d’Amérique
du Nord signent les accords d’Helsinki sur la liberté de circulation. Quant
au fonds social, une réforme (1978) vise à étendre son rôle à l’aide à la
création d’emploi pour les jeunes chômeurs. Une autre réforme (1984)
canalise les aides vers les zones prioritaires. Pour la politique sociale, les
décisions peuvent être prises à la majorité (Traité de Maastricht), par
exemple concernant les conditions de travail. On ne peut parler de
politique commune en matière d’immigration, pas plus qu’on ne peut
parler de libre circulation en Europe des personnes issues de pays tiers.
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 682
En 1973 est adopté un programme quadriennal prévoyant l’extension des
activités du Centre commun de recherches au-delà du secteur nucléaire.
En 1984, l’Europe rencontre le succès avec la fusée Ariane. L’Acte Unique
introduit dans le traité CEE un titre suivant lequel la Communauté cherche
à renforcer les bases scientifiques et techniques de l’industrie Européenne.
Les actions communes sont démultipliées (énergie, infrastructure,
environnement). Chaque programme quadriennal comporte une
dominante. De 1984 à 1987, c’est l’énergie. De 1987 à 1991, c’est la
modernisation industrielle. « Esprit », depuis 1983, représente 15% du
budget recherche des neufs 1380. « Eurêka », depuis 1985, permet à la
Commission de faciliter la recherche de partenaires. Les projets une fois
définis, on recherche des partenaires, que l’on finance. L’objectif des
projets est de déboucher sur des produits, procédés et services
commercialisables. Le déclin industriel de l’Europe depuis les années 1970
était lié à son incapacité à s’engager dans la mutation technologique
mondiale (HUMBERT, 1993). La nouvelle priorité est la coopération
technologique entre firmes Européennes. En 1990/1994, l’environnement
est la nouvelle dominante du programme-cadre, et en 1994/1998, il s’agit
des recherches à retombées industrielles.
Quant à l’énergie, le Conseil à partir de 1973 cherche à réduire le rapport
taux de progression de l’énergie / taux de progression du PIB. Il vise aussi
une moindre dépendance vis-à-vis du pétrole. En 1991 est signée la
charte européenne de l’énergie1381. La Commission approuve des
orientations générales en vue de l’achèvement du marché intérieur du gaz
et de l’électricité.
La politique des transports est reprise dans les années quatre-vingt. Sont
proposés le développement d’un réseau transeuropéen de transport et son
financement (1993).
Des marchés publics (eau, énergie, transports et télécommunications)
doivent être ouverts à la concurrence le 1 er janvier 1993. En ce qui
concerne les entreprises publiques, elles peuvent être, après 1983,
amenées à restituer des aides. La Communauté prétend diminuer certains
coûts liés au manque d’ouverture des marchés ainsi qu’à des entraves
administratives.
LES
DIFFICULTES
EUROPEENNE :
DE
LA
CONSTRUCTION
M. HUMBERT, « Le rôle de la technologie…Section 2 L’intégration productive. » p.
172-181, 1993.
1381
J. WOLFF, « Histoire économique de l’Europe ». Même chapitre que note 1378.
1380
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 683
Le budget de la Communauté, en dépit de sa croissance, n’atteint pas 5%
des budgets des Etats membres, ce qui entraîne un pouvoir de régulation
Européen centralisé encore faible.
La politique régionale ne peut pas être considérée comme un succès.
L’écart entre les régions les plus riches et les régions les plus pauvres
s’accroît de 1975 à 1986. Le PIB par habitant marque de grands écarts
par rapport à la moyenne communautaire : +15% (France), -2%
(Angleterre), -51% (Grèce).
Dans la zone Méditerranéenne, aucun pays n’a une fonction comparable
aux quatre NPI asiatiques. La Turquie, pays extra Européen le plus
développé de la zone, a un IDH inférieur à ceux de la Thaïlande et de la
Malaisie. L’Ouest de la Méditerranée est mieux intégré à une logique
d’échanges commerciaux que l’Est1382.
STRUCTURES
SOCIALES
D’ACCUMULATION / 1973-1996 :
PERIODE DEPRESSIVE :
J-P. BASSINO, R. TEBOUL, « Echanges, investissements et perspectives d’intégration
économique dans l’espace euro-méditerranéen », Economies et Sociétés, H. S. n°84,
10/1998, p. 91-109.
1382
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 684
COORDINATION MONETAIRE
ALOURDISSEMENT DES DETTES PUBLIQUES POUR
SOUTENIR LA CROISSANCE EN PERIODE
DEPRESSIVE
RAPPROCHEMENT ENTRE EUROPE DE L’OUEST ET
EUROPE DE L’EST
REVOLUTION INDUSTRIELLE DE L’INFORMATIQUE
III.3)
1996-2007
EXPANSIVE :
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
-
PERIODE
Philippe Jourdon / 685
LES TENDANCES GENERALES EN TERMES DE PRIX
ET DE SALAIRES. LA CONSTITUTION DES
CIRCUITS.
LA
RELATION
ENTRE
DEMOGRAPHIE ET ECONOMIE :
A l’horizon 2025, les projections démographiques font apparaître une
quasi-stagnation de la population : de quatre-vingt-un à soixante-treize
millions en Allemagne, cinquante-huit à cinquante-deux (Italie), trenteneuf à trente et un (Espagne). A cette limite quantitative de l’Europe,
s’ajoute une limite démographique qualitative : trouver un nouveau
compromis sur le cycle de vie de l’agent, ou la question des retraites !…
TENDANCES INSTITUTIONNELLES :
L’Europe sociale manque – elle existe surtout sur le papier, par exemple il
y a une mauvaise reconnaissance mutuelle des diplômes - , alors que l’on
a l’Europe économique (et à moitié monétaire). Le risque existe d’un
ajustement des droits sociaux vers le bas. Aux trois ou quatre joueurs
(avec l’Italie) d’antan, sont venus se rajouter (poids démographique) :
l’Espagne et la Pologne.
LE RÔLE DE LA CROISSANCE :
Celle-ci a des vélléités de reprise depuis 1996/1997 : est-ce un nouveau
KONDRATIEFF expansif ?
LES
DIFFICULTES
EUROPEENNE :
DE
LA
CONSTRUCTION
La politique budgétaire doit également apporter sa contribution à l’action
contracyclique. Or on a quatorze politique monétaires (dont une pour
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 686
douze pays, facteur d’unité), mais vingt-cinq politiques budgétaires : cela
va dans tous les sens !
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 687
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 688
La monnaie unique européenne et sa
relation au développement économique
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 689
et social coordonné : une analyse
cliométrique
TOME II
DONNEES EMPIRIQUES SUR LA
PERIODE 1800-2000 : HISTOIRE
MONETAIRE DE L’EUROPE
PHILIPPE
JOURDON,
THESE
DE
DOCTORAT DE 3ème CYCLE SOUS LA
DIRECTION DE MONSIEUR CLAUDE
DIEBOLT
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 690
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 691
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 692
Première partie : 1800 – 1873 - Une
économie non monétarisée :
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 693
Aux sources de la monétarisation :
L’initiation de la monétarisation et ses trois piliers :
Au tournant du XIX° siècle, les économies européennes sont encore
agricoles. A. SMITH, dans son « Discours sur l’origine de la richesse des
nations », a prophétisé la révolution industrielle. Celle-ci, qui va
commencer durant cette période, est intimement liée au processus de
monétari-sation. En effet, c’est le passage d’une économie agraire, axée
sur une grande part d’auto-pro-duction, à une économie créant des
surplus, générant de la croissance, croissance et surplus qui sont
précisément de la monnaie. Ainsi, ROSTOW a pu bien décrire le
« décollage économique » comme nécessitant la disponibilité d’une
épargne portant un taux d’épargne de 10 %. L’épargne, c’est une
monnaie privée ; ce qu’on appelle la monnaie, c’est la monnaie publique.
Il y a aussi le crédit ou, si l’on préfère, la dette. Ces trois éléments sont
intimement liés : ils sont le moyen pour l’Etat de développer un S.A.C
(système d’assurance de la croissance), qui permet de redistribuer auprès
des agents-citoyens des « droits monétarisés » constitués de ces trois
éléments, qui sont des parts de ce système. A.C.
Il convient tout d’abord de voir le développement des trois formespiliers de ce système. Nous passerons plus rapidement sur la première et
la dernière, car c’est la seconde (la monnaie) qui nous intéresse. Mais
gardons à l’esprit que ces trois piliers forment un trépied d’un nouveau
système économique : système économique non traditionnel, mais
monétarisé.
La monnaie primaire et la monnaie secondaire, lors des
trois principaux cycles marquant la période 18002003 :
Que nous faudra-t-il étudier d’autre pour structurer notre analysedéveloppement ? – Après les formes, il faudra étudier le fond, c’est-à-dire
la signification de ce système dans une perspective historique, en termes
psychologique, historique, juridique, institutionnel. Nous étudierons aussi
les liens fond-forme, c’est-à-dire fin-moyen, dans une logique empruntée
à la sociologie fonctionnaliste : les « choses de la monnaie »
pour
atteindre et réaliser la fonction de la monnaie au sens an-thropologique,
par rapport au jeu que constitue la monnaie 1383. Cela boucle notre
1383
Voir Tome III.
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 694
approche déductive, que nous confrontons à l’histoire de trois périodes. Il
faut quand même préciser que notre conception de l’homme
« monétarisé » nous pousse à croire que cet homme recèle une certaine
schizophrénie : en particulier, il divise les choses en « choses de la
nature » et « choses de la culture », ou « besoins essentiels » et « besoins
découlant du pa-raître ». Il est porté à présenter les choses sous leur jour
le plus favorable, le plus « civilisé », pour mieux les vendre et participer à
la création de la valeur-ajoutée, de la croissance, du surplus. La monnaie,
qui a un rôle d’intégration sociétale dans ce contexte, doit être elle-même
« couverte » par une garantie qui lui serve de caution, et qui participe de
son identité comme un « double », garant de la protection de la
schizophrénie de l’homme occidental moderne. Cette caution de la
monnaie dans son acception la plus commune, c’est-à-dire de la monnaie
unité de compte, c’est la monnaie réserve de valeur : elle sert à
l’infrastructure économique pour se compter et se retrouver, sans
attribuer de plus-value à cette infrastructure. La monnaie réserve de
valeur est une garantie juridique. Elle découle de la superstructure
juridique. Elle sert à bloquer un système pour le pro-téger. Il nous faudra
montrer que, si la monnaie « primaire », ou monnaie unité de compte, a
co-nnu une existence cyclique entre 1800 et 2007, son ange gardien et
double protecteur, ou monnaie réserve de valeur, a également connu des
cycles et a même « muté », changeant plusieurs fois de nature à
l’occasion de ces cycles, créant chaque fois une nouvelle relation entre la
superstructure et l’infrastructure, relation évoluant à la manière d’un
serpent, forme dans laquelle se complaît la monnaie.
Les formes de la monétarisation :
Développement
de
microéconomique) :
l’épargne
(aspect
En Grande-Bretagne sont créées des caisses d’Epargne (1798-1817)
sous contrôle de l’Etat. Un peu plus tard, entre 1834 et 1836, y sont
émises pour 105.000.000 Livres de nouvelles actions. Des banques se
créent (quarante-deux nouvelles banques provinciales en 1836). Le cours
des actions monte. A partir de 1837 commence une phase de liquidation,
d’où baisse de la bourse.
En Prusse, sont aussi créées des Caisses d’Epargne (en 1835) avec
cent mille adhérents et seize millions de marks de dépôts. De même en
France, un peu plus tard (1835-1845), cent-vingt-deux à trois cents
quarante-cinq Caisses et cent-vingt mille à sept-cent mille épargnants, et
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 695
soixante-deux à trois cents quatre-vingt-treize millions de francs de
dépôts.
En 1848, nouvelle crise. En 1850, les encaisses se sont reformées,
la phase de liquidation a pu se dérouler. Vers 1850 en France, les capitaux
sont devenus abondants et bon marché. La France a décollé cinquante ans
après l’Angleterre, elle va dès lors investir dans d’autres pays européens.
En Autriche, les capitaux mis en circulation servent ainsi à créer des
banques sous l’impulsion de financiers français et de Rothschild (en 1855,
création de l’Osterrisch KreditAnstalt).
En 1856 en Angleterre, la législation anglaise autorise la création de
sociétés anonymes par actions, permettant de rassembler d’énormes
capitaux pour financer des industries de pointe : c’est une nouvelle étape
dans la mobilisation de l’épargne, qui se fond de plus en plus dans le
crédit.
Même en Russie, dans les années 1860, sont créées des banques
privées.
En 1866, la bourse monte à la fin de la crise. En Prusse, la loi du 11
juin 1850 facilite la création de sociétés par actions, en supprimant la
tutelle étatique et la nécessité d’obtenir une tutelle gouvernementale, les
grandes banques de crédit à la production sont à la tête du mouvement de
créa-tion de sociétés et d’émission d’actions.
Développement du crédit (aspect méso économique) :
Le crédit est un aspect important soutenant la capacité à supporter
des rapports de force, grâce à la confiance accordée par d’autres.
C’est ainsi que le crédit a servi de pierre d’achoppement pour la
France et l’Angleterre dans leur grand conflit du début du XIX° siècle. En
effet, selon GOLDSTEIN, les guerres napoléoniennes marquèrent le début
d’un cycle hégémonique qui a permis la domination du système anglais de
1800 environ à 1945 environ. Le principe de la « monnaie libre » incarné
par l’Angleterre a triomphé du principe le la « guerre libre » dont les
Français avec Napoléon furent les tenants de début de période. Vers 1810,
s’il est un aspect important de la guerre économique entre la France et
l’Angleterre, c’est bien en effet celui du financement de la guerre proprement-dite -, c’est-à-dire des finances publiques. L’impossibilité de
dégager des ressources suffisantes, a conduit après un certain temps à la
défaite pour la France quels qu’aient été le moral des soldats, la qualité de
leur encadrement ou le génie de leur chef. A la fin des guerres
napoléoniennes, c’est la puissance économique et financière qui l’a
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 696
emporté. Napoléon ne bénéficiait de nul crédit auprès des marchés
financiers européens occupés, qui se tournaient plus volontiers vers
l’Angleterre, laquelle bénéficia aussi d’un très fort crédit intérieur lors des
années de guerre. En France, les dépenses de guerre représentaient 50 %
des dépenses budgétaires totales en 1812 et 1813. Les ressources étaient
insuffisantes, l’appel à l’emprunt officiellement proscrit : il aurait été
impossible car les marchés ne préféraient pas financer des guerres aussi
longues et meurtrières. Les ressources françaises étaient en conséquence
moindres que celles du reste de l’Europe continentale et de l’Angleterre.
On voit bien aussi l’opposition de deux principes : « guerre libre » ou
« monnaie libre », opposition induisant des conséquences en chaîne, qui
est une matrice de prises de décisions pour les agents. A la fin de la
guerre, bien que l’Angleterre ait dû s’endetter à long terme pour financer
la défense, sa situation est bien meilleure que celle de la France. Le
montant de sa dette publique a néanmoins quadruplé (de deux cents
quarante-et-un à huit cents soixante-seize millions de Livres entre 1784 et
1814), mais souscrite pour l’essentiel à l’intérieur du pays. Londres est le
premier marché monétaire du monde, et le budget anglais est double de
celui de la France. Pendant la guerre, les dépenses relatives au paiement
des intérêts de la dette publique et à la conduite de la guerre ont pourtant
constitué près de 90 % des dépenses totales. De 1793 à 1815,
l’Angleterre a financé aussi les puissances hostiles à Napoléon. Du fait de
l’augmentation de l’emprunt, les intérêts à rembourser ont aussi beaucoup
augmenté. Mais miser sur la monnaie plutôt que sur la guerre est rentable
à long terme. En effet, a contrario, en 1815 une importante charge
financière est imposée à la France, une indemnité de guerre de sept cents
millions de Livres payables en cinq ans. On ne fait décidément pas crédit
à la guerre1384. A partir de 1817 en France on a recours à des emprunts
internationaux jusqu’en 1819 : la paix étant revenue, le crédit devient
plus facile. Les appels de crédit, pour couvrir le déficit budgétaire, sont les
plus importants en 1818. Ce crédit se diffuse en Europe : les paiements
effectués permettent un relèvement plus rapide des économies de la
Prusse et de l’Autriche : qui en échange de l’assurance de paiements à des
dates fixes, consentent à une diminution de l’indemnité. Les conséquences
de la guerre peuvent effectivement, à cette époque, être soldées en cinq
ans, ce qui autorisera encore les pays à penser la guerre comme une
ressource économique possible : « je gagne le différentiel de ce que j’ai
avec l’autre, soit ce que l’autre perd ». Ce jeu peut être compris au
second degré, puisqu’il y a possibilité, si on n’apparaît pas comme
l’instigateur moral et comme le déclencheur de la guerre, de profiter d’une
expansion du crédit (l’exemple de l’Angleterre, qui se contente de
répondre, le démontre amplement) grâce à la guerre. Comme dans tout
jeu diplomatique, il faut jouer avec les arrière-pensées des autres. Mais,
en économie, celles-ci sont souvent difficiles à décrypter du fait des
Ce phénomène des « réparations » dues par la France est à rapprocher des
« réparations » que l’on demandera à l’Allemagne un siècle plus tard, lesquelles seront
infiniment plus lourdes structurellement, car désormais il y aura des infrastructures
industrielles à reconstruire et dès lors la guerre ne deviendra plus pensable.
1384
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 697
asymétries d’information. Il est important de remarquer que le jeu
guerre-monnaie changera de nature tout au long des XIX° et XX° siècles,
car s’opère un changement de direction réciproque : le jeu « guerre »
devient de plus en plus un jeu à court terme, alors que le jeu « monnaie »
devient de plus en plus un jeu à long terme ; l’effet structurel de
domination d’un terme sur l’autre s’inverse ! Le jeu du crédit induit le jeu
du taux d’intérêt, lequel est un prix dérivé de la monnaie unité de compte.
En clair, le pays instigateur de la confiance dans les échanges pacifiques
commerciaux diffuse une extension de crédit dans le monde. Les agents
de ce pays y participent et en profitent. En effet, ils prêtent de l’argent à
l’Etat anglais à un certain taux, c’est de l’argent pour le moment
indisponible, mais ils prêtent aussi aux nouveaux pays à taux beaucoup
plus fort : l’Angleterre y gagne. La Banque d’Angleterre arrive à réguler le
tout pour calmer les impatiences au moyen du taux d’escompte. Par
exemple, avant la crise de 1825 l’Amérique du Sud a emprunté à taux
élevé. Avec la crise, l’offre de crédit diminue, mais des banques font
faillite, la banque d’Angleterre augmente alors son taux d’escompte de 4 à
5 % (décembre 1825), lequel diminue ensuite : 4 % en 1822, 3,5 % en
1830.
En France, les marchés sont les marchés anglais, le taux reste fixe à
4 % de 1820 à 1851 (sauf 5% en 1847). Durant toute cette période, en
particulier jusqu’en 1848, le crédit augmente, on joue davantage sur le
crédit que sur la monnaie. Autrement dit, de nombreuses anticipations ne
sont pas finalisées ni institutionnalisées. Petit à petit, on s’acheminera
vers un jeu 1° monnaie unité de compte, 2° crédit, 3° monnaie unité de
réserve, c’est-à-dire en puissance une devise clé 1385. En effet, dès 1848, le
crédit fait un bond avec le début de la ruée sur l’or (futur étalon de
réserve). Ce qui débouchera sur la création d’institutions ayant pour
champs de gérer la monnaie. Les symptômes s’en font sentir à partir des
années 1840. Ainsi, en Angleterre, le recours à la banque centrale se fait
plus large entre 1843 et 1847. Une spéculation accrue débouche d’ailleurs
en 1845 sur un krach. En France, on observe un relèvement du taux
d’escompte, et en Angleterre l’escompte atteint 6 % en 1847.
Cette fièvre est le prélude à la création de nouveaux marchés. Les
circuits de la consommation commencent timidement. En Allemagne et en
Autriche, la Bank für Handel und Industrie (Darmstadt) et le Wiener Kredit
On peut faire remarquer que nous n’abordons pas ici le fameux trépied monétaire : 1°
unité de compte ; 2° étalon de valeur ; 3° unité de réserve… Mais nous remplaçons
l’étalon de valeur par le crédit, dans cette présentation. La monnaie n’est pas seulement
tournée vers la sphère réelle qu’elle assure. Elle est aussi tournée vers la sphère
symbolique. Le développement institutionnel de la monnaie ne crée pas seulement de
nouveaux moyens d’échange, mais aussi une confiance dans le « tout social ». Le crédit
en tant que tel prédomine chronologiquement le moyen d’échange. Car un échange,
certes facilité par la monnaie, en entraîne d’autres le plus souvent, si bien que l’échange
principal permis par la monnaie, est souvent reporté à plus tard : on échange, en
utilisant des biens, une monnaie moyennement assurantielle aujourd’hui, contre une
autre – voire la même transformée – qui le sera davantage, demain.
1385
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 698
Anstalt ouvrent des crédits à la production. Dans ces pays, le crédit peut
cavaler pour rattraper les prix (les Allemands, dont les droits de propriété
sont fragiles par rapport à ceux de France et Angleterre, seront longtemps
victimes, pris dans cette « spéculation endogène », qui connaîtra son
chant du cygne dans les années 1920) : les prix grimpent de 50 % entre
1849 et 1854, et de 8 % en 1854 – de même que les revenus nominaux -.
Tout le monde veut avancer, bien que les droits de propriété soient parfois
mal assurés !
L’accélération de 1848 et des années suivantes, montre l’essor des
nations et donc, vue avec le recul du temps, la division de l’Europe. Un
rapport de force s’établit dès lors avec les Etats-Unis d’Amérique, qui vont
régulièrement exporter des crises de crédit vers l’Europe. En 1857-1860,
l’Europe connaît une crise économique, qui a démarré aux Etats-Unis avec
la faillite en chaîne de plusieurs banques, et a atteint les centres financiers
et industriels Européens (anglais et français surtout). Les USA couraient
plus de risques financiers, mais
aussi connaissait plus de stabilité
politique (ne connaissant pas les divisions ancestrales des pays
européens), ils ont par conséquent à attendre plus de stabilité
financière1386. En conséquence, ils anticipent sur le crédit pour accroître
leur avantage structurel. Pour digérer la tendance à long terme, il faut
passer par des crises de « surchauffe financière » avec des difficultés de
remboursement. En 1892, la Banque d’Angleterre régule le problème en
portant son taux d’escompte à 10 %. En France et en Allemagne, l’Etat
intervient en autorisant l’émission de man- dats contre des dépôts de
marchandises, en créant une caisse d’escompte, une procédure spéciale
en matière de faillite. Les Etats européens profitent de ces secousses pour
restructurer leurs « droits monétarisés » (alors que les Américains
augmentent beaucoup les leurs, puis, par crises, lâchent un peu de lest
avant de repartir de plus belle). Ainsi, du crédit est accordé pour des
investissements étatiques spécifiques. En France, en 1859, est édictée
une clause de garantie des intérêts pour les chemins de fer. Ces nouvelles
« ventures » sont freinées par les inconvénients des « guerres », encore
plus nombreuses en Europe qu’aux USA. La guerre de 1859 avec la France
et le Piémont, a de mauvais effets sur son crédit fragile. En 1863 est
fondé le Crédit Lyonnais, qui en quelques années s’internationalise et en
trente ans deviendra la première banque mondiale. C’est une grande date
dans l’histoire de l’économie française, en termes d’ouverture et d’histoire
du crédit. En Allemagne, la quasi-totalité de la dette est liée aux chemins
de fer… Pays scandinaves, Prusse, Autriche-Hongrie, France se retrouvent
également touchés.
En 1866, nouvelle crise économique, crise de crédit intérieur. Le
taux d’escompte est porté à 5 %, puis 7,5 %, et 10 %. Régularisation
rapide, dans l’année.
1386
Découlant du jeu institutionnel de la monnaie, qui n’est pas la seule finance.
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 699
L’expansion du crédit permet la démocratisation : elle est organisée
en direction des ouvriers en 1868 en France.
Nous ajoutons la note1387.
Développement
de
macroéconomique) :
la
monnaie
(aspect
Le domaine de la monnaie est le domaine macroéconomique. C’est
aussi le domaine du « toujours vrai ». La monnaie est en quelque sorte du
crédit institutionnalisé et garanti par l’Etat.
Nous avons vu que cette période est une période où la
monétarisation – en valeur – est faible. En tendance, il y a une forte
monétarisation. C’est l’époque où les pays d’Europe commencent à se
monétariser. Tout d’abord l’Angleterre propose un nouveau jeu, puis
l’Allemagne et la France conquièrent les signes extérieurs de la
monétarisation : la France en 1848, l’Allemagne définitivement en 1873,
mais déjà auparavant - par étapes -, quoique de façon plus anarchique
que la France. En effet, sans encore de « devise clé » en 1800,
l’Angleterre subit à cette époque un reflux monétaire parallèle à
l’expansion de son crédit, comme par effet de vases communicants. Mais
c’est encore ce qu’il y a de plus solide à l’époque en matière d’économie
monétarisée. Seulement, la monnaie ne sert pas à grand’chose. Au début
de ce siècle, de 1797 à 1815, la Livre Sterling se déprécie, ce
qu’accompagne le cours forcé des billets de banque, qui sont un des
premiers signes d’irruption du caractère monétarisé de l’économie, signe
généralement mal accepté par la population, qui voit les inconvénients de
la monétarisation, sans encore en voir les avantages. De 1807 à 1810, le
volume des billets en circulation augmente de 50 % : l’Etat suit, pour le
couvrir, l’augmentation du crédit privé. La France doit faire face à de
moindres problèmes, car elle est moins monétarisée. Elle vit la disparition
des assignats, qui étaient des droits monétaires directement rapportés à
l’étendue des terres cultivables. La monnaie connaîtra un meilleur rapport
dans les investissements du commerce et de l’industrie.
Après 1815, les pays pratiquent une politique déflationniste. La
masse monétaire avait augmentée au bénéfice de la guerre, qui demande
un effort national particulier. Les pays ne sont pas encore mûrs pour
accroître fortement leur masse monétaire en temps de paix. La guerre a
lancé un cycle, mais il doit être contenu, quasi-étouffé. Mais c’est la
guerre, la capacité de blocage, qui a servi de déclencheur à de futurs
investissements monétaires. Elle a trouvé par là même son propre futur
1387
Ainsi, durant cette période, les pays qui dirigent le crédit international, comme la
Grande-Bretagne, celui qui l’impulse déjà, comme les Etats-Unis, ont certaines facilités
pour, institutionnellement, se monétariser de façon plus vigoureuse que les autres, qui
doivent quant à eux répondre à des crises que souvent ils n’ont pas provoquées.
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 700
vaccin, en le faisant payer par le pays voisin, lequel à d’autant plus intérêt
à « protéger » ce vaccin tout en préparant ses effets retardés.
L’Angleterre peut s’autoriser de « vendre » plus facilement le vaccin
autour d’elle. A partir de 1815 donc, en Angleterre comme en France, le
volume des billets en circulation fait l’objet d’une réduction progressive.
La Livre Sterling boit la tasse de l’augmentation des emprunts. Elle
perd sa convertibilité, la retrouve en 1821. Pour s’institutionnaliser, la
monnaie doit montrer patte de velours face à la résistance des
mentalités : la Banque d’Angleterre obtient, en 1833, le statut de monnaie
légale aux billets. La Banque de France ne recherche pas ce privilège,
jusqu’au Second Empire. Le cours libre de son billet fait partie de son
statut de banque véritablement privée, indépendante du gouvernement,
par et pour les bourgeois qui ne veulent pas encore être trop ouverts sur
le monde. Le second démarrage de la monnaie anglaise, après la période
de guerre, a donc lieu à partir de 1833. La Banque d’Angleterre multiplie
par cinq le volume de ses escomptes entre 1833 et 1839.
A partir de 1845, est frappée une seule monnaie réelle, en Turquie,
qui est en or. Donc aux frontières de l’Europe, on suit le mouvement
d’amorce d’une monétarisation, déjà amorcé en Angleterre, surtout depuis
les années 1830, en France après 1848, en Allemagne en 1873. Les pays
se suivent, et la périphérie suit aussi.
En Allemagne, depuis la signature du traité tarifaire entre Prusse et
Etat de Schwarzburg-Landehauser, en 1819, trente-deux banques et
vingt-deux Etats ont émis une profusion de billets. Il y a donc bien un
développement de la monétarisation dans ce pays, mais pour ainsi dire
par anticipation endogène, de façon anarchique, non encore
institutionnalisée. Car certaines des banques précitées avaient
virtuellement une permission d’émettre illimitée. Leurs billets circulaient
largement dans toute l’Allemagne. Contrastant avec la maîtrise de soi
anglaise et avec la prudence française, on peut noter l’anarchie, voire
l’inflation, allemande1388. Encore l’institutionnalisation du phénomène s’estelle faite par étapes. Dès 1838, l’établissement de deux zones monétaires,
celle du thaler et celle
du florin, avait déjà permis d’activer les
transactions !
IV. Relations entre épargne, crédit, et monnaie, entre
microéconomie, mésoéconomie et macroéconomie :
Et une certaine ambition monétaire, débridée, un peu comme les Etats-Unis, qui
disposent eux d’un plus vaste territoire, donc peuvent davantage se le permettre. Car la
monnaie doit néanmoins toujours trouver son utilité auprès de la sphère réelle – un
territoire, une économie – pour se faire respecter et pouvoir espérer devenir « clef » c’est-à-dire une référence unique au-delà de ses frontières -.
1388
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 701
On a vu que, en quelque sorte, la monnaie, telle Janus (d’ailleurs
représenté sur quelques pièces métalliques), a une double face. Elle
représente une double sécurité : vis-à-vis de l’intérieur et vis-à-vis de
l’extérieur. A l’intérieur, elle peut être une arme pour l’Etat à l’égard des
risques de « fragmentation » de son espace que ferait courir un trop fort
développement de l’épargne. Vis-à-vis de l’extérieur, elle sert aussi
« d’unité de compte » en mesurant l’influence, la puissance d’un pays.
Dans un premier temps, elle baisse si le crédit augmente trop, mais à plus
long terme, à l’échéance d’un cycle KONDRATIEV, sa valeur se trouvera
assise et confirmée, si elle paraît être la monnaie d’un pays qui n’a pas
besoin de la guerre pour établir sa prospérité.
Il découle de ces considérations introductives, que le jeu de la
monnaie dans son acception large, c’est-à-dire une monnaie prenant en
charge dans sa sphère d’influence l’épargne et le crédit, macro-économie
(le sens) qui couvre et voile la micro-économie (la direction) et la mésoéconomie (les conflits), ce jeu est international.
La monnaie qui à l’épreuve du long terme (cinquante ans), peut se
passer de la guerre, est « la » monnaie pour tous les pays, l’unité de
compte de la stabilité, de la sécurité politique, de (des) la politique (s)
économique (s) à suivre. Toutes les autres monnaies ont entre elles des
relations, qui sont en fait des relations de crédit, des relations non
soldées, qui ne peuvent être soldées que par référence à, et dans le cadre
du système de puissance et d’équilibre incarné par la monnaie centrale.
Quant à l’épargne, il s’agit en quelque sorte d’un « lisier » pour
l’économie, qui lui permet de donner une direction initiale aux
anticipations, grâce au bénéfice d’une « fertilisation ». Mais l’effet le plus
important de l’investissement ne peut venir de l’épargne.
Nous avons vu que, tout au long de cette période, la Livre Sterling
s’est préparée à devenir la « monnaie » centrale. Pour gagner une partie
de l’autorité du pays hégémonique si proche culturellement et
géographiquement, France et Allemagne se sont dotées aussi des signes
extérieurs (mais qui restent extérieurs et n’ont pas l’effet d’entraînement
intérieur et à la fois extérieur de la Livre Sterling) de l’institution
monétaire, bien que l’Allemagne doive
composer avec un démon
intérieur, l’inflation, et la France au contraire avec une prudence peut-être
excessive qui lui fait rechercher l’équilibre là où, pour être hégémonique, il
faudrait avoir un coup d’avance sur l’autre dans un contexte de croissance
donc de déséquilibre.
Nous allons pouvoir maintenant analyser le mécanisme de
rééquilibrage permanent entre l’infrastructure monétaire (la « monnaie de
réserve » dans son essence même, d’abord le métal) et sa superstructure
(autorité juridique qui sert « d’agence » de la monnaie, et gère les
problèmes d’aléa moral et d’asymétrie d’information qui lui sont attachés
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 702
et perturbent le maintien du pouvoir qui y est lié, et que l’on recherche –
s’agissant particulièrement du pouvoir d’achat – à travers elle).
Principales conquêtes juridiques institutionnelles
de la monnaie. L’évolution de la monnaie
secondaire « réserve de valeur » :
L’aspect d’infrastructure de la monnaie « réserve de
valeur » ou l’aspect essentialiste matériel de cette
monnaie :
Tout d’abord, on peut remarquer le jeu de cette infrastructure avec
les rapports de classe : ce sont seulement les classes les plus riches qui
peuvent user de l’or et de l’argent.
Ce jeu est d’emblée international. On peut diviser la période 18001873 en deux phases : la première, plus longue, d’une cinquantaine
d’années, qui correspond à une utilisation double à la fois de l’or et de
l’argent, même si le pays hégémonique, l’Angleterre, signale assez
rapidement sa préférence pour l’or ; la seconde, plus courte, de vingt-cinq
ans environ, qui marque l’essor de l’influence massive de l’or. Ce choix,
entre or et argent, induira aussi des positionnements entre pays à travers
des conflits, des coopérations et des évitements.
Dès 1816, les nouvelles règles de monnayage de la Livre Sterling
permettent de mettre fin à la crise, font de l’or le seul étalon de mesure.
Le pouvoir libératoire de l’argent est limité (à deux Livres). En revanche,
le franc, fixé le 7 avril 1803, est défini par rapport à l’argent (quatre
grammes et demi) ; le système est métallique avec frappe et pouvoir
libératoire libres, et sera ensuite largement adopté en Europe ; le rapport
or / argent est fixé à 1 / 15,5. Le système anglais (préférence pour l’or)
peut paraître minoritaire, il sera néanmoins clairement dominant.
L’histoire donne raison aux Anglais. Cela mérite discussion. Si « ce qui est
rare est cher » et donne de la valeur à l’or, alors les Anglais montrèrent
plutôt une valeur de prudence, tout à leur honneur, en en faisant leur
étalon de réserve. Mais comme les découvertes d’or se sont multipliées à
partir de 1848, cela aurait dû logiquement dévaloriser l’or. Or, comme il
faut comprendre la période « d’étalon-or » comme aussi une période
« d’étalon – Livre Sterling » (selon AGLIETTA), 1389 alors l’important pour
AGLIETTA, « La notion de monnaie internationale et les problèmes monétaires
Européens dans une perspective historique ». Revue économique, Vol. 30, N°5,
Macroéconomie en économie ouverte : quelques développements récents. Deuxième
1389
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 703
que l’or soit utile est qu’il soit abondant, pour ne pas en manquer, et
d’éventuelles chutes de valeur peuvent être couvertes par une monnaie
plus immatérielle. On était passé d’une logique de la rareté à une logique
de l’abondance, afin de couvrir des besoins croissants. Logique de
l’abondance dont l’un des signes forts est la monétarisation de l’économie,
comme caractère : à travers la monnaie, la valeur s’affiche, s’exprime,
elle ne cherche plus à se retrancher 1390. Dans les deux cas, les Anglais
avaient raison, ils s’étaient montrés malins. Mais l’histoire les a aidés.
Peut-être aussi étaient-ils bien informés.
Entre 1817 et 1829, on assiste en effet à un effondrement –
diminution des deux tiers - de la production Américaine d’argent. En
Europe, la production d’argent passe de cinquante-trois mille kilos à cent
vingt mille entre 1810-1825 et 1825-1848 ; en Russie aux mêmes dates,
la production d’argent passe de douze mille six cents kilos à dix-neuf mille
six cents soixante-dix, et celle d’or de mille quatre-vingt-quinze à dix
milles soixante-sept kilos. En 1836, la Banque d’Angleterre relève son
taux d’escompte (de 4,5 à 5 %) pour empêcher le départ de l’or vers
l’Amérique, la demande pour ce métal commençant alors à se faire sentir,
annonçant le futur étalon-or en réponse à la chute de la production
d’argent. Même si la production d’argent recommence à augmenter à
partir des années 1840, elle n’augmentera pas suffisamment pour
concurrencer l’or. En 1847, las d’une crise assez brutale, l’or, à l’automne,
commence à prendre le chemin des Etats-Unis, et il y reste. Il convient de
rappeler que le futur étalon-or préparera ainsi, cinquante ans plus tard,
l’étalon-dollar.
La période 1848-1872 est une période de transition qui annonce la
mise en place d’un nouveau régime monétaire : le premier régime
monétaire, au sens d’un régime s’appuyant sur une devise (la Livre
Sterling) sera à moitié « dématérialisé », dans la mesure où il aura besoin
quand même de beaucoup s’appuyer sur l’or. Sans doute peut-on noter
qu’un tel régime monétaire s’opère en deux périodes. La première
regroupant à peu près deux phases de KONDRATIEV, elle véhicule le
régime monétaire dans son intégralité et dans ses spécificités. La seconde
étant plus courte (une phase de KONDRATIEV), est liée à la préparation
du régime monétaire suivant. Ainsi, de 1800 à 1848, on a le régime or +
argent, de 1848 à 1873 ce régime est dilué, tourné de plus en plus vers
l’or. C’était le monétaire « or et argent » de 1800-1873. Le régime
partie (Sept. 1979), pp. 808-844.
1390
La monnaie aura toujours un caractère ambigu. Car d’après la théorie économique la
plus standard, elle sert aux échanges. D’après nombre de classiques, une économie non
monétarisée est celle où la valeur prédominait, une économie monétarisée au contraire
serait celle où domineraient les prix. Or on voit qu’au fur et à mesure que l’économie
elle-même se monétarise, la valeur elle-même s’affiche davantage. Dès lors, on peut se
demander systématiquement : « la valeur de quoi ? ». On ne veut pas toujours les
marchés que l’on crée dans une économie monétarisée. DUPRIEZ n’a t-il pas noté dans
« La monnaie dans l’économie », que plus l’économie est administrée et plus, à chaque
fois que l’on crée un marché légal, on crée aussi un marché qui n’est pas légal…
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 704
monétaire de 1873-1945 peut être caractérisé par l’or + la Livre Sterling :
d’abord, de 1873 à 1920, il regroupe l’or, la Livre Sterling et les effets de
commerce (en particulier britanniques, vis-à-vis de la France, comme
nous le verrons). Dans une seconde partie, plus courte, 1920-1945, la
Livre Sterling, mais aussi le franc peuvent servir de réserves. Le troisième
régime monétaire, de 1945 à 1996, est le « régime dollar » : de 1945 à
1971, il s’agit du dollar et de l’or ; à partir des années 1970, yen et
Deutsche Mark sont d’autres monnaies de réserve 1391. Chaque régime
monétaire, avec sa phase de fonctionnement plein et sa phase vers un
autre système, pourrait durer de cinquante / cinquante-cinq ans à
soixante-dix / soixante-quinze ans 1392. Le cadre général semble pertinent,
il permet bien d’effectuer deux lectures : la deuxième forme concerne la
« monnaie secondaire » ou « monnaie réserve de valeur », qui mute au
cours de ces périodes. A partir de 1848, donc, la Californie connaît des
découvertes de mines d’or. Californie, Autriche, Russie, reste du monde,
sont les nouveaux producteurs. Alors qu’on produisait chaque année dixhuit mille quatre cents kilos d’or entre 1831 et 1840, on en produit
annuellement cent-soixante-dix-huit mille six cents kilos entre 1851 et
1860 (soit dix fois plus), et sensiblement le même volume, cent-soixantetreize mille, entre 1860 et 1870.
La France, peut-être pour se différencier de l’Angleterre et des
Etats-Unis, privilégie plus particulièrement l’argent. La France a une
approche prudente, comme on l’a déjà dit. Mais elle entend – et elle en a
les moyens – construire son propre système d’influence, pas au point de
menacer la puissance hégémonique, et même en se mettant à son
service, comme nous le verrons lors de la période suivante. Il existe aux
alentours de 1850 une communauté de fait entre la France, la Belgique,
l’Italie et la Suisse. La Suisse s’est par exemple ralliée au système décimal
français pour la monnaie d’argent. A la fin de 1865, la France, l’Italie, la
Suisse, la Belgique, puis la Grèce constituent l’Union monétaire latine.
Elle est bimétallique. Ces pays appliquent un système calqué sur le
système monétaire français. On a le pouvoir libératoire absolu pour toutes
les monnaies d’or et la pièce de cinq francs en argent. C’est un compromis
entre or et argent, mais plutôt calqué sur l’argent.
Il paraît crédible de profiter de la concurrence de l’or et de l’argent,
qui peut offrir des gains d’opportunité et de gestion. Parfois, les mines d’or
ne fourniront pas les résultats escomptés (USA, 1857). Parfois aussi (1863
/ 1864), la nécessité de payer certains biens (coton) uniquement en
Y a-t-il accélération du rythme des régimes monétaires, considérant la faible durée du
dernier cycle ? Non, si l’on considère que le premier régime a véritablement commencé
en 1815-1816, après les guerres hégémoniques napoléoniennes, et qu’on l’a fait
démarrer un peu plus tôt par convenance de récit, et pour obéir à un cadre
chronologique (1800 à nos jours) imposé.
1392
Peut-être, aujourd’hui, ne sommes-nous pas vraiment sortis non plus du système axé
autour du dollar, tant que l’émergence de l’euro ne permettra pas définitivement d’en
finir avec la récession, et d’entrevoir à nouveau l’horizon du plein-emploi en Europe.
1391
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 705
argent à des pays (Inde, Egypte) qui n’acceptent que ce métal, peut créer
des crises de change…
La France n’est pas le seul pays à miser sur l’argent durant cette
période de transition. La position de l’Angleterre et des Etats-Unis est,
nous l’avons vu, à la fois minoritaire et dominante : elle rémunère la prise
de risques calculés, une mise effectuée sur la croissance, sans inflation (à
la différence de l’Allemagne, où peut-être les agents du crédit doivent suranticiper sur la confiance de tous les autres agents, à cause du retard
permanent et à combler dans l’unité territoriale). En conséquence,
l’Allemagne aussi a misé sur l’argent pendant une bonne quinzaine
d’années. En 1857 on a l’Union austro-allemande. Le traité de Vienne (22
janvier 1857) lie l’Autriche et les Etats allemands du Zollverein, déjà unis
par la Convention de 1838. Est instituée une monnaie de l’Union frappée
par les divers Etats à leur effigie dans des conditions identiques. Le
système est basé sur l’étalon-argent. Les monnaies de l’association
doivent être d’argent (thaler et double thaler) ou d’or (couronne et demicouronne). Les monnaies d’argent ont cours sur tout le territoire de
l’association, à la différence des monnaies d’or (pas de cours légal, nul
n’est tenu de les accepter en paiement, pas d’incitation de la valeur du
thaler, simples lingots dont la valeur dépend de l’offre et de la demande ;
ces monnaies n’ont en fait pas circulées).
Dès 1867, on observe le changement de valeur de l’argent à la suite
de l’Union latine. L’écu de cinq francs apparaît sur évalué et disparaît
presque complètement de la circulation. Allemagne et Pays-Bas expriment
une forte demande d’or et expédient de grandes quantités d’argent vers
l’Union monétaire latine.
L’enjeu de la monnaie de réserve porte sur les équilibres monétaires
et les systèmes d’influence. En fait, il y a deux principales sphères
d’influence, issues des guerres hégémoniques du début du siècle, la
France et l’Angleterre. En 1867 est posée la question d’une Union
monétaire internationale. On assiste à un refus unanime en 1867, quand
les délégués de dix-neuf Etats européens et d’Amérique du Sud réunis à
Paris se séparent après avoir invoqué leur préférence pour l’étalon-or
(Hollande exceptée). En tentant, d’une certaine manière, de créer une
troisième sphère d’influence lors de la période suivante, l’Allemagne
montrera que l’équilibre ne peut s’établir en Europe (équilibre tendu
possible avec deux sphères d’influence, avec trois il vole en éclats), ce qui
provoquera l’émergence du joueur outre Atlantique, deux périodes plus
tard. Les années qui suivent vont cependant assurer le triomphe de l’or,
avec dans sa roue la Livre Sterling, puis le dollar. Après 1870 en effet,
l’Union monétaire latine ne constitue plus un instrument d’hégémonie
consciente. Son histoire est une suite de difficultés dues aux variations de
l’offre, de la demande et du prix de l’argent.
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 706
L’aspect de superstructure des banques centrales,
responsables de gérer l’aléa moral et la sélection
adverse par rapport aux monnaies :
La banque centrale gère un problème de sélection adverse, c’est la
valeur des monnaies étrangères vis-à-vis de la monnaie nationale,
notamment à travers le prisme de lecture de la monnaie de réserve. Gérer
la dite sélection peut permettre à celui qui par ailleurs prend des risques
financiers en s’appuyant sur une bonne sécurité politique de pousser son
avantage. La sélection adverse consiste à considérer que l’autre monnaie
a le « mauvais type » (n’est pas une monnaie solide), ou a le « bon
type », et à la garder en réserve ou non selon le jugement porté. Si « la
nature » (les autres monnaies) ne se reconnaît pas dans ce jugement, il
peut y avoir des rétorsions par jeu de collusion : les autres monnaies se
coalisent contre la monnaie prétendument centrale et la font tomber de
son piédestal. A la limite, la Banque centrale incriminée perd toute
crédibilité, elle ne peut jouer la procédure de la sélection adverse - forme
de discrimination, exprimée en langage commun – mais désormais c’est
elle qui en est victime et doit y répondre pour se défendre. Les résultats
des jeux sont des gains monétaires sous forme de seigneuriage. Dans le
pire des cas, si la banque centrale ne parvient pas à garder le contrôle de
soi – c’est-à-dire de son cours -, le pays tout entier peut perdre l’exercice
du jeu monétaire – un jeu culturel – et retomber dans les figures de la
guerre.
En ce qui concerne la procédure de l’aléa moral, il s’agit toujours de
la même chose, les interactions entre un principal et un agent. Le principal
paie l’agent pour son travail, mais ne peut contrôler son effort : « l’aléa
moral » réside dans cette incertitude. Le principal va façonner des
contrats permettant
de rémunérer ce type de risque. Ici, on peut
considérer que le principal est le banquier et l’agent est l’entrepreneur. Il
y a un super principal : la banque centrale, « principale des principaux ».
En bref, cela se résume en fait à un principal, la banque centrale, et un
agent, l’économie dans son ensemble. Ainsi, la sphère monétaire va
avancer de l’argent à l’économie selon certains contrats – certaines
conditions de remboursement – en tenant compte de son jugement moral
sur cette économie.
La banque centrale va autoriser certaines relations entre monnaie,
crédit (une partie « folle » de l’économie), épargne (la partie « émergée »
de l’économie) en gérant certains taux, internes (taux d’intérêt) ou
externes (taux de change), en fonction de la « confiance » qu’elle accorde
elle-même aux capacités de l’économie de faire face à ses propres
obligations. Ce modèle suppose que la banque centrale « domine ». Cela
lui donne, ainsi, une antériorité dans la chaîne des conséquences
supposées d’une décision – d’investissement ou pas, dans tel ou tel
secteur, telle ou telle région – issue d’une anticipation. La monnaie
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 707
domine et le crédit et l’épargne, notamment parce que, de toute façon, les
choses se dérouleront conformément à une Histoire partagée, rattachée à
l’Etat et / ou à la Banque Centrale. Si la Banque Centrale n’a pas ce
caractère de domination, soit du fait d’une contestation étrangère (on
retombe alors dans le cas de la sélection adverse), soit du fait d’une
contestation des agents privés, la Banque Centrale se trouve « percée à
jour », son schéma devient incohérent temporellement. Tel n’est pas le
cas rencontré dans la période 1800-1873. Les agents et les pays
découvrent alors la monétarisation, ils l’accueillent, ce qui explique le
développement, la constitution ou le triomphe de banques centrales à
cette époque. On ne voit que les bons aspects – conjoncturels – de la
monétarisation. On ne lui suppose pas d’effets structurels – un
télescopage avec la demande de guerre – qui pourraient s’avérer négatifs.
1°) L’illustration la plus immédiate en est qu’avec l’expansion des
échanges internationaux permis par la monétarisation, on permet aussi
des échanges entre pays à niveaux de développement différents, ce qui
oblige à des changements de comportement de la part des agents des
pays les moins favorisés, et un déséquilibre global qui entraîne une
« anomie » entre nations pouvant mener à la guerre, ultime réponse face
à l’absence de réponse « culturelle », face à l’absence de « droits de
propriété » des pays les plus dominés. 2°) Ce détour des nations les plus
civilisés dans l’exploitation de la « nature », entraîne une perte dans cette
fuite, une « anomie » des nations les plus « civilisées », qui ne se parlent
plus entre elles, qui ne rencontrent plus alors aucune résistance en face
de leur « être », et où coexistent in fine de manière confuse leur propre
injustice et leur fuite en avant. Masquant le vide de perspectives
auxquelles on puisse se rattacher, elles retournent leur agressivité entre
elles-mêmes, comme simulacre d’explication et simulacre de justice à la
fois. Les conséquences en sont dévastatrices. 3°) La réponse à ce
problème
est
monétaire.
Elle
vise
à
dépasser
radicalement
« l’incohérence temporelle» dont le signe réel sous forme de conséquence
était la fatalité des guerres « remettant tout en question » une fois tous
les cinquante ans. L’Allemagne à partir de 1873 a porté le signe indien,
elle a incarné le télescopage entre guerre et monnaie et fut la victime d’un
jeu d’anticipations croisées où la banque centrale allemande ne pouvait
plus gérer aucun aléa moral – structurellement -. Entre 1800 et 1873, on
va clairement vers l’édification de banques centrales, qui incarnent cette
autorité mystérieuse, affirmée, issue du pouvoir de la monnaie. Une telle
banque centrale existait déjà depuis cent cinquante ans en Angleterre depuis 1691 – quand la banque centrale s’est imposée en France – en
1848 -. L’Angleterre avait en ce domaine la durée – que GOLDSTEIN
estime à cent cinquante ans - d’un cycle hégémonique d’avance sur la
France.
En effet, la Banque de France fut créée le 13 février 1800 - de la
fusion entre la Caisse d’amortissement, la Caisse des Comptes Courants et
la caisse d’escompte du commerce -, mais il ne s’agissait guère que d’une
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 708
agence parisienne n’ayant pas autorité sur tout le territoire national. Il y
aura fusion entre la Banque Centrale et les banques départementales en
1848. La Banque de France est une sorte de gouvernement de la monnaie
et du crédit. Pendant très longtemps, elle concevra sa mission de façon
restrictive : limitant son expression commerciale, elle refuse de jouer la
providence du commerce et de l’industrie. Elle tend à imposer ses normes
de prudence au système bancaire. La France avait une vision très
guerrière de l’ordre politique, elle adopte une vision très mesurée de
l’ordre monétaire. L’Angleterre a procédé en quelque sorte à l’inverse.
La Banque de France doit partager son monopole avec les banques
départementales : il s’agit des opérations de 1817-1818 à Rouen, Nantes,
Bordeaux, et de 1835-1838 à Lyon, Marseille, Orléans, Le Havre et Lille.
Ainsi, 1800-1848 marque le déroulement d’une sourde résistance entre la
Banque de France, qui souhaite donner le lustre d’un ordre politique à son
autorité, et les banques départementales, plus commerciales que
politiques, qui se montrent beaucoup plus laxistes en matière de crédit. La
monnaie départementale augmente plus vite que celle de la Banque de
France. Mais les banques départementales ont besoin de l’autorité de la
Banque de France, due à sa prudence : elles la sollicitent en effet, non
pour ses billets, qui n’ont pas encore le statut de monnaie légale, mais
pour conforter leurs encaisses. C’est aussi au nom de cette conception
d’une gestion monétaire « prudente » que la Banque de France voit dans
la seconde série d’autorisations départementales de 1835-1838 les
éléments d’une concurrence dangereuse, qui l’inquiète. La Banque de
France se présente toujours, notamment auprès du gouvernement,
comme la banque générale et de référence, seule capable de prêter sans
risques. Cela la contraint à anticiper sur ses futures obligations, encore
non révélées : elle devient responsable des actes des banques
départementales en acceptant de leur fournir du métal. Premier lieu de
confiance et première encaisse, elle n’a elle-même ordinairement besoin
d’aucun achat métallique. On lui offre spontanément des espèces lors des
paiements, et c’est elle qui prête le plus. Mais pour déjouer l’aléa moral,
elle prend l’initiative de jouer sur le bimétallisme, offrant d’abord le métal
au cours commercial déprécié pour dissuader les demandes de
remboursement. Elle se manifeste ainsi comme prêteur en dernier ressort.
Elle s’imposera ensuite comme créateur de monnaie fiable. A partir de
1848, le monopole renforce le rôle-clé de la Banque de France, elle achève
la mise en place de son système de règlement multilatéral, où elle agit
comme chambre de compensation. En vingt ans, de 1830 à 1850, elle a
acquis l’ensemble des attributs et fonctions d’une banque centrale. Dès les
années 1830, elle crée des comptoirs en province, concurrents des
banques départementales. L’escompte réciproque entre comptoirs,
amorcé fin 1837, sera généralisé en 1844 : les relations avec les
succursales de province, et la question du commerce de métal sont liées.
Ce commerce nécessite d’être relativement centralisé, pour des raisons de
confiance, en clair pour des raisons institutionnelles. Seul l’Etat français
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 709
peut se positionner de manière crédible, et défendre les intérêts de
l’économie française, des épargnants et des investisseurs, face à
l’Angleterre et aux nouveaux pays. Ainsi, la question du type d’émission
qui doit prévaloir en France – unité ou pluralité des émetteurs – fut
vigoureusement débattue dans les années 1840. Or, la révolution de 1848
s’accompagne d’une crise économique et financière qui ne manque pas
d’affecter les banques émettrices. On assiste en effet à une demande
soudaine de monnaie métallique, c’est une crise de liquidité, et l’occasion
pour l’Institution d’affirmer son autorité. Il y a alors déjà suffisamment de
crédit en circulation dans l’économie, permettant les investissements
futurs, on ne peut plus reculer, mais il faut un garant. La monnaie
« primaire » - les billets – vont recouvrir la monnaie « secondaire » - or et
argent – 1393 en réserve pour le grand jeu international : jeu de domination
géostratégique. En 1848, c’est le cours légal et forcé du billet de banque
jusqu’en août 1850, et l’occasion pour la Banque de France d’absorber les
banques devenues ses rivales, qu’elle transforme en succursales. Elle joue
ainsi son rôle d’autorité de marché, centralisant les informations sur les
asymétries dans le jeu monétaire, et distribuant du crédit gratuit, légal et
forcé pour relancer et démocratiser le jeu. Elle s’apprête à jouer un rôle
de régulation : dans la grande stabilité monétaire française, il s’agira de
faire jaillir des gains d’opportunité de l’existence d’une ambiguïté entre
contrainte financière et contrainte extérieure. Ce rebond de l’autorité est
légitime, il clôt une période d’intense spéculation marquant la fin du règne
de Louis Philippe. Le recours à la banque unique apparaît alors comme
une solution pour faciliter les paiements, favoriser l’activité commerciale
et développer la distribution du crédit. Les banques départementales sont
mises en demeure d’accepter le projet de fusion. Cette irruption de la
Banque de France en 1848, c’est l’institutionnalisation de la monnaie en
France, par les ouvertures stratégiques que donne l’épargne au crédit, à la
monnaie. Suivant cet exemple une banque centrale est aussi instituée en
Russie, en 1849.
La Banque de France, comme elle avait donné souvent le change
jusqu’en 1850 par un habile maniement au niveau interne des marchés
internationaux « de fait » - d’or et d’argent -, va maintenant prendre
l’initiative en fixant un prix monétaire, utile repère pour les investisseurs
dans une économie qui se monétarise. En effet, après 1848, elle se
retrouve dans une situation paradoxale, tendant à perdre relativement de
sa puissance commerciale, mais consolidant sa position institutionnelle et
améliorant sa capacité d’influence en passant à une politique de mobilité
du taux d’escompte. Créer de la monnaie ne suffit pas, il lui faut exercer
On observe alors qu’il y a une « infrastructure » que l’on qualifie pourtant de
« secondaire », et une « superstructure » monétaire que l’on qualifie pourtant de
« primaire ». Ce n’est pas une contradiction, mais l’expression de l’ambiguïté
fondamentale de la monnaie pour conserver son autorité, prise en étau qu’elle est entre
relations internationales et systèmes socio économiques nationaux plus ou moins
protégés. C’est le garant de sa « flexibilité dans l’autorité », à même de lui permettre de
couvrir des échanges.
1393
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 710
pleinement sa responsabilité de direction du crédit, en donnant le prix de
référence du moment. Mieux vaut la continuité à prix variable que la
discontinuité à prix fixe. Elle remplit un double rôle, directeur et
sécuritaire. Cette politique aura exigé un apprentissage d’une dizaine
d’années (les années 1840). Tout cela est guidé par l’empirisme
conservateur de ses régents, et se cristallise dans un rôle global, celui de
prêteur en dernier ressort. De plus, la politique de la Banque de France,
dans une optique de prudence, de retraitement des ambiguïtés financières
et extérieures pour donner un prix intérieur à la confiance, se couvre
contre des conséquences imprévues de telles ambiguïtés. Ainsi, à partir
des années 1870, l’émission et les comptes courants de la Banque de
France sont doublement couverts, à 70 % par le métal.
Vingt-cinq ans après la France, l’Allemagne construira elle aussi sa
banque centrale. En effet, dans ce pays, un très gros volume de billets
non couverts avait été admis à la circulation, deux cents trois millions en
1867, et jusqu’à quatre-cent millions de marks en 1873, 32 % n’étant pas
couverts par l’or ou par une autre forme de réserve. La Königliche Giround Lehnbank, fondée en 1765 par Frédéric II pour promouvoir le
développement économique de la Prusse, avait été organisée en banque
d’Etat. Le billet était considéré comme légal, la banque fut organisée en
banque d’Etat et sollicitée pour avoir une réserve de métal égale à
seulement un tiers des billets en circulation. Or, les Etats allemands
étaient encore plus laxistes, ils encouragèrent la circulation des billets bien
au-delà des frontières de l’Etat dans lequel ils avaient été émis. Dès lors,
avec son expérience dans la gestion des affaires monétaires - et le poids
de la Prusse – la banque de Prusse fut choisie comme fondation sur
laquelle devait s’ériger la banque centrale. Jusque là, sept systèmes en
Allemagne, fondés sur le Standard Argent, étaient simultanément en
vigueur, il y avait trente-deux banques pour vingt-deux Etats. En 1872,
Bismarck suggère une loi transformant la Banque de Prusse en Banque
centrale d’Allemagne. Le 22 septembre 1875, l’unification monétaire de
l’Allemagne est décrétée. La nouvelle « Reichsbank » doit fournir des
crédits au gouvernement impérial et mener une politique active du taux
de l’escompte. Son rôle est un peu différent de celui de la Banque de
France : il s’agit ici d’étendre les possibilités de crédit entre les différents
Etats allemands. Au départ, la Reichsbank reçoit un contingent libre
d’impôts de deux-cent millions de marks. Dans les époques de forte
demande de crédit, elle sera autorisée à étendre le crédit sur la base de
son contingent hors taxes plus important, après que les autres banques
aient atteint la limite du leur. Le but est d’accroître l’activité économique
en Allemagne, ce qui nécessite de disposer d’une façon rapide et efficace
de transférer des fonds d’une partie du pays à une autre, et ce qu’une
autorité centrale telle la Reichsbank peut accomplir dans les meilleures
conditions. L’Acte Bancaire du 30 Juin 1875 constitue le document
établissant un modus vivendi, autorisant à la fois la banque centrale et les
banques privées à exister côte à côte. C’est un outil d’extension du crédit.
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 711
La fluctuation des cours de la monnaie, du taux
d’intérêt,
et
l’évolution
de
la
masse
monétaire :
Franc / Livre Sterling :
Les taux de change à l’époque sont remarquablement stables.
L’argent circule entre élites bourgeoises qui, à l’époque, font relativement
profession de prévoyance. Ces élites sont peu nombreuses, et leurs
circuits et marché sont relativement protégés, et n’ont encore de
retentissement que sur une partie de l’économie. Il y a donc toutes
raisons à la stabilité, car la plus grande prudence est requise, côté offre.
Côté demande, celle-ci n’est pas très impressionnante. « La pression de
l’avenir » ne se fait pas encore sentir de façon très importante, beaucoup
de banquiers sont encore des bricoleurs qui vendent des métaux précieux
exerçant sur ceux qui ont les moyens de payer – et les autres – une
fascination, comme un symbole de richesse un peu magique. Ce ne sont
pas encore les professionnels du crédit mesurant tous les paramètres de
risque et même de rentabilité, ayant une vue d’ensemble de l’économie
dans le cadre d’un circuit ouvert (contrairement à celui de François
QUESNAY), dirigeant les anticipations qui permettent de bâtir
l’investissement sur l’avenir. Les monarchies, au demeurant, se servent
des bourgeois et des banquiers pour contrôler, symétriquement, les
menaces d’agitation des nobles, dont les valeurs sont radicalement
différentes. On vit dans un présent dont on gère la stabilité, et cela
jusqu’en 1850 environ. Il y a pourtant quelques fluctuations imputables à
la relation guerre – monnaie, elle-même médiatrice à la fois des rapports
que l’on a avec le temps dynamique – la façon de s’orienter vis-à-vis du
passé, du présent et de l’avenir pour défendre et étendre son patrimoine –
et des rapports qu’entretiennent les pays entre eux, avec leur fierté
nationale, leurs valeurs, leurs projets et aussi leurs relations croisées de
domination. Le taux de change franc / Livre, remarquablement stable de
1800 à 1872 – autour de vingt-six francs pour une Livre – connaît
néanmoins une inflexion remarquable de 1809 à 1817, descendant à
vingt-et-un (1809), vingt (1810), dix-huit (1811 au plus fort du creux),
puis remontant graduellement à dix-neuf (1812), vingt-deux (1815),
vingt-cinq (1817). Les Anglais, au sortir des guerres napoléoniennes,
laissèrent chuter leur monnaie pour développer leur crédit – déjà fort
sollicité pour financer la longue période de guerre – et rebondir. Ainsi,
hormis cette occurrence qui est surmontée par retour à l’ordre antérieur
(le rapport était toutefois ainsi tombé exceptionnellement à vingt-deux en
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 712
1802, à cause du crédit finançant la guerre), le rapport est autour de
vingt-quatre jusqu’en 1820. Il passe alors à vingt-six, et s’y maintiendra,
sauf de 1859 à 1870 (vingt-cinq et demi). De 1810 à 1815, la volonté de
Napoléon peut aussi expliquer la relativement faible cotation de la Livre.
Napoléon impose alors son ordre et un prix pour les monnaies, incluant
une prime relative de prestige pour la sienne, surévaluée par les
rétorsions en nature infligées à l’égard des économies nationales alentour.
Franc / Deutsche Mark :
Malheureusement, on ne dispose pas des données nécessaires pour
comparer les valeurs monétaires allemande et française, les deux
systèmes étant très séparés, plus que les systèmes français et britannique
entre eux1394.
Taux d’intérêt :
La France ayant, moins que l’Angleterre, l’habitude d’investir sur
l’avenir, le cours de l’argent y est plus cher, car on a moins conscience de
l’ampleur du gain marginal qu’il y a à tirer d’une unité de crédit
supplémentaire, permise par l’abandon d’une unité de taux d’intérêt en
échange. L’écart est surtout considérable pendant la période
napoléonienne, d’autant plus que certains prêteurs sont sans doute peu
enclins à prêter pour une forte proportion de dépenses militaires, par
nature improductives. De 1802 à 1807, le taux d’intérêt moyen en
Angleterre est de 4 %, il est de 7,5 % en France où il reste élevé (6 %)
jusqu’en 1815. Alors seulement peut commencer à s’opérer un
rapprochement entre le prix de l’argent sur les marchés britannique et
français :
France
1815-1826
1827-1835
1836-1842
1843-1853
5%
4%
4,6 %
3,8 %
Grande-Bretagne
4%
3,7 %
4,1 %
2,7 %
1394
Que le lecteur nous pardonne. Le système allemand à cette période doit être traité
relativement à part, car il est à la fois en forte expansion interne, et en relative fermeture
vis-à-vis de l’extérieur, notamment face à l’Ouest qui avait été en position de supériorité,
non pas tant par une plus grande efficacité productive que par une définition et donc
protection plus vigoureuse des droits de propriété. Les choses ont énormément changées
depuis cette époque.
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 713
Ce rapprochement, qui maintient un léger avantage pour les rentiers
à investir en Grande-Bretagne plutôt qu’en France, se distend
lorsqu’approchent les révolutions nationales de 1848. Un deuxième effet
est qu’à cette occasion, le prix de l’argent diminue beaucoup jusqu’à se
rapprocher – dans le cas de la Grande-Bretagne – à presque deux points
d’un taux zéro. Les bourgeois donnent-ils des gages à l’Etat-nation
embryonnaire, comme outil de recherche de domination économique ?
A partir des années 1850, les investissements industriels prennent
tournure en France. Peut-être est-ce la raison pour laquelle l’argent
devient plus cher en Angleterre, car il risquerait par quelque détour
imprévisible, d’aller au financement d’une cause concurrente à celle des
bourgeois anglais. Sur les quatre années 1855 – 1858, il monte à plus de
6 % en moyenne, devenant alors, plus cher qu’en France, 5,5 %. Entre
1859 et 1872, le taux de l’argent est en moyenne de 3,9% en France,
confirmant que les investissements y sont alors devenus beaucoup plus
recherchés. C’est la glorieuse époque de Napoléon III pour
l’investissement industriel, et, de plus, avec le Traité de Commerce
franco-allemand de 1860, la France entrevoit pour la première fois, du
moins certaines de ses élites, une perspective de production future à une
échelle plus Européenne, menacée toutefois par les risques symétriques
de guerre en cas de mésentente, exprimées sous forme de clause dans le
traité. Sur la même période, le loyer de l’argent est tombé à seulement
3,1% en Grande-Bretagne. Les bourgeois britanniques continuent de
dominer, ils ont l’ouverture des marchés à mi-chemin entre monnaie et
finance, découlant de ce que la France utilise des effets de commerce
franco-anglais comme monnaie de réserve couvrant le crédit intérieur, en
parallèle avec l’or et l’argent. L’institution monétaire française est, en
partie, au service de l’institution monétaire anglaise. Tout se passe
comme si la France empruntait à l’Angleterre, laquelle en retour prélève
des royalties. Réciproquement, l’extension de l’espace d’échanges
commerciaux pour l’Angleterre en Europe entraîne une diminution du
loyer de l’argent, prêté plus abondamment.
Masses monétaires :
Nous manquons de données dans ce domaine afin de nourrir une
histoire littéraire sur les aspects stratégiques 1395.
1395
Pour un examen plus technique des données dont nous disposons effectivement,
prière de se reporter au Tome III, Chapitre deux au sujet de cette époque.
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 714
Les relations monétaires entre pays d’Europe, en
particulier Angleterre, Allemagne, France :
Comme nous l’avons vu, des relations monétaires importantes se
sont développées durant cette période entre France et Grande-Bretagne,
tandis que l’Allemagne développait son propre système. Ce dernier est
relativement séparé, et soumis à une forte pression résultant de
l’expansion du crédit entre Etats allemands, alors que sur le plan de
l’économie réelle il y a une forte pression démographique en Allemagne :
l’explosion démographique allemande du dix-neuvième siècle 1396.
Examinons donc les interactions franco-britanniques, aussi bien au plan de
l’élargissement que de l’approfondissement. On peut parler déjà de
l’élargissement des marchés en Europe et dans le monde, lié à la victoire
de l’idéologie anglaise du libre-échange sur une idéologie française plus
conservatrice au départ. La Livre Sterling, avant les années 1860, n’est
pas une devise-clé, mais elle utilise déjà des effets commerciaux et
financiers qui vont édifier cette future situation de devise-clé, ce qui se
mesure par la capacité à attirer des investisseurs à travers un prix de
l’argent en moyenne moins élevé. Cette capacité à attirer plus
d’investisseurs est un moyen de créer des élites économiques, d’imposer
une volonté, et dès lors donne des moyens d’investir à plus long terme,
tout en projetant l’ensemble du système, y compris institutionnel allant
avec. C’est ainsi que s’est construite la Livre Sterling devise-clé : les trois
trépieds, commercial, financier, monétaire, vont de pair. Les effets
commerciaux représentent un pacte, à savoir remplacer les relations
guerrières par des relations commerciales, discuter, s’asseoir autour de la
table de commerce, qui représente l’intermédiaire rêvé entre économie et
culture. Ils sont assortis de conditions financières privilégiées qui
garantissent, refinancent, créent un effet de richesse : ainsi, l’Angleterre
peut créer avec ses partenaires une « richesse commune ». Les effets
d’échelle géographiques, et les effets de seuil démographiques permis par
ses investissements, permettent que les élites du commerce et de la
finance qui en sont à l’origine soient « couvertes » elles-mêmes et
assurées par une institution. Celle-ci est la monnaie, c’est-à-dire de la
finance institutionnalisée, garantie par l’Etat. La monnaie, c’est du crédit
qui est sa propre garantie, par le sceau apposé par l’Etat sur cette
relation1397.
Cette conjonction de faits rend la situation en Allemagne réellement très complexe,
crée une pression véritable sur ce pays, à la fois interne donc, ainsi qu’externe…
1397
Commerce, finance, monnaie vont de pair, de même qu’étalon des échanges, unité de
compte d’une relation entre deux parties au contrat à partir de laquelle on peut négocier
d’autres accords, enfin la dimension de réserve de valeur de la monnaie dans un contexte
international agité. Grâce à la monnaie, les acteurs commerciaux prétendent
implicitement aller vers un futur contexte mondial apaisé. Le trépied monétaire est très
fort dès cette époque.
1396
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 715
L’Angleterre fait donc courir la France, ayant trouvé dans le domaine
des superstructures (des idées, de l’idéologie), les éléments sources de sa
domination. La France s’adapte. Nous avons exposé ce jeu de la Banque
de France, dans son rôle à la fois sécuritaire et directeur. Pour le rôle
sécuritaire, c’est que le sceau de la puissance hégémonique – la GrandeBretagne – apposé sur le patrimoine des bourgeois français par le biais
des effets de commerce franco-britanniques, vaut sécurité de ce
patrimoine. Il le référence et aide à l’agrandir dans des conditions de
sécurité garanties du fait de l’hégémonie, gagnée dans une guerre longue
contre Napoléon, et qui sert
d’exemple pour longtemps. Faire du
commerce avec l’Angleterre, c’est faire du commerce avec la paix
conquise, ce qui incite plutôt à investir. La France en oublie, pour partie
seulement, sa propre prétention à l’hégémonie. Elle sert l’Angleterre et
entend en tirer un double avantage. D’une part, trouvant hors d’elle ses
propres motivations à évoluer, à changer, elle trouve des ressources
financières permettant par le biais du commerce de réaliser son idéologie
et ses objectifs propres, civils ceux-ci, issus des valeurs de la révolution,
dans un contexte traditionnellement plus conservateur que celui de
l’Angleterre. Il serait intéressant de se demander si une raison essentielle
n’est pas que, non protégée par des mers des agressions extérieures, la
France s’est concentrée parfois sur la défense d’un statu quo qu’elle voit
constamment menacé. Cette remarque vaut bien sûr vis-à-vis de la
grande Europe, encore bien mystérieuse au dix-neuvième siècle, et du
sourd et parfois inquiétant romantisme des vastes régions allemandes. En
réaction, engluée dans ce statu quo qui ne se peut renverser que par des
moyens extrêmes telle la révolution, la France n’aurait pas développé
l’indépendance et la liberté d’utiliser cette même mer pour construire un
système de domination d’un monde qu’on peut d’autant plus discerner,
comprendre, maîtriser, qu’on l’observe avec recul. La valeur ajoutée de la
Grande-Bretagne serait jusqu’alors commerciale, celle de la France civile,
celle de l’Allemagne philosophique, démographique, encore obscure à
cette époque où les conflits, pour ne pas avoir été institutionnalisés, sont
illégaux et dangereux. Dès lors, pour accroître son patrimoine commercial,
financier et monétaire, la France va suivre l’Angleterre, sans autre relation
compensatrice, de 1815 à 1860 – date du célèbre traité de commerce
avec l’Allemagne, qui fera à nouveau entrer la guerre dans la balance -.
Elle se sert de l’Angleterre pour avoir une plus-value commerciale. Les
bourgeois français y trouvent une occasion de construire leur intérêt en
repoussant éventuellement les conséquences de cet enrichissement en
terme de lutte des classes - sentiment pour certaines classes d’une
injustice vécue et structurante, qui engendre la domination symbolique
que BOURDIEU a théorisé pour le vingtième siècle, mais qui existait déjà à
cette époque, sous des traits souvent moins brutaux et radicaux que
MARX leur a prêté -. Ces derniers agirent comme prétexte alors à des
manipulations
et
des
violences
à
grande
échelle,
d’ailleurs
« externalisées » par l’Europe à sa périphérie, et qui donc furent source,
d’un nouveau profit pour l’Europe. Les bourgeois français au contraire, les
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 716
repoussent sur les britanniques, décrits volontiers comme appartenant à
la « perfide Albion », dès lors que l’on aura décidé de s’allier avec la
puissance allemande naissante. Dans l’intervalle, on a gagné du temps
pour
commercer1398.
L’hégémonie,
que
la
puissance
qualifiée
d’hégémonique partage en partie avec quelques autres pays, a du bon,
car elle dure un moment et permet de construire des scenarii en
attendant, ou sans attendre. Les bourgeois peuvent rester parfois assez
discrets sur les sources de leur richesse, car cela paraît lointain, étranger,
ils exploitent l’ambiguïté financière par rapport à l’étranger. Passons à
l’approfondissement de cette relation, financiéro-monétaire, pour la
France en relation avec l’Angleterre. C’est le deuxième avantage français :
à partir d’un déplacement initial, elle construit sa propre valeur
institutionnelle, sur le plan monétaire, en rendant des services précis et en
justifiant ainsi par là sa place, son rang, dans un ordre hégémonique
donné.
La France s’est donc attelée à être un intermédiaire sur le plan de la
construction et de la protection de la devise-clé. De ce positionnement et
de cette activité pourra d’ailleurs découler le rôle plus général, politique,
de conciliatrice, que la France occupe dans l’espace Européen, entre des
puissances si dissemblables pour commercer que l’Angleterre et
l’Allemagne. En effet cette activité, ce rôle – ce sont les arguments de
FLANDREAU – a consisté à servir d’intermédiaire aux ajustements entre or
et argent pour in fine permettre que la devise-clé de Londres soit garantie
internationalement au vu et au su de tous. C’est la France qui effectuait
plus de la moitié de ce commerce, équilibrant or et argent, si bien qu’à
Londres les banquiers n’avaient plus qu’à se livrer à la partie offensive de
l’art de prêter et de créer de la monnaie, profitant de ce que la partie
défensive était accomplie par la France : compléter le financement
d’investissements à long terme de par le monde, créer du papier monnaie
déjà garanti par une quantité d’or, alors que les français, chez eux,
acceptaient aussi les effets de commerce anglais comme garantie. La
discrétion avec laquelle les milieux financiers français pratiquaient cette
activité n’avait de telle que l’exigence qu’un autre pays proche et différent
de l’Angleterre puisse congratuler son grand voisin, pour le désigner
clairement comme la puissance hégémonique, pour que ce dernier
accomplisse le reste. Vaste leçon de sens de l’honneur, après une guerre
hégémonique perdue, à l’échelle des nations… Ce faisant, on peut dire
aussi que la France a utilisé la monnaie, fut-elle en partie celle d’un autre,
pour participer au concert des nations. L’Allemagne, qui en même temps
qu’elle créait du crédit, créait aussi de la démographie, vivait une relation
de plus grande aliénation vis-à-vis de la face matérielle du temps. La
conséquence en est une approche utilisant tard encore – au vingtième
siècle – la guerre comme outil de gestion, alors que la France en avait été
Il peut y avoir un machiavélisme financier comme il existe bien sûr le machiavélisme,
politique, du « Prince ». Les marxistes ont l’air de penser qu’il s’agit de la même chose.
1398
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 717
vaccinée dès 1815, et alors que l’Angleterre avait imposé cette nouvelle
relation : la monnaie.
Les relations monétaires entre Europe et EtatsUnis d’Amérique :
Comment les droits monétarisés ont-ils pu s’imposer d’emblée aux
Etats-Unis ? Quelles sont les relations entre l’impulsion de la GrandeBretagne sur les échanges commerciaux internationaux, le développement
de sa sphère financière et l’institutionnalisation de sa sphère monétaire
sur le plan international ? Comment cela s’est-il passé sur la période qui
nous intéresse : 1800 – 1873?
Le jeu entre démographie, économie et monnaie, dont la description
permet de répondre à la première question posée est assez clair. Il y a eu
un transfert entre une démographie européenne excédentaire et placée à
la marge de l’auto-subsistance et de la reproduction du système
économique Européen d’un côté, et la même source démographique
arrivée en Amérique et dotée désormais de droits monétarisés de l’autre
côté.
Les solutions idéologiques au sens large, que l’Europe n’a pas su
trouver au XIXème siècle1399, ont illustré les idées sociologiques et parfois
confuses dont ce continent s’est armé au cours de ce siècle – l’une des
plus importantes d’entre elles est l’Etat-nation -. Elles n’ont pas réussi à
proposer un modèle de l’Europe, d’une Europe parvenue à l’équilibre et
pouvant servir de modèle aux autres, c’est-à-dire en paix. Du coup,
profitant du manque, d’autres systèmes ont exploité de façon technique le
besoin créé par un changement en grande partie subi. On peut citer le
système Américain, largement monétaire, le système britannique,
financier rémunérant des promesses. On pourrait citer aussi la réponse
allemande, empreinte de romantisme, où le crédit se développe autant
que la démographie au cours de ce siècle, sans que cela puisse être
institutionnalisé assez vite pour sécuriser le tout. S’il fallait parler d’une
idéologie française à propos de ces problèmes, elle serait selon nous
largement gestionnaire. Ainsi, la Grande Bretagne a utilisé un système de
promesses dont le contenu était rarement défini avec précision, mais ce
système de promesses permettait un refinancement permanent du
commerce, lequel tend à privilégier, dans le système du patrimoine, la
relation d’échanges de marchandises sur l’entité marchandise – produite
elle-même. La Grande-Bretagne avait en fait de l’avance dans la
manufacture, et proposait aux autres Européens des échanges, sur une
L’idéologie étant la théorie de la reproduction des systèmes engageant l’homme et
ses idées, selon notre définition.
1399
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 718
base patrimoniale pour leurs interlocuteurs souvent moins riches. Ainsi,
les autres devaient toujours courir. On pourrait essayer de démontrer que
le système de promesses toujours ouvertes à la britannique a eu pour
effet d’institutionnaliser un système cette fois non essentiellement réel –
dans le contexte duquel ce sont les Allemands qui ont le plus couru au
long du XIXème siècle – mais essentiellement monétaire de l’autre côté d’un
océan.
Un
système
essentiellement
monétaire,
c’est-à-dire
qualitativement, considérablement enrichi en droits pour les agents, ces
droits représentant des garanties, des sécurités par rapport au patrimoine,
système n’existant nulle part auparavant. L’ultime promesse des
Britanniques était implicitement qu’eux-mêmes pourraient émigrer aussi
pour profiter d’un système si avantageux. La monétarisation Américaine
répondait à des promesses dérivées en Europe, dérivées par rapport à une
idée de l’homme sûr de ses droits, jamais complètement incarnée pour
une majorité sensible de personnes, dans aucun pays d’Europe
continentale. Les continentaux couraient pour la plupart après un bien. Le
passage d’une économie aliénée à la poursuite d’un bien vers une
économie monétarisée empreinte de plus de sécurité socio-économique,
s’est fait en deux ou trois parties de cinquante à soixante-quinze ans
chacune. Dans la période étudiée ici, les Américains se sont fort
habilement attachés à détenir le fétiche sur lequel reposait le système
monétaire des promesses internationales croisées : l’or ou l’argent. Ils ont
choisi l’or, nous le verrons dans la période suivante. Mieux vaut un
fétiche, qui peut permettre, si on est pessimiste, d’exercer un chantage,
et si on est optimiste, de faire dériver des accumulations de droits pour
tous les citoyens, les plus proches du fétiche en profitant au maximum, les
autres en profitant aussi mais avec
des relations psychologiques
fétichistes envers les autres biens (pas la monnaie standard) et avec
moins de biens que l’agent ayant le plus de droits monétarisés. Dans cette
acception, ce fétiche est très utile dans un univers mondialisé. Il
symbolise en effet, et incarne la sécurité à la fois sociale, économique,
monétaire : 1°) internationale, et 2°) mondiale au fur et à mesure que ce
« fétiche » se crée des marchés étrangers. Au XIXème siècle, la GrandeBretagne a beaucoup créé de tels marchés pour les autres, et la France
l’a souvent secondée comme gestionnaire. L’Allemagne a tourné dans un
pur crédit que seule elle s’accordait à elle-même, prisonnière de relations
trop tendues entre la contrainte démographique et la contrainte
monétaire, prisonnière à l’intérieur du cycle long.
Liens
entre
évolutions
cycliques
–
crise,
croissance – de l’économie réelle et évolutions
cycliques des données monétaires – masse
totale, réserves monétaires, taux d’intérêt - :
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 719
La monétarisation de l’Europe est encore fragile durant cette
période : elle en est à son tout début, sauf en Grande-Bretagne où elle est
en cours. Une preuve en est que l’Allemagne n’a pas encore de banque
centrale. Et qu’en France l’existence d’une banque centrale émerge aux
deux-tiers de la période. Les sources de perturbations du système, qui
sont autant de défi à relever pour construire ce système monétarisé,
peuvent en priorité venir de l’extérieur, en particulier des Etats-Unis. Il
n’est pas exagéré de développer la réponse à la question posée en
analysant comment les crises économiques de la période – qui sont des
crises cycliques, des crises de la croissance et du développement, et aussi
l’occasion d’un frottement et d’un réajustement périodique entre la sphère
réelle et la sphère monétaire – ont favorisé à chaque fois l’émergence visà-vis de l’extérieur du système monétarisé Américain, dans un rapport de
domination croissant avec le système Européen, lui-même rivé à la
contrainte allemande, une contrainte éminemment réelle, comme nous
l’avons sous § F ci-dessus.
De 1825 à 1830, les Etats-Unis sont encore modestes. Leur
monétarisation ne leur a pas encore permis de prendre le dessus sur les
cycles Européens à distance, la domination des cycles de l’autre étant
sans doute la forme suprême de la domination. Ainsi, l’Europe ses sortelle de la crise en exportant des marchandises aux Etats-Unis, d’où vient
la solution, non les problèmes. Plus tard, quand des Etats-Unis viendront à
la fois les problèmes et les solutions, l’Europe se trouvera autrement
dominée – déjà monétairement – même si les Européens ne le savent pas
encore.
En 1847, l’Europe est dans l’impasse : elle doit accentuer ses
migrations vers le nouveau Continent. Pour prix de leur migration, les
nouveaux Américains seront fiers de tenir les Européens au moyen de la
dette morale. Ils développent leur crédit intérieur, et encore plus leur
activité. Ils prendront le dessus sur les Européens en les forçant à ralentir
périodiquement, et en redémarrant seulement une fois que de nouveaux
échanges de droits, toujours plus avantageux pour eux, seront fixés. En
1847, il y a les migrations, la crise de spéculation, et on est à la veille de
l’affirmation des Etats-Unis à travers les troubles nationaux. Le système
s’essouffle, surchauffe, il fonctionnera sous forme « fragmentée » à
l’avenir. Le moteur Américain, lui, ronronne sans ratés. La « forme
fragmentée » en Europe, est propice au développement de déséquilibres,
qui vont se condenser à partir des années 1870, trouver une forme
externe - monétaire -, autrement dit permettant le développement des
échanges internationaux, mais muette sur des formes de monétarisation
interne aux pays, qui sera incomplète jusqu’à l’orée des années 1930.
Nous voulons parler du développement insuffisant des billets de banque
tels que nous les connaissons aujourd’hui (cours fixe indiqué sur les
billets) qui a d’abord été mal vécu par la population : comme « cours
forcé », en particulier. Deuxièmement, à partir des années 1890, la forme
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 720
monétaire semble être le fétiche d’un autre parfois – la Grande-Bretagne
est « prêtée » aux Etats-Unis -, un fétiche dépendant des autres
« ailleurs » – la banque centrale allemande aura pour fonction essentielle
de financer la guerre, tellement « l’autre » lui semble constituer un
problème… – ou enfin une valeur encore un peu abstraite, ne permettant
pas par la seule stabilité de sa valeur affichée, de se prémunir in fine
contre les dangers extérieurs – dans le cas de la France -. Dans ces
conditions, à partir des années 1890, on passe à la phase « folle » du
patrimoine collectif : la marche à la guerre. Les déséquilibres sont tels
qu’on passe » au stade où la chose est extérieure à elle-même, aliénée,
allant irrésistiblement à la guerre.
La crise de 1857 marque le renversement irrésistible des tendances
dans les relations euro-américaines, ce qui en quinze ans va conduire à
l’étalon-or, la Grande-Bretagne gérant en partie la situation Américaine,
tandis que la France sert la Grande-Bretagne. L’Amérique a touché le
fond avec la guerre civile. Mais au plan international elle s’apprête à
transposer l’unité qu’elle va trouver en quelques années, symbole d’une
nouvelle puissance dans le monde, avec des valeurs monétarisées.
En étant seulement gestionnaire sur le plan des relations
internationales, qui de plus en plus deviennent aussi importantes que le
modèle d’ordre social, d’équilibre et de reproduction à domicile, en ne
faisant pas de « politique » à ce niveau, on perd une certaine crédibilité.
Les idées politiques des Européens à cette époque (du moins anglaises et
françaises) peuvent pourtant paraître incontestables mais pas toujours
cohérentes, souvent contradictoires, rongées par des problèmes internes.
France et Angleterre ont essayé de les exporter dans leurs colonies. Mais,
du fait de l’irruption dans le jeu international de régions ayant à peine
dépassé l’état de nature, la sécurité internationale devient un élément
prépondérant pour qui vise l’hégémonie. Hégémonie souvent offerte par la
monnaie, car il s’agit de droits, de sécurité, de temps gagné, dérivés in
fine par rapport à la nature et son entropie maximale.
L’Amérique dérive sa situation à partir de celle de pays (européens)
dans l’état de culture – sinon la barbarie -. Il s’agit donc de droits
monétarisés, sécurisés. Toute autre est la situation des Etats européens
qui ont le problème de l’attirance par le vide, par la nature, dans leur
propre constitution. En étant devenus avant tout des gestionnaires des
relations commerciales internationales, pas des politiques exprimant des
droits acquis, incontestables, partagés sans asymétries, les Européens se
sont faits les obligés du maillon faible du système des relations des pays
avec la sécurité socio-économique : l’Allemagne, à cause de sa relation
fragile avec la propriété, sa course folle en référence à elle-même et pas
aux autres civilisés. Nous parlons d’une époque déjà révolue, mais qui se
serait jouée dans ces termes.
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 721
Situation monétaire de la fin de la période par
rapport à la situation monétaire du début de la
période :
Il y a eu un vaste changement, c’est clair. Il est illustré par l’histoire
des relations entre Europe et Etats-Unis. La mutation de la France, le
bouillonnement de l’Allemagne, en sont d’autres preuves.
Puisque la monnaie permet de prendre du recul par rapport au
patrimoine, et une façon ludique de le gérer tout en le protégeant au
cours des périodes successives sur le long terme historique – plus de
cinquante ans -, elle est pour elle-même l’équation de sa propre
secondarité.
La décrire du point de vue de son attribut secondaire, c’est-à-dire de
sa fonction de réserve, fonction de réserve sur le plan microéconomique et
sur le plan géostratégique, fonction de réserve de sécurité internationale
pour le développement de systèmes démocratiques et le développement
économique, offre donc d’autant plus de lisibilité.
Ce plan a connu une évolution et une succession de mutations tout
au long de la période. En 1800, la monnaie « secondaire » de réserve,
c’est l’or et l’argent. En 1873, c’est l’or, et ce sont aussi – dans le cas de
la France par exemple – les effets de commerce britanniques. La monnaie
de réserve commence son processus de dématérialisation. C’est de la
dématérialisation de la monnaie de réserve internationale que viendra la
dématérialisation de la monnaie nationale « interne ». C’est le début d’une
longue histoire, fort intéressante, qui connaîtra sa propre mutation à
plusieurs reprises : d’abord métal (1800), puis effets de commerce
(1860), puis devise (1870 £, puis 1940 $, ces deux fois avec l’or, puis
1971 : $ sans l’or cette fois), puis monnaie électronique (1970 et toujours
plus), l’un n’excluant cependant clairement pas l’autre.
Mémorandum : la situation de l’Homo Monetarius
de 1800 à 1873 :
L’Amérique va inaugurer l’Homo Monetarius puisque les possibilités
de consommation se voient offrir, dès la création de ce pays (le dollar
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 722
date de 1787), une contrepartie monétaire, puisque tous les droits, y
compris sur la terre, sont monétarisées. La terre elle-même peut faire
l’objet d’échanges. En Europe, les droits sont beaucoup moins
monétarisés : la consommation n’a pas une contrepartie monétaire (il n’y
a pas, par rapport à 1 la sphère réelle, 2 ou 3 la sphère monétaire), elle a
donc un débouché (auto) régressif. La seule fenêtre ouverte, c’est
l’émigration. La configuration de dernier secours, la lutte des classes.
On peut cependant affirmer que la situation de l’Homo Monetarius,
aux abonnés absents avant 1800, a commencé de bouger de 1800 à
1873. En effet, un pays d’Europe, l’Angleterre, propose un débouché
monétaire, pas encore sensible dans le domaine civil, mais davantage
réduit au domaine commercial, en particulier des relations internationales
notamment avec les autres pays Européens. La base de ce produit et de
ce système monétaire, ce sont les surplus britanniques offerts en échange
contre une plus ou moins grande partie de la substance des économies
des pays Européens. La monnaie comme un aiguillon pour contraindre à
changer. Surplus – Echanges – Guerre ou Paix. Le troisième trépied du
méta système derrière le système, c’est que la monnaie s’appuie sur l’or,
monnaie marchandise donc symbole de guerre.
Si les Anglais, au cours de cette période, sont en partie des Homi
Monetarii, car ouverts au commerce avec l’étranger, en revanche une
partie des Français seulement, peut prétendre à le devenir : il s’agit de
ceux qui appartiennent à la classe des bourgeois, en contacts étroits avec
l’Angleterre.
La révolution monétaire provoquée par le revirement spectaculaire
de l’Allemagne, en 1873, en faveur de l’étalon or, et la création de la
Banque Centrale Allemande, fait des Allemands des « méta Homi
Monetarii » (ils se positionnent à très long terme, par rapport à une
identité de la monnaie davantage endogène que la monnaie Britannique :
elle n’intervient plus seulement dans le domaine commercial par l’échange
de biens, ou par l’échange de biens contre une situation civile changée –
donc un positionnement civiliste « à la marge » -, elle intervient
pleinement et avant tout dans le domaine civil par des « échanges de
droits de propriété » dans le processus de production, donc dans un
système de production ayant vocation à être monétarisé, c-a-d à
permettre des échanges entre les périodes), mais pas des « Homi
Monetarii ». Ce sont des Homi Monetarii dans la structure, mais pas dans
la structure et le fonctionnement.
Si l’Homo Monetarius est si peu développé en Europe durant cette
période, c’est que l’espérance de vie en Europe ne dépasse pas cinquante
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 723
ans à l’époque, et même moins… les possibilités d’échanges entre
périodes dans la vie de l’homme, de 1800 à 1873, sont donc fortement
limitées à la partie congrue. Il y a, au maximum, pour la plupart des
agents, une période et demi, à peine deux, et non pas trois ou trois et
demi comme au début du vingt et unième siècle.
En 1800-1873, on a donc, en Europe, les germes de l’Homo
Monetarius, mais celui-là n’est pas du tout représentatif de la société. Il
deviendra représentatif mais minoritaire en 1873-1945, situation qui n’ira
pas sans poser des problèmes1400.
1400
Il est devenu représentatif et majoritaire depuis 1945 en Europe.
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 724
II. Deuxième partie : 1873-1945.
Une
économie
en
cours
de
monétarisation. Les résistances à
la monétarisation :
Le triomphe de l’étalon-or et le règne de l’étalon
Sterling jusqu’aux années 1920 :
Etalon / or : étalon Sterling :
L’étalon / or signifie de fait l’étalon Sterling. Ce point a été souligné
par AGLIETTA. Londres, entre 1870 et 1914, manipulait davantage de
matières premières que n’importe quel autre centre. La place de Londres
pouvait vraiment être considérée comme la banque du monde. La clé du
mécanisme mondial de change résidait dans les balances Sterling
conservées à Londres par les banquiers étrangers, le taux de change
applicable à chaque pays dans le monde s’y trouvait librement débattu.
C’est le système monétarisé, où les intermédiaires financiers
internationaux sont institutionnalisés, qui triomphe avec l’étalon / or.
Pour ACKERMAN, les années 1870-1880 voient, conjointement,
l’émergence des banques d’industrie et de l’étalon / or. Le « miracle » de
la stabilité de l’étalon / or, entre 1880 et 1914, aurait été lié au triomphe
de cette vision libre échangiste – puisque même le principal empire
concurrent, la France, s’y rallie en désespoir de cause -, optimiste, des
affaires mondiales et internationales. Pour AGLIETTA, le système trouve la
racine de son succès au fondement même de la sociologie, en particulier
des pays Européens. En effet, on constate une association étroite entre
l’exportation de capital Britannique et l’émigration Européenne.
L’alternance est célèbre, entre les phases de formation rapide du capital
fixe en Angleterre, et les phases d’exportation intense de capitaux à long
terme, hors d’Europe. Durant une longue période – surtout 1870-1914 -,
la balance commerciale et la balance des paiements courants de
l’Angleterre étaient très fortement excédentaire. Cette conjoncture n’était
supportable que parce qu’elle était subordonnée au processus
compensatoire de formation de capital en longue période, grâce auquel
l’Angleterre se tirait des dépressions et entraînait l’Europe avec elle.
L’arrêt de la formation de capital en Angleterre reconstituait les liquidités.
Le flux d’exportation de capitaux à long terme relançait les industries
d’exportation, et stimulait l’émigration de la réserve de main d’œuvre en
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 725
Europe, allégeant ainsi le sous-emploi. C’est pourquoi la Livre Sterling a
été indiscutablement la devise-clef de 1860 à 1920, la première des
« devises-clefs » - avant le dollar – d’après AGLIETTA. La capacité de la
nation dominante à former un excédent permanent d’épargne sur la
somme de ses utilisations intérieures, et de le redistribuer dans le reste du
monde par un processus de transferts de capitaux à long terme, en
particulier entre 1870 et 1913, s’est avérée déterminante.
La
courroie de transmission
l’intérieur de l’Europe :
de
l’étalon
Sterling
à
La séparation très nette des flux de capitaux à long terme, ne
signifiait pas l’absence de relations économiques entre le Royaume Uni et
l’Europe continentale. Simplement, les échanges commerciaux entre
l’Europe et les nouveaux continents, impliquant les principaux pays
d’Europe de l’Ouest, passaient par Londres, l’unique centre financier
mondial. C’était le lieu où étaient installés les marchés des changes ! Aussi
ces derniers étaient-ils très sensibles aux conditions de crédit à Londres.
Prenons le cas des relations financières entre la place de Londres et
les deux autres grands d’Europe, la France et l’Allemagne. La Banque
d’Angleterre commandait les taux de change directeurs Sterling / franc et
Sterling / mark. La France et l’Allemagne, à leur tour, commandaient les
taux de change des monnaies des pays Européens secondaires auxquelles
ces nations étaient liées. Au total, l’ensemble du système Européen était
lié. La stabilité de la Livre Sterling en Europe tenait fondamentalement à
ce que les autres pays d’Europe n’étaient certes pas directement des
territoires livrés à l’expansion du capital Anglais, mais que, néanmoins,
leurs échanges avec le reste du monde passaient par Londres. Il y avait
bien un leader. A la fin des années 1870 et au début des années 1880,
l’Allemagne manqua de capitaux. Elle fut alors obligée de se tourner vers
la place de Londres, qui vendait de l’argent, pour se refinancer. France et
Allemagne utilisaient la place de Londres comme une pompe à finance
pour développer leurs industries, des années 1870 à 1890. Ces deux pays
eurent des marges de manœuvre, dans le système des nations, pour
donner le change, et se sortir des crises monétaires et économiques
qu’aurait dû impliquer un trop fort endettement. Nous allons voir que ce
ne fut pas le cas des pays de « la périphérie Européenne ».
La « périphérie » Européenne de l’étalon / or, a connu de fortes
crises durant les années 1870. Schématiquement, ce furent des crises de
la dette publique, qui prirent leur source dans une succession de difficultés
budgétaires, conduisant un pays donné à recourir systématiquement à
l’emprunt étranger, libellé en devises or, auprès de l’un des principaux
marchés du « centre », c’est-à-dire Paris ou Londres. Or, au fur et à
mesure que cette dette s’accumulait – et elle s’accumulait, car il y avait
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 726
un certain développement, qu’il fallait sans cesse refinancer -, les
exigences de l’intermédiaire habituel, en termes de garanties, de
transparence et de contrôle des comptes publics, et de retour prompt à
l’équilibre s’accroissaient. Souvent, cet intermédiaire tentait d’utiliser le
rôle de « signalement » et de réputation, que sa participation à l’émission
lui conférait, pour imposer ses vues. Ceci conduisait le débiteur à chercher
l’aide d’autres intermédiaires, qui, au prix d’un taux d’intérêt
généralement fort élevé, acceptaient de contribuer à la fourniture de
crédits courts, et à leur éventuelle consolidation. A ce stade, les finances
se trouvaient parfois remises en ordre : par exemple, en Autriche-Hongrie
et en Russie, à la fin des années 1880, en Espagne à la fin des années
1890. Mais, parfois, la détérioration se poursuivit, jusqu’à la crise finale où
les refinancements étaient refusés, quitte pour le pays concerné à prendre
le temps d’assainir sa situation. De fait, il se trouvait en réalité acculé,
n’ayant plus d’autre choix que de suspendre le paiement de ses intérêts.
Ce fut le cas pour l’Espagne en 1882, pour la Grèce et le Portugal dans les
années 1890. Les pays financiers leaders en profitèrent alors pour
exporter les conséquences de leurs propres dettes. C’est ce que l’on peut
appeler, a posteriori, monétairement, et pour cette période, « vivre
dangereusement ». Ainsi, au début des années 1890, on a pu constater
une hausse violente et concomitante des taux longs, en Espagne, en
Grèce et au Portugal. Dans le cas Portugais, la crise initiée en 1890 a
traîné en longueur durant toute la décennie, au fur et à mesure que les
différentes solutions proposées butaient sur les rivalités des créanciers.
Dans le cas de la Grèce, la France et l’Angleterre ont imposé une thérapie
de choc.
Liens entre étalon Sterling, endettement et inflation :
L’étalon Sterling ne fut pas sans rapport avec la montée des
endettements nationaux. La vision optimiste du monde, inséparable de
l’idéologie libre échangiste partagée par les Britanniques, incita les Etats à
investir et pour cela à s’endetter. Toutefois, le système de l’étalon Sterling
ne fut pas la seule cause de l’alourdissement des dettes publiques. D’une
part, cet alourdissement a coïncidé avec la baisse des prix concomitante
au KONDRATIEFF B de cette période. Les gouvernements n’étaient-ils pas
incités à s’endetter alors que la consommation revenait apparemment
moins cher ? Une deuxième raison fut liée à la guerre. Il y a eu une forte
augmentation des dépenses d’armement, à partir de 1870, qui
expliquerait en partie l’endettement accru.
Il n’en reste pas moins vrai que cet endettement fut conséquent. En
effet, l’étalon / or, dont la réputation d’orthodoxie monétaire et financière
est excellente, fut un système où le niveau des dettes publiques était
considérable. Une majorité de pays Européens avaient des ratios
d’endettement public (dette / PIB) très élevés, généralement au dessus du
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 727
seuil de 60%, et même bien souvent au dessus de 80%. Il s’agit surtout
des économies « du Sud » (Espagne, Italie, Grèce, Portugal), et aussi de
la France et des Pays-Bas. Ces pays, qui n’avaient pas des marchés
financiers aussi développés que l’Angleterre, n’eurent peut-être pas un
endettement des particuliers très élevé, mais ils compensaient par
l’endettement de leurs Etats, pour parvenir à suivre le mouvement
d’ensemble, d’investissement et de croissance, lié à cette période de
mondialisation et de monétarisation conjointes. Cet endettement a donc
commencé dans les années 1870. Même le Royaume-Uni a connu, au
début de la période, un endettement élevé (environ 60%). Par la suite,
grâce à ses royalties, le Royaume-Uni a pu plus facilement conjurer cet
endettement. Les pays du « premier cercle » autour du Royaume-Uni
(France…), et du second cercle (Espagne…), ont dû obligatoirement
s’endetter. Les pays du second cercle ont été parfois acculés. Avec le
Royaume-Uni, cependant, la majorité des « petites économies » Belgique, pays Scandinaves et Suisse – échappèrent à cette fatalité. Mais,
à partir du milieu de la période (1896, environ), une décrue importante
s’engage. En 1913, tous les pays de notre échantillon se retrouvèrent au
dessous du seuil de 100%, et, pour une majorité, au dessous de la barre
des 60%. Mais peut-être était-il déjà trop tard. Aussi, nous risquons
l’hypothèse que, à partir d’un certain seuil d’endettement public, compris
entre 80 et 100%, un pays se trouve fatalement happé par la guerre.
Bien sûr, le contexte dépressif peut aussi expliquer l’endettement
public. En effet, la crise 1873-1896 fut la première occasion pour l’Etat, en
France notamment, d’intervenir de façon volontariste sur le lien
démographie / économie, là où cela fait mal. En effet, avec l’Ecole
Publique Obligatoire, il retira les enfants du monde économique marchand
et du travail, libéra ainsi du travail pour des adultes. Au départ, cette
volonté, favorable à l’économie à long terme, fut défavorable à l’équilibre
financier public à court terme. Il s’instaure donc, comme pour le moteur
anglais un phénomène compensatoire entre balance commerciale et
balance des capitaux à long terme, pour les pays suiveurs un phénomène
compensatoire entre l’équilibre démographie / économie (qui va
dissuader, en partie seulement, les candidats à l’expatriation) interne au
pays, d’une part, et ses obligations financières auprès des autres pays qui
eux aussi prennent part au mouvement d’époque de la mondialisation,
d’autre part. L’endettement public, puisqu’il était auprès des marchés
financiers internationaux, fut en dernier lieu, assez rapidement auprès de
l’Angleterre. L’Angleterre, qui jouissait de la situation d’hégémonie, eut un
équilibre de sa balance commerciale, grâce à des investissements
externes à long terme, qui « sécurisaient » - plus ou moins bien –
l’économie
monde.
Cette
approche
« externe »
renforça
l’institutionnalisation de la position hégémonique Britannique. Pour les
pays, comme la France qui n’avait pas capturé l’ « hegemon »,
l’ajustement entre structures économiques sectorielles (qui symbolisent la
rationalité de la représentation économique, en renvoyant aux structures
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 728
psychologiques les plus profondes de l’ homo oeconomicus national) et le
financement par des produits financiers à long terme, c’est-à-dire des
produits financiers « monétarisables », « à 100% institutionnalisables »,
apparaissait pour ainsi dire implicite : il renvoyait en l’occurrence à des
structures civiles davantage que commerciales, et en somme davantage à
la sociologie qu’à l’économie. Le surendettement pouvait sonner comme
un aveu d’impuissance, symbolisé par une dépendance financière, vis-àvis de la belle transparence de la puissance hégémonique. La dépendance
financière était totale. Les marchés financiers se chargeaient d’assurer,
pour faire passer la pilule, un ajustement entre les niveaux des dettes et
ceux des taux, preuve de leur bonne volonté. Ainsi, concurremment à un
accroissement des dettes publiques par rapport au PIB, entre 1873 et
1896, s’opéra une décrue des taux nominaux… Mais c’était quand même
trop tard !
Selon FLANDREAU, derrière le secret de la stabilité « systémique »
de la zone « or », se cachait peut-être bien plus que la croissance,
l’inflation. Ainsi, « l’achat » du système mondialisé de la période 18731914, par le Royaume Uni, par le moyen de son système monétaire,
n’aurait assuré en fait qu’une partie du système, la partie visible. Toute la
société vivant de débrouilles, avec du retard sur les lois officielles,
fonctionnait selon d’autres repères qu’en crédit ou même que du salaire
monétaire, auxquels elle n’avait pas accès. Elle savait que « les bons
comptes font les bons amis », et que toutes les choses non dites se
solderaient à la fin par des conflits armés, démolissant un système
monétarisé (celui de l’étalon Sterling) « à la bonne image », une « bonne
image » abstraite qui ne rend pas justice de la totalité du système. Pour
nous forger une représentation de ce mécanisme à travers l’histoire, il
faut absolument se forger une image des rapports et des relations entre
les choses cachées et les choses visibles de l’économie et de la société, et
il faut montrer ces choses individuellement. L’ensemble de la structure
sectorielle plus le temps long forment un système monétarisé,
relativement visible (le temps servant aussi de révélateur positif pour la
totalité des consciences). Mais il arrive que le « sous système » - car
moins légitime institutionnellement et économiquement, mais parfois plus
dominant sociologiquement, souvent pour le pire – représenté par
l’ensemble de la structure sectorielle, plus l’espace géographique cette
fois, non le temps long, impose le choix des moments de la discussion,
sous forme de négociation ou aussi parfois et même souvent, sous forme
de confrontation1401. Ainsi, pour nous former un tel modèle, il faut utiliser
l’économie, science des faits économiques ayant des interactions
psychologiques ou sociologiques, visibles. Mais il faut aussi utiliser la
sociologie, science des faits économiques et « sociaux » invisibles (ou
cachés), qui reposent essentiellement sur le non-dit et la coercition.
Cf. l’ouvrage de Y. LACOSTE, « La géographie, ça sert, d’abord, à faire la guerre »,
Maspero, 1976.
1401
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 729
De fait, au-delà de sa belle image institutionnelle, le système de
l’étalon Sterling a connu les pressions des périodes historiques cycliques
structurantes. Ainsi, le taux d’inflation global, en particulier, a joué un rôle
important en fragilisant (1880-1896) la zone or. Il ne fallait pas gratter
beaucoup
pour trouver,
derrière
la transparence
idéale
des
investissements financiers assurant théoriquement un avenir collectif plus
riche, le phénomène sous jacent des positionnements nationalistes des
différentes économies. Qu’observe t’on d’abord, touchant les mouvements
internationaux de capitaux ? C’est de 1870 à 1914 que les plus importants
de ces mouvements ont eu lieu. Ce furent en quelques sortes notre
« première mondialisation financière et monétaire », avant la période
1973-2007, annoncée par les structures institutionnelles de Bretton
Woods postérieures à la Seconde Guerre Mondiale. Mais il faut remarquer,
en second, que le prêt international à long terme, avant la première
guerre mondiale, fut un phénomène essentiellement Européen. Ces
capitaux à long terme ne furent pas investis selon les lois néo classiques,
mais bien, pour une très large part, dans les sphères d’influence politique
des grandes économies capitalistes. C’est ainsi que se bâtit la croissance
des grandes économies nationales, qui se développa par des actes de
puissance encadrant les opérations du marché. Ces mouvements
préfiguraient aussi des affrontements guerriers…
Monnaie et guerre en 1870, et les implications
stratégiques de ces événements jusqu’en
1914 :
Contexte théorique général :
Selon notre théorie, la monétarisation vise à dissiper le phénomène
de fatalité des guerres. Toutefois, cette amélioration générale bute sur des
contraintes structurelles particulières. Il faut tenir compte du contexte
politique, des rapports de force et du retard des mentalités.
D’une part, le système de l’étalon or / étalon Sterling n’assurait
qu’une partie de l’économie monde, la partie la plus visible. Le risque de
retomber périodiquement dans le type de fatalité historique bien connu
n’était donc pas conjuré. D’autre part, il y avait de fortes concurrences à
l’intérieur même de l’étalon or : l’Allemagne d’un côté, les autres pays de
l’autre. Cela pouvait attiser les conflits idéologiques, politiques et
nationalistes sous jacents.
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 730
Le cas de l’Allemagne :
Il n’y avait, en effet, pas de solidarité profonde en Europe,
seulement une solidarité financière superficielle qui reposait sur un
déséquilibre (le surendettement). La mondialisation faisait peser, déjà, sur
l’Europe, de fortes pressions externes. Ainsi, les années 1869-1870 ont
marqué, déjà, un changement. Elles annonçaient une polarisation et une
asymétrie entre économies Américaine – à laquelle il faut bien sûr rajouter
la Grande Bretagne et son empire – (économie monétaire exogène : des
droits contre de la monnaie) et Européenne (économie monétaire
endogène à l’image de l’Allemagne : de nombreux échanges « réels »
nourrissant le statu quo, et un débouché de l’enrichissement dans des
violences cumulatives). Le cœur de l’Europe a été nouvellement atteint,
comme moteur de l’économie, l’Amérique apparut et s’unifia, avant tout
comme économie monétaire. La Grande Bretagne paraissait être à la fois
« en dehors » et « en dedans » de l’Europe : elle apparaissait donc aussi
comme un garant fragile de la paix !
Le rôle de l’Allemagne se trouva d’autant plus fragilisé que
l’Allemagne et l’Autriche, placées au commencement de la périphérie,
subirent de plein fouet les crises bancaires quand celles-ci se produisirent.
De 1873 à 1879, une nouvelle crise économique en Europe, démarra
précisément avec un krach boursier à Vienne. Puis, ce furent des faillites
bancaires en chaîne, en Autriche et en Allemagne. Plus encore que le
marché allemand, la place de Vienne était un point de vulnérabilité de
l’économie Européenne, et le prouva constamment dans les décennies de
la période.
Le mouvement de monétarisation en Allemagne, bien qu’imposé
autoritairement en 1873, fut chaotique par certains aspects, car son
irruption fut brutale, et coïncida avec l’affirmation toute récente de l’unité
du territoire. Ainsi, le territoire Allemand avait tout naturellement besoin
d’être protégé. Or, la monnaie, la banque centrale allemande et le
système des grandes banques, reflétaient aussi les tensions et les
rapports de force entre les régions et les secteurs économiques
d’Allemagne, récemment mis au pot commun. C’est sans doute une des
raisons principales pour lesquelles la Reichsbank sera, contre nature,
« une banque de guerre ». Car le type de souveraineté qu’elle incarna par
fonction, comme toute banque centrale, fut dans ce cas une souveraineté
heurtée par des tensions internes. On peut prendre, pour illustrer ce fait,
l’exemple du principe de limitation indirecte de l’émission de billets, édicté
par l’Acte Bancaire du 30 Janvier 1875. Il contrevenait à la pratique
antérieure récente de produire de très nombreux billets. La Banque
d’Allemagne affirmait désormais sa rigueur de gestion en pleine lumière.
Concrètement, ce principe stipulait que les banques dont la circulation de
billets excédait l’argent frais et le montant qui leur était alloué en
proportion de leur stock de capital, devraient payer une taxe annuelle de
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 731
5%. L’argent frais était défini comme toutes sortes de monnaie
allemande, les billets impériaux, les billets d’autres banques, tout cela
ensemble avec l’or en bullion ou en pièces étrangères – la livre métrique
pour l’or était calculée à 1,392 marks -. Les banques ayant le droit
d’émettre furent interdites de faire des affaires à travers des branches ou
des agents situés en dehors de l’Etat qui accordait le privilège. Ce
processus continua jusqu’en 1909. En 1909, seulement cinq banques,
avec un contingent hors taxes total de soixante-douze millions de marks,
avaient réussi à survivre ! On le voit, c’était une très forte pression qui
s’était instaurée, durant cette période, sur le système monétaire et
bancaire Allemand. Si, comme AGLIETTA le prétend, la monnaie sert à
médiatiser la violence, ce qui peut servir, éventuellement, à en réduire les
manifestations réelles, la violence avait été insuffisamment bien
médiatisée dans ce cas1402. Partie avec du retard sur la France, la
monétarisation en Allemagne devait, en quarante ans, laisser un paysage
bancaire tout nouveau. La pression n’avait probablement pas été aussi
forte en France entre 1800 et 1848, la France étant partie plus tôt.
N’oublions pas non plus que l’Allemagne était aussi, dans le même temps,
soumise aux menaces d’effondrement autrichiennes toutes proches.
L’Allemagne, qui s’était mise des responsabilités sur le dos dans un
contexte de frictions nationalistes glissant vers le risque de guerre, a
néanmoins réussi à rallier un certain nombre d’autres pays à sa cause.
L’Allemagne a suivi une démarche un peu heurtée. Néanmoins, des pays
la suivirent car elle constituait en quelque sorte un genre de « nœud
institutionnel ». L’Allemagne a adopté l’étalon or depuis juillet 1873. Puis
elle passa à un nouveau régime à partir de 1875-1876. La Finlande est
passée à l’étalon or en août 1877. Les Pays Bas ont abandonné deux fois
l’étalon argent (1816 et 1875), en avril 1884 ils passèrent définitivement
à l’étalon or. En Octobre 1875, l’Union Scandinave (Norvège, Suède,
Danemark) fut établie. Ce fut un tournant dans la bataille internationale
entre or et argent. Elle abandonnait les systèmes particuliers fondés sur
l’argent. La monnaie de compte était la couronne. Les pièces frappées par
chaque Etat avaient cours légal sur le territoire de l’Union Scandinave. Le
pouvoir libératoire de l’or était illimité, celui de l’argent limité, de même
que celui du bronze.
Paradoxalement, le mark devint une des monnaies or les plus
solides du monde ! A cette époque, selon DARNE & DIEBOLT, la
préparation monétaire à la guerre consistait à discipliner les banques pour
qu’elles constituent des encaisses plus élevées, à persuader le public
d’utiliser le chèque plutôt que la monnaie métallique (pour ne pas mettre
les réserves d’or à contribution) et, pour la Reichsbank, à accroître ses
Dans « La violence de la monnaie », AGLIETTA prend l’exemple de l’Allemagne des
années mille neuf cent vingt. Sans une théorie telle que la sienne, ce qui s’est passé
monétairement à cette époque en Allemagne peut apparaître en effet comme
incompréhensible. Mais des tensions s’étaient déjà manifestées auparavant et il est
important aussi de le souligner.
1402
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 732
avoirs en or, à accaparer tout l’or à la limite pour ne laisser circuler que
du papier. Pour l’Allemagne, l’or était le nerf de la guerre 1403 ! A remarquer
que la France a, en 1914-1918, profité de la guerre pour imposer le cours
forcé des billets, et les billets. L’Allemagne a anticipé sur ce type de
pression. Toute son économie était tendue vers la guerre, et la monnaie
en était un moyen.
La résistance infructueuse de la France :
La France fut le principal grand pays à avoir freiné des quatre fers
pour avoir sinon refusé, du moins retardé le passage à l’étalon or. Elle
était adepte de l’étalon argent. Or, les pays de l’Union Latine, dont elle
était le chef de file, défenseur de l’étalon argent, étaient partisans d’une
unification monétaire mondiale plus importante encore que celle qui eut
lieu avec l’étalon or, et gage peut-être d’une certaine paix. Mais ce fut
refusé notamment par les Etats-Unis.
L’histoire de l’Union Latine a commencé en 1865. A la fin de cette
année, la Belgique, qui avait gardé l’étalon argent, organisa une
Conférence pour ramener l’unité du titre des monnaies divisionnaires des
quatre pays fondateurs : Belgique, France, Italie, Grèce. En fait, ce fut la
France qui dirigea ostensiblement les débats. La Convention du 23
décembre 1865 était prévue jusqu’au 1 er août 1866, puis jusqu’en 1880,
et fut ensuite prorogée. Les fondateurs de l’Union (surtout la France, qui
voulait résister à la monétarisation hégémonique anglo-Américaine et
aussi à la monétarisation agressive du voisin allemand) poursuivaient
d’autres buts. Tout d’abord, maintenir une circulation monétaire uniforme
et interchangeable. Ensuite, à moyen et long terme, que la conclusion
d’une union monétaire fut le prélude à une association plus intense et plus
générale entre les quatre Etats, puis à d’autres pays latins (y compris en
Amérique du Sud, ce qui était bien le signe d’une volonté de résistance
aux Etats-Unis), et aux autres pays européens, procurant ainsi à tous les
avantages d’un système monétaire uniforme et dirigeant les courants
monétaires de l’Union vers Paris, place de change concurrente dans ce
système au centre Londonien.
L’Union Latine était l’occasion pour l’Italie, de pratiquer le cours
forcé, bien avant la France, dès 1874, et d’envoyer en France de grandes
quantités de monnaie d’argent, où elles étaient prises pour leur valeur
nominale. En 1875, la baisse continue du prix de l’argent, conduisit à
autoriser une frappe de 25% supérieure à celle de 1874. En 1877, le
changement fut plus radical, et prit la forme d’un accord en vue de
suspendre la frappe de la pièce de cinq francs.
Peut-être ce pays eut-il du mal à accepter la domination monétaire en matière
d’impulsions de même nature. Mais les autres pays européens suivirent assez peu
l’Allemagne, contrairement à ce qui se passa un siècle plus tard. Les conséquences furent
diamétralement opposées à un siècle d’intervalle.
1403
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 733
En 1878, on commença cependant à s’acheminer vers la fin de
l’étalon argent : on décida alors l’admission dans les caisses publiques des
monnaies d’or.
En Août 1878, la Conférence internationale de Paris groupa les pays
de l’Union Latine plus les Etats-Unis, la Grande Bretagne, l’Autriche, les
Pays Bas, la Russie, la Suède, la Norvège. L’Union Latine ne parvint pas à
obtenir l’extension de l’étalon argent. En revanche, la proposition
Américaine d’une généralisation du libre monnayage de l’argent : ne passa
pas non plus. Le système de l’Union Latine était en voie d’épuisement
pour plusieurs raisons. D’une part, il y avait déjà un système
hégémonique, le système de l’étalon or / Sterling. Il ne pouvait y en avoir
deux. Ce système étant économiquement efficace : l’argent se trouvant
durement concurrencé et perdant donc de sa valeur. D’autre part, les
alliés de la France apparaissaient comme trop disparates, pas assez
homogènes économiquement. Enfin, la France n’a pu obtenir la
collaboration de l’Allemagne, c’est pourquoi la légitimité Européenne de ce
dispositif était plus que douteuse. Il était donc voué à se déliter. Car au
fond, politiquement aussi, il était peu crédible. Pourtant, à la fin des
années 1870, certains des systèmes monétaires en Europe étaient
proches du système Français. Il s’agissait de la Serbie (un dinar = un
franc), la Roumanie, la Bulgarie, l’Espagne (une peseta = un franc). En
1882, une autre conférence internationale proposa à nouveau, comme les
Etats-Unis l’avaient déjà demandé, d’instaurer le libre monnayage de
l’argent. Les pays favorables à cette mesure furent cette fois plus
nombreux, amorçant la fin prochaine du bras de fer : il s’agissait des
mêmes qu’en 1878, plus l’Allemagne qui faisait peser la balance
sérieusement dans l’autre sens, le Danemark, l’Espagne, le Portugal.
L’opposition de l’Union Latine eut une dernière fois gain de cause. En
1885, nouveau coup dur pour l’Union Latine. En effet, en novembre 1885,
chaque Etat de l’Union Latine prit à sa charge la perte pouvant résulter de
la baisse de la valeur de l’argent pour les écus de cinq francs, à charge de
payer en or ou en billets de banque. L’Union a cependant joué un grand
rôle, pendant vingt ans, en ce sens qu’elle a fixé la politique d’autres
systèmes de pays européens (Roumanie, Espagne, Finlande, AutricheHongrie) et d’Etats Sud-Américains (Colombie, Equateur, Vénézuela,
Pérou, Chili), qui, à un moment ou à un autre, ont eu le même système,
ont frappé des pièces qui circulaient dans l’Union.
Enfin, en 1889, le Congrès monétaire international qui se tenait à
Paris, comprit davantage de participants qu’en 1878 et en 1882. On y
constate que le système monétaire Français et l’Union Latine groupaient
cent soixante-deux millions de personnes en 1877 et trois cents onze en
1889. Mais leur effort pour fédérer à long terme faisait long feu. Ils
avaient misé sur le mauvais cheval : l’argent.
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 734
Guerre
civile,
guerre,
et
processus
monétarisation. Contexte communiste :
de
Une grande partie de l’effort théorique des penseurs communistes
les plus reconnus porta sur la période de transition 1404. Mais, sitôt la
Révolution Bolchevique arrivée en Russie, ce pays entretint très vite des
relations schizophréniques avec la monnaie, menant dès lors à son
exclusion. La « transition » fut relativement dissoute dans la guerre civile,
enlevant selon nous très vite tout élément de raison au débat.
Les soubresauts institutionnels monétaires aux
Etats-Unis :
En 1893 eut lieu une crise boursière aux Etats-Unis.
Les Etats-Unis, si fringants monétairement depuis les années 1860,
n’arrivaient pas, cependant, à s’imposer définitivement. Autant la monnaie
et le billet – dollar – s’est imposé au quotidien aux Etats-Unis, avec de
l’avance sur l’Europe – les pays qui avaient imposé le billet déchantèrent,
au début des années 1880 l’Italie et la Hollande supprimèrent le papier
monnaie -, autant du point de vue institutionnel l’Amérique était en retard
sur le Royaume Uni, sur la France et sur l’Allemagne. Il fallut attendre
1905 pour que, face à un commencement d’implosion – les Américains ne
croyaient plus à la valeur de leurs billets, et demandèrent de l’or à la place
– soit créée la Banque Centrale Américaine, la Federal Reserve Bank, qui
allait édicter des règles monétaires plus rigoureuses, sur tout le territoire
Américain.
L’irrésistible ascension monétaire Américaine :
Elle put s’effectuer1405 en profitant des guerres. Elle profita de
l’anarchie du paysage monétaire Européen. Comment pouvons-nous en
résumer les caractéristiques?
Le Royaume Uni avait pour lui l’étalon or / étalon Sterling. Ce fut un
système qui a en effet très bien marché, mais il a subi la concurrence, de
1865 à 1890, du système Français de l’Union Latine. Dès 1905, le vent
BOUKHARINE, « L’économique de la période de transition », traduction française,
1976.
1405
Force est de le constater !
1404
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 735
commença à tourner, puisqu’avec la création de la Banque Centrale
Américaine, ce dernier pays s’annonçait comme enfin capable de
reprendre, un jour, le relais de la devise clef Britannique. De fait, dès les
années 1920, la Livre Sterling allait être attaquée. C’est d’ailleurs
pourquoi l’Angleterre finit même par renoncer au libre échange : les lois
de 1921 continrent les importations favorisées par les dévaluations
monétaires. Le système de l’étalon Sterling devint mourant, souffrant
irrémédiablement de l’inflation sur lequel il était bâti depuis le début 1406.
La France, avec l’Union Latine, a résisté à ce système. Mais, si elle a
titillé les Etats-Unis d’Amérique du Nord sur leur territoire réservé –
l’Amérique du Sud -, elle n’a pu proposer un système alternatif crédible.
Elle n’a au contraire attiré dans son sillage que des pays monétarisés de
second rang. Ce n’était pas un danger pour la monétarisation de
l’économie monde, mais ce n’était pas non plus un axe structurant très
convaincant de cette monétarisation. La suite à l’étalon Sterling viendra
plutôt du grand large, d’outre Atlantique. Au demeurant, le processus de
monétarisation a connu des ratés, quand les pays qui s’étaient investis
dans la diffusion des billets ont répudié ces derniers.
L’Allemagne n’était l’alliée de personne sinon d’elle-même. Dans ce
contexte, comme l’ont montré DIEBOLT et DARNE, la Reichsbank était
clairement « une banque de guerre ».
Il n’y a donc pas eu, à cette époque, d’Europe monétaire. On peut
quand même remarquer, que tant que la Livre Sterling a réussie à
pleinement tenir son rang de « devise clef » (jusqu’en 1920 environ), il y
avait un certain « vivre ensemble » monétaire entre les pays d’Europe,
sauf que l’Allemagne dans le même temps, au cœur de l’Europe,
prisonnière de l’ancienne vision, continuait à se réarmer. Mais, dès que la
Livre Sterling flancha, ce fut le règne des « guerres monétaires »,
dévaluations compétitives en série, qui menaient à la guerre réelle. La
Livre Sterling avait donc tenu pendant un certain nombre de décennies un
rôle de « gardien de l’ordre » monétaire. On peut aussi remarquer que
l’Allemagne, se réarmant, n’avait pas, jusqu’en 1896-1914, une terrible
dette extérieure. Qu’en aurait-il été si elle avait eu, comme ses voisins,
une dette publique ? Aurait-elle été, dans ce contexte, moins belliqueuse?
Les Etats-Unis n’ont eu qu’à rafler la mise monétairement du fait des
guerres : ils s’apprêtèrent à doubler le Royaume Uni après 1918, ils
raflèrent définitivement le pactole, le leadership dans la mise en place de
1406
C’était peut-être une des conditions, à l’époque, une certaine inflation, pour que les
populations puissent accepter la monétarisation. D’ailleurs, la théorie des cycles de
KONDRATIEFF, elle-même, ne pose t’elle pas assez clairement une certaine solidarité
entre phénomènes d’inflation et phénomène de croissance ? Cette question apparaît
comme un nœud possible d’interrogations sur la théorie monétaire comme sur les cycles
longs. Aujourd’hui, on rejette généralement l’inflation sans en avoir sans doute tiré
clairement toutes les conséquences en matière de théorie monétaire.
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 736
l’ordre monétaire, en 1945. Les guerres avaient coûté trop cher. A
l’avenir, les Etats d’Europe devraient se tenir les coudes, aidés par le
dollar Américain et protégés par son parapluie militaire. Comme quoi les
deux choses vont de pair. Les virages monétaires furent pris pendant les
guerres. D’autre part, cette théorie s’explique aussi par la structure des
dépenses. Les dépenses militaires Américaines lui permettaient de
relancer l’économie, comme entre 1870 et 1940 l’Allemagne a souvent
tenté – parfois avec succès – de relancer l’économie par les dépenses
militaires. Un tel système est efficace s’il a un effet dissuasif. Dans le cas
de l’Allemagne de 1870 à 1940, ce n’était pas dissuasif, car l’Allemagne
était seule contre tous. Pour être pleinement efficace, le système ne doit
pas être seulement dissuasif, mais doit prodiguer des quantités de billets
selon la demande, ces billets, « monnaie-confiance », qui permettent
d’acheter ce que l’on souhaite, et, de cette façon, permettent aussi aux
désirs croisés entre les nations de s’assouvir sans s’aliéner, de se mesurer
sans se combattre méchamment, en clair cela permet à la monétarisation
de l’économie monde d’avancer.
La France et la problématique de la stabilité et/ou
de la force monétaire dans l’entre-deux
guerres :
La France a toujours essayé de tenir un rôle de stabilisation. On l’a
déjà vu avec l’Union Latine. Une telle stabilisation était, aussi et avant
tout, auto dirigée. C’est ainsi que la France chercha, et réussit on peut
dire, à affirmer son image et son autorité.
De cette persévérance dans la modération, la France, avec la
Belgique, a gagné de connaître une relativement faible dépréciation
monétaire, comparée avec celle de ses voisins. Cette dépréciation trouva
libre cours jusqu’en 1926-1929.
C’est aussi parce que la France, pays stable, voulait être
récompensée de sa bonne gestion domestique qu’elle fut intransigeante
sur les réparations qui lui restaient dues. Elle resta, en 1923,
intransigeante sur la question des réparations de guerre que l’Allemagne
devait encore lui payer, et dont la France se trouvait être créancière pour
une part de 52%. La France refusa tout moratoire sans gages préalables,
c’est-à-dire tout moratoire, finalement. La France, qui se voulait un pays
stable, donc pacifié de l’intérieur, se tint près de ses intérêts, mais c’était
aussi, comme toujours chez elle, une question de principe. N’était-ce pas
aussi pour rejeter le recours à la guerre, qu’elle voulait faire payer
l’Allemagne, rendant ainsi, a posteriori, le coût d’une guerre trop lourd ?
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 737
De fait, de même que l’Angleterre avait fini par convertir la France à la
paix – d’où « l’entente cordiale » entre ces deux pays, en 1904 -, la
France a fini par convertir l’Allemagne à son tour. Mais, entre temps
l’Allemagne se sera vengée, car s’entêtant dans sa logique. Intransigeante
avec l’Allemagne, la France l’était tout autant avec la Russie. Elle tint que
les dettes du tsar (vingt-et-un milliards de francs-or) devaient être
assumées par les soviets, contrairement au Royaume Uni, en matière
commerciale moins légaliste et plus affairiste, prêt à faire cadeau des
dettes à Moscou, dans l’espoir d’en obtenir la concession d’exploitation des
pétroles de Bakou par les compagnies anglaises. En 1922, à la conférence
de Gênes, la France réclama la restitution de tous ses avoirs vis-à-vis de
la Russie : vingt-et-un milliards de francs-or, dont douze milliards de
prêts, et neuf milliards d’investissements directs, dans l’industrie. La
France n’était pas affairiste dans le domaine civil, pas plus que la Grande
Bretagne, mais elle apparut une fois de plus très légaliste dans le domaine
commercial international, en tout cas, à chaque fois que son honneur est
en jeu.
En 1926, ce fut le franc or de Poincaré qui symbolisa la doctrine de
la France en matière monétaire.
Guerres monétaires et guerre tout court :
Tout d’abord, le système de l’étalon or fonctionnait fort bien. Même
malgré une production endogène d’endettement, il produisait des créances
liquides et rentables… donc on serait tenté de dire que « tout baignait ».
On peut ainsi décrire le système, en précisant que la position monétaire
nette de l’ensemble des agents privés peut être comptablement identifiée
à la demande excédentaire nette de monnaie. Et c’est la déformation de la
structure des créances et dettes dans son ensemble qui importe pour
comprendre l’unité internationale du capital dans un système multilatéral
de paiements. Les banques étrangères avaient des avoirs à court terme
sur Londres plus liquides que les avoirs à court terme des banques
anglaises sur l’étranger. Mais ce n’était pas suffisant pour elles, car leurs
pays connaissaient des risques de dislocation structurelle plus prégnants
que la Grande Bretagne : retard sectoriel, mouvements d’émigration…
cela était franchement pénible à supporter dans un contexte
d’endettement. Elles voulaient donc constamment renforcer leurs réserves
liquides en monnaie internationale, sinon pour finir par avoir le dessus –
ce qui était impossible -, du moins pour éviter d’être mises en structure de
dette instable. Un afflux de capitaux en Sterling venant d’ailleurs que
l’Angleterre, attirés par des taux d’intérêt à court terme plus favorables en
Allemagne par exemple, était déposé à Londres par les banques
allemandes. Un flux circulaire de fonds en résultait, jusqu’à ce que les
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 738
conditions du crédit en Allemagne soient de nouveau alignées sur celles de
Londres. Endettement contre liquidité : une équation explosive à terme !
« Tout baignait », donc, sauf qu’il y avait la forme de résistance allemande
à cette dominance, agressive, et la réaction de la France à travers l’Union
Latine, « décalée ». En effet, on peut décomposer la période. Dans un
second temps, les pays de la « première périphérie » ont peut-être en
quelque sorte repris le dessus, si tant est que les endettements nationaux
ont nettement baissé. Ils étaient donc en mesure de relancer la machine à
leur mesure. En effet, dans ces pays, la monnaie a été dérivée en
finance : c’est toute l’économie qui est devenue plus capitalistique,
investissant dans des secteurs rentables. A titre d’exemple, l’expansion
Allemande à partir de la décennie 1890/1900, marque le début d’un
changement dans la structure et le fonctionnement de l’économie. Ainsi,
dans le secteur électrique, de grandes sociétés (par exemple AEG)
effectuèrent des opérations jusque là réservées aux banques : elles
créèrent des filiales qui reçurent capital et outillage de la société mère, le
soldèrent en actions qui, au bout d’une année, étaient vendues sur le
marché, et apportaient un profit de spéculation. La France comme la
Grande Bretagne connurent une prospérité qui s’exprima par un afflux de
capitaux vers l’industrie des émissions industrielles : une multiplication
par six en France de 1895 à 1900.
Mais qu’est-ce qui devait se passer ? Un relais a donc été repris par
des pays qui n’avaient pas, vis-à-vis de l’Angleterre, une « culture
monétarisée » datant d’aussi longtemps. Ils arrivèrent à mettre en place,
comme moyen, un système industriel « monétarisé ». Mais celui-ci, dans
le cas de l’Allemagne, était très tourné vers l’industrie militaire et vers
l’effort de guerre. C’est-à-dire que les perspectives de très long terme
n’étaient pas apprivoisées. Faute de la cohérence et de la mémoire, à très
long terme – plus d’une génération humaine, la durée d’un cycle de
KONDRATIEFF – quelle meilleure idée que de « se mettre sur la figure »,
pour tout oublier et tout détruire, puisqu’on ne savait pas faire quelque
chose d’autre ? L’équilibre de l’endettement, entre 1896 et 1914, n’était
pas en soi une bonne chose, puisqu’on ne savait pas quoi en faire. Par
ailleurs, l’effort de guerre d’une nation est une notion qui doit être
appréhendée sur un temps suffisamment long pour engager tout le moral
de la nation, vraisemblablement plus de quinze ans… de même d’ailleurs
qu’un effort de paix !
De 1896 à 1914, la reprise s’est basée sur les directions qui avaient
été entrevues pendant la période de dépression : en particulier la
perspective de guerre franco allemande.
D’où aussi un mouvement de peur, qui s’exprima à travers la
montée des protectionnismes, et qui s’opposa aux mouvements naturels
du crédit entre nations. Contradiction des contradictions : on voulait
stopper tous flux d’échange d’un système qui était basé justement sur les
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 739
flux d’échanges à termes toujours plus longs sans que les frontières
nationales ne dussent être un tabou. Alors que les émissions d’actions, en
France, furent multipliées par trois entre 1903 et 1906, ce qui prouvait un
contexte financier national fort favorable, dans le même temps les
emprunts allemands en vue de la construction du chemin de fer de
Bagdad furent interdits à Paris. De même les emprunts Russes furent
empêchés à Berlin.
Dans ces phénomènes incohérents au mouvement même de
monétarisation qui repose fondamentalement sur la confiance, on peut
retirer des mécanismes forts qui ont reflété les polarisations à l’intérieur
du système d’étalon Sterling. L’expansion du crédit allemand, dans
l’optique d’expansion particulière à l’Allemagne, fut plus forte que jamais.
Elle fît concurrence à la Grande Bretagne. Pour son expansion dans les
premières années du siècle, l’Allemagne s’appuya sur la Deutsche Bank
pour l’Allemagne et l’Asie, ou la Banque russo-asiatique pour la Russie et
l’Extrême Orient. Les limites du système hégémonique transparaissaient
aussi du fait que la puissance hégémonique éprouva le besoin de mettre
sous tutelle les finances de pays comme l’Egypte, la Grèce, la Turquie… la
Chine ! Toujours parallèle à l’investissement de croissance, mais
défavorable au crédit entre nations : dès 1909 le capital reflue vers
l’industrie, les émissions d’actions industrielles s’accrurent, en particulier
en Allemagne. On prétendait désormais avoir chez soi ce que l’on ne
voulait plus avoir à l’étranger.
Troisième et quatrième sous-périodes : les années vingt puis trente.
Tout d’abord, il convient de préciser une chose : au sujet du système
hégémonique, il ne peut y en avoir qu’un, pas deux. Le système
hégémonique est un système jaloux. Au sujet de la devise clef : celle-ci a
créé une expansion déséquilibrée des échanges et du crédit, dans un
contexte d’endettement. Puis il y a eu une stabilisation, mais dans le
même temps une montée à la guerre. La troisième période qui s’ouvrît
dans les années vingt fut plutôt nouvelle : les britanniques étaient plus ou
moins disposés à regarder les prétentions et la situation monétaire
allemandes, d’un nouvel œil. Du moins Lord KEYNES, dans un relatif
isolement, s’y montra t’il enclin. Mais n’était-ce pas trop tard ?
C’est alors que les premiers signes d’un essoufflement de la Livre
Sterling se manifestaient que ce système aurait tendu la main à son
adversaire interne ? C’était un aveu de faiblesse manifeste de la part du
système d’étalon Sterling. Le système de l’étalon Sterling a brûlé une
grande part de ses crédits vis-à-vis du reste du monde : crédits
« primaires » « économiques », libellés dans la monnaie nationale la Livre
Sterling pour leur montant exact, mais aussi les crédits « secondaires »,
« sociologiques » : le « crédit » international qui était reconnu au pays
détenteur de la devise clef, pour rémunération de son exercice de « chef
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 740
de file des banquiers », dirigeant les investissements d’une coalition de
pays en direction de l’avenir.
A propos de chef de file, de la part du métier « banque » qui était
une part du rôle de détenteur d’une devise clef – la gestion des
anticipations collectives qu’il faut transformer en droits reconnus, puis
assurer -, les britanniques furent dans certaines parties, remplacés par les
Américains bien avant que la Livre Sterling n’ait perdu définitivement sa
place de devise clef. Cette phase n’eut en apparence rien de guerrier,
mais elle prépara une dislocation qui ne trouva sa résolution, du point de
vue Européen, que du fait d’une nouvelle guerre meurtrière la Seconde
Guerre Mondiale. En effet, les comportements et anticipations des
Américains et ceux des Européens n’étaient pas exactement les mêmes.
De « cheval de Troie » offensifs de la monétarisation, la Grande Bretagne
devînt petit à petit un « cheval de Troie » défensif. La dislocation
monétaire de l’Europe mena à sa dislocation guerrière 1407.
Dès 1917, les Etats-Unis furent les banquiers de la coalition contre
l’Allemagne. Des emprunts furent dès lors souscrits en Amérique pour le
compte des alliés occidentaux : première manifestation d’un changement
de continent du lieu où furent libellés les emprunts de cette coalition.
L’Allemagne se défendît pied à pied. Pendant la guerre en effet, les
dépenses publiques allemandes augmentèrent, financées par l’emprunt.
La principale société d’achat d’Allemagne (Zentral Einkauf Gesellschaft –
Zeg), bénéficia de crédits illimités. L’Allemagne utilisa ses excédents de
fabrication pour se procurer des crédits de change en Hollande et en
Suisse. Le système des coalisés aurait-il été plus tourné vers la vente, le
système de l’Allemagne plus vers l’achat ? Pour qu’un système de
monétarisation soit équilibré, atteigne son but, il faut qu’il intègre à la fois
vente et achat, échange et approfondissement1408 !
L’évolution des relations monétaires et guerrières
interactives des pays Européens tout au long
de la période : de 1870 à 1920 :
Questions de système :
En quoi le mécanisme de l’étalon or a-t-il été économiquement
révolutionnaire ? D’abord parce que le passage à l’étalon or a permis de
débloquer le fonctionnement de l’escompte. Lorsqu’il y avait deux
1407
1408
Les leçons pourront en être retenues dans l’autre sens, fort longtemps après.
Le système basé autour du dollar réalisera une telle synthèse.
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 741
monnaies de réserve métalliques, l’or et l’argent, comme ce fut le cas
depuis 1300 environ (à Venise), l’anticipation entre monnaie métallique et
billets n’allait pas de soi : en effet, il y avait toujours une incitation à
échanger de l’or contre de l’argent, sans avoir besoin de recourir à
l’utilisation de billets. Le passage à une seule monnaie de réserve
métallique crée une incitation à développer un marché de la liquidité sans
contreparties matérielles, qui virtuellement pouvait devenir à lui-même
son propre objet.
Donc, le passage à l’étalon or a été une innovation radicale,
permettant de déboucher1409 sur un marché de la liquidité, à travers
l’apparition des billets. Imposés en France de 1848 à 1850, ils avaient
disparus par la suite pour réapparaître à l’occasion de la première guerre
mondiale. L’Italie quant à elle a connu puis retiré le cours forcé des billets
dans les années 1860 et 1870. Qui dit marché de la liquidité : dit marché
de l’incertitude sur l’avenir. Un avenir qui peut être… meilleur… ou pire…
La signification de l’étalon or de 1873 à 1896 :
L’endettement du système a servi comme mesure de la confiance de
chaque agent, au niveau microéconomique, dans le système
macroéconomique. On comptait toujours qu’il existe quelqu’un d’autre de
plus endetté, pour masquer son propre endettement.
A l’origine du système, l’Angleterre a utilisé l’effet de levier de la
monnaie, pour rapidement se trouver au niveau comptable d’endettement
zéro (taux d’endettement < 60%). 1410 Elle a externalisé son endettement
en diffusant un système monétaire. Selon GILLARD 1411, le système
d’étalon or aurait d’ailleurs rapidement, dans les faits, été un système
d’étalon-change or. Le triangle Livre Sterling – or – possibilités de change,
se portait bien pour diffuser des signes monétaires. Mais l’Angleterre avait
tellement de réserves d’or qu’elle n’était pas en change-or, mais bel et
bien en étalon or. L’origine – le noyau – du système n’était pas à
découvert, c’était le centre (France, Allemagne, Benelux) et la périphérie
(Europe Centrale, de l’Est et du Sud), qui l’étaient 1412. Ce fut bien plus
Bien que ce dernier ne soit pas encore le sujet central dans l’ordre des priorités du
système monétaire international – ce qu’il deviendra plus tard -.
1410
On peut discuter naturellement d’un taux d’endettement qui soit « nul en pratique ».
On voit néanmoins qu’un taux supérieur à 100% constitue un défi à la comptabilisation
donc à la mémoire et donc à une certaine forme d’équilibre : puisque d’une année sur
l’autre on n’arrive pas à retrouver son propre équilibre.
1411
GILLARD, « La bataille des régimes monétaires à la fin du XIXème siècle »,
Economies et Sociétés, Numéro 16, Février 1991.
1412
« Centre » et « périphérie » en partant de la notion même d’échange. La Grande
Bretagne se proposait généreusement d’échanger pour « assurer » ses partenaires
Européens. Elle se mît « à leurs places ». Mais dans les faits, elle ne put assurer qu’une
partie de l’Europe : ce qui était « gênant »…
1409
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 742
tard, dans les années 1920, qu’il fallut reconnaître que l’on était en étalon
de change or, car l’Angleterre aussi se retrouva alors « à découvert ».
Par ailleurs, le recrutement du noyau sur le seul étalon or – argent
exclu – permît d’établir une distinction entre Europe (et la « nouvelle
Europe » Américaine) et le reste du monde. Selon certains auteurs, le
passage au seul étalon or aurait été un moyen de se tourner vers l’Ouest,
au niveau planétaire, et d’exclure l’Est. Pour rendre cette description plus
éloquente : il s’agissait en fait de ruiner l’Inde, dont toute l’économie
dépendait de l’argent, de rendre le rapport de force irrésistible entre
l’Angleterre et sa principale colonie, au bénéfice du « noyau ». 1413
La signification de l’étalon or de 1896 à 1914 :
L’endettement de la période précédente a été le premier signe, dans
l’histoire, de l’existence d’économies monétarisées au sens où les sociétés
l’étaient aussi. Ces sociétés étaient endettées, peut-être pas pour
préparer la guerre, du moins pas uniquement et en tout état de cause pas
majoritairement. Cela aurait confirmé l’interdiction posée par KANT dans
son « Traité de la Paix perpétuelle », de s’endetter en vue de la guerre,
règle qui dès lors avait dû être souvent utilisée dans le passé. Elles étaient
endettées parce qu’elles commençaient – tout juste – à créer, à la fois
volontairement et de façon consciente, du capital humain. En clair, les
années de 1873 à 1896 furent la première période dans l’histoire qualifiée
de « Grande Dépression ». Et la réponse fut, effectivement, en France, de
sortir les enfants du marché du travail afin de les éduquer, et de libérer
ainsi du travail pour les adultes. En attendant, il fallait bien financer le
système, et puisque le système souffrait d’une certaine langueur, il était
logique que cet écart soit concrétisé par un endettement monétaire. On
pouvait même le revendiquer, puisque c’était l’occasion de créer de la
valeur sociale, ce qui était nouveau en termes de ce que cela veut dire de
la nature de la monnaie. Observons comme l’écart initial – un report de
production dans la vie d’une personne, qui a des effets en chaîne dans les
relations entre toutes les générations – va se reproduire, par des effets de
ricochet, dans tout le système au niveau international. La monnaie, qui
est un droit à s’endetter sous caution institutionnelle, pour faciliter un
(des) investissement(s) collectif(s), construit un monde de tensions
reportées entre les pays du monde, tensions véhiculées par le système
économique sous couvert de l’institution monétaire. Les adultes en France,
qui ne sont plus dans une relation de dépendance économique réciproque
directe, y gagnent une autorité nouvelle. Cette valeur créée, ils vont la
reporter vers le reste du monde, avec lequel ils sont en contact pour y
exploiter des ressources. C’est ici la naissance du paternalisme politique,
qui porte le chapeau du phénomène de colonisation qui s’accélère. Jules
La Grande Bretagne ne put pas se placer du simple point de vue « de l’autre ».
« L’échange monétaire » est toujours, de beaucoup, plus complexe qu’un simple
« échange commercial ».
1413
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 743
FERRY a bien incarné ces deux liens, à la fois interne (entre deux
générations) et externe (des pays colonisateurs vers les pays colonisés).
Donc, de 1873 à 1896, on a construit de la confiance
microéconomique créatrice de valeur, au nom d’un système macro social
et macro politique très critiquable – puisque restreignant au maximum la
dignité d’autrui, pesant sur elle - 1414. Le véhicule de ce lien déséquilibré,
c’était une monnaie centrale internationale, la Livre Sterling, servant au
fonctionnement dans la paix, adossé à une relique barbare symbole de
guerre, une monnaie marchandise l’or, dans un couple connaissant des
contradictions croissantes, tues par la prise d’otage de pays autour de
l’Angleterre, forcés à changer dans un contexte d’endettement subi. Que
devait-il se passer ensuite ? La structure – qui dure vingt-cinq ans – a
absorbé ces contraintes internes, les a avalées, si bien qu’à partir de 1896
le principal effet a été endigué : l’endettement a pu décroître partout.
Mais il y a deux systèmes, adossés l’un à l’autre, nous l’avons vu : la paix,
qui permet le fonctionnement de l’économie, et la guerre, qui l’empêche
mais permet le jaillissement de nouveaux signes monétaires ayant une
portée internationale et/ou mondiale, et qui de façon ambiguë permettront
de gérer les futures évolutions du couple guerre / paix au travers des
cycles longs. De 1896 à 1914, l’économie sembla fonctionner de
nouveau ; mais la structure sur laquelle elle se trouvait assise était
malade : vingt-cinq ans ont créé un endettement excessif, les vingt-cinq
années qui suivirent ne suffirent pas à en soigner complètement les effets.
Car à l’époque, 1°) l’économie était encore trop dépendante de facteurs
matériels ; 2°) la politique n’était globalement pas encore assez
démocratique. L’étalon or, de 1896 à 1914, cacha comme il le pût la
montée à la guerre. Loin du système Européen, l’Inde s’est effondrée du
fait de l’écrasement de l’argent. L’Irak et l’Egypte, autres gros détenteurs
de stocks d’argent, se retrouvèrent sous tutelle financière. De l’autre côté,
les Etats-Unis et leurs stocks d’or ne furent aucunement inquiétés au plan
international, alors qu’au contraire au plan interne ils ne subirent pas de
telles tensions que celles des pays d’Europe. L’Europe était au centre d’un
cyclone invisible, évolution obligée dans laquelle la monnaie était un
symbole fort. La bataille entre or et argent a été la plus grande bataille
monétaire de l’histoire, car elle a traduit la monétarisation conflictuelle de
l’Europe, dont l’Europe et en particulier l’Angleterre a été à l’origine 1415, et
dont l’Amérique pourra recueillir les fruits apaisés plus tard. Comme le
symbole monétaire est ambigu, avoir créé la tension n’a pas suffi à la
résoudre, d’où la suite. La monnaie dans son fond, dans sa finalité –
instrument d’échange – n’est pas en elle-même fautive ; mais dans sa
forme du moment – adossée à une monnaie marchandise dans un
contexte international favorisant la concurrence guerrière -, elle l’était
indéniablement à cette époque…
Et donc un système qui n’est pas « durable », pour reprendre les termes actuels de la
science économique.
1415
Forcément conflictuelle, car elle impliquait au départ une économie, une société, une
politique, et même une monnaie avec or et devises, dualistes.
1414
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 744
La signification de l’étalon or de 1914 à 1920 :
Ce fut le début de la fin du système mis en place par les Anglais,
depuis 1800 en partie, depuis 1860 totalement, et qui a permis de
chapeauter trois éléments principaux :
- L’émigration Européenne ;
- Le paternalisme politique des Européens à l’égard du monde ;
- Des pressions monétaires à l’intérieur de l’Europe, visant à
repousser la guerre… par le moyen de la guerre !
Ce fut le début de la fin du système chapeauté par l’Angleterre,
puisque ce système prouva alors… qu’il menait à la guerre ! En clair, la
monnaie n’était à l’époque pas encore assez puissante pour assurer la
paix ! De 1896 à 1914 déjà, on a constaté que la baisse des endettements
a été parallèle à une remontée des taux d’intérêt. Autrement dit, la
pression continue. On peut subodorer toutefois qu’elle était davantage
dite.
Le système était quand même solide. La preuve : il a repoussé la
durée de survenance d’une guerre importante. De 1815 à 1914, « guère
de guerres », pourrait-on dire pour reprendre
POLANYI. C’est que,
comme le système proposé par l’Angleterre était le premier système
monétarisé dans l’histoire, il s’accompagna de mécanismes de change –
qui voisinèrent avec des mécanismes de solidarité entre pays – qui
étaient autant de garanties apportées au système. Les frontières n’étaient
pas étanches entre taux de change, taux d’intérêt, inflation, endettement.
Tout cela servait le système Britannique, qui était sous contrôle ; il servait
la vision britannique, qui tant que la guerre ne survînt pas, était
irrésistible1416.
Quelques exemples de cette cohésion. D’abord, le système
monétaire à cette époque fut peu spéculatif. C’est à noter car, à partir de
1920 et jusqu’en 1945, il deviendra beaucoup plus spéculatif, puis de
nouveau depuis 1970-1980. Il fut peu spéculatif car il comprenait très peu
de mouvements de capitaux à court terme. Les capitaux britanniques, et
les autres capitaux Européens solidaires des mouvements de capitaux
britanniques, s’investissaient à long terme. La vision britannique du
monde était véritablement une vision séculaire, une vision à long terme,
dans un monde qui ne faisait encore que commencer de bouger. Cela eût
la vertu de permettre une rare convergence des taux d’intérêt longs.
Londres ne souffrait pas d’une grande concurrence. Le système avait sa
propre valeur, car le taux d’inflation global, plus élevé durant la période
1896-1913, a joué un rôle important en affermissant la zone or, ce qui
pouvait avoir aussi comme conséquence, toutefois, d’accroître l’écart
entre les insiders et les outsiders, et donc les tensions mondiales. Pour
l’Espagne, qui était un insider, l’effet était vertueux. En effet, une monnaie
1416
Cette vision libérale était un peu cynique.
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 745
qui se déprécie signifiait un service des intérêts qui s’allégea. Jusqu’en
1914, l’Espagne a pu limiter la dépréciation de sa monnaie, parce que la
moitié de sa dette externe était « convertie » en monnaie interne. Enfin,
les Britanniques n’hésitèrent pas à appuyer de tout leur poids un tel
système qui semblait bien, par son existence, créer de la valeur. C’est
ainsi que chez eux, dès cette époque, la Banque Centrale joua le rôle de
« prêteur en dernier ressort », alors que BAGEHOT (1927) souligna que
depuis la création des Banques Centrales, il a fallu attendre des siècles
pour comprendre qu’elles devaient assumer ce rôle.
1914-1920 signifia le passage d’un système monétaire non
spéculatif à un système monétaire spéculatif incluant des mouvements de
capitaux de court terme. Le « système monétarisé monde » n’arrivait pas
à se reproduire harmonieusement, parce que la monnaie de réserve était
une monnaie marchandise symbole d’un conflit irréductible, d’une
difficulté insurmontable à changer sans passer par l’état de guerre.
D’ailleurs, dès la fin de la Première Guerre mondiale, survînt, comme on
l’a connu dans le passé (1815, 1715), une crise de reconversion, une
difficulté à passer de l’économie de guerre à l’économie de paix. La
période de guerre a marqué le retour de la hausse des prix, donc en
l’occurrence à une restriction de l’offre et une hausse de la demande. De
plus, les achats se sont faits à crédit, ce qui ne pouvait, dès lors, que
rendre le retour à une situation « normale » difficile. De mars 1919 à
mars 1920, les ventes à crédit se ralentirent en Angleterre. En fin de
guerre, les déséquilibres financiers internes (finances publiques)
s’ajoutèrent aux déséquilibres financiers externes (monnaie). Seule
l’Angleterre parvînt dès le départ à répondre aux immenses besoins
qu’impliquait la reconstruction des économies, mais le ressort était en
partie brisé avec les autres pays. Alors que les Etats-Unis, quant à eux,
ont gagné un rôle financier international à l’occasion de la guerre : ils ont
centralisé l’offre de crédit à partir de 1917, tirant acte du fait que la
dualité financière de l’Europe – ceux qui font pression et ceux qui
subissent la pression – s’était muée en dualité politique – avec la
Révolution Russe -.
Mais la question des réparations (qui s’était déjà fait sentir en
France, en 1815 comme en 1871), se présenta sous un jour nouveau à
l’occasion de cette guerre. Cette question fut en effet compliquée du fait
que les puissances victorieuses ont beaucoup emprunté, et étaient
débitrices entre elles. La première répartition, en juillet 1920, avantagea
la France (52% de la répartition, contre 22% pour l’Empire Britannique,
10% pour l’Italie, 8% pour la Belgique, 5% pour la Serbie, 3% pour les
autres pays). Les Etats-Unis purent mettre tout le monde d’accord en
décidant des répartitions et en relançant le crédit. Ils avaient déjà
lourdement prêté aux alliés en temps de guerre… Mais c’était en temps de
guerre… et le rôle monétaire mondial des Etats-Unis ne s’était pas encore
levé ! Question compliquée par les interdépendances financières, et a
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 746
contrario par une certaine fin des interdépendances politiques. Désormais,
il fallait aussi tenir compte dans l’économie-monde avec un non Européen,
l’Amérique, à l’origine d’un nouveau jeu de miroir. La question des
réparations fut enfin aussi compliquée par les progrès techniques qui ont
rendu cette guerre particulièrement destructrice. Tout bonnement,
l’Allemagne, responsable directe de la guerre, se trouva soumise à une
indemnité de guerre au montant exorbitant1417.
C’est alors que Lord KEYNES se fît connaître par « Les Conséquences
économiques de la paix », un essai qui dérangea bien des esprits. Le
problème des relations entre développement d’une économie monétaire,
et perpétuation des guerres sanglantes, était posé sur le plan économique
par KEYNES, comme KANT l’avait posé un siècle et demi avant sur le plan
juridique. Pour KEYNES, si l’Allemagne devait payer un tel montant de
réparations, elle ne pourrait jamais se relever économiquement. Il y avait
impossibilité de ce point de vue. L’Europe se montra en effet incapable de
réagir suffisamment vite à ce fait mis en évidence par KEYNES. Les
attitudes spéculatives, les dilemmes du prisonnier, les nationalismes : tout
cela pût se donner bon train malgré le rôle d’apaisement de la France, qui
ne finît qu’à parvenir à temporiser le conflit central entre Allemagne et
Angleterre, sans pouvoir l’arrêter. On se vengea sur d’autres, durablement
dans la périphérie : le traité de Sèvres (août 1920), en renforçant le
contrôle des finances turques, fît de l’Empire Ottoman quasiment un
protectorat des nations Européennes 1418.
Sous le rapport des investissements à long terme, les Etats-Unis se
trouvaient être, dès la fin de la guerre, l’économie mondialement
dominante. En temps de guerre, elle avait nourri le crédit. En temps de
paix elle investît alors pour son propre compte 1419.
Le paradoxe est que le système de l’étalon or fût paré de toutes les
vertus dans l’imaginaire collectif, seulement après 1914, alors qu’il n’avait
virtuellement déjà plus cours. C’est qu’il était le garant d’un système dans
lequel, du moins, on avait confiance. Et désormais, moins on l’appliquait,
plus on l’idéalisa. Le changement, au fond, ce n’était plus la convertibilité
des monnaies, c’était la montée à la guerre.
L’Allemagne ne profita pas de cette guerre qu’elle avait causée. La France en profita
alors qu’elle l’avait causée pourtant aussi, en bénéficiant d’importantes réparations. Les
Etats-Unis profitaient d’une guerre qu’ils n’avaient pas causée.
1418
Les hypocrisies étaient généralisées. Les pays ne pouvaient arriver en Europe à se
parler franchement, et ils ne le faisaient donc, à l’époque encore, qu’à l’occasion des
guerres.
1419
Elle fît les deux en même temps, seulement en temps de paix après 1945, quand il
fut avéré que la monnaie internationale était la sienne.
1417
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 747
L’évolution des relations monétaires et guerrières
interactives des pays Européens tout au long
de la période : le retour de l’option guerrière à
partir de 1920, du fait du rejet du système :
Les années 1920 : passage de l’étalon or à l’étalon de
change or et sa signification, l’estocade portée au
système monétaire Allemand :
La monnaie torturée :
Le système basé autour de la Livre Sterling ayant fait la preuve de
son échec, aucun autre pays en Europe n’ayant la maturité et/ou
l’expérience pour proposer autre chose, l’institution monétaire fut plus ou
moins « torturée » dans différents pays : les exemples allemand, russe et
italien de ce phénomène montrèrent les différentes dérives possibles,
économique, sociale, politique.
En Allemagne, suite à la guerre, la monnaie baissa. Or, cela profitait
à de nombreux industriels qui se réjouissaient de cette atteinte à l’unité
du pays pour accélérer les concentrations. En 1921, lorsque les
négociateurs internationaux avancèrent que les réparations devaient
s’accompagner de la confiscation des biens allemands en pays étranger,
ces industriels refusèrent tout crédit au gouvernement, dans le but de
précipiter la chute du mark. La monnaie fût utilisée contre le pays ! Alors
que la chute du mark aurait facilité la concentration industrielle,
l’Allemagne ainsi privée de capitaux se serait de toutes façons retrouvée
dans l’impossibilité de payer les réparations ! Néanmoins, en 1921, les
premiers versements de l’économie Allemande eurent quand même lieu.
D’Avril à Novembre 1921, l’Allemagne versa 1,5 milliards en nature. Telle
était la guerre monétaire. Elle mena à l’hyperinflation Allemande, en 1923,
expression suprême de l’exaspération sociale. Mais dans le même temps,
la guerre civile économique, agitée par l’extérieur, continuait. En effet, au
traité de Rappalo (avril 1922), l’Allemagne renonça à ses créances sur la
Russie. Cette fois, c’était la réponse de l’Etat Allemand lui-même, toujours
contre le mark qui continuait d’être systématiquement dévalorisé. En
novembre de la même année, l’Allemagne demanda un moratoire de
quatre ans pour s’acquitter des réparations, avec un déficit budgétaire qui
atteignait désormais 98% du montant des dépenses. Mais cette fois-ci, ce
furent les paysans qui s’enrichirent à courte vue, par le biais de la
libération de charge de leurs hypothèques et de leurs impôts.
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 748
Guerre civile économique en Allemagne à propos de la monnaie… et
guerre civile sociale en Russie où le choc est encore plus profond,
menaçant tout lien social traditionnel : on y oppose passé et avenir,
paysans et ouvriers, mais qu’advient-il de la monnaie dans ce pays, ainsi
qu’en Europe de l’Est et en Europe Centrale ? Dans les pays d’Europe
Centrale, on assista entre 1920 et 1924 à un écroulement monétaire. La
baisse des prix était forte, -40% d’avril 1920 à avril 1921. Les Russes
quant à eux essayèrent d’utiliser la monnaie pour rétablir leur économie.
En 1922, c’est une nouvelle monnaie, le tchernovetz, égal à cent roubles,
qui fût créée. Il était gagé à la fois sur l’or, les devises étrangères et les
effets. Mais cela fît long feu : en 1924, le rouble se trouva restauré,
changé contre l’ancien à un contre cinquante mille. Interdiction d’exporter
l’or. La Banque d’Etat de l’URSS (datant de 1921) devînt alors Banque
d’Etat : elle n’aura par la suite jamais de puissance internationale. La
monnaie ne peut exister en dehors du marché et des échanges
internationaux1420. En 1924, un emprunt forcé pour l’agriculture a eu lieu
en URSS, pour corriger les dégâts, qui étaient grands. Le premier bénéfice
n’eût lieu qu’en 1925-1926, où le budget était en principe équilibré. Sept
ou huit ans après la fin de la guerre, quelques pays, dont la France,
s’étaient en effet redressés, apparemment. Mais cette situation ne fût pas
durable, puisqu’elle s’est faite sur le dos de l’Allemagne. En 1927, c’était
au tour de l’industrie, en URSS, de bénéficier d’un emprunt forcé. Les
banques de crédit autonome furent placées sous contrôle de la banque
d’Etat, et des livrets d’épargne furent créés. A vrai dire, la monnaie russe
n’était toujours pas reconnue à l’extérieur… ainsi, lorsque des essais de
normalisation de la situation de l’URSS furent tentés en 1927, la monnaie
d’échange proposée n’était rien de moins que le pétrole du Caucase. Il
faut dire que l’ex Russie n’avait pas remboursé ses emprunts. Mais que
vaut-il pire : être en dehors du marché international, ou être victime d’une
véritable guerre économique à propos des réparations, débouchant sur
l’hyper inflation, comme en Allemagne ?
L’Italie a devancé ces nuages au prix d’une attitude autoritaire, mais
la parade était insuffisante pour ne pas déboucher sur de l’insatisfaction.
En apparence, on évita premièrement la lutte des classes. Dans un
premier temps, on supprimait aussi une grande partie de la monnaie, non
seulement à l’extérieur, comme en Russie – ce qui aurait eu pour effet de
supprimer la valeur de la monnaie, par la suppression des incitations –
mais aussi à l’intérieur, pour couper court à toute polémique : en effet, ce
fût la suppression des sociétés par actions, des banques, des bourses, rien
de moins ! Mais il s’avéra aussi être plus facile de revenir à la raison, en
Italie, qu’il n’aurait été possible à la Russie de retrouver le marché après
L’URSS sera de fait une puissance sans monnaie. Du moins en se plaçant dans le
cadre de notre système. La question serait à reposer après 1991. Mais, à ce moment là,
c’est la question éventuelle de l’intégration du système russe à l’Union Européenne, ou
tout autre scénario tel qu’un jeu découlant d’une puissance retrouvée en matière
d’intermédiation stratégique dans les affaires du monde, qui serait plutôt à considérer en
priorité.
1420
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 749
lui avoir claqué la porte d’une façon si fracassante ! En effet, l’Italie opéra
bel et bien, peu après, une restauration financière, en rendant l’économie
aux principes du libéralisme. Le monopole d’émission monétaire fût alors
confié à la Banque d’Italie. Et, ainsi, le pays retrouva la stabilité de sa
monnaie, en 1926. Les fascistes italiens ont géré la monnaie et ce qu’elle
implique avec précaution, tant sur le fond sur l’intérêt de la conserver,
que sur la forme pendant les années où ils ont choisi par prudence de la
conserver. Ce pays savait bien que cela impliquait pas mal de choses par
rapport à l’intégration internationale, qui était, à cette époque, plus
conflictuelle que ce que l’on puisse imaginer.
L’étalon de change or :
Les pays reconnurent officiellement en 1924 que l’on n’était plus
dans le système de l’étalon or, ce qui supposait implicitement que le
système basé sur la monnaie anglaise était mort. On était au contraire
dans le système de l’étalon change-or (gold exchange standard). En 1924,
et jusqu’en 1928, cela permît de créer des monnaies nouvelles en Europe,
d’une part. Mais cela consista aussi, d’autre part, à se débattre avec les
reliques de l’ancien système. D’une part, c’était donc, paradoxalement, sa
démocratisation. En effet, suivant cette nouvelle architecture, d’autres
pays que l’Angleterre, c’est-à-dire nommément la France et les Etats-Unis,
furent autorisés à disposer d’importants stocks d’or. On voit ce que la
possession de monnaies valables internationalement, continuait d’avoir à
faire avec la guerre : la France et les Etats-Unis étaient en effet deux
parmi les principaux vainqueurs de la dernière. En 1927, la conférence de
Genève alla jusqu’à préconiser une répartition encore plus large des
stocks d’or. D’ailleurs, la Grande Bretagne ne resta pas sans réagir : en
1925, elle retourna à l’étalon or avec une dépréciation de la livre de 27%.
On n’en avait donc pas totalement fini avec l’ancien système. Mais celui-ci
n’était plus opératoire, il se trouvait essoufflé, il n’avait plus la vertu de
pouvoir relancer l’économie monde, ni même l’économie Européenne qui,
du fait de l’industrialisation et de la complexification des investissements,
n’exprimait plus la même belle homogénéité des intentions qu’autrefois.
En 1925, la dévaluation de la Livre fût ressentie comme une mesure
déflationniste
pour
l’économie
monde,
d’autant
plus
qu’elle
s’accompagnait de mesures protectionnistes britanniques, dès 1921, bien
nouvelles dans ce pays ! En contrepartie, purent alors s’exprimer des
nationalismes monétaires nouveaux : de 1926 à 1928, on observa la
stabilisation de la monnaie en Belgique et en France. Faute de pouvoir
assumer la suite du système, face au rival allemand, au refus russe et aux
fuites des autres, la Grande Bretagne choisît de faire elle aussi marche
arrière, et scia nommément la branche sur laquelle elle était assise. Le
système ne pouvait plus être Européen. C’était un anti système. La
défense britannique ne pouvait valoir qu’à court terme, mais en aucun cas
à long terme. Les moyens utilisés prouvèrent tous un repli et une perte de
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 750
rayonnement : ralentissement du crédit, restriction de la circulation
fiduciaire, interdiction de l’exportation d’or, diminution des dépenses
budgétaires, dévaluations de la Livre de façon à se protéger contre les
importations. Du fait du ralentissement du crédit, l’argent se déprécia dès
1920 dans toute l’Europe. On déduit donc que l’Angleterre était rivée au
passé idéalisé : elle cherchait à ce que la Livre Sterling redevienne ce
qu’elle était en 1914, mais c’était impossible ! Dans son malheur,
l’Angleterre avait cependant encore une certaine prééminence sur les pays
qui la suivaient, c’est pourquoi on pouvait défendre les reliques de son
système. En effet, l’augmentation des prix dans la plupart des pays
Européens, jusqu’en 1924/1926, était plus importante encore dans les
pays où la dépréciation monétaire avait été la plus forte (Allemagne,
Italie), et où le décrochage radical avait franchi le seuil du raisonnable :
c’est-à-dire dans les pays qui suivaient l’Angleterre, plutôt que dans le
noyau. L’Angleterre avait connu sa période de chute des prix sur une
période plus courte : 1920-1922. En un sens, la sortie du Gold Standard
peut être aussi considérée comme une réponse politique aux
« non » allemand, italien voire russe. Mais l’inflation – la baisse des prix or
depuis 1920 – a été le détonateur qui a tout fait exploser, politiques
nationales et système monétaire international inclus.
L’irruption des nationalismes monétaires :
Dès lors que le dollar a gagné le premier rang des monnaies
internationales, dans le contexte de la crise de la Livre Sterling des
années vingt, les nationalismes monétaires ne pouvaient que s’enflammer.
Hormis ceux qui refusèrent la monnaie (Italie, Russie), l’Allemagne dont la
monnaie était crucifiée, les pays misèrent tous sur leur propre monnaie.
Cependant, en 1926, effondrement du franc : la France accusait le coup
de la guerre, notamment à cause de la question des réparations non
réglées. Mais, en 1928, le franc Poincaré redressa la situation. Cependant,
tous les pays ne tombèrent pas dans ce travers. Le Benelux constitua une
rare oasis Européenne. En 1921, une union belgo-luxembourgeoise était
d’ailleurs créée : union douanière qui devait déboucher sur une union
monétaire. Venons-en maintenant au deuxième cœur de sujet après le
délitement du Gold Standard : la question des réparations allemandes.
Après l’effacement du système monétaire international, avec une phase
d’anarchie succédant à une phase d’ordre, les raisons d’un délitement : la
guerre et ses conséquences non résolues.
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 751
L’évolution des réparations dues par l’Allemagne. L’impossibilité
de la situation Allemande :
En 1922, avec trois ans de retard sur l’essai prémonitoire de
KEYNES, et parce que l’Allemagne n’avait pas, effectivement, commencé
de payer, on commença à discuter entre Etats de la question des dettes et
des réparations. Ce fût la Conférence de Gênes, qui rassemblait vingt-neuf
Etats. Le sujet fût mis sur la table, mais on ne déboucha sur rien. Une
deuxième conférence, celle de Cannes, la même année, fût plus concrète.
Elle aboutît à dresser un procès de carence du paiement des réparations
par l’Allemagne. Au nom de quoi les alliés exigèrent de l’Allemagne la
réorganisation de ses finances. Les Français étaient les plus raides. Les
Anglais, croyant que leur système pouvait encore les soutenir, même si ils
étaient devenus depuis quelques temps plus conservateurs, furent plus
souples que les Français, car ils avaient investi des capitaux dans la
reconstruction : ils tentèrent de négocier un aménagement de la dette.
L’effondrement du mark en 1923, bien exposé par AGLIETTA et ORLEAN
dans « La violence de la monnaie », bien résumé par l’image choc suivant
laquelle il valait mieux en Allemagne pour se déplacer prendre le taxi que
le métro, car « le taxi, on le paie après, et le métro, avant que de payer, et entre temps -, la monnaie s’est dépréciée », était parlant : l’Allemagne
était visiblement étranglée, monétairement ! Elle ne pouvait pas du tout
payer, car elle n’avait plus de structure monétaire qui vaille. Dans ce cas,
le manque de confiance externe créa aussi, bien sûr, une absence de
confiance interne. Elle en vînt à émettre, en désespoir de cause, fin 1923,
une monnaie de transition, le rentenmark, gagé sur la richesse foncière et
industrielle de l’Allemagne. Cela redressa un peu les affaires du bateau
Allemand.
D’autres plans se succédèrent alors. On intégra désormais – hormis
la France, attachée à l’Allemagne par une solidarité plus physique et plus
intransigeante – l’impossibilité Allemande de payer pour les réparations
telles qu’elles étaient fixées dès le départ. Le plan Dawes de 1924
prévoyait la réduction des versements allemands pendant quatre ans. De
plus, les Américains s’invitèrent : présidant la réunion, ils concédèrent
aussi un prêt conséquent à l’Allemagne. Mais l’Allemagne perdît au même
moment une grande partie de sa souveraineté monétaire, après la faillite
de 1923, reconnue internationalement en 1924. Ainsi, la Reichsbank se
retrouva contrôlée ; une banque des obligations industrielles fût créée,
elle devait être gérée par les allemands, les alliés et les neutres. Trente
milliards de marks-or de capitaux devaient alors pouvoir se diriger vers
l’Allemagne dans les années suivantes, dont quatre milliards de marks en
1924, trois milliards venant des seuls Etats-Unis. C’était comme si on
avait passé un vaste coup d’éponge sur les dettes allemandes. Les
Américains plus que les Européens ont passé l’éponge. La situation pût se
redresser, mais elle n’était pas saine, car l’Allemagne ne pouvait pas non
plus devenir le centre du système monétaire mondial : tout juste lui
faisait-on crédit dans une atmosphère lourde de suspicions. Et elle ne
répondait pas à toutes les attentes, car les dépenses publiques étaient
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 752
trop importantes en Allemagne, trop supérieures aux ressources 1421. Les
Européens ne pouvaient être d’accord avec cela. Les Français devaient
négocier avec les Anglais la non diminution brutale de la valeur du franc,
en fonction du non paiement des réparations allemandes. Sauve qui peut !
Au bout de trois années, les alliés réagirent en 1927 : le comité des
transferts du plan Dawes ne pouvait plus suivre. C’est pourquoi un
nouveau plan, le plan Young entre l’Allemagne, les Etats-Unis et les autres
pays européens, fût signé à La Haye en 1929. Il réduisît encore le
montant des réparations dues par l’Allemagne, et mit un étalement des
paiements en prévisions. La Banque des Règlements Internationaux fût
fondée pour gérer les réparations Allemandes, dont le montant global a
été diminué de 17% par rapport au plan Dawes, porté à quarante milliards
de marks or.
II.
Les années 1930 : l’option de la guerre en l’absence
de système monétaire international accepté :
L’inflation réelle, accentuée par la dévalorisation monétaire :
En passant de l’étalon or à l’étalon de change or, les pays
monétarisés donnaient une prime à l’inflation, qui pouvait gonfler tant
qu’on avait le change pour se le permettre. Du même coup, le pays armé
de la devise-clef, la Grande-Bretagne, n’avait plus tellement intérêt à
relancer le crédit, mais savait aussi que l’option inverse, la guerre, serait
inévitable dès lors que l’on ne permettait pas au dernier pays vaincu en
date, l’Allemagne, de se renflouer ou du moins d’échapper au tonneau des
Danaïdes que représentait le problème des réparations.
En effet, l’inflation était renforcée par les dévalorisations
monétaires : entre 1928 et 1933, la baisse des prix fût telle que 1933
retrouva le niveau des prix de 1914 en données réelles, et même le
niveau de prix de 1896 si l’on considère le niveau des prix exprimé en
or1422.
Quoique cet avis ait forcément sa part de subjectivité.
Cela pose la question, jamais résolue de façon magistrale depuis, de savoir si, in fine,
les situations d’inflation et de déflation ne peuvent pas être confondues, selon que l’on
parte, dans le raisonnement, de la structure ou du fonctionnement. Ce sera une des
missions fondamentales, un jour, d’une théorie monétaire des cycles longs, que d’y
répondre de façon précise. Notre première réponse pratique consiste à dire qu’il peut y
avoir effectivement une confusion entre les deux. Ensuite, nous n’apporterons pas une
réponse définitive dans cette thèse. Car ce problème semble être réglé désormais,
définitivement, pour la période 1992-2007 de tous les dangers. Cf. notre note 1194 du
Tome I. Il faudra y repenser le plus sérieusement possible avant que d’en arriver à la
« fenêtre » 2040-2060.
1421
1422
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 753
Les
guerres monétaires, préludes à la guerre tout
commencent par la formation des blocs monétaires :
court,
Les années trente virent en effet la formation des blocs monétaires.
L’Angleterre s’effondra.
L’Europe centrale chercha à se réorganiser. La conférence de Stresa,
en 1932, se fixa l’objectif de réorganisation de l’économie, qui ne pouvait
être atteint face à la réalité du contrôle des changes.
L’Italie se replia sur elle-même, et elle chercha à rejoindre
l’Allemagne, dont la préoccupation ne s’accordait pas à la stabilité
monétaire dans sa possible ambiguïté. Mais elle était inféodée à la
préparation de la guerre dans sa brutalité.
On aurait dit que tout pouvoir monétaire était mort sur le continent.
Entre la préoccupation des pays fascistes qui retombaient dans la logique
de guerre, et la Russie qui fonctionnait sans monnaie, les pays européens
restant n’avaient objectivement plus la force de supporter un système
commercial international dont déjà, les effets externes positifs
retombaient sur l’Amérique et non plus sur l’Europe. Sur le vieux
continent, en l’absence d’un chef de file monétaire, c’était la débandade.
Premier bloc monétaire : Grande-Bretagne et France dans un
tandem difficile, alliés aux Etats-Unis :
La
Grande-Bretagne,
inquiète
d’une
possible
concurrence
Américaine, et n’arrivant pas bien à convaincre de ses points de vue sur
les réparations Allemandes, ne trouvait plus comme allié monétaire, prise
en porte-à-faux qu’elle était entre l’Allemagne et les Etats-Unis, que la
France… et les Etats-Unis1423. C’est ainsi qu’en 1931, la Grande-Bretagne,
contrainte de dévaluer alors que la Livre se trouvait complètement
déstabilisée par la crise, tenta encore et toujours d’utiliser des effets de
levier monétaires et financiers, à cette époque dans la crise comme
auparavant dans l’expansion. En clair, elle essaya de proposer une forme
de change interne à sa structure monétaire. Pour ce faire, elle réduisit
cette fois ses réserves monétaires nationales, en même temps qu’elle
dévaluait. Mais cela ne suffît pas encore : il fallait aussi garder le
mécanisme du crédit international, garant d’une vision et d’une confiance
communes dans un ordre commercial, financier et à la limite civil,
international. Elle accepta donc une avance des Etats-Unis. Mieux encore,
elle dût accepter dans le même temps une avance de la France ! Tout
semblait sourire à la France, qui pouvait éventuellement s’en attribuer le
mérite, alors qu’elle aurait été pourtant bien incapable, à l’époque, de
proposer un système alternatif : l’économie française, en effet, pût
accueillir de nombreux capitaux extérieurs, en 1931, 1932, 1933, 1934.
1423
Etats-Unis qui étaient peut-être de faux alliés.
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 754
Cette économie récupérait quelques dépouilles du vieux système
monétaire britannique : en effet l’encaisse or s’accrût dans le même
temps en France !
En même temps, ce bloc Grande-Bretagne / Etats-Unis / France
était « majoritaire » légalement, mais la voie qu’il montrait était menacée
par l’iceberg du refus et des destructions qu’allait connaître l’Europe
quelques années après. Le repli du système monétarisé ouvrît la voie à un
autre système, celui, préhistorique mais triomphant, de la guerre. En
1931, on abandonnait l’étalon or, reconnaissant implicitement son échec,
on créa un fonds d’égalisation des changes rendu en partie impuissant du
fait que le système se trouvait ainsi abandonné par une sorte de volonté
commune. De fait, de nombreuses monnaies dans le monde ont
accompagné la Livre Sterling dans sa dévaluation. Une Europe qui ne
pouvait unir dans un noyau élargi, à la fois la Grande-Bretagne,
l’Allemagne et la France, puis dans une périphérie immédiate qui était en
fait le véritable centre1424, ici Benelux, Italie, Espagne, enfin dans une
périphérie proche également tous les autres pays d’Europe, ne méritait
pas d’exister monétairement.
L’accord France / Angleterre a été en tous points un accord a
minima, puisque en fait, en 1927-1929, c’était déjà une « guerre
monétaire », à l’intérieur du bloc, qui avait opposé Londres et Paris. Les
mésententes entre les trois pays qui avaient dû être les fondateurs,
l’Angleterre,
la
France,
l’Allemagne,
eurent
de
multiples
retentissements1425. Les tentatives de restauration monétaire des années
1920 avaient fait long feu. C’était une dernière passe d’armes pour
montrer l’impuissance nouvelle de la Grande-Bretagne, la chute du crédit
monétaire international vis-à-vis de ce pays.
Nous attachons ce fait structurel aux fortes conséquences qui se
diffusèrent comme un écho et avec de forts effets leviers, jusqu’à pousser
à la destruction complète du système, à trois principaux facteurs.
Pour commencer, le premier facteur serait une complexification du
système monétaire international, menant à un climat de spéculation
nouveau : le système était victime de son succès. Et, face à cela, les Etats
étaient impuissants à intervenir, parce qu’ils n’avaient pas pris la mesure
du phénomène et que donc celui-ci les désorientait et les livrait à la
stupeur, plutôt qu’il ne les invitait à se coordonner davantage – et autour
de quelle monnaie… La Livre ayant prouvé qu’elle a failli ? -. Cela a mené
bien sûr au repli sur soi monétaire, donc à un système éclaté, donc
vulnérable.
Le « je comme un autre », aussi dans les relations commerciales et monétaires.
Compte tenu de l’Union Commerciale entre pays du Benelux, les « grands pays »
auraient dû tout tenter pour pouvoir suivre. On sait depuis que les « petits pays » sont
souvent plus « vertueux », monétairement, que les « grands pays »… Force est de le
constater !
1424
1425
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 755
Deuxièmement, l’autre responsable est un système nouveau, qui se
préparait à se lancer : le modèle Américain qui se jouait bien malgré lui
des divisions Européennes. A ce propos, il y avait un besoin de
démocratisation de la finance et de la monnaie, face auquel les pays
d’Europe étaient démunis. Le système de la Livre Sterling était un
système « vertical » : la Grande-Bretagne avait une avance structurelle de
développement dans le temps, d’où découlait une avance dans le
fonctionnement de la gestion du temps – la capacité de donner du change
dans la gestion du temps tout en donnant de la valeur à celui-ci - : elle
vendait du temps aux autres nations, à condition que celles-ci acceptent
de suivre, ce qui eut de grandes conséquences démographiques « hard »
pour elles. Ce manque de démocratie, cette « aristocratie », pouvait être
acceptés tant qu’il n’y avait pas trop de spéculation. Mais, l’économie
étant appelée à se monétariser, la monnaie envahissant tout, ne pouvait
plus concerner seulement les relations commerciales entre nations, elle
devait toucher aussi les relations civiles à l’intérieur d’un pays – relations
entre générations, relations entre secteurs d’activité - : pour que la
monnaie soit ressentie comme suffisamment démocratique, il fallait alors,
non plus une monnaie « verticale », où un seul pays a toujours une
grande avance, mais une monnaie « horizontale », où « l’avance » est
plus rapidement partageable. Le dollar sera donc une monnaie
« horizontale », calculant des rapports entre secteurs, liés à la
standardisation et donc immédiatement reproductibles et utilisables dans
tous les autres pays acceptant les standard industriels Américains.
Enfin, le troisième facteur majeur, d’après nous, est que le système
de l’étalon or et de l’étalon Sterling a mené, bien malgré lui, à la guerre.
Or, c’est peut-être parce que créer les tensions à l’extérieur – pour faire
changer, contraindre à d’autres efforts -, en gardant le monopole de
l’information, par exemple sur des relations entre débiteurs et créanciers,
c’est jouer avec le feu. Or, cela a peut-être largement contribué à mener à
la guerre de 1914-18, puis, le problème n’étant pas résolu en 1920, la
régression a été encore plus grave1426. L’Allemagne a sur réagie en
s’opposant. Il était trop tard pour réformer le système de l’intérieur
Européen.
A cause de la complexification du système lui-même, il fallait qu’une phase longue
dépressive entière se passe, en vue du redressement toujours annoncé, toujours reporté.
1426
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 756
D.
Second bloc monétaire, Allemagne et Autriche :
En 1929, la SDN prêta à l’Autriche vingt-cinq millions de Livres, pour
l’aider à améliorer sa situation financière. Mais la situation de l’Autriche ne
pouvait pas être très brillante, puisque celle de l’Allemagne ne l’était pas.
La monnaie continuait d’être torturée en Allemagne. La « monnaie
pouvoir d’achat » à l’Allemande, n’était pas acceptée, car on ne faisait pas
une grande confiance à l’Allemagne. Alors que la « monnaie force de
vente », le modèle britannique, arrivait quant à lui au bout du rouleau. En
1932 l’Allemagne créait différentes catégories de marks, pour éviter de
devoir affronter une nouvelle dévaluation. La baisse des prix, qui atteignît
son minimum entre 1933 et 1935, ne suffît pas à redresser la monnaie,
car depuis lors, Hitler avait pris le pouvoir en 1933 en Allemagne, et
l’Europe toute entière savait qu’elle se dirigeait vers la guerre. L’arrêt de
l’entrée des capitaux Américains en Allemagne, puis leur rapatriement
immédiat, suivirent aussitôt cette nouvelle. L’Allemagne était pourtant
innovatrice en matière monétaire, lorsqu’elle créait de la quasi-monnaie
pour compléter les différents marks. Le système de traites spéciales
s’élevait jusqu’à seize milliards de reichsmarks, de 1933 à 1939. Ce n’était
pas une monnaie universelle, mais une quasi-monnaie qui reposait sur des
activités bien spécifiques. Mais cela permettait aussi de renforcer le
crédit : en effet, les liquidités que créait ce système, étaient reprises par
les banques qui les transformaient en emprunts à long terme. La face
cachée du système, c’était la guerre. Hitler s’appuya sur la reprise pour
financer la guerre. Cette dernière fût « une guerre qui se finance ellemême », schéma en totale opposition avec la théorie de GOLDSTEIN,
selon laquelle les guerres interviennent en fin de période d’expansion.
C’est REIJNDERS qui soulève cette question 1427. La controverse ainsi
ouverte est majeure : elle met forcément en cause les tenants et les
aboutissants du système. Il semble que si on raisonne dans une théorie
des ensembles, où ceux-ci sont les « grandes régions commercialement
homogènes » de LEONTIEF, constituées et explicites, ou encore à
constituer et donc implicites, on peut trouver une manière de commencer
à démêler cet écheveau. Dans un tel cadre, le mécanisme des
investissements et des anticipations – vers la paix, c’est-à-dire l’avenir, ou
dans la guerre, i.e. le passé – pouvait en effet s’expliquer par le choix de
l’interlocuteur vis-à-vis duquel on se positionnait. Cet interlocuteur était
monétaire. On se positionnait contre le pouvoir grandissant du dollar.
Hitler était contre, et il n’a pas hésité à utiliser l’emprunt pour financer la
guerre. Sa monnaie ne pouvait donc pas être durable, elle était forcément
en échec. Par ce biais, l’Europe toute entière était inféodée à la guerre. En
Allemagne, les traites de travail furent vite remplacées par des effets
d’armement (pour douze milliards), dès 1935. C’était vraiment la « fuite
en avant », ou plutôt en arrière, pour l’Allemagne à cette époque là. Les
dépenses de préparation à la guerre se trouvaient financées
REIJNDERS, « Did World War II reset the « rhythm » of the Kondratieff Waves »,
NATO Advanced Research Workshop on KONDRATIEFF Waves, Warfare and World
Security, Covilha, Portugal, February 14-18, 2005.
1427
La monnaie unique européenne.
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Philippe Jourdon / 757
principalement par l’emprunt à court terme. On assista donc à la
fermeture du circuit. La dominante était une impossibilité de dépasser le
court terme, ainsi partis. Monnaie éclatée ou représentant un lien social
acheté par la logique de guerre, à l’intérieur… à l’extérieur la monnaie se
trouvait niée, puisque l’Allemagne choisît de développer surtout la
compensation, sous forme d’accords de clearing. Ces accords
représentaient 80% des transactions extérieures de l’Allemagne de 1935 à
1938. De fait, « la monnaie torturée » ne pouvait permettre de créer le
pouvoir d’achat pour l’Allemagne, car une telle monnaie n’a pas 1428 de
débouché à long terme. Ainsi, c’est le « don forcé » de plusieurs pays
étrangers, qui permît de financer certaines importations faites par
l’Allemagne. Le système monétaire Allemand, se trouva ainsi
« enfermé » : avec la fuite des capitaux Américains en 1933, « tout se
passa comme si » - cette formulation chère à M. FRIEDMAN 1429 paraît très
importante dans l’analyse des phénomènes monétaires - le gouvernement
Allemand avait refusé ces capitaux, de par son attitude. La monnaie, ainsi
coupée de l’extérieur qui est l’un de ses deux débouchés naturels, a été
par contrecoup coupée dans le temps comme elle l’était dans l’espace, car
l’un ne va pas sans l’autre dans un système harmonieux, monétairement
équilibré. Après trois nouvelles années, dès 1936, l’Allemagne prenait des
mesures drastiques en matière de monnaie, amplifiant par ce moyen « la
torture de la monnaie » : c’était la décision d’interdiction d’exporter des
capitaux, d’une part, et c’était aussi le lien fait entre le contrôle des
devises décidé et l’objectif d’autarcie entrevu. Enfin, la même année, la
branche administrative des devises fût ouverte, au sein d’une
administration désormais divisée en six branches. Mais, à la fin des
années trente, avec la baisse des réserves d’or et de devises, la situation
de l’Allemagne était décidément bien malaisée !
On peut remarquer que si le bloc monétaire d’Europe de l’Ouest
n’allait pas très bien, le bloc allemand n’allait pas très bien non plus.
L’enfermement de l’Allemagne dans le problème des réparations a
enfermé la monnaie allemande, la seule ouverture vers l’extérieur qui
restait était la guerre. Examinons maintenant les cas de l’Italie, et des
pays d’Europe Centrale.
1428
1429
N’a pas, n’avait pas. C’était la folie ! C’est facile de le dire avec le recul du temps.
Le fameux « tout se passe comme si ».
La monnaie unique européenne.
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E. L’isolement Italien :
L’Italie fasciste avait une conception bien à elle de la monnaie : une
conception répressive, en théorie contraire au développement.
Ce furent dans les années de fascisme un véritable refus du
processus mondial de monétarisation, tel qu’il était mené pourtant depuis
soixante ans. Le style de refus italien particulier, complémentaire de celui
de l’Allemagne. Il allait à certains égards encore plus loin dans le refus de
l’institution monétaire. Là où l’Allemagne avait réduit le territoire de la
monnaie par des moyens indirects et par l’autarcie et la préparation de la
guerre : là, on s’en prenait à la monnaie directement et de façon
délibérée. On refusa tout ce qu’elle était sensée représenter. Ceci encore
n’est pas si sûr : on renforce ses institutions alors qu’on réduit sa
circulation.
A l’intérieur : ce fût alors la manipulation du taux d’intérêt et la
réduction de la circulation monétaire. L’histoire de l’Italie est particulière :
nous avons signalé déjà ses avancées brusques et ses replis tout aussi
imprévisibles dans le cas du cours forcé des billets, contrairement à la
France où la monnaie s’est imposée progressivement : largement en
dehors des préoccupations du peuple de 1800 à 1873, elle y est devenue
une valeur refuge entre 1873 et 1945, particulièrement d’ailleurs dans les
années 1920 partout hébétées, et elle l’est toujours restée. Il fallait ce
régime pour que la Banque d’Italie soit transformée en Banque d’Etat. On
instaura aussi un ferme contrôle des banques et du crédit. Des mesures
de saine gestion voisinèrent avec des mouvements liés à la panique, le
tout dans un contexte indéniablement répressif.
A l’extérieur, c’était la sortie du bloc d’or et la dévaluation. Or, les
dévaluations en chaîne de l’Europe dans les années trente ont menées
vers le gouffre de la guerre dans un mécanisme psychologique aisé à
comprendre : le refus d’envisager le long terme, alors que l’on se tient
tout près du gouffre. Mais la sortie du bloc d’or peut être aussi interprétée
comme le refus d’un système qui a lui aussi sa part de responsabilité dans
des
conflits
dus
aux
changements
non
maîtrisés
glissant
malheureusement vers la guerre. Le cas de l’Italie est riche
d’enseignements.
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 759
F. L’Europe du Centre confrontée au contrôle des devises, et sa
relation au bloc austro-allemand :
Ce « bloc » en est un malgré lui, car même dans des pays presque
essentiellement agricoles, il faut bien désormais se positionner par rapport
à la monnaie. Ce bloc est celui, essentiellement, du contrôle des changes.
Ce fut le choix des pays de l’Est, dès la crise de 1931 qui a provoqué une
véritable panique. Ces pays ne s’en sortaient absolument pas avec la
monnaie, pris en porte-à-faux qu’ils étaient, entre une Autriche, épicentre
de la crise et sa première vitrine, et plus en arrière le problème plus global
de la monnaie internationale complètement remise en cause. Le système
utilisé alors à l’Est peut sembler avoir résumé ce choix : toutes les devises
qui provenaient de l’exportation devaient être déclarées. C’était un
organisme central de contrôle qui les récupérait, pour établir lui-même
l’ajustement en devises, avec les importateurs pour leurs achats de
marchandises. Là encore, la monnaie comme instrument de la confiance
sur un marché, était torturée ! Des cours multiples étaient en effet
employés. En 1931, la Hongrie, la Yougoslavie, et la Bulgarie,
accompagnèrent l’Allemagne, l’Autriche et la Grèce dans leur contrôle des
changes, il y avait bien influence d’un bloc par rapport à l’autre. Le bloc
oriental était largement dépendant du bloc germanophone, alors que
l’Ouest de l’Europe avait nettement perdu de son influence sur ce
territoire. En 1932, ce furent à leur tour les pays nordiques, Danemark,
Estonie, Lituanie, qui accompagnèrent le bloc germanophone. Puis, en
1933, ce fut la Roumanie avec le Japon. Et en 1934-35, la Pologne avec
l’Italie.
La crise monétaire mondiale inaugurée en Europe en juillet 1931,
qui fût aussi une crise de l’éclatement des différentes Europe monétaires,
dont ont souffert, économiquement, les pays les plus pauvres (pays
d’Europe centrale et de l’Est), fût-elle une conséquence des excès de
crédit nés de la guerre ? Nous pensons que cela vient sans doute de plus
loin que cela. La guerre n’aurait été elle-même qu’une conséquence. Un
monde qui se développe produit au départ des inégalités : voilà la
première source des raidissements et des refus. C’est le fameux
phénomène de la « courbe en cloche des inégalités », de KUZNETS. Mais
quel rapport avec les dévaluations en chaîne ? Les Etats-Unis auraient-ils
adopté une attitude opportuniste ?
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 760
G.
Le rôle de la crise de 1931 et le mécanisme des dévaluations,
notamment dans les relations entre blocs monétaires :
La crise de 1931 a été un carrefour où il fallait rendre des comptes.
Il aurait fallu rendre des comptes d’un point de vue monétaire. Comme
cela n’apparaissait pas comme possible, il a fallu en rendre d’un point de
vue politique1430.
Tout d’abord, les comptes monétaires n’étaient pas faciles à rendre.
En effet, la Grande Bretagne n’était pas très prête à reconnaître que le
système de l’étalon or était définitivement mort, et que l’on aurait besoin
d’une nouvelle devise internationale. L’érection de blocs monétaires était
la première réponse monétaire à cette situation de « chien crevé au fil de
l’eau ». Cela signait définitivement la division de l’Europe face aux EtatsUnis. La fin des réparations allemandes exigibles, en 1931, était un
cadeau qui arrivait tard car, si on ne pouvait recomposer le système
monétaire international dans la paix, il apparaissait clair qu’il faudrait le
recomposer à travers la guerre.
La dévaluation Américaine de 1934 peut-être analysée à plusieurs
niveaux. D’une part, elle incitait les pays dotés d’une monnaie ayant
quelque consistance – c’est-à-dire essentiellement les pays européens – à
utiliser eux aussi l’arme de la dévaluation. Mais eux couraient un autre
risque en agissant ainsi, car cela était de nature à accroître encore leurs
divisions, ce dont ils n’avaient pas besoin. D’autre part, compte tenu de la
remise des dettes allemandes – ce qui correspondait à une remise en
cause des arrangements guerre / paix précédemment établis, depuis 1870
-, le système devait assumer, en temps de paix, de nouveaux coûts. Les
Etats-Unis, qui se préparaient déjà depuis 1917 – selon MUNDELL, le
dollar était la nouvelle monnaie dominante, déjà dès 1915 – à dominer le
système monétaire mondial, un système qui par essence se finance dans
la durée en s’appuyant sur la structure dualiste de l’économie, avaient un
certain intérêt à dévaluer pour diminuer leur part de charge structurelle,
qui était déjà grande. Ils pouvaient avoir à cela peu de scrupules, car ils
pensaient qu’ils ne seraient pas les premiers à souffrir d’une guerre en
Europe. Malgré l’inflation induite, la Première Guerre Mondiale leur avait
permis de connaître une grande période de croissance.
Il y avait eu beaucoup de crédit en Europe, venu des Etats-Unis,
depuis 1918. Cela avait été en partie permis par une sous-évaluation du
coût de l’or : -40% en 1931 par rapport à 1914. On aurait pu encore
augmenter le crédit, mais il aurait fallu pour cela des perspectives stables
à long terme, ce qui n’était pas possible en Europe. Et il aurait fallu
s’entendre dans ce cas sur un prix plus raisonnable pour l’or, ou bien sur
un nouveau statut pour l’or dans le système international, ce qui était bien
prématuré. Donc, il y a eu plutôt restriction du crédit, avec l’effacement
des réparations, certes, mais bientôt suivie du rapatriement des capitaux,
et le contrôle des changes à l’Est. Le crédit n’aurait pas été un problème
1430
« L’ambiguïté constructive » de la monnaie ne pouvait dans ce cas pas être en cause !
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 761
technique en soi. C’était un problème politique, du fait de l’absence de
perspectives suffisamment stables.
Les Etats-Unis ont donc certainement eu une attitude opportuniste,
techniquement parlant. Mais cela n’entache en rien leur bienveillance,
politiquement parlant. La balle était dans le camp des Européens, et ils se
sont précipités dans l’abîme. Les Etats-Unis ont certes accompagné, en
dévaluant, un mouvement d’ensemble. Mais ils ne pouvaient se substituer
au conflit et à l’incompréhension profond(e)s entre Britanniques et
Allemands.
Dès Septembre 1931, la Grande Bretagne se montra opportuniste
elle aussi, en dévaluant. Tellement opportuniste qu’elle n’avait pu
prétendre à une grande crédibilité pour soutenir le système monétaire
international. La déflation entraînée par ces dévaluations Américaine et
surtout anglaise, portait sans doute une plus grande part de responsabilité
dans la crise, que les excès de crédit qui étaient un bien petit problème
face à la question des réparations. L’effet de cette dévaluation fût
contagieux : le Danemark, la Norvège, la Suède, la Finlande, dévaluèrent
aussi à partir de 1933. Mais aussi la Finlande. Et encore le Portugal. La
France et l’Italie attendirent jusqu’en 1936 pour dévaluer, mais leur
dévaluation fût importante. Avec à la fois la Grande Bretagne et l’Autriche
à dévaluer dès le début de la crise, le ton était aux dévaluations
compétitives. Pour NURKSE (1944), il faut parler de « règne du chacun
pour soi ». L’Allemagne, porte-drapeau du refus de la mondialisation
libérale, a été jusqu’à se débarrasser de ses dernières réserves d’or, pour
jouer contre sa propre monnaie mais aussi financer ses dépenses
d’armement. Si l’on regarde la dépréciation que les pays ont subi, en
1938, par rapport à 1930 et telle qu’exprimée par rapport à l’or : France
-53%, Royaume Uni -39%, Suisse -29%, Belgique -28%, Pays Bas -18%,
Yougoslavie -23%, Roumanie -28%, Tchécoslovaquie -30%, Lettonie
-39%... et le dollar Américain -41%... c’était une fuite en arrière pour
rembourser les crédits post-1918, rendus insoutenables par le délitement
du système et par la prégnance des divisions, plutôt que pour toutes
autres raisons. Face aux incertitudes, on préférait contribuer, le moment
venu, à faire perdre les autres (les empêcher de vendre, en dévaluant), et
être sûr de perdre aussi soi-même, plutôt que de suivre la voie d’un
leader devenu non reconnaissable. De plus, la peur du chômage a aussi
joué un rôle déterminant1431.
A noter, pour la déroute du système d’étalon or, que les pays qui
constituaient dans les années trente « le bloc or », étaient principalement
ceux issus de l’ancienne Union Latine, ce qui peut indiquer l’ampleur du
malentendu : France et Italie, avec la Belgique, le Luxembourg, les PaysBas… et la Pologne1432.
Reconnaissons ici aussi que la France a bien accompagné la chute du système en
dévaluant de 53% par rapport à l’or. Elle porta généralement, tout au long du vingtième
siècle, de grandes responsabilités politiques dans la construction Européenne !
D’évidence.
1432
Malheureusement, dans un tel contexte, les « contorsions » ne pouvaient suffire.
1431
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 762
Les pays poursuivaient de fait, uniquement des buts internes et à
court terme – essayer de répondre tant bien que mal au chômage -, ils
étaient de fait totalement déconnectés de la problématique du système
monétaire international, qui était, de 1873 à 1914, de financer le système
de l’économie monde à long terme. L’échec du système d’étalon change or
semble nous indiquer qu’une concurrence monétaire au cœur même du
noyau de l’économie monde est vouée à l’échec. Il ne peut y avoir qu’une
seule devise clef dans le monde, car ses coûts d’édification sont déjà
suffisamment importants comme cela. Hier, la Livre Sterling, demain le
dollar. L’étalon change or a permis à trois pays, Etats-Unis, Grande
Bretagne, France, d’accroître leurs réserves d’or, ce qui augmentait leur
prestige, mais n’était pas opérationnel internationalement. Cela servait
surtout à protéger le système. Par ailleurs, la concurrence « cordiale »
entre Français et Britanniques servait les aspirations à long terme des
Américains1433.
L’écheveau Européen global s’est dévidé progressivement, au fur et
à mesure que l’on s’acheminait vers la Deuxième Guerre Mondiale. Vu
avec le recul du temps, le parallèle est saisissant. En 1938, les réserves
d’or du Portugal, de la Suède, de la Pologne, de la Lituanie et de l’Estonie,
diminuaient nettement. L’Italie avait perdu ses réserves d’or. L’Allemagne
les avait quant à elle sacrifiées. La Grande Bretagne a profité du refus par
l’Allemagne du Système Monétaire International pour la sanctionner
durement. En effet, il fallait, fin 1938, vingt-sept marks pour obtenir une
Livre, à Londres, alors que le cours officiel était seulement de douze. Au
sein du bloc allemand, le sacrifice de la monnaie signait un refus
d’internaliser les relations entre secteurs internes à l’économie nationale :
agriculture et industrie. Il faut dire que l’Allemagne n’avait pratiquement
pas d’agriculture. C’est pourquoi ses accords de clearing lui permettaient,
en particulier, d’obtenir des produits agricoles des pays de l’Est contre ses
propres produits industriels.
Tous ces pays ne s’étaient pas encore majoritairement orientés à l’époque vers la
construction Européenne. En France, il n’y avait presque qu’Aristide BRIAND pour en
parler. La dimension monétaire d’une telle intégration alors imaginaire, il n’y avait que
des petits pays,
monétairement vertueux, ceux du Benelux, pour y songer. Ils
montrèrent par la suite la voie aux « grands pays ».
1433
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 763
H.
Le rôle de la spéculation, et les réponses qui y furent
apportées :
Nous avons vu que les pays monétarisés devaient faire face à des
phénomènes de spéculation nouveaux, depuis 1918, alors que jusque là
l’économie mondiale en était dépourvue. Avant 1914, les quelques
placements à court terme qui pouvaient exister, provenaient des banques
souhaitant profiter d’un différentiel de taux d’intérêt. Après 1918,
l’ensemble des agents économiques se retrouva concerné. C’est surtout à
partir des années trente, que ce dernier phénomène pouvait être observé.
Faut-il en déduire que les agents économiques ayant quelque argent à
placer, ne surent plus à quel saint se vouer, entre l’Amérique et l’Europe,
dans le contexte d’incertitudes systémiques alors prégnant ? On peut se le
demander. Cette spéculation, faute de réponses systémiques suffisantes à
la Conférence de la dernière chance, en 1931, a accompagné la marche
des peuples vers l’abîme. Les spéculateurs ont désigné les monnaies
suspectes de pouvoir se dévaloriser, par le moyen de phénomènes de
fuite des capitaux. On sait quel sort a été accordé à l’Allemagne. En été
1938, les capitaux affluaient soudainement en France, ce qui accrût les
pressions sur la Livre et le belga, à la suite d’un budget français bien
équilibré. En réalité, jusqu’ici, les Britanniques avaient fort bien réussi à se
protéger des effets de cette spéculation, qui a surtout pesé contre l’Italie,
le bloc Allemand, le bloc des pays d’Europe Centrale.
Mais les pays ne sont pas restés sans réagir. On peut affirmer que la
réorientation des politiques monétaires s’est faite dans les pays, bien
avant que de s’effectuer au niveau consolidé, international – ce sera le cas
seulement lors de la Conférence de Bretton Woods, en 1945 -. Les pays
ont fait tous évoluer leurs institutions pour répondre – imparfaitement, car
qui dit monnaie devrait dire confiance, et celle-ci était précisément
absente entre les pays à cette époque - aux nouvelles réalités, en
particulier la spéculation monétaire, mais aussi la trop grande complexité
d’un système d’emblée international, qui était précisément une cause de
la spéculation. Les pays se sont protégés contre tout cela, en attendant
d’y voir plus clair. La Grande Bretagne, qui avait toujours dirigé le
système, a abandonné de facto sa gestion au niveau international, pour
conserver les avantages que le système lui octroyait, pour son compte
personnel, sans en faire profiter personne. Ce fût d’abord l’émergence,
après la Banque Centrale, qui elle, était déjà bien établie à cette époque,
des trésoreries nationales. L’Etat leur accordait d’emblée des compétences
dans la gestion des finances, au détriment des seules banques d’émission.
La charge de la gestion des changes, se trouva désormais être partagée,
entre le Trésor et l’Institut d’émission. Comme nous le disions, la Grande
Bretagne s’en tirait bien. Le Trésor Britannique était doté de la faculté
quasi illimitée d’émettre directement des bons du Trésor. Avec cet argent,
il renflouait, en or, les caisses britanniques (NURKSE & BROWN, 1944). Le
repli de la Grande-Bretagne sur ses propres intérêts s’opéra par un
rapprochement avisé des intérêts – d’abord monétaires – anglais et
Américains. Le fait de disposer tous deux d’importantes réserves d’or a
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 764
provoqué la confiance dans ce seul secteur du jeu, et donc la stabilité de
la parité entre dollar et Livre. Selon RIST, le marché monétaire anglais,
après 1918, était entouré d’une véritable ceinture protectrice, comparable
à la barrière de feu sensée entourer Brünehilde sur son bûcher. Les
Néerlandais se sont inspirés de cette technique chez eux, à moindre
échelle. Les Français se montrèrent moins ambitieux 1434. Leur Fonds de
stabilisation, selon LAUFENBURGER (1940) un « voile » permettant de
masquer les interventions de la Banque de France sur les changes, a eu
pour but de maintenir stable la parité franc / or, pour justifier la
promotion récente de la France au sein des relations internationales (l’un
des « trois » au sein du « système » de l’étalon de change or), puis franc /
Livre Sterling au sein d’une entente nous l’avons dit somme toute
cordiale. Plus les fonds étaient en position de « vendeurs structurels »,
plus leur action était efficace. Cela a concerné en particulier la Grande
Bretagne, les Pays Bas, la Suisse (POLEJINA, 1939), ce qui montre qu’il y
a eu quelques avantages à vouloir profiter des reliques du système.
Donc, le système qui était bien mort, c’était celui d’emblée
international, à l’abri de toute spéculation et de toute arrière pensée. Le
fait qu’il y ait eu désormais deux joueurs systémiques, les Etats-Unis et la
Grande Bretagne, et non pas la seule Grande Bretagne, y a certainement
beaucoup contribué.
Les pays, en déconnectant leur marché du crédit intérieur, du
pseudo système monétaire international, conservaient quelques avantages
de ce que l’on peut attendre d’un système monétaire efficace : des taux
d’intérêt réels relativement bas, et même très bas durant toute la période.
L’intervention n’était plus orientée vers l’extérieur, avec le maniement du
taux d’escompte. Elle était désormais interne.
Le système monétaire international ne pouvait plus assurer tous les
pays : il choisît alors de n’en assurer que quelques-uns. L’accord tripartite,
entre la France, le Grande Bretagne et les Etats-Unis, qui garantissait
entre ces pays la valeur-or au jour le jour des transactions en devises
effectuées entre eux – protection efficace contre des vélléités de
spéculation entre eux -, a été vite étendu à trois « petits » pays : les
Pays-Bas, la Belgique, la Suisse 1435. De fait, il y avait une certaine
homogénéité à l’intérieur du bloc monétaire de l’Ouest – c’était « les
reliques du système » -, alors qu’ailleurs les blocs étaient divisés dans un
moins disant dont la seule unité était le refus. A l’Ouest, un accord
tripartite, forcément provisoire puisque ne concernant que quelques pays,
à l’Est le contrôle des changes, également provisoire. Pour POLEJINA
(1939), l’étalon-or constituait une sorte de « droit naturel de la
monnaie ». A partir des années trente, on a eu un système plus
conventionnel qui s’est créé dans chaque pays, ou dans quelques-uns
Peut-être puisqu’ils avaient alors de moins gros intérêts dans le système.
Le système préparait déjà sa future alliance entre « petits pays » et « grands pays »,
et par là, la capacité à arrêter de « prendre des coups » en permanence.
1434
1435
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 765
d’entre eux, et qui sera étendu au niveau international à Bretton Woods
en 1945.
III. Les années 1940 : la monnaie pendant la guerre :
La lutte entre dollar et Livre Sterling pour la prééminence
mondiale :
Avec la guerre, cette lutte se fît plus vive. Elle devînt ouverte. Il est
évident que les Britanniques devaient faire face à un considérable
affaiblissement : leur position, de créditrice, devînt rapidement débitrice.
L’Angleterre dût désinvestir à l’extérieur. Pendant et après la guerre, elle
dût liquider pour deux virgule deux milliards de Livres Sterling.
Les Etats-Unis, au contraire purent rejouer, après 1917, leur rôle de
prêteurs envers les alliés. Ils épongèrent les dettes des débiteurs, et
accordèrent des prêts en échange. Ainsi, les dettes Anglaises passèrentelles de vingt cinq milliards de dollars à zéro virgule soixante-cinq, entre
1941 et 1945.
Les Britanniques, là encore, n’étaient pas totalement démunis, dans
la mesure où ils pouvaient obtenir des prêts de la part de leurs alliés du
Commonwealth. Ils se trouvaient quand même considérablement affaiblis.
La vision anglaise, depuis la déflation de 1925, est toujours restée
avant tout auto protectrice, alors que les Américains quant à eux avaient
une vision à long terme, que la fin de la guerre leur permît d’exprimer.
Ainsi, on peut comparer les deux plans d’organisation des paiements
mondiaux, britannique et Américain. Le plan britannique voulait restaurer
le marché mondial et le plein emploi, et bien sûr permettre le
redressement anglais. Mais il ne prévoyait rien du point de vue monétaire.
Alors que le plan Américain ne visait pas seulement la libération des
échanges, mais aussi le rétablissement de la libre circulation des capitaux,
et la stabilité monétaire. Après la guerre, les Américains posèrent leurs
conditions. Le prêt des Américains aux Britanniques, en 1945, comportait
de nombreuses exigences1436.
Bien sûr, après 1945, les Américains seront aussi les premiers à exporter des
capitaux à long terme dans le monde. La devise clef Américaine sera plus « horizontale »
et donc plus démocratique que l’ancienne devise clef britannique : mais il faut dire que
derrière ce qui est exporté, ne se tient plus un excédent d’épargne, mais une part de la
dette nationale. Le problème de la monnaie, de ce fait, et du fait de la théorie
keynésienne, est devenu ouvertement politique.
1436
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 766
J) Situation monétaire de la fin de la période par
rapport à la situation monétaire du début de la
période :
Au début de la période, la monétarisation était un projet en cours.
Elle résultait d’une vision naïve, à la fois, et libérale, des choses, et aussi
d’une pratique qui était en partie cynique, du fait d’ailleurs de sa naïveté.
Ceci fit passer le système, du coup, d’une situation d’éclatement de nature
monétaire, entre Centre et Périphérie, à un éclatement plus ouvertement
politique.
Mais de ce fait, cela donna les moyens au système monétaire pour
se recentrer à son niveau. A l’Ouest où seul, en fin de période, le système
monétaire avait survécu, on n’assuma désormais plus seulement la
dimension externe de la monnaie et de la monétarisation, avec son
échange d’or à l’époque, ses ajustements du fonctionnement encore fort
brouillons entre liquidité, inflation… qui déboucha sur une déflation de la
structure... Mais on assuma aussi la dimension interne, avec le
développement des Trésoreries Nationales. Le débouché externe de la
monnaie doit bien être distingué d’une dimension politique, sauf à vouloir
tout mélanger et à ne pas vouloir reconnaître « l’ambiguïté constructive
de la monnaie », qui porte en elle des évolutions bien plus profondes des
sociétés, au travers des cycles longs. Le système assuré par une gestion
courageuse de la position externe est un système commercial, mais aussi
géopolitique, et, indirectement, civil aussi, à travers l’évolution sociale
humaine. La position interne est, en apparence seulement, plus facile à
assurer. Le fait assuré est ici avant tout civil : la protection des différentes
formes de propriété dans le cadre de la nation. Mais elle illustre
l’importance de la gestion monétaire dans les sociétés développées. Celleci ne saurait s’appuyer sur une dimension purement externe qui souvent
devient fort conflictuelle dans le cadre des relations internationales.
Dimensions interne et externe de la gestion monétaire sont
doublement complémentaires. Vis-à-vis des relations internationales, le
rôle de la Banque Centrale porte davantage vers une gestion globale, celle
de la « souveraineté monétaire », alors que dans la gestion de Trésorerie
n’existe pas un troisième terme mais plutôt un mécanisme de suite, et, si
c’est bien géré, non pas de fuite 1437. Mais, pourtant, le Trésor en assurant
précisément certaines dimensions fiscales, a un fonctionnement technique
plus précis, mais peut aussi avoir, indirectement, sur le long terme, un
impact également systémique, global1438.
Mais ce dernier point est contradictoire, dans la période actuelle, du fait des excès de
la défiscalisation, qui ont bien saisi cette faille du système et sont prêts à l’utiliser contre
lui.
1438
Toutes les leçons de la constitution des Trésoreries Nationales dans les années Trente
n’ont peut-être pas encore été tirées.
1437
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 767
K) Memorandum sur la situation de l’ homo
monetarius sur la période 1873-1945 :
L’homo monetarius fût représentatif de la société et minoritaire,
dans la période 1870-1945, en Europe.
L’expansion de la monnaie est venue buter sur la guerre, en 1870,
mais surtout de 1914 à 1918, et de 1939 à 1945. Il s’est alors produit une
interpolation des relations entre l’Europe et les Etats-Unis d’Amérique,
dont la guerre et la monnaie constituaient les deux principaux attributs.
La guerre a rendu l’Europe impuissante dans un premier temps, puis
l’a brisée dans un second. Impuissante à choisir entre la guerre et la paix,
car frappée par la guerre qui se déroulait chez elle, dans sa propre chair,
inféodée à la guerre, victime d’une logique aveugle dans laquelle la
réponse à la guerre fût seulement une seconde et nouvelle guerre.
Impuissante par rapport à cela de 1918 à 1939, elle en sortît brisée par
1939-1945. Au contraire, l’Amérique sortît renforcée de la guerre de
1914-1918. Attachée à gérer la paix et la prospérité sur son propre
territoire, en restant chez elle, jusque là, elle utilise en effet l’occasion de
la première guerre mondiale pour intervenir dans les affaires du monde. A
l’issue de la seconde guerre mondiale, enfin, elle devînt la puissance
hégémonique mondiale sans l’ombre d’une contestation.
Du côté de l’attribut monnaie, maintenant. La première guerre
mondiale a signé le début de la déroute monétaire de l’Allemagne, ce
dernier pays connaissant une défaillance durable de sa monnaie nationale.
A moindre mesure, la Grande Bretagne a conservé une monnaie lui
permettant toutes sortes d’avantages chez elle, mais plus celui de faire la
pluie et le beau temps économique à l’extérieur de chez elle, de permettre
et d’assurer les exportations britanniques de capitaux à long terme dans le
monde entier1439. Symétriquement, les Etats-Unis ont connu une
expansion formidable lors de chacune des guerres mondiales (de 1940 à
1945, leur PIB augmenterait de 75%... à en croire GOLDSTEIN). 1440
Sur le plan individuel, microéconomique civil ou commercial, l’homo
monetarius Européen a conservé en gros ses caractéristiques de la
période précédente, 1800-1873. Il s’agissait d’un bourgeois. Par exemple,
seuls pouvaient se payer une retraite les bourgeois qui avaient pu mettre
suffisamment d’argent de côté, si bien que les fins de vie étaient bien
souvent difficiles pour la grande majorité de la population. Sur le plan
collectif, macroéconomique, institutionnel, le problème fût que les
institutions étaient de plus en plus mal acceptées. La période 1870-1945
connût une véritable déchirure psychologique : pendant la première
moitié, l’existence d’une devise clef « verticale » mena à un accroissement
Après 1945, les pays européens auront même besoin d’une aide monétaire
Américaine énorme, pour se redresser.
1440
De plus, après 1945, ils deviennent un très grand exportateur de capital à long terme
dans le monde entier et notamment en Europe.
1439
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 768
des tensions qui conduisaient de facto à la guerre. Pendant la seconde
moitié, la Livre Sterling a perdu la majeure partie de sa crédibilité pour
chapeauter le système.
La monnaie joua donc durant la période, son rôle d’augmentation du
revenu, mais au risque d’une forte inégalité et d’une réelle concurrence
entre les nations. L’insécurité guerrière compensa dès lors complètement,
et submergea le phénomène d’assurance du revenu. C’était in fine une
période ou l’ homo monetarius Européen était écartelé entre le passé –
retour à la guerre – et le présent – assurance du revenu – sans pouvoir
guère compter sur l’avenir. De 1870 à 1914, les Britanniques
investissaient sur l’avenir d’autres pays : ces derniers avaient cependant
peu d’autonomie, – à l’exception notable des Etats-Unis qui par le seul fait
de leur dimension à l’échelle d’un continent, dominaient déjà virtuellement
la Grande Bretagne – ils n’investirent donc pas eux-mêmes sur leur propre
avenir – hormis quelques colons -. De 1914 à 1945, puisqu’on est
retombé dans la guerre, la monnaie n’a même plus eu droit à la parole,
sauf à s’appuyer sur la guerre, dans un dialogue tendu, dialectique au
sens marxiste, entre attributs symétriques, de nature à briser un
continent tout entier. L’homo monetarius ne pût construire son revenu
global. La conscience du temps et de la transmission était brisée par les
« orages de métal ». 1441
L’homo monetarius fût donc victime de schizophrénie aggravée. Les
transferts d’information(s) qu’il pouvait faire entre périodes de sa vie
avaient des valeurs contradictoires, opposées, incompatibles : guerre
contre monnaie, risque guerrier contre risque financier, ou destruction
contre diversification… n’ayant absolument pas la même signification, l’un
de réduction à néant, et l’autre d’extension à l’infini… Le malaise que cela
générait empêchait de créer quelque chose d’à la fois cohérent et
démocratique.
Le cœur de la période porte donc, à partir d’un noyau identitaire de
l’homo monetarius menacé et éclaté en 1870-1945, sur le choix entre
deux maux : la guerre externe ou guerre entre nations, dans un contexte
d’anarchie des relations internationales, ou la guerre interne, guerre civile
ou guerre entre classes, en vue de construire un ordre politique
permettant de penser de façon massive et de mener le changement –
encore que dans le cas de la Russie, il ne s’agissait pas d’une guerre des
classes proprement dite, mais d’une guerre entre paysans, propriétaires
sans propriété, capitalistes sans capital, d’un côté, et de l’autre côté entre
travailleurs -. Combat inégal s’il en était… avec comme arbitre quelques
intellectuels déjà préparés à s’entretuer, pour récupérer le maximum de
violence externe, afin de la convertir en violence interne : afin d’espérer
faire émerger un ordre qui avait été supposé venir de l’intérieur – la
nature ayant, dans un autre cas, toujours le dessus -, grâce à l’humain
individuel et au social collectif. La guerre externe est une guerre
géographique, naturelle, anarchique. La guerre interne est une guerre
1441
Titre d’un livre du grand écrivain Allemand Ernst JÜNGER.
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 769
historique, culturelle, rationalisatrice. La première est organisée autour de
l’espace, la seconde autour du temps.
La monnaie dans ces conditions ne pouvait trouver de repos à cette
époque, car la réconciliation dans une seule monnaie de la division
verticale et de la dimension horizontale, de l’espace et du temps, grâce au
dollar, n’a pas encore eu lieu qui peut éloigner l’homo monetarius d’une
rumeur de terreur réciproque avec son environnement. Voilà donc la
situation de l’homo monetarius en 1870-1945.
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 770
III. Troisième partie. 1945-2007.
Une
économie
en
cours
de
monétarisation.
Monétarisation
moyennement avancée en 1945,
bien avancée en 2007 :
1945-années 1960. La
nouveau
système,
Américains :
mise en place d’un
avant
les
déficits
Jusqu’à 1953 et la fin de l’Aide Marshall :
Les projets d’Union monétaire aux lendemains de la guerre, menés
par les Américains puis repris timidement par les
Européens, en collaboration ou de façon autonome :
En 1947, on a la création de la ligue Européenne de coopération
économique. Son premier objectif est de nature monétaire : réaliser une
manière d’union monétaire. Le général Américain Marshall en est un des
inspirateurs. On peut dire alors que les projets monétaires représentaient
au début une véritable « externalité » pour l’économie, dans une Europe
que son état de destruction rendait démunie. Mais on peut aussi souligner
que les Américains, aujourd’hui nos compétiteurs dans ce domaine, n’ont
pas toujours été adversaires d’une Europe monétaire. Dans l’esprit de
Marshall, l’aide monétaire, c’est le moyen d’échapper aux entraves
nationalistes. L’aide Marshall suivra. On voit que les Américains sont
disposés à prêter en temps de paix, presque autant qu’ils avaient pu le
faire en temps de guerre, ceci avant même l’aide Marshall. Le prêt bail de
l’époque 1941-1945 avait représenté environ quarante milliards, entre
1945 et 1949 l’aide et les crédits s’élèvent aux deux tiers : vingt-sept
milliards (plus cinq milliards en 1950), dont la moitié pour l’Angleterre.
L’aide Marshall, en 1947, répond à un problème structurel de l’économie
Européenne : en effet, les prêts accordés jusque là se sont montrés
insuffisants pour combler les déficits des pays Européens. Probablement,
sans l’aide Marshall, les pays européens n’auraient pas pu se redresser.
En Hollande par exemple, ce n’est que grâce à cette aide que l’on peut, en
1948/1949, importer les matières premières nécessaires.
En 1948 est érigée l’OCDE (Organisation Européenne de Coopération
Economique). Son but est de gérer l’aide du plan Marshall et de la
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 771
répartir. Mais, face au redressement rapide des seuls pays du Benelux,
habitués depuis plus longtemps aux mécanismes d’intégration économique
et utilisant de façon plus efficace l’aide, les Etats-Unis doivent se décider à
affecter l’aide de façon individuelle pays par pays, et non plus de façon
collective. De là vient la mise en place réelle de procédures d’organisation
« monétaire » en Europe, par une réaction collective des Européens pour
ne pas disperser l’acquis récent. En 1947, 1948, 1950, les pays Européens
passent des accords de paiements et de compensation entre eux.
L’embryon de politique monétaire commune en Europe continue,
sous les auspices Américaines, qui ont prévu cet aspect, ce qui tranche
avec la tradition Européenne à l’exception de la Grande Bretagne et de
l’Allemagne1442. En 1949, le Traité de l’Atlantique Nord comprend
explicitement un comité de défense financier : il doit coordonner l’aspect
financier des investissements de chaque pays pris un par un, pour les
questions liées à la défense. L’Union Européenne des Paiements va plus
loin et regarde l’ensemble de l’activité économique : c’est un proto
système monétaire Européen1443, c’est-à-dire un système de compensation
multilatérale où les pays sont débiteurs ou créanciers de l’Union. Il fallait
ce proto système pour permettre la libéralisation des échanges en Europe.
A noter qu’il s’agit là d’une des premières initiatives notables des
Européens, qui commencent alors à concevoir leur propre système
monétaire, allant au-delà des replis nationaux.
La gestion de l’acquis monétaire national dans les pays européens
de l’Ouest, la sévère friction de la monnaie à l’Est, et autres
mesures conservatoires… à l’exception de la révolution
monétaire allemande de 1949 :
Mais les pays Européens s’attachent aussi à ne pas perdre l’acquis
monétaire qui datait même de l’avant guerre, comme nous avons vu qu’il
y avait eu des efforts de rationalisation de la gouvernance monétaire dans
chacun des pays Européens, à cette époque. Il s’agit aussi bien d’exclure
la hausse des prix que la destruction de la monnaie. L’Allemagne bloque
les salaires au niveau de 1945, pendant trois ans, elle diminue la masse
monétaire de trois cent à cent soixante treize milliards de marks, début
1947. On observera que de telles mesures n’offrent encore, à ce stade,
que guère de perspectives à long terme. Elles ont pour but, dans
l’immédiat, de compléter la diminution des importations afin de réduire le
déficit de la balance des paiements. Mais en 1948, c’est la réforme
monétaire allemande : qui crée le Deutsche Mark. La déflation de 1948
prépare les futures revalorisations successives du Deutsche Mark. Cette
date a ceci d’historique que la création du DM a précédé d’une année la
Quant à la France, on ne peut confondre gestion de bon père de famille, et vision
stratégique pour la monnaie, du moins une vision clairement affichée et non restreinte à
quelques spécialistes.
1443
Nous le qualifions de « proto », car il raisonne autant en « moins » qu’en « plus », et
agit « autour » de la chose, avant qu’elle soit vraiment mise en place.
1442
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 772
définition des frontières de la République Fédérale d’Allemagne 1444. Dans
beaucoup de pays d’Europe, on choisit de préserver l’existant : en
Belgique, au Danemark, en Norvège, aux Pays-Bas, en Tchécoslovaquie,
on conserve la monnaie existante. Le choix de la France est de tenter de
résister sans prendre de mesures draconiennes : manifestement, la
France ne veut pas être le centre d’un mouvement, lequel centre a sans
conteste été l’Allemagne, ce qui plaçait la question de l’Europe et d’une
construction désormais possible1445 sous les feux de l’actualité, du moins
pour les conseillers des princes, pour la première fois, et ce qui allait
permettre d’augurer l’épopée du Deutsche Mark qui a duré près de
cinquante ans. Il est important de souligner à quel point la monnaie a dès
lors dans l’esprit des allemands constitué un symbole d’unité nationale. Le
cas de la France est donc particulier. Elle devra attendre l’appel d’air offert
par le « miracle » du décollage du voisin allemand, en 1953, comme
conséquence de la fin de la guerre de Corée, pour sortir des troubles
monétaires intestins français. Jugez plutôt : au début, la Banque de
France procède à des prêts sans intérêt pour maintenir l’économie à flot.
Mais cela crée une forte inflation (prix multipliés par six virgule cinq entre
fin 1944 et fin 1948). La hausse des impôts ne suffit pas à compenser
cela, et l’équilibre budgétaire n’est pas atteint. En Italie, l’Etat avait déjà
un contrôle étendu sur les banques. Pour répondre aux demandes de
réparations émanant du traité de paix de février 1947, une politique de
déflation, là aussi, est menée. La reconstitution du crédit commencera à
prendre effet à partir de 1948. En Italie, contrairement à la France, ce
sont les chutes de prix, en 1948 et 1949.
On renforce les institutions marquées d’une pierre blanche dans un
cadre malheureusement strictement national lors des années trente. Entre
1945 et 1949, la Banque d’Angleterre est nationalisée. En 1945 et 1946,
les banques sont nationalisées en France, en Yougoslavie. La Banque
Centrale est socialisée en Hollande. En Angleterre, l’Etat organise aussi la
distribution du crédit.
Du moins ces pays de l’Ouest ont choisi de préserver l’existant, et
au centre, l’Allemagne fait le pari de la révolution monétaire. Tout autre
est le choix de l’URSS. Ce pays, qui n’avait pas misé sur sa monnaie,
entame maintenant une forme de sa destruction : les emprunts en
circulation voient leur valeur nominale réduite du tiers. L’épargne est
annulée pour la moitié de sa valeur. Dans ses relations avec ses satellites,
l’URSS n’utilise pas la monnaie d’échanges, mais l’équivalent du don forcé
en capital : réparations en nature, ou encore réorganisation des échanges
pour faire systématiquement apparaître un excédent du côté de l’URSS,
sans possibilité de jouer sur la monnaie mais de façon totalement
autoritaire. A l’Est comme à l’Ouest cependant, si l’on ne sait pas gérer la
monnaie dans les rapports extérieurs, et si on ne la respecte pas comme
institution, du moins, sur le plan du crédit, on utilise la fin des encours
De même, la création de l’euro en 1998 précède de quelques années à peine la
première proposition d’une constitution pour l’Europe (2003/2005), qui laisse présager
d’un débat fondamental sur les frontières structurelles de l’Union Européenne.
1445
Allemagne cette fois-ci plus « bannie » d’office.
1444
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 773
antérieurs pour lancer de nouveaux emprunts : vingt milliards de roubles
en 1946, avant la réforme monétaire de l’année suivante. Dans tous les
pays de l’Est, on nationalise le crédit comme on l’a fait dans beaucoup de
pays d’Europe de l’Ouest : Roumanie en 1947, Pologne. En 1949, la
Yougoslavie bénéficie de prêts d’organismes internationaux, au contraire.
En URSS, la conduite de la guerre avait mené à une importante inflation.
La façon de rompre avec cela est drastique. On ne fait guère dans la
nuance. De toute façon, ce sont les pays du COMECON qui servent à
l’ajustement.
Le remplacement de la Livre Sterling par le Dollar, comme devise
clef. La poursuite des dévaluations :
Le 15 juillet 1947, une nouvelle convertibilité est fixée pour la Livre
Sterling. Mais, du 15 juillet au 20 août, les demandes de conversion de
Livres en Dollars sont telles, que le 20 Août, la Grande Bretagne doit
renoncer à sa cotation, car les réserves disponibles se sont trouvées
épuisées. Dès lors, c’est le Dollar qui de facto, remplace définitivement la
Livre comme devise clef.
La dévaluation de la Livre en septembre 1949, entraîne les
dévaluations d’autres monnaies.
De la fin de l’Aide Marshall aux années soixante :
Poursuite des projets de coordinations monétaire et financière :
Avec les bénéfices de l’aide Marshall, puis la reprise économique en
1953, qui coïncide avec la fin de l’aide, mais est permise de nouveau par
des dépenses Américaines, militaires cette fois encore, l’Europe retrouve
son souffle, et comme elle a trouvé un proto système monétaire, elle peut
commencer à fonctionner monétairement.
Ainsi, l’idée d’Europe monétaire, totalement dépendante de
l’Amérique monétaire à cette époque, ce dont l’abaissement économique
de la Grande Bretagne est une preuve, est néanmoins désormais dans les
limbes. Il y a donc un espoir : la fatalité de la décadence et du repli (la
cruelle histoire de la Livre Sterling entre les années 1920 et 1947), est
remplacée par la logique d’une future Europe monétaire garante du
développement des échanges entre pays Européens (et aussi de la
production puisque arrimés à l’exemple allemand et à son concept d’ordo
libéralisme). Celle-ci a encore à cette heure besoin d’être protégée, mais
promet la révélation d’une cohérence future. C’est bien dans cet esprit
qu’en 1953, l’Assemblée de la CECA décide de la création d’un marché
économique qui est avant tout fondé sur la libre circulation des capitaux,
et que l’on charge explicitement de favoriser la coordination des politiques
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 774
monétaire, financière et de crédit de tous les Etats membres. Mais déjà,
depuis 1952, on savait comment fonctionner : on conserve une certaine
confiance dans l’or sur lequel on gage un emprunt – on est fidèle ainsi à
certains aspects internationaux, même si dans ce domaine, l’or est
désormais dilué par des mécanismes de change ce qui le rend moins
brutal qu’autrefois -, mais on utilise ce crédit avant tout dans un but
interne à la fois à l’Europe et à chacun de ses Etats membres. Le crédit
est ainsi préféré pour son utilité plutôt que pour sa rentabilité, on se
préoccupe d’investir, de préférence il s’agit de canaliser l’épargne vers les
investissements publics. Au change dollar / or en externe, correspond un
change investissements publics / privés en interne. Et il faut encore
comprendre que les dépenses d’infrastructures serviront, par l’information
qu’elles véhiculent, à mieux faire accepter des perspectives d’intégration
Européenne, avec leurs effets d’échelle et leurs profits induits au bout
pour tous les pays Européens.
En 1955, à la Conférence de Messine, les choses se précisent : on
conseille d’ériger un fonds d’investissement Européen, et on décide d’une
future coordination des politiques monétaires entre pays Européens.
En 1957, le Traité de Rome, fondateur de la C.E.E. (Communauté
Economique Européenne), va encore plus loin : la coordination des
politiques financières est un des objectifs de cette Communauté à Six,
même si on ne parle pas encore de monnaie commune. Néanmoins, là où
on parle de coordination, on va au-delà d’un simple système comptable et
implicite en termes de politique, des « plus » et des « moins » d’une
position nationale quelconque. On dépasse le proto système pour aller
vers l’intégration.
Le système monétaire en Europe de l’Est :
En Allemagne de l’Est en 1953, on aide les petits entrepreneurs
privés, qu’ils soient artisans, commerçants ou industriels. Mais on impose
la chute des salaires. Quand on n’a pas de gains à l’échange extérieur… !
Au sein du COMECON, on crée une monnaie conventionnelle, le
rouble transférable, malheureusement très autoritaire car pas du tout
convertible !
Le match latent dollar / D-mark. Les conséquences fiscales intra
Européennes:
Pendant toutes les années soixante, c’est bien d’une sous-évaluation
latente du D-mark par rapport au dollar, qu’il faut parler. La réputation
monétaire ne se bâtit pas en un jour ! Par contrecoup, cela rend les
importations de produits Américains en Allemagne plus chères, ce qui est
une façon indirecte, pour l’Amérique, d’accélérer le remboursement de ses
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 775
prêts. Mais les réévaluations du D-mark sont inévitables devant tant de
signes de bonne santé de l’économie allemande : 1961, 1969, sont autant
de dates de réévaluations du D-mark, comme le seront aussi 1971 et
1973.
Mais ces réévaluations nombreuses du mark correspondent aussi à
des dévaluations du franc français, le Dollar restant de ce point de vue un
arbitre assez lointain des pressions intestines Européennes. Malgré toute
la bonne volonté des Européens, la coordination financière ne suffit pas
pour l’intégration monétaire, qui reste impossible à ce stade, que ce soit
face aux différences d’efficacité économique nationales, ou à la totale
inexistence de conscience politique commune partagée. De ce fait, cette
dérive dans les cotations du DM et du franc, entraîne des distorsions
fiscales à l’intérieur de la C.E.E., bien à l’opposé de la volonté de ses
fondateurs. Le franc est un peu un passager clandestin monétaire de
l’Europe, en face de l’Allemagne qui a été positionnée de facto comme au
centre d’une hiérarchie Européenne des efficacités économiques. Le DM
doit conquérir sa réputation pour échapper au spectre des « réparations »
vis-à-vis de l’Amérique, qui lui sont sournoisement imposées en interne,
par la France et ses dévaluations. Mais, au bout, il y a l’espoir pour
l’Allemagne, après des réévaluations saluant son mérite et ses résultats,
d’obtenir un leadership monétaire et pas seulement économique « réel ».
Le temps joue pour l’Allemagne… et aussi pour l’Europe qui profite du fait
d’avoir un « meneur » dont la monnaie est assez « horizontale » : réserve
de pouvoir d’achat positionnée en interne plus qu’en externe, ce qui
n’était pas le cas avec la Livre Sterling au temps de sa splendeur,
« verticale »,
positionnée
en
externe,
vis-à-vis
des
échanges
commerciaux. La hiérarchie des économies signifie que les possibilités de
croissance diffèrent selon les pays d’Europe. Si l’Allemagne arrive en tête,
c’est du fait de son solde positif de la balance des paiements, fait
incontournable. La France a une forte hausse de sa productivité et une
baisse des coûts salariaux (du fait des dévaluations) : elle peut s’excuser
de son comportement monétaire derrière le fantôme de la déflation mais
connaît une moindre croissance. L’Angleterre aussi, connaît une inflation
interne due à une hausse faible de la productivité et une hausse
supérieure des coûts salariaux : cette inflation ne lui donne pas une très
grande crédibilité monétaire1446. Ainsi, tous les pays gèrent à leur façon
leurs contraintes sociales et leur distance vis-à-vis du DM. Mais le temps
joue pour le DM qui construit sa crédibilité.
Une Communauté Economique munie d’un pays à monnaie forte, ne
peut pas rater le rendez-vous d’une future politique monétaire commune,
une fois que les pays, France et Angleterre en tête, auront bien mesuré
leurs dérives, et le seul point d’ancrage possible, le DM. La C.E.E. crée un
Comité monétaire consultatif, pour commencer à faire remonter, et à faire
traiter par des experts, l’information. En 1964 est aussi créé un Comité de
politique conjoncturelle, car transformer petit à petit les politiques de
coordination financière en politique monétaire, ne fut-elle que
1446
Mais les Britanniques sont désormais déchargés du « fardeau » de la £ devise clef.
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 776
consultative, c’est être conscient qu’on œuvre à lisser les cycles de la
spéculation financière, de façon à « acheter » de la monnaie pour tous,
grâce au différentiel de risque intégré entre monnaie et finance.
L’âge des taux de change fixes. La lutte contre la spéculation
monétaire et financière :
Les années soixante constituent l’âge d’or des changes fixes. Les
autorités publiques ont en fait la possibilité de choisir entre les régimes de
changes fixes et de changes flexibles, suivant leurs objectifs. En changes
flottants, la politique monétaire retrouve son efficacité. Les changes fixes,
par contre, permettent d’utiles repères à long terme. Dans ces conditions,
pendant la majeure partie des années soixante, les crises des changes et
des balances des paiements, sont exceptionnelles et peuvent être
maîtrisées.
Monnaie et politiques sociales : le cas de la Politique Agricole
Commune :
On peut dire que le secteur agricole a été le premier, en Europe, à
bénéficier d’une monnaie Européenne commune. L’industrie, c’était la
finance : l’agriculture, c’était donc la monnaie, grâce au mécanisme des
montants compensatoires monétaires, une vraie solidarité enregistrée
autour d’une monnaie de compte commune. Ce mécanisme est monétaire
au sens où il revient à anticiper sur la valeur future d’une monnaie
commune. D’après les auteurs post keynésiens, notamment ROBINSON, la
seule valeur dans l’économie que l’on connaît avec sûreté, c’est la valeur
de la monnaie future, et non pas celle des biens. Cette présentation
rejoint la théorie du revenu permanent : il faut qu’au terme d’une
génération, il existe un outil de réserve des valeurs et servant aux
échanges, qui serve de mécanisme d’équilibre entre la production
accumulée et la consommation à venir. Dans une telle perspective, les
mécanismes de solidarité financière et de compensation monétaire servant
à la PAC, pouvaient aussi permettre d’amortir la décrue démographique
du secteur agricole tout en garantissant les revenus de ce secteur pendant
que l’industrie se développait. L’Europe a anticipé son avenir économique
dans l’évolution de ses secteurs. Elle a anticipé sur la monnaie commune
qui serait celle d’une économie, industrielle et de services, très
monétarisée, en ajustant les structures de l’agriculture à celles de
l’industrie et de la distribution d’ores et déjà. Si on voulait un mécanisme
Européen monétaire, il était important que cela commence par
l’agriculture pour remplir le gap « social / monétaire », dans une vision
anticipatrice. C’était un mécanisme monétaire dans le texte même de
l’ajustement aux structures du revenu futur. Le mécanisme d’anticipation
du revenu, et d’assurance du secteur menacé, était monétaire par
essence.
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 777
La solidarité financière est fondamentale dans la P.A.C. : le
versement compensatoire est institué sur la base d’un différentiel versé
aux agriculteurs, par rapport aux produits entrant au prix mondial
inférieur au prix national. En échange, il peut y avoir une taxe sur le bien
étranger importé. On anticipe sur le marché et on le fait par des
compensations financières. C’est bien la nature même d’un mécanisme
monétaire : système d’assurance, système de redistribution de la liquidité
et de l’aide aux investissements, aide à l’évolution des secteurs
économiques au niveau régional ou même au niveau mondial, par delà le
seul secteur agricole. Ce dernier est par principe non monétarisé lorsqu’il
est isolé et livré à lui-même. Un des plus beaux mécanismes monétaires
conçus par l’humanité, après les transferts épargne / crédit qu’a connu le
dix-neuvième siècle, l’invention des billets, et avant la monnaie scripturale
pour le circuit de la consommation, puis la monnaie électronique pour
l’assurance de la trésorerie dans les réseaux de la mondialisation 1447.
Système d’assurance monétaire en interne, relayant et couvrant les
évolutions sociales : d’autant plus nécessaire qu’en externe, il faut se
couvrir contre des fluctuations des monnaies internationales toujours
possibles. En effet, les perturbations monétaires ont clairement jouées
dans la Politique Agricole Commune. La fixation des prix agricoles
communs a été faite, au départ, en unités de compte correspondant au
poids d’or du dollar (trente cinq dollars par once). Pendant longtemps,
cette évaluation a à peu près suffi. On pensait en fait, par ce biais, lier les
parités des pays membres, parce que l’agriculture était un secteur très
fort. Jusqu’en 1969, ce raisonnement a été assez opératoire. Mais, à la fin
des années soixante, la PAC pose des problèmes financiers, étant donné la
hausse des charges liées à la garantie. Les montants compensatoires
monétaires, ceci dit, ne revêtiront un caractère permanent qu’à partir de
1971. Dès lors, il y aura un éclatement spatio-temporel : leur permanence
entraînera la création de zones de prix agricole différenciées 1448 1449.
Le développement des euro dollars en Europe et le rôle de l’Europe
dans le circuit international des euro dollars :
L’organisation de la libre circulation des capitaux en Europe
communautaire a commencée petit à petit. Les directives de 1960 et 1962
ont décidé d’une libération inconditionnelle pour les investissement
directs, et d’une libération conditionnelle pour les émissions étrangères,
ainsi que de l’absence de libération pour les mouvements à court terme.
Ainsi la monnaie reste un rapport social, qui évolue avec la société, de même que ses
formes apparentes évoluent aussi, institutionnalisées ou non institutionnalisées qu’elles
puissent être.
1448
Dès lors, le secteur agricole ne pourra plus être au centre de l’intégration monétaire.
1449
Et par ailleurs, l’intégration monétaire s’institutionnalise davantage à partir de cette
période. Puisque son principe sera désormais clairement posé à toute la société, au-delà
des ajustements entre secteurs économiques. Il faudra encore attendre vingt autres
années pour qu’il se trouve planifié définitivement.
1447
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 778
Mais, puisque l’investissement des capitaux Américains en Europe
pouvait se révéler profitable, il s’est rapidement trouvé accéléré. Le
phénomène de développement des euro Dollars correspond à une hausse
des réserves en Dollars détenues dans le monde, et notamment en
Europe. Les réserves de Dollars commencent à concurrencer, puis
rapidement à surpasser, les réserves d’or. Dans ces conditions, le Dollar
devient le centre d’un véritable système de comptabilisation des flux de
créances (permettant d’investir et de consommer à court terme) et de
dettes (reportables beaucoup plus tard) dans le monde : une véritable
pompe à finance pour les perspectives de développement économique
mondial. De fait, alors que la réserve en or, assez facilement
reconnaissable parce que matérielle, et dont on sait les quantités limitées,
entraîne un besoin de remboursement plus rapide, on peut subodorer le
mécanisme de la monnaie papier, à la fois réserve mais aussi à l’évidence
véritable « machin à effet levier de dette », beaucoup plus favorable à
attiser le désir de l’argent pour l’argent. C’est ce dont l’Europe
notamment, placée entre un riche protecteur Américain, et des pays mal
développés à ses frontières, avait besoin pour se rassurer sur sa capacité
à freiner les désirs mimétiques de remboursement ou d’accaparement des
uns ou des autres. Elle en avait aussi le besoin en interne, comme pompe
à finance utile entre son agriculture, mal monétarisée mais disposant de
montants compensatoires monétaires, et son industrie, qui devait puiser
dans des liquidités dont elle pouvait insuffisamment disposer, pour son
développement (problème du « lancement de la pompe à finance »).
Enfin, les Etats-Unis y trouvaient un marché solvable Européen, que l’on
pouvait se garder en créant des liens de dépendance et de fidélité avec
ses exportations industrielles, ainsi qu’un bouclier face à l’hydre rouge de
l’Est1450 et l’hydre noir du Sud1451.
Pendant tout le temps du système de Bretton Woods, la
convertibilité en or soulignait certes la qualité du Dollar comme monnaie
internationale. Et puis, après tout, si la Livre Sterling avait tenu le
système monétaire de l’économie monde sur ses épaules pendant
soixante dix ans, le Dollar pouvait avoir encore devant lui de beaux jours.
L’or restait une ancre. Dans ces conditions, tout souriait aux Américains,
dont tout le jeu consistait à créer un second marché d’une taille
comparable à l’Amérique, comme outil de déversement de ses surplus, et
comme outil de stabilité face à la menace soviétique. La politique
Américaine, à deux contre un (Amérique & Europe, vs Union Soviétique),
avait beau jeu d’appuyer le développement d’une économie monétaire
mondiale, et ainsi de s’autoriser à déterminer le taux d’inflation mondial
(MC KINNON, 1993). La valeur officielle du Dollar fut tenue artificiellement
pendant tout ce temps. Les temps datant depuis l’économie monétaire, et
notamment les périodes de guerre, avaient bien montré que les agents, à
la base, avaient tendance à confondre inflation et croissance. Et, à partir
Le communisme qui ne reconnaît pas la monnaie.
Les menaces d’utiliser les ressources premières comme monnaies de substitution,
agitées par l’homme politique Pierre MENDES France dès les années cinquante ; ainsi que
les conséquences d’une explosion démographique qui rend plus difficile le problème de la
consommation.
1450
1451
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 779
de là, tant que l’on pouvait les maintenir dans cette croyance, du moins,
on pouvait continuer à les orienter dans celle en faveur de l’économie
monétaire, qui autorise de beaux espoirs dans les investissements futurs,
et, si la propriété privée des ménages est défendue, aussi les défenses du
droit à consommer dans une sorte d’économie mixte tenue fermement par
l’institution monnaie.
La fin des colonies et l’aspect plus indirect, plus monétaire, des
politiques économiques :
Rapidement, et ce n’est peut-être pas sans lien avec la Politique
Agricole Commune, la politique de solidarité avec l’Afrique passe
davantage en arrière plan. La solidarité agricole sociale intra Europe, la
dépendance industrielle et monétaire grandissante vis-à-vis des EtatsUnis, tout cela fixe de nouvelles perspectives, parce que cela implique de
réagir plus rapidement monétairement, aux évolutions et aux chocs de
l’économie Européenne elle-même.
D’autant plus que les indépendances Africaines, avec le relais
évidemment pris de la part des Etats-Unis, d’être capable de prévoir pour
le développement de la planète, tout cela rend la solidarité Euro Africaine
moins pressante.
On constate alors un retour vers les solidarités entre anciennes
puissances colonisatrices, et anciennes colonies, et la mise en veilleuse de
l’esprit du Traité CEE, qui prévoyait une vaste zone de libre échange Euro
Africaine. Mais cela ne s’explique pas seulement par de grandes
considérations géo stratégiques, mais comporte aussi une influence
directe sur la restructuration du système économique Européen, sa
monétarisation en fait. Vers 1963/1964 (au moment des accords de
Yaoundé), les colonies ayant disparu pour l’essentiel, les pays Européens
n’ont plus dans ces colonies des débouchés pour leur population, qui
puissent leur permettre de freiner leurs problèmes de chômage. Au
contraire, ils vont, de plus en plus, désormais, recourir à la monnaie
comme arme indirecte, vis-à-vis de la démographie, placée de l’autre côté
par rapport à l’économie dans le système démographie / économie /
monnaie. Les pays Européens doivent désormais, gérer des questions plus
indirectes, et, partant de cette logique, plus monétaires aussi : ils devront
gérer leur inflation et leur chômage par des mesures macro économiques
issues d’une analyse du circuit, aléas démographiques extérieurs
désormais exclus. Par ailleurs, le fonds Européen de développement
procède surtout par dons toutefois : ce n’est pas d’être plus riche car plus
prévoyant, qui rend moins généreux. Derrière, les grandes manoeuvres
monétaires n’en sont plus qu’à quelques années de leur lancement.
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 780
Années 1960. La mise en place d’un nouveau
système et les débuts rapides de son
tremblement du aux déficits Américains :
Le recyclage des mesures de cohésion monétaire Européenne,
avec une plus grande intervention sur la conjoncture :
L’Europe poursuit son intégration financière. Des mesures
d’organisation financière, au départ conçues dans un cadre sectoriel,
dépendant d’une « mesure structurellement éclatée » d’un futur dans
lequel on veut investir mais que l’on n’a pas complètement réussi à
appréhender, acquièrent une portée générale. C’est ainsi qu’en 1968, les
budgets des trois communautés Européennes (CECA, CEE, Euratom),
jusque là distincts en vertu de ressources autonomes propres, deviennent
unifiés, intégrés.
Dès 1969, avant même le plan Werner, on ressent le besoin de
dépasser le Traité de Rome en prolongeant l’action de la CEE dans le
domaine monétaire : on met en place un soutien monétaire à court
terme1452.
Politique monétaire et lutte contre l’inflation :
Nous avons mentionné que les croyances des agents ont tendance à
faire voisiner inflation et croissance. D’autre part, il était peut-être dans
l’intérêt des puissants d’entretenir une telle croyance. La montée du
phénomène des euro Dollars a, de fait, voisinée avec le développement de
l’inflation. Milton FRIEDMAN, dans « Inflation et Systèmes Monétaires »,
pouvait alors déclarer que l’inflation est encore et toujours un phénomène
monétaire, sur la foi d’une interprétation basée sur l’équation quantitative
de la monnaie mais qui a d’après nous, maille à partir avec un tabou de la
pensée économique : la relation démographie / monnaie1453 1454. L’objectif,
affiché par FRIEDMAN bien avant d’autres, était de parvenir à une
croissance économique sans inflation, ne serait-ce que pour modérer le
risque d’anticipations privées d’ancrage. Il faut que, même en tenant
compte de ses aspects géo stratégiques, la monnaie puisse garder un
parallélisme lisible à une distance (qu’un observateur attentif peut suivre),
avec l’économie réelle, au moins avec celle du pays dominant. Sinon, les
anticipations sont susceptibles de devenir irrationnelles… les désirs
d’accaparement et de remboursement irrépressibles… le risque devenant
alors de quitter le cadre d’une économie monétaire pour revenir au
modèle du remboursement par le tribut !
On se donne les moyens d’être efficace en termes de politique monétaire. La politique
monétaire Européenne, aussi, précède la monnaie Européenne elle-même.
1453
Plus précisément l’idée que les hommes peuvent être pris pour des unités monétaires.
1454
Cf. nos considérations à ce sujet dans notre Préambule.
1452
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 781
De fait, l’aspect géo stratégique l’emportait, les Banques Centrales
devaient se résoudre à l’absorption forcée de dollars, tant était grande la
pression Américaine, qui voyait plus loin, économiquement mais aussi géo
stratégiquement. Les Etats-Unis, quant à eux détenaient pour équilibrer ce
système, d’énormes créances liquides.
On en arriva alors à un moment de contradictions : il apparut clair
que le Dollar avait une double fonction : à la fois monnaie nationale et
monnaie mondiale. Par conséquent, il était à lui seul un troisième terme
de la comptabilité économique mondiale, servant à la fois de créance et de
dette, entre l’acheteur en dernier ressort de biens (les Etats-Unis), qui
vendait en échange des biens et de la monnaie, et importait de la main
d’œuvre, et les autres pays qui s’adaptaient. L’équilibre était sous tendu
par l’enrichissement collectif. En clair, les Etats-Unis donnaient en quelque
sorte le rythme, mais cela devenait inflationniste et c’est le premier signe
qui indiquait qu’il y avait des tensions dans le système monde au sujet
duquel il convenait de réfléchir à leurs causes et à leurs conséquences,
aux tenants et aux aboutissants.
Le système devenait en partie inacceptable, car la monnaie ne peut
être à elle seule une institution politique, qui plus est à la fois régionale et
mondiale. Une première mesure, visant à rassurer les marchés et les
agents éclairés sur l’impossibilité du Dollar d’être à la fois monnaie à
l’intérieur du système, et outil de comptabilité à l’extérieur (mettant
l’ensemble du monde et pas seulement l’économie, sous une pression
excessive), eut lieu en 1968, quand on créa les Droits de Titrages
Spéciaux. Avatars d’un projet de monnaie mondiale qui fut pour la
première fois proposé par KEYNES avec son bancor de 1945, ils étaient
clairement un outil de comptabilité du lien d’étirement des relations de
confiance monétaires internationales, distinct du Dollar. Du coup, on peut
les critiquer en disant que c’était une nouvelle forme d’étalon change
Dollar ! A la même date, le Dollar, officiellement, devient cependant
partiellement inconvertible : c’est bien lui que l’on veut restreindre.
Le
tremblement de terre, l’abandon du système
international de Bretton Woods en 1971 :
monétaire
Les instabilités, la double fonction du Dollar, ne sont plus
soutenables au niveau national Américain, ce qui provoque l’inquiétude
sur les marchés internationaux. Le phénomène Américain du double
déficit, modélisé par HOLLIS et CHENNERY, apparaît aussi dans les années
soixante : c’est le double déficit commercial et budgétaire de l’Amérique.
A cause de sa politique généreuse d’entretien de la pompe à finance,
lançant des pays dans le commerce international sans savoir quand ils
pourront rembourser, mais en faisant confiance que le fait de les lancer
jouera sur l’apaisement de leur situation et fera gagner la bataille contre
le système communiste, l’Amérique est un peu un apprenti sorcier.
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 782
Certes, ce qui est reproché au système communiste du point de vue de la
monnaie, c’est qu’il est uniquement politique et pas économique, ne
reconnaissant pas le premier maillon de l’économie monétaire qu’est la
propriété privée. Les Etats-Unis ont donc, au bout du compte, un déficit
commercial car ils ont une politique de benign neglect vis-à-vis de
l’équilibre de leurs échanges commerciaux. Ils s’en soucient peu, car le
cours de leur monnaie est fixé de façon relativement centralisée et
autoritaire. Ce neglect sur le front extérieur les entraîne alors à un neglect
sur le plan intérieur : ils peuvent assurer davantage leur société, et laisser
filer le déficit budgétaire pour laisser les Américains consommer autant
qu’ils le souhaitent. Quant on est équilibré vis-à-vis de l’extérieur, fut-ce
de force, il est facile de se trouver équilibré chez soi, dans une optique
capitaliste. Cette grille de lecture d’un sens vers l’autre, peut cependant
être lue dans l’autre sens. Pour HOLLIS et CHENNERY, c’est bien
l’ouverture des vannes budgétaires qui laisse place pour un déficit
commercial. Un sens ou un autre n’est pas la question la plus
importante1455. Le fait est que quand la monnaie de crédit se développe,
elle développe aussi le crédit : la mesure d’une part ambiguë où il n’y a ni
créancier définitif, ni débiteur définitif. C’est ce qui fait que, si la propriété
privée est le premier terme dans la construction de l’institution monnaie,
elle n’en est pas le seul. Ce crédit ambigu, consubstantiel à la monnaie
institution, sur un versant plus organisationnel, est tenable tant que l’on
peut encore rapporter la monnaie à l’économie réelle, tout en les tenant
toutes deux dans une relation de parallélisme pas trop lointaine. Cela
dépend beaucoup des anticipations sociales. Celles-ci, nous le voyons,
deviennent placées dans un cadre international d’emblée, lors des années
soixante, lorsqu’il y a un système à au moins trois termes : monde
capitaliste comprenant à la fois Amérique et Europe, bloc soviétique,
Tiers-Monde. Alors qu’il y avait beaucoup moins de subtilité à l’époque de
la première mondialisation de 1870-1914, tout au plus un nouveau monde
et un ancien monde, le tiers monde ne comptant à l’époque même pas.
Donc, quand le module qui doit contenir toute la cohérence du système –
les Etats-Unis, avec un deuxième module en préparation, l’Europe, qui
nous intéresse plus encore – n’est plus équilibré, le système ne peut plus
être équilibré. Il se vide de son énergie, il est frappé de langueur.
En décembre 1971 puis en février 1973, on assiste à deux
dévaluations du Dollar : variations de la valeur de cette monnaie à la fois
rapides et amples. Le 15 août 1971, c’est la fin de la convertibilité or du
Dollar.
A partir du moment où les réserves en or du Dollar flanchaient, où
l’inflation était exportée par les Etats-Unis victimes d’un double déficit, la
régulation internationale du Dollar ne pouvait plus fonctionner. Le
En revanche cela nous met sur la voie, que nous privilégierons dans la suite de notre
exposé, du grand déséquilibre du système depuis les années soixante-dix, qui trouve sa
source dans les déséquilibres internationaux et domestiques du Dollar, des années
soixante, et son relais dans les nouveaux produits financiers issus des années quatrevingt : la défiscalisation conçue comme un idéal et un exutoire, et capable de mettre à
bas le système tout entier.
1455
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 783
phénomène de langueur cité a commencé, en fait, par un accès de fièvre.
En effet, les pays Européens, qui n’avaient pas la charge de la réputation
du Dollar, pouvaient chercher pour leur propre compte à monétiser leurs
éventuels déficits, en s’inspirant de l’exemple Américain 1456. L’effet de
contagion aurait été imparable, menant à un effondrement total du
système monétaire… qui aurait pu mener à une remise en cause du
modèle Occidental dans le cas où le désir de consommation ne se serait
pas, déjà, fait jour à l’Est.
Donner un nouveau « change » par rapport au système précédent,
ne pouvait se résumer à établir une nouvelle forme d’ « étalon de
change or ». Le système de Bretton Woods, c’était 1°) une forme
d’étalon de change or, 2°) la prééminence d’une monnaie horizontale, le
Dollar, et 3°) les parités quasi fixes, en particulier vis-à-vis du Dollar. Si
on ne voulait pas aller jusqu’à une monnaie étant à elle-même son propre
étalon – puisque le Dollar était une monnaie internationale, mais pas une
monnaie mondiale -, et si on abandonnait l’or, alors, il fallait refinancer le
Dollar par d’autres monnaies. Et pas par une seule, car aucune n’aurait pu
s’y prêter – le mark quoique fort n’avait pas encore connu ses plus beaux
jours, pas plus que le yen, et une telle hypothèse aurait été trop
conflictuelle de toute façon pour le système qui reposait du moins
officiellement sur le Dollar sinon l’or 1457. La seule solution qui subsistait
était une solution de changes davantage flottants, avec quelques
monnaies fortes, et peut-être davantage qu’il n’y en eut à l’époque du vrai
étalon de change or – Livre Sterling, Dollar, franc français -. On passa
donc à un système extensif de monnaies flexibles. Et des formes
marchandes de régulation monétaire commencèrent à remplacer une
forme plus politique, celle de Bretton Woods, caractérisée par 4°) (cf. 1°)
la nostalgie d’une relique barbare, l’étalon or, 5°) (cf. 3°) la volonté de
projeter des institutions de nature monétaire jusqu’au plan mondial (FMI,
Banque Mondiale), et 6°) (cf. 2°) de la part des Etats-Unis, une forme de
pression / « containment » poussant inéluctablement à la consommation,
basée sur la monnaie internationale, au niveau mondial 1458.
Il faut bien comprendre que la seule source de liquidité
internationale, in fine, dans le marché capitaliste mondial, était un
constant déficit de la balance des paiements Américaine. Pendant dix ans,
cela fonctionna, car il y avait des surplus de la balance commerciale
Américaine… le flux de liquidité nécessitait en échange des exportations
considérables de capitaux. Les équivalents monétaires de l’investissement
direct et des crédits Américains retournaient rapidement vers les EtatsUnis, sous forme de profits à l’exportation. Mais le cycle devenait de plus
Forme d’exemple étatique de la « défiscalisation », qui depuis, a pu être repris
(l’exemple) par de nombreux particuliers disposant de quelque patrimoine.
1457
Les changements de système monétaire doivent toujours faire preuve de beaucoup
de diplomatie.
1458
Créer de nouvelles formes de crédit, de nouveaux circuits, aussi de nouvelles
manières d’institutionnalisation de la monnaie. D’un côté donc, la nostalgie des formes
anciennes. De l’autre côté le développement de nouvelles institutions. Au centre ou au
milieu : de nouveaux circuits.
1456
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 784
en plus instable. Quand le rapatriement de Dollars tenus à l’étranger grâce
aux surplus commerciaux Américains diminua, les Etats-Unis furent
obligés de vendre leur stock d’or fixe. Ils montraient ainsi qu’ils
acceptaient la fin du système de Bretton Woods, puisqu’ils étaient les
premiers à le signer par cette vente d’or fixe 1459 ! Mais ils bénéficiaient
d’une couverture en échange : une période comparable à celle qui leur
avait fait consommer leur stock, pour voir de nouvelles formes de stock
monétaire s’imposer1460.
En fait, la nature a horreur du vide : dans le domaine monétaire
aussi. Les trois premières années de la décennie soixante-dix furent les
années où les liquidités mondiales, créées en particulier par les Etats-Unis,
et assises sur la monnaie internationale : firent rien de moins que tripler !
On n’avait pas en face une devise-clef – ou bien le Dollar constituait une
nouvelle forme de devise-clef dans l’histoire, la première qui ne fut pas
arrimée directement à l’or ou à une autre devise contrepoids -, mais on
investissait déjà dans les liquidités dont elle pouvait être le contrepoids.
L’économie mondiale ne se fit pas prier puisque trois événements majeurs
suivirent :
- la création du serpent monétaire en Europe ;
- le début de l’endettement à grande échelle du Tiers
Monde ;
- l’envol de la consommation dans le bloc de l’Est, qui a
mené à l’effondrement de ce système, non monétarisé
donc ne pouvant pas soutenir la consommation par luimême.
De l’effondrement de Bretton Woods en 1971, à la généralisation
des taux flottants en 1976 lors de la Conférence de la Jamaïque, ces trois
événements aux grandes conséquences monétaires ont pu s’avancer.
L’Europe est au centre du carrefour. Elle ne peut plus reculer, désormais,
ni finasser, du point de vue monétaire. Il lui faut définir sa gestion, ses
marges de fluctuation, des objectifs d’intégration. Elle doit se recentrer.
Les Etats-Unis gardent une crédibilité de directeur général du système
monétaire international. Ils n’ont plus de crédibilité de présidence. Celle-ci
est partagée, ou mise temporairement en congés sabbatique !
La sensibilisation nouvelle de l’Europe de l’Est à une économie
monétaire et financière :
Bien sûr, du fait de la nouveauté des problèmes de consommation
dans le bloc de l’Est, il est inévitable que le côté de l’offre soit un peu
touché aussi, par des phénomènes d’incitations par exemple. L’ouverture
nouvelle aux échanges extérieurs s’accompagne de mécanismes
financiers. Par exemple, depuis 1967, en Yougoslavie, les entreprises ont
la possibilité de rechercher des sources de financement extérieures. En
1459
Façon de rappeler à nouveau le poids institutionnel de la monnaie, et qui dirige celle-
ci.
1460
Le temps reste, in fine, le meilleur étalon !
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 785
Russie, a contrario, même dans l’agriculture on devient soumis à des
règles de gestion des sovkhozes comparables (avril 1967) aux règles
d’usage pour l’exploitation industrielle : le recours au crédit. Dans tous les
pays socialistes, les travailleurs agricoles peuvent accéder à la
rémunération en monnaie : une vraie révolution, postérieure d’au moins
deux décennies à sa généralisation dans les pays d’Europe de l’Ouest :
une génération d’écart, en somme ! Au niveau institutionnel, ces
évolutions sont reprises : le COMECON propose, en 1969, la création
d’une Banque d’investissement à son niveau.
Le développement d’une certaine finance, purement restreinte à
l’entreprise et non au ménage, en interne, voisine avec le refus réitéré de
la monnaie, au plan international. L’URSS prétexte de l’instabilité du
système monétaire mondial, et du caractère satisfaisant des échanges
réels entre pays du COMECON, pour refuser la convertibilité des monnaies
socialistes (prônée par la Pologne et la Hongrie, depuis 1964). Mieux vaut
ne pas avoir de convertibilité du tout, plutôt qu’une convertibilité imposée
par l’extérieur.
L’évolution croisée entre l’Europe de l’Ouest et l’Europe de l’Est
pourra sans doute dans l’avenir faire penser aux mécanismes de
compensation entre secteurs et entre régions : peut-être une Politique
Agricole Commune élargie bien au-delà de l’Europe de l’Ouest, voir audelà de l’Europe entière. En somme, l’économie monétaire doit anticiper
l’économie réelle avec la contrainte d’avoir au moins une génération
humaine d’avance. Or, dès les années 1960, vers 1967, le ralentissement
de la rentabilité du capital était sensible aussi bien à l’Ouest qu’à l’Est :
constatation qui doit conduire à des mesures de solidarité.
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 786
1970-1992.
La
construction
du
système
monétaire Européen. Du Plan Werner au Traité
de Maastricht :
La
réponse des Européens à la crise
monétaire international, 1970-1982 :
du
système
I.1. Mesures d’ajustement :
La création de ressources Européennes propres, à l’Ouest : un
achat pour un vendu :
Le budget général, non seulement, doit être unifié, mais doit
désormais disposer de ressources propres. C’est la décision d’avril 1970.
Après une phase intérimaire (de 1971 à 1974) au cours de laquelle le
financement du budget général est double (ressources propres, et
contributions budgétaires des pays d’Europe), le financement du budget
doit se faire presque intégralement en ressources propres, grâce
notamment à la TVA. Il ne manque plus alors qu’une unité de compte, non
pas « asymétrique » (calquée sur le secteur agricole, en interne le plus
éloigné des considérations structurelles monétaires, mais recouvrant à la
fois les secteurs monétaire et non monétaire). Mais la monnaie doit
avancer avec le budget : c’est une forme d’internalisation de la contrainte
institutionnelle budgétaire. Avec une multiplication par cent, de 1958 à
1972, ce type de décision était inévitable. Ces dépenses correspondaient
d’ailleurs presque intégralement à des dépenses agricoles.
La concertation économique comme réponse à la complexité
monétaire :
La volonté d’être de plain pied avec les différences de parité
monétaire internationales, va de pair avec la nécessité de renforcer la
coordination macro économique. C’est ainsi qu’à partir de 1974, une
concertation plus systématique se fait jour entre pays Européens :
consultations préalables obligatoires, avant l’adoption par un Etat membre
de mesures de politique à court terme, pouvant avoir une répercussion sur
l’économie de ses partenaires, ceci afin de rapprocher les anticipations,
éléments monétaires par excellence, entre les partenaires.
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 787
Cette volonté de concertation renforcée découle aussi des difficultés
du proto système monétaire. En effet, les Montants Compensatoires
Monétaires ne vont pas bien. En 1978, les écarts de prix agricoles de fait,
entre zones Européennes, peuvent atteindre jusqu’à 40%.
Les dépenses Européennes ont été multipliées par cent, de 1958 à
1970. Comment n’aurait-il pas, alors, été nécessaire d’envisager une
consolidation du noyau monétaire et des relations entre ce noyau et sa
périphérie elle aussi embryonnaire, c’est-à-dire des problèmes de
concertation ? La politique macro économique se met en place à l’échelle
de l’Europe. Les opérations de prêts et d’emprunts ne se limitent plus au
financement de projets d’investissement dans les années soixante-dix,
mais concernent les Etats membres. C’est la possibilité, en 1975, de
contracter des emprunts, afin de prêter aux Etats membres éprouvant des
difficultés de balance des paiements. Cela s’étend même à des pays tiers :
l’assistance financière nouvelle, à moyen terme, pour les pays de l’Est, est
bien le signe que l’Europe veut prendre toutes ses responsabilités dans la
construction du nouveau monde, totalement monétarisé, en arrimant l’Est
à
une
saine
responsabilité
et
comptabilité
financière
non
1461
« structurellement incohérente temporellement ».
L’absence de mesures d’ajustement à l’Est : fuite devant la
monnaie ; dilemme du prisonnier inflation / monnaie /
consommation, en Russie ; contradictions entre manque de
contrôle de la masse monétaire et facilité du crédit dans les
autres pays:
La contrainte extérieure dans les pays de l’Est, s’exprime dès que
ces pays ont décidé de s’ouvrir sur l’étranger. C’est très vite la hausse de
l’endettement extérieur. La première réponse au déficit extérieur
s’effectue par l’emprunt, au début des années 1970. Mais alors un
phénomène de fuite devant la monnaie nationale se met en place, en
Pologne. Dans ce dernier pays, l’inflation est supérieure à 10% en 1975.
L’inflation des prix, c’est la baisse des salaires réels. Puisque l’on ne peut
pas licencier, les ajustements s’opèrent par l’inflation. De plus, le manque
de politique monétaire n’arrange rien dans ce contexte. En effet, il y a un
insuffisant contrôle de la masse monétaire. Un fait nouveau, la facilité du
crédit, est incompatible avec ce manque de contrôle. L’inflation est très
clairement une inflation par les salaires. Le droit au travail est devenu un
droit au salaire : ce en quoi le système de l’Est était quand même, lui
aussi, à sa façon, proto monétaire puisque le salariat est d’une façon ou
d’une autre lié au concept d’une monnaie de crédit. L’accroissement des
revenus se fait à un rythme supérieur au progrès de la productivité.
C’est-à-dire acceptant les principes d’existence d’une possible devise clef, un peu
comme les pays Arabes devraient admettre l’existence d’Israël : un peu pour protéger
leur propre identité en admettant la réalité !
1461
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 788
En Russie, on n’arrive pas à gérer à la fois l’amélioration de la
consommation et la lutte contre l’inflation. La Russie, qui bénéficiait d’une
ceinture de protection économique de la part des autres pays du
COMECON, est deux fois plus touchée par le retour de vent du fait de leur
début d’ouverture et de ses conséquences ne permettant pas de boucler
un équilibre. L’accroissement potentiel de conflit entre les décideurs, dans
un contexte où l’économie planifiée ne parvient pas à faire face à la fois à
la complexité et aux premiers signes d’ouverture, entraîne la difficulté à
coordonner les choses et les actifs. S’en suit un véritable dilemme du
prisonnier d’où aucune monnaie nationale ne peut tirer son épingle du jeu.
On est bien trop en amont dans une telle réflexion 1462 1463. Dans les années
soixante-dix, la non convertibilité du rouble fait aussi qu’il n’y a pas intérêt
à produire plus pour exporter plus. L’économie soviétique se trouve donc,
à ce moment là, étranglée. Elle s’est donnée, de même que la Pologne ou
les autres pays frères, certains attributs d’une économie monétaire (droit
social à emprunter), sans les institutions qui vont avec (contrôle, marchés
qui surveillent, propriété privée), ni même sans la grille de lecture
(monnaie inconvertible à l’extérieur, et dont les trois fonctions, étalon de
valeur, unité de compte, réserve de valeur, sont inconvertibles entre elles,
en faisant un langage absurde, inopérant). Elle a refusé de facto toute
souveraineté de sa monnaie, comme si le problème lui échappait. Le seul
remède est alors l’ouverture, pour échapper à l’enfermement.
Même sur les bords de l’empire, les contraintes sont brutales. En
Yougoslavie, les réformes libérales de 1965 et 1968 (possibilité de fonder
des banques) n’ont pas suffi à atténuer l’inflation et le chômage. Le
renversement de l’économie monde par la logique de consommation
généralisée, par les Américains, a été jusqu’au bout ! En Hongrie
cependant, dès 1976, s’était opéré un rééquilibrage du commerce en
devises. Des politiques restrictives se sont fixées pour but une régression
de la dette dans ce pays, de même qu’en Pologne.
I.2. Mesures de construction :
Le
plan WERNER,
Européen :
la
mise
en
place
du
Serpent
Monétaire
En 1970, le plan WERNER – du nom du premier ministre
Luxembourgeois de l’époque – part dans une logique de fluctuations
contrôlées : marges de fluctuations « à l’intérieur du serpent », entre les
monnaies du système Européen. Il s’agit de se fixer un système de
fluctuations auto contrôlées en interne. C’est la première marque d’un
esprit de responsabilité monétaire Européen partagé, voire supra national,
Trente ans après, les Russes sont bien plus engagés dans la dollarisation et dans la
monnaie / énergie (gaz).
1463
Ils ne s’en sont donc toujours pas mieux sortis, même en comptant le pétrole.
1462
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 789
puisque ces fluctuations contrôlées permettent de lutter à la fois contre
l’entropie et contre la négentropie. C’est-à-dire contre les contraintes
extra Européennes et intra Européennes, lorsqu’elles peuvent devenir
déstabilisatrices1464. En clair, on est déjà au delà du proto système des
MCM par exemple, et aux premiers tournants de l’ascension d’un système.
Le plan WERNER se fixe dix ans pour la réalisation d’une Union
Economique et Monétaire. Dans les faits, il faudra trente ans.
Dès le début de la construction monétaire Européenne proprement
dite, deux faits stratégiques sont présents. D’abord, la construction se fait
dans une relation de rivalité avec le Dollar. Ensuite, cette construction se
fait aussi, dès le début, par un arrimage sur la problématique du deutsche
mark. C’est la Bundesbank qu’il s’agit de garder en exemple et en ligne de
mire. Par rapport à cela, les procédures de coordination sont au début
timides. Elles se renforceront par la suite (en particulier les marges de
fluctuation). Mais sans coordination monétaire, difficile de coordonner
lutte contre l’inflation et lutte contre le chômage, entre pays Européens.
Le Serpent Monétaire Européen de 1971 à 1979 :
En mars 1972, le Conseil européen invite les banques centrales à
intervenir sur le marché des changes à chaque fois que des marges de +/2,25% d’écart entre les fluctuations autorisée entre monnaies, sont
dépassées. Suit rapidement, en octobre, la déclaration de vouloir aller
vers une Union économique et monétaire.
Des outils techniques permettent d’avancer vers ces objectifs
généraux. Créé en 1972, le Fonds européen de coopération monétaire, a
pour charge d’assurer la compensation entre banques centrales : en
octroyant des crédits à très court, court et moyen terme. On a donc été
au-delà d’un proto système c’est-à-dire d’un simple système permettant
seulement de faire des mesures sans prendre de décisions. On fait
désormais de la politique monétaire en agissant sur la conjoncture.
Il est clair que les premiers pas du serpent monétaire Européen ont
bien pu faire « tilt » dans l’esprit de responsables Américains… comme
représentant un risque de mise en place d’un système concurrent ! Dès
lors, le marché aux taux de changes flexibles, est assez vite apparu la
parade de nature à mettre la pression sur le système concurrent. C’est
pourquoi, de 1970 (plan WERNER) et 1971 (fin du système de Bretton
C’est la reconnaissance de fait de l’existence d’un système Européen, allant au-delà
de considérations purement politiques (Est vs Ouest), ou sectorielles (agriculture avec ou
contre industrie), mais appelant une logique d’intégration qui ne peut être que
monétaire. La monnaie Européenne, avant d’être l’euro, était annoncée comme unité de
compte des perspectives d’intégration de ce système. C’est la réponse au philosophe
TODOROV, qui dénonce le vice fondamental de l’Europe, sa tendance à ne pas savoir
trouver son équilibre, démontrée par la formule suivante. « Tout ce qui la divise l’unit.
Tout ce qui l’unit la divise. »
1464
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 790
Woods) à 1972/1973, deux ans seulement se sont passés avant que l’on
ne bascule vers les changes flexibles, avant même que ceux là soient
officiellement confirmés par une Conférence Internationale, celle de la
Jamaïque (en 1976). Dans le même temps, au contraire, les Européens
s’appliquaient à resserrer leurs marges.
Dès lors, la course monétaire entre Europe et Etats-Unis était
lancée, très doucement au début, car le Dollar bénéficiait d’une rente de
situation due à ses effets d’échelle. Mais dès 1973, les pays de la
Communauté ont compris que ce régime de change était une menace pour
la poursuite de l’intégration économique en Europe. Toute crise de
confiance quelque peu sévère dans le Dollar ouvrait l’éventail de la
variabilité des taux de change des monnaies européennes, bouleversait
toute vélléité de convergence des politiques monétaires… D’où les
réactions pour contrebalancer le mouvement naturel : l’accentuation des
fluctuations entre monnaies Européennes – monnaies « sous pression » à chaque fois que le Dollar faisait des siennes. Par exemple, lors de la
dévaluation du Dollar de 1973.
A la fin de 1973, un premier bilan montre les difficultés,
précisément, en présence d’une telle rente de situation que celle incarnée
par le Dollar, à créer l’Europe monétaire. De fait, il existe de fortes
différences de situation des monnaies des Etats membres, pour pouvoir
envisager un passage à la seconde étape, et des monnaies sont sorties du
serpent. Que s’est-il passé ?
D’un côté, la défense de sa rente de situation par l’Amérique, au
nom du marché qui justifie bien les changes flottants ! Au milieu, l’Europe,
qui veut montrer l’exemple, mais qui n’en a pas encore les moyens, car
elle est soumise à cette rente de situation qui lui est extérieure. De l’autre
côté, le bloc de l’Est, qui est prêt à exploser à cause de son incapacité à
gérer des problèmes monétaires et économiques externes, sociaux et
politiques internes : ceux-là du moins, on peut se mettre d’accord dessus.
L’attaque la plus brutale vient des pays producteurs de pétrole, qui
utilisent opportunément leur source d’énergie comme une arme
monétaire. Cela justifie d’ailleurs l’union sacrée monétaire entre Europe et
Etats-Unis. Cela est une illustration du trésor de diplomatie et du temps
nécessaire pour passer d’une monnaie clef à une autre. Entre temps, des
soubresauts peuvent surgir : le bloc de l’Est n’a pas les moyens de ces
soubresauts : l’OPEP alors ! La crise pétrolière a fait sortir des pays du
serpent. La France est sortie en 1974. Elle retourne dans le serpent en
1975. Les pays sont obligés de jouer pour ne pas montrer un conflit trop
ouvert et pour se couvrir ; et puis la monnaie, c’est un peu un jeu.
La leçon reste, et qui doit être comprise par les Européens, que le
système Européen est encore trop embryonnaire pour amortir une sévère
crise monétaire internationale. Mais il est trop facile d’accuser le manque
de volonté politique alors qu’il s’agit d’un système complexe,
manifestement encore à construire.
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 791
Les armes de la politique de change (défensives) :
A cette époque, la politique de change des banques centrales repose
sur trois principaux instruments :
- Les interventions stérilisées sur le marché des changes : il s’agit
de racheter ou de revendre la monnaie offerte en excédent, afin
qu’elle n’entrave pas les cours considérés a priori comme profitables
et stabilisateurs entre monnaies;
- La manipulation des taux d’intérêt : cette intervention repose sur
la conviction que les banques centrales nationales doivent conserver
quelque influence sur leurs taux, même si elle était plus pertinente à
l’époque des taux de change quasi fixes. Elle fut néanmoins possible
dans les années soixante-dix, tant que les mouvements de capitaux
internationaux n’étaient pas encore trop énormes ;
- Le contrôle des changes : à nouveau une réminiscence de méthode
déjà utilisée dans un assez lointain passé, savoir l’entre deux /
guerres, les années trente.
On voit donc que les méthodes utilisées sont défensives : elles renouent
avec un passé plus ancien, la véritable nouveauté étant cependant
constituée par les interventions stérilisées, rendues nécessaires par
l’augmentation démesurée des liquidités internationales. La politique de
change est l’arme de la défense contre la monnaie internationale dans ce
qu’elle peut avoir de menaçant – une menace pour la souveraineté
nationale -. Cette monnaie internationale1465 pourra néanmoins rester dans
le jeu, sur le double cheval de bataille : des changes flexibles, et de
l’alliance avec les titres internationaux. Elle devient alors plus que jamais
monnaie véhicule, avec de nouvelles contreparties aussi telle la monnaie
électronique
représentant
la
trésorerie
des
grands
groupes
1466
internationaux .
Le système monétaire Européen, l’E.C.U. : une gestion du change
désormais plus offensive, une politique monétaire moins
strictement défensive. La poursuite de l’intégration :
En 1978 est créé l’European Current Unit (ECU) : proto monnaie au
service d’un système monétaire embryonnaire, dernière étape avant le
Système Monétaire Européen. C’est une simple unité de compte servant à
la comptabilité entre Etats, sans doute rendue très utile par
l’augmentation de la taille des engagements financiers et monétaires
communs de ces Etats, de leur coordination accrue.
Qui a pu devenir ultérieurement aussi l’euro : dans une phase alors plus offensive
pour l’Europe.
1466
Cette dernière forme de monnaie peut sembler donner à « la monnaie » une forme de
plus en plus « logistique ». Du « commerce » à la « distribution », puis de la
« distribution » à la « logistique », la monnaie n’a pas fini de « fuir ». Il faut être à
l’écoute de quelque forme de transcendance pour appréhender les nouvelles et futures
formes sociales et organisationnelles prises par la monnaie. Cela veut dire qu’il y a aussi
1465
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 792
En 1979, neuf ans après le lancement du plan WERNER, le Système
Monétaire Européen est officiellement lancé. Il a toujours été reconnu que
le SME a été le résultat d’une initiative politique, plus que d’une réflexion
économique. Du moins cette initiative politique était sans doute nécessaire
pour que les Etats-Unis ne soient pas les seuls à supporter la
monétarisation de quatre zones du monde séparées entre elles (dont nous
avons déjà parlé) ! La réflexion économique en amont, quant à elle, eut
été trop vaste1467.
Du moins peut-on reconnaître que si, depuis le plan WERNER, le
mouvement en avant de l’Europe monétaire a été lent, il a été constant,
et n’a pas manqué de cohérence. Ce mouvement a su sans cesse réparer
ses erreurs, c’est-à-dire tenir compte des leçons du passé récent, pour ne
pas retomber dans les mêmes pièges1468 1469. Ainsi, la leçon du choc
pétrolier de 1973 a bien été retenue. Le SME a fort opportunément
répondu à l’impulsion inflationniste du second choc pétrolier, celui de
1979, pour effectuer son entrée.
La création du Système Monétaire Européen a été le débouché d’une
nouvelle crise, celle de 1977-1979. Ainsi, on peut dire que, une fois que le
projet d’Europe monétaire – et non pas uniquement proto monétaire –
était lancé en 1970, la logique d’un tel système était présente, et chaque
crise était une occasion de réagir, et faisant cela de pousser un avantage
stratégique, d’abord timide, comptable, virtuel, puis de plus en plus fort à
partir de la deuxième puis surtout de la troisième décennie.
D’ailleurs, il n’est pas indifférent de remarquer, que c’est la Grande
Bretagne, pays souvent présenté comme favorable au Dollar, qui a
déclenché la crise qui devait deux ans après aboutir au SME. En effet,
lorsque le 31 octobre 1977, Mr. Healey décide de laisser la Livre évoluer
librement sur le marché des changes, lorsqu’il décide donc de cesser
d’intervenir pour freiner la hausse du Sterling face au Dollar, ce n’est une
décision contraire à un système Européen quel qu’il soit. Son exemple est
d’ailleurs suivi par la Suisse, autre pays un peu « marginal » face aux
perspectives d’intégration monétaire de l’Europe. Dans un système – qui
pour être pleinement un « système » au sens de la théorie générique des
systèmes, doit pouvoir être à la fois, considéré comme « ouvert » ou
comme « fermé » -, ce n’est pas une moindre aide que ce soient les
marges de ce système qui se soient bougées pour l’aider à se constituer.
La Suisse, en effet, prit un certain nombre de mesures pour freiner la
hausse de sa monnaie : les avoirs en francs suisses des banques centrales
étrangères furent soumises à un intérêt négatif de 40% par an (2 mars
1978).
quelques risques de manipulation à ce sujet. L’Europe doit y répondre en ayant une
politique monétaire claire.
1467
C’est celle que nous tentons de mener trente ans après, avec un état des
anticipations sur l’euro autrement plus avancé !
1468
Il a répondu aussi à la concurrence du Dollar.
1469
La diplomatie fera le reste !
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 793
Dès lors, en trois mois à peine, entre avril et juillet 1978, les
grandes lignes d’un système monétaire Européen vont pouvoir être fixées.
A la Réunion de Copenhague (7 et 8 avril), on veut réconcilier stabilité et
croissance. Les frictions internes à l’Europe, cependant, prolongent les
frictions externes. Il s’agit aussi, il est vrai, d’apprivoiser les cycles, et tout
le monde ne le fait pas sans décalages de parts et d’autres. Les Français
et les Allemands, notamment, ont peut-être jugé que Suisse et Grande
Bretagne avaient étés trop loin. Toujours est-il : la position commune des
Français et des Allemands est plus ouvertement politique que celle des
francs tireurs britanniques et suisses ! Réunis ensemble, à l’exclusion des
Britanniques, pour le travail préparatoire à la réunion, les participants
franco-allemands considèrent la carence des Etats-Unis dans les réponses
en faveur de la croissance économique mondiale comme manifeste, qui
plus est dans un contexte d’endettement croissant. Ils décident donc que
l’Europe doit être capable de résoudre, toute seule, ses problèmes
monétaires, et former une zone de stabilité.
La Conférence de Brême (7 juillet 1978) permet d’aller plus loin. A la
fois dans l’intégration des disciplines de gestion, et dans la solidarité. Les
disciplines de gestion sont renforcées. D’autre part, le crédit des pays
excédentaires vers les pays déficitaires, est lui aussi renforcé. Par ailleurs,
on préconise un élargissement du serpent monétaire. Les pays les plus
fragiles, notamment l’Italie, bénéficient de marges de fluctuation plus
larges. Pour l’intégration, les marges de fluctuation ne sont plus calculées
par rapport à chacune des autres monnaies prises une par une, mais par
rapport à l’unité de compte Européenne qui serait un panier de monnaies.
Un fonds monétaire Européen est donc créé.
Une politique Européenne du Dollar est définie, maintenant que tous
sont réunis. L’idée est d’anticiper par rapport aux mouvements du Dollar
susceptibles de gêner la coordination et l’intégration Européennes : les
pays à monnaie faible devraient respecter leurs cours en durcissant leur
politique, et les pays à monnaie forte en l’assouplissant.
L’ECU voit sa composition modifiée, en 1984 puis en 1989. De
nouvelles devises arrivent. Le poids des monnaies fortes se renforce à
l’intérieur de l’ECU, systématiquement. Celui des monnaies faibles
diminue. C’est ainsi que l’intégration monétaire progressive se fait par le
haut, en s’inspirant les forts. Les faibles doivent faire des efforts pour
s’adapter1470.
Ces quelques années soixante dix virent la naissance d’une « idéologie » monétaire
tout à fait nouvelle en Europe. La politique monétaire Européenne proprement dite était
désormais accessible au « faire » !
1470
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 794
Idéologie, liquidité & inflation :
Il nous faut dire quelques mots sur les vestiges de l’économie
d’endettement issue de la décennie des années soixante. Elle se prolonge
dans les pays de l’Est, avec aucun moyen institutionnel pour y répondre.
Elle surgit dans le tiers monde. L’Europe et les Etats-Unis doivent alors
rester vigilants. L’Europe en créant un nouvel outil de compte : des
réserves juridiques de la future monnaie Européenne, incarnées dans les
réponses symétriques à la gestion des cycles courts de l’économie, euxmêmes enchâssés dans un cycle plus long… réserves juridiques vis-à-vis
du dollar et vis-à-vis du reste du monde. L’Amérique quant à elle adoptait
un comportement symétrique du comportement Européen: moins
comptable, plus commercial ; se placer soi-même, avec sa monnaie, sur le
marché. Deux-deux de chaque côté, l’équilibre est mouvant mais parfait
(comptable / commercial et endettement / « équilibre ») ; le système est
alors en mesure de « se restructurer dans la formalisation » avant de
connaître une nouvelle devise clef.
Qu’était l’ « économie d’endettement » dans les années soixante,
qui ont préparé un tel terrain ? Il s’agissait d’un système connaissant un
endettement marqué, à la fois des entreprises vis-à-vis des banques, et
du système bancaire vis-à-vis de la Banque Centrale. Il s’agissait d’une
économie de consensus sur le crédit : un crédit validé socialement, c’està-dire pas nécessairement qualifié d’ « endettement » à prime abord. En
clair, la finance indirecte avait prééminence sur les marchés des capitaux…
ce qui veut dire aussi un rôle important de l’Etat dans les circuits de
financement…
On peut discerner que le rapport de la conscience que l’on a du
crédit et de l’endettement, découle aussi de la liquidité. Plus grande est la
liquidité, plus puissant est le l’accélérateur du crédit. Mais cela peut aussi
attiser les manifestations inflationnistes. Au début des années soixante
dix, les agents passent massivement de la conscience du crédit au début
de conscience de l’endettement. En effet, le début de conflit monétaire
larvé Europe / Etats-Unis, et les endettements avérés de l’Est et du Sud :
tout cela rend sensible à cet aspect. Le but devient alors, jusqu’au début
de la décennie suivante des années quatre vingt, de stabiliser, de réduire
progressivement le taux de liquidité de l’économie. C’est le vrai début de
la croisade anti-inflationniste, encore discrète, en Europe. L’économie
monétaire s’y bat avec elle-même, et finit par reculer quand cela ne
s’accompagne pas d’avancées institutionnelles suffisamment rapides.
Jusqu’en 1977, on rencontre l’objectif. Puis, on connaît une nouvelle
fièvre, avec la tendance à la réduction de la vitesse, faisant
progressivement place à une augmentation jusqu’en 1982-1983. Cela
permet de souffler un peu : à partir de 1982-84, avec la politique de
rigueur, les besoins ressentis en liquidités se contractent.
La croisade anti-inflationniste vient des années à partir de 1979,
quand un certain nombre de théoriciens et de responsables (FRASER,
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 795
GREENSPAN, KYDLAND & PRESCOTT, BARRO & GORDON, TIETMEYER)
stipulent que toute politique monétaire autre qu’une politique adoptée
pour obtenir la stabilité des prix, échouera. De là l’idée un peu folle, visant
à rassurer les marchés, que la Banque centrale contrôlait effectivement
l’inflation1471 1472.
I.3. Europe / Etats-Unis : un bras de fer discret ; le rôle
de paratonnerre du D-mark :
Comment
aborder
la
gouvernementaux ?
crise
du
dollar
aux
niveaux
Suite aux négociations de fin 1978 entre Européens, notamment la
Conférence de Brême, le Dollar est durement attaqué : sa crise se
poursuit. Le 24 juillet 1978, il fait l’objet d’une profonde défiance sur
toutes les places du monde. Il a perdu en un an 29% par rapport au franc
suisse, 16,5% par rapport au deutsche mark.
Les autorités monétaires se révèlent diplomates, soucieuses de ne
pas entraîner trop de remous. La collaboration s’accroît entre les Banques
Centrales des Etats-Unis, de la R.F.A. et du Japon, pour les interventions
sur les marchés des changes. D’un côté, Allemands et Japonais n’ont pas
intérêt à déclencher la guerre monétaire, car ils ne disposent pas d’une
position de force telle que celle du Dollar. D’autre part, les Américains
n’ont pas intérêt à jouer les fiers à bras : mieux vaut suivre un peu les
marchés pour voir jusqu’où ils veulent aller et ce qu’ils indiquent. Cela
nous apporte du moins l’ouverture, élément nécessaire pour commencer à
mieux connaître le monde, qui a tellement changé 1473. En annonçant un
plan anti-inflationniste, le président Carter indique une direction pour
l’économie monde, non pour la seule économie Américaine, position que
les autres sont incités à l’aider à refinancer. Mais cette déclaration fait tout
de même chuter encore le Dollar : voilà où les marchés voulaient aller.
Le bras de fer entre Europe et Dollar reste discret à ce stade. Les
dirigeants Européens ne veulent pas déclencher la guerre contre le Dollar,
mais seulement signaler la position du mark, et accroître leur solidarité et
Ceci dit, il faut dire aussi que l’on se battait un peu contre des fantômes. On voulait
contrôler la liquidité, lutter contre l’inflation, mais on ne pouvait stopper brutalement
l’augmentation de l’endettement « étatique ». Du moins cette volonté affirmée permettait
de formaliser et d’institutionnaliser les choses, donc d’agir sur la structure monétaire, et
c’était bien en effet l’essentiel.
1472
Partant de là, il fallait donc éviter ce que l’on avait connu un siècle avant : l’inflation
qui mène au décrochage du système monétaire… puis peut se transformer en guerres
monétaires. Il ne s’agit pas d’une « partie de billard » : mais au contraire d’une
démonstration par l’exemple… à suivre !
1473
N’oublions pas que la nouvelle politique monétaire se déroule à un niveau quasi
mondial, depuis ces fameuses années soixante.
1471
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 796
leur intégration : afin de se voir reconnaître plus tard de nouvelles
prérogatives monétaires à l’extérieur, et chez eux par leurs peuples (enjeu
peut-être plus délicat car il y rentre des susceptibilités historiques
nationales). Les dirigeants Européens pensent qu’il est trop tôt pour fixer
un cours communautaire du Dollar : il est plus urgent pour eux de
s’assurer de leur propre cohésion, que d’attaquer à l’extérieur. Il ne
faudrait pas non plus s’attendre, dès le 1er janvier 1979, à la mise en place
d’un dispositif de nature à changer substantiellement les marchés des
changes Européens.
La priorité est décidément de s’assurer de la compréhension entre
Européens, qu’il y a quelque chose à faire ensemble, au sujet de la
monnaie ! On met en place des mécanismes assez souples, pour
permettre aux pays les plus faibles économiquement, l’Italie et la Grande
Bretagne, d’adhérer au nouveau système. En même temps, toute
intégration des procédures de gestion une fois acquise, on ne revient plus
dessus : on restera assez contraignant pour aller à l’encontre des
tendances inflationnistes, suivant en cela les conseils Américains !
Au niveau mondial, la nouvelle donne : les taux de change
flottants :
Japon, USA, Canada, dans une moindre mesure la Grande Bretagne,
ont autorisé leurs monnaies à flotter. En fait, pratiquement toutes les
autres monnaies sont demeurées à peu près fixes. De 1973 à 1981, le
dollar fluctua d’un écart de 12%, le Mark Allemand lui a répondu : environ
14%. Les taux de change flottants sont de principe face à la crise de la
monnaie internationale. En même temps, pendant une décennie, les
gouvernements ont des moyens de concertation pour éviter le chaos. Une
crise plus profonde a été largement anticipée.
I.4. Nouvelles
contraintes :
la
concurrence
monnaie / marchandise, le pétrole :
d’une
Les euro Dollars ont été recyclés dans les pétro Dollars. C’est une
façon plus discrète, pour les pays développés, de prêter au Tiers Monde,
que de déléguer ces opérations en faisant prêter – et en faisant donner –
aux pays du Tiers Monde par le biais des pays de l’Organisation des
Producteurs de Pétroles. Ces derniers peuvent se payer des deux côtés :
politiquement, ils signalent leur rôle de parrainage du Tiers Monde, et ils
diminuent d’autant l’autorité des Etats-Unis. Monétairement, ils utilisent le
pétrole comme une monnaie marchandise.
C’est l’histoire du chien dans un jeu de quille. L’inflation due aux prix
de l’énergie vient gonfler l’inflation monétaire issue des années soixante.
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 797
Pour l’Europe, c’est l’occasion d’être prise en porte à faux entre deux
types d’inflation : Américaine et « du Golfe », monétaire et énergétique.
Cela est de nature de remettre à plat et de perturber profondément toutes
les nouvelles perspectives et conceptions de la gestion des cycles…
Européennes !
I.5. Les nouvelles mesures et perspectives
économiques à la fin de la décennie :
macro
L’état des lieux :
Pétrole, endettement du Tiers Monde, perspectives d’effondrement à
l’Est, contradiction avérée et reconnue désormais entre les ambitions
mondiales et les ambitions nationales du Dollar, tensions sur le marché
des changes entre Dollar et monnaie Européenne, manière de gérer les
changes flexibles avec la guerre commerciale et la guerre monétaire : la
décennie soixante-dix est une décennie de crise profonde, car on n’a
aucune réponse aux questions qui se posent de façon tout à fait nouvelle.
La problématique macro économique dans un cadre monétaire :
Les pays, encore insuffisamment intégrés au plan Européen, sont
pris en porte à faux entre une vision nationale, et une vision mondiale où
ils se verraient toujours des concurrents de l’Amérique, au nom de valeurs
qu’un petit pays ne suffit pourtant plus à pouvoir financer. Quelles sont la
vision nationale et la vision intra mondiale ?
Au niveau national, il s’agit de reconduire les acquis sociaux (Etat
providence), et si possible, de les renforcer en cas de crise. Les pays
s’endettent, puis dans un second cas, tiennent un discours plus restrictif.
En 1974, le taux d’alerte de l’endettement national (15% / PIB) est
signalé dépassé par le FMI. Si la France était un pays du Tiers Monde du
point de vue de son autorité politique, et ne bénéficiait pas d’une
réputation de stabilité, ni de la protection de la puissante Amérique, ce
pays serait alors mis en procédure de redressement par le Fonds.
Au niveau mondial, l’approche est plus défensive : elle est
existentielle, identitaire ; on fait l’effort de s’apprivoiser l’Europe au nom
du monde. Entre l’Amérique, l’Est, et les pays pétroliers, c’est un étroit
chemin. L’Asie qui commence à décoller, l’Afrique qui s’enfonce,
l’Amérique Latine qui stagne, sont par contre plus loin.
Le problème est fondamentalement un problème d’incohérence
temporelle : comment utiliser la décennie du ressaisissement – les
premiers prodromes d’un système monétaire Européen, gage d’une
cohérence temporelle à long terme -, pour ne plus perdre de terrain, pour
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 798
pouvoir lancer le match avec le parrain Américain – le dollar -, pour
pouvoir reconquérir des perspectives durables sur le financement des
systèmes sociaux, nationaux et économiques ?
Entre 1°) le développement humain, qui nécessite une génération,
et que l’on sait désormais financer – qui est le nouveau « réel » : un
horizon humain mû par la solidarité dans le développement -, 2°) la
marge de gestion par rapport à cette structure – qui est le fonctionnement
du système de crédit y afférant, sur lequel on peut gagner ou on peut
perdre ce que l’on l’a accumulé en capital humain opérationnel, en
fonction des relations de change avec l’extérieur, et pour finir 3°) le méta
financement, l’évolution, la perspective de développement durable, il est
trop clair qu’il faut une deuxième génération pour prendre pleinement
conscience des conséquences du système, et le retourner en un système
de crédit géo politique à notre avantage. Mais, comme on ne sait pas
compter de un à deux, mais seulement de un à trois, car il nous faut
un garant, une caution, un troisième terme, pour attacher la chose à
son financement, l’objet à sa relation de propriété qui seule donne la vraie
valeur de cette entité : on a peur de tout perdre encore, au bout de ces
deux générations, si le système produit un tel effort qu’il ne peut plus
garder d’énergie pour se souvenir des points pivots internes qui lui ont
permis de se constituer… la perte de mémoire et d’énergie pourrait alors
être totale à la fin, et avec cela, la destruction obligatoire du système
comme cela s’est souvent produit sous la forme de la guerre. On a donc
peur de manquer in fine du terme symbolique, des valeurs dans l’histoire,
dans une perspective de développement durable fondant les modèles
sociaux des prochains siècles. On a besoin d’accumuler plus que la seule
structure – la « matière humaine » - et le fonctionnement des relations de
crédit internes et externes du système ouvert / fermé. On veut plus que
seulement un réel stable et un financier stable. On veut de la croissance
que l’on n’arrive pas toujours à bien démêler de l’inflation, car c’est tout
un système que nous avons décrit ici, en gestation.
Tout se résume finalement, c’est notre conclusion provisoire pour
cette époque et cette phase du raisonnement, à la croissance : on ne sait
pas fonctionner ni réfléchir sans croissance, car la poursuite de la
croissance (du terme réel 1) est sémantiquement inséparable de la
poursuite du surplus monétaire (2) qui va permettre d’investir dans un
futur amélioré (3), ceci depuis deux siècles.
Que peut-on dire de la croissance en 1979 : en général, et en
rapport avec le système à trois périodes temporelles et à quatre ou six
régions, que nous avons décrit ?
Si les zones à développer sont supposées géo politiquement
endettées, et les deux ou trois autres zones (Amérique, Europe,
opportunément alliés à l’OPEP) solvables, alors le système est en équilibre
car il a au moins 50% de régions solvables. L’Europe, qui fait partie des
pays du haut du tableau, peut se préoccuper prioritairement de sa
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 799
propre situation, et doit défendre ses propres intérêts, sans craindre d’être
trop happée par les turpitudes d’autres zones du monde.
Elle tient comme à la prunelle de ses yeux à une chose : son niveau
de développement, son revenu. Elle ne veut pas retourner en arrière. En
fonction de ce que nous avons vu, il n’est que trop clair alors, qu’elle va
gérer particulièrement ses relations de change, et essayer de désigner un
autre responsable qu’elle-même, de ses éventuelles difficultés.
La prise de conscience a eu vraiment lieu en 1977, tout à fait
parallèlement à la crise grave du Dollar. Il faut dire que durant plus de six
mois, de septembre 1977 à avril 1978, l’économie mondiale est
caractérisée par un désordre monétaire permanent, qui s’articule autour
de la dépréciation du Dollar. Or, il est facile d’attaquer un adversaire
affaibli. C’est la fameuse parabole de la « bagarre dans le café » : une
bagarre se déclenche dans un café, généralement en attaquant un
individu au moment où il a trop bu… Il faut dire que les conséquences de
la relative « griserie » Américaine sont inquiétantes pour tout le monde :
on annonce un déficit probable de trente milliards de Dollars de la balance
des paiements.
Les recettes Américaines pour sortir de la crise monétaire, ne
marchent manifestement pas, en tout cas pas à court / moyen terme. Elle
s ne marchent pas à l’intérieur : le fait d’avoir permis au Dollar de flotter,
n’a pas rééquilibré les balances des paiements, en particulier celle des
Etats-Unis, comme Milton FRIEDMAN l’avait pourtant prédit. Elles ne
marchent pas plus à l’extérieur, où ne règne pas la stabilité, mais la
guerre monétaire. Les Américains sont un peu autistes, ils font payer leurs
difficultés aux autres. En effet, ils mènent une guerre commerciale, grâce
à une monnaie qui chute, en reportant les déficits commerciaux sur les
autres. Cela veut dire clairement, pour les Européens, qui n’ont pas
l’avantage quant à eux, d’avoir comme les Américains une deuxième grille
de lecture possible de leurs monnaies, qui ne sont pas des devises clefs :
qu’ils perdent des exportations à cause de ces fluctuations monétaires,
qu’il ne serait pas du sens commun de vouloir imputer à une volonté de
stabilité. Parce qu’ils perdent des exportations, ils perdent de la
croissance. Le tour est vite fait. Les Américains nous font retourner en
arrière, en mangeant notre marge de gestion de notre système de crédit,
et en se l’appropriant selon des figures qui ne font pas partie « des règles
normales » du jeu des échanges internationaux, mais d’un jeu « dérivé de
la guerre ». 1474 A partir du moment où l’on empêche un partenaire /
grande région (comme l’Europe), d’entretenir sa pelote de crédit en plus
de son acquis de développement du niveau de revenu, on transgresse les
règles nouvelles et encore non dites, mais incontournables, du jeu du
développement international qui doit être coordonné. Ce type de jeu sera
défendu par la phase de rayonnement monétaire Européen 1475. Ce jeu est
un jeu monétaire, en vue de défendre son exception culturelle et ses
valeurs sociales à un horizon soutenable.
1474
1475
Il s’agit de la « guerre monétaire », Dieu Merci !
Ceci est une prophétie auto réalisatrice, que nous nous autorisons.
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 800
La première fois que les Américains nous ont amené dans ce cas de
figure de guerre monétaire, c’était à cette époque, dans les années 1970.
Croissance et monnaie, suite :
Pendant la décennie soixante dix, on a défait la pelote de laine du
fait des conflits monétaires entre Européens et Américains. La réaction de
retour sur l’économie réelle, est que la croissance bute sur l’économie
monétaire. En clair c’est la stagflation.
Le 15 Septembre 1977, la C.E.E. fait paraître un rapport insistant
sur l’importance d’une forte croissance. Tous les problèmes sont passés en
revue. Le lien est établi entre relance, stabilité des changes et lutte contre
l’inflation. Le risque est pointé, qu’une politique de relance menée dans un
pays ait pour effet de provoquer une spéculation sur les changes. C’est
aussi pourquoi l’objectif de non inflation est si important en relation avec
les autres pays : dans un but de meilleure coordination entre les zones
commerciales dans une Europe et dans un monde économiquement plus
intégrés. Premièrement, parce que c’est la seule façon d’arriver à des
anticipations saines en Europe – et largement communes -.
Deuxièmement, sans doute cela n’a t’il pas été dit, mais c’était depuis
cette époque toujours implicite, l’Amérique avec la charge de la première
monnaie internationale, sera toujours susceptible de connaître plus
d’inflation que l’Europe – à condition que l’Europe parvienne à se
concerter et à se coordonner -, par le biais de l’inflation exportée à travers
la monnaie internationale et les liquidités qui vont avec. A partir de là, la
lutte contre l’inflation devient un objectif deux fois stratégique : parce qu’il
est bon en lui-même, mais aussi parce qu’il permet de se démarquer des
Américains. Les Européens sont toutefois les premiers à profiter des
liquidités (qui ont triplé depuis 1970) qu’ « ils estiment suffisantes ». Le
vrai combat est à plus long terme. On ne parle, avec les liquidités, que de
refinancement, pas de la structure.
Mais il faut aussi rendre à César ce qui lui appartient. Ce sont les
Américains qui ont déclenché la croisade anti-inflation. C’est Paul Volker,
président de la Réserve Fédérale Américaine, qui a impulsé cet objectif
décrété priorité mondiale au sommet du G5 à Tokyo en 1979. C’était aussi
une contestation, de la part des monnaies reconnues – au premier rang
desquelles le Dollar – que les monnaies marchandises – le pétrole –
puissent empêcher la monnaie officielle d’imposer un ordre économique
mondial non inflationniste.
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 801
L’acharnement des Européens à
monétaire : de 1982 à 1992 :
II.1.
sortir
du
dilemme
Un contexte technologique révolutionnaire :
Les innovations financières :
Les innovations financières découlent du fait que depuis les années
quatre vingt, les banques, qui dirigeaient jusque là un système basé sur la
finance intermédiée, ont abandonné à la finance directe, c’est-à-dire aux
marchés financiers, leur position dominante sur les marchés.
Les autorités monétaires quant à elles, ont abandonné leurs
contrôles administratifs sur les taux d’intérêt, et sur les mouvements
internationaux de capitaux.
Au départ, le fait que la monnaie soit placée elle-même sur le
marché, et non plus en recul de celui-ci, fait que le régime des marchés
de la monnaie et de la finance soit celui de la concurrence comme seul
mode de régulation. L’ultime façon de la monnaie dominante de se
protéger des aspects les plus déstabilisateurs de cette concurrence est de
se placer à l’abri derrière des taux d’intérêt suffisamment élevés.
Découlent des taux d’intérêt, les taux de change. Par rapport à la
domination du temps qui est celle des Etats-Unis, les outsiders essaient de
récupérer une domination partielle de l’espace sous la coupe du système
hégémonique Américain. Rappelons-nous : tant que la monnaie
Américaine n’était pas contestée, celle-ci était, contrairement à ce que fut
la Livre Sterling à sa belle époque (monnaie « verticale » régnant de façon
autoritaire sur le temps, grâce au taux d’escompte), une monnaie
« horizontale ». Elle avait introduit une « innovation » dans le système
monétaire international : une monnaie pour une géographie apaisée,
véritable fer de lance pour le triomphe d’un système basé sur la
« liberté »… les valeurs étaient transmises avec une vraie générosité à
l’égard de la « vieille Europe » et un système de financement de la
croissance mondiale axé sur des relations symétriques entre la vieille
Europe et la jeune Amérique : gestion de la tension monnaie-marchandise
(pétrole) / monnaie de crédit, tout près de l’Europe, entre Europe et
Afrique, tolérance au développement d’un troisième pôle à l’extrême
Eurasie (au Japon et chez ses quelques protégés), « containment »
partout ailleurs : autoritaire en Amérique du Sud, « sec » en Afrique (pas
de crédit), diplomatique autour du bloc de l’Est. La liberté était « gérée » :
maximale à domicile, moindre ailleurs. Les « valeurs » étaient largement
diffusées, rapidement, c’est-à-dire horizontalement, dans ce contexte, au
niveau mondial, avec tout de même une moitié « facile », et une moitié
difficile. Dès lors que le Dollar se sent menacé, tout change ! Le Dollar ne
représente plus un rapport de diffusion de droits. Il représente un rapport
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 802
de tensions. Autrefois, les droits étaient effectivement diffusés, parce qu’il
y avait un relais du monétaire au social : le Dollar était immédiatement
relayé par du crédit, il y avait un continuum dollars / euro et pétro
Dollars / liquidités et crédits. Désormais, avec des taux d’intérêt réels très
élevés, les pays bénéficient d’un accès plus ou moins facile, voire très
difficile, à la liberté économique. Dans le pire des cas, ils peuvent faire
face à une véritable spirale d’endettement. Le Dollar menacé, dans sa
troisième période, retrouve les prérogatives de monnaie verticale de la
Livre Sterling telle qu’elle avait été dans tout son cycle de devise clef.
C’est une régression. Mais il faut dire à décharge que le Dollar joue sa
crédibilité sur un territoire considérablement élargi, par rapport à celui qui
avait été celui de la Livre Sterling.
Les marchés financiers ne font que reprendre ces « contraintes de la
liberté » pour rendre le système au final un peu moins inacceptable.
Quelles sont donc ces innovations financières ?
On peut parler justement de la « révolution Milken », du nom de ce
financier qui a développé la titrisation à Wall Street, dans les années
quatre vingt, avant de finir sous les barreaux pour avoir créé trop de
« titres poubelle » (les junk bonds). Les principales tendances sont : les
marchés d’option, les marchés de swaps, les marchés de change, et tous
les marchés dérivés. Par ailleurs, toutes les formes d’épargne sont au
maximum titrisées : ainsi l’immobilier se trouve lui aussi titrisé.
Les conséquences monétaires des innovations financières : la
substitution monnaie / titres :
La concurrence sur ces marchés, signifie aussi une concurrence
entre monnaie internationale principale (le Dollar), entre monnaies
internationales secondaires, et entre monnaies privées. Ces « monnaies
privées » sont représentées par des titres.
Il est facile de comprendre, pourquoi les titres en viennent à servir
de substituts à la monnaie. Il y a à cela plusieurs raisons.
- Tout d’abord, on a vu que désormais la monnaie est sur le
marché. Le « moyen » de l’économie est sur le marché, et ne
dispose plus d’une protection institutionnelle. Cela veut dire que le
temps du Dollar est désormais compté, ce qui justifie que le Dollar
va vendre le temps encore plus cher. Mais, attachés à la monnaie
Américaine, de multiples produits dérivés, par des astuces
techniques, vont permettre de « relancer » cette monnaie afin
qu’elle continue de permettre de gérer des liens de propriété à
distance. Ceci étant, réduite à elle-même, on peut considérer que
cette monnaie voit virtuellement son temps compté, dans la mesure
où si elle est livrée à elle-même, on lui chercherait en vain des
garanties. Or, précisément, les titres peuvent servir de garanties et
éviter que le Dollar soit livré à lui-même. Comment ? Parce que les
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 803
compagnies privées de par le monde peuvent offrir une garantie sur
le terme de leur capacité d’investissement efficace dans leur secteur
d’activité, ces compagnies ont un terme d’anticipations qui est non
nul, et qui peut servir à valider des anticipations collectives sur des
termes d’investissement non nuls. Par conséquent, le terme
d’investissement efficace d’un titre donné, est réputé plus long que
le terme d’investissement du Dollar « presque livré à lui-même ».
- Les titres sont souvent rattachés à l’économie internationale, de
façon certaine en tous cas, d’une manière plus concrète que le
Dollar lui-même. La monnaie hésitante entre sa fonction de monnaie
internationale et sa fonction de monnaie nationale, trouve dans les
titres un moyen de se rattacher à l’économie internationale. Ce n’est
plus le Dollar qui soutient l’économie internationale, mais le
contraire. « Après avoir formé vos structures, celles-ci vous
forment ». 1476
- Les titres sont un moyen de retrouver une proportion correcte de
fonds propres dans l’économie. C’est pourquoi la monnaie arrimée
aux titres est davantage arrimée à des fonds propres, que la
monnaie arrimée à du crédit.
- C’est pourquoi aussi on consolide la monnaie en introduisant un
certain nombre de titres dans les agrégats monétaires. M3 contient
des titres. Dans ce contexte, les SICAV et les FCP offrent de
nombreux produits de refinancement et de placement à court terme,
considérés dans ce contexte comme de la quasi-monnaie. On
reconnaît par là le pouvoir grandissant des monnaies privées
aujourd’hui dans l’économie. Dans un univers d’investissement qui
n’est pas homogène, on attribue ainsi une « prime » d’autorité
institutionnelle, à certains grands acteurs qui prennent des risques.
Le refinancement de la monnaie par les titres, ne fait que retarder le
recul du Dollar. De 1973 à 1990, le Dollar a perdu deux fois plus de
pouvoir d’achat qu’entre 1948 et 1972, face pourtant à une meilleure
stabilité des prix : soit 50% de pouvoir d’achat en moins.
D’une
régulation nationale par l’inflation
international par les taux d’intérêt :
à
un
ajustement
Du fait que les autorités ont abandonné leurs contrôles
administratifs sur les taux d’intérêt et les mouvements de capitaux, les
taux d’intérêt sont devenus la principale variable d’ajustement entre
épargne et investissement. Quand l’épargne vient à manquer ex ante, le
taux d’intérêt nominal s’élève alors. L’inflation est toujours contrainte par
le régime financier, à partir du moment où l’on a reconnu que toute
inflation est d’abord monétaire. Il en découle que si le taux d’intérêt
nominal s’est élevé, le taux d’intérêt réel va s’élever aussi. L’équilibre
macro économique peut alors être obtenu par une baisse de
l’investissement.
1476
Pour reprendre une célèbre citation de Winston CHURCHILL.
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 804
Pour AGLIETTA (1995), « la finance libéralisée favorise une inflation
stable et basse, mais entraîne l’accumulation du capital ». A une
régulation nationale par l’inflation s’est substitué un ajustement
international par les taux d’intérêt. Autrefois, les pays, protégés
institutionnellement par les conventions internationales de taux de
change, étaient tentés par une certaine irresponsabilité : nourrir l’inflation
jusqu’à certaines limites, jouer avec les limites du système comme on
joue avec les limites du crédit entre les générations. La finance directe
sape l’inflation à la racine. Les Etats perdent une grande partie de leur
légitimité vis-à-vis de leurs peuples. Ce sont alors les investisseurs privés
qui peuvent se rattraper. Tant qu’une nouvelle régulation et une nouvelle
rationalité, non pas au niveau des Etats, mais au niveau des individus 1477,
n’a pas vue le jour, ils rendent « l’argent » cher, en le privatisant et en
l’accumulant, sous forme de capital (argent privé).
Mécaniquement, on peut comparer les deux systèmes. Dans l’ancien
système financier, administré, le taux d’intérêt réel a tendance à sans
cesse baisser, puisque l’inflation s’accélère et que le taux d’intérêt nominal
est rigide. Au contraire, dans le système financier libéralisé, plus récent, le
taux d’intérêt peut s’élever pour restaurer le rééquilibrage macro
économique. Trop d’inflation est une drogue pour la monnaie nationale, ce
qui se termine mal. Pas assez est un bol d’air pour la monnaie
internationale, mais aussi le signe que l’on ne tire pas d’elle le maximum,
du point de vue de l’intérêt mondial. Il faudrait pouvoir parvenir à un
équilibre. Mais un « équilibre » est impossible en présence d’une
contradiction (contradiction entre le terme régional et le terme mondial).
Des figures succèdent à d’autres, en fonction des circonstances et des
rapports de force du moment.
Dans les années quatre vingt, les taux d’intérêt réels sont élevés :
les taux de long terme sont passés de deux virgule cinq points en dessous
du taux de croissance, avant 1980, à environ trois points au-dessus après.
De ce point de vue, il y a un rattrapage. Grâce aux taux d’intérêt, la lutte
contre l’inflation au niveau national, voisine avec le désendettement, du
point de vue des entreprises. Tout est orienté, par elles, vers des
stratégies de restructuration de bilans, pour apparaître en bonne figure à
la bourse : désendettement et achat de titres financiers… en vue d’être
des acteurs financiers, de mieux présenter l’argent. Lorsque l’on a
d’emblée la surface financière suffisante, au contraire, les entreprises
contractent des emprunts considérables, pour des stratégies financières
d’endiguement de leurs marchés, plus que pour des projets immédiats
concrets. Chacun vise à se couvrir des risques de l’argent, tout en utilisant
et en « présentant » celui-ci au mieux. Suivant sa taille, on a plus ou
moins accès au crédit, quand celui-ci devient moins couvert par la
monnaie1478.
Ou au niveau de l’Europe. Ce qui serait quelque part plus rassurant.
On peut défendre l’idée selon laquelle certaines multinationales seraient aujourd’hui
économiquement plus puissantes que des Etats, et même pas des moindres, surtout si
l’on privilégie une vision de l’économie orientée autour du risque. Mais cela ne dessine
1477
1478
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 805
Il y a une course entre intérêts publics et intérêts privés, qui il y a
peu n’existait pas. Les Etats nations se protègent derrière leurs déficits
publics, mais puisque ce sont désormais les marchés financiers les
arbitres, ceux-ci ripostent en élevant le taux de l’intérêt… qui fait monter
les déficits… ainsi les Etats n’ont pas une très grande marge de
manœuvre. Les banques, avec les Etats, voient leur rôle régresser… sauf
si elles se sont placées elles aussi sur les marchés en devenant
conjointement banque / industrie et banque / assurance en plus de leur
métier traditionnel1479. La marge globale d’intermédiation, elle, écart entre
intérêts versés et intérêts perçus, a chutée brusquement depuis 1986.
Les fusions acquisitions et la mutation de la gestion des droits de
propriété dans le monde : comparaison de la mondialisation
actuelle avec la première mondialisation de 1870-1914 :
Les années quatre vingt connaissent un fort mouvement de fusionsacquisitions transfrontalières1480.
La déréglementation bancaire :
Pendant plusieurs années de taux de change flottants, les marchés
bancaires nationaux restent encore assez protégés. Chaque pays fait
toujours confiance à la finance intermédiée, et surtout au keynésianisme
qui suppose des marchés nationaux relativement cloisonnés, puisque dans
le cadre keynésien c’est l’Etat nation qui est la première source de
régulation. De fait, de 1972 à 1983, le régime se caractérise à la fois par
l’existence d’un contrôle des changes, par le recours à l’encadrement du
crédit, et par l’importance des crédits à taux privilégiés, voulus par l’Etat.
Dans ces conditions, la déconnexion entre taux d’intérêt nationaux et taux
d’intérêt étrangers, est en fait assez parfaite dans le court terme.
Mais la pression mise sur les agents privés, dans un contexte de
spéculation monétaire et financière généralisée, due aux taux flottants,
rend inévitable l’existence du continuum monnaie / finance, et crée un
grand appel d’air vers, sinon une régulation nouvelle au niveau mondial,
du moins dans un premier temps l’existence d’un marché mondial de la
finance qui en impose à la monnaie : la monnaie est vraiment confrontée
au marché pour conforter sa dimension mondiale, du moment que la
nullement une politique macro économique alternative.
1479
Ce fut, en France, la stratégie du Crédit Lyonnais… avec un succès mitigé, il faut bien
le dire.
1480
Si on place en rapport trois phénomènes importants : mouvements de capital
financier transfrontaliers notamment en Europe, amélioration apparente du bilan des
entreprises mais parfois au prix d’une augmentation de la part des opérations hors bilan
dans la vie de ces entreprises, on voit que l’économie réelle s’est ajustée aux nouvelles
contraintes, avant le développement d’une macro économie Européenne intégrant
monnaie & budget (qui resterait encore à bâtir pour l’essentiel)… Mais aussi avec certains
risques en Europe, et encore des risques certains dans le monde…
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 806
dimension nationale Américaine se heurte aux déficits. La conséquence est
immédiate : il faut ouvrir les marchés bancaires intermédiés aux marchés
de la finance directe.
Les banques sont privatisées, à partir de 1986, en France. La même
année, l’Acte Unique Européen prévoit pour 1992 la libre circulation des
mouvements de capitaux en Europe. Les réglementations nationales en
matière bancaire sont harmonisées par les directives de 1987 et 1989. Du
point de vue du crédit, l’ère du keynésianisme se termine, du moins au
niveau national. Toutes les pratiques de bonification de taux et
d’encadrement du crédit sont abolies en France. Par ailleurs, le marché
mondial s’avère très efficace pour une certaine dimension d’auto
régulation : en quelques années, les différentiels de taux d’intérêt se sont
considérablement amincis, spécialement pour le court terme.
Cela permet de créer un grand marché obligataire : le secteur privé
refinance la dette de l’Etat1481. Le marché de la dette publique française
devient un des plus actifs et des plus internationalisés, ce qui prouve que
l’économie française a des adeptes parmi les investisseurs. Le marché
obligataire sert de base au développement du marché des taux.
Une déréglementation qui n’empêche pas les crises :
La déréglementation bancaire prend acte que c’est désormais des
marchés que viennent les impulsions économiques, les régulations
nationales étant à revoir et l’hégémonie Américaine étant remise en cause
du fait de la crise du dollar. Mais le fait que tout le système financier
passe « à la machine à laver » met une pression telle sur le système que
cela ne se passe pas sans crise. En 1987, c’est le krach boursier de Wall
Street, qui se répercute sur toutes les places Européennes. Puis c’est la
faillite des Caisses d’Epargne Américaines (plus des deux tiers
disparaissent), qui finançaient du long terme par du court terme.
Ainsi, les crises financières des années quatre vingt, suivent les
crises de change des années soixante dix, et la crise des liquidités des
années soixante.
Les crises invitent à une réflexion sur la régulation, qu’elle soit
mondiale, internationale ou régionale (mais moindrement nationale). 1482
Néanmoins, un système marqué par l’accumulation primitive du capital
financier a pour lui un formidable dynamisme. Les crises, de plus en plus
fréquentes, sont aussi l’occasion de proposer de nouveaux produits
financiers. Le rebond hors de la crise est rapide, alors que les
investissements financiers remplacent de plus en plus les investissements
Va t’on vers une dimension mondiale pour les actions, une dimension liée aux
grandes régions pour les obligations, des mécanismes variés de défense pour les
anciennes monnaies ? Il est encore trop tôt pour le dire.
1482
A partir de là commence plus ou moins notre réflexion sur la situation actuelle.
L’analyse de l’histoire des vingt dernières années, qui suit : sera vraiment orientée vers
une mise en perspective.
1481
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 807
industriels. Depuis le début des années quatre vingt, aussi bien les taux
d’investissement que les taux d’épargne – tous deux mesurés de façon
classique (taux d’investissement dans les machines en contexte industriel,
taux d’épargne limité à la finance classique sans prise en compte de
l’épargne en capital humain) - 1483 ont beaucoup fléchi dans les principaux
pays. On cherche des garanties dans le monde plutôt que d’investir
industriellement chez soi. En fait, une « régulation » nationale continue de
s’effectuer « par défaut ». Les tensions sur l’équilibre épargne /
investissement peuvent se résorber, à l’échelle de la nation, à la fois par
de la création monétaire et par de l’inflation1484.
Il est vrai que le mode de régulation du marché est « naturel » :
c’est la crise !
Que dire des taux d’intérêt :
Selon WRAY, une politique de forts taux d’intérêt : augmente bien
sûr les déficits gouvernementaux. Cela peut donc être un moyen de
monétiser la dette ou plutôt de faire dépendre la monnaie d’un fort taux
d’endettement, de l’affaiblir. Par ailleurs, cela diminue à coup sûr les taux
de croissance de l’économie, par une chute de l’investissement. En
rendant l’investissement plus cher, on handicape doublement l’économie :
conjoncturellement (à chaque fois qu’on emprunte), et structurellement,
par un effet systémique. Une telle décision doit être comprise,
systémiquement, comme le besoin de prendre du recul par rapport à
l’économie, avant d’être sûr de vouloir la relancer 1485. Cela traduit un
manque de confiance dans l’économie telle qu’elle est… et donc un certain
passage à vide de la monnaie. Faute d’une cohérence suffisante du
nouveau système, toutes les monnaies pâtissent de la chute du dollar,
d’où la solution provisoire de la remontée du Dollar, à partir de 1985.
Sans doute faudra t’il, à l’avenir, tâcher d’harmoniser ces différents aspects,
notamment en vue du calcul de la productivité, nouvelle mesure micro économique
annoncée, pour une nouvelle régulation macro économique souhaitable.
1484
Cette capacité de régulation par défaut, dans un monde où le territoire de la
monétarisation a considérablement augmenté, permet de gérer beaucoup plus
doucement les transitions, et ce malgré les scenarii catastrophistes. Une telle capacité
n’existait pas au siècle dernier.
1485
… Et comment ?
1483
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 808
II.2.
Une
Europe / Etats-Unis :
grosse tension Dollar / monnaies Européennes,
l’arbitrage du yen : dérivatifs à la guerre monétaire :
avec
Le Dollar a connu deux périodes de relative faiblesse contre les
monnaies Européennes : de 1973 à 1979 (crises au niveau des changes)
une première fois. Puis « le couvert » fut remis sur la période 1979-1985.
Avec la politique reaganienne de forts déficits à l’intérieur, adossés à de
forts taux d’intérêt à l’extérieur, la parade était trouvée, et le Dollar a
connu une phase de grande montée. La surévaluation réelle du Dollar (par
rapport aux fondamentaux de l’économie réelle) aurait été de 40% en
1985. Les écarts de taux d’intérêt ont pu provoquer une bulle spéculative
en faveur du Dollar. C’est dire qu’il y avait préjudice, pour les économies
européennes. L’excédent commercial allemand emportait le deutsche
mark à la hausse… moins que les déficits Américains. La logique
monétaire l’emportait face à la logique réelle – handicapée par un déficit
d’homogénéité de la part des économies Européennes – pour imposer ce
résultat. La confiance était du côté Américain1486. Certains fondamentaux
en termes d’échanges réels, restent cependant bons du côté Européen :
après la réunification allemande, des excédents commerciaux français et
italiens ont pris le relais des anciens excédents allemands. Cela prépare
l’avenir de la monnaie Européenne.
Les
Etats-Unis : pour
Européenne ?
ou
contre
la
construction
monétaire
Question controversée par excellence : on peut cependant répondre
de façon simple que les responsables monétaires Américains « prennent
les vents », certes, surtout ceux qui leur sont favorables… mais ils sont
trop conscients des impératifs de la confiance dans l’économie mondiale,
basée sur certaines valeurs1487 de démocratie notamment, pour être
vraiment des ennemis de l’euro… à qui ils demanderont de faire ses
preuves ! Parmi les économistes, un des plus fervents défenseurs de la
monnaie Européenne… n’est-il pas Robert MUNDELL lui-même, le père des
zones monétaires optimales !
On a déjà une bonne occasion de remarquer que la politique du
Dollar a pu être favorable à la convergence monétaire Européenne. Le
Dollar fort, après 1985, ne jouait pas contre la consolidation de la zone
euro, mais pour1488. En effet, on doit compter aussi avec certaines de ses
faiblesses. En ayant un Dollar coté fortement face au mark, la pression sur
Le $, encore et toujours la devise clef, bénéficie du bon comportement de toutes les
monnaies dans le monde, y compris de ses concurrents tel le deutsche mark. L’économie
Européenne souffre encore trop d’une contradiction entre croyances (davantage liées à la
monnaie) et préférences (rivées à l’économie réelle).
1487
Parfois en retard, mais qui à la lumière des leçons de l’histoire et des limites du
marché, tendent dans un deuxième temps toujours à rattraper leur retard.
1486
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 809
les monnaies faibles vis à vis du mark pesait beaucoup moins sur elles, ce
qui rendait beaucoup plus supportable le message de ferme autorité de la
Bundesbank. On peut donc considérer qu’après les années de crise réelle
entre Dollar et monnaies européennes, dans la décennie soixante dix, la
décennie suivante fut plus favorable. Quand à la décennie quatre vingt
dix, elle vit à la fois le triomphe de l’économie réelle Américaine et de sa
productivité… et les premières prouesses de l’euro sur la croissance et sur
l’emploi… pour la première fois, l’autorité monétaire était, de façon
nouvellement homogène, du côté de l’euro dans le face à face à deux. Si
bien que l’euro doit veiller à ne pas être trop fort1489.
Relations monétaires Etats / Europe dans le contexte d’intégration
monétaire :
Pour DE GRAUWE (1985), le Système Monétaire Européen était une
véritable machine de déflation : chaque pays repliant frileusement sa
politique budgétaire vers lui-même. Ainsi, le contexte des politiques
monétaires n’était que moyennement coopératif : la coordination des
politiques étant à ce stade encore trop faible.
Néanmoins, à partir de l’épisode français de 1983, la moins grande
fréquence des changements de parité, montre qu’il y a eu un
rapprochement, en se calquant tout à fait sur le standard allemand.
Peu après le réalignement de 1987, l’engagement dans la défense
des parités était suspecté à la fois pour la France et pour l’Italie : or, dans
les deux cas, des pressions spéculatives sévères furent surmontées.
II.3.
Les différentes influences nationales dans la
conception
d’une
future
politique
monétaire
Européenne :
L’Allemagne, la lutte contre l’inflation :
Dès la fin des années soixante dix, les responsables allemands
montrent une interprétation de l’économie, encore plus monétariste que
celle des responsables Américains autorisés. En effet, pour eux, c’est à la
divergence des taux d’inflation, que l’on peut attribuer la responsabilité
des évolutions en matière de balance des paiements. Pour les Américains,
au contraire, la différence est réelle, au niveau des taux de croissance… et
le remède est alors moins sévère : on peut stimuler l’activité par un déficit
budgétaire, tout en acceptant une légère réduction du taux de croissance
Américain. Les Américains profitent des effets de réputation de leur
Le Dollar devise clef jouait son rôle de défenseur et arbitre de la monétarisation,
laquelle présuppose de préparer l’avenir et donc d’aider l’euro.
1489
Que pourrait-il faire, par exemple, pour soutenir le yen et se gagner ainsi des alliés ?
1488
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 810
monnaie en laquelle ils expriment toujours une certaine confiance. Au
contraire, les Allemands pensent qu’ils doivent encore confirmer leur
réputation monétaire. Et leurs responsabilités sont décuplées, car ils se
sentent comptables des résultats plus ou moins divergents de leurs
voisins. D’où une attitude quelque peu raide, car ils se tiennent entre
construction de la réputation de leur monnaie, et rappel à l’ordre de leurs
voisins. Un rappel à l’ordre qui peut être vif : le président de la
Bundesbank n’hésite pas à déclarer : « la stabilité monétaire en R.F.A. ne
doit en aucun cas être sacrifiée à la stabilité des relations de changes en
Europe. » Mais c’était avant la réunification allemande, qui a rendu
soudainement les Allemands plus vulnérables, et devant s’arrimer à la fois
à l’ex-RDA et, pour l’équilibre et surtout les perspectives d’avenir
durables, à leurs voisins Occidentaux.
L’Allemagne est un relais plus que convaincu des stratégies de
désinflation venues des penseurs de Chicago. C’est l’obstination des
Allemands qui fait triompher cette stratégie. Ainsi, depuis la fin des
années soixante dix, des stratégies monétaires de désinflation graduelle
sont mises en place pour limiter le coût en termes réels des politiques de
lutte contre l’inflation. En France, c’est à l’occasion du tournant de la
« rigueur » en 1983.
La France, l’amorce d’une Banque Centrale Européenne :
Dès 1979, à l’occasion du passage au Système Monétaire Européen,
la France exprime la volonté que le nouveau fonds de stabilisation
monétaire, se voit accorder certains pouvoirs d’intervention sur le marché,
en vue d’en faire l’amorce d’une Banque Centrale, en charge des Banques
Centrales Européennes. La France a toujours eu du talent pour exprimer
en termes de valeurs politiques raisonnables et universelles, des réalités
mises en évidence par l’évolution réelle du monde.
L’Angleterre, l’acceptation de la vague d’innovations financières
menant à un continuum finance / monnaie :
L’Angleterre a aidé le continent durant la Guerre Civile Européenne
de 1914-1945. Dans le couple droit / économie qui peut poser un véritable
problème d’interprétation1490 dans le cadre d’économies développées 1491, à
cause de la monétarisation qui suit ces économies et ces régimes
politiques développé(e)(s), et du statut ambigu de la monnaie, la GrandeBien sûr, en France, la Faculté de Sciences Economiques a été créée et séparées de
fait de celle de Droit à la suite de Mai 1968, bien que les générations de personnes ayant
obtenu leur(s) diplôme(s) avant, et non familières de ces domaines, aient – la plupart du
temps - beaucoup de difficultés à le concevoir.
1491
Et de sociétés développées aussi, ce qui va avec et ne signifie pas « sur le papier » la
même chose. Nous devons le préciser si nous ne voulons pas être accusés de manque de
rigueur.
1490
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 811
Bretagne a représenté, dans l’ancien système1492: le droit à l’occasion des
périodes de guerre, et le continent l’économie, dans le sens des désirs
d’une économie déviante qui spontanément s’oppose au droit.
Il ne faut pas l’oublier car la preuve reste à faire que nous avons
dépassé ce système ancien, l’époque ancienne aussi… C’est un des grands
enjeux sociétaux de l’euro que d’en apporter la preuve certaine !
Tout doute méthodologique étant de rigueur dans le cadre d’une
approche scientifique s’appuyant sur les faits, on peut dire que la GrandeBretagne continue de représenter « le droit » ! 1493 C’est pourquoi nous
nous permettons, encore, une prophétie auto réalisatrice 1494.
Les innovations financières ont quand même une utilité en terme de
régulation monétaire1495. Les produits financiers étant en même temps des
produits juridiques et des produits fiscaux. Ils ont permis de répondre à
des incertitudes, repousser la panique des investisseurs, savoir attendre
l’arrivée d’un nouveau système régulateur « clefs en mains » ne refusant
pas non plus totalement l’idée même de droit.
L’Italie, et des marges plus importantes de fluctuations :
L’Italie, après son miracle économique, a continué à entretenir une
prospérité, notamment :
- au prix d’un endettement public très élevé ;
- en prolongeant le miracle économique par certaines formes de miracle
social ;
Le réseau légendaire des PME en Italie allait de pair avec un système de
retraite très généreux : à partir de la cinquantaine pour de nombreux
fonctionnaires.
Ce comportement, très miraculeux mais aussi très personnel, rend
le cas de l’Italie1496 très « sensible » : il a, donc, fallu (et ceci tout
naturellement), dans le cadre de la solidarité naturelle entre Européens,
accorder des marges de fluctuations plus importantes pour l’Italie 1497!
L’ancien système dans le cadre des relations internationales, où la guerre
commandait à la paix et imposait toutes les modifications des relations sociales. « Dieu et
l’euro nous en délivrent ! », pourrions-nous pourtant dire si nous étions des ayatollahs…
1493
Les Députés Européens Britanniques : ne sont-ils pas parmi les plus présents à
Strasbourg, et participant aux Commissions ?
1494
Si les mœurs se rapprochent à nouveau du droit, en Europe, grâce au débat public, la
« cerise sur le gâteau » ne pourrait-elle pas être, l’adhésion de la Grande-Bretagne à
l’euro ? Ce sera(it) un moment magique de la politique monétaire Européenne, avant
parmi d’autres moyens : la politique Européenne tout court ! Et pour longtemps…
1495
Les produits financiers étant en même temps des produits juridiques et des produits
fiscaux.
1496
Qui n’a d’ailleurs pas hésité, souvent, à s’allier « en diagonale » : avec le RoyaumeUni… et ceci face à « l’axe central de la monétarisation » (France, Allemagne et Benelux),
dans le jeu monétaire ! Ainsi à l’occasion de la crise des marchés financiers Européens de
1992.
1497
Qui pourront être réduites quand l’endettement public se réduira.
1492
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 812
Rajoutons donc deux notes de bas de page 1498, puis1499 pour participer à ce
sprint magnifique !
Une
constante et une contrainte :
d’endettement publics :
l’augmentation
des
taux
La totalité des pays d’Europe ont connu un fort accroissement de
leur déficit public dans les années soixante dix à quatre vingt dix. En
1974, la dette publique était de 20,4%, en 1993, 55%, en 1995, puis
60%. 1500 Pour certains auteurs, les déficits publics sont nécessaires, en
situation de taux d’intérêt élevés, pour soutenir la croissance. Si l’on
pouvait trouver le moyen de se passer d’eux, cela diminuerait les taux
d’intérêt et pourrait alors relancer l’investissement privé. Mais depuis le
tournant de 1975, on n’a pas su comment se passer d’eux.
Encore la dette publique n’est-elle vraiment néfaste, que si elle
dépasse un certain montant autorisé1501, et aussi si elle entraîne par
contrecoup un excès de demande. Au-delà d’un certain seuil, elle entraîne
une demande « irrationnelle », et c’est alors l’enlisement assuré. La
demande est un peu freinée cependant, par le montant du taux d’intérêt
réel.
La politique monétaire doit gérer l’écart entre taux d’intérêt et taux
de croissance, afin de ne pas laisser la dette augmenter, et éviter
l’emballement. Mais, pendant la période qui nous concerne, on a profité
des marges de manœuvre dont on disposait encore, jusqu’à parvenir au
maximum autorisé.
A L’Italie de voir quand elle sera décidée à devenir elle aussi un moteur de la
monétarisation Européenne, en se rapprochant de l’axe central ! Nous comptons sur son
génie…
1499
Pour être tout à fait honnête, il faut quand même affirmer que le « tournant » doit
être collectif, engageant au moins Italie, Grande-Bretagne, Belgique en même temps…
Car la dette Italienne ne peut être élevée aux alentours de 100%, de même que la dette
Belge, que parce que les marchés financiers acceptent de la refinancer. Quant à la
Grande Bretagne, elle est solidaire des Etats-Unis dans les délices de la défiscalisation
immobilière, dont nous avions prévu l’impasse actuelle il y a vingt ans, quand nous
travaillions comme conseiller immobilier pour de grands groupes.
1500
Niveau auquel elle s’est maintenue depuis « un bail ».
1501
60% est souvent cité, car ce fut le repère pratiqué pendant la période de « l’étalon
or ».
1498
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 813
Une évolution sensible du concept de politique monétaire : le
débat nouveau sur les règles monétaires, la tentation
résistible, issue du passé, de politiques discrétionnaires :
Dès lors que l’on est passé à l’ère de la finance libéralisée, on se doit
de garantir la stabilité monétaire tout en assurant la libre circulation des
capitaux. Toute indépendance de la politique monétaire devient alors
illusoire, selon le théorème de PADOA-SCHIAPPA.
La logique des marchés financiers est une logique de transparence.
Pour être crédible, la Banque Centrale doit alors être relativement
transparente. L’utilisation de règles discrétionnaires, comme autrefois, est
alors bannie. Les économistes ont montré dans les années quatre vingt
que cela conduirait inévitablement la Banque Centrale à tenter d’imposer
des opérations d’ « inflation surprise ». Désormais, les règles doivent être
claires et affichées. La première des règles est celle qui découle du
théorème de PADOA-SCHIAPPA. La seconde règle logique, c’est d’essayer
de vaincre l’incohérence temporelle de la Banque Centrale, tout en
poursuivant le processus d’intégration monétaire. Ensuite, il est à peine
utile de parler de la construction des anticipations dans la rivalité
obligée1502 avec le dollar. Et enfin, la règle d’or, c’est de lutter contre
l’inflation. Les travaux fondateurs de KYDLAND et PRESCOTT, de BARRO
et GORDON, ont relié ces thèmes : les risques d’incohérence temporelle,
impliquent de préférer des règles à une action discrétionnaire… pour
pouvoir imposer cela, il faut que la Banque Centrale soit indépendante.
II.4.
Un contexte social surprenant : la nouvelle
attitude des agents vis-à-vis des gains monétaires :
La prise de conscience que « la monnaie, c’est important » : a déjà
eu lieu dans le contexte de la crise de l’entre deux guerres 1503. Pendant la
crise des années soixante-dix, c’est une autre prise de conscience qui se
fait jour : avec la compétition face au Dollar et aux fluctuations de
change, les Européens réalisent que la sphère monétaire ne se contente
pas d’être une simple reprise parallèle de la sphère réelle, que les deux
sphères ne sont pas non plus complètement disjointes et sans relations
entre elles, mais qu’il y a bel et bien une marge de jeu avec les valeurs de
la monnaie, et que selon l’habileté avec laquelle on joue, on peut obtenir
des gains ou au contraire des pertes monétaires.
Les agents deviennent réactifs par rapport aux fluctuations de la
monnaie. Ils ne se contentent pas de subir. Si le jeu de la monnaie profite
aux Américains, pourquoi ne pourrait-il pas profiter à d’autres, à des
Européens par exemple ? De fait, les agents, depuis 1974, surtout,
Mais aussi la complémentarité réelle !
Mais dans un contexte « sans pitié » sur le principe, et géographiquement réduit aux
abois par le peu d’extension du territoire monétarisé.
1502
1503
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 814
cherchent à contrebalancer par des gains monétaires, les pertes
économiques subies du fait de la politique gouvernementale (que ce soit la
baisse du pouvoir d’achat des revenus, ou de la rentabilité du capital). Ils
utilisent la monnaie comme un atout. Elles permet des gains
internationaux, alors que la politique économique des gouvernements,
très défensive, entraîne souvent des pertes nationales. Il y a aussi, peutêtre, les débuts des anticipations de ce que l’on peut faire avec des
déficits, et jusqu’où ne pas aller 1504. L’utilisation judicieuse de la monnaie
peut procurer nombre d’effets leviers. C’est avec la crise que l’on prend
conscience de cela. Mais cela ne signifie pas délitement du lien social.
C’est surtout la prise de conscience de nouvelles relations, dérivées, à
l’international. N’oublions pas qu’il y a un nouvel allié de la croissance : le
Japon.
II.5.
L’Europe de l’Est : la finance sans la monnaie,
suite :
Les présences d’un système bancaire, et d’un marché des capitaux :
font partie des points afférents à une économie de marché, que les pays
de l’Est veulent mettre en place à partir de la perestroïka. La réforme
bancaire se déroule de 1987 à 1991. L’aide à la restructuration des pays
de l’Est commence (1989), ce à quoi suivent une série de conflits dans le
secteur bancaire, avec les Etats-Unis, la même année.
C’est une forte inflation, en 1988, au prétexte conjoncturel de
reprise de la croissance (1986/1987), qui annonce la chute probable du
bloc communiste, sur fond de volonté de développer le commerce
extérieur pour satisfaire à la consommation, et d’impossibilité d’y parvenir
sans une monnaie crédible, convertible, se soumettant au jugement des
marchés et au jeu de la propriété privée : on ne peut pas « mesurer » ces
échanges extérieurs ! Tout le système devra être revu.
II.6.
Inflation,
balances
des
paiements
déséquilibrées, globalisation financière, gestion du
« terme » focal de l’économie :
La globalisation présente deux avantages : passer à la dimension
supérieure, et résoudre le problème des balances de paiements
déséquilibrées. Elle présente des inconvénients : augmenter le risque
systémique et plus généralement apporter plus de questions que de
réponses.
Pour OLIVEIRA-MARTINS et PLIHON (1990), c’est une fuite en
avant : le processus de globalisation financière s’explique par la nécessité
On a eu l’expérience de l’étalon-or. Celle-ci doit absolument servir de garde-fou,
contre les propos irresponsables de tous les commentateurs qui croient que « les arbres
montent jusqu’au ciel » !
1504
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 815
de financer les déséquilibres, heurtant l’économie monde, des balances
des paiements. En 1986 et 1987, les mouvements internationaux bruts de
capitaux atteignaient trois cent milliards de dollars, juste les besoins de
financement mondiaux représentant les déficits courants cumulés des
grands pays industrialisés. Selon BOSWORTH (1993), la globalisation
permet l’équilibre entre épargne et investissement dans l’économie
mondiale : les excédents d’épargne Asiatiques financent les déficits
Américains.
Ainsi, il y a changement de dimension, ce qui permet des gains
globalement, grâce à l’efficience allocative et à l’efficience informationnelle
des marchés financiers, mise en évidence par FAMA en 1965. Les agents
sont libres d’exprimer leurs anticipations de rendement et de profit, leurs
calculs de sécurité, en passant du marché monétaire (argent à court
terme), au marché financier (capitaux à plus long terme), ou encore au
marché des changes (échanges des monnaies entre elles), et aux marchés
à terme, et réciproquement. On recherche le meilleur rendement en
passant d’un titre à l’autre, d’une monnaie à la suivante, d’un procédé de
couverture à un autre.
On peut supposer que l’économie, ainsi mondialisée grâce à la
finance, qui permet de passer très rapidement de l’intérêt à la sécurité et
de la sécurité à l’intérêt, sans se préoccuper des « valeurs », voire même
en les intégrant (début du développement des placements « éthiques »),
recherche implicitement un terme focal de l’économie, un horizon de la
confiance, refinancé par les différentes zones du monde en fonction de
leurs besoins, de leurs relations de dépendance et de leurs possibilités 1505.
Il peut aussi y avoir plusieurs horizons de la confiance pour différentes
zones différentes. Tout cela est inter connecté par les taux et est
susceptible de changer plus ou moins vite, en fonction de la distance visà-vis du noyau du système, lui-même évolutif1506.
II.7.
Le triomphe absolu de la spéculation :
Le triomphe absolu de la spéculation :
Il est important de souligner que la spéculation à grande échelle est
née dans les années soixante des premiers errements du dollar. Elle fut le
fait des détenteurs de devises qui tentaient de toucher des profits
spéculatifs sur la base des déficiences grandissantes du système de taux
de change fixe. Crise du système international de régulation et crise du
pouvoir hégémonique Américain ont été de pair. Il a pu y avoir une
Nous aurons l’occasion d’y revenir en appendice de cette « Histoire Monétaire de
l’Europe ». C’est-à-dire, rendez-vous au Tome III.
1506
Nous verrons dans le Tome III, qu’il y a peut-être aujourd’hui deux « noyaux » :
Occidental et Asiatique… Ce qui n’apporte pas tant de complexité en plus que cela. Mais :
des risques en plus, oui (et pas seulement des risques financiers) ! Cf. Tome III, donc, où
figurent nos recommandations.
1505
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 816
spéculation sur les liens entre réserves en dollar et autres liquidités, et
vraie spéculation sur la fin du système à taux de change fixes.
A partir des années soixante dix et du système des taux de change
flottants, on reconnaît un rôle institutionnel aux spéculateurs, ce qui
n’avait jamais été fait autrefois. On reconnaît par là même, à la fois leur
prééminence dans le calcul des taux, et dans la prise en compte de toutes
les anticipations de marché, dans lesquelles ils sont eux-mêmes une partie
prenante non négligeable, ainsi que leur rôle d’aiguillons des marchés
internationaux et mondiaux1507.
Selon BOURGUINAT (1995), désormais, le système financier
international est dominé par la spéculation. Sa nature s’est complètement
transformée du fait de cette spéculation. La grande majorité des
opérations financières internationales, de fait, est constituée de
mouvements de va-et-vient incessants entre les monnaies et les différents
instruments financiers : de la souveraineté rattachée in extremis à un
territoire, aux risques de la diversification privée, et réciproquement. De la
diversification publique à la diversification privée, et réciproquement. Le
montant des transactions sur le marché des changes a triplé entre 1986 et
1992 : c’est mille milliards de dollars par jour, soit quarante fois plus que
la valeur du commerce international.
Les produits dérivés sont une des principales armes de la
spéculation : ils permettent de se couvrir contre les risques de taux
d’intérêt et de taux de change. La finance se couvre vis-à-vis de la
monnaie : un total renversement de perspectives depuis la période
industrielle1508! Les fonds de pension, avec leurs « hedge funds » (des
fonds particulièrement « mouvants »), vont plus loin encore : le
déplacement de ces placements d’une monnaie sur l’autre suffit à
déstabiliser les monnaies impliquées.
La finance impose sa loi à la monnaie, puisque c’est elle qui paye.
Son avantage de la mobilité, du fait de la spéculation, est incomparable.
D’une certaine façon, elle fixe ses conditions à l’hégémonie. C’est ainsi
que des pays avec des taux d’inflation plus importants, ont été les
récipients de flux de capital net d’une importance embarrassante : nulle
chance pour l’Etat en cause de pouvoir passer entre les gouttes et de ne
pas avoir à se réformer1509.
Dont acte ! D’ailleurs, une économie basée sur des « effets miroirs » peut-elle
vraiment utiliser les spéculateurs quand elle a besoin d’eux, puis les condamner
moralement au moment où elle a décidé de se passer de leurs services ? !.
1508
Les « spéculateurs » ont bien sûr, par expérience, le poids qu’on leur avait laissé
peser dessus très souvent au cours de notre histoire. Accusations souvent
« irrationnelles ». Dont acte à nouveau !
1509
Cela ne veut pas dire qu’on ne puisse pas proposer avec TOBIN, de taxer les
mouvements de capitaux. La question des « hedge funds » est peut-être plus délicate si
elle touche vraiment « à la souveraineté monétaire ». On est en passe d’avoir à craindre
un « effet papillon » tout à fait inédit !
1507
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 817
Le marché des taux :
En Décembre 1991, le taux d’escompte en Allemagne est porté à
8%. Il n’était encore que de 6% avant le 31 janvier 1991, et il atteindra
8,75% en Juillet 1992. Pour « tenir » les marchés, l’Allemagne utilise une
vieille technique, autrefois maniée par la Grande Bretagne aux beaux
temps de la £ : faire varier le taux d’escompte (qui était couramment tenu
assez bas par les Britanniques). Mais les taux baisseront à la fin de la
décennie, une fois que l’arrivée de l’euro aura été sécurisée. C’est la
bataille avant la victoire…
Plusieurs monnaies de référence, qu’est-ce que cela signifie pour
l’Europe : en interne ? En externe ?
La prééminence du deutsche mark entraîne peu de contestations de
la part des autres monnaies Européennes. Pourtant, le franc résiste très
bien, en 1985, à son voisin allemand (surprenante stabilité de la parité),
alors que le Dollar entame son ascension. Pourtant, le franc n’a pas le
même statut international que le mark, du fait même que celui-là n’est
pas négocié librement sur les marchés à l’inverse de celui-ci.
Le fait de s’investir dans les mécanismes du SME apporte une
crédibilité nouvelle aux autorités monétaires françaises, qu’elles ne
pourraient pas avoir autrement, du fait de leur manque d’indépendance.
Par ailleurs, à partir de 1988, un mécanisme nouveau, de soutien financier
à moyen terme des balances des paiements, est introduit.
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 818
1992-2005.
La
construction
du
système
monétaire Européen, comme possible solution
à la crise du système monétaire international ?
Du Traité de Maastricht jusqu’à six ans après
le lancement de l’euro :
I.
L’émergence et les premiers problèmes de l’Union
Monétaire Européenne :
Le problème de la dette. La généralisation du système de l’ homo
monetarius. Le problème des retraites. La non coopération
entre agents privés et autorités monétaires. L’Union
Monétaire Européenne, ou une riposte à la politique des
changes flexibles ? Concurrence entre finance et monnaie…
Difficile de ne pas trouver dans le problème des endettements
nationaux un des points de départ fondamentaux de la décision prise de
se doter d’une monnaie commune ou unique. L’expérience d’il y a un
siècle, de l’époque de l’étalon or, nous a enseigné qu’un taux
d’endettement trop élevé pouvait mal se terminer, car certains pays
avaient plus encore à en souffrir que d’autres.
Mais l’expérience de l’étalon or intervenait dans un monde
globalement peu monétarisé. Depuis les années 1960 au contraire, le rôle
du Dollar, la multiplication des liquidités dans le monde, les euro Dollars et
les pétro Dollars… A partir des années 1970, la multiplication du nombre
de pays (Japon, certains pays d’Europe tel l’Espagne) pour lesquels, la
première fois dans leur histoire, leur masse monétaire dépasse leur niveau
d’épargne, décrivent un tout autre paysage. Il est encore plus important
qu’il y a un siècle de maîtriser les variables monétaires, de les
comprendre. Parmi elles, le niveau d’endettement est un signal très fort.
En effet, l’Allemagne sait de par son histoire combien la monnaie est
dans ce pays un élément important du lien social. Son exemple depuis les
années 1960 a pu être médité par les pays européens, qui savent que
l’Allemagne sert largement de moteur industriel de l’Europe. On se forge
alors, timidement, le projet d’aller vers l’unification monétaire pour
« socialiser » cette monnaie si importante, pour pallier les difficultés du
Dollar qui subit les affres du surendettement et du double déficit.
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 819
Dans les années 1970, on constate qu’une telle difficulté est dure à
porter, car les positions du Dollar et des monnaies européennes sont
asymétriques, et chaque crise financière amplifie les pertes de change de
monnaies qui ont bien du mal à se coordonner entre elles. Dans ce cas, si
il y avait en plus un endettement insupportable, les Européens ne
pourraient bien sûr pas pallier aux difficultés Américaines.
Le niveau d’endettement à ne pas dépasser tel que les années 1990
nous le livreront est le niveau de 60%. Les raisons de ce choix n’ont pas
été, publiquement expliquées clairement. Nous pouvons néanmoins nous
appuyer sur l’histoire pour noter qu’à l’époque de l’étalon or, le Royaume
Uni était parti, vers 1870/1880, d’un taux d’endettement public à peu près
équivalent à 60%, pour ensuite baisser régulièrement, jusqu’à la guerre
de 1914, à 40% environ. Les autres pays de l’Europe avaient connu un
taux toujours supérieur. Surtout les pays de l’Est et du Sud-(Est), et là, il
est clair qu’un taux d’endettement trop élevé – à partir de 80% : c’est
l’évidence qui le montre – mène à des charges d’intérêt insupportables.
Dans ces conditions, on peut fortement suspecter qu’un taux
d’endettement global de l’Europe autour du Royaume Uni, à l’époque de
l’étalon or, qui a fini par dépasser les 70%, a mené à des tensions sociales
insupportables qui ne furent pas pour rien dans le déclenchement de la
guerre. Si les Britanniques se sont attachés, à cette époque, à rester en
dessous de 60%, sans doute avaient-ils leurs raisons. Une deuxième
indication est que 60% d’endettement peut être atteints en vingt ans de
déficit moyen à 3%. Or, celui-ci est jugé comme le niveau de déficit à ne
pas dépasser. Et les deux chiffres paraissent cohérents l’un par rapport à
l’autre. L’économie, même dans un contexte de fonctionnement
relativement « conservateur », ne doit pas pouvoir se mettre dans une
situation « impossible » à l’horizon d’une génération de capital ! Voilà
pourquoi ce modèle, dont d’aucuns prétendent qu’aucune étude sérieuse
ne le justifie, rejoint une expérience historique bien réelle et fort
douloureuse. Cette expérience rejoint aussi « l’instinct » d’un chef d’Etat
tel le Président Français MITTERRAND, qui en 1981 et 1982, constatant
que le déficit était de 3%, dans des conditions de politique sociale fort
« généreuse », en a déduit que, jamais, le déficit budgétaire ne devrait
dépasser les 3%. 1510 Conservatrice ou « généreuse », la politique
économique se heurte ainsi à certains fondamentaux.
Dans le même temps, le problème des retraites à payer donne une
dimension structurelle incontournable à ce problème qui, dès lors, signale
une redoutable contrainte.
Chaque agent économique privé, s’il est supposé « rationnel » 1511,
cherchera à obtenir le plus possible sans forcément se préoccuper de
savoir si ses prétentions peuvent être socialement soutenues : si chacun
peut en obtenir autant – pour des problèmes à la dimension aussi
C’est à partir de cette position particulière de MITTERRAND, que s’est déclarée la
décision collective des chefs d’Etats Européens de ne pas dépasser 3% de déficit.
1511
Selon la définition que donnent les économistes de la « rationalité », qui est de
toujours vouloir « en obtenir plus » !
1510
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 820
« macro » que la question des retraites – sans mettre en danger, à terme,
toute la collectivité. L’agent économique privé « joue » avec les limites du
système, même avec l’histoire que l’on a parfois tendance à oublier ou
que tout le monde ne considère pas de la même façon.
On a donc pu constater des contradictions et des oppositions entre
la volonté du législateur et les comportements des agents privés. « Encore
un moment, Monsieur le bourreau ! ». On a mis du temps à réagir. La
dette, à 15% du PIB en 1974, atteint plus de 50%, près de 60%, en 1992.
Depuis, elle a tendance à se stabiliser. Certains arguent que l’on pourrait
se permettre encore un peu plus d’endettement, qu’une limitation est
défavorable à la croissance. Le déficit structurel s’est considérablement
creusé de 1972 à 1980, notamment le déficit structurel avec effet
patrimonial. BARRO & GORDON (1983) ont signalé cette situation où il n’y
a pas de coopération entre agents privés et autorités. Cela concerne
particulièrement les années post 1990/1992. D’un côté, les agents privés
vont chercher à gérer leur argent au mieux, sans considération
particulière du cadre monétaire institutionnel, considéré souvent comme
peu clair1512. De l’autre côté, les autorités, peut-être pour tenir compte du
populisme, ont elles mêmes parfois un comportement en partie
opportuniste. Peut-être pour que leur comportement ne soit pas trop
prévisible, ce qui donnerait une trop grande prise sur le système à des
spéculateurs « radicaux », elles se mêlent en partie au jeu de contestation
réelle, par le moyen de l’inflation surprise. La Banque Centrale fixe des
règles anti-inflationnistes, mais ne se refuse pas le moyen de « prendre
de vitesse » les spéculateurs en générant elle-même, par moment, de
l’inflation. C’est le moyen de reconstituer elle-même « sa pelote de
laine » : des liquidités qui lui permettent un accès facilité au « lien social »
permis par la monnaie, par le biais d’une augmentation non prévue de la
masse monétaire… face à la concurrence des « monnaies privées » et de
tous les produits de défiscalisation libres d’accès sur le marché mondial de
la finance.
Les Banques Centrales Nationales pourraient ainsi, également être
incitées à jouer de marges de manœuvre qu’elles s’attribueraient, face à
la volonté de coordination monétaire Européenne. Mais cela devient
rapidement impossible car, dans le Système Européen de Banques
Centrales, les Banques Centrales nationales n’ont pas le droit de créer de
la monnaie explicitement pour couvrir de la dette publique, pas plus que
de racheter de la dette publique pour en diminuer le montant auprès des
marchés financiers. L’Italie est particulièrement visée, mais on pourrait
aussi évoquer la Belgique1513.
Bien sûr, cette limitation de la dette est un moyen de limiter les
occasions de spéculation contre le système, que l’endettement ne peut
qu’amplifier d’une façon prodigieusement accélérée, une fois passé un
Peut-être ici la « rationalité » individuelle se heurte t’elle à ce que nous pourrions
appeler une « rationalité collective », instruite des leçons de l’histoire, qui regarde moins
les économistes « classiques ».
1513
Comme nous l’avons vu.
1512
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 821
certain seuil. Ici, il ne s’agit quand même pas de favoriser d’emblée des
possibilités de spéculation sur un système que l’on est tout juste en train
de créer ! Au demeurant, il s’agit aussi d’une reprise en main du système,
qui vise à lutter contre deux formes de spéculation :
- la spéculation interne, des agents nationaux qui croient
que
l’on
pourrait
démesurément
augmenter
l’endettement (à 80%, pourquoi pas à 90 ou à
100% ?) sans que cela n’ait de conséquences graves ;
- la spéculation externe, portant sur des montants
potentiellement faramineux, portant sur l’échange des
monnaies elles-mêmes, les unes contre les autres, par
des opérateurs internationaux, qui déstabilise le
système que l’on veut construire en occasionnant des
« forces de frottement » terribles, en obligeant les
pays Européens à agir sur le change d’une façon très
volontaire à l’occasion des crises monétaires.
Le cumul des deux formes de spéculation est de nature à réduire à néant
le système que l’on s’applique à construire dans une grande attention, une
grande application, un sérieux effort…
La théorie des zones cibles et le problème de la défense des
marges de fluctuation :
Fondamentale est donc la question de pouvoir se défendre contre
des variations de change imposées et excessives.
La volonté des Européens de converger monétairement est aussi
une réponse et une riposte face aux taux de change flexibles, imposés par
les Américains. En plus du fait que ceux-ci ne produisent pas les effets
annoncés, sur la balance des paiements Américaine… en ce qui concerne
les Européens ceux-ci ont une raison toute particulière de les rejeter : ils
ont entraîné une spéculation contre les cours des monnaies Européennes
dans les années 1970.
La stratégie monétaire Européenne s’inscrit désormais dans le cadre
de la théorie des zones cibles.
Si on a des taux parfaitement fixes, cela amplifie les fluctuations car
cela amplifie les cycles. Les marchés, en effet, s’appuient sur les valeurs
« mythiques » des monnaies pour amplifier toutes les anticipations, de
façon à servir une ample commission aux spéculateurs.
La théorie des zones cibles est de WILLIAMSON. La reprenant à leur
compte, les Européens mettent en place, entre le noyau euro et ses
satellites (les pays autour de l’Allemagne et de la France), d’une part, et
les autres pays de l’Union Européenne, d’autre part, un tel système de
zones cibles.
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 822
Il s’agit de fixer un taux de change de référence, qui découle d’une
évaluation du cours « normal » de la monnaie, c’est-à-dire corrigé des
fluctuations cycliques. En pratique, tous les marchés évoluant, c’est d’un
taux de change « cible » à moyen terme dont on parle. Les théoriciens ont
posé qu’il s’agit d’un taux de change possible ou « taux de change
d’équilibre fondamental ». Il correspond au taux de change réel
susceptible d’assurer à moyen terme (au cours du cycle des affaires)
simultanément l’équilibre macroéconomique interne et externe d’une
économie, défini comme suit :
- L’équilibre interne est atteint lorsque l’économie se
situe sur son sentier de croissance potentielle non
inflationniste. Le taux de chômage est à son niveau
« naturel », celui qui assure que le salaire réel
progresse au même rythme que la productivité du
travail1514.
- L’équilibre externe est défini comme le niveau
« soutenable » de solde de la balance des transactions
courantes. Il est relié à l’idée de « solvabilité ».
Disant cela, on a dit implicitement que l’on voulait pouvoir faire évoluer le
cours et la valeur de sa monnaie de façon « endogène », grâce à
l’anticipation que l’on peut faire des perturbations possibles venues de
l’extérieur (si on laisse libre cours à la spéculation des marchés). Une telle
gestion des cycles des affaires, en se situant à l’intérieur de la valeur des
monnaies dans une optique somme toute assez régulatrice, pourrait sans
doute aussi permettre de lisser les cycles. L’aspect endogène vient du fait
que l’on considère la valeur trouvée de la monnaie comme une valeur
réelle. Or, la conception de la « réalité » ainsi établie est que la réalité est
une résultante d’un chemin évolutif de la production, prise entre des
contraintes internes ou sociales (c’est l’emploi), et des contraintes
externes ou internationales, peut-être géopolitiques 1515.
En pratique, cette gestion active consiste à surveiller et à ajuster en
permanence le taux de change réel (obtenu) au taux de change de
référence (prévu). Grâce à cela, on peut empêcher les désalignements dus
au marché de se produire. Cela permet de rendre davantage possible la
convergence des évolutions économiques et monétaires politiquement
souhaitées, celles qui sont favorables à l’élargissement de l’Union
Economique et Monétaire1516 1517 1518 1519.
Louable intention, en faisant appel à la notion de « croissance », que de faire
intervenir des questions historiques dans l’analyse macro économique inflation /
chômage !
1515
Une telle gestion active des cycles des affaires pourrait aussi permettre, dans un
deuxième temps, de « gérer par défaut », de façon publique et en communiquant à ce
sujet, le « cycle long ».
1516
Les volontés de développement de l’Union Européenne, celles qui résultent, par
exemple, en 2000, des objectifs de Lisbonne, adoptent une telle logique et de telles
préoccupations, centrées autour de la flexibilité, la croissance, et l’élargissement.
1517
C’est une façon encore très « floue » d’aborder le triptyque « budget, monnaie,
frontières ».
1518
Et cela, très logiquement : en l’absence d’un projet social annoncé !
1514
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 823
Ces politiques des années 1990 avaient été annoncées par une
littérature des années 1980. Il fallait que les autorités monétaires
prouvent leur compétence et leur engagement. En clair, elles devaient
relever le gant des déséquilibres constatés sur les marchés financiers et
monétaires internationaux. Elles devaient défendre et prouver leur
crédibilité, en s’attachant à défendre des marges de fluctuation
annoncées, qui surtout ne devaient pas être dépassées sous réserve
d’entraîner des catastrophes en chaîne, revêtant un caractère systémique.
Leur responsabilité s’en trouvait dès lors elle-même engagée.
En réalité, cette capacité à reconstruire des anticipations communes,
à l’intérieur du système, qui ne seraient pas destructrices de ce système,
et en partant du cycle des affaires, peut effectivement aider à décrire puis
à faire évoluer, à reconstruire la système. En clair, le taux de change
d’équilibre dépend de trois termes :
- les prix relatifs ;
- la balance courante cumulée ;
- un terme représentant la compétitivité hors prix.
Prix, quantités, qualité : assez précis pour pouvoir être paramétré. Assez
vague pour pouvoir servir de support aux anticipations, sans les enfermer
en elles-mêmes.
L’aspect structurel du modèle provient du fait que, dans ce modèle,
plus un pays a accumulé d’excédents dans le passé, plus sa position
extérieure nette est élevée, plus son taux de change réel d’équilibre est
apprécié. Inversement, plus un pays est endetté vis-à-vis de l’étranger à
cause de l’accumulation de déficits passés, plus son taux de change réel
se trouve déprécié. C’est un modèle pour reconquérir du terrain à rebours.
Reconstruire des anticipations à rebours1520.
Les taux de change d’équilibre peuvent donc également être
fonction de facteurs de compétitivité hors prix : les dépenses en
recherche-développement, par leur effet d’entraînement sur les
innovations, apparaissent comme un facteur susceptible de renforcer à
long terme le taux de change réel d’une monnaie.
Au final, cette théorie sert de cadre pour une politique. Mais cela
n’empêche pas que le taux de change réel d’équilibre subisse, d’un cycle
des affaires à l’autre, naturellement, une importante dérive. Ceci à cause
d’écarts entre pays concernant les rythmes de productivité (BALASSA,
1972) et les niveaux de développement économique (LAFAY, 1984).
La réflexion sur les taux de change cibles a donc été suivie
d’application à partir de la crise financière (attaques contre les monnaies
Européennes) de 1992. Preuve était faite par cette crise que les taux de
change fixes n’étaient plus tenables dans un contexte de parfaite mobilité
« L’approfondissement » macro économique viendra t’il donc : après ? Cela reste
extrêmement contesté…
1520
Donc tirer des leçons de l’histoire.
1519
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 824
des capitaux. En France par exemple, pour se défendre contre la crise, la
Banque de France y a laissé toutes ses réserves en devises. Les pays
choisissent les taux de change cible pour converger tout en se donnant les
moyens de poursuivre leur réflexion, en partie en commun et en partie de
manières séparées, sur la convergence du système, sur le moyen d’une
croissance soutenable à la fois en interne (emploi) et en externe (balance
des paiements). C’était la condition pour pouvoir dire un jour que le
système serait redevenu équilibré1521 1522.
L’asymétrie et le rôle du pays leader ; l’augmentation de la
crédibilité à court terme des pays membres de la CEE :
Cela revient aussi, bien sûr, à se calquer sur les cycles du moteur
Allemand.
L’avantage est double :
- pouvoir se coordonner, pouvoir se rapprocher d’un
cycle central, importer la force « réelle » du moteur
économique du pays dominant ;
- importer aussi la crédibilité de sa Banque Centrale,
d’un point de vue institutionnel.
Cela permet donc des possibilités de convergence en tous points.
L’avantage attendu de lier sa monnaie à la monnaie d’un pays à faible
inflation est de modifier les comportements nominaux des agents internes.
L’importation de la crédibilité monétaire du pays ancre permet aussi de
réduire le coût de la désinflation (GIAVAZZI et PAGANO, 1988). Dans les
années 1980, on avait pu à la fois avoir peu d’inflation, tout en conservant
une certaine croissance. Le pays ancre a alors pour vocation à exporter
son modèle auprès de ses alliés. Grâce au pays ancre, ceux-ci retrouvent
une politique monétaire plus autonome. Mais il y a là dedans une bonne
part d’apprentissage : ainsi, dans les années 1980, la coordination
monétaire avec le partenaire allemand revêtait souvent un caractère « ex
post ». De ce fait, celle-ci était la seule à conserver une indépendance. De
plus, dans les années 1990, sont venus se greffer de nouveaux facteurs :
la réunion des deux Allemagne a été monétairement coûteuse. Or, dans
un premier temps, l’asymétrie vis-à-vis du pays leader (l’Allemagne) reste
et est une condition du succès du système global. Dans un second temps
Peut-être le système Européen lui-même ne sera t’il équilibré que quand on aura
trouvé
un
modus
vivendi
entre
les
deux
objectifs
d’élargissement
et
d’approfondissement. Car, à la gestion du Budget et à celle de la Monnaie, se surajoute
effectivement la question hautement sensible des Frontières !
1522
Il faudra donc, dans les dix années à venir où l’Europe s’est fixée comme grand
chantier « l’Europe Sociale », doubler ce débat général d’un débat technique sur la
gestion du triptyque indiqué en note 1521. Sage précaution pour éviter toute dérive et
tenir dans des limites raisonnables la souveraineté Européenne qui irait avec l’émergence
du phénomène de l’euro dans les relations internationales.
1521
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 825
seulement, le système peut permettre, de façon assez homogène, sans
asymétrie, d’amener la désinflation tant attendue !
En 2007, on se pose toujours la question. Parce que l’exemple de la
réunion monétaire des deux Allemagne a montré que, certes, le niveau de
vie a augmenté en Allemagne de l’Est, mais que les fondamentaux macro
économiques (en particulier l’emploi) ne se sont pas trouvés améliorés, au
point que l’on pourrait parler de nouvel équilibre. Et les inégalités ont
dramatiquement augmentées.
La crédibilité des Banques Centrales autres que la Bundesbank, a
donc augmentée, parce que leurs actions s’inscrivaient de façon cohérente
dans le cadre de la théorie des zones cibles, et que cela permettait, en
interne, au sein des Banques Centrales, de mieux connaître le SME avec
ses nouveaux objectifs. Cela permet aussi, certainement, au passage, de
réduire le risque systémique, grâce au rapprochement des anticipations
qui limite les chances d’occurrence que certains acteurs se mettent tout
d’un coup à faire « n’importe quoi », chacun de leur côté.
Par une gestion en commun des cycles, une réduction de l’impact de
l’aspect purement « financier » et spéculatif, de ceux-ci, on lutte de
surcroît contre l’incohérence temporelle.
Enfin, on peut toutefois s’interroger sur l’obsession de la lutte contre
l’inflation, et ses enjeux : s’agit-il de la rançon de l’indépendance, ou bien
du prix de la crédibilité ?
Evolution des chocs sur la demande de monnaie, et redéfinition
des agrégats monétaires :
Il y a à craindre que, si l’euro atteint un grand pouvoir de monnaie
internationale, la BCE perde un certain pouvoir de contrôle des agrégats.
En effet, de plus en plus d’euros seront détenus par des non résidents, et
cet argent sera de plus en plus difficile à contrôler. Selon les retraitements
prévisibles de son utilisation (pour couvrir des fonds propres ou de la
dette, servant de couverture à des portefeuilles complexes), il faudra
probablement, pour garder un certain caractère de direction de sa propre
masse monétaire de référence, accepter de plus en plus de quasi monnaie
dans son agrégat de référence comme masse monétaire. En clair, on
s’éloignera alors de M1 (« masse monétaire » pure), on « s’alliera » avec
de l’épargne, ou de la trésorerie flottante. En clair, on risque de plus
dépendre des marchés. Mais on pourra retrouver une autorité et une
crédibilité de Banque Centrale à condition d’avoir une vision crédible – et
qui avec le temps s’avérera avoir été réaliste – des évolutions,
Européennes et mondiales, de la gestion de l’économie réelle, et des
masses monétaires sensées l’assurer… et à condition aussi de pouvoir
maîtriser le cycle – Pas seulement celui des affaires mais aussi le long ! –
et pouvoir lutter efficacement contre la défiscalisation et ses excès.
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 826
Ce problème se pose déjà, par anticipation, parce que l’euro ne
craint pas trop de se confronter à l’économie mondiale. Et aussi à cause
de l’évolution du caractère des investissements.
- Il y a de plus en plus d’investissements directs ;
- Il y a de plus en plus de particuliers qui se mêlent à
ces investissements.
Ces deux phénomènes sont en partie liés.
- On a aussi d’importants changements de portefeuilles,
notamment de la part des investisseurs institutionnels
(compagnies d’assurance, fonds de pensions). On peut
dire de ce point de vue que l’apparition de l’euro a déjà
entraîné une mutation du Système Monétaire
International.
Les deux premiers aspects renvoient à la volonté de lutter contre les excès
de l’économie d’endettement. Tant que l’euro n’est pas plus assis – à la
fois en terme de monnaie officielle de son territoire de destination, et de
monnaie de réserve d’éventuels autres pays dans le monde -, la Banque
Centrale est hyper prudente : toute erreur de sa part pourrait empêcher
l’euro d’accomplir ses promesses historiques. Et l’euro reste attaché à
couvrir des obligations dans le monde, bien davantage que des actions. En
ce qui concerne les évolutions dans la gestion des portefeuilles, elles
renvoient aussi à l’énorme effort de réforme interne du système,
notamment pour qu’il puisse répondre aux excès de défiscalisation que
l’on peut trouver, à la part de « mauvaise spéculation ». 1523
La période de transition est dure à gérer. Ne connaissant pas bien la
nouvelle macro économie, la définition nouvelle des différents
« secteurs », clairement identifiés, ayant entre eux des relations de crédit,
on a parfois même du mal à distinguer ce qui correspond à « l’offre » et ce
qui correspond à « la demande ». Et d’un point de vue dynamique
financier, on a parfois du mal, quand on investit, à savoir si on investit
dans de la dette ou dans des fonds propres. D’où la nécessité de se
couvrir « proprement » : ce qui est la caractéristique, quand l’intention de
la part de l’investisseur n’est pas mauvaise, d’un phénomène de « bonne
spéculation »… mais qui peut cependant contribuer à augmenter le risque
systémique, tant que ce « système » n’est pas « proprement », lui-même,
évalué1524. D’où des difficultés dans l’appréciation des produits financiers.
Un exemple très frappant en est la confusion entre les risques de liquidité
et de solvabilité, sur des marchés où les capitaux financiers circulent
librement alors que les contextes sociaux ou productifs, eux, sont
différents. D’où des risques importants de confusions.
Il a été remarqué, de la part des agents privés, une « rupture »
dans la fonction de demande de M1, vers 1984. Le comportement de
substitution des agents économiques entre les actifs de différents
1523
Car on peut sans doute objecter qu’il en existe aussi une bonne.
D’où l’idée, aussi, de « bonne » et de « mauvaise » défiscalisation : « signe des
temps » actuels !
1524
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 827
agrégats, a changé. Deuxièmement, les agents s’appuient sur les swaps
entre monnaies, pour couvrir leurs choix financiers privés. Mais la
perturbation ainsi apportée au système macro économique – les marchés
ne s’ajustent pas « tous seuls » ! - ne peut être compensée – sinon
exceptionnellement par des visions managériales ou micro économiques
« géniales ». Pour preuve l’exemple des taux d’intérêt. Le caractère de
plus en plus inopérant de la distinction traditionnelle entre encaisses de
transaction et de spéculation – qui vaut (nous insistons !) en contexte
homogène, ce que n’est pas le contexte de la mondialisation – a tendance
à rendre les agents économiques plus sensibles aux variations des taux
d’intérêt relatifs, et moins sensibles à celles du niveau général de ces
taux. Si les Banques Centrales n’avaient pas pour rôle de peser sur la
genèse de ces taux, on pourrait assister alors à des phénomènes de
constitution d’endettements qui deviendraient, par la suite, non
remboursables.
Les succès du monétarisme en Europe. Les valeurs du Système
Européen des Banques Centrales. Du grand marché à la
Banque Centrale Européenne :
On a vu les raisons du succès du monétarisme en Europe comme
dans le monde :
- revenir à une économie avec le moins d’inflation réelle
possible ;
- de cette façon, si possible, aussi limiter l’inflation
monétaire, et sécuriser le revenu1525 ;
- un effet indirect, mais pas le moindre, de ces deux
premières étapes, sera de stabiliser les endettements
nationaux, régionaux, et l’endettement mondial1526 1527
1528
.
En clair, la mise en application de recettes de politiques ouvertement
monétaristes est une condition indispensable pour revenir à un minimum
d’équilibre, du moins un niveau d’équilibre dans lequel la plupart des
Eviter donc que l’on passe brusquement de l’inflation des prix à la déflation du
système. Ou comment tirer les leçons de l’histoire.
1526
Peut-être est-ce en fonction de cet objectif atteint que l’on pourra définir
« naturellement » le type de défiscalisation abusive.
1527
Car il est possible que beaucoup de spéculateurs « naïfs » défiscalisent leurs positions
pour ne pas apparaître comme endettés, ce qui est effectivement un truisme. Mais le bon
sens nous indique aussi que, sur le plan individuel, ce n’est pas parce qu’ils
« l’apparaissent » qu’ils ne le sont pas. Mais si tous agissaient ainsi, cependant, cela
aurait effectivement un effet de réputation redoutable sur le système tout entier. Les
Banques Centrales doivent donc voir au-delà de ces effets de réputation, afin de nous
préserver de « mauvaises surprises » ayant des effets brutaux.
1528
La frontière entre économie monétaire et économie réelle doit donc aussi être en
permanence redéfinie par les Banques Mondiales. Les spéculateurs agissent comme nous
l’avons défini à la note précédente, aussi parce qu’ils anticipent en permanence sur les
structures, voire sur la légalité. C’est à cet aune que l’on doit régulièrement les inviter à
opérer « un examen de conscience », procéder à des réévaluations légales (sinon
sanctionner). Truisme à nouveau… mais, nécessaire lui aussi de le rappeler, car
également d’actualité.
1525
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 828
ajustements, économiques mais aussi sociaux, puissent se dérouler
normalement !
Et maintenant, quelles sont les valeurs affichées par le SEBC
(Système Européen de Banques Centrales) :
« L’objectif du SEBC est de maintenir la stabilité des prix. De plus le SEBC
apporte son soutien aux politiques économiques générales de la
Communauté. » 1529
Les six principes directeurs sont :
- efficacité ;
- responsabilité ;
- transparence ;
- orientation à moyen terme ;
- continuité ;
- cohérence avec le statut d’indépendance.
De plus, le périmètre de l’Union Monétaire n’est pas figé. Le dispositif doit
être assez flexible pour amortir le « choc » monétaire et financier éventuel
lié à l’adjonction d’un important pays membre. Fort logiquement, ce
canevas de principe sera calqué par la Banque Centrale de tout pays
souhaitant rejoindre l’Union monétaire.
Les principes 4 (orientation à moyen terme) et 5 (continuité) nous
rappellent les commentaires faits sur la politique des « zones cibles ». Les
autres critères montrent la volonté de rationalité « financière », qui peut
être comprise aussi comme une volonté de donner toute sa place à une
conception « à la britannique » de la gestion d’une Banque Centrale : il
faut que les opérations soient faites dans la transparence, à la fois pour
que l’on puisse continuer à croire dans ce système et que l’on assure leur
indépendance financière à ceux qui le gèrent (ce qui rejoindrait plutôt la
conception allemande), mais aussi pour rémunérer dignement les
intermédiaires sur les marchés financiers, à restreindre largement leur
rôle à un rôle d’intermédiation au bénéfice d’ « investisseurs
propriétaires », et de les rémunérer dignement pour le service ainsi
apporté (Cette transparence et ce suivi des intermédiaires constituent
proprement la conception britannique). Il est certain que cette politique
d’intermédiation au service (du moins peut-on en rêver) « de l’euro », a
pour dynamique profonde d’élargir assez rapidement le territoire de l’euro,
et de servir le Grand Marché. Mais de la part des Britanniques en tous cas,
la position reste un peu paradoxale, dans la mesure où ils n’ont pas
encore adopté cette monnaie…
1529
Traité de Maastricht.
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 829
Déficits, taux d’intérêt, et croissance. L’euro, les cycles, et la
croissance. Croissance forte ou croissance faible ?
En atteignant rapidement douze pays sur quinze, l’euro a montré
que, réalisation préparée de longue date, il connaissait à son heure un
vrai succès. Pourtant, ce vrai succès n’est pas exempt de critiques,
concernant la politique des Banques Centrales particulièrement.
Tout d’abord, dans les années 1980/1981, la forte hausse des taux
d’intérêt n’avait pas entraîné une hausse conséquente de la production.
Cela démentait donc un caractère automatiquement miraculeux d’une
quelconque politique monétariste.
Mais, ensuite, on a toujours reproché à la politique monétariste de
ralentir la croissance, en même temps que tout pays participant à la
marche à l’euro, d’accord sur le principe – et même assez vite selon la
théorie des zones cibles – pour jouer de façon coopérative, était
néanmoins incité à profiter des possibilités de gestion financière d’écarts
entre pays – en termes de production, de qualité, de convergence -.
Chaque Banque Nationale participait à un jeu à la fois avec les agents
nationaux et avec les Banques Centrales étrangères. Les changes,
flexibles car « flexibles et ajustables », introduisirent un biais
inflationniste. Car les Banques Centrales essayaient de provoquer
l’obtention du niveau de production optimal, en diminuant le salaire réel
dans leur pays plus que dans les autres, afin d’attirer la production et
l’emploi. Or, les salariés anticipaient cette partie de la politique de
dépréciation compétitive, et demandaient des augmentations de salaires
subséquentes.
Pas « miraculeuse », la politique monétariste avait quand même bel
et bien réussi son objectif principal : la réduction de l’inflation. Partant de
là, la capacité aussi, sur le plan conceptuel – on peut aussi mettre le
« monétarisme » à plusieurs sauces, et pas seulement à celle,
politiquement libérale, issue de FRIEDMAN, et à laquelle on nous a habitué
– de penser de façon un peu moins dichotomique le réel et le financier ; et
ceci étant dans le cadre de la gestion des cycles, retrouver une emprise
vers des chemins d’expansion plus équilibrés ; et partant de là (équilibre
+ développement déjà à un haut niveau), enfin, avec le fait que l’on a
atteint un haut niveau de développement, la possibilité d’un
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 830
développement « durable » ! 1530 1531 C’est alors, dans les années 1990,
que, même si la croissance était au plus bas, et avec une inflation
contenue, les cycles ont été en partie amortis, mais avec un
ralentissement effectif de la croissance.
Mais cela n’était pas la préoccupation principale des gestionnaires du
SEBC (la « croissance »). Eux voulaient d’abord lui donner un caractère
moins spectaculaire dans le présent, mais plus de potentiel dans l’avenir,
à cette croissance. Or, la deuxième difficulté de ces gestionnaires, à cause
des contestations « qui n’empêchent pas la caravane de passer », est liée
à des constatations objectives : la difficulté de certains pays d’Europe,
très rares, pour entrer dans l’euro. Il s’agit essentiellement de la Suède
(et moindrement du Danemark, dont la situation peut être considérée
comme intermédiaire entre celle de la Suède et celle du Royaume Uni),
étant donné que nous aborderons le cas du Royaume Uni plus loin 1532, et
aussi compte tenu de motivations politiques. Les cycles économiques de la
Suède sont décalés par rapport à ceux de la zone euro, ce qui explique sa
réticence. En général, un pays dont le chômage cyclique diffère de celui de
ses partenaires risquerait que la politique monétaire de la BCE ne
corresponde pas à ses besoins. Ce peut être en effet le cas de la Suède,
où de plus la part du chômage cyclique est forte. Compte tenu des ces
deux caractéristiques de ses cycles, la Suède pourrait craindre certains
troubles des comportements sociaux, si elle entrait dans l’euro. Mais il
n’est pas exclu non plus que son refus soit pour partie (minoritaire
vraisemblablement) de nature politique… et que, si le Royaume Uni entre,
elle entrera. Quant au Danemark, même s’il n’a pas adopté l’euro, il
partage son système de change !
Finalement, l’écart entre des systèmes financiers désormais
totalement intégrés grâce à la globalisation, et des politiques économiques
qui le sont beaucoup moins, crée un fort sentiment de frustration, même
parmi la moitié de pays de l’Union qui ont rejoint l’euro 1533.
Ainsi il peut y avoir, clairement, des théories du développement durable conditionnées
par les nouvelles conceptions de la gestion de la monnaie. Notre thèse s’attache à en
démontrer le principe sans encore aller toutefois jusqu’aux recommandations de
politique(s) monétaire(s). Sur le plan de la doctrine, ce que nous énonçons ne nous
paraît pas contradictoire : normalement, le monétarisme à la FRIEDMAN énonce le
principe d’une forte dichotomie entre réel et monétaire. Mais si on ajoute au
monétarisme la prise de conscience des cycles longs, il nous semble que l’on devrait
pouvoir vaincre cette fatalité, car il y a alors plus de marge pour un équilibre
psychologique sans un besoin aussi impérieux de conquête extérieure.
1531
Celles-ci pourront donc faire l’objet de travaux ultérieurs.
1532
Dans le tome III, chapitre 3.
1533
Il ne faut donc pas considérer ce sentiment de frustration comme « irrationnel », ni le
traiter à la légère !
1530
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 831
Les politiques monétaires à l’Est depuis 1989 : reprises en main,
dévaluations ; les réformes monétaires en Russie :
La Pologne mène à compter de 1990 une politique dure et rapide,
choisissant de mettre l’accent sur la stabilité du taux de change pour
stabiliser les prix. Elle choisit des politiques budgétaire et monétaire
restrictives. La Hongrie elle aussi, la même année, décide de la
suppression du déficit budgétaire. Mais elle opte aussi pour un
renforcement de la politique du crédit.
Contradictoirement à ces politiques monétaristes, menées dans des
pays qui n’ont pas la même expérience que les pays de l’Ouest, en
matière de défense et de protection de la propriété privée, ces pays ont
du mal de s’en sortir, et doivent recourir à des dévaluations compétitives.
En effet, c’est ce que font la Pologne (1990, 1990, 1992), la Hongrie
(1990 en janvier et décembre), la Tchécoslovaquie (1990 en Octobre et
Décembre), la Roumanie (1990), la Bulgarie (1991, puis flottement…).
Un jour, il faudra que Est et Ouest de l’Europe trouvent un souffle,
monétaire, économique, politique et social, commun. La chute du CAEM
en 1990 est plutôt apparue, à l’Ouest, comme une surprise partagée.
La Russie reste à la traîne, en dehors de toute logique monétaire et
monétarisée « à l’Européenne ». En effet, ce pays est resté en grande
partie fidèle au troc pour ses échanges extérieurs. En Octobre 1992 sont
en effet pris en Russie une série de décrets, visant à réorganiser le
commerce extérieur. Des paiements différenciés sont décidés à cette
occasion : devises, troc, quasi-troc, clearing. Avec les pays d’Europe
centrale par exemple, le troc représente encore 30 à 50% des échanges
russes dans les années quatre-vingt-dix.
Le Traité de Maastricht en 1991, la crise monétaire de 1992 :
approfondissement des institutions, et assouplissement des
conditions d’intervention :
Cela accentue la dimension libérale de la construction Européenne.
Le Traité de Maastricht sera placé sous le double signe de la monnaie et
de la justice (avec l’annexe extérieure d’un embryon de défense
commune).
C’est en effet à Maastricht, les 9 et 10 Décembre 1991, que les
« douze » s’accordent ainsi sur l’Union Européenne. On décide de marcher
à la monnaie unique d’ici la fin du siècle. Le Traité de Maastricht est signé
le 7 février 1992. Le Royaume Uni bénéficiera d’une exemption pour la
monnaie commune, compte tenu qu’il n’est pas encore prêt à la
comptabilité monétaire de l’Union (le « I want my money back » de M.
Thatcher l’a bien montré !). Les relations monétaires difficiles entre
Europe et Etats-Unis, Europe et Europe elle-même, avaient duré vingt ans
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 832
avant d’en arriver à cette décision engageant « le », « la » et « les »
politique(s). En effet, c’est en Octobre 1989, au Conseil de Madrid, que les
chefs d’Etat Européens avaient décidé d’endosser le rapport du plan
Werner (datant de 1970) et d’embarquer vers la première étape de l’Union
monétaire !…
Cette décision s’inscrit dans un contexte global. En effet, la politique
Européenne « visible » - celle décidée par les chefs d’Etat Européens –
dont font partie les décisions de construction du SME, puis de l’UEM et la
marche à l’euro, sont entourées depuis l’époque de l’après guerre, par un
« halo », moins visible mais également important : il s’agit d’une part de
certaines visions Américaines pour l’Europe, et d’autre part d’Institutions /
Conseil pour l’Europe, en particulier le Conseil de l’Europe. Dans ce
contexte, on voit par exemple au début des années 1990, les réticences
Britanniques à construire l’Europe monétaire, mais aussi dans le même
temps, la Suisse qui entre au Fonds Monétaire International (décision
prise par référendum), en Mai 1990.
Mais cette confirmation d’une orientation libérale de la politique
Européenne1534 ne prévient pas la crise spéculative de 1992.
A l’issue de cette crise, les marges de fluctuation sont élargies, ce
qui soulage par exemple le Royaume Uni et l’Italie. Les nouvelles marges
sont fixées à + ou – 15%. Les pays les plus fragiles pourront alors
davantage se défendre, contre les risques de déstabilisation, liés à des
attaques spéculatives. DE GRAUWE (1994) démontre que ces marges
élargies permettent aux pays les plus inflationnistes de ne pas supprimer
la spéculation, mais de la modifier. Le lien « anti-Europe », le passage
d’une inflation réelle à une spéculation contre la monnaie est
sérieusement remis en cause. De leur côté, les autorités ne se retrouvent
plus de la même façon sur les charbons ardents, et en opposition brutale
avec les spéculateurs issus de leur nation. En cas d’absence de marges de
variation, les autorités monétaires, obligées d’intervenir constamment,
peuvent perdre des réserves monétaires, ce qui les incite à augmenter
leurs taux d’intérêt. Par contre, avec des marges, tout le monde peut
davantage respirer. Si la Banque Centrale laisse sa monnaie se déprécier
à court terme, la spéculation ne s’enflammera pas nécessairement comme
conséquence, si les agents peuvent se forger dans le même temps des
anticipations d’appréciation de la monnaie par la suite 1535. Généralement,
les excès de spéculation peuvent être notoirement dus aux excès de
répression financière. Il faut bien garder en tête l’idée d’un « monétarisme
bien tempéré ». L’autonomie de la politique monétaire est avant tout
fonction de sa crédibilité à long terme. Il ne faut pas inverser les rôles 1536.
La construction Européenne s’est toujours inscrite dans un contexte libéral, même si
dans les années cinquante on parlait d’une certaine « préférence communautaire ».
1535
On associe les agents privés aux évaluations monétaires. Mieux vaut être ferme dès
le début, pour assouplir les conditions par la suite.
1536
Politiquement, la politique « libérale » au début, pourra l’être moins par la suite…
mais au niveau Européen !
1534
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 833
Pour certains, la crise monétaire aurait même des vertus en
rapprochant les anticipations des financiers, des gouverneurs de la
monnaie, et de « Monsieur tout le monde ». Des prix Nobel d’économie1537
ont prétendu que lors de la crise de 1992, « les spéculateurs et les
chômeurs avaient été des alliés, parce que les monnaies était
surévaluées ». En perdant leurs réserves de change pour lutter contre la
spéculation, les autorités monétaires Françaises mesuraient bien la
nécessité de miser sur l’aspect Européen de la politique monétaire, encore
plus sérieusement que d’ordinaire.
Pour BENSAÏD et PONTY (1991) : « L’UEM permet de contenir les
pressions inflationnistes dues au(x) choc(s) par une forte appréciation
réelle du change qui est préjudiciable à la compétitivité / prix et qui réduit
la production. » Encore les critiques contre une politique monétaristes trop
sévère qui « comprimerait la sphère réelle ». 1538 1539 Mais peut-être, les
ajustements dans la politique monétaire Européenne n’étaient pas très
importants. Car, au cours des années qui ont suivi (années 1990 et 2000),
les crises financières qui ont parcourues le monde, survenant à des
intervalles plus rapprochés qu’autrefois, ont du moins épargner l’Europe.
En ce sens, on peut dire que, même si l’Europe n’a pas connu une très
forte croissance (mais néanmoins une croissance qui est loin d'être nulle),
la politique monétaire Européenne, sans l’euro puis avec lui, a du moins
revêtu un certain caractère protecteur, même si d’aucuns le trouvent
encore insuffisant… (Eu égard au thème de « l’Europe sociale »). Certains
faits montrent avec certitude que la politique monétaire Européenne,
encore assez inexpérimentée (ce qui ne sera plus le cas dans dix ou
quinze ans…) ne s’est jamais fixé comme but une réduction de la
croissance ! Par exemple, le système du Fonds Européen de coopération
monétaire avait permis plus de convergence depuis le début des années
1970. Mais il entraînait dans le même temps des taux d’intérêt élevés, et
une baisse de la croissance potentielle. A la suite de la crise de 1992, on
fait désormais l’économie de ce système.
Dans la crise du SME d’août 1993, « les spéculateurs se sont avérés les meilleurs
alliés des chômeurs Européens » : citation de BLANCHARD, DORNBUSH, S. FISHER,
KRUGMAN, MODIGLIANI, SAMUELSON et SOLOW.
1538
Reste à savoir si l’économie « salariale » relève davantage de l’économie monétaire
ou de l’économie réelle. Faute de termes clarifiés à ce sujet dans le contexte de l’euro :
pourrions-nous parvenir à de nouvelles notions d’économie politique Européenne ayant
une autorité suffisante pour permettre aux autorités d’agir, sur notre continent ?
1539
« L’économie salariale » relève indéniablement plus de « l’économie monétaire » que
de « l’économie réelle » : mais la gestion des chocs transitoires encore à venir entre
économie(s) nationale(s) et économie Européenne intégrée nous place sur la voie des
politiques possibles afin de lutter contre la concurrence fiscale et sociale destructrice (si
elle est abusive) du lien social, et donc de l’avenir… de l’Europe !
1537
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 834
Le Pacte de Stabilité. La gestion des exclus et des inclus de l’euro
par la Banque Centrale Européenne :
Au cours de la période 1994-1999, sont imposés les cinq critères de
Maastricht, que l’on regroupera et désignera ainsi regroupés sous le nom
de « Pacte de Stabilité » :
- un taux d’endettement national pas supérieur à 60%
du PIB ;
- un déficit public annuel pas supérieur à 3% du PIB ;
- un taux d’inflation pas supérieur à 3% (en valeur
absolue) de la moyenne des trois pays de l’Union ayant
la plus faible inflation (à vérifier) ;
- un taux de change variant dans les limites des marges
de fluctuation autorisées (à vérifier) ;
- un taux d’intérêt à long terme ne différant pas de plus
de 10% (en valeur relative) de la moyenne des pays
de l’Union (à vérifier).
Dans la même période, qui est celle de la mise en place du Système
Européen des Banques Centrales, toutes les Banques Centrales
Européennes devaient être devenues indépendantes, ceci afin de
préserver leurs capacités, individuelle et conjointe, de lutter contre
l’incohérence temporelle.
Les Britanniques continuent de penser que certains pays de l’Union
devraient conserver leur autonomie monétaire, afin de lutter contre l’effet
de chocs asymétriques. Mais ceux-ci resteront d’autant plus violents et
asymétriques que l’on sera resté dans cette position ! C’est pourquoi
certains pays, et ils ne sont pas nombreux (principalement le Royaume
Uni et la Suède, sans oublier le Danemark dont la position est particulière
car il a valeur d’exemple), se sont mis volontairement hors jeu. Quand au
Royaume Uni, il a contribué à un certain mouvement centrifuge contre le
Système Monétaire Européen, que l’on constate depuis la crise de 1992,
mais auquel on a commencé à pouvoir répondre depuis que l’euro est
né1540 1541.
L’organisation des relations entre pays « élus et exclus » de l’UEM1542
a vocation à rester l’un des problèmes les plus délicats à gérer au cours
des prochaines échéances de la construction monétaire Européenne :
jusqu’en 2010 ou 2015 sûrement… et probablement à nouveau après mais
dans d’autres configurations.
Bien que d’autres événements plus récents, tel que le rejet du TCE par la France et
les Pays Bas, en 2005, n’ont sans doute pas contribué pour peu au creusement du fossé
entre système monétaro-financier « à l’allemande », et système « à l’anglaise ».
1541
Dernier système auquel il faut bien constater que la France est toujours plutôt
associé, « mangeant ainsi aux deux râteliers » !
1542
Toute politique de croissance bute sur la définition du territoire de consolidation des
normes effectives. Et donc, la question des frontières de l’Europe et de l’euro, apparaît
comme inséparable de la gestion macro économique en Europe aujourd’hui.
1540
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 835
La décroissance des taux d’intérêt mondiaux depuis la création de
l’euro : portée, limites. L’enjeu des dépenses de recherche
par rapport au cours futur de l’euro ; vers une monétisation
en euros de la dette des pays en développement :
Si l’on compare les attributions de la Banque Centrale Européenne
avec celle de son homologue Américaine, la Federal Exchange Reserve
(FED), on constate que cette dernière a trois attributions principales :
- la lutte contre l’inflation et pour la stabilité des prix ;
- un rôle pour aider à gérer et quand il le faut à relancer
la croissance et l’emploi ;
- la fixation des taux d’intérêt au plan national ; une
sérieuse indication à ce sujet au plan mondial ;
On voit que la BCE a, avec la FED, le premier but en commun.
- mais elle n’a pas en commun le second but, cela ne fait
pas partie de ses attributions. On peut en déduire que
la Banque Centrale Européenne est encore une Banque
Centrale « dans l’enfance » ;
- quand elle sera capable de ce second objectif, on
pourra dire qu’elle sera devenue une Banque Centrale
« dans l’adolescence » ;
- quand elle aura atteint le troisième (il y a peu de
chances que cela arrive avant que les frontières de
l’euro et/voire celles de l’Union Européenne soient
stabilisées), on pourra dire qu’elle est enfin arrivée à
son âge adulte, ceci si l’euro a vocation à devenir une
sorte de « successeur » du Dollar, la principale
monnaie de réserve au monde.
Cette dernière condition supposerait qu’elle parvienne à défendre
son propre système de valeurs. Que les critères de stabilité soient
recalculés en y incluant les dépenses de recherche, d’infrastructures pour
l’économie future, par exemple. Qu’une « théorie de la valeur ajoutée
sociale » Européenne, claire, complète et cohérente, soit développée et
fasse partie de la doctrine de la BCE. Peut-être aussi que les financements
et l’aide en direction du Tiers Monde soient précisés clairement, dans une
doctrine qui succéderait à la sorte de « monétarisme » qui a découlé des
enseignements de FRIEDMAN, et dont toutes les Banques Centrales ont
hérité depuis les années 1980. L’euro serait alors parvenu dans sa phase
de maturité. Il y a alors fort à parier que l’on pourrait rapprocher les
visions Britannique, Française et Allemande de l’indépendance de la
Banque Centrale, et que cette dernière valeur – l’indépendance -, qui est
devenue une condition indispensable de la gestion des Banques Centrales
– à l’époque où la différence se fait sur la compétitivité de celles-ci – ne
serait plus considérée comme un but en soi, à l’instar de la vision du
système de valeurs auquel nous nous devons de réfléchir.
L’Europe a pourtant déjà contribuée au début de stabilisation et de
rééquilibrage du Système Monétaire International :
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 836
dans
un
système
monétaire
« chapeautant »
l’économie monde à trois pôles (Asie, Europe,
Amérique du Nord), la position de l’Europe, entre l’Asie
créditrice nette et les Etats-Unis débiteurs nets, est
une position idéale « d’ambiguïté constructive », qui si
elle est correctement exploitée, peut permettre à
l’Europe de profiter des erreurs des autres (notamment
des erreurs Américaines éventuelles), et de renforcer
la cohérence de sa position, vers un système
d’assurance au rôle de plus en plus positif pour le reste
du monde ;
- l’Europe s’est dotée d’un « Pacte de Stabilité » qui
manque à l’Amérique, même si il est encore incomplet.
Cela constitue un sérieux allié pour les Américains qui,
du coup, voient leur propre responsabilité dans
l’endettement mondial atténuée, du fait de l’existence
de ce stabilisateur Européen ;
- du fait de cette alliance et de cette stabilisation, les
taux d’intérêt globaux ont pu baisser depuis la fin des
années 1990. Tout ce qui a été gagné sur le plan des
coûts pour les Banques Centrales pour lutter contre les
fluctuations de change en Europe, peut être reversé au
chapitre des taux d’intérêt, pour bénéficier à
l’économie réelle. L’investissement qu’avait commencé
à faire l’Amérique dès les années 1950, en se dotant
d’un allié économique, politique et monétaire depuis le
moment du Plan Marshall puis l’époque des euro
Dollars, devient aujourd’hui une perte de prise de
risque pour l’Amérique, et un gain de rentabilité pour
l’ensemble du monde.
Le temps est déjà lointain où l’Allemagne pratiquait des taux
d’intérêt élevés, juste après la réunification Allemande, pour se prémunir
contre les risques d’inflation venus de la réunification et de son flanc Est.
-
Les taux Européens restent légèrement plus élevés que les taux
Américains1543, peut-être à cause d’un conservatisme plus important des
autorités monétaires en Europe, et aussi d’une moins grande homogénéité
– celle-ci va en se résorbant, mais pourrait à nouveau connaître une
flambée si un grand pays avec un gros différentiel de développement,
comme la Turquie, rentrait à court terme dans l’Union -. Mais cette
hypothèse n’est pas vérifiée, en effet, à court terme – qui fait redouter
des foyers naissant d’inflation qui pourraient ensuite se répandre dans
toute l’Union -. Mais, les fondements du système Américain ayant un
fondement sécuritaire plus poussé que ceux du système Européen, tout
risque apparent sur les flancs de la sécurité économique ou politique
mondiale, provoquera une remontée des taux d’intérêt Américains, si bien
En 2005, au moment où ces lignes ont été écrites. En 2007, les taux Européens sont
passés en dessous des taux Américains.
1543
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 837
que ceux-ci vont finir par se retrouver au dessus des taux Européens 1544.
Ce dernier événement redonnerait du souffle à la BCE et lui permettrait de
mieux exprimer ses valeurs. On pourrait aussi être alors tenté, dans de
nombreux pays, d’emprunter (ou mieux, d’investir…) en se couvrant en
euros plutôt qu’en Dollars. Un tel événement serait un important point de
retournement des passes d’armes, récurrentes, entre euro et Dollar.
Actuellement, on constate une relative instabilité de la politique
Américaine : les décisions Européennes fixant des orientations à long
terme sont plus prudentes, et paraissent avoir des effets plus stables.
Mais la monnaie Européenne peut encore tomber dans des pièges :
- être trop surévaluée face au Dollar, si bien que le
différentiel de croissance entre Europe et Amérique
continuerait de se creuser. L’euro courrait alors le
risque de ne jamais émerger comme devise clef face
au Dollar. Il ne pourrait pas acquérir la légitimité à
laquelle il doit pouvoir prétendre, auprès du public
Européen, et serait peu à peu abandonné, à la suite de
son délitement ; le cinquième cycle de KONDRATIEFF
ne démarrerait jamais, ou démarrerait ailleurs qu’en
Europe, par exemple en Asie ;
- se laisser trop dévaluer. Que la BCE perde son
indépendance de fait et sa capacité d’ « ambiguïté
constructive ». L’Europe connaîtrait alors elle aussi des
fluctuations dont elle a plutôt été épargnée depuis une
dizaine d’années, ce qui retarderait le succès et la
crédibilité de l’euro, et son extension à d’autres pays.
(L’euro est, tendanciellement, forcément plus fort que
le Dollar.)
Entre ces deux hypothèses, l’euro est promis à l’émergence 1545, ce qui se
fera suivant en cela des effets de seuil, mais devra aussi s’accompagner
d’une prise de conscience politique plus inspirée, de la part de nos
dirigeants. Pendant ce temps-là, les fonctionnaires qui dirigent la BCE
accumulent de l’information sur le fonctionnement de l’économie réelle
Européenne, se qui ne pourra que leur permettre d’émettre des avis, des
recommandations, de plus en plus précis(es). On peut quand même miser
encore sur un certain nombre d’années de conservatisme relatif ou
« éclairé ». Ces années paraîtront d’autant plus longues que des
contestations injustes poursuivront la BCE, lui reprochant de mal lutter
En effet ! A suivre, donc : avec beaucoup d’attention.
La crise financière de l’été 2007 montre que la BCE est capable d’injecter plus de
liquidités dans l’économie réelle que la FED, afin de calmer la spéculation et relancer la
confiance. Ce troisième aspect, après l’aspect sécuritaire et celui des valeurs, celui, donc,
des intérêts qui montre une amélioration, à l’été 2007, dans la connaissance des secteurs
économiques et de leurs relations de crédit, par la BCE, démontre aussi que l’on est
peut-être en passe, à l’intérieur d’un cycle des affaires, de pousser les anticipations des
marchés en faveur de l’euro comme ancre de la tendance mondiale de croissance, et ceci
forcément en concurrence face au Dollar. Dans ce cas, la BCE a certainement les moyens
de gérer conjointement la bonne évaluation de l’euro – ni trop fort ni trop faible, pour ne
pas être piégé par les marchés – et la suite du rapport de force obligé face à la devise
Américaine.
1544
1545
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 838
contre l’inflation ou encore de ne pas protéger des crises financières
internationales. Mais il est vrai que la situation de la BCE deviendra
objectivement intenable si une augmentation du budget Européen
conséquente n’apparaît pas, qui donnerait une visibilité et une crédibilité
sociale à la monnaie. Personne en Europe n’a intérêt à ce que cela n’arrive
pas assez vite.
La politique monétaire Européenne pourra aussi obéir à certaines
« respirations ». Quand, à la fois la connaissance de l’économie réelle
Européenne, et la vision du rôle de l’euro dans le monde, seront plus
affirmés, peut-être deviendra t’il utile d’accélérer la création de masse
monétaire… à destination de l’Union… sans doute à l’extérieur aussi, si
l’euro devient devise clef. En effet, si l’on prend l’exemple de l’Allemagne,
celle-ci était, avant la réunification, un important exportateur de capital.
Puis elle s’est mise à en importer. Peut-être un jour conviendra t-il de
compléter ce capital nouveau par de la masse monétaire en plus.
Mais ce dernier point introduit aussi un risque d’éclatement de la
politique monétaire Européenne, si une augmentation du budget Européen
ne vient pas assez vite au secours de l’euro. La conception allemande de
la monnaie fixe à celle-ci un vrai rôle de lien social. Aujourd’hui, on court
le risque que cette conception soit battue en brèche, ce qui ferait
triompher une vision britannique où la Banque Centrale a un rôle au
service des intermédiaires plus que de la production. Le récent
rapprochement entre Euronext et la Bourse de New York, plutôt que la
Bourse de Francfort, va dans ce sens euro pessimiste. Le rééquilibrage
entre euro et Dollar sur les marchés financiers mondiaux sera plus ou
moins long. Il peut durer dans le domaine des transactions financières, et
ne jamais arriver à celui des relations commerciales, si l’Europe n’arrive
pas à trouver un « second souffle » autour de l’euro, sept ans après sa
création. Dans le même temps, le processus d’innovations et de
déréglementation financières reste beaucoup moins avancé en Allemagne,
qu’il ne l’est ailleurs, au Royaume-Uni en particulier. Il faut donc donner à
l’Europe les moyens de concilier le triangle 1°) innovation,
déréglementation financière, produits de défiscalisation ; 2°) traditions
nationales en terme de système 1546 monétarisé d’assurance, pour ce
qu’elles ont de positifs (en particulier liens entre le système financier,
l’économie et la sécurité sociale) ; 3°) équilibre réellement géré entre la
masse monétaire, les formes d’épargne, le crédit - national et
international -, et nos représentations à ce sujet. Encore, en réussissant à
optimiser la gestion de ce triangle, n’aurons nous fait qu’un travail
défensif, ne suffisant pas à engager le rôle international de l’euro,
notamment sa mission dans la lutte contre les excès de la défiscalisation.
Mais en ce qui concerne l’Allemagne, les efforts qu’elle a faits en termes
d’économie réelle depuis 1989 (la réunification a accru ses coûts de
production et du facteur travail), ont retardé le moment où elle peut
Système d’Assurance de la Croissance, tel que nous l’avons défini pour la période
1800-1870… revu et fortement corrigé en vue de la période qui nous concerne
aujourd’hui.
1546
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 839
réformer, de manière coordonnée, son système financier et monétaire, et
son système social et fiscal (deux sous-systèmes qui fonctionnaient à
l’unisson en Allemagne depuis 1945). Le rôle d’intermédiaire culturel et
politique de la France sera crucial, une fois de plus, si elle respecte la
vocation d’indépendance de ceux qui se destinent aux intérêts monétaires,
et si elle ne sombre pas dans des délires politiques franco-français 1547.
L’euro comme monnaie est, par vocation, entre le tout politique et le
tout financier. S’il obéit au tout financier, personne ne s’étonnera que les
crises financières internationales se multiplient, comme c’est le cas depuis
les années 1990. L’euro finira par ne plus nous en protéger, si il ne
parvient pas à asseoir son autorité, car alors le système monétaire
Européen sera « mangé » par le système Américain, rien ne changera.
Mais nous pouvons nous sauver en remarquant que ces cycles de crises
financières (tous les cinq ans), se multiplient parce qu’ils correspondent à
un système dont les fondements sont mauvais (trop d’endettement). Nous
pouvons améliorer notre coordination entre pays Européens, et même
aller vers davantage d’intégration. Si un cycle de cinq ans, où nous
captons mieux notre environnement, et nous protégeons des fluctuations
(comme c’est peut-être le cas depuis 2001) succède à une période de
même durée où nous serions plus entreprenants par rapport aux
conditions politiques requises pour que l’euro prenne son envol (20062011 ?), nous ne serons pas piégés par le cycle des affaires, de dix ans
environ, car nous parviendrons à gérer ses anticipations de façon binaire,
en gardant notre équilibre1548. Rappelons pour mémoire que le demi cycle
précédent, 1997-2001, avait vu une accélération de la croissance due à
l’euro : donc effectivement une amélioration en terme d’économie réelle
de la coordination entre pays (l’euro dès sa naissance avait fait sentir ses
premiers effets positifs… et en faveur de la croissance, notamment en
France !), mais il n’y avait pas alors eu de relais suffisant au niveau
institutionnel : pas d’initiatives politiques marquantes, plutôt une
constatation et une appréciation du seul choc institutionnel de l’euro,
toujours surprenant en soi1549. Nous sommes encore immatures, par
rapport à l’euro, pour correctement nous positionner, en particulier, vis-àvis des pays émergents. Ce sera un critère énorme de déclenchement d’
« effets de seuil » en faveur de l’euro. Les pays émergents sont les
arbitres privilégiés du match euro / Dollar.
« Il y a du travail ! ». Seule note d’humour que nous nous permettrons en vue de
cette thèse…
1548
Ce type de cycle binaire visant à endogénéiser les anticipations au sujet de l’euro, afin
d’en faire des croyances durables et de « s’approprier l’euro », pourrait donc se
reproduire. A chaque cycle des affaires avec sa période de hausse (sept ans) puis de
baisse (quatre ans), il y aurait en parallèle un cycle social plus équilibré (cinq ans – cinq
ans), visant à s’approprier notre devise clef.
1549
Et de certains défauts de coordination.
1547
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 840
La zone euro face à des crises financières à répétition. La politique
monétaire
de
l’euro :
doutes,
conservatisme,
voire
inhibition. Les raisons de la prudence, en interne et en
externe :
Moyennant quoi, l’euro nous a bien protégé des crises financières
mexicaine (1994), Asiatique (été 1997-2000), russe (1998).
La BCE s’est relativement repliée sur elle-même à l’occasion de ces
événements. Elle s’est attachée à continuer sa lutte contre tout risque de
débordement inflationniste, et elle y a plutôt bien réussi.
Il est vrai qu’elle ne s’est pas beaucoup impliquée dans la résolution
de ces crises. Nous avons une Banque Centrale « dans l’enfance ». Il est
normal que l’on laisse les Américains se « dépatouiller » de problèmes
dont ils sont in fine responsables, et qu’ils ont parfois en partie provoqués
(rôle des rumeurs des banques New Yorkaises dans le déclenchement de
la crise en Asie), ou qu’ils n’ont pas su prévoir (appuis financiers
importants au régime russe, qui pourtant ne correspond guère aux
critères Européens de gouvernance sage, responsable et avisée).
Le changement de perspective du système monétaire
Européen, et l’Union Monétaire Européenne. Causes
et conséquences :
Multiplication des décollages économiques nationaux. Apparition
des « économies en transition ». Démultiplication de la
globalisation financière :
En ce qui concerne les pays émergents, ils ont un niveau de revenu
correct. Mais ils sont plus fragiles institutionnellement. Ils n’ont pas encore
eu le temps de stabiliser leurs structures par rapport à un fonctionnement
qui, lui, est efficace. Cela concerne notamment deux aspects : l’aspect
social et l’aspect monétaire. Ces deux aspects sont liés. En ce qui
concerne l’aspect social, les pays émergents n’ont pas, par exemple, un
système de sécurité sociale, de santé, d’éducation, comparable à celui des
pays les plus développés. Mais ils n’ont pas non plus des monnaies ayant
autant de crédibilité internationale que celles des pays les plus
développés, les laissant ainsi à la merci d’un certain nombre d’attaques,
parfois spéculatives, qui peuvent venir des pays les plus développés eux
mêmes. On l’a bien vu avec l’exemple des pays Asiatiques et des EtatsUnis d’Amérique.
L’Europe a vocation à ne pas attaquer abusivement ces pays,
monétairement parlant, mais bien plutôt, par son exemple, de les inciter à
renforcer réciproquement, l’un n’allant pas sans l’autre dans une vision
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 841
plutôt équilibrée des relations internationales, à la fois leur système social
et leur système monétaire. En échange, ces pays, appréciant à sa juste
valeur l’autorité monétaire de l’Europe, prendront davantage d’euros en
réserves dans leurs Banques Centrales.
Ce serait une contribution non négligeable à la stabilisation et à
l’apaisement des excès issus de la globalisation financière, une manière de
lutte contre la spéculation auto destructrice du système contre lui-même.
Risques géopolitiques, et besoin d’une nouvelle façon d’accorder
les systèmes de gestion de la propriété : au niveau macro
économique et macro social par rapport au triolet intérêt(s),
sécurité, valeurs ; au niveau de l’individu par rapport à la
propriété privée, la propriété sociale et la propriété de soi :
Le sociologue CASTEL pointe que l’on constate, dans notre monde
déstabilisé par les effets d’une mondialisation néo-libérale débridée,
l’existence, de plus en plus nombreux, d’individus qui affirment leur
identité d’une façon quelque peu paradoxale. Ils souffrent en effet de ne
pas être reconnus vraiment par la société. Ils affirment leur identité
(jeune, homosexuel, musulman, antillais, etc.) de façon un peu
provocatrice, à la fois pour trouver la bonne distance vis-à-vis d’une
société matérialiste et discriminatrice, et pour signaler les torts de cette
société, dans laquelle on doit signaler ses problèmes psychologiques liés à
la difficulté d’exprimer son identité, pour signaler du même coup l’aspect
objectivé de cette discrimination, car cela entraîne en même temps un
manque de reconnaissance par rapport aux droits sociaux les plus
élémentaires, dans une société qui brandit pourtant des valeurs
universelles, mais qui ne sont pas encore toujours suivies par des
principes d’allocation également universels.
L’expression de ce malaise, perceptible en France notamment (voire
en particulier), à l’occasion de la révolte des banlieues en 2005, montre,
psychologiquement et socialement, le paradoxe qu’il y a à affirmer son
identité d’une façon décalée, voire « à l’envers » (ce phénomène très
particulier ne se laisse pas facilement décrire d’une manière simpliste).
Socialement et politiquement, ce problème peut être considéré comme un
héritage direct des Structures Sociales d’Accumulation à la GORDON,
issues du mode de régulation sociale de la période précédente.
Si l’Europe, son système de valeurs, son système de gestion des
valeurs, sa monnaie, veulent avoir la moindre influence dans la nouvelle
période qui s’ouvre, elle doit trouver les moyens d’aider à transformer
quelque chose qui s’exprime surtout « par défaut », comme un reproche
implicite, en autant d’affirmations de valeurs que l’on ait vraiment le droit
de poser sans risquer d’être rattrapé par la réprobation silencieuse ou des
moyens de coercition détournés, et qui ne voudraient pas dire leur nom,
de la part de cette société.
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 842
La société qui a l’euro en partage, peut et doit proposer comme
module minimal, standard de cette identité sociale qui ne renie pas les
valeurs individuelles et personnelles, et n’empêche pas leur expression
publique respectueuse de l’identité d’autrui, un schéma ou quelques
schémas minima(l)(ux) permettant l’équilibre, au niveau individuel, de la
propriété privée, de la propriété sociale, et de la propriété de soi, et au
plan collectif, de la sécurité, de l’intérêt et des valeurs. Ce dernier
triptyque doit aboutir à une vision susceptible d’amener un
développement social plus durable que la vision implicite du modèle néolibéral à l’Américaine, qui jusqu’ici a largement imposé ses vues dans la
mondialisation en cours. Il serait plus durable car il serait plus nouveau, et
permettrait une « rupture » ou un ressourcement. Mais il devrait
également être plus durable en lui-même. Une société qui serait capable
de défendre de telles valeurs chez elle, serait d’emblée capable de les
défendre aussi à l’extérieur, dans le monde. Dès lors, il existerait un
projet alternatif à « la mondialisation libérale ». 1550
La mobilité internationale du capital et la multiplication des
transactions de change. Et pourtant le système ne
s’effondre pas : il est au contraire en cours de
restructuration. Ou l’analyse des relations système /
spéculation (sur des aspects particuliers du système). Du
compromis entre stabilité des taux de change, mobilité des
capitaux, et indépendance des politiques monétaires… à une
politique monétaire visant plus d’intégration afin de lutter
contre les effets perturbateurs des cycles :
Nous avons vu que cet aspect est en cours de traitement dans
l’Europe actuelle, de façon prudente.
L’affirmation du système de valeurs propre(s) à l’Europe lui donnera
un souffle nouveau, important.
Mais il n’est pas impossible que les Européens ne décident pas de
réorganiser leurs institutions, soit l’aspect le plus visible de leur choix
d’affirmation et de défense de valeurs communes, politiques et sociales,
avant de s’attaquer à un grand débat partagé, sur lesdites valeurs. Ce
débat pourrait fâcher notamment à cause de la question des frontières.
Mais si les Européens n’ont pas ce débat, l’euro pourrait bien ne jamais
connaître son état adulte. Les pays du monde entier, ne se couvriront pas
de réserves en euros démesurées, si l’Europe continue d’apparaître
comme un « objet politique volant non identifié », si ils ne sont pas sûrs
que l’Europe serait prête à se donner les moyens de défendre
juridiquement, chez elle et dans le monde, les droits des particuliers et
des groupes (y compris des pays ainsi que des secteurs organisés
1550
Néo-libérale, libérale, ou « ultra-libérale », selon les uns ou les autres !
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 843
socialement et économiquement) qu’elle revendiquerait, notamment dans
une quelconque Constitution.
Nous avons parlé d’une possibilité d’alternances de périodes de
quatre ou cinq ans chacune, avec tantôt de grandes avancées politiques
pour l’Europe, tantôt du sur place. Incidemment, ce type de débat, de
même que les débats sur la Constitution, auront vraisemblablement une
certaine solidarité de calendrier, avec les débats sur la politique
budgétaire, qui dans les dix ans à venir, pourraient accompagner et même
devancer les débats proprement dits sur la monnaie. Ceux-ci ont tendance
à montrer un blocage, lié à une déception : le « non » au référendum sur
la Constitution en France était lié, non seulement au blocage actuel sur la
question des frontières, mais aussi bel et bien au blocage lié à la monnaie,
à cause du fait, mal accepté en France, que les Britanniques ne sont pas
encore entrés dans l’euro 1551. Ainsi, la façon de quand même faire avancer
le contexte de la monnaie, depuis les années 1980 :
- défendre l’euro naissant contre les ruses du puissant
Dollar ;
- faire avancer la politique prudentielle en attendant une
Grande Réforme du Système Monétaire International
…
Cette façon va peut-être bien être relancée par des débats actifs sur le
budget. Ce serait susceptible de refaire partir la monnaie, sous un angle
moins financier et plus politique que la question des règles prudentielles
du système… sous un angle également plus offensif parce que plus
politique.
Cette solidarité entre les calendriers de ces débats viendra du fait que la
politique budgétaire est décidée environ tous les cinq ou dix ans.
Politique de changes fixes ou politique de changes flexibles ?
Comment l’histoire avance. La volonté d’autorité de la BCE
et le besoin de crédibilité des Banques Centrales Nationales,
puis de la Banque Centrale Européenne :
On attend une plus grande solidarité entre les Européens, pour
relancer l’Europe et l’euro. Cette solidarité a vocation à s’exprimer dans le
budget. En effet, elle n’est pas sans conséquences – son absence ne serait
pas non plus sans conséquences – sur la crédibilité de la Banque Centrale.
Or, une Banque Centrale crédible a beaucoup moins de chances de subir
des attaques spéculatives de la part des marchés qui, dans le cas inverse,
ne s’appuient pas seulement sur les cycles pour créer des crises, mais
s’appuient sur les très grandes ressources d’une finance désormais à
l’échelle mondiale, pour « créer l’événement », créer une crise de toutes
Cf. à ce sujet un article de LELART en 2007, resté peu de temps sur le net: cet article
montre que frontières, monnaie et constitution sont liés. LELART avait été un des
premiers en France, à mettre en cause explicitement le rôle de monnaie internationale du
dollar : « Le dollar, monnaie internationale », Albatros, 1976.
1551
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 844
pièces, disqualifier ainsi un pays ou une région du monde. Si la Banque
d’Angleterre a subi des attaques spéculatives en septembre 1992, c’est
aussi par défaut de crédibilité. Les Britanniques ont désormais de grandes
décisions à prendre. Et ils doivent bien réfléchir avant de soumettre des
propositions aux autres Européens !
Dans une Europe idéale :
- où les Britanniques auraient rejoint l’euro ;
- où l’Europe se serait dotée d’une politique budgétaire
substantielle
…
la Banque Centrale Européenne, après avoir succédé à l’époque pas si
lointaine où les Européens pouvaient connaître la tentation des
dévaluations compétitives, et ou en échange leurs Banques Centrales
Nationales pouvaient aussi faire preuve de solidarité pour soutenir par
leurs interventions les autres monnaies, et ou, enfin, pris entre ces deux
feux, les agents, qui se croyaient peut-être plus forts que l’histoire,
pouvaient choisir à tous moments entre leurs « pulsions » (pro
Européennes ou pro nationales)… cette Banque Centrale, désormais,
munie d’une politique budgétaire commune substantielle, aurait d’emblée
à gérer une double mission, immédiatement reconnaissable, de l’euro :
- à l’extérieur, lutter contre les excès de la
défiscalisation internationale, qui constituent l’élément
qui pourrait achever de détruire le système issu de la
mondialisation actuelle, comme la flambée de la
spéculation avait détruit celui issu de la globalisation
1870-1914 ;
- à l’intérieur de l’Europe, permettre l’intégration, en
contribuant à l’ouverture des marchés de biens et
services.
La question des relations entre décisions des politiques et
décisions des fonctionnaires indépendants pour et par la
Banque Centrale Européenne. La création de la Banque
Centrale Européenne :
Cette Banque Centrale Européenne a donc été créée en 1999.
Son indépendance est indiscutable. Même si l’on ne sait pas
complètement, encore une fois, si il s’agit d’une « indépendance » au sens
britannique, au sens français ou au sens allemand.
Le fait qu’elle soit « dans son enfance », fait qu’elle n’est pas très
« responsable », au sens de « comptable » de ses actes. Et elle n’en rend
pas énormément compte. Pour un certain nombre d’actes, elle est
extrêmement discrète et prudente. Prenons l’exemple des taux d’intérêt.
Un journaliste économique avait pointé que la BCE risquait de prendre une
décision sur les taux – en particulier les monter – surtout si elle se
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 845
déplaçait pour une réunion en dehors de Francfort, par exemple en
Espagne.
La BCE subit une forte pression du fait que nous sommes dans un
régime de changes flexibles. Dans un tel régime, les conséquences des
décisions des Banques Centrales peuvent être facilement amplifiées, et la
compétitivité de la Banque Centrale est encore plus un critère déterminant
de leur réputation et de la compétition entre monnaies, que dans de
toutes autres circonstances. Si un jour, prévoyant de devenir adolescente
ou adulte, la BCE annonce des règles qui pourraient avoir un impact
contre les excès de la défiscalisation mondiale, elle pourrait être bien
inspirée de proposer dans un « package de mesure », pour plus de
visibilité et de prévisibilité des temps qui viennent, des mesures allant
dans le sens d’une fixation relative plus ferme des parités vis-à-vis du
dollar.
Une telle annonce serait probablement difficile, puisque le dollar se
cache de plus en plus derrière le yuan et des monnaies Asiatiques, qui ne
répondent pas à des règles bien régulières, et que l’Europe sera bien
embarrassée de se chercher un allié tel le Japon, vu la progression
extrêmement rapide de la masse monétaire de ce dernier pays, qui fait
revêtir à cette dernière un aspect en partie imprévisible. Mais il semblerait
que, courant 2006, le Japon commencerait peut-être à revenir sur cette
politique.
La BCE a été progressivement créée entre janvier 1997 et janvier
1999. Elle a maintenant presque dix ans d’expérience, dont huit ans avec
l’euro. Elle a donc presque vécu l’équivalent de la durée d’un cycle des
affaires, et devrait bientôt commencer à adopter des politiques plus
émergentes et même plus affirmées de gestion des cycles, non seulement
de façon défensive vis-à-vis des fluctuations euro / Dollar, mais aussi dans
ce qui aurait vocation à constituer un corps de doctrine Européen sur les
relations cycle des affaires / cycle long1552.
1552
Nous y apporterons toute notre attention.
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 846
Monnaie de réserve ? Monnaie de facturation ? La monnaie au
secours de la croissance : oui mais en dépit de quelles
forces de rappel ? Va-t-on vers un excès de concurrence ?
Les Européens accepteront-ils les contraintes transitoires de
l’euro ? Les marchés de l’euro pour le moment plus tournés
vers les obligations que vers les actions ; le développement
des Investissements Directs à l’Etranger obligera-t-il la BCE
à se tourner vers les marchés d’actions ?
Parmi toutes ces questions non résolues, certaines ont vocation à ne
pas être résolues tout de suite. Car il faudra voir d’abord, une doctrine
émerger de la gestion des droits de propriété selon les Européens. Ceci
sera d’autant plus difficile voire impossible, que ces derniers devront se
débattre avec des guerres à leurs frontières, comme toute crainte n’en
n’est pas levée au Moyen Orient, et comme le fait est actuel dans les
Balkans. Dans la guerre, pas de propriété !
L’attente d’un corps de doctrine fait que la BCE n’a du moins pas à
se battre avec des missions ambiguës (à la frontière de la technicité et de
la politique). Celles-ci sont assez claires dans leur nature, sinon dans leur
finalité – pour laquelle les « experts » ont toujours quelque chose à dire
qui peut intéresser le politique -. Celles-ci sont assez simples en effet.
Elles sont clairement (re-)centrées sur la lutte contre l’inflation. La
nécessité d’investiguer le fonctionnement de l’économie réelle et des
secteurs économiques en Europe, fait pardonner un certain manque de
« comptabilité » de ses actes. Elle est aussi en attente de missions
élargies et ayant une véritable complémentarité. Et il est probable qu’elle
restera relativement en attente, tant que les frontières finales de l’euro
zone ne seront pas plus achevées.
Dans ces conditions, on évite même de lui donner des missions qui
devraient en toute logique lui revenir. En particulier, le choix de la fixation
des taux de change avec les monnaies tierces, incombent aux politiques
réunis dans le cadre du Conseil Européen. On peut même se demander si
les travaux permettant de décider des cibles de ces taux de change
doivent être assumés par les politiques – qui ont probablement toute
autre chose à faire, et n’ont probablement pas idée de toutes les
nombreuses anticipations des marchés -, ou par la BCE, qui sans doute y
travaille discrètement tant qu’on ne lui demande pas de le faire plus
ouvertement.
Actuellement, la BCE devrait-elle effectuer des tâches de supervision
prudentielle ? Ce serait un gage à lui donner la poussant vers un système
de fonctionnement plus proche des marchés financiers que de la finance
intermédiée. Ce serait une plutôt lourde décision. Peut-être ne sera t’elle
pas prise si l’on ne décide pas conjointement, de donner à la BCE une
quelconque tâche de « prêteur en dernier ressort ». (Tâche pour laquelle
elle n’est pas encore mûre internationalement parlant.)
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 847
La BCE doit avant tout s’efforcer de mieux y voir. Les problèmes de
coordination internationale relèvent plutôt des politiques. Mais on peut
demander à la BCE d’être peut-être plus claire sur ses outils comptables,
mesurant sa propre performance, son auto évaluation et plus tard son
évaluation vis-à-vis des autres Banques Centrales… et, le cas échéant, lui
demander pourquoi et jusqu’où elle ne pourrait pas fournir tout cela ! Mais
nous en sommes loin, et tant que le Royaume-Uni ne sera pas entré dans
l’euro, ce genre de question ne pourrait pas être publiquement, clairement
posé.
Actuellement, l’euro est en partie une monnaie de réserve, mais ce
n’est pas la première monnaie de réserve au monde. Fin 2000, le dollar
réunissait 68% des réserves de change dans le monde, contre 12% à
l’euro. Elle est assez peu une monnaie de facturation (40% pour le dollar
et 12 ou 13% pour l’euro fin 2000). Notamment pour la facturation de
l’énergie et du pétrole, le Dollar reste généralement la monnaie de
facturation. Economiquement, l’Europe a une lourde responsabilité de
façon imminente : développer de nouvelles formes d’énergie, et, pour
celles pour lesquelles elle devra continuer à se fournir à l’extérieur, faire
facturer ses achats en euros. Cela devrait être négociable pour le gaz
russe. Et dans ce cas, n’y aurait-il pas moyen de négocier aussi,
conjointement à d’autres propositions touchant d’autres domaines des
échanges, une facturation d’une partie du pétrole de l’OPEP en euros,
contre l’assurance de ne pas trop se tourner vers le gaz russe ? Le marché
ferait le reste…
Les
gains macro économiques de l’euro. La course entre
l’élargissement des frontières et l’influence de l’euro. Les
conditions macro économiques en terme de politique, de
poursuite de la confiance des Européens dans l’euro :
Les principaux gains économiques, dont nous avons déjà eu
l’occasion de parler, relèvent aussi bien de la théorie des zones
monétaires optimales, que de l’économie de l’information, avec ses gains
en gestion du risque, en gestion de l’information. Les effets d’échelle sont
incontournables. Même si l’euro voulait faire mieux qu’une monnaie au
service des seuls marchés financiers, il lui faudrait aussi accepter de servir
(de support) (aux) (les) marchés financiers. La liquidité et la profondeur
des marchés financiers : sont relatifs à la taille de ces marchés. Le fait
que l’euro soit devenu à égalité avec le Dollar, la monnaie support pour
les obligations internationales, aurait tendance à montrer que les marchés
financiers considèrent le projet Européen comme aussi crédible que
l’actuel modèle Américain, pour dire la régulation mondiale à long terme,
et participer à elle (puisque l’on accepte d’être endettés, ou du moins
d’acheter de la dette, à ce sujet). Si l’euro veut gagner la même
importance pour les marchés d’actions, il lui faudra gagner absolument
ces critères de profondeur et de liquidité de ses marchés financiers.
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 848
Un système de zones cibles flexibles peut permettre que les options
entre l’euro et d’autres monnaies soient, en moyenne, pas défavorables à
l’évolution souhaitable de l’euro1553. Cela retardera le moment d’une
réforme plus formelle du Système Monétaire International qui, ainsi,
n’arriverait pas avant 2015 ou 2020.
L’Europe constituant une zone plus fermée que ses Etats membres,
les politiques économiques Européennes globales accorderont plus
d’importance aux considérations internes que ne le faisaient les politiques
nationales. Elle tendra en revanche à négliger, voire ignorer, les
fluctuations du taux de change. Par les systèmes de zones cibles flexibles,
l’Europe sera ainsi doublement incitée à laisser des fluctuations Dollar
contre euro se développer de façon assez importante, mais, par le moyen
des zones cibles flexibles, et sous réserve d’une habile concertation ainsi
qu’en escomptant une relative « compréhension » des marchés, il serait
aussi possible de contrôler voire de « réguler » ces fluctuations. Des
fluctuations trop vives pourraient au contraire amener l’euro à se replier
sur lui-même1554.
Vers un modèle d’intégration progressive : financier / monétaire /
budgétaire et social… visant à transformer la quasi-monnaie
et les monnaies privées, en monnaies davantage reconnues
et acceptées en Europe :
En allant vers le chemin d’évolution désiré, l’euro pourra, à rebours,
donner plus de souplesse d’exécution à la gestion des droits de propriété,
plus de liberté aux initiatives économiques entrepreneuriales de
s’exprimer, en Europe même. Le renforcement de l’autorité des dirigeants
de la monnaie, la BCE, ses relais, ses alliés, renforcera en retour la liberté,
dans un contexte de plus grande sécurité des placements, de plus grand
rendement des investissements.
Les rythmes de gestion de la monnaie devront aussi être des
rythmes sociaux acceptés, pour que la politique monétaire soit aussi
acceptée : par des franges de plus en plus importantes, de la population
Européenne. On se donnera les moyens d’anticiper et de lisser des chocs
de demande, liés à des mouvements sociaux ou à des causes électorales
(comme les dernières consultations nationales au sujet du TCE), ainsi que
des chocs d’offre, induits par des divergence à s’efforcer de réduire, dans
les rythmes de productivité. Et on essaiera de gérer de façon coordonnée
et conjointe, les deux différents types de chocs.
Il faut envisager de façon coordonnée :
- la constitution de géants industriels Européens, qui ne
doivent
pas
respecter
les
seules
règles
de
concurrence ;
1553
1554
Puisque cela nous protège dans notre « enfance ».
Ce qui aurait des conséquences dramatiques pour son avenir !
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 849
un rôle prudentiel pour la BCE, ou peut-être pour un
Organisme spécialisé, placé entre la Commission, le
Conseil Européen et le Parlement Européen (qui
auraient droit de contrôle), et la BCE, qui serait
spécialement chargé de suivre ces grands groupes ;
- un rôle de « payeur en dernier ressort » du budget
Européen ; dans ce cas on n’aurait pas besoin d’exiger
le rôle de Prêteur en Dernier Recours de la BCE, pour
appliquer un tel rôle prudentiel ;
De telles propositions ont peut-être manquées dans le projet de TCE
proposé en 2004 par la Convention sur l’Avenir de l’Europe. De plus, elles
auraient un intérêt pour préserver les marges de manœuvre de la
politique monétaire Européenne coordonnée vis-à-vis de l’extérieur : ne
pas impliquer, nous répétons, de demander tout de suite à la BCE d’être
prêteur en dernier ressort des affaires économiques, financières et
monétaires mondiales. Du moins, cela devrait pouvoir largement jouer.
-
Les
changements du système monétaire mondial,
auxquels le système monétaire Européen doit
s’adapter :
La poursuite de la dématérialisation de la monnaie, accompagnée
du développement de nouvelles monnaies matérielles. La
monnaie électronique et les autres nouvelles formes de
monnaie :
GUTTMAN parle du développement de la monnaie électronique. Il
s’agit par exemple d’échanges de trésorerie dans le cadre de groupes
ayant une présence internationale plus ou moins formelle et plus moins
intégrée (des réseaux de fournisseurs ou de prestataires de services, aux
Entreprises Globales, en passant par les Entreprises Transnationales et les
Entreprises Multinationales). Selon la destination de ces garanties ou de
ces crédits (qui peut être très souple, par exemple un projet), et selon
leur couverture juridique subséquente, l’argent correspond plus ou moins
à de la dette ou à du fonds propre. Ce peut-être aussi une garantie ou une
option vers d’autres projets qui permettent d’autres liens de propriété ou
d’autres sources de contentieux. A la limite, cette masse monétaire en
suspens, servie par les jeux d’écriture électronique, augmente
considérablement la masse monétaire mondiale, tout en pouvant servir à
différents usages. Encore une masse monétaire assez indépendante des
Banques Centrales. A la limite, elle décrit un monde ou des mondes
virtuel(s).
A côté de cette monnaie, un monde moins virtuel est celui signé par
les monnaies marchandises. Par exemple, la montée des bourses
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 850
Africaines qui a commencé avec les années 1990 est en partie favorisée
par la flambée très récente du prix des matières premières.
La BCE devrait sérieusement entamer une évaluation du système
des monnaies électroniques, y compris pour penser à de nouveaux
agrégats monétaires qui pourraient les inclure. Ces agrégats pourraient
être plus flexibles que les agrégats actuels, car ils sont susceptibles de
davantage fluctuer en fonction du risque international lié à la conjoncture.
Qui dit dimension virtuelle n’exclue pas un impact réel ni monétaire. Les
monnaies matérielles sont susceptibles d’être davantage laissées de côté.
Toutefois, on pourrait considérer les monnaies immatérielles comme
correspondant à un phénomène « ascendant » de l’auto organisation du
système, et les monnaies matérielles comme un phénomène
« descendant » (comme une réminiscence de risques passés). On pourrait
aussi bâtir divers scenarii sur les aspirations « ascendantes » et
« descendantes » de divers acteurs ou groupes de pays dans le monde, en
vue de la constitution de leurs droits de propriété espérés et relatifs à une
bonne entente entre pays et / ou secteurs. Cela permettrait d’intégrer une
dimension de risque des relations internationales multi variées dans les
modèles de consolidation du territoire de la monnaie.
Les nouvelles formes de la concurrence monnaies publiques (dont
la (les) monnaie(s) internationale(s)) / monnaies privées :
Quand l’euro aura plus d’importance comme monnaie internationale,
il pourra davantage supporter de financer des déficits de la balance des
paiements, ainsi qu’un éventuel déficit global de la zone euro.
A domicile, le passage à l’euro a permis, avec les gains de change,
non seulement de faire baisser les taux d’intérêt, mais aussi, de
répercuter davantage cette baisse sur le consommateur que sur le
producteur : baisse des taux débiteurs contre une légère hausse des taux
créditeurs. Il faudrait, peut-on ajouter, d’autres anticipations et un autre
mode de régulation de la complexité, notamment en matière de
concurrence, pour que les grands groupes investissent encore davantage
qu’ils ne le font, en Europe. Tout comme il faudrait probablement, qu’un
service public Européen investisse davantage dans la Recherche,
notamment pour aider les PME.
Il faut aussi avoir, toujours plus, les moyens de s’assurer, que le
crédit n’est pas trop spéculatif. La BCE devrait calculer une part du crédit
entre le crédit spéculatif et le crédit moins spéculatif, enfin le crédit non
spéculatif. On constaterait sans doute que, si les écarts de niveau de
revenu entre pays Européens sont trop élevés, la part du crédit spéculatif
augmente en flèche. C’est le triangle infernal : fort taux de crédit
spéculatif, hausse des taux d’intérêt en retour de la part de la Banque
Centrale (qui frappe tout le monde sans exception), croissance ralentie
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 851
pour ces deux raisons1555. A partir d’un certain niveau de désordre, la BCE
perdrait tout moyen de contrôle. En effet, les spéculateurs pourraient se
montrer suffisamment habiles, pour pousser une inflation au bénéfice des
endettés plutôt qu’à celui des épargnants. Bien sûr, il y a peu d’inflation
macro économiquement (sauf pour les classes les plus défavorisées). On
mesure l’importance qu’il y a à ce qu’il n’y en n’ait vraiment pas du tout,
car les agents ont spontanément tendance à confondre croissance et
inflation.
Il y a aussi une incitation raisonnable à élargir les frontières tant de
l’Europe que de la zone euro, tant pour les effets d’échelle que pour lutter
contre la volonté de pas mal d’agents de relancer une certaine inflation :
mieux vaut alors intégrer des pays sûrs d’une certaine croissance, car leur
crédit a moins de chances d’être un crédit spéculatif. A condition que le
rythme de l’élargissement reste maîtrisé.
Mais une autre conséquence est qu’il convient de distinguer politique
macro économique et politique sociale, tant que l’euro n’a pas acquis un
plus grand caractère de maturité. La conséquence liée est que la politique
sociale aura tendance à rester au niveau national, alors que la politique
macro économique serait au niveau de l’Europe, conseillée par la BCE, du
fait de la difficulté de répondre aux soucis des classes les plus populaires
pendant un moment, jugé par beaucoup trop long, d’autant plus qu’on ne
leur a pas expliqué les sacrifices à faire, et que ces sacrifices retombent
toujours sur les mêmes personnes. Dans une telle configuration, les
glissements de responsabilité des politiques, en particulier sociales, entre
les pays et l’Europe, seraient négociées petit à petit, entre les pays, réunis
ou non en groupes d’initiative privilégiée, et l’Europe, pour constituer
progressivement un budget Européen plus étoffé.
En conclusion, une certaine dureté sociale perçue de la politique
monétaire Européenne n’a pas forcément à être rattachée au caractère
« libéral » des politiques menées, mais plutôt au temps nécessaire pour
que l’euro et les politiques qui en découlent acquièrent leur pleine
maturité. On l’avait peut-être insuffisamment dit aux Européens 1556.
La
montée de certains risques systémiques du fait de la
globalisation. Faut-il un prêteur en dernier ressort, et si oui,
qui ?
Les normes LAMFALUSSY, du nom de l’ancien Directeur de l’Institut
Monétaire Européen, étaient destinées à contenir le risque systémique :
chaque membre était soumis à une double obligation, une limite de débit
Les dirigeants de la BCE ont fort opportunément évité ce piège, début septembre
2007, en s’abstenant d’augmenter les taux face à la déstabilisation des marchés, et en
injectant de la liquidité dans l’économie.
1556
Il faudrait sans doute trouver des expédients en attendant.
1555
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 852
et de crédit multilatérale, et une contribution à un dépôt en liquide
permettant d’harmoniser les deux d’une façon mutualisée en fin de
journée.
In fine, le potentiel futur de l’euro est lié au fait de savoir si cette
monnaie pourra couvrir davantage d’actions, et pas seulement des
obligations. Dans ce cas, la diversification des signatures en faveur de
l’euro pourrait lui donner un grand prestige face au Dollar. La valeur de la
devise clef, serait renforcée par le fait : qu’elle n’assurerait pas d’abord de
la dette, en tendance, mais d’abord quelque chose qui ressemblerait
davantage à des fonds propres1557.
D’autre part, en direction du Dollar, en ce qui concerne ses
variations excessives, elles pourraient renforcer l’agressivité et la
compétitivité commerciale des Etats-Unis à court terme, mais elles
feraient peser une hypothèque sur la crédibilité du Dollar à long terme.
C’est pourquoi les Etats-Unis eux aussi essaient de lisser leurs risques : ils
ont largement abandonné leur politique de « bening neglect ».
L’euro doit tracer un chemin de financement de l’avenir,
d’investissement(s), d’accroissement des effets d’échelle et de réduction
des risques, à la fois, qui aide à faire de sa monnaie un ancre. La période
transitoire est semée de pièges, d’autant plus que la distinction entre crise
de liquidité et crise de solvabilité est devenue difficile : il y a une
confusion dans un contexte d’économie monétaire au sujet du risque
comme au sujet de la rentabilité. Si il doit y avoir un prêteur en dernier
ressort, celui-ci doit entretenir une « ambiguïté constructive » sur ses
intentions. Mais, il vaudrait mieux qu’il s’appuie sur des fonds propres
consolidés que sur de la dette. Car sinon, sa crédibilité pourrait ne jamais
apparaître, dès le début de son parcours, et toute « ambiguïté
constructive » deviendrait impossible1558.
Perspectives : les effets de réseau, pour un remaillage du système
monétaire mondial. L’alliance Dollar / yuan, vs le difficile
appui de l’euro au yen :
Pour BISMUT et JACQUET, l’euro paraît sous-évalué vis-à-vis du
Dollar, au 1er semestre 1999. Les constatations sur la sous-évaluation
relative de la monnaie Européenne vis-à-vis de son homologue
Américaine, hier le DM, aujourd’hui l’euro, vont reprendre. Elles sont
discutables, en fonction de la mesure de la productivité et de la façon dont
on la mesure, vis-à-vis du potentiel de croissance de la zone euro qui, en
Europe, est lié à l’élargissement de cette zone1559.
Et qui donc renforcera : les droits de propriété, CQFD.
Il faut donc aussi, derrière, de la part des théoriciens, des théories nouvelles des
droits de propriété, qui aident à « trouver de nouveaux chemins ».
1559
Productivité, droits de propriété, dettes et fonds propres, projet social… Tout un
univers de réflexion s’ouvre que l’euro devra contribuer à assurer.
1557
1558
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 853
La période transitoire, pendant laquelle le leader peut être contesté
sans que, pour autant, le challenger n’ait fait la preuve de sa capacité à
rendre les mêmes services1560, reste malgré tout lourde de menaces et
d’incertitudes.
Le rééquilibrage du SME dans tous les cas prendra des années, et
agira par effets de réseaux.
Il est vrai aussi que la place des Etats-Unis en matière de réserve
monétaire, a considérablement diminué ces trois dernières décennies, ce
qui diminue la crédibilité du dollar.
Il pourrait y avoir une relative fixité du change entre les deux
devises-clefs, une relative flexibilité entre chacune des ces devises et les
autres monnaies. Le yen est retombé en division d’honneur du fait de
l’apparition de l’euro. Mais ce dernier pourrait avoir intérêt à s’en faire un
allié, pour contrer l’axe Dollar / yuan. Le jeu de l’euro, qui pourrait
permettre de contenir la préférence pour le risque, propre à l’Amérique,
pourrait être d’instaurer un « jeu à trois », propre à des anticipations plus
coopératives qu’un « jeu à deux ». Pour autant, ceci risque de ne pas tenir
très bien la route, les marchés préférant peut-être un jeu binaire de façon
à bien spéculer. Peut-être vaut-il donc plutôt que la vision Européenne du
système de gestion des droits de propriété soit claire quant à elle, que le
schéma implicite d’accumulation des structures sociales le soit aussi,
plutôt que l’on s’amuse à de savantes variations entre monnaies, qui ne
permettraient pas d’obtenir le maximum en testant certaines hypothèses
d’évolution en temps réel, et que personne ne pourrait donc contrôler.
Il est vrai que le schéma d’une montée en puissance progressive de
l’euro est assez bien soutenu par les marchés (Alors que dire des Etats !).
En effet, la contrainte externe de l’euro est assez bien résolue pour le
moment, par l’existence d’une offre très élastique de prêt étranger. Alors,
on attend que l’euro précise petit à petit, assez vite, son propre schéma
de fonctionnement. Le principe d’externalités d’un réseau qui
fonctionnerait bien, où des investissements commerciaux et des
investissements directs, ancrés sur l’euro, prendraient petit à petit le
relais de placements financiers… permettrait de diminuer les coûts fixes,
déjà diminués par la disparition des variations de change internes. Dans
ce cas, cela renforcerait sans doute grandement le potentiel d’anticipation
et d’action de l’euro, pour l’amener à sa pleine puissance, après une
période de transition actuelle où il s’agit avant tout d’éviter les risques 1561
et autres écueils. Mais il faut aussi que l’organisation des marchés
financiers soit cohérente au sein de l’Europe. Et pour cela, que le pouvoir
politique fasse sentir son autorité, mais à condition aussi d’en être éclairé.
Ou de nouveaux services élargis !
Y compris des risques de malentendus. Nous le voyons avec les débuts politiques
autour du Traité Constitutionnel Européen que l’on ne peut pas encore appeler
« Constitution ».
1560
1561
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 854
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 855
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 856
UNE HISTOIRE MONETAIRE DE
L’EUROPE : 1800-2007
RESUME
LA MONNAIE UNIQUE EUROPEENNE
ET SA RELATION AVEC LE
DEVELOPPEMENT ECONOMIQUE ET
SOCIAL COORDONNE : UNE
ANALYSE CLIOMETRIQUE
THESE DE CLIOMETRIE
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 857
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 858
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 859
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 860
Première période. 1800-1873. Une
économie non monétarisée :
Aux sources de la monétarisation :
Avec le passage d’une économie agricole à une économie
industrielle, on a le développement à la fois de l’épargne, du crédit et de
la monnaie, ce qui permet d’obtenir un système d’assurance de la
croissance économique…
On voit alors, sur le fond, se développer la structure institutionnelle
qu’est la monnaie, elle-même double de nature : elle est à la fois la
monnaie unité de compte, qui permet de compter et se compter dans le
cadre du fonctionnement économique, et la monnaie réserve de valeur,
qui permet d’assurer le tout, de façon complexe : en tant que structure à
caractère d’information sociale.
Les formes de la monétarisation :
Tous les pays d’Europe, Grande-Bretagne (à partir de 1800), Prusse,
France, Autriche, Russie (ces quatre derniers pays plutôt à partir de
1850), créent des banques pour favoriser l’épargne.
A partir de 1850, celle-ci se fond davantage dans le crédit
qu’autrefois. Le développement du crédit permet de rendre les rapports de
force issus du développement économique pleinement soutenables. Le
principe de la « monnaie libre » incarné par l’Angleterre, dépasse le
principe de la « guerre libre » qu’incarnait Napoléon. Mais les guerres
napoléoniennes ont été stoppées aussi : parce que plus personne ne
voulait les financer. La France s’est vu également imposer d’importantes
réparations. Le crédit commence alors à se diffuser dans toute l’Europe à
partir des années 1820, à la suite de la victoire morale de l’Angleterre. Le
début d’un « jeu du crédit », comme alternative à un ancien « jeu de la
guerre », suppose de jouer intelligemment avec les arrière-pensées des
autres, concernant les perspectives de développement coordonnées des
uns et des autres. Par exemple, les banquiers anglais prêtent à un certain
taux aux entrepreneurs de leur pays, et à un taux plus fort aux autres
pays. La Banque d’Angleterre seconde les banques britanniques, en
utilisant son taux d’escompte. En France, jusqu’en 1848, on joue
davantage sur le crédit (assez informel) que sur la monnaie, qui n’a pas
de fondations institutionnelles encore assez solides. Le crédit supporte la
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 861
fonction « d’étalon d’échanges » d’une façon assez flexible. Puis, en
1848, l’augmentation des réserves grâce aux découvertes d’or, nécessite
de donner des fondations solides à la monnaie, lui permettant ainsi une
gestion rigoureuse de ses trois fonctions usuelles : unité de compte,
étalon des échanges, réserve de valeur. La Banque de France couvre
désormais tout le territoire français. En Angleterre, on utilise davantage
les services de la Banque d’Angleterre qu’autrefois. Dans un contexte de
droits de propriété incertains, en Allemagne, le crédit et les prix se
courent par contre longtemps après, créant une « inflation endogène ».
Avec l’affirmation des nationalismes en Europe, en 1848, les Etats-Unis
commencent à entrevoir la perspective de diviser ce continent, pour y
exporter régulièrement (tous les douze ans) des crises de crédit : en
1857-1860, pour commencer. Les pays d’Europe ont quand même
toujours le moyen de s’endetter, pour financer leurs infrastructures,
chemins de fer tout particulièrement. En 1868, en France, les ouvriers se
voient à leur tour ouvrir des droits d’accès au crédit.
La monnaie est en quelque sorte du crédit institutionnalisé et garanti
par l’Etat. L’Allemagne crée à son tour sa Banque Centrale, en 1873. Au
début du dix-neuvième siècle, alors que la France voit la disparition des
assignats – des droits monétarisés liés à la terre, et mal commodes
d’utilisation -, l’Angleterre en est déjà à la diffusion de ses billets, et
connaît entre 1800 et 1820, une certaine dépréciation de sa monnaie,
avant que celle-ci ne triomphe face au contexte international. En 1833, la
Banque d’Angleterre obtient le statut de monnaie légale aux billets, qui
avaient été multipliés en nombre à l’occasion de la guerre. En cinq ans,
elle va multiplier par cinq le volume de ses escomptes pour répondre à
cette augmentation de la masse des billets en circulation. Les traités
tarifaires en Allemagne à partir de 1819 : permettent aussi une
augmentation du nombre de billets, et leur diffusion dans toute
l’Allemagne.
A l’intérieur du pays, l’autorité de sa monnaie contient les risques de
division et d’éclatement social que pourrait faire courir une trop forte
épargne. A l’extérieur, elle permet de jouer un jeu relativement coopératif
du crédit entre nations toutes en développement. Au bout de cinquante
ans de fonctionnement, tout crédit est susceptible d’être transformé en
monnaie, forte et faisant reculer les guerres. La monnaie macro
économique donne le sens de ce jeu international, en assurant la direction
micro économique des opérations, et en redirigeant tous les conflits.
Toutes les monnaies sauf une, fonctionnent cependant en référence à une
seule monnaie, la devise clé, et constituent par rapport à celle-ci du crédit
non soldé. Toute monnaie espère un jour devenir devise clé, et se donne
donc des signes extérieurs d’influence internationale, au moyen du statut
de sa Banque Centrale. Mais quels sont les liens entre la monnaie de
réserve – le fond – et la forme juridique institutionnelle de la monnaie, à
savoir la Banque Centrale ?
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 862
Principales conquêtes juridiques institutionnelles
de la monnaie. L’évolution de la monnaie
secondaire « réserve de valeur » :
De 1800 à 1850 environ, à la fois l’or et l’argent sont utilisés comme
monnaie de réserve dans les affaires, même si l’or a déjà la préférence de
l’Angleterre. Dans les vingt-cinq années qui suivent, on observe l’envolée
du rôle de l’or. Or, la monétarisation signe le passage d’une économie
fondée sur la rareté à une économie fondée sur l’abondance : abondance
de monnaie de réserve c’est-à-dire d’or, déjà, grâce aux découvertes
qu’on en fait. Dès 1817, la production d’argent avait décrue en Amérique,
mais pas en Europe. En 1847, l’or Européen prend le chemin de
l’Amérique, signant une crise monétaire. A partir de 1848, plus on a d’or,
plus on crée de billets allant en complément de l’or. C’est le premier
régime de « devise clé » (l’ « étalon Livre Sterling ») connu dans l’histoire.
Il ne faut pas non plus oublier, à cette époque, l’utilisation des effets de
commerce comme troisième forme de monnaie, ou quasi-monnaie : ceuxci sont venus au secours des échanges franco-britanniques ! Quant à la
France, elle a « choisi le perdant » : l’argent ! Elle s’est alliée, pour ce
faire, avec l’Italie, la Suisse, la Belgique, la Grèce, dans le cadre de l’Union
Latine. Le système français est longtemps bimétallique de fait. L’Union
austro - allemande a aussi misé sur l’argent, dans les années 1857 à
1873. A partir de 1867, l’Allemagne et ses alliés tournent casaque, et
commencent à renvoyer l’or vers les pays de l’Union Latine. A cette même
date, est posée pour la première fois la question d’un système
international de réserves monétaires, alors que depuis cinquante ans
s’affrontaient officiellement - tout en coopérant sur les aspects de gestion
-, les systèmes britannique et français, avec deux outsiders à leurs côtés,
l’allemand et Américain. Un tel système est d’emblée refusé. Dès lors, les
Américains ont pu commencer à rêver de surpasser un jour l’Europe.
Si l’on suppose, comme on l’a fait plus haut, que la « monnaie »
domine institutionnellement le crédit et l’épargne, on fait alors l’hypothèse
que la Banque Centrale domine le système d’anticipations de tous les
agents économiques, autour de la monnaie et de son remboursement...
d’un point de vue statique, et aussi d’un point de vue dynamique c’est-àdire autour d’une chaîne de conséquences. Sur la période 1800-1873, les
Banques Centrales, garantes de la monétarisation, n’étaient pas
« incohérentes temporellement » : elles avaient effectivement la maîtrise
de ce jeu. Néanmoins, il ne faut pas se masquer le fait que le
développement des échanges entre des pays de niveaux de
développement inégaux a pu attiser certaines tensions, qui par suite ont
menées à la guerre. Entre la fin – le développement et donc la paix – et
les moyens – la monnaie véhicule des échanges -, il peut alors s’opérer un
télescopage meurtrier, lors de cette période de transition ambiguë : la
monnaie est en fait utilisée pour faire la guerre ! L’Allemagne agira ainsi
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 863
de 1870 à 1945, alors que la monétarisation française apaisera au
contraire ses tendances belliqueuses. Quant à l’Angleterre, elle a
développé la monnaie sans pouvoir prévenir les guerres. L’érection de la
Banque de France, en 1848, permet de freiner la tendance qui était
jusqu’ici celle des banques départementales, qui utilisaient le crédit de
manière dispendieuse. Le bimétallisme a aussi été un moyen détourné
pour la Banque de France, « seule à prêter sans risques », de gagner la
confiance des banques départementales, et de les tenir sous sa coupe. En
fait, elle faisait « monter le risque », puisqu’il n’y avait pas « une seule
unité de paiement centralisée », du fait du bimétallisme. Jeu de pouvoir…
Pendant deux ans – de 1848 à 1850 -, la Banque de France va asseoir son
autorité en imposant le cours forcé des billets 1562. Elle va constamment
jouer sur l’ambiguïté entre contrainte financière et contrainte
internationale, par la suite, pour la maintenir. A la suite de 1848, la
Banque de France va pouvoir, comme les Anglais l’ont déjà fait,
habilement jouer du taux d’escompte. En faisant varier ce taux, elle
remplit une double fonction, directrice et sécuritaire. D’une façon
comparable, mais un peu plus tard, en Allemagne, la Banque Centrale
remplace trente-deux banques dans vingt-deux Etats. Son rôle est un peu
différent de celui de la Banque de France : étendre les possibilités de
crédit entre les différents Etats allemands. L’Acte Bancaire de 1875
autorise Banque Centrale et banques commerciales à cohabiter pour
étendre le crédit.
La fluctuation des cours de la monnaie, du taux
d’intérêt,
et
l’évolution
de
la
masse
monétaire :
Les jeux de la monnaie restent encore l’apanage des milieux
bourgeois, en France surtout. Quant aux banquiers, ils ne maîtrisent les
paramètres ni du risque, ni de la rentabilité ; ils achètent et vendent des
métaux précieux qui exercent un pouvoir de fascination sur les classes
riches. Ils n’ont pour ainsi dire rien à faire des anticipations des agents. Il
n’y a d’ailleurs guère d’ « agents » : il existe seulement de rares
propriétaires, et une masse impressionnante de pauvres. Les quelques
riches essaient de gérer de la stabilité. Le taux de change franc / Livre
Sterling reste remarquablement régulier entre 1800 et 1872. Seules les
guerres Napoléoniennes ont fait descendre temporairement la Livre, qui se
re-stabilisera après la fin des hostilités.
C’est après 1815 que les taux d’intérêt français et anglais tendent à
se rapprocher, le taux français restant cependant toujours supérieur d’un
Mais qui sera rapidement abandonné. Puis ne pourra s’imposer qu’à l’occasion des
guerres. Cela montre combien la monnaie a pu longtemps, en France, être impopulaire,
avant de devenir populaire du fait de l’action d’un Poincaré (1926) ou d’un RUEFF (1958),
voire d’un BARRE (années soixante-dix), et d’un Mauroy (années quatre-vingt).
1562
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 864
point environ (5% en moyenne contre 4…). Les rentiers sont donc incités
à investir en Angleterre plutôt qu’en France. A partir des années 1850,
c’est, étrangement, le taux anglais qui devient le plus cher. Et après 1859,
le taux français devient peu cher (4%), d’autant plus qu’avec le Traité de
Commerce franco-allemand, la France entrevoit une extension de ses
marchés. Bonne gestionnaire, elle se paie le luxe de garder des effets de
commerce franco-britanniques comme monnaie de réserve.
Les relations monétaires entre pays d’Europe, en
particulier Angleterre, Allemagne, France :
Grâce à l’utilisation des effets commerciaux + financiers comme
monnaie de réserve, les Britanniques construisent leur devise clé. Grâce à
elle, ils peuvent attirer des investisseurs internationaux en toute sécurité.
Pour les servir, ils « se plient en quatre » : des élites du commerce et de
l’industrie se créent donc en Grande Bretagne, ce qui permet aussi de
sécuriser des investissements à long terme, et de développer des
anticipations crédibles et stables. Le commerce représente un pacte
alternatif au pacte guerrier, entre les nations. La finance génère aussi des
effets de richesse, fait se déplacer la richesse issue du commerce dans le
temps. La monnaie assure et couronne le tout, quand la société et les
institutions sont prêtes à prendre à leur compte les mouvements,
échanges et promesses issus du privé. La valeur ajoutée de l’Angleterre
au système constitué par l’Europe des nations aurait été, à juste titre, de
nature commerciale : elle y était donc tout à son aise. Alors que la valeur
ajoutée française se serait davantage maintenue dans le domaine civil, en
cela suivie par l’Allemagne, aux effets encore plus obscurs (et
« romantiques »…). Les Français ont eu besoin de l’alliance avec
l’Angleterre, de 1815 à 1860, pour avoir accès eux-mêmes à quelque
valeur ajoutée commerciale. Le traité avec l’Allemagne, en 1860, fait a
contrario à nouveau entrer la possibilité d’une guerre entre Européens
dans la balance. En s’alliant ainsi avec les Allemands, les Français useront
souvent du vocable de « perfide Albion » à l’encontre de l’Angleterre.
Entre les deux, la France assure sa marge de manœuvre, surtout
politique. Ses bourgeois, pour éviter d’avoir à s’expliquer sur toutes leurs
alliances, ont constamment joué, dans l’interface, d’une « ambiguïté
financière » habilement mise en lumière vis-à-vis de l’étranger. Habile
gestionnaire nous l’avons déjà dit, la France fut aussi en charge pour
l’Europe de gérer le marché or / argent, afin de faciliter la clarté des
comptes de la Livre Sterling, dès lors devise clé indiscutable. A la France
la partie défensive – gestionnaire tout simplement -, à l’Angleterre la
partie offensive et glorieuse, commerciale et pleinement monétaire.
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 865
Les relations monétaires entre Europe et EtatsUnis d’Amérique :
L’Europe du XIXe siècle a été prisonnière de conceptions
« sociologiques » : des idées confuses sur la reproduction des systèmes.
Dès lors, elle ne pouvait assurer sa propre paix. Des modèles alternatifs
se sont engouffrés dans la brèche de ce marché de l’idéologie : ainsi du
modèle Américain, représentant des droits monétarisés assurés à tout
ressortissant dès sa naissance ; le modèle anglais, des promesses
financières pour suivre et dans le même temps dépasser l’évolution des
Etats nations (particulièrement Européens) régulièrement en conflits entre
eux. Ces mêmes Etats nations se drapaient superbement dans
l’affirmation, posée de façon fracassante depuis 1848, de leur propre
identité d’Etat nation. A titre de repère, le cas de l’Allemagne illustrait une
course effrénée entre le crédit et la démographie, comme si l’on « n’avait
pas le temps de tout dire ». La Grande-Bretagne vendait des
marchandises grâce à son industrie, empochaient de l’argent pour
l’organisation des échanges, et re-finançaient au passage les systèmes
d’assurance de l’économie de leurs partenaires, souvent embryonnaires,
pour une justification patrimoniale à l’intérieur de ces pays, adossée à la
réalité du système hégémonique vis-à-vis de l’extérieur. « La totale » !
Leur force était d’être toujours ouverts. Les Britanniques, en assurant
leurs correspondants vis-à-vis de leur patrimoine, créaient de facto un
système économique (largement) mondial, monétarisé pour la première
fois : des droits monétarisés créaient d’autres droits monétarisés,
permettant de transformer constamment le risque réel en risque financier,
pour tous les adhérents à ce système. A cette époque, le système
obéissait cependant à un fétiche international : l’or (et moindrement
l’argent).
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 866
Liens
entre
évolutions
cycliques
–
crise,
croissance – de l’économie réelle et évolutions
cycliques des données monétaires – masse
totale, réserves monétaires, taux d’intérêt - :
Le système Européen a connu, au travers des crises cycliques,
l’irruption croissante de la concurrence venue du système Américain,
pleinement monétarisé. Le système Européen était durant toute cette
période rivé à une contrainte réelle, celle du sous-système allemand. Dans
les années 1820, l’Amérique est encore, heureusement pour l’Europe, un
débouché commercial pour ses produits, sans effets monétaro-financiers
pervers… Puis petit à petit, les Américains vont faire jouer la dette morale
des primo émigrants, exporter vers l’Europe des crises de crédit, dominer
monétairement l’Europe en maîtrisant ses cycles, ses ralentissements, ses
reprises. D’ailleurs, du fait de l’affirmation des nationalismes en Europe en
1848, l’économie Européenne fonctionnera toujours d’une façon
« fragmentée » à l’avenir, alors que le moteur Américain ronronne. A
partir de 1857, en quinze ans, l’Angleterre va servir l’Amérique (l’étalon
or), et la France de même avec l’Angleterre. De 1870 à 1930, les
Européens ont adopté « une forme monétaire externe » (faisant marcher
les échanges commerciaux), mais pas interne : la monnaie, dans ce
faisceau de contraintes, n’était pas acceptée par les peuples.
Situation monétaire de la fin de la période par
rapport à la situation monétaire du début de la
période :
La forme de la monnaie de réserve n’a cessée de muter depuis cette
période. C’est la dématérialisation de la monnaie de réserve internationale
qui permet la dématérialisation des formes de monnaie circulant dans le
pays. En 1800, on a l’or et l’argent, en 1873 aussi les effets de commerce.
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 867
Deuxième période : 1873-1945. Une
économie
en
cours
de
monétarisation. Les résistances à la
monétarisation :
Le triomphe de l’étalon-or et le règne de l’étalon
Sterling jusqu’aux années 1920 :
L’étalon-or revient de fait à l’étalon Sterling. A partir de la place de
Londres, les taux de change avec tous les pays du monde se trouvent
librement débattus. Derrière les marchés financiers, les banques
d’industrie, elles aussi, prennent leur essor pour tenter d’enraciner le
phénomène socialement. Les Britanniques utilisent les cycles pour
réfléchir et agir : les phases de formation rapide du capital fixe alternent
avec les phases d’exportation de capitaux à long terme. Cette puissance
permettait de reconstituer aisément les liquidités, d’où des balances
commerciales et financières en excédent !
Tous les échanges économiques entre pays Européens voyaient leur
financement intermédié par Londres. Si le compte n’y était pas, des
émigrants quittaient l’Europe pour les Etats-Unis, où ils obtenaient
davantage de crédit. Mais les places financières française et allemande
servaient d’intermédiaires en chaîne, entre Londres et un troisième groupe
de pays. C’est ce dernier groupe qui est le plus vulnérable à
l’endettement, car il ne peut plus prendre d’intérêts sur personne… ! Ces
pays devaient, pour couvrir leur endettement fort préoccupant à partir des
années 1870, compter sur n’importe quel prêteur, loin du contrôle du
« principal » qu’était la place de Londres. Soit une thérapie de choc – fin
de l’aide financière - soit des taux d’intérêt usuriers, furent imposés à
divers pays Méditerranéens dans les années 1880 et 1890.
La vision optimiste, car libre échangiste, des Britanniques, les
poussait dans un deuxième temps à investir pour soutenir le choc du
retour, dans un troisième temps à s’endetter pour établir une réciprocité :
il faut considérer le phénomène à sa racine. Dans un premier temps, les
prix ont baissé et les gouvernements ont un peu aidé la consommation –
logements dans les villes… et début du crédit -, dans un second temps, les
pays ont préparé financièrement la guerre 1563. A partir de 1860, les dettes
publiques n’ont jamais baissé en dessous de 60%, et elles sont montées à
plus de 100%. Les « petits pays » ont davantage échappé à
l’endettement, pourquoi ? La plupart des pays ont connu l’endettement,
1563
Nous pouvons vous laisser deviner ce qui se passait en troisième période.
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 868
sans doute en partie à cause d’un contexte global dépressif. Les marchés
financiers font le gros dos, d’autant qu’ils continuent de profiter des
intérêts sur le développement : ils se bornent, pour sauver les apparences
juridiques, à harmoniser les taux d’intérêt par rapport aux prix 1564, avec
les niveaux d’endettement nationaux. C’est pourquoi, derrière la stabilité
du système assis sur l’étalon-or, se cachait peut-être bien l’inflation 1565 !
Dans ces conditions, la face cachée du système, les rivalités
géographiques naturelles, et non le constructivisme sectoriel « culturel »,
pouvaient réapparaître aux pires moments de la discussion, « imposer la
guerre pour s’expliquer ». De fait, l’inflation globale, de 1880 à 1896, a
fragilisé le système global, qui de 1896 à 1914 s’est inéluctablement
préparé pour la guerre. C’est aussi parce que les investissements
internationaux, essentiellement Européens, pendant « notre première
mondialisation financière » (de 1870 à 1914), ont étés l’occasion
d’affirmations de puissances nationales, qui préfiguraient l’horreur de la
guerre sur le terrain, pendant la période 1914-1918.
Monnaie et guerre en 1870, et les implications
stratégiques de ces événements jusqu’en
1914 :
Le système de l’étalon or n’assure qu’une partie de l’économie
monde, l’Allemagne est en concurrence avec les autres pays de l’étalon or.
Les risques de conflits sont bien présents.
Il y a aussi, face à l’Europe, la concurrence nouvelle de l’Amérique,
qui met une pression constante. A chaque crise, la place de Vienne est
particulièrement touchée. La Banque d’Allemagne fait le ménage chez elle,
à partir de 1873 : en restreignant la diffusion et l’usage des billets. Ce
pays est suivi par les pays Scandinaves et les Pays Bas, lorsqu’ils passent
à l’étalon or. Mais la Bundesbank a aussi activement préparé la guerre.
Les pays de l’Union Latine, dont la France, auraient voulu une
unification monétaire mondiale, encore plus large que celle qui a été
réalisée avec l’étalon or. L’Italie profite de l’Union Latine pour pratiquer le
cours forcé des billets, et envoyer tout son argent à la France. L’Union
Latine s’épuise progressivement, durant les années 1880.
C’est-à-dire calculés à partir des prix. C’est-à-dire que la fameuse dichotomie entre
sphère réelle et sphère financière est en fait une lutte des classes, ou des bourgeois
veulent être rassurés socialement pour les risques financiers qu’ils prennent pour le
compte d’autres personnes issues d’une classe différente.
1565
Les masses profitent ou croient profiter de l’inflation. On laisse courir celles-ci. Mais
aussi les bourgeois et les gens du peuple « courent », mais pas après la même chose, le
troisième terme qu’on laissait aussi filer était l’endettement.
1564
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 869
Les soubresauts institutionnels monétaires aux
Etats-Unis :
Une crise boursière d’importance éclate en 1893. L’Amérique est en
avance sur l’Europe pour la diffusion quotidienne des billets, mais en
retard pour l’autorité institutionnelle de sa Banque Centrale, qui ne sera
créée qu’en 1905, alors que le système basé sur les seules banques
décentralisées de chaque Etat a alors implosé.
L’irrésistible ascension monétaire Américaine :
A l’occasion des guerres, l’autorité du système monétaire Américain
va s’affirmer, en profitant de l’anarchie du système monétaire Européen. A
partir des années 1920, la £ est attaquée. Dès lors, la guerre monétaire
s’imposa. On allait, en Europe, de dévaluation compétitive en dévaluation
compétitive. Le système de relance de l’économie grâce aux dépenses
militaires, et d’augmentation de la masse monétaire dans les mêmes
conditions, a souri depuis cette époque aux Etats-Unis, car il restait
discret et raisonnable. Politiquement, il avait donc aussi un caractère
dissuasif. Le cas de l’Allemagne dans l’entre deux guerres est tout
différent.
La France et la problématique de la stabilité et/ou
de la force monétaire dans l’entre-deux
guerres :
La France a essayé de montrer le chemin de la mesure, notamment
avec le franc Poincaré de 1926. Consciente d’y parvenir assez bien, elle
était d’autant plus intransigeante, à l’époque, sur la question des
réparations dues par l’Allemagne. Elle est aussi intransigeante sur le
chapitre de la dette russe.
Guerres monétaires et guerre toute courte :
Les pays d’Europe avaient des avoirs à court terme sur la place de
Londres, très liquides. Mais ils couraient constamment le risque d’être mis
en situation de dette instable, car leur endettement vis-à-vis de Londres
demeurait important. Ils achetaient de la liquidité contre de
l’endettement. Ils en profitent pour s’industrialiser. Mais c’est aussi, en
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 870
Allemagne, dans le sens des dépenses militaires. A partir de 1900, le
nombre d’actions en circulation s’emballe en France, alors que l’Ouest
coupe les crédits à nombre de projets allemands, comme le chemin de fer
Berlin - Bagdad. L’Allemagne, quant à elle, coupe court aux emprunts
russes. Plus à l’Est encore, les finances de l’Egypte, la Grèce, la Turquie…
la Chine… sont mises sous tutelles ! Après 1918, les Britanniques sont
prêts à regarder la spécificité de la situation monétaire Allemande d’un œil
nouveau, mais incomplètement. La £ devient d’ailleurs trop faible pour
aider l’Allemagne. En fait, le pouvoir avait changé de camp. Dès 1917, les
Américains avaient été les banquiers de la coalition Occidentale. Le
système monétaire allemand, en partie embryonnaire, était dès le départ
différent du système britannique : il était plus tourné vers le pouvoir
d’achat, moins vers le pouvoir de vente 1566.
L’évolution des relations monétaires et guerrières
interactives des pays Européens tout le long
de la période : de 1870 à 1920 :
Le système de l’étalon or a été monétairement révolutionnaire, car il
a permis la création et l’utilisation du taux d’escompte, qui transforme du
risque géo politique en risque financier, et permet l’investissement. Cela
crée un marché de la liquidité.
Cela a permis aux agents privés de s’endetter, en escomptant que
l’autre serait plus endetté qu’eux. Le triangle or / £ / possibilités de
change, de même que le triangle endettement / liquidité / monnaie,
fonctionnaient à plein. En choisissant l’étalon or, l’Occident a peu à peu
évincé l’Est, économiquement, dans lequel de grands pays tel l’Inde se
reposaient sur l’argent.
Les sociétés en cours de monétarisation ne s’endettent dès lors plus
seulement pour financer la guerre, mais aussi pour créer du capital
humain. Mais cela crée aussi un nouveau système de domination, dont
l’exclusion des enfants du marché du travail, ou encore le colonialisme :
sont des avatars de cette époque. Il y avait un paradoxe à ce qu’un
système moderne soit adossé à une relique barbare, l’or. Et ce fait ne fut
pas sans incidence avec les guerres qui ont eu lieu. En 1896,
l’endettement des Etats commençait à se réduire, mais c’est déjà trop tard
pour éviter la guerre, à cause des très fortes tensions sociales de l’Europe.
Avant 1914, l’économie était peu spéculative, et les Anglais
pouvaient diriger des investissements à long terme. Puis, la spéculation
s’en est mêlée, alors que la £ a commencé à être plus attaquée. La
Banque Centrale Britannique n’a alors plus qu’à accepter le rôle de prêteur
1566
On ne peut pas tout acheter !
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 871
en dernier ressort, pour amoindrir dignement le mouvement de reflux de
sa puissance et de son influence, chacun se partageant ainsi plus ou
moins les risques en fonction de son rôle dans l’ensemble. En même
temps que la spéculation, on a eu un déplacement du système monétaire
vers un aspect davantage orienté vers la demande : c’est l’essor des
achats à crédit, pendant la guerre de 1914-1918. Mais les peuples
Européens sont dégoûtés : la division financière de l’Europe s’est muée en
division politique, avec la Révolution en Russie. Lord KEYNES a posé les
bonnes questions de ce système dès 1919, les conséquences pratiques
s’en sont encore faites attendre vingt ans, au niveau de la politique
économique.
L’évolution des relations monétaires et guerrières
interactives des pays Européens tout le long
de la période à savoir le retour de l’option
guerrière à partir de 1920, du fait du rejet du
système :
En Allemagne, les industriels refusent de faire crédit à l’Etat, sur
fond de menace de confiscation de biens en vue de payer les réparations.
Quelques années après, les paysans s’enrichissent en bénéficiant de la
libération de leurs hypothèques. L’Allemagne est monétairement prise à la
gorge, et cela s’illustre dans les rapports de classes 1567. La nouvelle
monnaie russe de 1922, gagée en partie sur des devises étrangères, fait
un flop après lequel c’est la dévalorisation monétaire absolue. La monnaie
est plutôt remplacée par des emprunts forcés, au bénéfice de tel ou tel
secteur. L’Italie quant à elle, a essayé de supprimer les banques… avant
de se rétracter.
Tous ces phénomènes d’évitement sociaux entre classes 1568, dans les
différents pays, font que l’on met en avant la notion de « change », et
d’étalon de change or, à la place de l’étalon or, en 1924. La façon de
désigner le système monétaire en cours est une bonne métaphore des
rapports sociaux incontournables. La France et les Etats-Unis, en plus du
Royaume-Uni, sont seuls autorisés à disposer d’importants stocks d’or. La
Conférence de Genève, en 1927, aurait bien recommandé une diffusion
encore plus large de ces stocks. Mais la reprise de l’inflation après la
guerre empêche de toutes façons de poser ces questions d’organisation
monétaire calmement, et précipite les pays dans la préparation de la
guerre.
A côté de l’Union douanière belgo - luxembourgeoise de 1921, tous
les pays se camouflent derrière le nationalisme monétaire, pour rester
1567
1568
Et de secteurs économiques, c’est-à-dire agriculture et industrie.
Et entre secteurs. En Russie par contre ce fut la guerre, villes contre campagnes.
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 872
protégés un temps par un système dont ils ne souhaitent pas protéger la
pérennité à leur tour1569.
En 1923, le mark est foudroyé. Le fait de devoir probablement se
passer des réparations allemandes, alourdit encore la charge du
« système » aux yeux de tous, et rend les rapports sociaux plus durs.
Placés à l’extérieur, les Américains, plus que les Européens, font crédit à
l’Allemagne, mais ils coupent leurs crédits dès que la situation politique
allemande commence à empirer, ce qui accélère de façon décisive la
marche à la guerre.
Dès lors, la dévalorisation monétaire, non seulement détériore les
relations sociales et le contexte politique, mais aggrave aussi la situation
économique, en provoquant une hausse des prix de l’économie réelle
(relativement au prix comparatif : rapporté à la valeur résiduelle de l’or
qui reste). D’ailleurs, passer de l’étalon or à l’étalon change or donnait
plus de place à l’inflation, en libérant des marges de manœuvre pour
croire la contrôler, et en fait la faire augmenter 1570. Toute cette période est
un immense retour en arrière, vers 1914 ou vers 1896, en ce qui concerne
la valeur des choses1571.
Quelques blocs monétaires s’opèrent : tentatives solidaires, et
dislocation du système devenu temporellement gravement incohérent (il
était incohérent temporellement déjà avant 1914).
Par exemple, la Grande-Bretagne et la France sont alliées dans un
bloc monétaire avec les Etats-Unis. Il n’en faut pas moins pour protéger
(en façade) l’autorité du Royaume Uni, qui en fait est prisonnier d’une
logique déflationniste, restreignant sa masse monétaire et de plus
dévaluant. En 1931, on est obligé de créer un fond d’égalisation des
changes. Dans un contexte de spéculation avérée, la finance a pris le
dessus sur la monnaie, réduite à son expression la plus simple. Les
Américains se tiennent à l’affût de l’effondrement du système. Le système
du $ sera un système « horizontal » de diffusion de la standardisation
industrielle, là où le système de la £ était un système « vertical » de
domination du temps. Troisièmement, le système de l’étalon or a mené,
(quoiqu’il en ait eu), à la guerre en attisant de nombreuses tensions.
L’Allemagne et l’Autriche formaient un second bloc monétaire. Il
s’agit de pays monétairement « parias », à l’intérieur comme à l’extérieur.
L’Allemagne en arrive à créer plusieurs catégories de marks. Après cet
essai, le système de financement est complété par des « traites
spéciales » en travail, qui servent directement la préparation de la guerre.
C’est aussi un système pour créer des liquidités… mais dans un contexte
bien particulier, condamné ! Troisième étage de la forme de monnaie qui
Le « change » monétaire ne devient pas un « change » politique, dès lors que les
rapports de classes deviennent « acculés » à la guerre civile.
1570
Du fait que le système global n’était pas pensé correctement, c’est-à-dire dans une
dimension à la fois évolutive et pacifique. Cela est discutable.
1571
De cela, le système monétaire a été la caisse de résonance.
1569
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 873
permet que « la guerre se finance elle-même », en opposition à la théorie
de GOLDSTEIN : les traites d’armement, à partir de 1935. Quatrième
étage, les « dons forcés » des pays qu’Hitler aura annexés. Enfin, pour
conclure, la négation de la monnaie moderne ou monnaie de crédit :
contrôle des changes et interdiction d’exporter des capitaux.
En Italie, on réduit le niveau de la circulation monétaire, et on
manipule les taux d’intérêt (mais ce type de manipulation est difficile à
prouver, ayant été beaucoup pratiqué par toutes sortes d’Etats). On se
débat entre la saine gestion et la panique, dans un cadre d’idéologie
délirante de droite affirmée.
L’Europe du Centre est confrontée au contrôle des devises. Une
administration centrale impose des cours multiples de la monnaie, pour
manipuler vigoureusement les échanges extérieurs et favoriser plus ou
moins tel ou tel secteur. Les pays du centre Est en 1931, avec la Grèce,
accompagnent l’Allemagne dans son contrôle des changes. Puis c’est le
cas des pays Baltes et Nordiques, en 1932. Le Japon et la Roumanie,
l’année d’après, enfin la Pologne et l’Italie en 1934-35.
Les Américains, à leur tour, ont aussi dévalué, en 1934. Constatant
les divisions des Européens, ils ont à leur tour dévalué pour diminuer le
poids de leur part de charge structurelle par rapport au système. Le crédit
Américain en Europe, depuis 1918, n’avait pas coûté très cher, du fait que
l’or avait vu sa valeur diminuer de 40%. Mais poursuivre de tels crédits
aurait nécessité des perspectives politiques stables, ce qui n’était pas le
cas. On ne pouvait pas non plus continuer à dévaluer l’or, ayant été
jusqu’au maximum d’exploitation de l’élasticité du système que celui-ci
pouvait supporter. De 1930 à 1938, les pays ont tous dévalué, de 40%
environ en moyenne. Ce sont majoritairement les anciens pays de l’Union
Latine, qui constituent les pays du bloc or des années trente, en quête de
son passé. En 1938, l’Allemagne a totalement sacrifié ses réserves en or.
Les spéculateurs, déjà actifs depuis la guerre de 1914-1918, ont
accompagné et amplifié le mouvement général de marche à l’abîme des
années trente. Cependant, ces années calamiteuses sur le plan des
relations internationales ont permis aux pays, en interne, de renforcer
leurs institutions nationales. C’est d’abord l’émergence des trésoreries
nationales. Les bons du Trésor ainsi créés permettent de renflouer les
caisses nationales en manque d’or. Ce matelas de sécurité interne permet
de masquer les soubresauts des changes, à l’extérieur. Cela permettait
aussi de garantir des taux d’intérêt réels assez bas.
Après 1940, la position extérieure nette de l’Angleterre, de
globalement créditrice qu’elle était, est devenue rapidement débitrice. Les
Britanniques doivent rapidement désinvestir à l’extérieur. Après la guerre,
les Britanniques veulent restaurer le marché et le plein emploi, mais sans
dire comment. Les Américains veulent étendre le système monétarisé, en
garantissant des cours monétaires stables, pour donner aussi plus de
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 874
liberté aux échanges de capitaux. Leur vision, plus puissante, plus
adaptée à la situation nouvelle, l’emporte. De ce fait aussi, le nouveau
système aura de tous autres « arrières » que l’ancien, car on n’exportera
plus simplement de l’épargne : mais aussi une part de la dette nationale,
rendant ainsi les pays autrement solidaires, économiquement et
monétairement, du pays détenant la devise clef !
Mémorandum
sur
la
situation
de
l’homo
monetarius sur la période 1873-1945 :
Cet individu est représentatif de la société et minoritaire, en 18701945, en Europe. La guerre, au cours de cette période, a rendu l’Europe
impuissante (au sens où elle n’avait plus la possibilité de choisir d’ellemême, la guerre ou la paix), dans un premier temps, puis l’a brisée dans
un second (en 1939-1945, elle a réalisé « l’anéantissement d’une
civilisation »). Au contraire, les Etats-Unis profitent de la guerre, d’abord
pour intervenir dans les affaires du monde, puis pour récupérer
l’hégémonie monétaire dans ce monde. A l’intérieur de l’Europe et de
chacun de ses pays pris un par un, la période 1870-1945 voit un refus
progressif des institutions, une véritable « déchirure psychologique ». On
peut résumer en disant que le capitalisme est assimilé à de l’impérialisme.
Aussi, la monnaie joue son rôle d’augmentation du revenu, mais au risque
d’une forte inégalité sociale dans les pays, et d’une réelle concurrence
entre les nations. L’insécurité guerrière compense complètement et
submerge le phénomène d’assurance du revenu. C’est une période où
l’homo monetarius Européen est écartelé entre le passé – retour à la
guerre – et le présent – assurance du revenu – sans pouvoir guère
compter sur l’avenir. La tension entre guerre et monnaie, provoque du
« bruit » qui empêche de créer quelque chose de démocratique et de
cohérent sur le continent Européen.
De ce bruit et cette fureur, l’homo monetarius est le réceptacle.
C’est pourquoi les querelles idéologiques de l’époque reposent sur le fait
de savoir s’il faut préférer plutôt la guerre externe (entre nations), c’est-àdire rejeter la faute sur « l’autre »… ou la guerre civile au moyen du
communisme, avec l’espoir de changer le système international, mais
avec le risque que l’économie dépende encore plus qu’avant de la
politique. La première guerre met en jeu l’organisation de l’espace, elle
est anarchique : la seconde s’organise autour d’une restructuration et
d’une rationalisation du rapport au temps. L’horizontal et le vertical
échangent leur rôle, et le dollar est une source de consolation terrestre,
qui aidera l’homo monetarius Européen à réfléchir à tout cela, et peut-être
à faire de nouvelles propositions systémiques, lors d’une période
ultérieure.
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 875
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 876
Troisième Période. 1945-2007. Une
économie
en
cours
de
monétarisation.
Monétarisation
moyennement avancée en 1945,
bien avancée en 2007 :
1945-années soixante. La mise en place d’un
nouveau
système,
avant
les
déficits
Américains :
I.
Jusqu’à 1953 et à la fin de l’Aide Marshall :
L’embryon de l’Europe monétaire n’a-t-il pas été constitué par le
plan Marshall ? Sans l’aide Marshall, les pays européens n’auraient pas pu
se redresser. Avec cette aide, l’Amérique prouve qu’elle peut prêter à
l’Europe, non seulement en temps de guerre, mais aussi en temps de
paix. Mais, face au redressement rapide des seuls pays du Benelux, déjà
plus familiers de l’intégration économique Européenne, l’Amérique est
obligée de diviser l’Europe, de répartir l’aide pays par pays. Les Européens
réagissent à leur tour, de 1947 à 1950, en passant des accords de
paiements et de compensation entre eux. Les Britanniques et les
Allemands ont conservé, chacun de leur côté, une « ambition monétaire »,
avec deux visions bien différentes de la chose : l’Union Européenne des
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 877
Paiements est un compromis, nécessaire pour libéraliser les échanges en
Europe !
Les pays capitalisent aussi au niveau de la bonne gestion bancaire
interne, avec pour but de lutter contre la baisse des prix 1572. Enfin, en
1948, est créé le deutsche mark, un an avant la définition définitive des
frontières de l’Allemagne Fédérale. Dans beaucoup de pays d’Europe, on
conserve la monnaie déjà existante. La France accorde des prêts sans
intérêts pendant plusieurs années, en attendant l’appel d’air de la reprise
allemande qui a lieu, après la fin de la guerre de Corée, en 1953. L’Italie
aussi mène une politique de déflation. Les institutions nationales sont
renforcées : Banque d’Angleterre nationalisée ; de même pour ses
homologues française et hollandaise… L’URSS dévalue du tiers la valeur
des emprunts en circulation dans ce pays, annule la moitié de la valeur de
l’épargne collectée. On relance le crédit, mais pas la monnaie. Dans les
relations internationales, ce n’est pas le régime des échanges monétaires,
mais celui des dons forcés. Les mesures drastiques s’expliquent en bonne
part par la nécessité de juguler l’inflation issue de la guerre.
Le 20 Août 1947, les réserves de la Banque d’Angleterre, épuisées,
ne permettent plus de supporter la cotation de la Livre Sterling. Dès lors,
le Dollar remplace de facto la Livre. La dévaluation de cette dernière
entraîne la dévaluation d’autres monnaies.
De la fin de l’Aide Marshall aux années soixante :
En 1953, la CECA est chargée de veiller à la coordination des
politiques monétaires, financières et de crédit des Etats membres. D’autre
part, ce crédit facilité sert à l’investissement, notamment en
infrastructures. Le Traité de Rome de 1957 fixe comme un des objectifs de
la CEE la coordination des politiques financières. Cela véhicule une
poussée intégrative de l’Europe, d’un point de vue financier et monétaire.
La monnaie du COMECON, le rouble transférable, n’est quant à lui
pas convertible !
Pendant toutes les années soixante, le deutsche mark connaît une
sous-évaluation latente permanente face au Dollar. Le DM est réévalué en
1961 et 1969. Il le sera aussi en 1971 et 1973. Dans le même temps le
franc français est dévalué. Au milieu des années soixante, on crée un
Comité monétaire consultatif. Puis un Comité de politique conjoncturelle,
qui permet d’agir sur les cycles et de réduire le différentiel de risque
monnaie / finance1573, signe qu’une préoccupation monétaire voit de plus
C’est-à-dire la destruction de la monnaie.
Si les autorités monétaires n’arrivent pas à « trier », et à transformer des signes
financiers privés en signes monétaires publics, la situation sociale peut se durcir, voire
devenir catastrophique : comme nous le montre l’exemple de l’Europe en 1914-1945,
préparé par les malentendus et les « empiétements » de 1870-1914.
1572
1573
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 878
en plus le jour en Europe, s’appuyant sur l’existence d’une monnaie forte
le deutsche mark.
Les années soixante constituent l’âge d’or des changes fixes. Les
gouvernements utilisent les deux, changes fixes et changes flexibles, en
fonction de leurs objectifs à long ou à court terme. Si bien que les
balances des paiements sont maîtrisées1574.
L’industrie, c’est la finance. L’agriculture, c’est la monnaie, grâce au
mécanisme des montants compensatoires monétaires. Le secteur de
l’agriculture est le premier à bénéficier des avantages d’une politique
monétaire Européenne, grâce à ce système complexe d’assurance du
revenu
futur, et
de l’avenir du secteur – l’agriculture –
démographiquement menacé. On peut oser affirmer que ce mécanisme
des montants compensatoires monétaires est un des plus beaux
mécanismes monétaires inventés par l’homme, après les transferts
épargne / crédit qu’avait connu le dix-neuvième siècle, puis l’invention des
billets, et avant la monnaie scripturale pour le circuit de la consommation,
puis la monnaie électronique pour l’assurance de la trésorerie dans les
réseaux de la mondialisation. C’est une façon de faire de l’agriculture un
secteur « monétarisé », ce qu’elle n’est pas traditionnellement, en la
mettant en relations avec les autres secteurs économiques, avec son
propre avenir et ses investissements, et aussi l’Europe en rapport avec
les autres grandes régions du monde. Petit à petit, toutefois les charges
liées à la garantie ont augmentées. Mais c’était la contrepartie naturelle 1575
de la protection sociale permise par cela.
La libéralisation des mouvements de capitaux, dans les années
soixante, ne concernait que les investissements directs et les émissions
étrangères, pas les placements de court terme. Le phénomène des euro
Dollars signale que les réserves de Dollars dans le monde ont rapidement
dépassées – notamment en s’investissant dans le « second souffle »
Européen – les réserves en or. Alors, cela permet la mise en place d’un
système de comptabilisation des créances à court terme, permettant que
les agents acceptent le principe de l’existence de dettes à long terme 1576.
Cela a aussi beaucoup aidé l’industrie Européenne, alors que la totalité de
l’effort « monétaire » de source véritablement Européenne était consacré
à assurer l’agriculture1577. Les Etats-Unis y gagnaient un marché solvable
en Europe, et par la même occasion un allié politique, qui les protégeait
contre l’idéologie refusée venue de l’Est, et la démographie venue du Sud
avec ses menaces de non intégrabilité dans le système économique
existant. En résumé, les Américains avaient « carte blanche » dans le
C’est la victoire de la notion de « consensus », aussi dans les relations monétaires
internationales.
1575
Ou culturelle.
1576
La monnaie devient à nouveau persona grata. Même en Europe… et même en
France !
1577
Les relations sociales étaient véritablement assurées grâce à ce nouveau système
monétaire plus « consensuel ».
1574
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 879
« monde libre », et pouvaient s’autoriser à fixer le taux d’inflation
mondial.
Une fois engagée dans l’expansion monétaire sous la houlette
Américaine, l’Europe doit réagir plus vite qu’elle ne le faisait, à la
conjoncture macroéconomique. Les Européens doivent gérer leur inflation
et leur chômage selon des règles macroéconomiques « universelles » c’est-à-dire Américaines -, plutôt que de lutter contre leur chômage en
envoyant des ressortissants travailler dans les « colonies », qui n’en sont
plus.
Années 1960. La mise en place d’un nouveau
système et les débuts rapides de son
tremblement du aux déficits Américains :
L’Europe,
pas
encore
pleinement
« monétaire »,
déjà
indubitablement « macroéconomique », doit désormais « faire sérieux » !
Les budgets des trois Communautés (CECA, CEE, Euratom), sont alors
unifiés, en 1968. En 1969 est mis en place un soutien monétaire à court
terme, par la Commission Européenne.
Le développement des euro Dollars, dans les années soixante,
signifiait clairement une inflation mondiale soutenue. Pourquoi toutes les
Banques Centrales acceptaient ainsi de prendre autant de Dollars ? Il
apparut au milieu des années soixante que les pays s’étaient aussi
empressés d’amortir une contradiction qui apparut à ce moment
visiblement, dès lors que les Américains jouaient à la fois sur un tableau
économique et sur un tableau géo stratégique : le dollar avait une double
fonction, monnaie nationale Américaine, elle était aussi monnaie
internationale acceptée sans frontières 1578. Elle servait aussi, à la fois de
créance et de dette, et comme outil comptable des « relations ». On crée
alors les Droits de Tirage Spéciaux en 1968, pour concurrencer le Dollar. A
la même époque, celui-ci devient partiellement inconvertible : on a perçu
la faille, et on vise à la restreindre.
Le phénomène du double déficit Américain apparaît aussi dans les
années soixante : déficit du budget, et déficit de la balance commerciale,
qui entraînent un déficit de la balance des paiements. Or les Européens
ont aussi commencé à s’inspirer de cet exemple : pour monétiser leurs
propres déficits. Ce n’est pas avec cela qu’ils pouvaient inventer un
nouveau système. Il y avait donc du pain sur la planche ! Par quoi
remplacer le système d’étalon de change or ? En fait, il ne faut pas oublier
que ce système reposait sur trois éléments principaux : 1°) l’étalon de
change or ; 2°) la prééminence d’une monnaie « horizontale », le Dollar ;
1578
Presque !
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 880
3°) des parités quasi fixes, particulièrement vis-à-vis du Dollar. On a donc
changés en passant à une plus grande forme d’entropie, avec un panier de
monnaies en changes flottants. Ainsi, on accompagnait tout doucement la
fin du système précédent, marqué aussi par : 4°) la nostalgie de la
« relique barbare » constituée par l’or ; 5°) la volonté de projeter des
institutions de nature monétaire jusqu’au plan mondial (FMI, Banque
Mondiale) ; 6°) la « pression » Américaine poussant à la consommation au
plan mondial. Pendant dix ans, le système n’avait cependant trahi aucune
faille, et il avait servi ses maîtres Américains : le déficit de la balance des
paiements des Etats-Unis était compensé par l’excédent commercial de ce
pays. En échange des exportations de crédits et de capitaux de la part des
Américains, ces derniers récupéraient de vastes profits commerciaux et
industriels. Or, ce cycle est devenu de plus en plus instable. Les
Américains n’ont donc à la fin plus eu de réserves d’or du tout, ce qui
signa la fin de la convertibilité du Dollar en or. Mais ils signèrent l’arrêt de
mort du système de Bretton Woods tout en se faisant des amis : en effet,
le volume des liquidités mondiales fut multiplié par trois en trois ans,
depuis 1971. Une telle secousse ne pouvait qu’être soutenue par des
événements historiques de grande ampleur, touchant au domaine
monétaire :
- la création du serpent monétaire en Europe (1971);
- le début de l’endettement à grande échelle du Tiers Monde ;
- l’envol de la consommation dans le bloc de l’Est.
En 1976, à l’occasion de la Conférence Monétaire de la Jamaïque, la
pratique des taux flottants est généralisée. Quant à l’Europe, placée au
Carrefour de l’Histoire, elle doit désormais y préciser sa position 1579, ainsi
que les outils de sa gestion, du point de vue monétaire, marges de
fluctuations et repères d’intégration inclus. Elle doit absolument se
recentrer, pour pouvoir enfin prouver son autorité.
En Russie, avec l’ouverture progressive à la consommation, le
système du crédit pénètre dans l’agriculture. Pour l’apparition de salaires
monétaires dans l’agriculture, les Russes n’ont qu’une génération de
retard sur leurs amis Européens de l’Ouest. En contradiction avec ce
développement endogène de nouvelles formes au sein de la société, il y a
le fait qu’à l’extérieur, le bloc de l’Est refuse toujours d’accepter la
convertibilité de ses monnaies.
« Définir » ou « préciser » sa position dans les années soixante-dix. Et sa politique,
depuis 2005…
1579
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 881
1970-1992.
La
construction
du
système
monétaire Européen. Du Plan Werner au Traité
de Maastricht :
I.
La réponse des Européens à la crise du système
monétaire international :
Mesures d’ajustement :
En 1970, on décide que le budget de l’Europe doit aussi disposer de
ressources propres. La création de la TVA, « impôt sur la consommation »,
y pourvoit. Les dépenses agricoles avaient été multipliées par cent de
1958 à 1972, et devaient être « couvertes ».
A partir de 1974, les pays conviennent de se concerter, avant toute
décision susceptible d’entraîner des conséquences monétaires sur
l’économie. Une solidarité monétaire très active se met en place, plus
seulement entre secteurs, mais aussi entre pays, avec la possibilité de
prêter à ceux qui éprouvent des difficultés temporaires de balance des
paiements. Et l’Europe se soucie même de l’avenir économique de son
grand voisin de l’Est, et lui prête de l’argent.
Dès que les pays de l’Est se sont ouverts sur l’extérieur, leur
endettement extérieur a été multiplié. Ces pays connaissent dès lors une
forte inflation, car l’endettement est le signal d’une spirale de la fuite
devant la monnaie nationale. Les Russes n’arrivent pas « joindre les deux
bouts macroéconomiques » de l’amélioration de la consommation et de la
lutte anti-inflation. Sans monnaie convertible, la Russie était paralysée,
comme engluée : elle ne disposait en effet d’aucune incitation à produire
plus pour exporter plus. C’est le total « dilemme du prisonnier » : elle
s’est donnée des formes sociales de la monnaie – le crédit – sans les
institutions qui vont avec : pas de contrôle éclairé, pas de marché qui
surveille, pas de propriété privée. La monnaie Russe est bayonée, telle
Gulliver : ses trois fonctions, unité de compte (des signes comptables
propres à l’Etat ; ou le kopek au niveau agrégatif le moins élevé), étalon
des échanges (rouble lui-même inconvertible), réserve de valeur
(inexistante), sont inconvertibles entre elles1580.
Mesures de construction :
Les marges de fluctuations des monnaies décidées par le plan
WERNER de 1970 permettent à la fois de lutter contre les contraintes
Et
inconvertible
qualifié d’impérialiste.
1580
à
l’extérieur.
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Par
refus
du
système
hégémonique
Philippe Jourdon / 882
monétaires internes et externes à l’Europe. Sans ces éléments de
coordination monétaire, il aurait été difficile de coordonner la lutte contre
l’inflation et celle contre le chômage.
Les marges retenues sont de +/- 2,25%. Dès 1972, le Conseil
européen affirme vouloir « aller vers une Union économique et
monétaire ». Le Fonds européen de coopération monétaire, créé en 1972,
octroie des crédits à très court, court et moyen terme. Au moment où les
Européens décident des marges de fluctuation, le monde bascule vers le
système des changes flexibles. Est-ce une coïncidence et sinon, n’est-ce
pas aussi pour contrecarrer les plans des Européens ? On peut se le
demander. Par la suite, à chaque fois qu’il y a eu une crise du Dollar, la
pression sur les changes intra européens s’est accrue. Si bien qu’en 1973,
on est obligé temporairement de sortir certaines monnaies du Serpent
Monétaire Européen. Le franc en sort en 1974 et y retourne en 1975.
A cette époque, la politique de change des banques centrales repose
sur trois principaux instruments :
- les interventions stérilisées sur le marché des changes : pour
maintenir le cours jugé souhaitable des monnaies entre elles ;
- la manipulation des taux d’intérêt ;
- le contrôle des changes.
Seule la méthode des interventions stérilisées est nouvelle. Pour le reste,
il s’agit de renouer avec des méthodes anciennes, parfois issues de
l’entre-deux-guerres. Il s’agit de se prémunir contre les pertes de
souveraineté nationale, ainsi que contre les excès de la monnaie
internationale « devise clé ». 1581
En 1978 est créé l’European Current Unit (ECU) : unité de compte
servant à la comptabilité entre Etats. Un an après, le Système Monétaire
Européen est lancé. Le SME a opportunément profité du choc pétrolier de
1979 pour justifier son utilité conjoncturelle 1582 et faire irruption. Dès
1977, l’Angleterre avait laissé sa monnaie s’apprécier librement face au
Dollar. La Suisse avait jugé au contraire nécessaire de freiner la hausse de
sa monnaie. C’était néanmoins deux aiguillons qui poussaient à une plus
grande mise en cohérence du proto système monétaire Européen. En clair,
on veut réconcilier stabilité et croissance en agissant sur le monétaire. Il
s’agit notamment de se coordonner dans la gestion monétaire et
financière des cycles des affaires. Les Allemands et les Français ont
communément estimé la carence de la politique Américaine face au
manque de croissance mondiale comme manifeste. La Conférence de
Brême (Juillet 1978) décide à la fois le principe d’une intégration des
disciplines de gestion, et des mesures de solidarité. On décide aussi de
l’élargissement des marges de fluctuation pour les pays monétairement
fragiles (Italie). En cas de désordre du Dollar, les pays à monnaie faible
durciront leur politique, les autres l’assoupliront.
A chaque fois que l’on créait de nouveaux signes monétaires, on créait de la
souveraineté monétaire Européenne.
1582
Alors que son utilité structurelle fait autrement débat, parmi des personnes
moyennement ou mal informées.
1581
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 883
Pendant que l’Europe crée les « réserves juridiques » de sa future
monnaie – par l’anticipation symétrique des mouvements mondiaux -, ce
qui est une attitude un peu comptable… les Américains, eux, adoptent
l’attitude la plus commerciale qui soit en ce qui concerne leur monnaie : ils
« la placent sur le marché », en clair la laissent flotter. Ainsi, Américains
et Européens répondent-ils différemment à la menace monétaire
systémique constituée par l’endettement, nouveau, aussi bien de l’Est que
du Sud. Dans les années soixante, déjà, à l’Ouest, il y avait eu, sinon une
« économie d’endettement », du moins une « économie de crédit » :
endettement des entreprises vis-à-vis des banques, et de ces dernières
face à la Banque Centrale, économie « intermédiée ». Cela a débouché sur
une forte inflation, laquelle s’est trouvée incidemment « diluée » dans le
« relais » pris par les économies du Sud et de l’Est. A ce moment là, les
économies de l’Ouest, pour se démarquer et affirmer leur prééminence,
lancent une croisade mondiale anti-inflationniste.
Europe / Etats-Unis : un bras
paratonnerre du D-mark :
de
fer
discret ;
le
rôle
de
Suite aux décisions Européennes de 1978, le Dollar se trouve
rudement attaqué. Les Banques Centrales Américaine, allemande,
japonaise, interviennent alors conjointement sur les changes. Allemands
et Japonais ne veulent pas déclencher ouvertement la guerre
monétaire1583. Les Américains, quant à eux, sont soucieux d’écouter le
marché, de ne pas faire les fiers à bras. Donc, une certaine ouverture se
fait heureusement jour dans les conceptions, complémentaire au
sentiment de responsabilité. Les Européens n’en sont pas encore à vouloir
fixer « un cours communautaire du Dollar » ! Les Européens ont plus à
faire de s’assurer, chez eux, que leurs adhérents monétairement les plus
affaiblis ne vont pas décrocher du système ! Ils respectent, et refinancent
chez eux, les mesures de lutte contre l’inflation, décrétées par les
Américains au sujet du monde1584.
Nouvelles contraintes : la concurrence
marchandise, le pétrole :
d’une
monnaie
/
Les euro Dollars ont été recyclés dans les pétro Dollars. L’Europe,
derrière les beaux discours, est prise en porte à faux entre deux types
d’inflation, « monétaire » issue des Etats-Unis, et « énergétique » venue
des pays de l’OPEP. L’OPEP devient ainsi le « parrain » du Tiers Monde1585.
Les leçons de l’entre-deux-guerres ont été parfaitement retenues par les pays situés
aux marges géographiques du système, qui jouent désormais un rôle moteur pour
l’extension de ce système.
1584
Aux Américains la planification. Les Européens se débrouillent très bien des crises (et
soubresauts) qui surviennent chez eux. Pas encore de celles qui surviennent à l’étranger.
1585
Tout « soubresaut » reste en Europe susceptible de se transformer en « crise »… pour
encore longtemps !
1583
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 884
Les nouvelles mesures et perspectives macro économiques à la fin
de la décennie :
Donc, nous avons vu que dans les années soixante-dix, de
nombreuses questions monétaires systémiques se posent de façon
nouvelle. Et, pour le moment, les Européens sont sur la défensive.
L’Europe a au dessus d’elle, comme une épée de Damoclès,
désormais les risques d’incohérence temporelle. Elle sait désormais
financer le développement, la protection sociale. Mais ses peuples ont
besoin d’une génération de plus pour comprendre les « structures » de ce
système, de façon à se prémunir contre ses risques, notamment celui de
retomber dans la guerre. Le débouché réside pour le moment dans une
fascination pour la « croissance », sans laquelle on craindrait de « perdre
les pédales ». Or donc, l’Europe a des responsabilités particulières dans la
réalisation de la croissance économique mondiale : prise en porte à faux
qu’elle est entre l’Amérique, l’Est, et les pays de l’OPEP – sans parler du
Tiers Monde qui ne nous coûte pas grand chose, et qui « s’en sortira ou ne
s’en sortira pas » -. Les zones à développer sont stipulées « endettées ».
Amérique, Europe, OPEP sont solvables. Dans ce monde en équilibre
temporairement instable, l’Europe a un « devoir d’égoïsme » relatif, elle
doit se préoccuper de ses propres intérêts afin de défendre ses propres
valeurs. Elle est assez fine politiquement, pour gérer d’abord ses relations
de change, et ensuite rejeter, à juste titre, toute la faute des fluctuations
monétaires mondiales sur les Américains 1586. Or, à cause de la chute du
dollar, provoquée par les Américains pour des raisons commerciales, les
Européens perdent des exportations, donc de la croissance. On peut donc
parler d’une « guerre monétaire » larvée que nous ont joué les
Américains, dans les années 1970 : ils nous empêchent de reconstituer
notre pelote de crédit du fait des variations de change, ce qui se
transforme en handicap pour défendre notre modèle social.
A la suite de ces contrariétés, nous avons connu le mélange de
chômage et d’inflation. L’Europe se fixe alors comme objectifs, en 1977, à
la fois de relancer l’économie, de lutter pour la stabilité des changes, et
contre l’inflation. La lutte contre l’inflation est le seul vrai signe de
solidarité mondiale, entre les pays luttant contre la crise : elle permet
d’éviter que des fluctuations des changes ne détruisent la croissance, et
donc que le signe monétaire puisse être massivement interprété comme
l’ennemi de l’économie réelle – ce qui pourrait s’avérer extrêmement
conflictuel… -. Cela permettra de dépasser l’incohérence temporelle, en
conquérant des anticipations (plus) saines... En attendant, le virage pris
Ou des excès d’impulsions données par la sphère financière et monétaire sur la
sphère réelle et humaine. Mais peut-on à ce sujet séparer ces deux sphères ? En
contradiction relative avec les monétaristes situés aux Etats-Unis, DUPRIEZ en Europe ne
défend absolument pas une telle idée ! Il faudra donc clarifier autrement les valeurs pour
faire croire à la nouvelle monnaie à laquelle peu de gens rêvent encore en 1977.
1586
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 885
de la gestion Européenne laisse présager la possibilité pour l’économie
Européenne de devenir moins inflationniste que l’Américaine.
L’acharnement des Européens à
monétaire : de 1982 à 1992 :
sortir
du
dilemme
Un contexte technologique révolutionnaire :
La mode lancée par les Etats-Unis de « la monnaie lancée sur les
marchés », traitée elle-même comme un produit financier, a tendance à
se répandre. La concurrence devient alors le mode de régulation naturel
du « monétaire ». La monnaie internationale, le Dollar, n’a alors plus qu’à
s’en protéger pour son compte, en s’abritant derrière les taux d’intérêt qui
grimpent démesurément en 1979. L’accès à la liberté économique,
qu’incarnait le modèle Américain et son Dollar, est désormais remis en
cause. Ce ne sont plus des « droits », mais plutôt de nouvelles
« tensions », qui se trouvent diffusées ! Certains pays, au Sud, doivent
faire face à une véritable spirale d’endettement. L’Europe n’a pas encore
la force de les aider 1587. Par ailleurs, si la monnaie est un peu
« transformée en finance », la finance, elle, mute, jusqu’à créer des
produits de défiscalisation à la fois puissants et astucieux, à travers les
options, les « swaps » entre monnaies et les « swaps » dettes / fonds
propres et fonds propres / dettes, sans parler des multiples « produits
dérivés ».
Les « monnaies privées » (titres de grandes compagnies)
concurrencent désormais les monnaies nationales, qui elles-mêmes
concurrencent le Dollar. Les sociétés transnationales Américaines volent
au secours du Dollar1588 ! Le temps du Dollar est cependant compté, car on
lui chercherait en vain des garanties institutionnelles, autres que
strictement privées. Le « terme d’investissement » des compagnies les
plus efficaces au niveau mondial dans leur secteur, est désormais réputé
plus long que le « terme d’investissement » du Dollar lui-même. Ces titres
aident l’économie Américaine à se ressaisir, dans la mesure où à travers
eux, le Dollar se retrouve arrimé à des fonds propres ! D’ailleurs,
désormais, certains « titres » sont introduits dans la masse monétaire M3.
Tout cela a pour effet de retarder le recul du Dollar, qui, de 1973 à 1990,
a perdu deux fois plus de pouvoir d’achat qu’entre 1948 et 1972 face
pourtant à une meilleure stabilité des prix.
Cette guerre monétaire larvée entraîne tout naturellement une
baisse de l’investissement réel, et une hausse de l’investissement financier
et monétaire : les investisseurs les plus disposés à prendre des risques
augmentent les réserves liées aux engagements entre les différentes
Encore faudrait-il d’ailleurs qu’elle ait un modèle à proposer.
Mais l’Europe, plus simplement les Pays-Bas, dispose quant à elle des deux
principales entreprises globales : Unilever et Phillips.
1587
1588
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 886
économies productives nationales. AGLIETTA observe : « une inflation
stable et basse, mais (…) l’accumulation du capital ». A une régulation
nationale par l’inflation s’est substitué un ajustement international par les
taux d’intérêt. Les grandes entreprises sont les nouveaux intermédiaires
obligés entre l’Etat et l’individu, l’Etat ayant perdu le monopole voire la
légitimité en terme de régulation économique / sociale / politique.
Evidemment, le montant de « risques sociétaux » que peuvent assumer
des agents privés est incomparablement plus faible que celui que peuvent
assumer des agents publics. En attendant, on cherche un nouvel équilibre,
qui se situerait cette fois au niveau des « grandes régions ». Et les taux
d’intérêt réels restent élevés durant toutes les années quatre-vingt. Or un
système purement privé n’a pas de débouché, d’autant plus que la marge
d’intermédiation globale des banques – la différence entre leurs intérêts
perçus et leurs intérêts versés – a brusquement chutée depuis 1986.
C’est aussi l’époque des fusions-acquisitions transfrontalières en
Europe.
Le keynésianisme a quand même continué d’être appliqué dans les
années soixante dix, de façon de moins en moins convaincante. On joue
beaucoup sur les « taux privilégiés », nouvelle forme de « discrimination
monétaire et financière ». A partir de 1986 en France, la privatisation des
banques commence. La libre circulation des mouvements de capitaux est
décidée en Europe, pour 1992. Le marché mondial, depuis dix ans, a
largement gommé les différentiels de taux d’intérêt au niveau mondial. Un
grand marché obligataire commence à se développer en Europe.
Comme cela faisait un moment que l’économie monétaire
Américaine était en péril : en 1987 arrive un krach boursier. Puis arrive la
faillite des caisses d’épargne Américaines, qui finançaient du long terme
par du court terme. Ainsi, les crises financières des années quatre-vingt,
suivent les crises de change des années soixante-dix, qui suivaient les
crises des liquidités des années soixante. Les crises sont de plus en plus
fréquentes et à chaque fois permettent de relancer l’économie mondiale,
dans un climat de concurrence exacerbé. L’Europe « fait le gros dos », en
subissant un taux d’endettement toujours plus périlleux1589.
Mais cette politique de forts taux d’intérêt a aussi pour effet
d’augmenter les déficits nationaux, par un phénomène de « cercle
vicieux ». Les pays qui procèdent ainsi prennent du recul par rapport au
système pour pouvoir peut-être, un jour, le relancer. Mais, puisque la
relance ne vient pas encore d’Europe, le dollar reconnaît une montée en
grâce et une montée tout simplement, à partir de 19851590.
Dû notamment au manque d’homogénéité, qui fait reculer les perspectives de reprise
à chaque crise des changes. Mais dû aussi à la volonté de protéger la société de ces
attaques, ce qui peut être coûteux pour les Etats.
1590
C’est peut-être le « chant du cygne », qui peut durer longtemps : plusieurs
décennies !
1589
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 887
Europe / Etats-Unis :
Avec sa politique de taux d’intérêts élevés, l’Amérique a su se créer
une bulle spéculative monétaire. Phénomène « monétaire » par
excellence, la « confiance » était du côté Américain : les déficits
Américains faisaient plus monter le Dollar, que les excédents Allemands le
deutsche mark !
Mais les Européens doivent apprendre la patience : en fait, la
surévaluation du Dollar diminuait la pression d’ajustement sur les
monnaies les plus faibles de la zone Européenne, face au deutsche mark,
aidant à l’harmonisation de nos positions ! Le Dollar redevenait la monnaie
internationale incontestable. Enfin, à la suite et dans les années quatrevingt-dix, l’économie Américaine redevient hautement productive, alors
que les Européens créent l’euro et relancent, à la fin de la décennie,
fortement leur emploi. L’Europe monétaire est d’emblée forte, puissante,
mais pas menaçante.
Les obstacles à l’expansion viennent désormais des résistances
internes au changement – politiques budgétaires « individualistes » autant que de l’extérieur – Dollar décidé à vendre chèrement « sa place »,
et risques de fortes perturbations internationales pendant la période de
transition du « Dollar » à l’ « Euro » -. Mais, à partir de 1987, toutes les
monnaies européennes, même les plus attaquées (notamment franc
français, et lire), se sont rapprochées du D-mark, engageant un
mouvement monétaire irréversible.
Les différentes influences nationales dans la conception d’une
future politique monétaire Européenne :
A partir de la fin des années 1970, la Bundesbank se sent investie
d’une mission : elle oscille en permanence entre rappel à l’ordre de ses
voisins, et déclaration d’une politique anti inflationniste encore plus sévère
que la politique Américaine dans ce domaine. En 1983, les Français se
laissent convaincre, et passent, avec le tournant de « la rigueur », à une
politique d’inspiration monétariste.
Dans le même temps, la France commence à demander que l’on
amorce le processus de marche vers une Banque Centrale Européenne.
De 1974 à 1995, les dettes publiques en Europe sont passées de
20% à 60% du PIB. En attendant de savoir comment « se passer de cet
endettement », la politique monétaire a tout intérêt à gérer l’écart entre
taux d’intérêt et taux de croissance, afin de lisser, presque de masquer, la
marche à l’endettement. Pour combien de temps ?
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 888
La Banque Centrale, si elle veut éviter de perdre toute crédibilité,
doit alors sortir de la logique discrétionnaire qui était celle d’une époque
« plus feutrée », fixer des règles pour sortir de l’incohérence temporelle,
et les appliquer de façon relativement transparente. Dans le cas contraire,
c’est le recours régulier à « l’inflation surprise », qui prévaut. Enfin, la
condition sine qua non pour que la Banque Centrale soit laissée libre de se
comporter de cette manière nouvelle, c’est de lui garantir son
« indépendance ».
Un contexte social surprenant : la nouvelle attitude des agents visà-vis des gains monétaires :
Ceux-ci ont bien compris que nous étions désormais entrés dans une
époque, non seulement de monétarisation de l’économie, mais aussi de
monétarisation de la société. Ils ne se contentent pas de subir les
fluctuations des monnaies, mais les anticipent souvent.
L’Europe de l’Est : la finance sans la monnaie, suite :
A l’Est, la réforme bancaire a lieu à partir de 1987. Les banques de
l’Est s’ouvrent aux capitaux Occidentaux, avec de nouvelles règles, certes
plus « transparentes » qu’autrefois.
Inflation, balances des paiements déséquilibrées, globalisation
financière, gestion du « terme » focal de l’économie :
La globalisation aide à régler le problème des balances de paiements
déséquilibrées, par des transferts de capitaux qui circulent librement. Mais
le risque systémique qui pèse sur l’économie mondiale augmente. C’est
une joyeuse anarchie sur les marchés financiers mondiaux : on recherche
le meilleur rendement en passant d’un titre à l’autre, d’une monnaie à la
suivante, d’un procédé de couverture à un autre.
Le triomphe absolu de la spéculation :
Elle s’est développée à grande échelle dès les années soixante, du
fait des errements du dollar. On spéculait à l’époque sur la fin du système
monétaire à taux de changes fixes. A partir du moment où les taux de
change flexibles se sont imposés, on a reconnu un « rôle institutionnel »
aux spéculateurs, ce qui n’avait jamais été le cas dans l’histoire :
notamment1591 pour le calcul des taux, et la formation des anticipations.
Mais désormais, la spéculation tend à avaler le système : de 1986 à 1992,
1591
Toutefois.
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 889
les mouvements de change sont multipliés par trois, et finissent pas
représenter quarante fois la valeur du commerce international. Il est vrai
que les marchés financiers internationaux obligent aussi les Etats-nations
à se réformer, plus ou moins vite.
L’apparition de l’euro suffit à faire baisser les taux d’intérêt.
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 890
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 891
1992-2005.
La
construction
du
système
monétaire Européen, comme possible solution à
la crise du système monétaire international ?
Du Traité de Maastricht jusqu’à six ans après le
lancement de l’euro :
I.
L’émergence et les premiers problèmes de l’Union
Monétaire Européenne :
Lutter contre les nouveaux déséquilibres financiers tels les
endettements nationaux, ou les déséquilibres des taux de change,
supposait d’essayer de se coordonner, et pour être plus efficace encore
face à la montée de la concurrence monétaire, de s’unifier si possible, au
niveau Européen, et dans le domaine monétaire. Les pays prennent alors
l’exemple sur l’Allemagne et son très fort attachement à la monnaie
comme élément du lien social. Les pays d’Europe se sont fixés 60% du
PIB comme limite supérieure de taux d’endettement national à ne pas
dépasser. Ce qui implique aussi un déficit public contenu à moins de 3%
du PIB. Il n’en reste pas moins que la dette, dans beaucoup de pays, est
précisément passée de 15% du PIB, en 1974, à 60% vers 1990, avant de
se stabiliser. L’Europe a connu quelques années difficiles, où les agents
faisaient semblant d’ignorer l’importance de ces critères, au nom
notamment de leurs retraites, et où les autorités essayaient de se faire
craindre, en continuant de faire de l’inflation surprise quoiqu’elles en
disent. Il a été difficile d’inciter chacun à moins spéculer sur les limites du
système.
Les Européens ont aussi adopté la théorie des zones cible. Pour
éviter d’avoir trop à subir les fluctuations cycliques amplifiées par les
actions des spéculateurs sur les marchés financiers, on essaie de
converger vers une valeur ciblée de la monnaie, considérée comme
optimale, à la fois en soi (valeur « objective » de la monnaie), et pour
utiliser les cycles en les lissant partiellement, pour évoluer, plutôt que de
les subir si leurs fluctuations sont trop importantes et défavorables aux
monnaies européennes et ceci sans raisons légitimes. Le taux de change
dit « cible », c’est-à-dire de référence, est calculé corrigé des fluctuations
cycliques. Il est à moyen terme, pour se rapprocher d’un chemin
d’évolution plus raisonnable. Il est sensé assurer à la fois l’équilibre
interne (par rapport à l’emploi) et externe (par rapport à l’équilibre
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 892
souhaité de la balance des paiements) de la monnaie et de l’économie 1592
1593
. Les autorités essaient, en permanence, d’ajuster le taux constaté à
ce taux souhaité. Le taux de change d’équilibre souhaité dépend à la fois
des prix relatifs, de la balance courante cumulée, de la part de
compétitivité hors prix. Ce modèle a permis de lutter contre les crises de
change à répétition, qui n’avaient plus rien à voir ni avec l’économie
réelle, ni avec la volonté des décideurs.
En se calquant sur le moteur allemand et ses cycles industriels, les
pays européens ont aussi importé la crédibilité de la Bundesbank. Et ils
ont forcé leurs spéculateurs nationaux à opérer des modifications
spéculatives. Plus de crédibilité il y a pour les Banques Centrales, plus
efficace devient aussi leur lutte contre l’inflation. Mais c’est seulement à
partir des années 1990 que cet ajustement vis-à-vis de l’Allemagne a pu
s’opérer ex ante, et non seulement ex post… ce qui a retardé d’autant
l’efficacité de la lutte réelle contre l’inflation ! Depuis, on n’a pas encore
réussi à trouver, macro économiquement parlant, ce que l’on pourrait
qualifier de nouvel équilibre. Car les élargissements, la réunification
allemande entre autres, sont coûteux. Les inégalités ont de plus
augmenté. Mais le risque systémique a été, quant à lui, massivement
réduit, ce qui montre que l’économie Européenne s’apprête à converger
quand même vers un nouvel équilibre macro économique.
Si la BCE veut conquérir de grandes crédibilité et compétitivité à
long terme, garantes du succès de l’euro, il faut qu’elle se forge un
modèle de description réaliste des cycles, de l’économie réelle, des
agrégats monétaires pertinents, pour prévoir et donc assurer l’évolution et
les fluctuations de l’économie réelle. La complexification de ce tableau
comprend une augmentation du nombre des investissements directs, ainsi
que de la proportion de particuliers qui participent à des investissements,
et enfin d’importantes recompositions de portefeuilles. Pour le moment,
l’euro est utilisé par les investisseurs, bien plus pour couvrir des
obligations que pour couvrir des actions. Le système n’est pas encore bien
armé pour lutter jusqu’au bout contre les excès de la défiscalisation de la
part des agents, qui menacent le système jusque dans ses fondements.
Confondant parfois l’offre et la demande dans l’appréciation des produits
proposés sur le marché, on peut à tout moment augmenter le risque
systémique que l’on voudrait l’endiguer. Dans cette accélération
permanente, on a tendance à confondre encaisses de transaction et
encaisses de spéculation, ce qui montre la réalité d’un système en
surchauffe.
D’où une conception bien nouvelle de la sphère réelle et de la sphère monétaire en
regard de celle datant de l’époque de WICKSELL, qui concernait plutôt les innovateurs,
spéculateurs, entrepreneurs. La nouvelle conception concerne tout le monde: le « réel »
c’est l’économie domestique, « assurée socialement », le monétaire concernerait
l’extérieur, socialement moins assuré. Ce nouveau modèle autorise à lutter contre
l’incohérence temporelle, que l’ancien modèle au contraire laissait passer. Il respecte
cependant, comme tout modèle, des conventions qui restent discutables car attachées à
une période donnée.
1593
Lisser les cycles des affaires lors d’une époque de transition est assurément
important.
1592
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 893
Le succès du monétarisme est dû d’abord à la volonté de museler
l’inflation. L’inflation réelle, la déflation du revenu, l’excès des
endettements nationaux : ces trois phénomènes sont liés, et ne pas
pouvoir les combattre revient à abdiquer devant la recherche d’un
équilibre macro économique adapté à notre époque. Transparence,
responsabilité, orientation à moyen terme, respect du statut
d’indépendance, construction de la cohérence de la doctrine et lutte contre
l’incohérence temporelle sont parmi les principaux principes fondant le
comportement de la BCE. Il faut y ajouter la prévision active des futurs
élargissements, dans le cadre d’un périmètre d’action non figé. Au total,
bien plus que la seule « lutte contre l’inflation » !
Au début, ce monétarisme n’a pas été très bien accepté, car il n’a
pas entraîné une augmentation immédiate, ni automatique, de la
production. Mais la réussite dans la lutte contre l’inflation, laquelle doit
permettre de mieux « lire » l’économie, est indéniable. De plus, les cycles
ont été effectivement, en partie, amortis. Les excès de fluctuations se
nourrissaient bien aussi de l’excès d’inflation. La nouvelle politique peut
donner de nouveaux moyens, pour atteindre un objectif de
développement durable. Néanmoins, certains pays de l’Union, dont les
cycles ne sont pas exactement en phase avec ceux du continent (Suède),
auxquels se rajoute l’Angleterre qui a aussi un historique d’existence de
marchés financiers l’habituant à plus d’indépendance vis-à-vis de l’Europe,
ou le Danemark, dont les raisons combinent la motivation britannique et
la motivation suédoise, sont restés en dehors de l’euro. Le succès, large
(onze pays puis douze pays sur quinze) mais néanmoins partiel, de l’euro
à son début, a créé en Europe un grand sentiment de frustration, difficile
à gérer pour la BCE.
A l’Est, Pologne et Hongrie ont rapidement adopté la doctrine
monétariste pour anesthésier l’endettement interne, tout en continuant à
faire des dévaluations compétitives d’un point de vue commercial externe.
C’est pourquoi on attend un souffle commun Est + Ouest dans l’avenir. La
Russie en serait encore très loin : 50% de ses échanges, en 1989, sont
encore financés en nature !
A Maastricht, fin 1991, les Européens ont décidé d’avancer en
quelques années vers l’Union monétaire. Et les Britanniques ont alors
demandé le remboursement de l’argent qu’ils versaient habituellement à
l’Europe, signe de leur défiance envers la supranationalité monétaire. Il
faut dire que cette nouvelle étape de la construction Européenne repousse
d’autant le moment où un débat public pourra remettre en cause
ouvertement le caractère clairement libéral de la construction Européenne
depuis son commencement. Et les Britanniques sont maîtres, pour jouer
de ces ambiguïtés apparemment à leur profit. La crise spéculative contre
les monnaies européennes, et notamment la £ et la lire, ne s’est alors pas
faite attendre. Les autorités monétaires décidèrent en réponse d’élargir les
marges de fluctuation autorisées des monnaies, afin que les spéculateurs
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 894
nationaux réfléchissent bien avant de courir le risque de mettre le
système en péril. On décide que ces autorités doivent plus montrer leur
vision à long terme, plutôt que de se contenter de réprimer ceux qui ne la
partageraient pas. Depuis 1992, la plupart des crises financières du SME
se sont éloignées de l’Europe, et ont touché au contraire le Mexique et
l’Argentine, la Russie et l’Asie… signe d’une capacité de protection interne
de la part du Système Européen de Banques Centrales ?
De 1994 à 1999, s’imposent le SEBC, et le Pacte de Stabilité
composé de cinq critères (objectifs d’endettement, de déficit, d’inflation,
de taux d’intérêt, de taux de change, maintenus en deçà d’une limite au
delà de laquelle les autorités monétaires subiraient une perte de contrôle
de ces valeurs). Les Banques Centrales ont l’obligation de devenir
indépendantes du pouvoir politique, afin de prévenir toute concurrence
inutile entre pays européens. La gestion des relations avec les pays inclus,
avec les « exclus », ainsi qu’avec les trois cas délicats cités, demeure un
problème très difficile des autorités monétaires Européennes actuellement,
même en prenant ces précautions.
La BCE n’a pas, comme la FED Américaine, dans ses statuts,
d’objectifs de croissance et d’emploi. Quant à fixer les taux d’intérêt
mondiaux, ne rêvons pas ! Elle a seulement comme objectif la lutte contre
l’inflation. Elle est donc dans « l’enfance ». Quand elle aura atteint le
deuxième objectif, elle sera « dans l’adolescence ». Le troisième ? Dans
« l’âge adulte » ! D’autre part, la BCE n’a pas encore précisé, fusse de
façon indicative, le type de système de valeurs rapportées à la gestion des
droits de propriété, qu’elle entend défendre. Placée entre les USA
débiteurs, et l’Asie créditrice, si elle « prend correctement les vents », elle
devrait néanmoins améliorer sa position, car elle semble plus en mesure
qu’aucune Banque Centrale de terrasser l’inflation. Remarquons que
l’Europe, contrairement à l’Amérique, dispose d’un Pacte de Stabilité. Elle
a contribué à diminuer les taux d’intérêt, a contribué par sa stabilité et sa
position d’alliée à refinancer la position Américaine si endettée (bien que
ce soient bien les Américains qui ont donné la première impulsion de ces
baisses de taux d’intérêt, peut-être pour aider la BCE dans sa naissance,
ou… pour lui donner du grain à moudre !) . Le surcroît de croissance de
l’économie mondiale pourrait être lié à cette chute des taux d’intérêt, si
bien que les pays finiront aussi par faire confiance à l’euro. Toute erreur
de la part de la FED, ou des responsables politiques Américains, peut
profiter à l’euro en terme de réputation. D’autant plus que l’euro est sujet
à des fluctuations moindres que le Dollar. Les orientations Européennes
semblent aujourd’hui plus prudentes, et avoir des effets plus stables.
L’euro doit prendre garde à ne pas se laisser endormir, et à répondre aux
attentes des marchés, pour refinancer les investissements qui en valent la
peine. Il ne doit se trouver durablement, ni surévalué, ni sous évalué. La
période de transition où l’euro se forme une opinion sur sa propre valeur
cible, et sur les excès et erreurs du Dollar, peut être mise à profit par les
fonctionnaires de la BCE pour accumuler de l’information sur l’économie
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 895
Européenne globalement, et sur les secteurs qui décrivent cette économie
en particulier.
Mais, si un budget Européen plus conséquent n’arrive pas au secours
de la politique monétaire Européenne, cette dernière, trop étriquée, se
déliterait, et l’euro finira par disparaître. L’Europe doit permettre à la fois
l’innovation financière, la lutte efficace contre les excès de concurrence
fiscale, le respect des traditions nationales en matière de gestion
monétaire dans leurs apports positifs, une définition d’un nouvel équilibre,
propre à l’euro, entre agrégats monétaires, épargne, relations de crédit.
Actuellement, l’Europe souffre d’une tension vive entre modèle monétaire
britannique et modèle monétaire allemand. On peut peut-être se calquer
souplement, pour gérer les choses et les améliorer, sur une alternance de
cycles de quatre ou cinq années chacune, où des périodes de calme plat
dans les évolutions, et de stabilisation, d’apprivoisement des
changements par l’opinion publique Européenne, alterneraient avec des
périodes de changements politiques, sociaux et monétaires conséquents
en Europe et particulièrement dans la zone euro. Un des grands chantiers
dans notre concurrence avec le Dollar, sera d’accueillir les pays émergents
efficacement et chaleureusement, dans un statut d’économie monétarisée
efficacement gérée, et de système sociaux avancés.
La BCE s’est plutôt repliée sur elle même à l’occasion des
nombreuses crises financières internationales qui ont suivi 1992. Encore
une fois, la période de transition où l’euro se pose en challenger du Dollar
mais n’a pas encore fait toutes ses preuves, est riche de dangers pour
l’euro, que les marchés mettent durement à l’épreuve.
Le changement de perspective du système monétaire
Européen, et l’Union Monétaire Européenne. Causes
et conséquences :
L’euro fera ses preuves en se donnant les moyens d’assister
efficacement les pays émergents dans leur transition vers une économie
monétaire et un système social avancés. Il ne faudrait pas que l’Europe
montre l’exemple d’attaques spéculatives contre ces pays. L’Europe peut
paraître
monétairement alliée de ces pays, tout comme les USA
conquérant leur indépendance il y a deux siècles, furent alliés
politiquement avec les pays du Tiers Monde. Juste retour des choses,
plausible et à exploiter avec doigté… ?
L’euro devra être le symbole d’un nouvel équilibre dans la vie de
l’agent, entre propriété privée, propriété sociale, propriété de soi, au
niveau micro économique. Au niveau macro économique, elle symbolisera
une nouvelle façon d’assurer les relations entre les doctrines sur la
sécurité, la définition même de l’intérêt, les valeurs affirmées par le
système mondial. Ainsi elle sera en mesure d’infléchir ce système
mondial, dans le sens des valeurs Européennes historiquement incarnées
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 896
notamment par l’euro. Cela participera à une nouvelle phase de l’existence
des Structures Sociales d’Accumulation décrites par GORDON.
La façon de se protéger des conséquences dévastatrices des cycles,
dans le contexte où l’euro est encore dominé par le Dollar, est peut-être
un préambule historique à un vaste débat, partagé par les Européens, sur
les valeurs de l’Europe. Les valeurs Européennes, les frontières de
l’Europe, l’euro et les politiques monétaire et budgétaire associée, forment
un triptyque incontournable de la vie démocratique Européenne jusqu’en
2020, et peut-être encore après sous de nouvelles formes. Le « non »
français au référendum de 2005 au TCE, est sans doute lié entre autre à
un sentiment de frustration, mis à part sur les frontières, également sur la
non participation du Royaume Uni à l’euro. En attendant, on peut quand
même faire avancer la politique prudentielle mondiale pour démontrer la
supériorité de la gestion de l’euro, ce qui voudrait dire la plus forte
compétitivité (fondée sur des critères objectifs et non pas basé(e)(s) sur
une manipulation des valeurs) de la gestion de la BCE face à celle de ses
concurrentes.
Une Banque Centrale crédible court beaucoup moins de risques de
subir des attaques spéculatives. L’euro sorti de la période de transition
actuelle (surtout si les Britanniques rentrent dans l’euro, ce qui n’est pas
donné mais néanmoins nécessaire ; et si une politique budgétaire
substantielle est accordée à l’Europe prise globalement), aurait à faire
face à une double mission :
- en interne, accompagner l’ouverture des marchés, non seulement
de biens, mais aussi de services, et ainsi permettre la pleine
réalisation du Grand Marché Européen ;
- en externe, diriger la lutte contre les excès actuels de la
défiscalisation, qui est aujourd’hui souvent recherchée, non
seulement par les agents privés, mais même aussi parfois par
certains Etats.
La BCE n’est pas encore très manifestement « comptable » de ses
actes. Sa conception de l’indépendance est incertaine, entre des versions
britannique (clairement), française (par défaut), allemande (aujourd’hui
durement malmenée par le manque d’équilibre entre un budget quasi
inexistant et une monnaie handicapée par un cours élevé auquel on ne
peut remédier sans risquer de faire s’effondrer tout l’édifice, compte tenu
du manque d’expérience de l’euro dans l’arène). Elle subit une très forte
pression de la part des médias, qu’elle ne peut encore complètement
assumer. Elle n’a pas encore les moyens d’exiger des taux davantage fixes
entre les grandes monnaies, ce qui protégerait le dollar contre ses propres
excès. Le dollar en attendant, en profite pour se cacher de façon un peu
attentiste derrière le yuan et les monnaies Asiatiques. Cela devrait obliger
l’euro à agir, quand il sera moins empêtré dans les crises ou dans les
élargissements. Ce qui est susceptible de renforcer l’euro et de l’inciter à
être plus hardi est sa connaissance de l’économie réelle. Depuis sa
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 897
création en 1997, la BCE a désormais quasiment l’expérience d’un cycle
complet des affaires1594.
Pendant ce temps, l’absence d’un corps de doctrine sur la gestion
des droits de propriété ne serait pas un grand handicap pratique (même si
il heurterait plutôt l’amour propre) dans la mesure où cela empêche les
banquiers centraux d’avoir à se battre avec des missions ambiguës, à la
frontière de la technicité et de la politique. Si bien que le débat sur les
valeurs Européennes, et sur le système de gestion des droits de propriété
en phase avec le siècle qui s’annonce, devrait heureusement se clarifier
au fil d’un débat, plus politique et moins technique, plus ouvert au grand
public, sur les négociations du budget Européen, et de la contribution de
ce budget à la défense bien comprise de la place de l’euro dans la tête et
dans l’esprit de tous les décideurs qui comptent monétairement de par le
monde. Alors la BCE accédera aussi sans doute à des missions élargies et
complémentaires : directement reliées avec le crédit à accorder à tel ou
tel secteur économique. Elle devrait se voir attribuer les problèmes de
coordination entre secteurs, la coordination entre nations relevant plutôt
des politiques. Quant à la fixation des taux de change, elle n’a toujours
pas été attribuée à la BCE, ce qui n’est pas complètement étonnant tant
que, sur les taux d’intérêt, elle continue de suivre fidèlement l’Amérique.
Pour l’énergie comme pour le reste, le Dollar continue d’être la principale
monnaie de facturation.
Avec la taille de la zone euro, se renforcera l’aspect le plus financier
(et moins politique) de l’euro : disposer et servir de support à des
marchés financiers profonds et liquides. Il sera difficile de beaucoup
réformer le SME avant que l’euro ne soit prêt, avant disons 2015 ou 2020.
En attendant, la BCE doit contrôler les variations de change avec le Dollar.
De trop fortes fluctuations seraient un moyen sauvage de spéculer sur le
système, et donc un moyen de retarder le moment d’une nécessaire prise
en main par l’euro et ses alliés.
L’émergence de ce système de gestion des droits de propriété, et de
rationalité administrative, propres à l’euro, permettra aussi à plus de
liberté, des producteurs, des consommateurs, des citoyens, de s’exprimer
en Europe. Il est temps d’exiger en échange la constitution de géants
industriels Européens, qui seront une incarnation vivante et libre d’une
politique macro économique Européenne, aussi appuyée, cette dernière,
sur un budget visant à pouvoir « aider tel ou tel acteur » à plus long
terme. Entre payeur en dernier ressort que serait le budget, et l’existence
de ces grands groupes, la BCE se verraient alors accorder un rôle
prudentiel de suivi de ces groupes, qui donnerait plus de lisibilité et de
reconnaissance à son action, et lui permettrait de mieux pouvoir lire les
futurs taux d’intérêt.
Nous précisons que ce paragraphe a été écrit en 2005. Les choses évolueront vite !
En 2020, le paysage sera bien différent !
1594
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 898
Les
changements du système monétaire mondial,
auxquels le système monétaire Européen doit
s’adapter :
Il faudra intégrer, dans de futurs agrégats monétaires, des échanges
électroniques de trésorerie, vu leur caractère incontournable dans le
nouveau contexte de l’économie, où les phénomènes de rattrapage jouent
à plein en s’appuyant sur ce genre de moyen d’adaptation. La BCE doit
aussi se forger un modèle des anticipations macro économiques des
acteurs, FMN ou Etats, notamment dans le contexte de la réévaluation
actuelle de certaines monnaies marchandises que sont les matières
premières en particulier énergétiques.
La BCE doit apprendre à lutter, à mi chemin entre la consolidation
des secteurs économiques ayant des aspirations légitimes à des formes de
crédit différenciées, et les droits du consommateur, contre un excès de
concurrence qui empêcherait, de fait, de « lire » l’économie. Il faut lutter
contre le crédit spéculatif, qui oblige à augmenter les taux d’intérêt, et de
ce fait ralentit la croissance. Il convient de distinguer politique proprement
macro économique, qui reste largement de ressort de la BCE pour autant
que celle-ci parvienne, après l’inflation, à dompter sa soeur jumelle la
spéculation, et la politique sociale qui relève elle encore pour assez
longtemps des Etats. Lorsque le budget Européen sera plus étoffé, on
verra en retour quels effets cela aura sur le comportement de la BCE.
Les normes LAMFALLUSSY ont permis d’introduire une certaine lutte
contre le risque systémique dans la gestion monétaire de l’Europe. La
période de transition actuelle est semée de pièges, aussi à cause de ce
risque. On a laissé dans le monde se développer une situation un peu
anarchique, où il est devenu difficile de distinguer la solvabilité des
emprunteurs de leur liquidité !
Le système se restructurera par effets de réseaux, le yuan et le
Dollar se soutenant mutuellement tout en se poussant. Peut-être l’euro
devrait songer à se rapprocher du yen. On peut peut-être prôner pour
dans dix ans, une certaine fixité du change entre l’euro et le Dollar,
chacune de ces monnaies étant libre de fixer, à tous points de vue, des
modalités de travail en commun avec d’autres monnaies… L’euro
augmente son crédit au fur et à mesure qu’il parvient à survivre avec les
espérances qui reposent sur lui. D’ailleurs, la zone euro bénéficie de prêts
très élastiques de la part de tous les marchés, pour le soutenir durant
cette période de transition… A suivre donc!
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 899
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 900
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 901
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 902
Introduction
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
573
Philippe Jourdon / 903
HISTOIRE ECONOMIQUE DE L’EUROPE :
I.1800-1873 :
591
I.1) DE 1800 A 1810 : PERIODE EXPANSIVE :
591
A) LES INVENTIONS ET LES REVOLUTIONS TECHNOLOGIQUES :
591
B) LES STRATEGIES NATIONALES. LA STRATEGIE ANGLAISE,
LIBRE-ECHANGISTE.
LA
STRATEGIE
FRANCAISE,
PROTECTIONNISTE. LUTTE POUR L’HEGEMONIE ECONOMIQUE
ENTRE ANGLETERRE ET FRANCE :
591
C) TENDANCES ECONOMIQUES A LONG TERME. TENDANCES
GENERALES EN TERMES DE PRIX ET DE SALAIRES. CONSTITUTION
DES CIRCUITS. RELATIONS ENTRE ECONOMIE ET DEMOGRAPHIE :
592
D) TENDANCES INSTITUTIONNELLES :
592
I.2) DE 1810 A 1850 : PERIODE DEPRESSIVE :
593
A) LES INVENTIONS ET REVOLUTIONS TECHNOLOGIQUES :
593
B) TENDANCES ECONOMIQUES A LONG TERME. TENDANCES
GENERALES EN TERMES DE PRIX ET DE SALAIRES. CONSTITUTION
DES CIRCUITS. RELATIONS ENTRE ECONOMIE ET DEMOGRAPHIE :
593
C) LES STRATEGIES NATIONALES. LA STRATEGIE ANGLAISE,
LIBRE-ECHANGISTE.
LA
STRATEGIE
FRANCAISE,
PROTECTIONNISTE. LUTTE POUR L’HEGEMONIE ECONOMIQUE
ENTRE ANGLETERRE ET FRANCE. LA STRATEGIE ALLEMANDE,
EMBRYONNAIRE ET REAGISSANT CONTRE LES TENTATIVES
D’HEGEMONIE. LES AUTRES PAYS, SUIVEURS :
595
D) LA RELATION ENTRE EUROPE DE L’OUEST ET EUROPE DE L’EST
ET
LES
CONFLITS
INTERNES.
LE
RÔLE
D’OPPOSITION/ATTRACTION
DES
ETATS-UNIS
ET
LE
CHANGEMENT
DE
DIMENSION.
LES
MOUVEMENTS
AUX
FRONTIERES DE L’EUROPE, ET DANS LE MONDE ELOIGNE :
597
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 904
E) LE ROLE DES CRISES :
600
STRUCTURES SOCIALES D’ACCUMULATION / 1810-1850 : PERIODE
DEPRESSIVE :
602
- LE LIBRE-ECHANGE COMME DEBOUCHE.
602
- L’AFFIRMATION DE LA PROPRIETE PRIVEE.
602
- DES REFORMES SOCIALES POUR RENDRE SUPPORTABLE
L’EXPLOITATION DU SURPLUS ECONOMIQUE PAR RAPPORT A LA
PROPRIETE PRIVEE.
602
- DES CONSIDERATIONS D’ORGANISATION DOUANIERE.
602
- LA REVOLUTION INDUSTRIELLE DE LA VAPEUR.
602
I.3) 1850-1873 : PERIODE EXPANSIVE :
603
A) LES INVENTIONS ET LES REVOLUTIONS TECHNOLOGIQUES :
603
B) TENDANCES ECONOMIQUES A LONG TERME. TENDANCES
GENERALES EN TERMES DE PRIX ET DE SALAIRES. CONSTITUTION
DES CIRCUITS. RELATIONS ENTRE ECONOMIE ET DEMOGRAPHIE :
604
C) LES STRATEGIES NATIONALES. LA STRATEGIE ANGLAISE,
LIBRE-ECHANGISTE.
LA
STRATEGIE
ALLEMANDE,
PROTECTIONNISTE. LA STRATEGIE FRANCAISE, INTERMEDIAIRE :
605
D) LA RELATION ENTRE EUROPE DE L’OUEST ET EUROPE DE L’EST
ET LES CONFLITS INTERNES. LE ROLE D’OPPOSITION /
ATTRACTION DES Etats-Unis ET LE CHANGEMENT DE DIMENSION.
LES MOUVEMENTS AUX FRONTIERES DE L’EUROPE ET DANS LE
MONDE ELOIGNE :
607
E) TENDANCES INSTITUTIONNELLES :
610
F) LE ROLE DES CRISES :
610
STRUCTURES SOCIALES D’ACCUMULATION / 1850-1873 : PERIODE
EXPANSIVE :
611
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 905
- CONTRADICTIONS : 1) ACCUMULATION DE MOTIFS DE
RANCŒUR : NATIONAUX : EN ALLEMAGNE LA PRUSSE QUI CHASSE
L’AUTRICHE DU ZOLLVEREIN ; INTERNATIONAUX : LA IERE
INTERNATIONALE QUI PROPOSE UN MODELE ALTERNATIF DE
GOUVERNANCE ; SECTORIELS : L’ACCES A LA PROPRIETE PRIVEE
DES SERFS EN RUSSIE EST TRES RELATIF : LE MIR EST UN
SYSTEME
COMMUNISTE
APPLIQUE
A
L’AGRICULTURE.
2)
INTERPOLATION ENTRE MODELES ET ENTREMELAGE DEFENSE DE
LA PROPRIETE PRIVEE / CONFLITS : A L’OUEST LA DEMOGRAPHIE
REND DES COMPTES A L’ECONOMIE ; A L’EST L’ECONOMIE REND
DES COMPTES A LA DEMOGRAPHIE. 3) FUITE EN AVANT :
COLONISATION DE LA PART DES DEFENSEURS DU LIBREECHANGE, EN CONTRADICTION AVEC LA PROPRIETE PRIVEE DES
PAYS
CONQUIS ;
JEU
DES
ALLIANCES
ECONOMICODIPLOMATIQUES DE LA PRUSSE, QUI CONSTITUE UNE MENACE
CUMULATIVE DE GUERRE POUR L’EUROPE.
611
- DIPLOMATIE ECONOMIQUE : LA CLAUSE DE LA NATION LA PLUS
FAVORISEE A L’INTERIEUR ; LA LIVRE DEVISE CLEF A
L’EXTERIEUR : UN DEPASSEMENT DES TENSIONS DUES AU
DEVELOPPEMENT.
611
- EXPANSION LIBERALE ET DEVELOPPEMENT DE CIRCUITS
MONETAIRES : INDUSTRIALISATION, DEVELOPPEMENT DE LA
CONSOMMATION.
612
- REVOLUTION DE L’INFORMATION.
612
II. 1873-1945 :
61
3
II. 1) 1873-1896 – PHASE DEPRESSIVE :
613
A) LES INVENTIONS ET LES REVOLUTIONS TECHNOLOGIQUES :
613
B) LES TENDANCES GENERALES EN TERMES DE PRIX ET SALAIRES.
LA CONSTITUTION DES CIRCUITS. LA RELATION ENTRE
DEMOGRAPHIE
ET
ECONOMIE :
614
C) LES STRATEGIES NATIONALES. LA STRATEGIE ANGLAISE,
LIBRE-ECHANGISTE,
LA
STRATEGIE
ALLEMANDE,
PROTECTIONNISTE. LA STRATEGIE FRANCAISE, INTERMEDIAIRE :
615
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 906
D) LA RELATION ENTRE EUROPE DE L’OUEST ET EUROPE DE L’EST
ET LES CONFLITS INTERNES. LE ROLE D’OPPOSITION /
ATTRACTION
DES
ETATS-UNIS
ET
LE
CHANGEMENT
DE
DIMENSION. LES MOUVEMENTS AUX FRONTIERES DE L’EUROPE ET
DANS LE MONDE ELOIGNE :
617
E) TENDANCES INSTITUTIONNELLES :
619
F) LE ROLE DES CRISES :
619
STRUCTURES SOCIALES D’ACCUMULATION / 1873-1896 : PERIODE
DEPRESSIVE :
620
- SPOLIATION DES PAYS DES COLONIES OU LA PROPRIETE PRIVEE
EST NIEE. FUITE EN AVANT POLITIQUE DES PAYS DEFENSEURS DU
LIBRE-ECHANGE QUI IMPOSENT CETTE FORME DE COMMERCE,
SANS GARANTIE POUR LES PAYS DOMINES EN EUROPE, QUI
RECOURENT ALORS A DES FORMES DE DUMPING MALADROITES,
POUR
SE
DEFENDRE.
LE
LIBRE-ECHANGE
RESTE
ECONOMIQUEMENT RENTABLE.
620
- OPPOSITION ENTRE LE PROTECTIONNISME POLITIQUE DE
L’ALLEMAGNE, ET LA MONTEE MALGRE TOUT DU LIBRE-ECHANGE
EN VOLUME. OPPOSITION DES MOUVEMENTS SOCIAUX RADICAUX.
621
- CONTREPARTIE MONETAIRE DE CE DESEQUILIBRE : LA MONTEE
DES
ENDETTEMENTS
PUBLICS
EN
EUROPE
DE
L’OUEST
NOTAMMENT, PAR SOCIALISATION DES DETTES DU PRIVE
(CHEMINS DE FER).
621
- CONSTITUTION DE CIRCUITS, MONDIAUX (ANGLETERRE), PANEUROPEENS (ALLEMAGNE), NATIONAUX (FRANCE), DANS LE
CONTEXTE DE CONFLITS AU SUJET DE LA PROPRIETE PRIVEE, CE
QUI MONTRE LE DEBUT DE LA PRISE DE RECUL DE L’ECONOMIE
MONETAIRE PAR RAPPORT A L’ECONOMIE REELLE.
621
- REVOLUTION INDUSTRIELLE DE L’ELECTRICITE, DE L’ACIER ET
DES TRANSPORTS.
621
II.) 1896-1914 – PERIODE EXPANSIVE :
623
A) LES INVENTIONS ET LES INNOVATIONS TECHNOLOGIQUES :
623
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 907
B) LES TENDANCES GENERALES EN TERMES DE PRIX ET DE
SALAIRES. LA CONSTITUTION DES CIRCUITS. LA RELATION ENTRE
DEMOGRAPHIE ET ECONOMIE :
623
C) LES STRATEGIES NATIONALES. LA STRATEGIE ANGLAISE,
MONDIALE PLUTOT QU’EUROPEENNE. LA STRATEGIE ALLEMANDE,
PAN-EUROPEENNE. LA STRATEGIE FRANCAISE, AUTOCENTREE :
624
D) LA RELATION ENTRE EUROPE DE L’OUEST ET EUROPE DE L’EST
ET LES CONFLITS INTERNES. LE ROLE D’OPPOSITION /
ATTRACTION
DES
ETATS-UNIS
ET
LE
CHANGEMENT
DE
DIMENSION. LES MOUVEMENTS AUX FRONTIERES DE L’EUROPE ET
DANS LE MONDE ELOIGNE :
627
E) TENDANCES INSTITUTIONNELLES :
629
F) LE ROLE DES CRISES :
630
STRUCTURES SOCIALES D’ACCUMULATION / 1896-1914 : PERIODE
EXPANSIVE :
630
- TOURNANT POUR L’EUROPE ET SON ECONOMIE.
630
CONTRADICTIONS
ENTRE
EXPANSION,
CONFLITS,
ET
PROBLEMES D’ORGANISATION, LES PAYS NE PEUVENT PLUS SE
SUFFIRE A EUX-MEMES MAIS NE PEUVENT PAS ENCORE
S’ENTENDRE. PROBLEME D’EDUCATION : LES MENTALITES SONT
EN RETARD SUR LE PROGRES ECONOMIQUE.
630
- TRIOMPHE DE L’ECONOMIE ALLEMANDE, SON ORGANISATION
PROTECTIONNISTE, SES CARTELS.
630
- CONTRADICTIONS ENTRE MONDIALISATION ET EUROPE ? PAR
EXEMPLE DANS LES BALKANS. INTERVENTION DE L’ALLEMAGNE
POUR FREINER LA COLONISATION DE SES VOISINS (MAROC).
L’EUROPE S’EST TOURNEE VERS LE MONDE DEPUIS UN SIECLE, LE
MONDE S’APPRETE A SE TOURNER VERS L’EUROPE : EXPLOSION
DE LA RUSSIE (REVOLUTION 1905), IMPLOSION DES ETATS-UNIS
(CRISE MONETAIRE 1907).
631
- ORGANISATION NON COOPERATIVE : DUMPING ALLEMAND,
REPLI
DES
AUTRES
(ANGLETERRE
TOUCHEE
PAR
LE
PROTECTIONNISME),
PREPARATION
DE
LA
GUERRE.
CONCURRENCE ANGLO-ALLEMANDE EN EMPIRE OTTOMAN.
63
1
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 908
- REVOLUTION
L’AUTOMOBILE.
INDUSTRIELLE
DE
L’ELECTRICITE
ET
DE
631
II.3) 1914-1945 – PERIODE DEPRESSIVE :
633
A) LES INVENTIONS ET LES INNOVATIONS TECHNOLOGIQUES :
633
B) LES TENDANCES GENERALES EN TERMES DE PRIX ET DE
SALAIRES. LA CONSTITUTION DES CIRCUITS. LA RELATION ENTRE
DEMOGRAPHIE ET ECONOMIE :
633
C) LES STRATEGIE NATIONALES. LA STRATEGIE ANGLAISE,
MESSIANIQUE, A LA FOIS MONDIALE ET EUROPEENNE, LA
STRATEGIE
ALLEMANDE
ET
LA
STRATEGIE
ITALIENNE,
DIRIGISTES, EUROPEENNES, AUTO-CENTREES, LA SITUATION
FRANCAISE, MAINTENANT UNE CERTAINE STABILITE :
635
D) LA RELATION ENTRE EUROPE DE L’OUEST ET EUROPE DE L’EST
ET
LES
CONFLITS
INTERNES.
LE
ROLE
D’OPPOSITION/ATTRACTION DES Etats-Unis ET LE CHANGEMENT
DE DIMENSION. LES MOUVEMENTS AUX FRONTIERES DE L’EUROPE
ET DANS LE MONDE ELOIGNE :
638
E) TENDANCES INSTITUTIONNELLES :
640
F) LE ROLE DES CRISES :
646
STRUCTURES SOCIALES D’ACCUMULATION / 1914-1945 : PERIODE
DEPRESSIVE :
648
- GUERRES MONETAIRES.
648
- AUTO-EXCLUSION DE L’EUROPE D’UN DE SES PAYS, LA RUSSIE
ET REGRESSION DANS LA PERIODE D’ « AVANT LA PROPRIETE
PRIVEE ». DIVISION QUI COUPE L’EUROPE EN DEUX.
648
- DIRIGISME ECONOMIQUE ET ECONOMIE TOURNEE VERS LA
GUERRE, CARTELS ET ECONOMIE NON COOPERATIVE.
648
- ACCELERATION DU PROGRES TECHNIQUE.
648
- CREATION D’UNE INSTITUTION MONDIALE LA S.D.N. QUI COUPE
L’HERBE
SOUS
LE
PIED
DES
EUROPEENS.
VIRAGE
DE
L’ANGLETERRE VERS LE PROTECTIONNISME.
648
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 909
III. 1945-2007 :
648
III. 1) 1945-1973 : PERIODE EXPANSIVE :
649
A) LES INVENTIONS ET LES REVOLUTIONS TECHNOLOGIQUES :
649
B) LES TENDANCES GENERALES EN TERMES DE PRIX ET SALAIRES.
LA CONSTITUTION DES CIRCUITS. LA RELATION ENTRE
DEMOGRAPHIE ET ECONOMIE :
649
C) LES STRATEGIES NATIONALES. LE MODELE ALLEMAND. LE
« OUI MAIS » DE L’ANGLETERRE A L’EUROPE. LA SITUATION DE
LA FRANCE :
651
D)
LE
PARAPLUIE
AMERICAIN.
LES
MOUVEMENTS
AUX
FRONTIERES
DE
L’EUROPE
(REGRESSION
RUSSE).
LES
MOUVEMENTS DANS LE MONDE ELOIGNE (DONT LA TURQUIE) :
653
E) TENDANCES INSTITUTIONNELLES :
657
F) LE ROLE DES CRISES ET DES RECESSIONS :
662
G) LE ROLE DE LA CROISSANCE :
663
H)
LES
POLITIQUES
EUROPEENNES
REGIONALES DEPUIS 1957 :
SECTORIELLES
ET
663
I) LES
666
DIFFICULTES
DE
LA
CONSTRUCTION
EUROPEENNE :
STRUCTURES SOCIALES D’ACCUMULATION / 1945-1973 : PERIODE
EXPANSIVE :
668
- KEYNESIANISME, GESTION HARMONIEUSE DE L’OUVERTURE
PROGRESSIVE DES ECONOMIES AVEC UN ROLE ECONOMIQUE
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 910
POUR
L’ETAT.
FIN
DU
CONFLIT
OUVERT
« LIBREECHANGE/PROTECTIONNISME », QUI ASSURE UNE STABILITE
SOCIALE. RETRAITES PAR REPARTITION, SECURITE SOCIALE.
668
- CONSTRUCTION DU MARCHE COMMUN : HARMONISATION ENTRE
EXPANSION DE LA PRODUCTION ET EXPANSION DES ECHANGES
AVEC DES CONSEQUENCES MONETAIRES VERTUEUSES.
668
- FORDISME, REGULATION DE L’EXPANSION DE L’ERE DE LA
CONSOMMATION. ECONOMIE SOCIALE DE MARCHE.
668
- PAX AMERICANA ET ETALON-DOLLAR, ETALON-« GRAND
MARCHE » (AVEC LES EFFETS D’ECHELLE, DE PRODUCTIVITE,
D’INFORMATION, Y AFFERANT).
668
A L’EST, ALLIANCE DE L’EXPANSION DE LA PROPRIETE PRIVEE
DANS LE SECTEUR DE L’AGRICULTURE AVEC LA GARANTIE DE
L’EMPLOI DANS LE SECTEUR DE L’INDUSTRIE CE QUI PERMET DE
CREER DES CIRCUITS POSITIFS EN INTERNE. MAIS GESTION DE
L’INFORMATION ET DE L’EXTERNE NULLE AVEC ATROPHIE DU
COMMERCE
EXTERIEUR,
CE
QUI
ENTRAINE
UN
NONDEVELOPPEMENT DE L’INSTITUTION MONNAIE MESURANT LES
ECHANGES, ET UN DECLIN PROGRAMME, QUOIQUE REPORTE TANT
QUE LE SYSTEME A LA FORCE DE DONNER LE CHANGE EN INTERNE.
EN FAIT LE DESEQUILIBRE EST ICI INTERNE ET NON EXTERNE,
ALORS QUE LA CROISSANCE EST EXTENSIVE ET NON INTENSIVE.
LES SYSTEMES DE L’EST ET DE L’OUEST SE REGARDENT A TRAVERS
UN MIROIR MAIS PARTICIPENT DE LA MEME HISTOIRE.
669
III.2) 1973-1996 – PERIODE DEPRESSIVE :
671
A) LES INVENTIONS ET LES INNOVATIONS TECHNOLOGIQUES :
671
B) LES TENDANCES GENERALES EN TERMES DE PRIX ET DE
SALAIRES. LA CONSTITUTION DES CIRCUITS. LES RELATIONS
ENTRE DEMOGRAPHIE ET ECONOMIE :
671
C) LES STRATEGIES NATIONALES. LE MODELE ALLEMAND. LE
« OUI MAIS » DE L’ANGLETERRE A L’EUROPE. LA SITUATION DE
LA France :
672
D)
LE
PARAPLUIE
AMERICAIN.
LES
MOUVEMENTS
AUX
FRONTIERES
DE
L’EUROPE
(REGRESSION
RUSSE).
LES
MOUVEMENTS DANS LE MONDE ELOIGNE (DONT LA TURQUIE) :
673
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 911
E) TENDANCES INSTITUTIONNELLES :
675
F) LE ROLE DES CRISES ET DES RECESSIONS :
678
G) LE ROLE DE LA CROISSANCE :
680
H)
LES
POLITIQUES
REGIONALES :
EUROPEENNES,
SECTORIELLES
I) LES DIFFICULTES DE LA CONSTRUCTION EUROPEENNE :
ET
680
683
STRUCTURES SOCIALES D’ACCUMULATION / 1973-1996 :
PERIODE DEPRESSIVE :
684
- COORDINATION MONETAIRE.
684
- ALOURDISSEMENTS DES DETTES PUBLIQUES POUR SOUTENIR LA
CROISSANCE EN PERIODE DEPRESSIVE.
684
- RAPPROCHEMENT ENTRE EUROPE DE L’OUEST ET EUROPE DE
L’EST.
684
- REVOLUTION INDUSTRIELLE DE L’INFORMATIQUE.
684
III.3) 1996-2007 – PERIODE EXPANSIVE :
685
A) LES TENDANCES GENERALES EN TERMES DE PRIX ET DE
SALAIRES. LA CONSTITUTION DES CIRCUITS. LA RELATION ENTRE
DEMOGRAPHIE ET ECONOMIE :
685
B) TENDANCES INSTITUTIONNELLES :
685
C) LE ROLE DE LA CROISSANCE :
685
D) LES DIFFICULTES DE LA CONSTRUCTION EUROPEENNE :
686
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 912
HISTOIRE MONETAIRE DE L’EUROPE :
I.
PREMIERE PARTIE : 1800-1873 – UNE ECONOMIE NON
MONETARISEE :
693
A) AUX SOURCES DE LA MONETARISATION :
693
I. L’initiation de la monétarisation et ses trois piliers :
693
II. La monnaie primaire et la monnaie secondaire, lors des trois principaux
cycles marquant la période 1800-2003 :
693
B) LES FORMES DE LA MONETARISATION :
694
I. Développement de l’épargne (aspect microéconomique) :
694
II. Développement du crédit (aspect mésoéconomique) :
695
III. Développement de la monnaie (aspect macroéconomique) :
699
IV. Relations entre épargne, crédit, et monnaie, entre microéconomie,
mésoéconomie et macroéconomie :
701
C) PRINCIPALES CONQUETES JURIDIQUES INSTITUTIONNELLES
DE LA MONNAIE. L’EVOLUTION DE LA MONNAIE SECONDAIRE
« RESERVE DE VALEUR » :
702
I. L’aspect d’infrastructure de la monnaie « réserve de valeur » ou l’aspect
essentialiste matériel de cette monnaie :
702
II. L’aspect de superstructure des banques centrales, responsables de
gérer l’aléa moral et la sélection adverse par rapport aux monnaies : 706
D) LA FLUCTUATION DES COURS DE LA MONNAIE, DU TAUX
D’INTERET, ET L’EVOLUTION DE LA MASSE MONETAIRE :
711
I. Franc / Livre Sterling :
711
II. Franc / Deutsche Mark :
712
III. Taux d’intérêt :
712
IV. Masses monétaires :
714
E) LES RELATIONS MONETAIRES ENTRE PAYS D’EUROPE, EN
PARTICULIER ANGLETERRE, ALLEMAGNE, FRANCE :
714
F) LES RELATIONS MONETAIRES ENTRE EUROPE ET ETATS-UNIS
D’AMERIQUE :
717
G) LIENS ENTRE EVOLUTIONS CYCLIQUES – CRISE, CROISSANCE –
DE L’ECONOMIE REELLE ET EVOLUTIONS CYCLIQUES DES
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 913
DONNEES
MONETAIRES
–
MASSE
MONETAIRES, TAUX D’INTERET - :
TOTALE,
RESERVES
719
H) SITUATION MONETAIRE DE LA FIN DE LA PERIODE PAR
RAPPORT A LA SITUATION MONETAIRE DU DEBUT DE LA
PERIODE :
721
I) MEMORANDUM : LA SITUATION DE L’HOMO MONETARIUS DE
1800 A 1873 :
722
II. DEUXIEME PARTIE : 1873-1945. UNE ECONOMIE EN COURS DE
MONETARISATION. LES RESISTANCES A LA MONETARISATION :
725
A) LE TRIOMPHE DE L’ETALON-OR ET LE REGNE DE L’ETALON
STERLING JUSQU’AUX ANNEES 1920 :
725
I. Etalon / or : étalon Sterling :
725
II. La courroie de transmission de l’étalon Sterling à l’intérieur de
l’Europe :
726
III. Liens entre étalon Sterling, endettement et inflation :
727
B) MONNAIE ET GUERRE EN 1870, ET LES IMPLICATIONS
STRATEGIQUES DE CES EVENEMENTS JUSQU’EN 1914 :
730
I. Contexte théorique général :
730
II. Le cas de l’Allemagne :
731
III. La résistance infructueuse de la France :
733
C)
GUERRE
CIVILE,
GUERRE,
ET
MONETARISATION. CONTEXTE COMMUNISTE :
PROCESSUS
DE
735
D) LES SOUBRESAUTS INSTITUTIONNELLES MONETAIRES AUX
ETATS-UNIS :
735
E) L’IRRESISTIBLE ASCENSION MONETAIRE AMERICAINE :
735
F) LA FRANCE ET LA PROBLEMATIQUE DE LA STABILITE ET / OU
DE LA FORCE MONETAIRE DANS L’ENTRE-DEUX GUERRES :
737
G) GUERRES MONETAIRES ET GUERRE TOUT COURT :
738
H) L’EVOLUTION DES RELATIONS MONETAIRES ET GUERRIERES
INTERACTIVES DES PAYS EUROPEENS TOUT LE LONG DE LA
PERIODE : DE 1870 A 1920 :
741
I. Questions de système :
741
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 914
II. La signification de l’étalon or de 1873 à 1896 :
III. La signification de l’étalon or de 1896 à 1914 :
IV. La signification de l’étalon or de 1914 à 1920 :
742
743
745
I) L’EVOLUTION DES RELATIONS MONETAIRES ET GUERRIERES
INTERACTIVES DES PAYS EUROPEENS TOUT LE LONG DE LA
PERIODE : LE RETOUR DE L’OPTION GUERRIERE A PARTIR DE
1920, DU FAIT DU REJET DU SYSTEME :
748
I. Les années 1920 : passage de l’étalon or à l’étalon de change or et sa
signification, l’estocade portée au système monétaire Allemand :
748
A. La monnaie torturée :
748
B. L’étalon de change or :
750
C. L’irruption des nationalismes monétaires :
751
D. L’évolution des réparations dues par l’Allemagne. L’impossibilité de la
situation Allemande :
751
II. Les années 1930 : l’option de la guerre en l’absence de système
monétaire international accepté :
753
A. L’inflation réelle, accentuée par la dévalorisation monétaire :
753
B. Les guerres monétaires, préludes à la guerre tout court, commencent
par la formation des blocs monétaires :
754
C. Premier bloc monétaire : Grande-Bretagne et France dans un tandem
difficile, alliés aux Etats-Unis :
754
D. Second bloc monétaire, Allemagne et Autriche :
757
E. L’isolement Italien :
758
F. L’Europe du Centre confrontée au contrôle des devises, et sa relation au
bloc Austro-Allemand :
759
G. Le rôle de la crise de 1931 et le mécanisme des dévaluations,
notamment dans les relations entre blocs monétaires :
760
H. Le rôle de la spéculation, et les réponses qui y furent apportées : 763
III. Les années 1940 : la monnaie pendant la guerre :
765
A. La lutte entre dollar et livre sterling pour la prééminence mondiale :
765
J) SITUATION MONETAIRE DE LA FIN DE LA PERIODE PAR
RAPPORT A LA SITUATION MONETAIRE DU DEBUT DE LA
PERIODE :
766
K) MEMORANDUM SUR LA SITUATION DE L’HOMO MONETARIUS
SUR LA PERIODE 1873-1945 :
767
III. TROISIEME PARTIE. 1945-2007. UNE ECONOMIE EN COURS DE
MONETARISATION. MONETARISATION MOYENNEMENT AVANCEE
EN 1945, BIEN AVANCEE EN 2007 :
771
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 915
A) 1945-ANNEES 1960. LA MISE EN PLACE D’UN NOUVEAU
SYSTEME, AVANT LES DEFICITS AMERICAINS :
771
I. Jusqu’à 1953 et la fin de l’Aide Marshall :
771
A. Les projets d’Union monétaire aux lendemains de la guerre, menés par
les Américains puis repris timidement par les Européens, en collaboration
ou de façon autonome :
771
B. La gestion de l’acquis monétaire national dans les pays Européens de
l’Ouest, la sévère friction de la monnaie à l’Est, et autres mesures
conservatoires… à l’exception de la révolution monétaire Allemande de
1949 :
772
C. Le remplacement de la Livre Sterling par le dollar, comme devise clef.
La poursuite des dévaluations :
774
II. De la fin de l’Aide Marshall aux années soixante :
774
A. Poursuite des projets de coordinations monétaire et financière :
774
B. Le système monétaire en Europe de l’Est :
775
C. Le match latent dollar / D-mark. Les conséquences fiscales intra
Européennes:
776
D. L’âge des taux de change fixes. La lutte contre la spéculation monétaire
et financière :
777
E. Monnaie et politiques sociales : le cas de la Politique Agricole
Commune :
777
F. Le développement des euro dollars en Europe et le rôle de l’Europe
dans le circuit international des euro dollars :
779
G. La fin des colonies et l’aspect plus indirect, plus monétaire, des
politiques économiques :
780
B) ANNEES 1960. LA MISE EN PLACE D’UN NOUVEAU SYSTEME ET
LES DEBUTS RAPIDES DE SON TREMBLEMENT DU AUX DEFICITS
AMERICAINS :
781
A. Le recyclage des mesures de cohésion monétaire Européenne, avec une
plus grande intervention sur la conjoncture :
781
B. Politique monétaire et lutte contre l’inflation :
782
C. Le tremblement de terre, l’abandon du système monétaire international
de Bretton Woods en 1971 :
783
D. La sensibilisation nouvelle de l’Europe de l’Est à une économie
monétaire et financière :
786
C) 1970-1992. LA CONSTRUCTION DU SYSTEME MONETAIRE
EUROPEEN. DU PLAN WERNER AU TRAITE DE MAASTRICHT :
787
I. La réponse des Européens à la crise du système monétaire
international, 1970-1982 :
787
I.1. Mesures d’ajustement :
787
A. La création de ressources Européennes propres, à l’Ouest : un achat
pour un vendu :
787
B. La concertation économique comme réponse à la complexité
monétaire :
788
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 916
C. L’absence de mesures d’ajustement à l’Est : fuite devant la monnaie ;
dilemme du prisonnier inflation / monnaie / consommation, en Russie ;
contradictions entre manque de contrôle de la masse monétaire et facilité
du crédit dans les autres pays :
789
I.2. Mesures de construction :
790
A. Le plan Werner, la mise en place du Serpent Monétaire Européen : 790
B. Le Serpent Monétaire Européen de 1971 à 1979 :
791
C. Les armes de la politique de change (défensives) :
792
D. Le système monétaire Européen, l’E.C.U. : une gestion du change
désormais plus offensive, une politique monétaire moins strictement
défensive. La poursuite de l’intégration :
793
E. Idéologie, liquidité & inflation :
795
I.3. Europe / Etats-Unis : un bras de fer discret ; le rôle de paratonnerre
du D-mark :
797
A. Comment aborder la crise du dollar aux niveaux gouvernementaux ?
797
B. Au niveau mondial, la nouvelle donne : les taux de change flottants :
798
I.4. Nouvelles contraintes : la concurrence d’une monnaie / marchandise,
le pétrole :
798
I.5. Les nouvelles mesures et perspectives macro économiques à la fin de
la décennie :
799
A. L’état des lieux :
799
B. La problématique macro économique dans un cadre monétaire :
799
C. Croissance et monnaie, suite :
802
II. L’acharnement des Européens à sortir du dilemme monétaire : de 1982
à 1992 :
803
II.1. Un contexte technologique révolutionnaire :
803
A. Les innovations financières :
803
B. Les conséquences monétaires des innovations financières : la
substitution monnaie / titres :
804
C. D’une régulation nationale par l’inflation à un ajustement international
par les taux d’intérêt :
805
D. Les fusions acquisitions et la mutation de la gestion des droits de
propriété dans le monde : comparaison de la mondialisation actuelle avec
la première mondialisation de 1870-1914 :
807
E. La déréglementation bancaire :
807
F. Une déréglementation qui n’empêche pas les crises :
808
G. Que dire des taux d’intérêt :
809
II.2. Europe / Etats-Unis :
810
A. Une grosse tension dollar / monnaie Européennes, avec l’arbitrage du
yen : dérivatifs à la guerre monétaire :
810
B. Les Etats-Unis : pour ou contre la construction monétaire Européenne ?
810
C. Les relations monétaires Etats / Europe dans le contexte d’intégration
monétaire :
811
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 917
II.3. Les différentes influences nationales dans la conception d’une future
politique monétaire Européenne :
812
A. L’Allemagne, la lutte contre l’inflation :
812
B. La France, l’amorce d’une Banque Centrale Européenne :
812
C. L’Angleterre, l’acceptation de la vague d’innovations financières menant
à un continuum finance / monnaie :
813
D. L’Italie, et des marges plus importantes de fluctuations :
814
E. Une constante et une contrainte : l’augmentation des taux
d’endettement publics :
814
F. Une évolution sensible du concept de politique monétaire : le débat
nouveau sur les règles monétaires, la tentation résistible, issue du passé,
de politiques discrétionnaires :
815
II.4. Un contexte social surprenant : la nouvelle attitude des agents vis-àvis des gains monétaires :
816
II.5. L’Europe de l’Est : la finance sans la monnaie, suite :
816
II.6. Inflation, balances des paiements déséquilibrées, globalisation
financière, gestion du « terme » focal de l’économie :
817
II.7. Le triomphe absolu de la spéculation :
818
A. Le triomphe absolu de la spéculation :
818
B. Le marché des taux :
819
C. Plusieurs monnaies de référence, qu’est-ce que cela signifie pour
l’Europe : en interne ? En externe ?
819
D) 1992-2005. LA CONSTRUCTION DU SYSTEME MONETAIRE
EUROPEEN, COMME POSSIBLE SOLUTION A LA CRISE DU SYSTEME
MONETAIRE INTERNATIONAL ? DU TRAITE DE MAASTRICHT
JUSQU'A SIX ANS APRES LE LANCEMENT DE L’EURO :
820
I. L’émergence et les premiers problèmes de l’Union Monétaire
Européenne :
820
A. Le problème de la dette. La généralisation du système de l’homo
monetarius. Le problème des retraites. La non coopération entre agents
privés et autorités monétaires. L’Union Monétaire Européenne, ou une
riposte à la politique des changes flexibles ? Concurrence entre finance et
monnaie…
820
B. La théorie des zones cibles et le problème de la défense des marges de
fluctuation :
823
C. L’asymétrie et le rôle du pays leader ; l’augmentation de la crédibilité à
court terme des pays membres de la CEE :
827
D. Evolution des chocs sur la demande de monnaie, et redéfinition des
agrégats monétaires :
828
E. Les succès du monétarisme en Europe. Les valeurs du Système
Européen des banques Centrales. Du grand marché à la Banque Centrale
Européenne :
830
F. Déficits, taux d’intérêt, et croissance. L’euro, les cycles, et la
croissance. Croissance forte ou croissance faible ?
831
G. Les politiques monétaires à l’Est depuis 1989 : reprises en main,
dévaluations ; les réformes monétaires en Russie :
833
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 918
H. Le Traité de Maastricht en 1991, la crise monétaire de 1992 :
approfondissement des institutions, et assouplissement des conditions
d’intervention :
834
I. Le pacte de Stabilité. La gestion des exclus et des inclus de l’euro par la
Banque Centrale Européenne :
836
J. la décroissance des taux d’intérêt mondiaux depuis la création de
l’euro : portée, limites. L’enjeu des dépenses de recherche par rapport au
cours futur de l’euro ; vers une monétisation en euros de la dette des
pays en développement :
837
K. la zone euro face à des crises financières à répétition. La politique
monétaire de l’euro : doutes, conservatisme, voire inhibition. Les raisons
de la prudence, en interne et en externe :
843
II. Le changement de perspective du système monétaire Européen, et
l’Union Monétaire Européenne. Causes et conséquences :
843
A. Multiplication des décollages économiques nationaux. Apparition des
« économies en transition ». Démultiplication de la globalisation
financière :
843
B. Risques géopolitiques, et besoin d’une nouvelle façon d’accorder les
systèmes de gestion de la propriété : au niveau macro économique et
macro social par rapport au triolet intérêt(s), sécurité, valeurs ; au niveau
de l’individu par rapport à la propriété privée, la propriété sociale et la
propriété de soi :
844
C. La mobilité internationale du capital et la multiplication des transactions
de change. Et pourtant le système ne s’effondre pas : il est au contraire
en cours de restructuration. Ou l’analyse des relations système /
spéculation (sur des aspects particuliers du système). Du compromis entre
stabilité des taux de change, mobilité des capitaux, et indépendance des
politiques monétaires… à une politique monétaire visant plus d’intégration
afin de lutter contre les effets perturbateurs des cycles :
845
D. Politique de changes fixes ou politique de changes flexibles ? Comment
l’histoire avance. La volonté d’autorité de la BCE et le besoin de crédibilité
des Banques Centrales Nationales, puis de la Banque Centrale
Européenne :
846
E. La question des relations entre décisions des politiques et décisions des
fonctionnaires indépendants pour et par la Banque Centrale Européenne.
La création de la Banque Centrale Européenne :
847
F. Monnaie de réserve ? Monnaie de facturation ? La monnaie au secours
de la croissance : oui mais en dépit de quelles forces de rappel ? Va-t-on
vers un excès de concurrence ? Les Européens accepteront-ils les
contraintes transitoires de l’euro ? Les marchés de l’euro pour le moment
plus tournés vers les obligations que vers les actions ; le développement
des Investissements Directs à l’Etranger obligera-t-il la BCE à se tourner
vers les marchés d’actions ?
849
G. Les gains macro économiques de l’euro. La course entre l’élargissement
des frontières et l’influence de l’euro. Les conditions macro économiques
en terme de politique, de poursuite de la confiance des Européens dans
l’euro :
850
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 919
H. vers un modèle d’intégration progressive : financier : monétaire /
budgétaire et social… visant à transformer la quasi-monnaie et les
monnaie privées, en monnaies davantage reconnues et acceptées en
Europe :
851
III. Les changements du système monétaire mondial, auxquels le système
monétaire Européen doit s’adapter :
852
A. La poursuite de la dématérialisation de la monnaie, accompagnée du
développement de nouvelles monnaies matérielles. La monnaie
électronique et les autres nouvelles formes de monnaie :
852
B. Les nouvelles formes de la concurrence monnaies publiques (dont la
(les) monnaie(s) internationale(s)) / monnaies privées :
853
C. La montée de certains risques systémiques du fait de la globalisation.
Faut-il un prêteur en dernier ressort, et si ou, qui ?
855
D. Perspectives : les effets de réseau, pour un remaillage du système
monétaire mondial. L’alliance dollar / yuan, vs le difficile appui de l’euro
au yen :
856
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 920
RESUME DE L’HISTOIRE MONETAIRE DE L’EUROPE :
I.
PREMIERE PERIODE : 1800-1873. UNE ECONOMIE NON
MONETARISEE :
863
A) AUX SOURCES DE LA MONETARISATION :
863
B) LES FORMES DE LA MONETARISATION :
863
C) PRINCIPALES CONQUETES JURIDIQUES INSTITUTIONNELLES
DE LA MONNAIE. L’EVOLUTION DE LA MONNAIE SECONDAIRE
« RESERVE DE VALEUR » :
865
D) LA FLUCTUATION DES COURS DE LA MONNAIE, DU TAUX
D’INTERET, ET L’EVOLUTION DE LA MASSE MONETAIRE :
866
E) LES RELATIONS MONETAIRES ENTRE PAYS D’EUROPE, EN
PARTICULIER ANGLETERRE, ALLEMAGNE, FRANCE :
867
F) LES RELATIONS MONETAIRES ENTRE EUROPE ET ETATS-UNIS
D’AMERIQUE :
868
G) LIENS ENTRE EVOLUTIONS CYCLIQUES – CRISE, CROISSANCE –
DE L’ECONOMIE REELLE ET EVOLUTIONS CYCLIQUES DES
DONNEES
MONETAIRES
–
MASSE
TOTALE,
RESERVES
MONETAIRES, TAUX D’INTERET - :
869
H) SITUATION MONETAIRE DE LA FIN DE LA PERIODE PAR
RAPPORT A LA SITUATION MONETAIRE DU DEBUT DE LA
PERIODE :
869
II. DEUXIEME PERIODE : 1873-1945. UNE ECONOMIE EN COURS
DE MONETARISATION. LES RESISTANCES A LA MONETARISATION :
870
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 921
A) LE TRIOMPHE DE L’ETALON-OR ET LE REGNE DE L’ETALON
STERLING JUSQU’AUX ANNEES 1920 :
870
B) MONNAIE ET GUERRE EN 1870, ET LES IMPLICATIONS
STRATEGIQUES DE CES EVENEMENTS JUSQU’EN 1914 :
871
C) LES SOUBRESAUTS
ETATS-UNIS :
INSTITUTIONNELS
MONETAIRES
D) L’IRRESISTIBLE ASCENSION MONETAIRE AMERICAINE :
AUX
872
872
E) LA France ET LA PROBLEMATIQUE DE LA STABILITE ET / OU DE
LA FORCE MONETAIRE DANS L’ENTRE DEUX GUERRES :
872
F) GUERRES MONETAIRES ET GUERRE TOUT COURT :
873
G) L’EVOLUTION DES RELATIONS MONETAIRES ET GUERRIERES
INTERACTIVES DES PAYS EUROPEENS TOUT LE LONG DE LA
PERIODE : DE 1870 A 1920 :
873
H) L’EVOLUTION DES RELATIONS MONETAIRES ET GUERRIERES
INTERACTIVES DES PAYS EUROPEENS TOUT LE LONG DE LA
PERIODE : LE RETOUR DE L’OPTION GUERRIERE A PARTIR DE
1920, DU FAIT DU REJET DU SYSTEME :
874
I) MEMORANDUM SUR LA SITUATION DE L’HOMO MONETARIUS
SUR LA PERIODE 1873-1945 :
877
III. TROISIEME PERIODE. 1945-2007. UNE ECONOMIE EN COURS
DE
MONETARISATION.
MONETARISATION
MOYENNEMENT
AVANCEE EN 1945, BIEN AVANCEE EN 2007 :
879
A) 1945-ANNEES 1960. LA MISE EN PLACE D’UN NOUVEAU
SYSTEME, AVANT LES DEFICITS AMERICAINS :
879
I. Jusqu’à 1953 et la fin de l’Aide Marshall :
879
II. De la fin de l’Aide Marshall aux années soixante :
880
B) ANNEES 1960. LA MISE EN PLACE D’UN NOUVEAU SYSTEME ET
LES DEBUTS RAPIDES DE SON TREMBLEMENT DU AUX DEFICITS
AMERICAINS :
882
C) 1970-1992. LA CONSTRUCTION DU SYSTEME MONETAIRE
EUROPEEN. DU PLAN WERNER AU TRAITE DE MAASTRICHT :
884
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 922
I. La réponse des Européens à la crise du système monétaire
international :
884
A. Mesures d’ajustement :
884
B. Mesures de construction :
885
C. Europe / Etats-Unis : un bras de fer discret ; le rôle de paratonnerre du
D-mark :
886
D. Nouvelles contraintes : la concurrence d’une monnaie / marchandise, le
pétrole :
887
E. Les nouvelles mesures et perspectives macro économiques à la fin de la
décennie :
887
II. L’acharnement des Européens à sortir du dilemme monétaire : de 1982
à 1992 :
888
A. Un contexte technologique révolutionnaire :
888
B. Europe / Etats-Unis :
890
C. Les différentes influences nationales dans la conception d’une future
politique monétaire Européenne :
891
D. Un contexte social surprenant : la nouvelle attitude des agents vis-àvis des gains monétaires :
891
E. L’Europe de l’Est : la finance sans la monnaie, suite :
891
F. Inflation, balances des paiements déséquilibrées, globalisation
financière, gestion du « terme » focal de l’économie :
892
G. Le triomphe absolu de la spéculation :
892
D) 1992-2005. LA CONSTRUCTION DU SYSTEME MONETAIRE
EUROPEEN, COMME POSSIBLE SOLUTION A LA CRISE DU SYSTEME
MONETAIRE INTERNATIONAL ? DU TRAITE DE MAASTRICHT
JUSQU'A SIX ANS APRES LE LANCEMENT DE L’EURO :
892
I. L’émergence et les premiers problèmes de l’Union Monétaire
Européenne :
892
II. Le changement de perspective du système monétaire Européen, et
l’Union Monétaire Européenne. Causes et conséquences :
897
III. Les changements du système monétaire mondial, auxquels le système
monétaire Européen doit s’adapter :
899
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 923
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 924
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 925
La monnaie unique européenne.
européenne. Tome II
Philippe Jourdon / 926
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Philippe Jourdon / 928
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