La peopolisation et l`image médiatique de Régis Labeaume

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La peopolisation et l`image médiatique de Régis Labeaume
Séminaire sur la construction de l’image médiatique La peopolisation et l’image médiatique de Régis Labeaume Par Julie-­‐Ève Beaulieu, Patricia Faucher et Mario Racine Sous la direction de Guylaine Martel, Professeure titulaire Département d’information et de communication 1. Problématique Afin d’expliquer ce en quoi consiste le concept de l’image médiatique, nous allons reprendre les cinq notions qui sont récurrentes dans les articles de Goffman (1973), de Martel (2010) et de Thompson (1995), c’est-­‐à-­‐dire les notions de construction, de représentation, de performance, d’interaction et de négociation. Tel que le montre Goffman dans son ouvrage intitulé La mise en scène de la vie quotidienne, la vie sociale en des termes généraux peut se comparer à une « représentation théâtrale » (Goffman, 1973 : 9). Afin d’illustrer son point de vue, l’auteur explique que lorsqu’une « personne se présente aux autres, elle projette, en partie sciemment et en partie involontairement, une définition de la situation dont l’idée qu’elle se fait d’elle-­‐même constitue un élément important » (p. 229). L’auteur poursuit et souligne que cette même personne en présence d’autrui « oriente et gouverne l’impression qu’elle produit » (p. 9). En se servant de la métaphore de la représentation théâtrale, Goffman affirme que chaque individu de la société donne un spectacle, offre une représentation de lui-­‐même pour les autres et joue un rôle en simple présence d’autres individus (p. 25 et 238). La représentation théâtrale est utilisée pour illustrer la vie sociale en général, mais les notions de représentation, de construction et de performance contenues dans cette 1 métaphore peuvent également définir le concept d’image médiatique. Tout comme un acteur qui construit son propre personnage en vue de le présenter à un public, l’individu en interaction construit aussi une image qu’il désire projeter sur l’ensemble des personnes qu’il côtoie. Il se fait lui-­‐même une idée de ce qu’il considère comme étant bien et projette, consciemment ou non, cette image aux autres. Lorsque les autres lui renvoient une image de lui-­‐même qui n’est pas tout à fait la même que celle qu’il essaie de projeter, il s’assure, comme l’explique Goffman, de remédier à la situation en rectifiant la perception des autres. C’est ce qu’on appelle une performance : l’individu essaie toujours de produire et de conserver l’image qui, à ses yeux, reflète le mieux la personne qu’il pense qu’il est. Par exemple, lorsqu’un journaliste critique une personne publique, celle-­‐ci essaie de maintenir au mieux l’impression qu’elle fait au journaliste. Un autre élément important à considérer est le fait que les personnes qui sont en présence de l’émetteur se construisent elles aussi une image de celui-­‐ci parmi les éléments qu’elles reçoivent. L’image médiatique consiste donc en une co-­‐construction de sens, qui se négocie entre l’émetteur et ses récepteurs. Martel (2010) reprend la définition de Goffman pour définir l’image médiatique comme suit : « […] l’image correspond à une représentation, celle qu’on a de soi-­‐même et celle qu’on cherche à projeter sur les autres dès lors qu’on est en présence sociale. Elle est le résultat d’une performance, c’est-­‐à-­‐dire une construction plus ou moins consciente qui se révèle au cours de l’interaction entre soi-­‐même et autrui. » (p. 2-­‐3) Martel précise à ce sujet que l’image est non seulement l’idée que le politicien se fait lui-­‐même de ce que doit être un bon politicien, mais aussi « la représentation qu’il pense que le public s’en fait » (Martel, 2010 : 3). C’est ainsi qu’entrent en ligne de compte les notions d’interaction et de négociation. La négociation a lieu au cours de l’interaction, car l’un essaie de représenter et de projeter quelque chose alors que l’autre peut percevoir différents éléments. À titre d’exemple, même si un maire projette 2 l’image qui, selon lui, est la meilleure pour définir ce que doit être un bon maire, il y aura toujours un journaliste ou un citoyen pour critiquer l’image que projette le maire en question. Fait intéressant, Goffman affirme que, lors d’une interaction, il se peut que des événements surviennent qui contredisent et qui mettent en doute ce qu’un acteur essaie de projeter en présence d’autrui (1973 : 20). Il déclare même que certaines personnes se sentent obligées « de saborder une interaction afin de préserver leur honneur et de sauver la face » (p. 232). L’élément intéressant ici est que, même si l’interaction représente un élément primordial de la construction de l’image, il reste qu’elle représente aussi un risque qui menace cette image. En effet, l’image qu’une personne possède d’une autre personne peut être modifiée, confirmée ou même réfutée lors de chaque interaction (Amossy, 1999 : 149). C’est de cette façon que l’image médiatique évolue constamment, car « chaque nouvelle interaction donne lieu à une renégociation de l’image médiatique » (Martel, 2010 : 4). Qu’il s’agisse d’une interaction en face à face entre des individus ou par l’intermédiaire d’un média, il existe dans tout processus de conversation une forme d’interaction entre deux parties (Thompson, 1995 : 82-­‐85). Même avec les médias de masse tels que la presse écrite, la radio et la télévision, il existe une certaine forme d’interaction entre le public et les personnalités publiques. Tout comme l’individu qui s’adapte aux réponses et oriente l’impression qu’il produit sur ses interlocuteurs (Goffman, 1973 : 9), celui qui se trouve dans le contexte d’une mediated quasi-­‐interaction s’adapte continuellement (Thompson, 1995 : 88). Pour reprendre les propos de Martel, chaque nouvelle apparition d’un personnage public dans les médias donne lieu à une renégociation de l’image médiatique. Comme le décrit aussi Thompson, l’émetteur adapte son comportement et essaie de projeter une image de lui-­‐même qui convient au type de média et au genre télévisuel auquel il participe.Le public, de son côté, se construit lui aussi une image de la personnalité en question, ce qui montre que l’image médiatique résulte aussi de la co-­‐construction entre la 3 personnalité publique et le public. Il existe donc également une forme d’interaction et de négociation dans les interactions réalisées par l’intermédiaire d’un média de masse. 2. Le problème spécifique à la recherche 2.1 L’image préalable de Régis Labeaume Abordons d’abord l’image préalable du maire Régis Labeaume, car toutes les impressions qui circulent dans l’espace public à son propos font partie de la construction de son image médiatique. Selon Amossy : « L’image préalable préexiste à la performance du politicien ; elle repose sur au moins deux aspects identitaires; l’identité professionnelle et l’identité personnelle. L’image préalable se voit « confirmée, modifiée, transformée, voire invalidée au cours de la prestation ». (1999 : 149) Ces éléments font d’ailleurs partie de l’élaboration de notre problématique, en ce sens que notre question de recherche émerge de toutes les observations qu’on peut faire à propos du maire Labeaume. La vision des journalistes, des citoyens et des acteurs clés de la ville de Québec est donc importante et doit être analysée dans ce sens. Pour ce faire, une revue de presse a préalablement été effectuée afin de faire ressortir la construction de l’image médiatique de Régis Labeaume et d’expliquer la perception que s’en font les journalistes et la population. Plusieurs lieux communs ressortissent à la lecture des articles de magazines et de journaux recensés. De ces textes publiés entre 2007 et 2011, plusieurs critiques sont mentionnées à propos du type de gestion des projets du maire et de sa personnalité. On ne trouve cependant pas que des critiques, mais également des points positifs. Identifions d’abord les quelques éloges trouvés dans la perception des médias et du public. La population de Québec semble percevoir le maire Labeaume comme une personne ayant des fonctions importantes, mais qui reste au niveau du peuple, comme le mentionne ici une citoyenne anonyme : « Vous êtes comme nous, vous êtes de notre 4 gang! » (Gruda, La Presse, 2009). Un autre point positif mentionné est que le maire « fait de la bonne clip » (Porter, L’Actualité, 2009), ce qui rend le personnage très présent dans les médias. D’autres ont tenu à mentionner que Régis Labeaume se veut « rassembleur » pour la population de Québec (Bourque, Le Soleil, 2007) et qu’il est « un excellent ambassadeur » (Lagacé, Blogue, 2010), « authentique et sincère » (Gagné, Le Soleil, 2010) et pourvu d’une « sensibilité sociale » (Anonyme, Le Soleil, 2011-­‐A). De plus, le public semble aimer le fait que, comparativement aux autres politiciens québécois, « il ne fait pas dans la langue de bois » (Porter, L’Actualité, 2009). Ceci a pour conséquence que « les gens se sentent près de monsieur Labeaume, même s'il a un poste important. » (Porter, L’Actualité, 2009). Certains vont même jusqu’à employer le substantif « notre superstar » (Néron, Le Soleil, 2009) en parlant du maire de la Capitale-­‐
Nationale. Quant aux points négatifs relevés chez Régis Labeaume, la population lui reproche de trop rêver, de lancer des idées aux médias et à la population sans réelle réflexion : c’est la « dernière idée du maire » (Poirier, Carrefour du Québec, 2010). Son arrogance et le fait qu’« il déballe ses idées avec la vitesse d'une mitraillette » sont mentionnés par plusieurs dont l’animateur de radio Jeff Fillion dans un texte d’Agnès Gruda (Gruda, La Presse, 2009). Une autre critique qui vient appuyer celle de Fillion est énoncée cette fois par la conseillère Anne Guérette, à savoir que « le maire Labeaume a gaspillé tout près d'un million de dollars avec ses projets avortés » et qu’il « décide trop vite » (Anonyme, Le Soleil, 2011-­‐B). D’autres témoignages rejoignent le fait que le maire parle beaucoup de projets et multiplie les annonces : « Il a des tonnes de projets. Il se fout des conventions » (Porter, L’Actualité, 2009). Dans ce même article, la journaliste Porter cite la reporter Cécile Larouche lorsqu’elle dénonce le côté populiste de Labeaume : « Je le soupçonne de faire volontairement des fautes de français pour “faire populaire” » (Porter, L’Actualité, 2009). Outre le fait de faire beaucoup d’annonces et d’être « populiste », certains lui reprochent son « inexpérience » (Bourque, Le Soleil, 2007). D’autres décrivent le maire Labeaume comme étant un « un despote et un boutefeu. », « commun et vulgaire » et « populiste » (Charrette, Journal de Québec, 2011). La liste 5 continue ainsi. Patrick Lagacé, même s’il a tenu des propos gentils sur le maire Labeaume, tient également des propos moins valorisants à l’endroit de ce dernier : « il dit des énormités à un rythme qui laisse pantois », « C’est bien d’être un personnage, d’être haut en couleur, de lancer des pavés dans la mare… Mais… » (Lagacé, Blogue, 2010). Quant à Gagné, il définit le maire comme étant « mal embouché » et « un peu grossier » (Gagné, Le Soleil, 2010). Certains spécialistes ont tenté de cerner le maire, mais ils ne semblent pas en mesure d’y arriver. Ils le qualifient de « pas facile à catégoriser » et de « réactionnaire » (Anonyme, Le Soleil, 2011-­‐A). En parlant des projets du maire, Jean-­‐Marc Beaudoin affirme qu’ils « semblent vouloir ne jamais aboutir » et qu’ils « semblent souvent sortir d'une boîte à surprises, comme lui-­‐même » (Beaudoin, Le Nouvelliste, 2011). Une étude a été menée dans le but de catégoriser le maire selon ses idées politiques, ce qui a donné comme résultat que la population « situe leur maire au centre droit » (Anonyme, Le Soleil, 2011-­‐A). Le texte « Le roi est nu! » se doit d’être mentionné pour son caractère dénonciateur. Publiée dans la section « Point de vue » du journal Le Soleil du 13 janvier 2011 et écrite par trois cosignataires, cette lettre ouverte se veut remplie de critiques assassines envers le maire. Les auteurs, Francine Bouchard, Pierre Boucher et Michel Héroux, décrivent les échecs et les projets avortés du maire depuis sa prise de pouvoir en 2007. Voici un extrait très critique de la personnalité de Labeaume : « Pourra-­‐t-­‐il apprendre en 2011 à ménager ses excès, son stress et son cœur (rappelez-­‐vous Madame Boucher, Monsieur le Maire), à contrôler son impulsivité, à parler moins et à écouter un tout petit peu? On en doute. » (Le Soleil, 2011). Celui qui a longtemps été considéré en état de lune de miel avec la population et sans opposition politique se retrouve sur le banc des accusés à la suite de cette lettre. 6 2.2 La question de recherche Ces commentaires ont inspiré une réflexion sur le vedettarisation du maire Régis Labeaume. Il nous est alors apparu que ce dernier se distingue beaucoup des autres maires par l’importance que les médias accordent non seulement à ses gestes politiques, mais aussi à l’homme qui les pose. Le phénomène est de plus en plus fréquent et certains chercheurs ont tenté de le nommer. Nous adhérons à la définition et à la conceptualisation de la notion de « peopolisation » développée par Jamil Dakhlia (2010). C’est donc autour de ce concept que se construit la présente étude. Notre question de recherche se présente donc ainsi : comment s’actualise la peopolisation chez Régis Labeaume? Nos principaux intérêts au regard de la peopolisation sont les suivants : Que désigne explicitement le terme peopolisation? Qui en est le plus grand bénéficiaire, l’homme politique ou les journaux? L’homme est-­‐il victime de la peopolisation ou est-­‐ce cette dernière qui est à son service? Est-­‐ce un phénomène social qui nous permet de comprendre les diverses tendances politiques actuelles ou une diversion visant simplement à nous faire focaliser sur autre chose que les véritables questions? La peopolisation « désigne spécifiquement un individu ou une catégorie d’individus distingué(e) par sa médiatisation ou bien, de façon métonymique, les médias axés sur la vie, privée surtout, de ces personnages célèbres. » (Dakhlia, 2010 : 5) Christian Delporte retrace l’histoire de la peopolisation des hommes politiques qui, selon lui, pourrait remonter à la IIIe République française. « Selon nous, la peopolisation est un jeu à trois acteurs — hommes politiques, médias, opinion publique — qui se satisfait mal de régimes non démocratiques. De quoi s’agit-­‐il, en effet? A minima, le phénomène repose sur la vedettisation de l’homme politique et l’exposition médiatique de sa vie privée. » (2008 : 2) Delporte rapporte aussi que « la peopolisation prend tout son sens lorsque l’homme politique utilise la médiatisation de sa vie privée ou de son histoire personnelle à des fins de communication, et bâtit avec le public un récit partagé. » (2008 : 2) C’est ainsi que les révélations que la personne fait sur sa vie privée peuvent lui permettre de 7 paraître plus humain et ainsi de créer un lien, un sentiment d’appartenance qui rapproche l’homme de son public. Nous avons perçu à plusieurs reprises des signes indicateurs de peopolisation dans le discours de monsieur Labeaume. Prenons par exemple cet extrait de Bazzo.tv diffusé sur les ondes de Télé-­‐Québec le 26 mars 2009 : Exemple 1 (Bazzo.tv, 26 mars 2009) Bazzo : Labeaume : Bazzo : Labeaume : Bazzo : Labeaume : Alors Régis, vous ne devez pas avoir peur de grand chose vous dans la vie ? Ah, c’est une bonne question. [hésitations]. Bien une fois par année je me demande si j’ai peur de mourir. Je me pose la question : Est-­‐ce que j’ai peur de mourir. Bien oui encore je présume. Je ne suis pas rendu à ce niveau de sérénité là. Est-­‐ce que j’ai peur? Ah, j’ai encore : j’ai des visions d’apocalypse là. J’ai des visions par rapport à l’apocalypse, par rapport aux enfants c’est : je suis très italien hein. Vos enfants ou les jeunes en général. Non. Mes enfants. Mes enfants. J’ai encore des visions apocalyptiques. C’est parce que vous avez une fille à Montréal que vous dites ça ! <Rires> Non mais tu sais j’ai encore peur qu’il arrive des malheurs, qu’ils décèdent ça me : j’ai encore ces peurs là personnelles. Ça vient me chercher très très loin. J’ai toujours eu peur de les perdre. Ça ça m’a… Le maire Labeaume parle ouvertement de ses peurs en entrevue; par ailleurs, il dit à l’animatrice qu’il est à l’aise avec elle et qu’il se sent comme dans son salon. Dans l’extrait précédent, le maire Labeaume parle de ses peurs, qui sont des émotions humaines. C’est en quelque sorte une façon de dire aux électeurs « j’ai des peurs moi aussi, je suis humain et je vous comprends ». Le maire se rapproche ainsi du peuple et, par le fait même, crée une image people. La peopolisation peut devenir une méthode permettant de souscrire à la domination de la proximité indissociable au politique, mais qui l’est encore plus depuis que les citoyens sont empreints d’un désintérêt politique (Dakhlia, 2009 : 3). L’utilisation d’une représentation people du personnage politique peut donc lui offrir deux avantages : séduire et gagner en popularité tout en se rapprochant de la population. Tout au long de ce projet, nous distinguerons le caractère people et le caractère politique de Régis Labeaume. Le caractère de proximité est celui qui nous a semblé le plus pertinent dans la présente étude sur la peopolisation. Tel qu’expliqué par Delporte, la peopolisation de l’homme 8 politique prend tout son sens lorsque la médiatisation de sa vie privée lui sert d’outil afin de construire un récit partagé avec le public (2008 : 28). Le récit partagé permet de créer un sentiment de proximité avec le public en augmentant non seulement le capital de sympathie de l’homme politique, mais en lui permettant aussi de se créer une image people. La proximité est abordée ici selon trois indicateurs distincts : 1) la relation avec la population de Québec; 2) l’humour et 3) le contenu thématique. Avant de s’intéresser plus spécifiquement à ces trois aspects, il importe de définir la notion de proximité selon Guedon : « La notion de proximité prend un caractère social, dans la mesure où elle est analysée comme un ressenti des individus, une perception de l'espace dans lequel ils évoluent et de ces relations avec l'ensemble des composantes de cet espace.» (2005 : 12) Dans la présente étude, nous définissons le caractère people du maire Labeaume en fonction de la proximité qu’il entretient avec la population de Québec. La citation précédente définit la proximité comme étant une notion à caractère social qui évolue en relation avec les acteurs au centre de cette proximité, ce qui rappelle la définition la peopolisation selon Delporte. 3. Méthodologie 3.1 La description du corpus Pour mener à terme cette recherche sur la construction de l’image médiatique de Régis Labeaume, nous avons procédé à la constitution d’un corpus d’émissions télévisées et d’extraits vidéo mettant en scène le maire Labeaume. Sept clips vidéo ont été sélectionnés et soumis à l’analyse. Ce sont des émissions qui relèvent de genres médiatiques différents et que nous allons décrire. Le retour de Salvail, Dominic et Martin (14 septembre 2009) 9 Cette émission de radio est diffusée à la station NRJ et produite à Montréal mais, cette fois-­‐ci, enregistrée dans la ville de Québec. Les animateurs sont Éric Salvail, Dominic Sillon et Martin Cloutier. Dans cette émission filmée et diffusée sur Youtube, nous entendons des confidences du maire Labeaume relatives à sa vie privée. Cet extrait d’émission se rapproche d’une entrevue de talk-­‐show. Selon le Centre de ressources en éducation aux médias (CREM), le genre talk-­‐show « se distingue, en général, par un ton léger et une intention manifeste de divertir ; on y retrouve souvent des éléments de variétés et un fort contingent de vedettes et de personnalités publiques. Comme son nom l'indique, la dimension spectacle y joue un rôle plus ou moins prépondérant selon les cas. » (http://www.reseau-­‐crem.qc.ca/projet/int3.htm#radio). Le côté humoristique de l’émission et les éléments entendus dénotent un ton léger et une proximité entre les animateurs, le maire Labeaume et le public. Cette émission contient une portion ludique fictive : des sketches humoristiques où le maire est caricaturé par Dominic Sillon. Le fait que le maire soit invité dans cette émission radio et qu’il ait sa propre caricature nous ramène au concept de peopolisation tel que définit précédemment. Bazzo.tv (9 octobre 2008) Cet extrait correspond à la deuxième entrevue avec le maire réalisée dans le cadre du magazine télévisé Bazzo.tv. Il a été diffusé le 9 octobre 2008 à l’antenne de Télé-­‐
Québec, soit neuf mois après la victoire aux premières élections du maire Labeaume. Cette émission est animée par Marie-­‐France Bazzo et nous la considérons comme un magazine, du fait des chroniques et reportages à caractère informatif portant sur de nombreux sujets discutés par différents spécialistes1. L’animatrice tente de nous faire connaître le nouveau maire qui intrigue la population tant par son franc parler que par son succès dans l’organisation du 400e anniversaire de la ville de Québec. Le maire est questionné sur ses succès et son rôle de maire, et ce dernier répond avec humour et spontanéité. 1
Voir le texte de Cauchon et Jolicoeur, ici même, sur les genres médiatiques. 10 Bazzo.tv (26 mars 2009) Cette émission du 26 mars 2009 correspond à la troisième apparition du maire Labeaume à Bazzo.tv. Dans cette télédiffusion, le maire apparaît dans la portion de l’émission nommée Le tempo, où se tient une entrevue au contenu léger de style talk-­‐
show. Lors des deux premières apparitions du maire à l’émission, il avait déclaré vouloir à tout prix faire un jour une entrevue dans l’« abri tempo ». Le ton détendu et les moments de confession sont des indices significatifs de peopolisation de Régis Labeaume. Le Verdict (5 avril 2010) Cette émission de divertissement a été diffusée par la SRC le 5 avril 2010. Il s’agit d’un style talk-­‐show animé par Véronique Cloutier au cours duquel on dévoile les résultats de sondages portant sur l’invité en question. En alliant humour et aisance, Régis Labeaume semble oublier sa fonction de maire quelques fois pendant l’émission. Larocque-­‐Lapierre (17 octobre 2009) Cette émission d’affaires publiques a pour but premier d’informer les gens, mais elle présente également plusieurs caractéristiques du débat. Elle est diffusée à l’antenne de TVA. Contrairement aux émissions précédentes, celle-­‐ci présente peu d’indices de peopolisation. Elle est entièrement consacrée aux activités politiques du maire Labeaume. Carnet de Bordeaux (juin 2010) Cet entretien est réalisé par une équipe française de www.carnetdebordeaux.fr. Le maire Labeaume parle avec un ton juste, posé et très sérieux qui casse du ton normalement utilisé lors de ses entrevues au Québec. Cet extrait où nous voyons le maire interviewé par une journaliste française nous permettra de comparer les différentes identités du maire. 11 Conseil de ville (4 octobre 2010) Pour cet extrait de la séance du 4 octobre 2010 du conseil de la ville de Québec, nous voulions voir comment se comporte le maire dans ses fonctions de chef municipal et, par le fait même, voir quelle personnalité Labeaume adopte durant ces séances. Grâce au corpus d’émissions et aux articles de la revue de presse que nous avons rassemblés, nous définirons divers indicateurs qui nous permettent de comprendre comment s’actualise la notion de peopolisation dans les interactions médiatiques de Régis Labeaume. 3.2 La démarche d’analyse Nous identifierons à l’intérieur du corpus choisi les indices de peopolisation dans le discours de Régis Labeaume. Afin de nous aider à répondre à notre question de recherche, nous analyserons la proximité du maire Labeaume à la population sous trois aspects: 1) la relation qu’il entretient avec la population de Québec, 2) les traces d’humour dans son discours et 3) le contenu thématique de ses interventions. Tel que nous l’expliquerons plus en détail ultérieurement, la relation qu'entretient Régis Labeaume avec la population de Québec est très importante dans la présente étude puisque, chaque fois que le maire parle de cette relation, il la fait exister, il montre consciemment qu'elle existe et qu'elle est, selon lui, harmonieuse. À titre de précision, seules les interventions de Régis Labeaume ont été prises en considération lors des analyses quantitatives. En effet, les questions et les commentaires des journalistes et animateurs ont été écartés étant donné que notre question de recherche porte exclusivement sur la peopolisation chez Régis Labeaume. Les rituels d’entrevue tels que les salutations et les remerciements n’ont pas été retenus lors de l’analyse étant donné la non-­‐pertinence de ceux-­‐ci au regard des indicateurs choisis. 12 4. Analyse 4.1 Analyse la relation entre Régis Labeaume et la population de Québec L’appel à une image people permet d’exploiter deux bénéfices : celui de la popularité – dans le sens de proximité avec le peuple – et celui de la séduction (Dakhlia, 2009 : 3). « Le désaveu de la population envers le politique a amené les candidats à se tourner vers les médias people afin de pallier au manque de popularité et de proximité qui marque la relation que les politiciens ont avec la population » (Dakhlia, 2009 : 3). Se tourner vers les médias et parler de la relation qu’ils entretiennent avec leurs électeurs permet l’implantation d’un pont affectif entre les deux parties. Tel que mentionné précédemment, la « peopolisation de l’homme politique prend tout son sens quand la médiatisation de sa vie privée lui sert d’outil pour construire un récit partagé avec le public » (Delporte, 2008 : 28) et c’est précisément ce que le maire Labeaume fait lors de ses apparitions télévisées. Les trois acteurs de la peopolisation sont les médias, l’homme politique et l’opinion publique (Delporte, 2008). En s’exprimant ouvertement sur la relation qu’il entretient avec les citoyens de Québec, le maire Labeaume tisse un lien de confiance avec ceux-­‐ci et se caractérise comme un leader populiste qui allie le charisme et la ressemblance avec le peuple. Le populisme tend à construire le peuple et, par le fait même, le politique, puisque le vote des électeurs ne se base pas seulement sur l’idéologie des candidats, mais aussi sur l’affectif : « les gens [ont] besoin de se rassurer en votant pour quelqu’un qui [a] les mêmes valeurs, qui [vit] un peu de la même façon » (Lherault et Dakhlia, 2008 : 3). En reprenant les propos de Prost dans son article intitulé Hommes politiques : la mise en scène de la vie privée, Emmanuel Fournier ajoute même que : « c'est cette recherche de ressemblance, selon lui [Prost], qui inciterait les hommes politiques à tout faire pour donner l'impression d'être à l'aise avec les sujets ayant trait à la vie privée, pour ne pas dire intime, et à apparaître comme des êtres dotés de sentiments, de désirs, aimant leur famille » (Fournier, 2003). Le tableau 1 indique la fréquence à laquelle le maire Labeaume parle de sa relation avec la population de Québec au cours des émissions soumises à l’analyse. Il est important de 13 noter que seules les références aux citoyens ont été relevées et non les interventions où le maire Labeaume réfère à la ville en tant que telle. La proximité se voit ici comme la relation que le maire crée avec la population de Québec. Tableau 1 La relation entre Régis Labeaume et la population de Québec (en nombre d’occurrences) Émissions Relations Bazzo.tv (09/10/08) Bazzo.tv (26/03/09) Le Verdict Le retour de Salvail Entrevue Bordeaux Larocque-­‐Lapierre Conseil de ville 4 3 4 0 0 15 20 Total d’occurrences 46 La majorité des 46 occurrences ont été relevées dans les émissions d’information comme Larocque-­‐Lapierre et pendant le conseil de ville. La fréquence est moins élevée dans les émissions de divertissement, où les occurrences rendent surtout compte du lien de proximité et de confiance avec les auditeurs en montrant à la population : « Je vous comprends parce que je suis comme vous » (Delporte, 2008 : 13). L’extrait suivant illustre une telle relation. Exemple 2 (Le verdict, 5 avril 2010) Cloutier : Labeaume : Donc qu’est-­‐ce que vous aimez le moins chez Régis Labeaume? Alors tout d’abord sa gestion des fonds publics à 8 %. <RL secoue la tête et sourit> Et chez les gens de Québec même, ça grimpe à 16 %. Mais je vous l’ai dit, il y en a 20 (citoyens de Québec) qui m’aiment pas. On les cherche actuellement. (rires) 4.2 Analyse du recours à l’humour L’utilisation de l’humour dans les contextes médiatiques qui nous intéressent permet au maire Labeaume de tisser un lien avec le public et de se construire une image de confiance favorable. Cet indcateur vise à répertorier les moments où le maire fait des blagues et fait rire son interlocuteur et le public. Pour arriver à une analyse quantitative 14 fiable, nous avons effectué un calcul du nombre d’occurrences de blagues dont le repérage objectif et systématique s’est effectué à l’aide des réactions du public et des interviewers. L’humour est l’une des cinq facultés cognitives essentielles à l'homme pour communiquer. Elle permet non seulement de s’adapter socialement, mais aussi de tisser des liens solides entre les personnes. À l’instar de Bergson, nous croyons que le désir de faire rire du maire Labeaume en racontant diverses blagues dissimule une envie de tisser des liens : « le rire cache une arrière-­‐pensée d’entente, je dirais presque de complicité, avec d’autres rieurs, réels ou imaginaires. » (Bergson, 1900 : 11) Toujours selon le même auteur, la fonction utile du rire est sociale, et nous estimons que c’est à cette fonction que s’en remet le maire Labeaume lorsqu’il fait des blagues. La présence du maire Labeaume à des émissions de divertissement fait état, dans un certains sens, de sa peopolisation. De même, l’utilisation de l’humour par ce dernier vient appuyer, selon nous, le désir de créer une identité people en tissant des liens avec l’auditoire. Socialement, l’homme est plus enclin à tisser des liens avec des personnes qui lui sont sympathiques et les hommes politiques n’échappent pas à cette norme. Selon notre approche théorique, le fait de créer une image décontractée de soi-­‐même, de rigoler, voire de se moquer de soi-­‐même, crée un sentiment de « reconnaissance » chez les auditeurs et, par le fait même, engendre une proximité avec ceux-­‐ci. C’est ce qui ferait du maire Labeaume une personnalité people. Le tableau 2 indique la fréquence des occurrences des recours à l’humour dans les diverses émissions télévisées auxquelles le maire a participé. En ce qui a trait à l’humour, notre analyse s’appuie sur le fait que : « Une “sélection naturelle” semble s’opérer entre, d’une part, les élus qui ont une prédisposition à jouer de leurs émotions et de leur image et, d’autre part, ceux qui parviennent plus difficilement à s’extraire de la posture qu’impose traditionnellement les fonctions politiques qu’ils occupent. À l’épreuve des programmes humoristiques, le personnel politique mesure le poids des contraintes qui pèsent sur ses prestations télévisuelles : pour élargir au maximum leur espace communicationnel, les élus doivent adapter leur comportement en fonction de la logique sur laquelle repose chaque émission. » (Fradin, 2008 : 6) 15 Ainsi, le maire Labeaume ne fait pas d’humour à chacune de ses apparitions dans les médias. Il est donc possible de remarquer que, lorsque le contexte s’y prête, c’est-­‐à-­‐dire dans des émissions de divertissement, Régis Labeaume sait faire usage de l’humour. Tableau 2 La relation de l’humour par Régis Labeaume (en nombre d’occurrences) Émissions Humour Bazzo.tv (09/10/08) Bazzo.tv (26/03/09) Le Verdict Le retour de Salvail Entrevue Bordeaux Larocque-­‐Lapierre Conseil de ville 8 11 21 5 2 2 0 Total d’occurences 49 À l’émission Le Verdict, le maire Labeaume commente en blaguant les résultats du sondage. Exemple 4 (Le verdict, 5 avril 2010) Cloutier : Labeaume : Cloutier : Labeaume : Non mais l’importance du look ça revient souvent. Vous savez que : C’est tough ça! Il y a juste 1% de la population qui dit : hey moi Régis Labeaume, je capote sur son look. Donc ce n’est pas sur mon corps là? C’est vraiment pas le corps la hein? <rires et applaudissements> Dakhlia affirme à ce propos que « la popularité et la séduction visées à travers la conformation au people coïncident avec les deux principales caractéristiques de tout leader populiste : "charisme" et "ressemblance avec le peuple".» (2009 : 5) L’humour permet donc de créer une relation avec la population, de tisser des liens. 4.3 Analyse de contenu thématique Une autre façon de mesurer le caractère people de Régis Labeaume est de procéder à une analyse de contenu qui départage les thématiques privée et publique dans son discours. Une personne est dite people lorsqu’elle parle de sa vie privée dans des 16 situations où des affirmations sur sa vie politique et publique sont pourtant attendues. Étant donné que la notion de peopolisation désigne, en termes généraux, la médiatisation de la vie privée des hommes politiques (Dakhlia, 2010 : 5; Delporte, 2008 : 28), il est intéressant d’analyser et de comparer le pourcentage du contenu public par rapport au contenu privé des éléments du corpus afin de déterminer jusqu’à quel point Régis Labeaume est people. Il se rattache ensuite des sous-­‐catégories à chacune des deux catégories principales. Le contenu public La notion d’« administration publique » est celle qui s’apparente le plus au contenu public. L’administration publique renvoie à : « l’ensemble des organismes (sociétés, agences, régies, etc.) et du personnel au service de l’État » (Boudreau et Perron, 2006 : 5). Sur la scène médiatique, tout ce qui a trait à la vie politique, et donc à la vie publique du maire, s’inscrit par conséquent dans la catégorie contenu public. Sous-­‐catégorie Contenu Les projets du maire Nous faisons ici référence aux réalisations du maire Labeaume, c’est-­‐à-­‐dire ce qu’il veut faire et ce qu’il désire atteindre. Les références aux projets antérieurs, aux projets présents et aux projets futurs du maire sont incluses dans cette sous-­‐catégorie. Les tâches du maire Les obligations et devoirs de Régis Labeaume en tant que maire de la ville de Québec. Les qualités liées à la fonction Les qualifications nécessaires pour devenir maire relèvent du contenu public et politique. La relation avec les autres acteurs politiques Les interactions directes et indirectes entre le maire et les fonctionnaires, les autres politiciens et les membres de son équipe. La ville de Québec Les descriptions positives et négatives que fait le maire de Québec. L’élection de 2007 Toutes références à l’élection de 2007. Le contenu privé Sur la scène médiatique, le contenu privé fait référence à la vie personnelle des personnalités publiques. Dans son mémoire de maîtrise intitulé La médiatisation de la vie privée des hommes politiques, Eva-­‐Marie Goepfert explique que le concept de l’espace privé est « relatif à ce qui relève de l’intime, c’est-­‐à-­‐dire ce qui relève du libre-­‐
17 arbitre. » (2006 : 10) La vie privée fait donc référence à l’intimité d’une personne de même qu’au dévoilement du secret et d’autres révélations personnelles (p. 10 et 40). Les caractéristiques personnelles du maire, sa famille et ses loisirs font partie du contenu privé. Sous-­‐catégorie Contenu Les caractéristiques personnelles du maire Que ce soit sa forme physique, sa personnalité, ses qualités ou ses défauts, les caractéristiques personnelles de Régis Labeaume relèvent de sa vie privée et, par conséquent, se retrouvent dans la catégorie du contenu privé. Les origines du maire sont aussi en quelque sorte une caractéristique personnelle de ce dernier. La famille Les affirmations relatives aux parents du maire, à ses enfants et à sa femme. Les loisirs Les activités auxquelles s’adonne Régis Labeaume pendant ses temps libres. Le tableau 3 présente la répartition du contenu public / contenu privé en nombre de mots et en pourcentage selon les différents extraits. Tableau 3 Le contenu thématique des émissions (en nombre de mots et en %) Contenu public Contenu privé Bazzo.tv 09/10/08 100 % 1303/1303 mots 0 % 0/1303 mots Bazzo.tv 26/03/09 61,5 % 464/760 mots 38,5 % 296/760 mots Le Verdict 83,1 % 698/840 mots 16,9 % 142/840 mots Le retour de Salvail 43,7 % 48/110 mots 56,3 % 62/110 mots Entrevue Bordeaux 100 % 262/262 mots 0 % 0/262 mots Larocque-­‐Lapierre 100 % 1675/1675 mots 0 % 0/1675 mots Conseil de ville 99,4 % 6249/6287 mots 0,6 % 38/6287 mots 95,2 % 10699/11237 mots 4,8 % 538/11237 mots Tous genres confondus 18 Tel que nous pouvons le constater, les références à la vie privée de Régis Labeaume sont plus importantes dans les émissions de divertissement comme Le retour de Salvail, Le Verdict et Bazzo.tv du 26 mars 2009. Étant donné que le contexte s’y prête moins lors du conseil de ville, de même que lors d’émissions d’affaires publiques, les références à la vie privée du maire cèdent la place aux références relatives au contenu public. Voici un exemple tiré de chacune des catégories. Exemple 5 (Bazzo.tv, 26 mars 2009) : Contenu privé Labeaume : Dans 15 ans ah bien mon dieu! Je présume que j’aurai fini d’être en politique. Je me vois comme grand commentateur. Je veux écrire. Mon : souhait la, mon grand désir c’est écrire. Exemple 6 (Larocque-­‐Lapierre, 17 octobre 2009) : Contenu public Labeaume : Alors : nous-­‐autres on a fait par exprès. On voulait que ce soit, c’est très politique notre affaire la, monsieur Lapierre là. Tout est calculé pour que ce soit durant la campagne électorale parce qu’on veut que les gens votent là-­‐dessus. C’est très clair, nous-­‐autres là, nos objectifs sont clairs, c’est politique. On dit aux gens « ça fait partie de notre plateforme, votez là-­‐dessus sinon parlez-­‐moi en plus. » Même si les médias donnent l’impression que Régis Labeaume parle souvent de sa vie privée, nous pouvons constater qu’il n’en parle que sur 4,8 % de son temps de parole, et ce, même lorsque le genre médiatique se prête à des révélations sur la vie privée. Selon notre analyse, le maire consacre 95,2 % de son temps de parole pour parler de politique et d’autres sujets qui ont trait au contenu public tel que nous l’avons défini précédemment. Considérant les données présentées au tableau 3, il semble pertinent d’étudier en détail les sous-­‐catégories incluses dans la catégorie du contenu privé. Nous reprenons au tableau 4 le pourcentage total de contenu privé de chacune des émissions analysées et nous subdivisons ce résultat en fonction des trois sous-­‐catégories établies précédemment : les caractéristiques personnelles, la famille et les loisirs. 19 Tableau 4 Sous-­‐catégories du contenu privé (en nombre de mots et en %) Caractéristiques personnelles Famille Loisirs Bazzo.tv 09/10/08 0 % 0 % 0 % Bazzo.tv 26/03/09 25 % 74/296 mots 42,6 % 126/296 mots 32,4 % 96/296 mots Le Verdict 91,5 % 130/142 mots 8,5 % 2/142 mots 0 % 0/142 mots Le retour de Salvail 35,5 % 22/62 mots 53,2 % 33/62 mots 11,3 % 7/62 mots Entrevue Bordeaux 0 % 0 % 0 % Larocque-­‐Lapierre 0 % 0 % 0 % 100 % 38/38mots 0 % 0/38 mots 0 % 0/38 mots 49,1 % 264/538 mots 31,8 % 171/538 mots Conseil de ville Tous genres confondus 19,1 % 103/538 mots Considérant uniquement le contenu privé, et tous genres confondus, 49,1 % du temps de parole de Régis Labeaume porte sur ses caractéristiques personnelles (exemple 7), 31,8 % renvoie aux membres de sa famille (exemple 8), et 19,1 % est utilisé pour rendre compte de ses loisirs. Exemple 7 (Le verdict, 5 avril 2010) Labeaume : J’espère qu’ils me sentent honnête, honnêtement. Ça serait mon plus grand souhait, c’est qu’ils pensent que je suis honnête. C’est assez simple. Exemple 8 (Bazzo.TV, 26 mars 2009) Labeaume : Non mais tu sais j’ai encore peur qu’il arrive des malheurs, qu’ils décèdent ça me : j’ai encore ces peurs-­‐là personnelles. Ça vient me chercher très très loin. J’ai toujours eu peur de les perdre. Ça, ça m’a… Tel que mentionné précédemment, nos résultats montrent que Régis Labeaume ne réfère qu’à de rares occasions à sa vie privée lors de ses apparitions publiques. Même lorsque les révélations privées sont attendues dans certains genres médiatiques, il ne faut pas oublier que Régis Labeaume est invité à ce genre d’émissions à titre de maire 20 de Québec. Nous pouvons alors supposer que les interviewers s’attendent à ce qu’il réponde aux questions à titre de maire et non à titre d’époux ou encore à titre de père de famille. Cela dit, même si monsieur Labeaume ne consacre que 4,8 % de son temps de parole pour parler de sa vie privée, nous pouvons affirmer qu’il est, jusqu’à un certain point, people étant donné qu’il réfère au contenu relevant de l’intime alors qu’un contenu d’ordre public est tenu pour acquis. Le maire de Québec jouit d’une présence médiatique enviable pour un politicien municipal. Les réactions et les propos tenus par Labeaume font donc de lui une personne très sollicitée. Par exemple, lorsque l’animatrice du Verdict, Véronique Cloutier, demande « Donc vous n’acceptez pas toutes les invitations qu’on vous lance? », le maire répond « Si vous saviez, mais les gens ne me croiraient pas ». Il a aussi été invité à plusieurs reprises à Tout le monde en parle et à Bazzo.tv. Nous pouvons le voir sur toutes les chaînes de télévision généralistes, y compris le Canal Vox. Régis Labeaume possède même son personnage de dessin animé caricaturé dans l’émission Et Dieu créa…Laflaque, à Radio-­‐Canada. Tel que mentionné précédemment, il est aussi fréquemment imité à l’émission de radio Le retour de Salvail, Dominic et Martin sur les ondes de NRJ, sans compter ses nombreuses apparitions volontaires dans plusieurs autres émissions. Ajoutons aussi toutes les apparitions non volontaires du maire, entres autres, dans les téléjournaux et par ses imitations, notamment, dans le célèbre Bye Bye de fin d’année. Au Verdict, le maire attribue sa popularité à son franc parler : « Bien oui ça en prend des niaiseries tu sais. Le monde veut que tu sois un petit peu niaiseux à travers de tout ça. Puis ils aiment ça que tu trébuches une fois de temps en temps et que tu fasses des erreurs. » Ce côté très humain d’un politicien a de quoi intéresser la population et les médias. Une recherche par mots clés sur le site Internet YouTube, afin de comparer la présence médiatique des maires de Québec et de Montréal, a fourni le résultat suivant : 260 apparitions pour Régis Labeaume contre 192 pour Gérald Tremblay. La même recherche 21 à partir du nombre de vidéos rend compte de 125 extraits pour Régis Labeaume contre 63 pour Gérald Tremblay. Rappelons que le maire de Montréal est en poste depuis 2001, alors que Régis Labeaume ne l’est que depuis 2007. La fréquente médiatisation du maire de Québec rend compte de sa peopolisation. Comme le mentionne El Khamissy, pour les politiciens français à la télévision : « nous dirions que grâce à la télévision, les candidats aux élections présidentielles sont devenus omniprésents. Ils ne sont plus une effigie ni un discours radiodiffusé, mais une réalité vivante ayant un corps qui bouge et qui "parle". » (2010 : 91) 5. Interprétation des résultats L’image est, selon Goffman, un spectacle donné, comme une représentation de nous-­‐
mêmes pour les autres (Goffman, 1973 : 25 et 238). Nous avons expliqué que l’image médiatique se négocie au cours de l’interaction entre les différents participants. Charaudeau explique bien l’ensemble de notre question de recherche en faisant le lien entre image médiatique et peopolisation: « L’apparition du privé à la télévision, c’est "donner à voir ce qui est caché derrière la façade sociale", et donc entrer dans l’humanité des acteurs du monde social. À force de jouer des rôles de représentation, ces acteurs se confondent avec ceux-­‐ci, deviennent des archétypes, des masques lisses dans lesquels le téléspectateur ne peut se retrouver. À voir ces acteurs hors de leur fonction officielle, dans leur vie privée faite des mêmes rituels du quotidien que les siennes (au marché, en vacances, en famille, dans l’intimité), des mêmes peines et joies que les siennes, il peut s’y retrouver. » (Charaudeau, 2000) Le maire Labeaume construit son image en lien avec le contexte d’entrevue et le type de média auquel il participe. En effet, nous avons constaté que la peopolisation qui s’incarne chez Régis Labeaume dépend du genre médiatique et de l’interaction avec les animateurs. À l’instar de Thompson, nous pouvons affirmer que Régis Labeaume est différent à Tout le monde en parle, à Larocque-­‐Lapierre et au conseil de ville, c’est-­‐à-­‐dire qu’il s’adapte au genre médiatique et au contexte de l’entrevue. Selon ce contexte, le maire fera usage d’humour, révèlera des informations sur sa vie privée ou encore mettra de l’avant sa relation de proximité avec la population de Québec. Nous posons 22 d’ailleurs l’hypothèse qu’il possède une compétence communicationnelle qui le rend particulièrement « médiatisable ». Selon les résultats de notre analyse, Régis Labeaume est un politicien people du fait qu’il développe une relation de proximité forte avec la population de Québec, qu’il utilise l’humour pour se rapprocher des gens et qu’il fait à l’occasion des révélations sur sa vie privée. Sa très forte médiatisation depuis son élection en 2007 est un argument de plus en faveur de notre thèse. La population s’associe au maire Régis Labeaume lorsqu’il brise les conventions sociales liées à sa fonction de maire. Il réussit à briser ces conventions sociales en se comportant comme tout le monde et en n’imposant pas autant que d’autres son image d’élu. C’est également lorsque le maire se confie et raconte des histoires personnelles qu’il réussit à toucher la population. Par ailleurs, nos résultats nous forcent à émettre une certaine réserve quant au caractère people du maire de Québec. Considérant la définition de Dakhlia 2010, la peopolisation de Régis Labeaume est surtout le fait de son intense médiatisation, les éléments de sa vie privée étant plutôt rares dans ses interventions. 23 Références Bibliographiques Ouvrages de référence AMOSSY, Ruth (1999). Images de soi dans le discours. Delachaux et Niestlé, Lausanne, p. 149. BASTIEN, Frédérick (2011). « Devine qui vient dîner ? Invitations politiques dans les talk-­‐shows et les affaires publiques à la télévision québécoise, » Québec, Université Laval, 20 pages. BOUDREAU, Philippe et Claude PERRON (2006). « Lexique de science politique », 2è édition. Montréal, Chenelière Éducation. 201 p. CHARAUDEAU, Patrick et Dominique MAINGUENEAU (2002). « Dictionnaire d’analyse du discours », Paris, Seuil, 662 p. CHARAUDEAU, Patrick (2000). « La pathémisation à la télévision comme stratégie d’authenticité ». 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