Neuf Cegetel : que fera SFR ? - extrait de La Tribune du 16 octobre

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Neuf Cegetel : que fera SFR ? - extrait de La Tribune du 16 octobre
La Tribune du 16 octobre 2006
Le débat du jour
Neuf Cegetel : que fera SFR ?
Certains estiment que la stratégie de la convergence entre le fixe et le mobile va conduire SFR à lancer une
OPA sur Neuf Cegetel. D'autres considèrent que la filiale de Vivendi n'a pas de stratégie claire.
La semaine dernière, le placement d'une partie du capital de l'opérateur alternatif Neuf Cegetel a été lancé, pour
une première cotation le 24 octobre à la Bourse de Paris. Cette opération, qui permet d'abord à certains de ses
actionnaires minoritaires de sortir dans de bonnes conditions en raison de la valorisation attrayante de l'autre
opérateur Iliad, donne aussi une certaine indépendance à Neuf Cegetel face à son premier actionnaire à 40 %,
SFR. Jusqu'à quand ? Car SFR, qui est à la fois client, fournisseur, concurrent et actionnaire de la société
introduite, ne devrait pas rester à ce niveau. 40 %, c'est trop ou trop peu. Aussi chacun s'interroge : que fera
SFR ?
Xavier Patrolin, président d'Albatros capital :
" Il est clair qu'en confiant Cegetel au management de Neuf Télécom, puis en achetant la base de clients ADSL
et les systèmes d'information de Tele2, SFR, hier pur opérateur mobile, est en train de construire une offre
convergente fixe-mobile, qui est le modèle de développement qui s'impose aujourd'hui sur le marché des
télécoms. Car, avec le lancement de l'offre Unik de France Télécom, et l'annonce du pari sur la fibre optique de
Free, SFR ne pouvait plus rester dans l'expectative : il est contraint d'avoir une réponse stratégique forte. Les
opérateurs mobiles vont être confrontés à la concurrence plus vive de l'ADSL, qui permet de téléphoner de chez
soi en illimité. Pour lutter contre la baisse de leurs prix, ils vont devoir ajouter des services à leur offre. Ainsi,
si d'ici six à douze mois ces offres convergentes rencontrent un franc succès commercial, SFR aura tout intérêt
à faire une offre sur la totalité du capital de Neuf Cegetel. Sur la base de la valorisation actuelle, il ne lui en
coûterait, avec une prime de contrôle de 30 %, que 3,3 milliards d'euros pour les 60 % qu'il ne possède pas.
Pour le deuxième réseau télécoms français, ce n'est pas si cher payé. "
Didier Bouvignies, responsable de la gestion chez Rothschild & Cie Gestion :
" S'il est clair que l'action Neuf Cegetel se vendra mieux au marché avec une histoire de spéculation à la clé, il
me paraît tout à fait prématuré de parier sur une OPA dans les mois à venir, car SFR ne paraît pas avoir
encore arrêté sa stratégie sur la convergence entre la téléphonie fixe et la téléphonie mobile. Le fait est que ses
deux grands actionnaires, Vivendi comme Vodafone, ne sont pas encore totalement convaincus que le fameux "
quadruple play ", qui associe dans une même offre le téléphone fixe, le mobile, Internet et la télévision, est bien
le modèle qui va s'imposer sur le plan commercial comme sur le plan technologique. Vivendi serait clairement
plus à l'aise si le leader Vodafone avait fait le choix. Or, si les grands mouvements qui, depuis l'été, ont
redessiné le secteur des opérateurs télécoms les amènent clairement à réfléchir, ils estiment qu'il y a encore
trop de questions : en particulier, il n'est pas encore certain que la connexion fixe soit incontournable pour
développer les services dans le mobile. Aussi, tant qu'ils n'en sont pas certains, il leur est à l'évidence difficile
de mettre plus de 3 milliards sur la table. Avec 40 % du capital, SFR a, dans un univers en mouvement
permanent, acquis une option sur la technologie et les usages dans les télécoms. "
LECOMMENTAIREDE«LATRIBUNE»
Des idées peu claires sur une industrie en devenir
Que fera SFR ? Il rachètera, dès demain, le reste de Neuf Cegetel, pardi ! Le consensus de marché est si fort, et
la conviction si établie, que l’on se demande bien pourquoi la filiale conjointe de Vivendi et de Vodafone n’a
pas déjà fait un bon gros chèque à son fondateur, Robert Louis-Dreyfus ? Et ce sans attendre que le marché,
porté par la force de la spéculation, ne hisse l’action Neuf Cegetel sur des sommets… On peut certes imaginer
que le fondateur de Neuf Cegetel, qui n’a pas vocation à rester dans la téléphonie à la veille d’importants
investissements dans la fibre optique, veuille tirer le meilleur prix de ce qu’il sent être une affaire en or à
l’heure où la consolidation du secteur touche à sa fin. Seulement il se pourrait que cette explication n’éclaire
qu’une partie de la réponse. Car la direction de SFR a peut-être les idées moins claires sur l’avenir des télécoms
que celles que lui prête le marché. Même si elle répète à l’envi que sa « stratégie “mobile centric”, qui consiste
à offrir à chacun toujours plus de continuité et de personnalisation dans ses services de télécoms, est davantage
centrée sur les usages réels du client que sur la convergence des technologies ». Car, au fond, son offre mobile
n’a aujourd’hui pas besoin de l’ADSL. Et, à ce titre, les raisons pour lesquelles elle vient de débourser 350
millions d’euros pour Tele2 ne sont pas très claires. En d’autres termes, si la convergence est dans toutes les
bouches et tire les valorisations boursières vers le haut, technologiquement l’avenir de SFR ne repose pas
nécessairement sur celle-ci. Ensuite, il n’est pas dit que la direction de SFR ait les coudées si franches pour
mettre plus de 3 milliards d’euros sur la table au moment où son actionnaire français se trouve fragilisé par les
appels à peine voilés de Claude Bébéar au démantèlement de Vivendi. Lequel, doutant de l’intérêt stratégique
de consolider 100 % d’un réseau qu’il contrôle aujourd’hui de facto, a toujours pris grand soin de ne pas se
mettre en position d’avoir à lancer une offre sur la totalité du capital de Neuf Cegetel. D’autant que l’autre
actionnaire de SFR, Vodafone, n’est, lui, pas convaincu du tout que le potentiel du « quadruple play » est
beaucoup plus important que celui d’une niche. Bref, avec un droit de veto sur l’avenir de Neuf Cegetel grâce à
ses 40 %, SFR est aujourd’hui dans la confortable position de l’arbitre, en poste d’observation dans un monde
en devenir. En somme, pas de quoi parier à coup sûr sur une OPA au prix fort.
Valérie Segond