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I.S.T.I – Bruxelles
Lundi, le 9 février 2004
La définition terminologique ou les définitions
terminologiques ?
Isabel DESMET
Université Paris 8 et Université Paris 3 – E.S.I.T.
Introduction
1. De la définition lexicographique à la définition
terminologique ou terminographique : analyses du sens
lexical
2. Quelques règles de base
3. Différents types de systèmes conceptuels et différents
types de définition terminologique ou terminographique
3.1 Différents types de systèmes conceptuels
3.2 Différents types de définitions terminologiques
Conclusion
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1. De la définition lexicographique à la définition
terminologique ou terminographique : analyses du
sens lexical
Nous disposons, à l’heure actuelle, de trois modèles d’analyse
du sens lexical :
- le modèle aristotélicien,
- le modèle de l’analyse sémique ou componentielle,
- le modèle du prototype et du stéréotype.
Le modèle aristotélicien est à la base de l’analyse du sens des
unités terminologiques (termes), formant le lexique de
spécialité.
Il est également à la base de l’analyse du sens des unités
lexicales fournie par les énoncés définitoires des dictionnaires
(c’est-à-dire par les définitions lexicographiques).
Tout dictionnaire essaye de répondre à la question Q’estce qu’un X ? La réponse la plus naturelle est la suivante :
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Un X est une sorte de Y qui possède les caractéristiques a,
b, c, …
Il s’agit d’une définition par inclusion, d’une définition
logique ou encore d’une définition hyperonymique. C’est la
définition aristotélicienne par excellence.
L’énoncé du dictionnaire a une valeur générique et représente,
dans le cas des définitions par inclusion, une analyse du sens
(dénotatif) des unités lexicales. Cette représentation du sens
lexical qui procède selon les catégories logiques inaugurées
par Aristote (genre et espèce) est en rapport avec la théorie
sémantique dans laquelle s’inscrit le dictionnaire.
Le modèle aristotélicien
Genre prochain et différences spécifiques
La définition bâtie sur le modèle aristotélicien consiste à
désigner d’abord le genre (la classe générale de l’objet), dont
relève le référent (l’objet) du nom à définir, puis à spécifier les
différences qui le séparent des autres espèces appartenant au
même genre.
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Ex. Fonte : alliage de fer et de carbone obtenu dans les hauts
fourneaux par le traitement des minerais de fer au moyen de
coke métallurgique (fusion réductrice). La fonte engendre
l’acier par fusion oxydante (affinage). Fontes de moulage,
fontes grises, fontes d’affinage, fontes blanches, fontes
spéciales….. (Petit Robert)
Dans cette définition, nous avons :
l’incluant (le genre, l’hyperonyme) de fonte – alliage – qui
nomme la catégorie générale à laquelle appartient le référent
(l’objet) ;
les traits différentiateurs (différences spécifiques) – fer et
carbone -, qui le distinguent des autres alliages (laiton, bronze,
etc. ) .
Nous
avons
donc
une
définition
en
intension
(compréhension) du signe linguistique « fonte ».
Par la suite, nous avons une information de type utilitaire ou
fonctionnel : le processus d’obtention de cet alliage.
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Enfin, nous avons des exemples de fontes ; c’est la définition
par l’exemple ou par extension. Nous avons l’extension du
concept de « fonte ».
La combinaison de ces trois informations – définition en
intension, définition en extension et définition fonctionnelle –
conduit en général à une bonne définition lexicographique.
Voyons deux exemples de définition par inclusion :
Grog : boisson faite d’eau chaude sucrée et d’eau de vie, de
rhum ;
Fauteuil : siège à dossier et à bras, à une seule place.
Remarques :
La lecture de la définition peut s’arrêter après l’incluant : le
grog est une boisson, le fauteuil est un siège.
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Nous pouvons également dire que le grog est un liquide et que
le fauteuil est un meuble, mais ces incluants
(genres,
hyperonymes) sont insuffisants pour l’analyse du sens.
Aristote distinguait alors trois genres : le genre prochain, le
genre éloigné et le genre suprême.
Par exemple, fauteuil entre dans une série d’inclusions : siège
(genre prochain), meuble (genre éloigné) et objet (genre
suprême).
Aristote recommandait de définir par le recours au genre
prochain. C’est la position, aujourd’hui, du lexicographe.
La définition par inclusion parle des choses, des référents ;
c’est une définition de la « chose nommée ».
Le modèle de cette définition est rapporté à la logique des
classes. La démarche consiste à inclure une classe d’objets
dans une autre classe (par exemple, la classe des fontes dans la
classe des alliages).
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Nous nous appuyons sur des exemples de définitions de noms,
mais le modèle s’applique également aux verbes et aux
adjectifs. Exs :
Agiter : remuer vivement en divers sens, en déterminant des
mouvements irréguliers ;
Minime : très petit ….(NPR)
La définition logique peut être hypospécifique, suffisante
ou hyperspécifique.
La définition est hypospécifique quand le nombre de traits
spécifiques est insuffisant.
Ex : Saharienne : veste de toile.
Il existe des vestes de toile qui ne sont pas des sahariennes ;
donc la définition ne permet pas de différencier l’objet
saharienne des autres objets partageant
prochain.
le même genre
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La définition est suffisante quand elle indique les conditions
nécessaires et suffisantes permettant d’isoler de façon
distinctive la classe d’objets à laquelle elle renvoie le signe.
Ex : Chamois : ruminant à cornes recourbées vivant dans les
hautes montagnes d’Europe (DFC).
La définition est hyperspécifique si elle énumère un nombre
élevé de traits, allant au-delà de la description nécessaire (des
caractéristiques superflues)
Ex : Chamois : ruminant à cornes lisses et recourbées au
sommet, aux jambes longues et fortes, qui se rencontre dans
les hautes montagnes de l’Europe où il grimpe et saute avec
agilité (GLLF).
Les définitions hyperspécifiques sont traditionnellement
appelées définitions encyclopédiques.
Conclusion : il n’existe pas pour un objet donné, une seule et
unique définition pertinente . D’ailleurs, les définitions par
inclusion d’un même défini présentent une grande variété de
contenu. Cela tient à la difficulté de sélectionner l’incluant et
les traits différentiateurs.
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Il n’est pas toujours facile de trouver l’hyperonyme adéquat.
Ex : un couteau peut être défini comme un ustensile de
cuisine, un instrument, un outil ou même une arme ; un
dressoir peut être défini comme une armoire (Littré), un buffet
(DFC), une étagère (NPR).
Quant aux traits distinctifs (caractéristiques spécifiques) de
l’objet, elles peuvent porter sur la description de l’objet, sur
son utilisation, sur ses modalités de fonctionnement, sur son
origine, etc.
Le flottement dans le nombre et le choix des traits spécifiques
est inhérent au modèle de la définition par inclusion.
Les limites du modèle
Il y a des unités lexicales qui ne peuvent pas être soumises à
l’analyse selon le genre et l’espèce :
les primitifs lexicaux (être, personne, objet)
les mots grammaticaux (car, que, etc.)
les mots exprimant un rapport partie – tout (méronymes /
holonymes).
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A côté des relations d’inclusion, d’autres relations structurent
le lexique sur le plan sémantique et morphologique. Elles sont
exploitées
dans
d’autres
formes
de
définitions
lexicographiques.
Autres types de définitions lexicographiques
la définition morphosémantique ;
la définition par synonyme ou antonyme ;
la définition métalinguistique.
La définition morphosémantique est réservée aux mots
construits (dérivés et composés) ; elle s’appuie sur la forme
complexe du mot-entrée et ne définit que l’affixe ou le lien de
composition. Ex : -ement « d’une manière » ; -age, -ation
« action de »
Les règles morphologiques se substituent à l’analyse du sens.
La définition par synonyme et la définition par antonyme
présentent une équivalence de contenu en tirant parti des
relations sémantiques entre les unités lexicales : relations
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d’antonymie (sec / humide) et relations de synonymie
(grailler / manger).
Elles posent souvent des problèmes.
La définition métalinguistique parle exclusivement du signe.
Elle est caractérisée par une copule explicite du genre « se dit
de » ou par l’apparition d’un incluant metalinguistique
« préposition », « surnom ». Elle est souvent utilisée pour
définir les mots grammaticaux.
Conclusion : la définition par inclusion reste la pièce
maîtresse du dispositif lexicographique (pour le lexique
général et pour le lexique spécialisé). Les différences entre la
définition
lexicographique
générale
et
la
définition
terminologique (du lexique scientifique et technique) se
trouvent souvent dans le choix des incluants et des différences
spécifiques.
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Exs :
sapin – arbre résineux (genre prochain résultant d’une
appréhension du monde commune à tous les locuteurs de la
langue française) ;
- conifère (genre prochain qui est un mot technique
relevant de la botanique (c’est-à-dire d’une classification /
taxinomie scientifique)) .
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2. Quelques règles de base
Les règles sont les mêmes que dans les dictionnaires de langue
générale :
a) homogéneité : même catégorie syntaxique : cela
signifie que la définition doit être substituable au
terme dans le contexte d’un point de vue
syntaxique et sémantique.
Ex : ampérométrique : (adj), qui s’effectue grâce à la
mesure de l’intensité d’un courant électrique.
Ici, « qui… » permet de définir un adjectif : par
exemple dosage ampérométrique de l’oxygène =
dosage qui s’effectue…..
b) non-circularité : pas de boucle courte en tous cas,
du genre boxer : pratiquer la boxe et boxe : art
de boxer
c) économie : on attend de la définition qu’elle soit
la plus courte possible, qu’elle énumère tous les
caractères
pertinents
et
seulement
ceux-ci.
Concise, complète, elle éclaire le sens du terme.
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3. Différents types de systèmes conceptuels et
différents types de définition terminologiques ou
terminographiques
3.1 Différents types de systèmes conceptuels
Certains auteurs ne distinguent que deux types de
systèmes conceptuels :
- les domaines théoriques (philosophie, sciences…) ;
- les
domaines
techniques
(ex :
l’exploitation
forestière)
Certains auteurs ne distinguent que deux types de
définition terminologique :
- la définition en compréhension
- la définition en extension
Note : voir Norme ISO 1087-1 – 2000
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Or, il existe une grande diversité de systèmes
conceptuels
et
de
relations
sémantiques
interconceptuelles.
En suivant les propositions d’A. Rey (1979), il convient
d’abord de distinguer conceptualisation stricto sensu
(théories pures et formalismes) et systématisation. Dans le
premier type, on trouve les théories mathématiques et
logiques ; dans le second, les sciences de la nature, dont les
objets sont des constructions toujours remodelées. Il faut
distinguer encore les systèmes obtenus par la structuration
et la régularisation d’une pratique (les techniques). Enfin,
on doit considérer aussi les systèmes élaborés par la
sémantique d’un discours, qu’il s’agisse d’une vérité
(religions, théories philosophiques) ou de constituer un
ensemble notionnel culturel et autodéfini (le droit).
Nous ajoutons :
- les systèmes à tendance universalisante (ex : chimie)
- les systèmes à forte charge culturelle (ex : architecture)
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Les caractéristiques des rapports sémantiques entre les
dénominations et les notions, et donc celles des définitions,
sont spécifiques à chaque type de système conceptuel, à
chaque type de connaissance scientifique.
Conclusion :
C’est la nature des systèmes conceptuels visés et des classes
d’objets à décrire qui commande en bonne partie la nature
des définitions .
La définition terminologique est « une sorte de compromis
entre
la
définition
lexicographique
et
la
description
encyclopédique destinée à améliorer l’usage des noms pour
leur permettre de fonctionner comme des termes, destinée
aussi à évoquer le mode de constitution des classes d’êtres et
le fonctionnement des schèmes conceptuels » (A. Rey).
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3.2 Différents types de définition terminologique
. définition en compréhension
. définition en extension
. définition par liens indirects :
- lien tout / partie (constitution d’un ensemble) :
« pièce faisant partie de …. »
- lien spatial : « mât qui se trouve à l’avant du
navire…devant…. »
- lien de succession temporelle : « phénomène qui
apparaît après le refroidissement…. »
- de matière, de couleur : « objet composé de résines
de synthèse, de couleur…..
- de finalité : « opération destinée à … »
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Conclusion
.Toutes ces formes de définition on leur pertinence,
car « la structuration d’un champ conceptuel reflète
une vision culturelle et scientifique déterminée de la
réalité ; dans ce sens, elle permet donc des approches
scientifiques différentes du même objet de base, et
des approches culturelles différentes d’une même
réalité » (T. Cabré (1998), La terminologie, p. 181
(traduction française de J. Humbley et M. Cormier)
. Il nous semble plus correct de parler de
« définitions terminologiques».