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Chapitre 3
Joey
C’est drôle, je n’imaginais pas du tout une cellule comme cela. D’abord, je pensais y
trouver des putes et des dealers, une odeur d’urine, des écritures de sang sur les murs. Peutêtre même un mec qui en étrangle un autre dans un coin. Je l’imaginais bondée également.
Ben, en fait, pas du tout.
C’est juste une pièce fermée, l’hygiène n’est pas au top, mais ça ne me donne pas non plus
l’impression d’être dans une fosse septique. Les seules choses écrites aux murs l’ont été faite
avec des feutres. Etrange qu’on ait laissé des gens entrer en cellule avec des feutres, ils
pourraient les tailler pour en faire des armes !
Bien sûr Joey, et comment est-ce qu’ils les tailleraient au juste, avec leurs dents ?
Oui, bon, j’ai peut-être regardé trop de films, mais je ne suis pas à blâmer, la télévision
l’est !
Pour l’odeur, tout ce que je peux sentir, c’est l'alcool qui semble coller à mon seul et
unique compagnon de cellule. Un homme vêtu d’un jeans usé jusqu’à la trame et si plein de
poussière qu’il doit pouvoir tenir droit tout seul, une chemise qui est dans un état tout aussi
lamentable et une parka kaki qui a, elle aussi, connu des jours meilleurs.
Ses longs cheveux noirs en bataille font concurrence à sa barbe de père noël. Mais une
version grunge du bonhomme en rouge bien sûr.
J’imagine mal le père noël en taule, quoi que, on peut considérer comme une entrée par
effraction le fait de se glisser dans la cheminée des gens… bref, de toute façon sa non
existence rend cette réflexion inutile – pas qu’elle ait eu une quelconque utilité première.
Et merde, Lily a raison, je suis incapable de conserver un train de pensée cohérent. Elle
pense que ça vient de ma blondeur, moi, je pense que ça vient de ma stupidité. L’avantage est
que ma beauté rend les autres gens tout aussi stupides que moi la plupart du temps. C’est
assez drôle d’ailleurs, ils me voient et se mettent à bafouiller ou me fixent d’un regard vide.
Mais ce n’est pas le moment de penser à ça.
Je m’avance dans la cellule et j’hésite un instant à m’asseoir sur le seul banc accroché au
mur, puisque l’autre y est déjà, mais je me décide finalement.
Il tourne un peu la tête vers moi et me lance un « salut ! »
Je lui réponds de même et le silence s’installe pour un instant, pendant lequel j’ai une
parfaite vue de l’officier James Bond qui me nargue avec un sourire narquois.
Il possède un certain charme qu’on ne peut pas renier, il doit avoir la quarantaine, une
épaisse masse de cheveux bruns, des yeux de la même couleur dans lesquels on lit une
certaine intelligence, mais son sourire et son air supérieur me le rendent terriblement
antipathique.
- C’est quoi son problème à Pierce Brosnan ? grogné-je pour moi-même.
- Sais pas, me répond mon voisin de cellule en se calant contre le mur et en
refermant les pans de son manteau autour de lui, comme si l’heure de la sieste
venait de sonner. Mais il m’a pris ma bouteille.
- Pas cool, je réponds d’un ton compatissant.
Cette sympathie semble me faire gagner de l’intérêt aux yeux de mon voisin de cellule qui
se redresse légèrement pour me fixer de son regard bleu nuit un peu vitreux.
- Je sais, répond-t-il. Pourquoi ils t’ont embarqué toi ?
- J’ai cogné sur l’ex de ma sœur.
Il se redresse encore d’avantage et me détaille avant de hausser les épaules comme s’il ne
voyait pas de mal à ça.
- C’était ton devoir en tant que frère, il souffle après un instant avec un air un peu
triste.
- Exactement.
Je me calle à mon tour contre le mur, plus gêné du tout par mon compagnon, et je rends
son regard supérieur à Pierce Brosnan.
- T’es là depuis longtemps ? je demande quand le silence commence à me peser.
- Bah, je commence à peine à dessaouler, alors je pense que non.
Je souris malgré moi à sa réponse.
- Tu fais quoi dans la vie, me demande-t-il à son tour.
- Je suis top model, et toi ?
- Je clochardise.
Evidemment, quelle question stupide. Je suis vraiment plus con que la moyenne, moi.
- Ça craint.
- Ouais… je m’appelle Dustin.
- Joey.
On se serre la main et je me dis que vraiment, j’aurais pu tomber pire.
Lily
Comme toujours mon bureau est parfaitement rangé, le mur vitré offre toute la
luminosité dont j’ai besoin et je suis heureuse de me retrouver au calme après ma course au
centre commercial.
Le bon côté est que j’ai trouvé un cadeau pour Joey. Avec un soupir de satisfaction, je me
laisse tomber dans mon fauteuil de bureau et pose mon sac à côté de moi.
J’ai l’affreuse impression que mes chaussures à talons sont maintenant incrustées à mes
pieds à force d’avoir couru dans tous les sens.
Je prends encore deux minutes pour siroter le café que je me suis acheté en chemin avant
de me mettre au boulot.
Je commence à peine mon rapport lorsque mon téléphone se met à sonner, je fais signe à
travers la vitre pour faire comprendre à mon assistante de prendre le message, elle secoue la
tête et fonce dans mon bureau avec un air catastrophé, sa queue de cheval sautillant à ses pas
précipités :
- Votre frère au téléphone !
- Et c’est ça qui te met dans cet état ?
Je sais qu’elle en pince pour Joey, comme à peu près toutes mes connaissances qui ont eu
le malheur de le croiser, mais je ne savais pas que c’était à ce point.
- Oh, décrochez, vous n’allez pas être déçue, me répond-t-elle luttant difficilement
contre un sourire.
Je fais ce qu’elle me demande et prends la ligne. Je calle le téléphone entre mon oreille et
mon épaule pour continuer à taper mon bilan.
- Hé Joey, ça va ?
- Plutôt bien. La taule, c’est pas si terrible que ça.
- Super… quoi ?
- J’ai plus ou moins été arrêté pour avoir casser la gueule d’Henry.
Après un instant de stupeur, je ne peux m’empêcher d’éclater de rire. Je n’imagine pas du
tout mon frère frapper qui que ce soit, Joey est un nounours géant. Il est aussi doux que naïf.
Je me demande bien ce que ce con d’Henry a pu faire pour le pousser à bout. Puis tout à
coup, la lumière se fait : quoi qu’il ait fait, une seule chose pouvait pousser Joey à réagir
comme ça, moi.
Mon rire s’efface.
- Ok, bon, je viens te faire sortir de là.
- Merci Lily, récupère le chien d’abord, ils l’ont mis à la fourrière le pauvre.
- Joey, tu es en prison !
- Le chien aussi !
Avec un soupire exaspéré, j’accepte finalement. Pas la peine de lutter avec la logique
personnelle de Joey. Je demande à mon assistante d’annuler mon rendez-vous de l’aprèsmidi et je me mets en route.
Joey
Après mon coup de fil à Lily, je reviens en cellule et reprends ma place à côté de Dustin.
- Ta sœur va venir ? demande-t-il avec un haussement de sourcil.
- Ouais.
- Alors pourquoi t’as l’air au trente-sixième dessous ?
Je ne peux m’empêcher de lâcher un rire nerveux.
- C’est mon anniversaire, et je le passe en cellule.
- Bon anniversaire, mec, rigole Dustin en me mettant un coup d’épaule.
On se retrouve à rire comme deux crétins, alors que la situation n’a pas grand-chose de
drôle et Pierce Brosnan nous lance un regard curieux depuis son bureau avant de secouer la
tête avec une mine désespérée.
- Ça te fait quel âge ?
- Trente ans.
Dustin s’arrête et me regarde comme si j’étais un extra-terrestre avant de conclure en se
recalant contre le mur.
- Tu ne les fais pas du tout.
- Vraiment ?
Un sourire revient sur ses lèvres quand il entend la note heureuse dans ma voix.
- Carrément pas, répond-t-il. J’aurais dit vingt-six au maximum.
Je crois que si j’avais été sûr que son manteau n’avait pas de puces, je l’aurais pris dans
mes bras sur l’instant.
Un sourire trouve place sur mes lèvres, j’aurais sûrement remis en doute la parole de
quelqu’un d’autre (ma sœur aurait voulu me réconforter, les autres me lécher les bottes) mais
Dustin n’a aucune raison de mentir.
- Hey, Dusty1! lance un nouveau flic en ouvrant la cellule. Tu peux sortir.
En voyant ce sale con, je me dis que finalement, Pierce Brosnan n’est pas si mal avec ses
grands airs de méga justicier.
D’autant plus lorsque je l’entends réprimander son collègue. Je n’ai jamais compris les
gens qui ont le complexe du héros, ce besoin de se battre contre toutes les injustices du
monde en sachant que personne ne viendra à leur aide le jour où les rôles seront inversés.
Mais sur l’instant, j’apprécie parce que Dustin ne se serait pas défendu lui-même, il ne tient
pas à passer le reste de la nuit en cellule.
Je me demande où il va la passer.
- Content de t’avoir rencontré Joey, me lance-t-il avec un hochement de tête avant de
sortir, baissant son regard hanté vers le sol.
- Moi aussi Dustin !
1
Poussiéreux
Lily
- J’ai toujours la clé du garage dans lequel se trouvent tes voitures de collections.
- Lily ?
Qui d’autre, connard ? J’ai été longtemps abattue après notre divorce, si bien que la
semaine dernière, je n’aurais même pas voulu téléphoner à Henry. Mais je sais que peu de
chose peuvent mettre Joey assez en colère pour qu’il en vienne aux mains. Ça a quelque chose
à voir avec moi. Je fonctionne de la même façon. On ne touche pas à mon petit frère. Et la
colère qui me guide à présent est assez forte pour que j’oublie d’avoir mal.
- Moi-même. Maintenant, tu vas retirer ta plainte contre Joey ou il pourrait arriver
quelques bricoles à tes bagnoles.
- Je ne vais pas retirer ma plainte contre lui, Lil, il m’a cassé le nez !
Est-ce mal de jubiler en entendant ça ? Sûrement, mais je m’en fous. Je crois que je n’ai
jamais autant aimé mon frère.
- Epargne-moi tes « Lil » et réfléchis bien avant de te prononcer. Est-ce que tu es sûr
de vouloir prendre le risque qu’il arrive quelque chose à tes bébés ? J’ai toujours
trouvé ta corvette trop verte, je pense quelques zébrures lui feraient du bien, t’en dis
quoi ?
- Tu ne ferais pas ça…
- Tu veux parier ?
S’il pense que je plaisante, c’est qu’il ne sait pas à quel point sa trahison m’a changée.
J’étais la parfaite petite épouse, j’aurais fait n’importe quoi pour lui. Mais c’est du passé.
Quelques instants s’écoulent et je commence à perdre patience, quand finalement,
j’entends son ton dépité.
- Très bien.
- Je savais que tu étais un homme raisonnable. Fais-le tout de suite.
Sur ce, je raccroche.
Joey
- T’es libre Blondie.
- Hanson, arrête avec ces surnoms débiles ou c’est toi que je fous en cellule !
Pierce Brosnan, au secours des opprimés !
Je me lève et prends la sortie. J’ignore magnifiquement le guignol qui m’a ouvert et me
dirige vers le bureau où je trouve ma sœur qui m’accueille avec un sourire.
- Qu’est-ce qui se passe ? demandé-je.
- Monsieur Jenner a retiré sa plainte, m’annonce Brosnan.
- Sérieusement ?
Lily hoche la tête avec un sourire machiavélique qui me laisse penser qu’elle n’y est pas
pour rien. Je souris à mon tour, jusqu’à ce que je voie le regard de Brosnan scruter ma sœur.
Il n’a pas loupé notre échange et je pense qu’il vaut mieux ne pas trainer dans le coin étant
donné qu’il n’arrête pas de la fixer en fronçant les sourcils.
Je signe rapidement les papiers que l’on me tend et je passe un bras autour de Lily en
sortant du poste de police.
- Qu’est-ce que tu as fait ? chuchoté-je à son intention.
- Moi ? Rien.
Son sourire parait trop innocent pour l’être réellement.
On se dirige vers la voiture de Lily, dans laquelle Spark attend déjà, quand du coin de
l’œil, je repère Dustin assis seul sur un banc, il m’accorde un hochement de tête et un sourire
et je me sens mal.
- Hey, Dustin ! lancé-je. Tu viens, on va dîner pour célébrer mon anniversaire.
Il lance un regard interrogateur vers Lily, semblant demander si ça ne risque pas de poser
un problème, mais lorsque j’insiste, il récupère son sac et se dirige vers nous.
- Pourquoi est-ce qu’on va dîner avec l’homme des bois ? murmure ma sœur.
- Je l’aime bien, il est sympa.
- Tu ne le connais pas.
Je prends un air songeur et je la fixe une seconde avant de répondre le plus sérieusement
du monde :
- La prison forge des liens, Lily.
Ma sœur lève les yeux au ciel, mais lorsque Dustin arrive à notre hauteur, elle se présente
poliment et lui serre la main.