La désignation bénéficiaire, un havre de

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La désignation bénéficiaire, un havre de
ACTUASSURANCE – LA REVUE NUMERIQUE EN DROIT DES ASSURANCES
Publication n° 33 NOV - DEC 2013
La désignation bénéficiaire, un havre de complexité…
Jean-Jacques Branche
Chargé d’Enseignement à l’Université Jean Moulin Lyon 3
Chargé d’Enseignement auprès de l’Ecole Polytechnique d’Assurances
Auteur de « L’approche patrimoniale de l’assurance-vie ». IS-Editions
La clause bénéficiaire a pour objet de désigner un ou plusieurs bénéficiaires
auxquels sera transmis le capital décès dans des conditions dérogatoires au droit
des successions.
- En l’absence de bénéficiaire désigné, le contrat est valable mais le capital ou la
rente garantis font partie du patrimoine ou de la succession de l’assuré (Art.
L132-11 C.Ass)
- Lorsqu’un bénéficiaire est désigné, le capital ou la rente garantis ne font pas
partie de la succession de l’assuré. Le bénéficiaire est réputé y avoir seul droit à
partir du jour du contrat, même si son acceptation est postérieure à la mort de
l’assuré (Art L132-12 C.Ass).
Intérêts de la désignation d’un bénéficiaire : Art. L132-13 C.Ass :
Le capital ou la rente payables au décès de l’assuré à un bénéficiaire déterminé
ne sont soumis ni aux règles du rapport à succession, ni à celles de la réduction
pour atteinte à la réserve des héritiers de l’assuré. Cependant, le recours au droit
des successions peut s'avérer nécessaire pour interpréter la clause bénéficiaire du
contrat et identifier les bénéficiaires de la prestation.
1. Quelques rappels liminaires
L'absence de désignation d’un bénéficiaire entraîne des conséquences sur le plan
civil et fiscal.
En effet, à défaut de bénéficiaire déterminé (nom et prénom par exemple) ou
déterminable (les héritiers, le conjoint…) au jour du décès, le capital constitué
sur le contrat fait partie du patrimoine ou de la succession du contractant.
En conséquence le contrat ne disposera pas de la fiscalité de l’assurance vie
mais du régime de droit commun en matière de succession.
1.1 Désignation : «Mon conjoint »
Celui qui a cette qualité au jour du décès de l’assuré. (Art. L 132.8 du C. Ass.).
Le cas du « mélange » qualité-identité peut faire naître des contestations au jour
du décès de l’assuré.
Attention un partenaire pacsé ou un concubin ne sont pas « un conjoint » !!
Pour évincer le conjoint séparé ou en instance de divorce il est nécessaire que
cela soit prévu dans la désignation.
On pourra rédiger alors la clause : “ mon conjoint, non divorcé, contre lequel
n'existe pas de jugement de séparation de corps passé en force de chose jugée et
qui n'est pas engagé dans une instance en divorce ou séparation de corps, à
défaut … ”.
1.2 Désignation : « Mes ayants droits »
Attention : cette désignation bénéficiaire inclut les héritiers mais aussi les
créanciers de l’assuré !
1.3 Désignation : « Mes héritiers »
Pour Messieurs Picard et Besson il faut entendre par héritiers « tous les
successibles, non seulement les héritiers légitimes ou naturels, mais encore les
successeurs irréguliers, dès lors que la mort de l’assuré les met en rang utile
pour succéder ».
Un arrêt de la Cour de Cassation du 04/04/78 a estimé que le terme "héritiers"
englobait tous les successeurs et non pas seulement les héritiers ab intestat.
Art. L 132-8 C. Ass. : Les héritiers, ainsi désignés, ont droit au bénéfice de
l'assurance en proportion de leurs parts héréditaires.
1.4 Désignation : « Mes héritiers légaux »
Cela vise les enfants, le conjoint mais exclut les légataires.
La notion d’héritier dans la succession et en assurance vie
Réponse Ministérielle LAFFINEUR N°44814 en date du 28 juillet 2009
La notion « d’héritier » au sens du code civil et celle visée par le code des
assurances sont identiques.
Par contre, en ce qui concerne la clause bénéficiaire, le libellé souvent retenu
«d’héritiers ou d’ayants droit de l’assuré » permet, selon la ministre,
«d'englober non seulement les héritiers légaux mais aussi tous les successibles
dont le légataire universel.
En présence d'une telle clause, ces derniers ont donc vocation à bénéficier du
capital décès sans que l'on puisse y voir une contradiction avec la notion
d'héritier au sens du code civil.
Attention, Lorsque les clauses bénéficiaires font uniquement référence aux
«héritiers », les tribunaux sont parfois amenés à effectuer une interprétation de
l'intention du souscripteur, ce qui est source d’insécurité majeure (cf. les
exemples ci-après). Il faut donc en général préciser cette notion.
1.5 L’article L.132-8 du Code des Assurances précise que le bénéficiaire
peut être désigné nominativement ou par sa qualité
- Détermination par le nom
Le nom du bénéficiaire doit être clairement indiqué dans la clause
Pour éviter toute erreur ou homonymie, il est utile d’y ajouter des éléments tels
que la date de naissance ou le deuxième prénom :
Exemple : M. Dominique de La Palque, né le 23 Février 1955 à…
- Détermination par la qualité
Le bénéficiaire peut être désigné par sa qualité si elle est sans ambiguïté et a un
sens juridique :
A privilégier : mon conjoint, mes enfants, mes héritiers, ...
A proscrire : mon concubin, mes cousins, mes amis, mes neveux.
Il faut le plus souvent éviter le mélange qualité et identité. Ainsi, si Monsieur T
désigne comme bénéficiaire de son contrat d’assurance vie « Mademoiselle
Zouzou Aimdé mon assistante, à défaut mes héritiers. » et qu’au jours de son
décès Mademoiselle Zouzou n’est plus son assistante, est-elle encore
bénéficiaire du contrat ? L’épouse de Monsieur T soutiendra évidemment que
non alors que Mademoiselle Zouzou mettra en avant ses qualités personnelles
qui l’on fait être désignée comme bénéficiaire, sa fonction d’assistante étant
accessoire… Inévitablement se seront les juges qui seront amenés à trancher et il
n’est exclu que l’ordre (qualité-identé vs identé-qualité) soit décisif dans la
recherche d’interprétation de la volonté du souscripteur.
La désignation du bénéficiaire ne doit pas avoir une cause immorale ou illicite.
Mais compte tenu de l’évolution du droit et des moeurs, la nullité de la clause
bénéficiaire comme contraire à l’ordre public ou aux bonnes mœurs devrait être
exceptionnelle.
La cour de Cassation considère d’ailleurs comme valable le contrat d’assurance
vie souscrit au profit de la maîtresse du souscripteur (Civ.1, 25/01/2005, n°202
F-PB).
La désignation du bénéficiaire est révocable de plein droit :
- en cas d’ingratitude du bénéficiaire (tentative d’homicide sur la personne du
souscripteur ou de l’assuré)
- si le bénéficiaire a été condamné pour avoir volontairement donné la mort à
l’assuré (Art. L 132-24 du Code des assurances).
1.6 Clauses bénéficiaires en présence d’enfants d’un autre lit
L’attribution par la loi de droits en PP (1/4) si il y a présence d’enfants d’un
précédent mariage peut déjouer les prévisions d’un époux ayant fait une
donation en usufruit seulement au conjoint pour protéger les droits des enfants
du premier lit.
En effet même si le cumul n’est pas possible le conjoint peut renoncer à la
donation.
La clause bénéficiaire ne devra pas renvoyer aux droits du conjoint sur la
succession mais prévoir uniquement des droits en usufruit. Nous pouvons
dégager deux objectifs différents :
L’objectif du souscripteur est très souvent de protéger les droits des enfants
d’un précédent mariage
Une première possibilité donnant des droits immédiats en pleine propriété aux
enfants du premier lit serait :
“ Je désigne comme bénéficiaire :
Mes enfants X et Y (désigner les enfants nés du précédent mariage), vivants ou
représentés, dans la proportion de leurs droits réservataires dans ma succession,
en pleine propriété, à défaut de l’un d’eux (ou des deux) pour sa part (ou leurs
parts) je désigne mes enfants Z et W et ceux à naître, vivants ou représentés, par
parts égales. Pour le solde : …. »
Une deuxième possibilité privilégiant le train de vie du conjoint pourrait être :
“ Je désigne comme bénéficiaire :
Mon conjoint, non divorcé, contre lequel n'existe pas de jugement de séparation
de corps passé en force de chose jugée et qui n'est pas engagé dans une instance
en divorce ou séparation de corps pour l’usufruit et mes enfants né ou à naître
vivants ou représentés par parts égales pour la nue propriété. Mon conjoint devra
faire remploi de la part des sommes reçues dont mes enfants X et Y sont nuspropriétaires dans un bien offrant toute sécurité sur le capital investi. Cette part
de capital sera versée entre les mains du notaire chargé de la succession, ce
paiement étant libératoire pour l’assureur (préciser alors cette clause selon le
cas soumis). Pour le reste de son droit d’usufruit il sera…(adapter la clause en
dispensant par exemple de fournir caution)”.
2. les héritiers ne sont pas toujours ceux à qui l’on pense.
2.1. Le cas de Charlotte « la chouchoute »
Cass. 2e civ. 12 mai 2010 n09-11.256
Monsieur Fraise, marié sans enfant, a 3 nièces dont une qu’il préfère : Charlotte.
Il souscrit un contrat d’assurance vie au bénéfice de : son conjoint à défaut
Charlotte.
Il désigne Charlotte comme légataire universelle par testament.
Il souscrit un autre contrat d’assurance au bénéfice de ses héritiers.
Son épouse décède.
Il décède …
La compagnie paye le bénéfice des deux contrats à Charlotte …. Les deux
autres nièces attaquent …
Décision de la Cour de Cassation, 2e civ. 12 mai 2010 n09-11.256,
« Attendu, selon l'arrêt attaqué (Angers, 10 décembre 2008), que Serge X...,
décédé le 14 juin 2003, avait souscrit auprès de la société Ecureuil vie, aux
droits de laquelle est venue la société Caisse nationale de prévoyance
(l'assureur), deux contrats d'assurance sur la vie ; que celui souscrit le 24 mars
1992 désignait comme bénéficiaires en cas de décès " mon conjoint, à défaut
ma nièce Mme Y... épouse Z..., à défaut mes héritiers " et le second, en date
du 17 février 1999, mentionnait comme bénéficiaires " mes héritiers " ; qu'aux
termes d'un testament du 28 mars 1992, Serge X... avait institué Mme Z...
légataire universelle ; que l'assureur a versé à Mme Z... le capital décès prévu
aux contrats ; que les deux autres nièces du défunt, Mme B... et Annick X..., ont
assigné l'assureur aux fins d'obtenir sa condamnation à leur payer la somme de
15 244, 90 euros au titre de droit au bénéfice de l'assurance sur la vie souscrite le
17 février 1999 en proportion de leur part héréditaire, augmentée des intérêts ;
que Mme A..., en sa qualité d'héritière de sa mère Annick X..., décédée le 25
juillet 2006, est intervenue volontairement à l'instance ; que l'assureur a appelé
en intervention forcée Mme Z... ;
Attendu que l'assureur et Mme Z... font grief à l'arrêt de déclarer Annick X... et
Mmes B... et Z... bénéficiaires du contrat souscrit le 17 février 1999 par Serge
X... et de condamner l'assureur à payer à Mme B... la somme de 15 244 euros,
outre diverses sommes au titre de l'article 700 du code de procédure civile ; »
« Mais attendu que l'arrêt retient que selon les dispositions du code civil sont
héritières de Serge X..., ce qui n'est pas contesté par aucune des parties, ses trois
nièces, non réservataires, Annick X... et Mmes B... et Z... ; que le legs universel
consenti par Serge X... à Mme Z..., aux termes de son testament, a eu pour effet
de donner à celle-ci l'universalité des biens qu'il a laissée à son décès, selon les
termes de l'article 1003 du code civil, sans pour autant faire perdre à ses nièces,
parents désignés par la loi, leur qualité d'héritières ; que selon l'article L. 132-12
du code des assurances, « le capital ou la rente stipulés payables lors du décès de
l'assuré à un bénéficiaire déterminé ou à ses héritiers ne font pas partie de la
succession de l'assuré » et « le bénéficiaire, quelles que soient la forme et la date
de sa désignation, est réputé y avoir eu seul droit à partir du jour du contrat,
même si son acceptation est postérieure à la mort de l'assuré » ; que Serge X...,
après avoir institué Mme Z... en tant que sa légataire universelle, en 1992, a
désigné ses héritiers en tant que bénéficiaires du contrat d'assurance sur la
vie en cause, en 1999, ce qui montrait sa volonté de gratifier les personnes
ayant cette qualité et non pas seulement celle ayant la qualité de légataire
universelle ; que ceci est corroboré par le fait que, le 24 mars 1992, il a désigné
comme bénéficiaires d'un précédent contrat d'assurance sur la vie son conjoint, à
défaut sa nièce Mme Z... et à défaut ses héritiers, montrant par là qu'il a su créer
un ordre de bénéficiaires de son contrat selon sa volonté d'alors ».
On se rend compte, dans cet arrêt, que les contrats précédemment souscrits et les
dispositions testamentaires peuvent influer sur le sens à donner au terme
« héritiers ». D’où l’importance de bien rédiger les clauses bénéficiaires pour ne
pas être soumis à l’interprétation que peuvent faire les juges d’une clause
imprécise ou équivoque.
2.2 Décédé trop tôt …ou le cas du décès du bénéficiaire après l’assuré mais
avant l’acceptation
Philippe, bénéficiaire d’un contrat, décède après l’assuré mais avant d’avoir pu
accepter. le bénéfice du contrat.
La clause bénéficiaire était : «à mon fils Philippe»
Qui est bénéficiaire ?
Quelle est la fiscalité des capitaux décès ?
La précision civile
Cass. 1ère civ. 5 novembre 2008 (n°07-14.598) ; Cass. 2ème civ. 17 septembre
2009 (n°08-17.040) :
« Si le bénéfice d'une stipulation pour autrui est en principe transmis aux
héritiers du bénéficiaire désigné lorsque celui-ci vient à décéder après le
stipulant mais sans avoir déclaré son acceptation, il en va autrement lorsque le
stipulant, souscripteur d'une assurance-vie, a désigné d'autres bénéficiaires de
même rang ou en sous-ordre sans réserver les droits des héritiers des
bénéficiaires premiers nommés »
Ainsi, lorsqu’un bénéficiaire est décédé sans avoir accepté le contrat, le bénéfice
du contrat est transmis à ses héritiers sauf s’il y a des bénéficiaires désignés de
même rang ou de rang inférieur.
La précision fiscale
Réponse ministérielle Meslot (AN 14 septembre 2010 p.10062 n60434).
Dans le cas où le bénéficiaire décède peu après l'assuré avant d'avoir perçu les
sommes:
1. lorsque le bénéficiaire est décédé alors qu'il a accepté le contrat, les capitaux
entrent dans sa succession (…).
2. lorsque le bénéficiaire est décédé sans avoir accepté le contrat, le bénéfice du
contrat est transmis à ses héritiers.
Les sommes versées directement par l'assureur, à la suite du décès de l'assuré,
aux héritiers du bénéficiaire décédé seront imposées entre leurs mains selon les
dispositions des articles 757 B ou 990 I du CGI applicables aux primes des
contrats d'assurance vie.
La réponse est donc : Les héritiers de Philippe avec la fiscalité de l’assurance
vie.
3. Les désignations bénéficiaires maladroites mais des jugements d’équités
3.1 A propos de la représentation
3.1.1. La cour d’appel de Rennes : (C.A. Rennes 6 nov. 2002)
Le concubin a été assimilé au conjoint alors que le souscripteur n’avait pas de
conjoint et vivait avec son concubin depuis bien avant la souscription du contrat.
La Cour d’appel, tout en refusant d’assimiler systématiquement la qualité de
conjoint à celle de concubin, a estimé, qu’en l’espèce, “l’intention réelle de la
concubine était de gratifier son compagnon”.
3.1.2. La cour d’appel de Paris : (C.A. Paris du 30.4.2002, 7e ch. section A. RG,
N 2000/ 11781)
Clause ne prévoyant pas la représentation.
En appel, l'assureur, et la banque qui commercialisait le contrat, ont été
condamnés à verser à la fille de l’enfant prédécédé une somme de 9 000 € (soit
environ la moitié du capital garanti), pour l'avoir privée d'une chance de
bénéficier de l'assurance, en manquant à leur devoir de conseil à l'égard de sa
grand-mère.
Ces professionnels n'auraient pas dû laisser celle-ci signer une clause
bénéficiaire inadaptée (évoquant des enfants "à naître" pour une femme âgée de
84 ans à la souscription) et pouvant l'induire en erreur sur l'identité des
bénéficiaires en cas de prédécès de l'un de ses enfants.
3.1.3 Autre cas dans lequel la représentation non expressément prévue s’est
appliquée
Une personne, Madame Z, souscrit un contrat en désignant comme
bénéficiaires : « à parts égales Robert Y et Victorin Y (ses frères) et Annie A (sa
nièce) à défaut leurs héritiers, à défaut mes héritiers ».
Robert Y décède avant Madame Z sans avoir accepté le bénéfice du contrat.
Lors du décès de Madame Z la compagnie verse les capitaux aux deux autres
bénéficiaires, Victorin et Annie. Les enfants de Robert assignent l’assureur pour
obtenir leur part. La cour d’appel condamne l’assureur à leur verser leur part,
jugeant qu’il n’y avait aucun doute sur la « volonté clairement exprimée de
Madame Z de voir les fonds versés aux héritiers de Robert ». La cour de
cassation (civ.2e, 13 juin 2013, pourvoi N° 12-20518) rejette le pourvoi de
l’assureur. C’est donc lui qui devra payer les héritiers lésés et non à ces derniers
de rembourser le trop-perçu.
Encore une fois cette désignation n’était pas assez précise et a donc laissé la
possibilité d’interpréter la volonté du souscripteur.
Illustration
MR X, marié a deux enfants et des petits enfants.
Il a le choix entre deux désignations qui peuvent paraître assez proches.
Laquelle choisir ?
1. Mon fils Y et ma fille Z vivants ou représentés par parts égales à défaut mes
héritiers
2. Pour 50% mon fils Y à défaut ses enfants vivants ou représentés par parts
égales, à défaut ma fille Z vivante ou représentée, à défaut mes héritiers et pour
50% ma fille Z à défaut ses enfants par parts égales vivants ou représentés à
défaut mon fils Y vivant ou représentés à défaut mes héritiers.
Que les enfants Y ou Z soient vivants ou décès en cas d’acceptation des
bénéficiaires ces deux clauses sont identiques.
La deuxième désignation à cependant l’avantage de laisser au bénéficiaire de
premier rang la possibilité de renoncer (renonciation pure et simple) au bénéfice
du contrat.
Ce sont alors les bénéficiaires de second rang (ses enfants) qui percevront la part
qu‘il aurait du recevoir. En effet dans la première clause si Y renonce par
exemple sa part viendra accroître celle de Z.
Une rédaction alternative plus simple à rédiger serait :
…mes enfants vivants ou représentés (la représentation pouvant se réaliser en
cas de décès d’un bénéficiaire avant acceptation du bénéfice du contrat ou pour
le cas de sa renonciation à ce bénéfice).
3.1 La rédaction bénéficiaire par testament
Une clause bénéficiaire par testament très mal rédigée
Un particulier décède laissant pour lui succéder trois filles. Dans un testament
olographe, il déclare léguer le capital d'un contrat d'assurance vie à sa fille aînée
et aux deux enfants de celle-ci.
Ses deux autres filles assignent leur soeur en liquidation et en partage de la
succession estimant que ce capital constitue une libéralité, avec toutes les
conséquences successorales qui s'en suivent, telles que la réductibilité pour
atteinte à la réserve héréditaire.
La cour d'appel fait droit à cette requête et ordonne le séquestre du capital
d'assurance vie.
Les bénéficiaires du capital décès se pourvoient en cassation car ils estiment
qu'il résulte des articles L132-8 et L132-12 du Code des assurances que « le
capital stipulé payable lors du décès de l'assuré à un bénéficiaire déterminé ne
fait pas partie de la succession de l'assuré » puisque « le bénéficiaire, quelles
que soient la forme et la date de sa désignation, laquelle peut être faite par
testament, est réputé y avoir eu seul droit à partir du jour du contrat ».
La Cour de cassation rejette ce pourvoi, considérant que « c'est par une
appréciation souveraine de sa volonté que la cour d'appel a admis que le
souscripteur avait entendu inclure ce capital dans sa succession et en gratifier
les bénéficiaires désignés ». Cass. civ. 1, 10 octobre 2012, n° 11-17891.
Bien entendu la terminologie adoptée par le testateur ne souffre aucune autre
interprétation et cela ne correspond sans doute pas à sa volonté. Il est donc
particulièrement important, selon moi, de ne jamais rédiger une clause
bénéficiaire sur le testament du souscripteur pour éviter tout risque. On peut par
contre tout à fait rédiger la clause en la forme testamentaire et la déposer chez
son notaire qui l’enregistrera au fichier des dernières volontés.
3.2 Désignation bénéficiaire et non respect des charges et conditions
Les charges ou conditions ne doivent pas être contraires à l'ordre moral ou
limiter les libertés fondamentales du bénéficiaire.
Elles doivent être également suffisamment claires pour pouvoir s’imposer aux
bénéficiaires. Par exemple la Cour de cassation a considéré que, dans le cadre
d'un contrat « obsèques », le bénéficiaire désigné n’était pas obligé d'utiliser le
capital décès pour régler les frais d'obsèques, car « le contrat ne prévoyait pas
expressément l'affectation du capital garanti à la couverture des frais
funéraires » (Civ. 1re, 17 mars 2010, n° 08-20.426).
Il est important de noter que l’assureur n’est pas tenu à l’obligation de
vérification que les charges ou conditions sont bien appliquées lorsque celles-ci
perdurent au-delà du règlement des capitaux. Par contre si la condition peut être
vérifiée avant le paiement du capital, l’assureur le fera.
Le souscripteur pourra alors prévoir dans la clause bénéficiaire qu'un tiers ou un
notaire le vérifie et, à défaut d'une bonne exécution, que le capital soit reversé
par le bénéficiaire défaillant à un autre bénéficiaire de second rang.
Il convient cependant d’être très prudent dans la mise en place de conditions ou
charges car il peut être très difficile voir impossible de vérifier si le bénéficiaire
s’en acquitte bien.
4. La possibilité de prévoir le rapport et la réduction en assurance vie
Je préfère ma fille... mais j’aime bien aussi mon fils
Roland, veuf, souscrit un contrat au profit de sa fille et…. précise par testament :
« Je lègue à ma fille F. la quotité disponible en toute propriété de l’universalité
des biens, droits et actions mobilières et immobilières qui composeront ma
succession sans exception ni réserve. Je précise que dans son lot devront figurer
(…) ainsi que l’intégralité des contrats d’assurance-vie »
A son décès :
Sa fille touche les capitaux décès du contrat et sa réserve plus la quotité
disponible sur la succession…
Son fils n’est pas content du tout et intente un procès… qu’il perd en appel.
La cour de cassation casse la décision …
Arrêt de la Cour de Cassation du 8 juillet 2010 n°09-12.491 :
« Attendu que pour débouter M. Arnaud X... de sa demande tendant à ce que le
capital d'assurance-vie versé à Mme Florence X... soit pris en compte dans la
masse de calcul de la réserve et de la quotité disponible, l'arrêt retient, d'une
part, que, contrairement à ce qu'affirmait M. Arnaud X... , son père ne pouvait
être le bénéficiaire du contrat d'assurance-vie puisqu'il était décédé
antérieurement à la souscription du contrat, d'autre part, qu'il ne rapportait pas la
preuve de l'intention libérale au sens de l'article 894 du code civil relatif à la
donation puisque l'assurance-vie suppose un aléa, enfin, que les primes versées
n'étaient pas manifestement exagérées compte tenu des facultés contributives de
Roland X... eu égard à l'importance de son patrimoine mobilier et immobilier…
Qu'en statuant ainsi, sans répondre aux conclusions de M. Arnaud X... qui
faisait valoir que Roland X... avait, dans son testament, exprimé la volonté
que le capital d'assurance-vie soit pris en considération pour le calcul de la
réserve et de la quotité disponible en précisant que ce capital devrait être
inclus dans le lot de sa fille, légataire de la quotité disponible, la cour d'appel
n'a pas satisfait aux exigences du texte susvisé…»
Les arguments des différents spécialistes sont effectivement relativement forts
pour laisser penser que le souscripteur peut soumettre, par sa seule volonté, à
rapport et à réduction les capitaux décès. En effet même si l'article L 132.13 ne
fait pas partie des articles auxquels assureur et contractant peuvent déroger selon
l'article L 111.2, certains auteurs et non des moindres pensent que cela reste
possible si le souscripteur le veut.
Mais la Cour de cassation n’a-t-elle pas simplement rappeler à la cour d'appel de
prendre en considération l'attendu sur ce sujet comme le rappelle Bernard
Vareilles.? « La première chambre civile casse pour défaut de réponse à
conclusions : selon elle la cour d’appel n’a pas satisfait aux exigences de
l’article 455 du Code de procédure civile. Le petit-fils fait en effet valoir que le
défunt, en spécifiant que ce capital devrait être inclus dans le lot de sa fille,
avait exprimé la volonté que le capital d’assurance vie fût pris en considération
pour le calcul de la réserve et de la quotité disponible. Les juges d’appel
auraient dû s’expliquer sur la mise en œuvre d’une telle stipulation.»
La cour d’appel à nouveau réunie a maintenu sa position en déboutant le petit
fils et en concluant « /. que l’intention du souscripteur de voir intégré à la
succession le capital décès pour sa prise en compte dans la masse de calcul de la
réserve et de la quotité disponible ne résultait pas du testament.»
La Cour de cassation (Cass ,civ.,20 mars 2013, N° 11-27221) confirme cette
décision (et par la même occasion notre interprétation de sa première
décision…) en estimant que « c’est dans l’exercice de son pouvoir souverain que
la Cour d’appel, recherchant comme il lui était demandé, la volonté du testateur,
a, sans se contredire, estimé que celui-ci n’avait pas entendu que le capital
d’assurance vie soit pris en considération pour le calcul de la réserve… »
Voilà donc un débat clos ou presque car reste tout de même la question suivante:
un souscripteur peut-il imposer que les capitaux décès issus d’un contrat
d’assurance-vie soient soumis aux règles de la réduction et/ou du rapport?
L’article L 132.13 du Code des assurances est-il d’ordre public?
Qui peut y déroger?
Quelles seraient conséquences?
Le principe est qu’il n’y a ni rapport, ni réduction selon l’article L 132.13 du
code des assurances, en effet : «Le capital ou la rente payables au décès du
contractant à un bénéficiaire déterminé ne sont soumis ni aux règles du rapport à
succession, ni à celles de la réduction pour atteinte à la réserve des héritiers du
contractant.
Ces règles ne s'appliquent pas non plus aux sommes versées par le contractant à
titre de primes, à moins que celles-ci n'aient été manifestement exagérées eu
égard à ses facultés.»
La question : s’agit-il d’une disposition d’ordre public ?
L'article L 111-2 du Code des Assurances précise que :
"Ne peuvent être modifiées par convention les prescriptions des titres Ier, II, III
et IV du présent livre, sauf celles qui donnent aux parties une simple faculté et
qui sont contenues dans les articles L. 112-1, L. 112-5, L. 112-6, L. 113-10, L.
121-5 à L. 121-8, L. 121-12, L. 121-14, L. 122-1, L. 122-2, L. 122-6, L. 124-1,
L. 124-2, L. 127-6, L. 132-1, L. 132-10, L. 132-15 et L. 132-19."
L’article L 132.12 ne figurant pas dans la liste ci-dessus, il est donc d’ordre
public et les parties présentes au contrat ne peuvent y déroger.
Ces dispositions ne sont cependant impératives que dans les rapports entre
l'assureur et l'assuré.
Est-il possible que le souscripteur impose que les capitaux décès issus d’un
contrat d’assurance-vie soient soumis aux règles de la réduction et/ou du
rapport?
Il semble que l’on puisse répondre par l’affirmative si cela est prévu dans la
désignation bénéficiaire.
Cependant … En faisant ainsi, le souscripteur ne remet-il pas ainsi en cause la
stipulation pour autrui et ne dénature-t-il pas le contrat qu’il a passé avec
l’assureur?
Quelles seraient alors les conséquences fiscales?
Autant d’incertitudes qui conduisent à recommander d’éviter ce type de
désignation.
Conclusion
Pour limiter le montant des droits et les éventuelles contestations sur la
prestation versée, il convient :
De renseigner la désignation bénéficiaire de manière à ce qu’elle soit conforme
aux souhaits de l’assuré et qu’elle évite toute erreur d’interprétation lors du
règlement de la prestation (préciser les bénéficiaires par leur nom (à privilégier)
ou qualité, indiquer la part réservée à chacun d’eux, préciser si leur bénéfice est
conjoint ou successif, prévoir le sort des parts des éventuels prédécédés)
D’anticiper la possible renonciation au bénéfice et pour se faire avoir
éventuellement recours à des clauses à options.
De systématiquement terminer par la clause de sauvegarde « à défaut mes
héritiers ».
Si la clause bénéficiaire est complexe, il est important de bien préciser par écrit
les volontés du souscripteur de manière non juridique juste avant la clause
bénéficiaire. Ceci permettra de faciliter toute recherche de l’interprétation de la
volonté du stipulant.
Si l’assuré n’a pas de souhaits particuliers, on peut éventuellement utiliser la
clause standard : « Le conjoint de l’assuré non séparé de corps, à défaut les
enfants de l’assuré nés ou à naître, vivants ou représentés (préciser si vous
voulez que la représentation s’applique aussi en cas de renonciation au
bénéficie), à défaut les héritiers de l’assuré. ».
Jean-Jacques Branche
Chargé d’Enseignement auprès de l’Ecole Polytechnique d’Assurances
Chargé d’Enseignement à l’Université Jean Moulin Lyon 3
Auteur de « L’approche patrimoniale de l’assurance-vie ». IS-Editions

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