nation porte dauphine

Transcription

nation porte dauphine
SEQ 1- INT/JOUR - METRO PARISIEN - STATION NATION
GENERIQUE SUR...
7h30. Sur le quai, une foule s’entasse pour partir travailler. Au rythme des trains qui se
succèdent, les Parisiens montent et descendent des wagons tels des fourmis automates.
(Images accélérées).
Une musique d’orgue de barbarie vient appuyer le côté mécanique de ce manège irréel.
FIN DU GENERIQUE.
Progressivement, on découvre derrière la foule qui fourmille un clochard qui dort
tranquillement sur un banc. Au milieu du tumulte, son corps inerte paraît paisible, serein.
Emmitouflé dans un par-dessus tâché et un pull mité, on découvre une barbe blanchâtre de
quelques jours... un visage buriné et rougi par l’alcool... des cheveux sales. Il semble avoir
une cinquantaine d’années.
Sortant du grondement lointain et irréel de la foule, on entend le son net et cristallin d’une
pièce de monnaie qui tombe parmi d’autres au fond d’un gobelet.
Les yeux du clochard s’entrouvrent.
De sa position allongée, il regarde quelques secondes la foule qui défile. Il se redresse et
reprend doucement contact avec la réalité.
A côté de lui, un vieux cabas à roulette est rempli de sacs en plastique pleins d’un fatras
anonyme.
LE CLOCHARD (OFF)
J'suis l'plus heureux des hommes... je sais... on dirait pas
comme ça... mais vous les avez vu courir comme des fous
tous les matins... non ? Alors c’est que vous courrez avec
eux !
Le clochard se penche et ramasse son gobelet en carton posé sur le sol. Il déverse son
contenu dans sa main droite, quelques pièces de monnaie.
LE CLOCHARD (OFF)
Et tout ça pour quoi ? Arriver à l’heure...s’emmerder toute la
journée à faire de trucs qu’on a pas envie...dire toujours oui
parce qu’on a peur de s’faire virer ?
Machinalement, sans même regarder combien il vient de récolter, il glisse les pièces dans la
poche de son par-dessus et en remet trois dans le gobelet qu’il repose sur le quai.
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LE CLOCHARD (OFF)
Moi ça fait bien longtemps que j’me suis fait viré...on peut dire
qu’ça a changé ma vie...bon je sais...vous allez m’dire qu’y en
a qui s’réveillent tous les matins du bon pied et qui foncent au
bureau parce qu’ils s’éclatent dans leur boulot...mais
franchement vous en connaissez beaucoup ?
Le clochard se lève et commence à fouiller dans son cabas.
LE CLOCHARD (OFF)
Non vraiment j’crois qu’y a plein d’gens plus malheureux
qu’moi...
La tête enfouie parmi les sacs, le clochard fouille de plus en plus profond dans son cabas.
LE CLOCHARD (grognon)
Bordel...mais où j’ai encore bien pu ranger c’truc...ah le v’là...
Il ressort avec un vieux peigne sale et édenté à la main, puis se dirige vers l’entrée
ténébreuse du tunnel du métro. Sa démarche est celle d’un vieillard perclus de rhumatismes.
Il s’arrête devant un long et étroit miroir qui marque la fin du quai. Il se penche et commence à
se coiffer. Le peigne accroche dans ses cheveux sales et noués.
LE CLOCHARD (OFF)
Personne m’dit à quelle heure j’dois m’réveiller...m’coucher ou
bouffer...j’fais c’que j’veux...j’suis libre...
Le visage du clochard paraît grossi à la loupe dans l’étroit miroir. Ses rides et sa peau vérolée
n’en sont que plus visibles. Il fixe son reflet avec une certaine tristesse.
LE CLOCHARD (OFF)
J’suis pas bien riche c’est sûr...mais au moins j’paye pas
d’impôts...et ça y’en a beaucoup qu’aimerai pouvoir en dire
autant.
Il se remet à sourire.
Derrière lui, à l’autre bout du quai, un train entre dans la station. Il jette un coup d’œil à une
pendule murale fixée au-dessus de lui.
LE CLOCHARD (OFF)
Ca c’est celui de Marion...toujours à l’heure ma p’tite puce.
Le train vient s’arrêter à sa hauteur.
Le clochard se redresse et se tourne vers la cabine du conducteur.
La fenêtre s’ouvre sur le visage souriant d’une jeune femme d’une trentaine d’années en
uniforme de la R.A.T.P..
2
MARION (enjouée)
Bonjour Gérard...comment ça va aujourd’hui ?
GERARD
Comme un homme qui a une belle femme tous les matins
dans sa salle de bain !
Rire complice de Marion.
MARION
Surtout tu ne dis rien à mon mari hein ? Bouge pas j’ai un truc
pour toi.
Marion disparaît dans sa cabine quelques secondes et en ressort avec dans une main une
rose rouge et dans l’autre un paquet cadeau.
MARION
Tiens...je devrais pas t’offrir ça mais au moins tu ne te feras
pas de mal avec...c’est du bon (clin d’œil de Marion).
Gérard est ému. Il prend la rose et le cadeau comme s’il s’agissait du saint Grâal.
GERARD
Ma puce c’est...je...
Marion regarde Gérard et est émue à son tour. Elle contient son émotion comme elle peut.
MARION (comme pour changer de sujet)
Bon allez...ils doivent déjà tous
derrière...Joyeux Noël mon grand...
taper
du
pied
Marion se penche hors de sa cabine et dépose un baiser sur la joue du clochard, puis elle
retourne rapidement à son poste de commande comme pour fuir son regard.
MARION
On se voit tout à l’heure.
Le signal du départ retenti. Les portes claques. Le train démarre.
Gérard regarde Marion qui s’éloigne en fixant le sombre tunnel devant elle.
GERARD (fort)
Joyeux Noël Marion.
Il regarde le train disparaître dans le noir.
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GERARD (murmurant)
Joyeux Noël.
GERARD (OFF)
Si ça c’est pas l’bonheur !...Bon, où j’en étais déjà ?...
CUT. (RACCORD SUR LE MONOLOGUE)
SEQ 2 - INT/JOUR - METRO PARISIEN - STATION NATION
On retrouve le clochard assis sur son banc à côté de son cabas du haut duquel dépasse le
cadeau de Marion encore emballé. Devant lui, la foule de moins en moins dense va toujours
aussi vite. Il regarde les gens passer.
GERARD (OFF)
...Ah oui les impôts... j’en ai tellement payé quand j’bossais
que j’me suis dit qu’y fallait qu’je sois remboursé...c’est vrai
y’a pas d’raison...alors j’en ai fait un...le miens... j'pose mon
gobelet, j'pique un p'tit roupillons, et pendant c'temps là ces
messieurs-dames payent mon impôt à moi... mais attention…
là on sait où va l’argent...c’est du liquide et ça reste du
liquide...
Une femme passe devant Gérard sans le regarder et jette machinalement une pièce dans le
gobelet. Il la suit du regard.
GERARD (à la manière d’un prêtre)
Va en paix mon enfant.
Le femme se retourne en marchant et regarde Gérard d’un air de dire «il est fou ce type».
GERARD (OFF)
...Et puis ils repartent soulagés et satisfaits de la B.A.
accomplie...en fait je leur prend pas leur argent...je leur offre
la paix intérieure...j'suis le percepteurs des mauvaises
consciences quoi...bon c’est pas tout ça mais j’ai un train à
prendre moi.
CUT.
SEQ 3 - INT/JOUR - METRO PARISIEN - STATION NATION
On retrouve Gérard qui fait face à une rame qui entre en station. Les wagons défilent devant
lui.
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GERARD (OFF)
On dirait pas comme ça mais là j’ai un peu l’trac...c’est vrai
même s’il finit pas y avoir une routine...on sait jamais
comment ça va se passer.
Le train s’arrête. Les portes s’ouvrent. Des gens en descendent.
Gérard attend quelques secondes devant l’entrée béante puis entre dans le wagon comme
sur une scène de théâtre. Son cabas à la main, il se tourne vers son public du jour, quelques
voyageurs disparates.
GERARD (monocorde à l’excès)
Bonjour m’ssieurs dames...excusez-moi d’vous déranger...
père de dix enfants nés d’une femme qui nous a rien laissé en
mourant...je sors de prison et aimerais bien m’insérer dans
une vie sociale...(sa voix s’éloigne et est remplacée par sa
voix OFF)...
Les gens dans le wagon font comme s’il n’était pas là. Il en profite pour les observer tout en
débitant machinalement son baratin qu’on distingue à peine en fond sonore.
GERARD (OFF)
Quand ils sont enfin tous enfermés dans leurs bureaux...c'est
là qu'ma journée commence...il reste seulement les plus
sympas...ceux qui sont moins pressés...c'est avec eux que
j'fais mon échauffement matinal...ça m'permet d’tester
l'ambiance générale pour la journée...
Devant lui, un petit homme d’affaire chétif est plongé dans un gros livre au titre évocateur:
« DIRIGER »...un peu plus loin, une femme d’un certain âge, richement vêtue tient son sac
Vuitton sur ses genoux. Elle regarde d’un air dégoutté son voisin, un ouvrier en bâtiment qui
essaye de s’enlever le plâtre qui est resté collé sous ses ongles. L’ouvrier redresse la tête
vers elle en se curant les dents. Il la regarde droit dans les yeux sans aucune expression.
Elle, gênée, lui lance un sourire de complaisance avant de se détourner de cette « vision
d’horreur »...
...Sur la banquette à côté de l’ouvrier, un jeune fille en jeans et blouson noir est avachie, les
pieds sur la banquette, en train de mâcher un chewing-gum en écoutant de la techno au
casque de son Walkman. Elle regarde par la fenêtre le noir du tunnel...tout au fond, un couple
d’amoureux est enlacé. Les deux tourtereaux sont dans un autre monde...
GERARD (OFF)
...Bon ben y z’ont pas l’air très chauds...c'est encore pas
aujourd'hui que j'vais m'payer du Mouton-Rothschild …(On
revient progressivement à sa voix IN).
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GERARD (monocorde)
...Je n’ai pas de travail je n’ai pas de maison...ancien artiste
qui a mal tourné…j’ai décidé de reprendre le droit chemin de
la société...(changeant de ton pour attirer l’attention)...vend
superbe B.M.W. break...10.000 Km...toutes options...prix à
débattre.
Quelques têtes intriguées se redressent.
GERARD
Mais non j’rigole...vous pouvez vous rendormir...allez en paix
mes enfants.
Dans le dos de Gérard, des applaudissements enthousiastes se font entendre. Il ne semble
pas surpris.
GERARD (OFF)
Heureusement...y'a autre chose qui m'rend heureux...
Gérard se retourne sans chercher à faire la quête.
GERARD (OFF)
...C’est les copains...
Dans le « salon arrière » du wagon, deux clochards applaudissent la performance matinale
que vient d'exécuter leur ami.
Gérard leur sourit.
Assis sur la banquette de gauche, un clochard d'une quarantaine d'années s'esclaffe d'un rire
tonitruant: c'est LE RITAL.
Il porte un bonnet de laine, un long par-dessus, et des chaussures typiquement italiennes
(blanches et marron impeccablement cirées). Posé à côté de lui, une pile de journaux « Le
Réverbère ».
Sur la banquette de droite, un homme d'une soixantaine d'années: c’est SOCRATE.
Un visage émacié caché derrière d'énormes lunettes à double foyer, une barbe blanche
naissante, une écharpe rouge autour du cou, des mitaines en laine, un costume trois pièces
mité, sont, selon ses propres termes, « les éléments qui ornementent l'enveloppe charnelle de
la réincarnation du grand philosophe grec... ».
Sur ses genoux, il sert à deux mains un porte-documents râpé dont la poignée a été
remplacée par un vulgaire morceau de ficelle. Il se tient droit comme un piquet, dans le but
très net d'obtenir un maintien noble et distingué.
LE RITAL (hurlant avec un fort accent italien )
BRAVO Gégé...BRAVO...
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GERARD
Salut L'Rital, salut Socrate...
LE RITAL (entre deux éclats de rire)
Ciao Gégé...
SOCRATE
Le bonjour cher compagnon...
Gérard s'assoit à côté du Rital qui pousse sa pile de journaux.
SOCRATE
Il me semble mon ami que votre discours matinal n'était pas à
la hauteur de vos performances habituelles.
Le Rital passe amicalement un bras autour des épaules de Gérard.
LE RITAL (toujours souriant)
Ma ! L’écoute pas...il y connaît rien Platon...tu étais aussi
mauvais que d’habitude.
SOCRATE (excessivement vexé)
Socrate...c’est Socrate...combien de fois...
LE RITAL (coupant Socrate)
Planton, Socrate, c'est le même chose....tous les fous comme
toi !...non, je vais te dire Gégé...tu es « has been »...c’est fini
l’âge d’or de la manche où tu ramassais de quoi te saouler la
gueule en racontant n’importe quelle connerie...aujourd’hui on
est à l’ère du S.D.F. tu comprends...il faut s’adapter mon
vieux...
SOCRATE
Malraux disait: « le XXIe siècle sera spirituel ou ne sera
pas »...nous sommes à l’aire de l’esprit mon cher...
Socrate pose une main sur sa mallette comme pour montrer qu’elle contient la solution, la
vérité.
SOCRATE
Le peuple a besoin qu’on lui ouvre les yeux...
Le regard de Gérard va de l’un à l’autre.
7
LE RITAL
Et tu crois qu’il va suivre un aveugle comme toi pour lui ouvrir
les yeux...c’est plus des lunettes qu’il te faut mon vieux...c’est
un chien.
SOCRATE
Ma cécité n’est rien à côté de votre nuit intellectuelle très
cher.
LE RITAL (haussant le ton)
MA ! Tu sais ce qu’elle te dit ma nuit intellectuelle bouffone...
Le Rital et Socrate continuent à se chamailler alors que leurs voix passent en arrière plan
sonore et sont remplacées par la voix OFF de Gérard.
Gérard les regarde.
GERARD (OFF)
L ’amitié...ça c’est quelque chose...je sais, on ne dirait pas
comme ça mais ils s’adorent...en fait, ils sont inséparables et
ça fait cinq ans que ça dure...tenez par exemple quand il n’y a
plus qu’une seule place au foyer...et ben ils veulent tous les
deux se sacrifier pour que l’autre passe la nuit au chaud...et
ça se finit toujours de la même façon: ils restent tous les deux
dehors. Socrate par esprit de solidarité, et le Rital parce qu’il
est persuadé que Socrate ne peut pas se débrouiller sans
lui...si c’est pas touchant ça...c’est sûr, sans eux ça ne serait
pas pareil...
Le Rital semble vouloir faire une trêve.
LE RITAL
Bon...vous savez c’qu’on va faire pour vous prouver que j’ai
raison...on va faire un concours...chacun sa méthode...toutes
les techniques sont permises, sauf le vol évidemment...et
celui qui rapporte le plus empoche le fric des autres...va
bene ?
SOCRATE
Si cela peut prouver votre médiocrité une bonne fois pour
toutes.
LE RITAL
Ma va fa enc...(il se tourne vers Gérard)...et toi Gégé ?
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GERARD
Ok les gars...vous allez voir ce que c’est qu’un professionnel
qui a de la bouteille...tu commences Socrate ?
SOCRATE
Rien ne sert de courir il faut partir à point...
Le Rital regarde avec impatience le cadran de sa montre cassée.
LE RITAL
Okéééé...(il attend deux secondes)...POINT...tu peux y aller.
Socrate lève les yeux au ciel d’indignation mais se résigne à partir le premier.
SOCRATE (en italien)
Imbecile !
Socrate se lève et s’éloigne vers les voyageurs. Il sort de sa mallette quelques feuilles de
papiers froissées et tâchées, c’est à dire son œuvre intégrale, et commence à essayer de les
vendre. Les voyageurs gênés détournent le regard.
CUT.
SEQ 4 - INT/JOUR - METRO PARISIEN - STATIONS
Succession de différents plans de trains qui passent dans plusieurs stations caractéristiques
de la ligne PORTE DAUPHINE – NATION, et qui nous font découvrir un panel des différentes
populations qui peuplent la ligne : les vieux parisiens de Ménilmontant, les prostitués et les
touristes de Barbès-Rochechouard, les hordes de Japonais de Charles de Gaulle-Etoile les
bourgeoises de Villier …etc.
CUT.
SEQ 5 - INT/JOUR - METRO PARISIEN – STATION PERE LACHAISE
Trois mains tendues côtes à côtes contiennent chacune plus où moins de pièces de 5, 10, ou
20 centimes.
Nos trois compères sont revenus dans leur «salon» pour faire les comptes. Ils regardent leur
maigre butin dans le silence de la déception générale.
LE RITAL
C’est sûr que c’est pas terrible...mais c’est normal c’est la
Noël...alors les gens y ont tout dépensé pour la cadeau...
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SOCRATE
LE cadeau !
LE RITAL (exaspéré)
A toi c’est pas le moment hein...
On entend les portes s’ouvrir, puis la voix d’un enfant yougoslave qui s’élève de l’autre bout
du wagon.
Nos trois compères se retournent et découvrent au bout de la rangée de sièges, deux enfants
de huit et dix ans, crasseux et l’air triste. Le grand tient une balalaïka qu’il fait résonner avec
mélancolie. Le petit s’adresse aux passagers.
LE PETIT ENFANT (triste avec l’accent yougoslave)
Bonjour Madame, Monsieur...parents restés à Pristina...peutêtre morts maintenant...nous fuir sans rien Madame
Monsieur...s’il vous plaît pour manger...
Les deux enfants avancent au milieu des sièges en répétant la même litanie, au rythme
nostalgique de la balalaïka.
Sous les yeux hagards de nos trois compères, les passagers sortent la grosse artillerie. Les
pièces de cinq et de dix francs s’entrechoquent au fond du béret que le petit tend aux
passagers d’un air triste.
Les deux enfants arrivent maintenant à la hauteur des clochards qui sont restés figés avec
leurs pièces jaunes dans la main.
Le petit enfant leur tend son béret.
Les trois ne bougent pas pendant quelques secondes, puis Socrate donne ses pièces. Le
Rital attrape aussitôt la main de Socrate.
LE RITAL (hors de lui)
Ma cretino...qu’est-ce que tu fais ?
SOCRATE
Il me semble que ces orphelins en ont plus besoin que nous.
LE RITAL
Ma ! Tu vois pas que c’est que des conneries...leurs parents
les attendent tous les soirs en Mercedes à la sortie...ils sont
riches comme Berlusconni ces fils des P...
Le petit quitte son masque de tristesse et se met à rire en tirant la langue au Rital. Il lui fait un
gros bras d’honneur.
Le Rital se lève d’un bon pour les choper, mais les deux gamins détalent déjà vers le quai,
alors que la sonnerie de départ retenti. Les portes se referment derrière eux, bloquant le Rital
dans son élan.
10
Alors que le train démarre, les deux enfants le suivent le plus longtemps possible en faisant
des gestes obscènes au Rital collé à la vitre.
CUT.
SEQ 6 – INT/JOUR – METRO PARISIEN – STATION MENILMONTANT
On retrouve nos trois compères un peu plus tard dans leur «salon». Ballottés par les
secousses du train, ils sont tous les trois perdus dans leurs pensées.
GERARD (OFF)
Je sais on dirait pas comme ça mais on se marre bien...en
tous cas...il y a vraiment un moment de la journée que je ne
raterai pour rien au monde...c’est « l’arrivée en gare de
Ménilmontant ».
Le train entre en gare: Station Ménilmontant.
Gérard paraît tout excité, comme s’il avait un rendez-vous important. Il regarde défiler la
population cosmopolite sur le quai. Il tient à deux mains la rose que Marion lui a offerte et
semble impatient que le train s’arrête.
GERARD (OFF)
C’est ici que j’l’ai vue pour la première fois...et c’est ici qu’elle
monte tous les jours...à la même heure...ça a été tout de suite
le coup de foudre...elle est si belle...d’ailleurs c’est son nom...
Les portes s’ouvrent.
Après quelques secondes d’attente interminable pour Gérard, une bottine noire se pose sur le
marchepied, comme pour l’entrée en scène d’une star de cabaret.
GERARD (OFF)
BELLE...
On découvre sous le regard transi de Gérard, une femme d’une cinquantaine d’années, vêtue
d’une robe noire à la Edith Piaf, qui porte un accordéon pendu sur ses frêles épaules. Elle
semble tout droit sortie d’un tableau de Toulouse-Lautrec.
Elle a le visage marqué de nombreuses rides creusées par les années, l’alcool et la misère,
mais on devine néanmoins sous le masque d ’une vie dure une femme qui fut belle.
Elle jette un regard souriant à Gérard qui n’en peu plus, puis se tourne vers «son public» en
entamant sur son accordéon l’air de « Si tu me le demandais » d’Edith Piaf.
Elle commence à chanter d’une voix cassée par l’alcool et la fumée..
Gérard regarde sa promise qui lui tourne le dos. Il fixe sa nuque qui apparaît sous ses
cheveux relevés en chignon.
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GERARD (OFF)
Elle est pas merveilleuse ? Je sais on dirait pas comme
ça...mais c’est la plus belle femme du monde...
On se rapproche de Belle de dos et on commence à tourner autour d’elle.
GERARD (OFF)
Et puis Belle...c’est une artiste...une vrai...à une époque...
Au fur et à mesure que la caméra tourne autour d’elle, la lumière glauque du néon fait place le
noir. Un projecteur de poursuite vient isoler Belle.
GERARD (OFF)
...la foule payait pour aller l’entendre chanter...
...Quand on voit de nouveau son visage qui se découpe sur le fond noir, elle est jeune et
belle, sa voix est devenue cristalline...tous les bruits du métro ont disparu...on continue à
tourner autour d’elle...devant, le noir qui a recouvert les voyageurs du métro laisse deviner un
public captivé qui retient son souffle...le regard de Gérard sur Belle nous a fait remonter dans
le temps, tout en nous transportant sur une scène de music-hall...on continue à tourner autour
d’elle...jusqu’à ce que la vision « idéale » de Gérard soit à nouveau remplacée par la triste
réalité d’un wagon à moitié vide de voyageurs totalement indifférents à la voix rauque d’une
vieille clocharde.
Lorsqu’elle finit de chanter, sa voix est presque entièrement couverte par le bruit métallique
des roues qui grincent sur les rails.
Elle fait sa quête sans conviction, sachant qu’elle ne récoltera comme d’habitude que
quelques pièces.
Depuis son siège, Gérard la regarde avec tristesse. Un sentiment d’injustice lui pèse sur le
cœur.
GERARD (OFF)
...Allez comprendre comment une artiste comme Belle en est
arrivée là...elle a jamais voulu nous dire ce qui s’est passé.
Sa maigre quête terminée, Belle rejoint nos trois compères dans leur « salon ».
BELLE (avec un fort accent Titi parisien)
Salut Socrate...ciao l’Rital...
Socrate décolle légèrement les fesses de son siège.
SOCRATE
Mes hommages Belle.
LE RITAL
Ciao Bella.
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Belle se tourne vers Gérard qui la fixe amoureusement avec sa rose dans les mains.
BELLE
Salut mon mignon...tu m’fais une place ?
Gérard pousse immédiatement le Rital qui va s’asseoir à côté de Socrate, puis se fait glisser
vers le fond de la banquette.
Belle s’assoit en posant son accordéon sur la banquette.
Gérard ne la quitte pas des yeux en tenant sa rose à deux mains.
GERARD
C’était magnifique Belle...tu sais...ils y connaissent rien...
BELLE (coupant Gérard sur le ton de la rigolade)
Allez charrie pas tu vas m’faire chialer...(sur le ton du
regret)...c’est sûre qu’s’ils étaient tous comme toi...
Belle regarde la rose.
Gérard ne réagit pas.
Belle lui sourit avec insistance.
GERARD (reprenant ses esprits)
Oh...oui...c’est...c’est pour toi...Joyeux Noël Belle.
Belle prend la rose et la respire avec un plaisir manifeste tout en regardant Gérard dans les
yeux.
BELLE
Merci mon beau...toi tu sais y faire…y a pas !
Ils restent quelques secondes les yeux dans les yeux, tandis que Socrate et le Rital les fixent
comme s’ils regardaient un film à la télé.
BELLE (changeant d’un coup de ton)
Bon ben faut pas qu’ça vous fasse oublier les bonnes
manières les gars...vous m’offrez pas un p’tit coup à
boire...c’est qu’ça assèche de pousser l’refrain...
LE RITAL
Moi je suis à sec.
SOCRATE
Je crains que Bacchus ne soit pas au rendez-vous
aujourd’hui.
Gérard dans son coin hésite. Il regarde ses deux copains puis Belle qui l’interroge du regard.
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GERARD
J’ai peut-être quelque chose...
Le Rital se frotte les mains d’avance.
LE RITAL (à Belle)
Heureusement que tu es arrivée ma chérie parce qu’il nous
aurait laissé crever de soif cet (égoïste en italien).
Gérard se penche vers son vieux cabas et attrape le cadeau de Marion.
GERARD
C’est la p’tite de la 112 qui m’la offert pour Noël...
En regagnant sa place, Gérard regarde Le Rital et Socrate qui ne quittent pas le paquet des
yeux. Il les met en garde.
GERARD
…Alors on y va molo !
Penchés autour du cadeau, ils retiennent tous leur souffle.
Devant le paquet qui dévoile enfin son secret, Le Rital, Socrate, Belle et Gérard ouvrent de
grands yeux comme s’ils voyaient le saint Grâal.
On découvre qu’ils sont en train de contempler une bouteille de Mouton-Rothschild 1990.
Ils restent tous figés comme des statues.
LE RITAL (hypnotisé)
Je veux le nom de cette fille pour la épouser tout de
suite...right now...
SOCRATE (illuminé)
J’ai toujours su que le Père Noël existait.
GERARD (pragmatique)
Merde si j’avais su !!!
BELLE (calmement)
Y en a pas un de vous qu’aurait un tire bouchon ?
Trois tire-bouchons apparaissent instantanément autour de la bouteille que personne n’a
encore quitté des yeux
CUT.
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SEQ 7 - METRO PARISIEN – TUNNEL
Belle, le Rital, Socrate dégustent en faisant plus ou moins de manières, sous le regard de
Gérard, heureux de voir ses camarades se régaler.
GERARD (OFF)
Vous voyez... des moments de joie comme ça je souhaite à
tout le monde d’en vivre un au moins une fois dans sa vie...
Oh pas de vider une bouteille de Mouton-Rothschild... non...
ça je sais bien qu’y a plein de gens qui peuvent se l’payer
tous les jours... mais se retrouver avec ses meilleurs amis... à
partager une joie comme celle-là... un bonheur qui nous fait
tous vibrer... ensemble...
Les images de bonheur de nos quatre compères se succèdent de plus en plus vite.
Musique d’orgue de Barbarie qui s’accélère progressivement
GERARD (OFF)
...Avoir l’impression d’être réunis autour de quelque chose
d’important... d’unique... d’essentiel... une union qui semble
inséparable... comme une famille... on voudrait jamais que ça
s’arrête... jamais... jamais...
Les rires de Gérard, Belle, Socrate et le Rital tourbillonnent.
CUT SONORE.
SEQ 8 - METRO PARISIEN - STATION NATION
Marion, aux commandes de sa rame de métro entre dans la station Nation.
La station est totalement vide.
Marion qui finit sa journée semble fatiguée.
Au moment ou elle arrête son train, elle aperçoit Gérard sur le quai en face.
Il dort affaissé sur un siège, sa tête tombe sur le côté, sa bouche est entrouverte. Il tient la
bouteille de Mouton-Rothschild d’une main.
Elle le regarde quelques secondes alors que retentit le strident signal sonore qui annonce le
terminus.
Sur le quai, Gérard se réveille en sursautant légèrement. Il redresse péniblement la tête.
Dans sa cabine, Marion se penche vers son micro tout en fixant Gérard avec tristesse.
MARION (la voix serrée)
NATION... NATION... Terminus tout le monde descend... ce
train ne prend plus de voyageur... prière de regagner la sortie
avant la fermeture de la station …merci.
Gérard qui reprend ses esprits reconnaît la voix de Marion. Il l’aperçoit dans sa cabine.
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Ils se regardent quelques secondes.
Gérard lui fait un petit sourire qui semble dire : « je suis comme je suis ».
Marion détourne son regard triste de Gérard et fait redémarrer son train. Elle disparaît dans le
noir du tunnel.
Gérard la regarde partir, il est maintenant totalement seul dans la station.
Il jette un coup d’œil à la pendule du quai : 00h55.
Il se lève péniblement et se dirige vers la sortie... Il tire son cabas qui monte par à coups les
marches de l’escalier... Il s’éloigne de dos au bout d’un long couloir... Il passe sur un tapis
roulant en regardant le vide autour de lui... Il remonte sur un escalier mécanique... Il arrive
devant la sortie.
Un jeune agent de la R.A.T.P. en uniforme l’attend, prêt à refermer la grille. Il regarde sa
montre avec impatience.
Gérard passe devant lui.
GERARD
Joyeux Noël fiston...
L’employer referme la grille tout de suite derrière Gérard.
L’AGENT (indifférent)
Ouais...c’est ça...bonne nuit..
Il tourne rapidement les talons et disparaît dans les couloirs vides du métro.
Derrière Gérard qui s’est retourné vers la grille fermée, des escaliers montent vers la nuit
noire.
Gérard se retourne vers l’extérieur, une fumée dense s’échappe de sa bouche au rythme de
sa respiration
Devant lui, il neige à gros flocons. Un peu plus haut, les marches sont recouvertes d’une
neige épaisse et immaculée.
Gérard remonte son col et commence à gravir péniblement une à une les marches enneigées.
Il traîne lourdement son cabas derrière lui.
Il monte lentement vers la neige et le froid.
GERARD (OFF)
Je sais... on dirait pas comme ça mais...
GENERIQUE
FIN
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